LE XXII AOUT. L'OCTAVE DE L'ASSOMPTION.
Celui-là seul qui comprendrait la
sainteté de Marie pourrait apprécier sa gloire. Mais la Sagesse, qui présida au
creusement des abîmes (1), ne nous a point révélé la profondeur de cet océan,
près duquel les vertus des justes et toutes les grâces qui leur furent
prodiguées ne sont que ruisseaux. Toutefois l'immensité de grâce et de mérite
qui constitue à part de toutes autres la perfection surnaturelle de la Vierge
bénie, nous met en droit de conclure pour elle à une égale suréminence
dans cette gloire qui n'est que la consécration de la sainteté des élus.
Tandis que les autres prédestinés
de notre race s'échelonnent aux divers rangs des célestes hiérarchies, la
sainte Mère de Dieu s'élève par delà tous les chœurs bienheureux (2),
formant à elle seule un ordre distinct, un ciel nouveau, où les harmonies
angéliques et humaines sont dépassées. En Marie, Dieu est glorifié davantage,
mieux connu, plus aimé que dans tout le reste de l'univers. A ce seul titre,
selon l'ordre de la Providence créatrice qui au plus parfait subordonne le
moindre, Marie devait être la souveraine de la terre et des cieux.
579
Dans ce sens, c'est pour elle, après l'Homme-Dieu,
qu'existe le monde. Le grand théologien et cardinal de Lugo, expliquant ici les
paroles des saints, ose bien dire : « De même que Dieu, créant tout dans sa
complaisance pour son Christ, a fait de lui la fin des créatures ; de même avec
proportion peut-on dire qu'il a tiré du néant le reste du monde par amour pour
la Vierge Mère, faisant qu'elle soit appelée justement elle aussi, en cette
manière, fin de toutes choses (1). »
Comme Mère de Dieu, et à la fois
comme sa première-née (2), elle avait titre et droit sur ses biens ;
comme Epouse, elle devait partager sa couronne. « La Vierge glorieuse compte
autant de sujets que la Trinité, dit saint Bernardin de Sienne. Toute créature,
quel que soit son rang dans la création, spirituelle comme les Anges,
raisonnable comme l'homme, matérielle comme les corps célestes ou les éléments,
le ciel, la terre, les réprouvés, les bienheureux, tout ce qui relève de la
puissance de Dieu est soumis à la Vierge. Car celui qui est Fils de Dieu et de
la Vierge bénie, voulant, pour ainsi dire, égaler en quelque sorte à la
principauté du Père la principauté de sa Mère, s'est fait, lui Dieu, serviteur
de Marie. Si donc il est vrai de dire que tout, même la Vierge, obéit à Dieu ;
on peut aussi renverser la proposition, et affirmer que tout, même Dieu, obéit
à la Vierge (3). »
L'empire de l'éternelle Sagesse,
comprenant, nous dit l'Esprit-Saint, les cieux, la
terre et l'abîme (4), tel est donc l'apanage de Marie en ce jour
58o
de son couronnement. Comme cette
Sagesse divine sortie d'elle en la chair, elle peut se glorifier en Dieu (1).
Celui dont elle chanta autrefois la magnificence, exalte aujourd'hui son
humilité (2). La Bienheureuse par excellence (3) est devenue l'honneur de son
peuple, l'admiration des Saints, la gloire des armées du Très-Haut (4). En sa
beauté, avec l'Epoux, qu'elle marche à la victoire (5); qu'elle triomphe du
cœur des puissants et des humbles (6). La remise en ses mains du sceptre du
monde n'est point un honneur vide de réalité: à dater de ce jour, elle commande
et combat, protège l'Eglise, garde son chef, maintient les rangs de la milice
sacrée, suscite les saints, dirige les apôtres, illumine les docteurs,
extermine l'hérésie, refoule l'enfer.
Saluons notre Reine ; chantons ses hauts faits ; soyons-lui
dociles ; avant tout, aimons-la et confions-nous à son amour. Ne craignons
point qu'au milieu des grands intérêts de l'extension du règne de Dieu, elle
oublie notre petitesse ou nos misères. Rien ne lui échappe de ce qui se passe
aux plus obscurs réduits, aux plus lointaines limites de son domaine immense.
De son titre, en effet, de cause universelle au-dessous du Seigneur, se déduit
à bon droit l'universalité de sa providence; et les maîtres de la doctrine (7)
nous montrent Marie associée dans la gloire à cette science dite de vision, par
laquelle tout ce qui est, a été ou sera, demeure présent devant Dieu. Croyonsbien, d'autre part, que sa charité non plus ne
saurait être boiteuse : comme son amour pour Dieu
581
passe l'amour de tous les élus, la tendresse de toutes les
mères réunie sur la tête d'un enfant unique n'égale pas celle dont la divine
Mère entoure le moindre, le plus oublié, le plus délaissé des enfants de Dieu,
qui sont aussi ses fils. Elle les prévient de sa sollicitude, écoute en tout
temps leurs humbles prières, les poursuit dans leurs fuites coupables, soutient
leur faiblesse, compatit à leurs maux du corps et de l'âme, répand sur tous les
faveurs d'en haut dont elle est la céleste trésorière. Disons-lui donc parla
bouche d'un de ses grands serviteurs :
« O très sainte Mère de Dieu qui
avez embelli la terre et le ciel, en quittant ce monde vous n'avez point
abandonné les hommes. Ici-bas, vous viviez dans le ciel ; du ciel, vous
conversez avec nous. Trois fois heureux, ceux qui vous
contemplèrent et qui vécurent avec la Mère de la vie ! Mais en la manière que
vous habitiez dans la chair avec les hommes du premier âge, vous demeurez avec
nous spirituellement. Nous entendons votre voix ; la voix de tous arrive à
votre oreille; et l'incessante protection dont vous nous entourez manifeste
votre présence. Vous nous visitez ; votre œil est sur tous ; et bien que nos
yeux ne puissent vous apercevoir, ô très sainte, vous êtes au milieu de nous,
vous montrant vous-même en diverses manières à qui en est digne. Votre chair
immaculée, sortie du tombeau, n'arrête point la puissance immatérielle,
l'activité très pure de cet esprit qui est le vôtre, qui, inséparable de l'Esprit-Saint, souffle aussi où il veut (1). O Mère de Dieu,
recevez l'hommage reconnaissant de notre allégresse, et parlez pour vos fils à
582
Celui qui vous a glorifiée : quoi que ce soit que vous lui
demandiez, il l'accomplit par sa vertu divine ; qu'il soit béni dans les siècles (1) ! »
Honorons le groupe de Martyrs
formant, dans ces jours du triomphe de Marie, comme l'arrière-garde de la Reine
des cieux. Timothée venu d'Antioche à Rome, Hippolyte évêque de Porto,
Symphorien gloire d'Autun sa patrie, souffrirent pour Dieu à des époques
diverses, en des lieux différents ; mais un même jour de l'année les vit
cueillir la palme, un même ciel est maintenant leur séjour. « Mon fils, mon
fils, disait à notre Symphorien sa vaillante mère, souviens-toi de la vie
éternelle ; regarde en haut, et vois Celui qui règne au ciel : on ne t'arrache
pas la vie, on la transforme en une meilleure ! » Admirons ces héros de notre
foi ; par des sentiers moins pénibles, sachons marcher comme eux à la suite du
Seigneur et rejoindre Marie.
ORAISON.
Daignez, Seigneur, vous
laisser apaiser par notre prière, et secourez-nous ; et puisque intercèdent
pour nous vos bienheureux Martyrs Timothée, Hippolyte et Symphorien, étendez
sur nous votre main miséricordieuse. Par Jésus-Christ.
L'inépuisable Adam de Saint-Victor nous donne sur la divine
Mère en son Assomption cette
583
nouvelle Séquence, qui se chantait
à Saint-Victor pour l'Octave.
SEQUENCE.
Réjouissons-nous en ce jour
de l'auguste Assomption de Marie la très sainte; ce jour est un jour béni, qui
la voit passer de la terre au ciel en allégresse.
Elevée au-dessus des chœurs
des Anges, elle est donnée pour Reine aux habitants des cieux. Elle contemple
son Fils dans sa gloire, elle le prie pour tous les fidèles.
Dégageons-nous de nos
souillures, afin que, purs de cœur, nous prenions part à ses louanges ; si
l'âme en nous concorde avec les chants, son oreille écoutera nos voix.
Célébrons-la dans cet accord,
et disons haut à sa louange : Pleine de grâce, salut ! Salut, Vierge Mère du
Christ, qui conçûtes à la seule présence de l'Esprit-Saint
!
O Vierge sainte, ô Vierge
pure, ayez nos chants pour agréables ; d'en haut secourez-nous, et, cette vie parcourue, réunissez-nous à votre Fils.
Elue dès l'éternité avant
tous, longtemps vous fûtes cachée sous 1écorce de la lettre ; dans les saints
Livres, comme future mère du Christ, les Prophètes vous annoncèrent, mais en
figures.
Le mystère fut dévoilé, quand
le Verbe fait chair voulut naître de vous : par son amour, dans sa puissance,
il nous délivra de l'empire du mauvais.
Si nous pesons le sens
mystique du vieux Testament, le trône de Salomon, la toison de Gédéon, le
buisson ardent vous présagent pour notre foi.
Sur la toison la rosée
descendue, dans le buisson la flamme brillante, sans nul dommage des deux
parts, ce fut le Christ prenant chair en sauvegardant dans sa naissance votre
virginité.
Ce fut vous que chanta Isaïe
dans la tige d'où devait sortir la fleur précieuse pour le monde : la fleur,
c'était le Christ dont l'éternelle vertu est sans commencement et sans fin.
Vous êtes le réservoir de la
source de vie; flambeau ardent et luisant, par vous la lumière d'en haut nous
envoie son rayon : ardente, vous l'êtes du feu de charité; luisante, vous
l'êtes de la lumière de chasteté : le Fils que vous donnez au monde est l'éclat
de la splendeur suprême.
O vous, porte de notre salut,
exaucez-nous, confortez-nous, faites-nous sortir promptement des voies
tortueuses ; naviguant sur la mer de ce monde, nous crions vers vous de
l'abîme: délivrez-nous de l'ennemi en furie par votre prière.
Jésus, notre Sauveur, par le
mérite incomparable de votre Mère, daignez nous visiter en cette vallée, nous
donner votre grâce. Vous qui ne voulez la condamnation de personne,
accordez-nous de nous comporter de telle sorte en cette mer, qu'après la mort
nous méritions votre repos pour récompense. Amen.
L'Oraison suivante est
remarquable parle symbolisme qui l'inspire. On l'emploie pour la bénédiction
des herbes médicinales, ou fruits de même sorte, usitée de temps immémorial en
divers lieux le jour de l'Assomption.
ORAISON.
O Dieu qui en ce jour avez
élevé la tige de Jessé, la Mère de votre Fils notre
Seigneur Jésus-Christ, au sommet des cieux ; vous vouliez ainsi, par sa
protection et ses suffrages, communiquer à notre mortalité ce même Fils, fruit
de ses entrailles : nous vous en supplions donc : par la vertu de votre Fils,
par la glorieuse protection de sa Mère, faites que le secours espéré de ces
fruits de la terre nous dispose par la santé du temps au salut éternel. Par le
même Jésus-Christ notre Seigneur.
Mais terminons l'Octave radieuse
en laissant la parole à Marie, dans cette belle Antienne que les manuscrits
indiquent entre plusieurs autres pour accompagner le Magnificat de la
fête. Notre-Dame y apparaît, non pas en son seul nom, mais comme représentant
l'Eglise qui commence avec elle son entrée en corps et en âme dans les cieux.
Le bonheur présent de la Vierge bénie est le gage pour tous de l'éternelle
félicité qui nous fut promise ; le triomphe de la divine Mère ne sera complet,
que lorsque le dernier des siens l'aura suivie dans la gloire. Unissons-nous à
cette formule où déborde un amour si suave : elle est vraiment digne d'exprimer
les sentiments de Marie franchissant le seuil du séjour divin.
ANTIENNE.
Marie tressaillit en esprit,
et elle dit : Je vous bénis, vous le Seigneur de toute bénédiction. Je bénis le
séjour de votre gloire ; je vous bénis, vous qui fîtes de mon sein votre
séjour; et je bénis toutes les œuvres de vos mains qui vous obéissent et vous
sont si pleinement soumises. Je bénis l'amour dont vous nous avez aimés. Je
bénis toutes les paroles qui sont sorties de votre bouche, toutes ces paroles
qui nous furent données. Car je crois qu'en toute vérité, comme vous avez dit,
ainsi sera-t-il. Alleluia.
FIN DU TOME QUATRIEME.