LE VII AOUT. SAINT GAÉTAN DE THIENNE, CONFESSEUR.
Gaétan apparut comme le zélateur
du sanctuaire, à l'heure où la fausse réforme lançait par le monde ses
manifestes de révoltée. La grande cause du péril d'alors avait été
l'insuffisance des gardiens de la cité sainte, leur connivence par complicité
de cœur ou d'esprit avec les doctrines et les mœurs païennes, qu'une
renaissance mal entendue avait ramenées. Ravagée par le sanglier de la forêt,
la vigne du Dieu des armées retrouverait-elle jamais sa fertilité des beaux
jours (1) ? Gaétan reçut de l'éternelle Sagesse la révélation du nouveau mode
de culture qui convenait à cette fin pour une terre épuisée.
L'urgent besoin de ces jours
néfastes était le relèvement du clergé par la dignité de la vie, le zèle et la
science. Il fallait à cette œuvre des hommes qui, clercs eux-mêmes dans
l'acception entière du mot et la variété des obligations qu'il comporte,
fussent pour les membres de la sainte hiérarchie un modèle permanent de la
perfection primitive, un supplément à leurs impuissances, un levain qui peu à
peu régénérerait et soulèverait la masse entière (2). Mais où trouver ailleurs
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que dans la vie des conseils et la
stabilité des trois vœux qui en forment l'essence, l'impulsion, la puissance,
la durée nécessaires aux éléments d'une telle entreprise? L'inépuisable
fécondité de l'Ordre religieux ne fit pas plus défaut à l'Eglise en ces temps
de décadence qu'aux époques de sa gloire. Après les moines tournés vers Dieu dans
leurs solitudes, et attirant sur la terre qu'ils semblaient oublier la lumière
et l'amour ; après les familles des religieux mendiants, gardant par le monde
leurs habitudes claustrales et l'austère parfum du désert : les clercs
réguliers faisaient leur entrée sur le champ de bataille, où leur poste de
combat, leur genre extérieur de vie, leur costume même, allaient confondre
leurs rangs avec ceux de la milice séculière; ainsi on fortifie les cadres
d'une troupe hésitante en y versant des soldats éprouvés de mêmes armes, qui
agissent par la parole,l'exemple et l'entraînement sur les faibles.
Comme
d'autres avaient été les initiateurs des grandes formes antérieures de la vie
religieuse, Gaétan fut le patriarche des Clercs
réguliers. Le 24 juin 1524,
un bref de Clément VII approuvait sous ce nom l'institut qu'il fondait cette
année même avec l'évêque de Théate, d'où vint aussi
aux nouveaux religieux l'appellation de Théatins. Bientôt, Barnabites,
compagnie de Jésus, Somasques de saint Jérôme
Emilien, clercs réguliers Mineurs de saint François
Carracciolo, clercs réguliers Ministres des infirmes,
clercs réguliers des Ecoles pies, clercs réguliers de la Mère de Dieu, d'autres
encore, se pressaient dans la voie ouverte et montraient l'Eglise toujours
seule belle, toujours digne de l'Epoux, laissant retomber de son poids sur
l'hérésie l'accusation d'impuissance qu'elle lui avait lancée.
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Ce fut sur le terrain du
détachement des richesses, dont l'amour avait causé mille maux dans l'Eglise,
que Gaétan voulut commencer et qu'il mena le plus avant la réforme. On vit les
Théatins présenter au monde un spectacle inconnu depuis les Apôtres, pousser le
zèle du dénûment jusqu'à s'interdire la faculté de
mendier, et attendre toutes choses de l'initiative spontanée des fidèles.
Héroïque hommage rendu à la Providence de Dieu, à l'heure même où Luther en
niait l'existence, et que maintes fois le Seigneur se plut à reconnaître par
des prodiges.
Lisons le récit de la vie du
nouveau patriarche.
Gaétan naquit à Vicence, de la
noble famille de Thienne ; à peine né, sa mère
l'offrit à la Vierge Mère de Dieu. Telle apparut dès les premiers ans son
admirable innocence, que par tous il était appelé le Saint. Il prit à Padoue
les degrés de docteur en l'un et 1 autre droit, et se rendit à Rome où Jules II
lui donna rang dans la prélature. Ordonne prêtre, un tel feu de l'amour divin
envahit son âme que, laissant la cour, il se voua à Dieu tout entier. On le vit
fonder des hôpitaux de ses propres deniers, et y servir de ses mains les malades
même atteints de maladies pestilentielles. Le zèle sans trêve qu'il déployait
pour le salut du prochain lui fit donner le nom de Chasseur des âmes.
La discipline ecclésiastique
étant grandement déchue, le désir de la ramener à la forme de la vie apostolique
lui fit instituer l'Ordre des Clercs réguliers ; ceux-ci, laissant de côté
toute préoccupation des choses de la terre, sans revenus, sans autorisation de
mendier, devaient vivre des seules aumônes offertes spontanément par les
fidèles. CtémentVII ayant donc approuvé l'institut,
il en fit profession solennelle à l'autel majeur de la basilique Vaticane, en
la compagnie de Jean-Pierre Caraffa évêque de Théate, qui fut plus tard le Pape Paul IV, et de deux
autres personnages d'éminente piété. Dans le sac de Rome qui eut lieu alors,
cruellement tourmenté par des soldats avides d'un argent que les mains des
pauvres avaient depuis longtemps placé dans les trésors du ciel, il supporta
les coups, la torture, la prison, avec une invincible patience. Il persévéra
sans faiblir dans le genre de vie qu'il avait embrassé, ne s'appuyant que sur
la divine Providence ; celle-ci ne lui fit jamais défaut, et parfois des
miracles en fournirent la preuve.
Il fut le zélé promoteur du
culte divin, de la beauté de la maison de Dieu, de la fidélité aux rites sacrés, de l'usage fréquent de la très sainte
Eucharistie. Plus d'une fois il découvrit et dissipa les obscures menées de
l'hérésie. On le voyait prolonger son oraison jusqu'à huit heures de suite en
larmes continuelles, souvent ravi en extase et éclairé du don de prophétie. A
Rome pendant une nuit de Noël, près de la crèche du Seigneur, il mérita de
recevoir l'enfant Jésus des bras de la Mère de Dieu dans les siens. Quelquefois
il passait des nuits entières à châtier son corps par les disciplines, et l'on
ne put jamais l'amener à adoucir l'austérité de sa vie; sa volonté était,
disait-il, de mourir sur la cendre et le cilice. Enfin il tomba malade de la
douleur qu'il conçut de voir Dieu offensé dans une sédition du peuple. Ce fut à
Naples que, réconforté par une vision céleste, il passa au ciel ; son corps y
repose dans l'église de Saint-Paul, où il est entouré des plus grands honneurs.
Glorifié par nombre de miracles durant sa vie et après sa mort, le Souverain
Pontife Clément X l'a mis au nombre des Saints.
Qui comme vous, ô grand Saint, fit honneur à la parole de l'Evangile : Ne vous inquiètez
du manger, ni du boire, ni du vêtement (1) ?
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Vous connaissiez aussi l'autre parole, également divine : Celui
qui travaille mérite qu'on le nourrisse (1) ; vous saviez qu'elle
s'appliquait principalement aux ouvriers de la doctrine (2) ; vous
n'ignoriez point que d'autres semeurs du Verbe avaient avant vous fondé sur
elle l'incontestable droit de leur pauvreté, embrassée pour Dieu, à revendiquer
du moins le pain de l'aumône. Sublime revendication d'âmes affamées d'opprobres
à la suite de Jésus, et rassasiant en elles ainsi surtout l'amour ! Mais la
Sagesse qui plie les aspirations des saints aux circonstances du temps où elle
place leur vie mortelle, fit prédominer en vous sur la soif des humiliations
l'ambition d'exalter dans votre pauvreté la sainte Providence; n'était-ce pas
ce qu'il fallait à un siècle dont le néo-paganisme semblait, avant même d'avoir
écouté l'hérésie, ne plus compter sur Dieu ? Hélas ! de
ceux même à qui le Seigneur s'était donné pour possession au milieu des enfants
d'Israël (3), on pouvait trop justement dire : Ils recherchent comme des
païens les biens de ce monde (4). Vous eûtes à cœur, ô Gaétan, de justifier
le Père qui est aux cieux, de montrer qu'il était toujours prêt à tenir la
promesse faite pour lui par son Fils adoré : Cherchez premièrement le
royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par
surcroît (5).
C'était bien ainsi que, par le
fait, il s'imposait de commencer la réforme du sanctuaire à laquelle vous aviez
résolu de dévouer votre vie. Il fallait tout d'abord rappeler les membres de la
sainte milice à l'esprit de la formule
sacrée qui fait les
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clercs, au jour béni où, déposant
l'esprit du siècle avec ses livrées, ils disent dans la joie de leur cœur : Le
Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice; c'est vous, à Dieu, qui
me rendrez mon héritage (1).
Le Seigneur, ô Gaétan, reconnut
alors votre zèle et bénit vos efforts. Gardez en nous le fruit de votre labeur.
La science des rites sacrés reste grandement redevable à vos fils ; puissent-ils
prospérer, dans une fidélité renouvelée aux traditions de leur père. Que votre
bénédiction de patriarche accompagne toujours les nombreuses familles des
Clercs réguliers marchant à la suite de la vôtre. Que tous les ministres de la
sainte Eglise éprouvent qu'au ciel vous restez
puissant pour les maintenir, et, au besoin, les ramener dans la voie de leur
saint état, comme vous l'étiez sur la terre. Que l'exemple de votre confiance
sublime en Dieu apprenne à tous les chrétiens qu'ils ont au ciel un Père dont
la Providence n'est jamais en défaut pour ses fils.
Honorons la mémoire du saint
évêque d'Arezzo que la persécution de Julien l'Apostat envoya en ce jour au
ciel. La prière suivante, où l'Eglise exprime la confiance qu'elle garde
toujours en son intercession puissante, se retrouve déjà au Sacramentaire
gélasien ; si le titre de Confesseur y tient la place de celui de Martyr (3),
on ne saurait pourtant révoquer en doute la mort de Donat pour le Christ.
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ORAISON.
O Dieu, la gloire de vos
prêtres, accordez à notre prière d'éprouver le secours de votre saint Martyr et
Evêque Donat, dont nous célébrons la fête. Par Jésus-Christ.