VINCENT

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LE XIX  JUILLET. S. VINCENT DE PAUL, CONFESSEUR.

 

Vincent fut l'homme de la foi qui opère par la charité (1). Venu au monde sur la fin du siècle où naquit Calvin, il trouvait l'Eglise en deuil de nombreuses nations que l'erreur avait récemment séparées de la catholicité. Sur toutes les côtes de la Méditerranée, le Turc, ennemi perpétuel du nom chrétien, redoublait ses brigandages. La France, épuisée par quarante années de guerres religieuses, n'échappait à la domination de l'hérésie au dedans que pour bientôt lui prêter main forte à l'extérieur par le contraste d'une politique insensée. Sur ses frontières de l'Est et du Nord d'effroyables dévastations promenaient la ruine, et gagnaient jusqu'aux provinces de l'Ouest et du Centre à la faveur des luttes intestines qu'entretenait l'anarchie. Plus lamentable que toute situation matérielle était dans cette confusion l'état des âmes. Les villes seules gardaient encore, avec un reste de tranquillité précaire, quelque loisir de prier Dieu. Le peuple des campagnes, oublié, sacrifié, disputant sa vie à tous les fléaux, n'avait pour le relever dans tant de misères qu'un clergé le plus souvent abandonné comme lui de ses chefs, indigne en trop de lieux, rivalisant presque toujours avec lui d'ignorance.

 

1. Gal. V, 6.

 

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Ce fut alors que pour conjurer ces maux et, du même coup, mille autres anciens et  nouveaux, l'Esprit-Saint suscita Vincent dans une immense simplicité de foi, fondement unique  d'une  charité que le monde, ignorant du rôle de la foi, ne saurait comprendre. Le monde admire les œuvres qui remplirent la vie de l'ancien pâtre de Buglose ; mais le ressort secret de cette vie lui échappe. Il voudrait lui aussi reproduire  ces  œuvres; et comme les enfants qui s'évertuent dans leurs jeux à élever des palais, il s'étonne de trouver en ruines au matin les  constructions de la veille : le ciment de sa philanthropie ne vaut pas l'eau bourbeuse dont les enfants s'essaient à lier les matériaux de leurs maisons d'un jour; et l'édifice qu'il prétendait remplacer est toujours debout, défiant la sape, répondant seul aux multiples besoins de l'humanité  souffrante. C'est que la foi connaît seule en effet le mystère  de la souffrance, que seule elle peut sonder  ces  profondeurs  sacrées dont le Fils de Dieu même a parcouru les abîmes, qu'elle seule encore, associant l'homme aux conseils du Très-Haut, l'associe tout ensemble à sa force et à son amour. De là viennent aux œuvres bienfaisantes qui procèdent  de la foi leur puissance et leur durée. La solidarité tant prônée de nos utopistes modernes  n'a point  ce  secret ; et pourtant elle descend aussi de Dieu, quoi qu'ils veuillent; mais elle enchaîne plus qu'elle ne lie : elle regarde plus la justice que l'amour; et à ce titre, dans l'opposition qu'on en fait à la divine charité venue du ciel, elle semble une lugubre ironie montant du séjour des châtiments.

Vincent aima les pauvres d'un amour de prédilection, parce qu'il aimait Dieu et que la foi lui révélait en eux le Seigneur. « O Dieu, disait-il, qu'il fait beau voir les pauvres, si nous les considérons en Dieu et dans l'estime que Jésus-Christ en a faite ! Bien souvent ils n'ont pas presque la figure ni l'esprit de personnes raisonnables, tant ils sont grossiers et terrestres. Mais tournez la médaille, et vous verrez, par les lumières de la foi, que le Fils de Dieu, qui a voulu être pauvre, nous est représenté par ces pauvres; qu'il n'avait presque pas la figure d'un homme en sa passion, et qu'il passait pour fou dans l'esprit des Gentils, et pour pierre de scandale dans celui des Juifs; et avec tout cela il se qualifie l'évangéliste des pauvres, evangelizare pauperibus misit me (1). »

Ce titre d'évangéliste des pauvres est l'unique que Vincent ambitionna pour lui-même, le point de départ, l'explication de tout ce qu'il accomplit dans l'Eglise. Assurer le ciel aux malheureux, travailler au salut des abandonnés de ce monde, en commençant par les pauvres gens des champs si délaissés : tout le reste pour lui, déclarait-il, « n'était qu'accessoire. » Et il ajoutait, parlant à ses fils de Saint-Lazare : « Nous n'eussions jamais travaillé aux ordinands ni aux séminaires des ecclésiastiques, si nous n'eussions jugé qu'il était nécessaire, pour maintenir les peuples en bon état, et conserver les fruits des missions, de faire en sorte qu'il y eût de bons ecclésiastiques parmi eux. » C'est afin de lui donner l'occasion d'affermir son œuvre à tous les degrés, que Dieu conduisit l'apôtre des humbles au conseil royal de conscience, où Anne d'Autriche remettait en ses mains l'extirpation des abus du haut clergé et le choix des chefs des Eglises de France. Pour mettre un terme aux maux causés par le délaissement

 

1. Luc. IV, 18.

 

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si funeste des peuples, il fallait à la tête du troupeau des pasteurs qui entendissent reprendre pour eux la parole du chef divin : « Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent (1). »

Nous ne pourrions, on le comprend, raconter dans ces pages l'histoire de l'homme en qui la plus universelle charité fut comme personnifiée. Mais du reste, il n'eut point non plus d'autre inspiration que celle de l'apostolat dans ces immortelles campagnes où, depuis le bagne de Tunis où il fut esclave jusqu'aux provinces ruinées pour lesquelles il trouva des millions, on le vit s'attaquer à tous les aspects de la souffrance physique et faire reculer sur  tous les points la misère ; il voulait, par les soins donnés aux corps, arriver à conquérir l'âme de ceux pour lesquels le Christ a voulu  lui  aussi  embrasser l'amertume  et  l'angoisse. On ne peut que sourire de l'effort par lequel, dans un temps où l'on rejetait l'Evangile en retenant ses bienfaits, certains sages prétendirent faire honneur de pareilles entreprises à la philosophie  de  leur auteur.  Les  camps aujourd'hui sont plus tranchés ; et l'on ne craint plus de renier parfois jusqu'à l'œuvre, pour renier logiquement l'ouvrier. Mais  aux tenants d'un  philosophisme attardé, s'il en est encore, il sera bon de méditer ces mots, où celui dont ils font un chef d'école déduisait les principes qui devaient gouverner les actes de ses disciples et leurs pensées : « Ce qui se fait  pour la charité se fait pour Dieu. Il ne nous suffit pas d'aimer Dieu, si notre prochain ne l'aime aussi ; et nous ne saurions aimer notre prochain comme nous-mêmes, si nous ne lui procurons le bien que nous sommes obligés

 

1.  JOHAN.  X, 14.

 

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de nous vouloir a nous-mêmes, c'est à savoir, l'amour divin, qui nous unit à celui qui est notre souverain bien. Nous devons aimer notre prochain comme l'image de Dieu et l'objet de son amour, et faire en sorte que réciproquement les hommes aiment leur très aimable Créateur, et qu'ils s'entr'aiment les uns les autres d'une charité mutuelle pour l'amour de Dieu, qui les a tant aimés que de livrer son propre Fils à la mort pour eux. Mais regardons, je vous prie, ce divin Sauveur comme le parfait exemplaire de la charité que nous devons avoir pour notre prochain. »

On le voit : pas plus que la philosophie déiste ou athée, la théophilanthropie qui apporta plus tard à la déraison du siècle dernier l'appoint de ses fêtes burlesques, n'eut de titre à ranger Vincent, comme elle fit, parmi les grands hommes de son calendrier. Ce n'est point la nature, ni aucune des vaines divinités de la fausse science, mais le Dieu des chrétiens, le Dieu fait homme pour nous sauver en prenant sur lui nos misères, . qui fut l'unique guide du plus grand des bienfaiteurs de l'humanité dans nos temps. Rien ne me plaît qu'en Jésus-Christ, aimait-il à dire. Non seulement, fidèle comme tous les Saints à l'ordre de la divine charité, il voulait voir régner en lui ce Maître adoré avant de songer à le faire régner dans les autres; mais, plutôt que de rien entreprendre de lui-même par les données de la seule raison, il se fût réfugié à tout jamais dans le secret de la face du Seigneur (1), pour ne laisser de lui qu'un nom ignoré.

« Honorons, écrivait-il, l'état inconnu du Fils de Dieu. C'est là notre centre, et c'est ce  qu'il

 

 

1. Psalm. XXX, 2 1.

 

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demande de nous pour le présent et pour l'avenir, et pour toujours, si sa divine majesté ne nous fait connaître, en sa manière qui  ne  peut tromper, qu'il veuille autre chose de nous. Honorons particulièrement ce divin Maître dans la modération de son agir. Il n'a pas  voulu  faire toujours tout ce qu'il a pu, pour nous apprendre à nous contenter, lorsqu'il n'est pas expédient de faire tout ce que nous  pourrions faire, mais seulement ce qui est convenable à la charité, et conforme, aux ordres de la divine volonté... Que ceux-là honorent souverainement notre Seigneur qui suivent la sainte Providence, et qui n'enjambent pas sur elle ! N'est-il pas vrai que vous voulez, comme il est bien raisonnable, que votre serviteur n'entreprenne rien sans vous et sans votre  ordre ? Et si cela est raisonnable  d'un  homme à un autre, à combien plus forte raison du Créateur à la créature ? »

Vincent s'attachait donc, selon son expression, à côtoyer la Providence,  n'ayant point de plus grand souci que de ne jamais la devancer. Ainsi fut-il sept années avant  d'accepter  pour lui les avances de la Générale de Gondi et de fonder son établissement de la Mission.  Ainsi éprouva-t-il longuement sa fidèle coadjutrice,  Mademoiselle Le Gras, quand elle se crut appelée à se dévouer au service spirituel des premières Filles  de la Charité, sans  lien entre elles jusque-là ni  vie commune, simples aides suppléantes des dames de condition que l'homme de Dieu avait assemblées dans ses Confréries. «  Quant à cet emploi, lui mandait-il après instances réitérées de sa part, je vous prie une fois pour toutes de n'y point penser, jusqu'à ce que notre Seigneur fasse paraître ce qu'il veut. Vous cherchez à devenir la servante de

 

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ces pauvres filles, et Dieu veut que vous soyez la sienne. Pour Dieu, Mademoiselle, que votre cœur honore la tranquillité de celui de notre Seigneur, et il sera en état de le servir. Le royaume de Dieu est la paix au Saint-Esprit; il régnera en vous, si vous êtes en paix. Soyez-y donc, s'il vous plaît, et honorez souverainement le Dieu de paix et de dilection. »

Grande leçon donnée au zèle fiévreux d'un siècle comme le nôtre par cet homme dont la vie fut si pleine ! Que de fois, dans ce qu'on nomme aujourd'hui les œuvres, l'humaine prétention stérilise la grâce en froissant l'Esprit-Saint ! tandis que, « pauvre ver rampant sur la terre et ne sachant où il va, cherchant seulement à se cacher en vous, ô mon Dieu ! qui êtes tout son désir », Vincent de Paul voit l'inertie apparente de son humilité fécondée plus que l'initiative de mille autres, sans que pour ainsi dire il en ait conscience. « C'est la sainte Providence qui a mis votre Compagnie sur le pied où elle est, disait-il vers la fin de son long pèlerinage à ses filles. Car qui a-ce été, je vous supplie? Je ne saurais me le représenter. Nous n'en eûmes jamais le dessein. J'y pensais encore aujourd'hui, et je me disais : Est-ce toi qui as pensé à faire une Compagnie de Filles de la Charité ? Oh ! nenni. Est-ce Mademoiselle Le Gras? aussi peu. Oh ! mes filles, je n'y pensais pas, votre sœur servante n'y pensait pas, aussi peu Monsieur Portail (le premier et plus fidèle compagnon de Vincent dans les missions) : c'est donc Dieu qui y pensait pour vous ; c'est donc lui que nous pouvons dire être l'auteur de votre Compagnie, puisque véritablement nous ne saurions en reconnaître un autre. »

Mais autant son incomparable délicatesse à

 

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l'égard de Dieu lui faisait un devoir de ne le jamais prévenir plus qu'un instrument ne le fait pour la main qui le porte ; autant, l'impulsion divine une fois donnée, il ne pouvait supporter qu'on hésitât à la  suivre, ou qu'il y eût place dans l'âme pour un autre sentiment que celui de la plus absolue confiance. Il écrivait encore, avec sa simplicité si pleine de charmes, à la coopératrice  que Dieu lui avait donnée : «Je vous vois toujours un peu dans les  sentiments humains, pensant que tout est perdu dès lors que vous me voyez malade. O femme de peu de foi, que n'avez-vous plus de confiance et d'acquiescement à la conduite et à l'exemple de Jésus-Christ ! Ce Sauveur du monde se rapportait à Dieu son Père pour l'état de toute l'Eglise ; et vous, pour une poignée de filles que sa Providence a notoirement suscitées et assemblées, vous  pensez qu'il vous  manquera ! Allez, Mademoiselle, humiliez-vous beaucoup devant Dieu. »

Faut-il s'étonner que la foi, seule inspiratrice d'une  telle vie, inébranlable  fondement de  ce qu'il était pour le prochain et pour lui-même, fût aux yeux de Vincent de Paul le premier des trésors ? Lui qu'aucune souffrance même méritée ne laissait  indifférent,  qu'on vit un jour  par une fraude héroïque remplacer un forçat dans ses fers, devenait impitoyable en face de l'hérésie, et n'avait de repos qu'il n'eût obtenu le bannissement des  sectaires ou leur châtiment. C'est le témoignage que lui rend dans la bulle de sa canonisation Clément XII, parlant de cette funeste erreur du  jansénisme que notre saint dénonça des premiers et  poursuivit plus que personne. Jamais peut-être autant qu'en cette rencontre, ne se vérifia le mot des saints Livres : La simplicité des justes

 

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les guidera sûrement, et l'astuce des méchants sera leur perte (1). La secte qui, plus tard, affectait un si profond dédain pour Monsieur Vincent, n'en avait pas jugé toujours de même. « Je suis, déclarait-il dans l'intimité, obligé très particulièrement de bénir Dieu et de le remercier de ce qu'il n'a pas permis que les premiers et les plus considérables d'entre ceux qui professent cette doctrine, que j'ai connus particulièrement, et qui étaient de mes amis, aient pu me persuader leurs sentiments. Je ne vous saurais exprimer la peine qu'ils y ont prise, et les raisons qu'ils m'ont proposées pour cela ; mais je leur opposais entre autres choses l'autorité du concile de Trente, qui leur est manifestement contraire ; et voyant qu'ils continuaient toujours, au lieu de leur répondre je récitais tout bas mon Credo : et voilà comme je suis demeuré ferme en la créance catholique. »

 

1. Prov. XI, 3.

 

Mais il est temps de donner le récit liturgique que la sainte Eglise fait lire aujourd'hui dans ses temples. L'année 1883, cinquantième anniversaire de la fondation des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul à Paris, voyait notre Saint proclamé le Patron de toutes les sociétés de charité de France ; ce patronage fut, deux ans plus tard, étendu aux sociétés de charité de l'Eglise entière.

 

VINCENT de Paul, Français de nation, naquit à Pouy près de Dax en Aquitaine. Encore enfant, il montrait déjà une grande charité pour les pauvres. D'abord pâtre du troupeau de son père, il étudia ensuite les lettres humaines à Dax, puis à Toulouse et à Saragosse la science  sacrée.  Ordonné prêtre et fait bachelier, en théologie, il fut pris par les Turcs qui l'emmenèrent en Afrique ; mais dans sa captivité, il reconquit au Christ son maître lui-même. S'échappant donc avec lui des rives  barbaresques par  le secours de la Mère de Dieu, il entreprit un voyage aux tombeaux des Apôtres ; d'où revenu en France,  il gouverna très saintement les paroisses de Clichy d'abord et  ensuite de Châtillon. Promu par le roi grand aumônier   des   galères  de France, on le vit déployer un zèle admirable pour le salut des chefs et des forçats. Saint François de Sales le donna pour supérieur  aux religieuses de la Visitation; et pendant quarante ans environ  qu'il exerça cette charge, il le fit avec tant de prudence qu'il justifia pleinement le jugement du saint évêque, lequel avouait  ne connaître point de plus digne prêtre que Vincent.

 

Jusqu'à la plus extrême vieillesse il s'adonna sans relâche à l'évangélisation des pauvres, principalement des habitants des campagnes; par un vœu perpétuel confirmé du Saint-Siège, il s'astreignit spécialement à cette œuvre apostolique, lui et les membres de la Congrégation qu'il établit sous le nom de Prêtres séculiers de la Mission. Combien il s'employa pour promouvoir la discipline dans le clergé, c'est ce qu'attestent les grands séminaires fondés par lui, les conférences sacerdotales et les exercices préparatoires aux saints Ordres qu'il mit en honneur ; il voulut que les maisons de son institut fussent toujours ouvertes à cet effet, ainsi qu'aux retraites spirituelles des laïques. De plus son zèle pour l'accroissement de la foi et de la piété lui fit envoyer des ouvriers évangéliques, non seulement dans les provinces de France, mais en Italie, en Pologne, en Ecosse, en Irlande, et jusque dans la Barbarie et les Indes. Après la mort de Louis XIII, qu'il assista à ses derniers moments, la reine Anne d'Autriche, mère de Louis XIV, l'appela en son conseil de conscience : il y déploya le plus grand zèle pour que les églises et les monastères ne fussent confiés qu'aux plus dignes ; pour que prissent fin les discordes civiles, les duels, les erreurs qui s'insinuaient alors et avaient dès leur première apparition excite son effroi ; pour qu'enfin tous rendissent aux jugements Apostoliques l'obéissance qui leur était due.

 

Aucun genre  de calamité qui n'excitât son intervention paternelle.  Les fidèles qui gémissaient sous le joug des Turcs, les enfants abandonnés, les jeunes gens incorrigibles,  les vierges exposées, les religieuses dispersées, les femmes tombées, les forçats, les étrangers malades,  les ouvriers invalides, les fous même et d'innombrables mendiants éprouvèrent les effets de sa tendre charité, et furent reçus par lui dans des établissements hospitaliers encore subsistants. Il pourvut à grands frais aux nécessités de la Lorraine, de la Champagne, de la Picardie et d'autres régions ruinées par la  peste, la famine et la guerre. Il créa pour la recherche et le soulagement des malheureux nombre d'associations,  entre  lesquelles sa célèbre assemblée des Dames, et l'institut  si répandu des Filles de la Charité. Il eut également la main dans l'érection des Filles de la Croix, de la Providence,  de Sainte-Geneviève,   pour l'éducation des jeunes filles. Au milieu de si grandes entreprises et d'autres encore, continuellement appliqué à Dieu,  affable  pour tous, toujours constant avec lui-même, simple, droit, humble, fuyant persévéramment honneurs, richesses et jouissances, on l'entendait dire : « Rien  ne  me plait  qu'en Jesus-Christ », et il cherchait à l'imiter en tout. Use enfin de mortifications, de travaux et de vieillesse, le vingt-septième jour de septembre de l'an du salut mil six cent soixante, qui était le quatre-vingt-cinquième de son âge, il s'endormit paisiblement à Paris dans la maison de Saint-Lazare, chef de la Congrégation de la Mission L'éclat de ses vertus, de ses mérites et de ses miracles détermina Clément XII à le mettre au nombre des Saints, et l'on assigna pour sa fête tous les ans le dix-neuvième jour de juillet Héros sans pareil de la divine charité, il n'était nulle classe d'hommes qui ne lui dût reconnaissance; les instances d'un grand nombre de prélats déterminèrent Léon XIII à l'établir et déclarer Patron près de Dieu de toutes les sociétés de charité existant par le monde catholique, et dérivant de lui en manière quelconque

 

Quelle gerbe, ô Vincent, vous emportez au ciel (1) ! Quelles bénédictions vous accompagnent, montant de cette terre à la vraie patrie (2) ! O le plus simple des hommes qui furent en un siècle tant célébré pour ses grandeurs, vous dépassez maintenant les renommées dont l'éclat bruyant fascinait vos contemporains. La vraie gloire de ce

 

1. Psalm.  CXXV, 6. — 2. Prov. XXII, 9; Eccli. XXXI, 28.

 

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siècle, la seule qui restera de lui quand le temps ne sera plus (1), est d'avoir eu dans sa première partie des saints d'une pareille puissance de loi et d'amour, arrêtant les triomphes de Satan, rendant au sol de France stérilisé par l'hérésie la fécondité des beaux jours. Et voici que deux siècles et plus après vos travaux, la moisson qui n'a point cessé continue par les soins de vos fils et de vos filles, aidés d'auxiliaires nouveaux qui vous reconnaissent eux aussi pour leur inspirateur et leur père. Dans ce royaume du ciel qui ne connaît plus la souffrance et les larmes (2), chaque jour pourtant comme autrefois voit monter vers vous l'action de grâces de ceux qui souffrent et qui pleurent.

Reconnaissez par des bienfaits nouveaux la confiance de la terre. Il n'est point de nom qui impose autant que le vôtre le respect de l'Eglise, en nos temps de blasphème. Et pourtant déjà les négateurs du Christ en viennent, par haine de sa divine domination (3), à vouloir étouffer le témoignage que le pauvre à cause de vous lui rendait toujours. Contre ces hommes en qui s'est incarné l'enfer, usez du glaive à deux tranchants remis aux saints pour venger Dieu au milieu des nations (4) : comme jadis les hérétiques en votre présence, qu'ils méritent le pardon ou connaissent la colère ; qu'ils changent, ou soient réduits d'en haut à l'impuissance de nuire. Gardez surtout les malheureux que leur rage satanique s'applaudit de priver du secours suprême au moment du trépas ; eussent-ils un pied déjà dans les flammes, ces infortunés, vous pouvez les sauver encore (5). Elevez vos  filles à la hauteur des  circonstances

 

1. Apoc. X, 6. — 2. Ibid. XXI, 4. — 3. Jud. 4. —  4. Psal. CXLIX, 6-9. — 5. JUD. 23.

 

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douloureuses où l'on voudrait que leur dévouement reniât son origine céleste ou dissimulât sa divine livrée ; si la force brutale des ennemis du pauvre arrache de son chevet le signe du salut, il n'est règlements ni lois, puissance de ce monde ou de l'autre, qui puissent expulser Jésus de l'âme d'une Fille de chanté, ou l'empêcher de passer de son cœur à ses lèvres : ni la mort, ni l'enfer, ni le feu, ni le débordement des grandes eaux, dit le Cantique, ne sauraient l'arrêter (1).

Vos fils aussi poursuivent votre œuvre d'évangélisation ; jusqu'en nos temps leur apostolat se voit couronné du diadème de la sainteté et du martyre. Maintenez leur zèle ; développez en eux votre esprit d'inaltérable dévouement à l'Eglise et de soumission au Pasteur suprême. Assistez toutes ces œuvres nouvelles de charité qui sont nées de vous dans nos jours, et dont, pour cette cause, Rome vous défère le patronage et l'honneur ; qu'elles s'alimentent toujours à l'authentique foyer que vous avez ravivé sur la terre (2) ; qu'elles cherchent avant tout le royaume de Dieu et sa justice (3), ne se départant jamais, pour le choix des moyens, du principe que vous leur donnez de « juger, parler et opérer, comme la Sagesse éternelle de Dieu, revêtue de notre faible chair, a jugé, parlé et opéré. »

 

1. Cant. VIII, 6-7. — 2. Luc. XII, 40. — 3. Matth. VI, 33.

 

 

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