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LE X JUILLET. LES SEPT FRÈRES, MARTYRS, ET SAINTES RUFINE ET SECONDE, VIERGES ET MARTYRES.Trois fois en quelques jours, à la gloire de la Trinité, le septénaire va marquer dans la sainte Liturgie le règne de l'Esprit aux sept dons. Félicité, Symphorose, la Mère des Machabées, échelonnent sur la route qui conduit au mois de l'éternelle Sagesse le triple bataillon des sept fils que leur donna le ciel. L'Eglise, que Pierre et Paul viennent de quitter par la mort, poursuit sans crainte ses destinées ; car les martyrs font de leur corps un rempart au dépôt sacré du témoignage apostolique. Vivants, ils sont la force de l'Epouse ; leur trépas ne saurait l'appauvrir: semence de chrétiens (1), leur sang versé dans les tourments multiplie l'immense famille des fils de Dieu. Mystère sublime du monde des âmes ; c'est donc au temps où la terre pleure l'extinction de ses races les plus généreuses, qu'elles font souche dans les cieux pour les siècles sans fin. Ainsi en sera-t-il toujours ; devenue plus rare avec la suite des âges, la consécration du martyre laissera en ce point sa vertu 1. Tertull. Apolog. 5o 71 à l'holocauste de la virginité dans la voie des conseils. La foi d’Abraham fut grande d'avoir espéré, contre toute espérance, qu'il serait le père des nations en cet Isaac qu'il reçut l'ordre un jour d'immoler au Seigneur; la foi de Félicité aujourd'hui est-elle moindre, lorsqu'à l'immolation sept fois renouvelée des fruits de son sein, elle reconnaît le triomphe de la vie et la bénédiction suprême donnée à sa maternité ? Honneur à elle, comme à ses devancières, comme aux émules que suscitera son exemple ! Nobles sources, épanchant l'abondance de leurs eaux sur le sable aride du désert, elles recueillent le dédain des sages de ce siècle ; mais c'est par elles que la stérile gentilité se transforme à cette heure en un paradis du Seigneur, par elles encore qu'après le défrichement du premier âge le monde verra sa fertilité maintenue. Marc Aurèle venait de monter sur le trône impérial, où dix-neuf ans de règne n'allaient montrer en lui que le médiocre écolier des rhéteurs sectaires du second siècle. En politique comme en philosophie, le trop docile élève ne sut qu'épouser les étroites et haineuses idées de ces hommes pour qui la lumineuse simplicité du christianisme était l'ennemie. Devenus par lui préfets et proconsuls, ils firent de ce règne si vanté le plus froidement persécuteur que l'Eglise ait connu. Le scepticisme du césar philosophe ne l'exemptait pas au reste de la loi qui, chez tant d'esprits forts, ne dépossède le dogme que pour mettre en sa place la superstition. Par ce côté la foule, tenue à l'écart des élucubrations de l'auteur des Pensées, retrouvait son empereur ; césar et peuple s'entendaient pour ne demander de salut, dans les malheurs 72 publics, qu'aux rites nouveaux venus d'Orient et à l'extermination des chrétiens. L'allégation que les massacres d'alors se seraient perpétrés en dehors du prince, outre qu'elle ne l'excuserait pas, ne saurait se soutenir ; c'est un fait aujourd'hui démontré : parmi les bourreaux de tout ce que l'humanité eut jamais de plus pur, avant Domiticn, avant Néron lui-même, stigmatisé plus qu'eux de la tache du sang des martyrs, doit prendre place Marc Aurèle Antonin. La condamnation des sept fils de sainte Félicité fut la première satisfaction donnée par le prince à la philosophie de son entourage, à la superstition populaire, et, pourquoi donc hésiter à le dire si l'on ne veut en plus faire de lui le plus lâche des hommes, à ses propres sentiments. Ce fut lui qui, personnellement, donna l'ordre au préfet Publius d'amener à l'apostasie cette noble famille dont la piété irritait les dieux ; ce fut lui encore qui, sur le compte rendu de la comparution, prononça la sentence et arrêta qu'elle serait exécutée par divers juges en divers lieux, pour notifier solennellement les intentions du nouveau règne. L'arène, en effet, s'ouvrait à la fois sur tous les points, non de Rome seule, mais de l'empire; l'intervention directe du souverain signifiait aux magistrats hésitants la ligne de conduite qui ferait d'eux les bienvenus du pouvoir. Bientôt Félicité suivait ses fils ; Justin le Philosophe expérimentait la sincérité de l'amour apporté par César à la recherche de la vérité ; toutes les classes fournissaient leur appoint aux supplices que le salut de l'empire réclamait de la haute sagesse du maître du monde : jusqu'à ce que sur la fin de ce règne qui devait se clore, comme il avait commencé, comme il s'était poursuivi, dans le sang, un dernier rescrit du doux 73 empereur amenât les hécatombes où Blandine l'esclave et Cécile la patricienne réhabilitaient par leur courage l'humanité, trop justement humiliée des flatteries données jusqu'à nos temps à ce triste prince. Jamais encore le vent du Les choses étant telles, on ne s'étonnera pas que l'Eglise ait dès l'origine honoré d'un culte spécial le septénaire de héros qui ouvrit la lutte décisive dont le résultat fut la preuve qu'elle était bien désormais invincible à tout l'enfer. Et certes, le spectacle que les saints de la terre ont pour mission de donner au monde (3) eut-il jamais scène plus sublime ? S'il fut combat auquel purent applaudir de concert et les anges et les hommes, 1. Cant. IV, 16; V, 1. — 2. Ibid. VI, 3. — 3. I Cor. IV, 9. 74 n'est-ce pas celui du En cette fête de la vraie fraternité qu'exalte l'Eglise (1), deux sœurs vaillantes partagent l'honneur rendu aux sept Frères. Un siècle avait passé sur l'empire. Les Antonins n'étaient plus. Valé-rien, qui d'abord sembla vouloir comme eux mériter pour sa modération les éloges de la postérité, venait de glisser sur la pente sanglante à son tour : frappant à la tête, il décrétait du même 1. Resp. VIII ad Matut., et Versus alleluiat. 73 coup l'extermination sans jugement des chefs de l'Eglise, et l'abjuration sous les peines les plus graves de tout chrétien d'une illustre origine. Rufine et Seconde durent aux édits nouveaux de croiser leurs palmes avec celles de Sixte et de Laurent, de Cyprien et d'Hippolyte. Elles étaient de la noble famille des Turcii Asterii que de modernes découvertes ont également remis en lumière. En s'en tenant aux prescriptions de Va-lérien, qui n'ordonnait contre les femmes chrétiennes que la confiscation et l'exil, elles eussent paru devoir échapper à la mort ; mais leur crime de fidélité au Seigneur était aggravé par le vœu de la sainte virginité qu'elles avaient embrassée : leur sang mêla sa pourpre à la blancheur du lis qui avait leur amour. La Basilique Mère et Maîtresse garde, près du baptistère de Constantin, les reliques des deux sœurs ; le second siège cardinalice des princes de la sainte Eglise est placé sous leur protection puissante, et joint à son titre de Porto celui de Santa-Rufina. Lisons l'abrégé des Actes de leur martyre que nous offre aujourd'hui la sainte Liturgie, en le faisant précéder de celui des sept Frères. Sept Frères, fils de sainte
Félicité, furent à Rome, sous la persécution de Marc Aurèle Antonin, traduits
devant le préfet Publius. Celui-ci, par caresses
d'abord, par menaces ensuite, tenta de les amener à renier le Christ et honorer
les dieux. Mais leur courage et les exhortations de leur mère les ayant
maintenus fermes dans la confession de la foi, ils furent mis à mort en di
verses manières. Janvier mourut sous les fouets garnis de plomb ; Félix et
Philippe sous le bâton ; Silvain fut précipité d'un
lieu élevé ; Alexandre, Vital et Martial eurent la tête tranchée. Quatre mois
après, la mère obtenait comme ses fils la palme du martyre ; pour eux, ce fut
le six des ides de juillet qu'ils rendirent leur âme au Seigneur. Rufine et Seconde,
vierges de Rome, étaient sœurs. Fiancées par leurs parents à Armentarius et Vérinus, elles repoussèrent cette alliance, comme ayant
consacré à Jésus-Christ leur virginité. Arrêtées sous l'empire de Valérien et
de Gallien, le préfet Junius ne put ni par
promesses, ni par menaces, les faire changer de résolution. En conséquence,
il
fait d'abord battre de verges Rufine. Pendant
qu'on la frappe, Seconde interpelle ainsi le juge : « Pourquoi l'honneur à ma
sœur, et à moi la honte ? fais-nous frapper toutes deux, puisque toutes deux nous confessons
le Christ Dieu. »
A ces paroles, le juge enflammé
de colère ordonne qu'on les plonge dans
un cachot ténébreux et infect ; une
lumière éclatante et la plus suave odeur
remplissent soudain ce lieu. Enfermées dans
un bain aux ardeurs embrasées, elles en sortent saines et sauves. Jetées dans
le Tibre une pierre au cou, elles sont délivrées par un Ange. Enfin elles sont
décapitées hors de la Ville, au dixième mille de la voie Aurélia. Une dame
nommée Plautilla ensevelit leurs corps dans sa
propriété ; transportés à Rome plus tard, ils reposent dans la Basilique de
Constantin, près du Baptistère. Enfants, louez le Seigneur ; chantez celui qui, dans sa maison, donne à la stérile une couronne de fils (1) ». Ainsi l'Eglise ouvre aujourd'hui ses chants. Etait-elle donc stérile, ô Martyrs, la mère glorieuse qui vous avait donnés tous les sept à la terre? Mais la fécondité qui s'arrête à ce monde ne compte pas devant Dieu ; ce n'est point elle qui répond à la bénédiction tombée des lèvres du Seigneur, au commencement, sur l'homme fait par lui son semblable (2). Saint et fils de Dieu, c'était une lignée sainte, une race divine (3), qu'il recevait mission de propager par le Croissez et multipliez du premier jour. Ce que fut la première création, toute naissance devait l'être : l'homme était réservé à ce degré d'honneur de ne communiquer sa propre existence à d'autres hommes ses semblables, qu'en leur donnant avec elle la vie du Père qui est aux cieux ; celle-ci devait être aussi inséparable de la vie naturelle qu'un édifice l'est du fondement qui le porte, et, 1. Introit. diei.— 2. Gen.
I, 26-28. — 3. Act. XVII, 29. 78 dans l'intention de Dieu, la nature appelait la grâce non moins que le cadre appelle l'œuvre d'art pour laquelle il est fait. Trop tôt le péché brisa l'harmonie des lignes du plan divin ; la nature fut violemment séparée de la grâce, et ne produisit plus que des fils de colère (1). Le Dieu riche en miséricorde (2) n'abandonnait point cependant les projets de son amour immense ; lui qui dès la première création nous eût voulus pour fils, nous créait comme tels à nouveau dans son Verbe fait chair (3). Ombre d'elle-même, ne donnant plus directement naissance aux fils de Dieu, l'union d'Adam et d'Eve était découronnée de cette gloire près de laquelle eussent pâli les sublimes prérogatives des esprits angéliques ; mais elle restait la figure du grand mystère du Christ et de l'Eglise (4). La maternité s'était dédoublée. Stérile pour Dieu, confinée dans la mort qu'elle avait attirée sur sa race, l'ancienne Eve ne pouvait plus qu'en participation de la nouvelle mériter son titre de mère des vivants (5). A cette condition toutefois de s'incliner devant les droits de celle que l'Adam nouveau a choisie comme Epouse, l'honneur demeurait grand pour elle, et il lui était loisible de réparer en partie sa déchéance. Mieux que la fille de Pharaon sauvant Moïse et le confiant à Jochabed, l'Eglise allait dire à toute mère au sortir des eaux : « Recevez cet enfant, et me le nourrissez. (6). » Et humblement soucieuse de répondre à la confiance de l'Eglise, saintement fière de revenir aux intentions premières de Dieu pour elle-même, toute mère chrétienne allait faire 1.
Eph. II, 3. — 2. Ibid. 4. — 3. Ibid. 10. — 4. Ibid.
V. 32 . — 5. Gen. III,
20. — 6. Ex. II, 9. 79 sienne, en son labeur redevenu plus qu'humain, cette parole d'un amour dépassant la nature : « Mes petits enfants, que j'enfante de nouveau, « jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous (1) ! » Honte à celle qui mettrait en oubli la destinée supérieure appelant le fruit de son sein aux honneurs de la filiation divine ! Le crime serait pire que d'étouffer en lui par négligence ou calcul, dans une éducation exclusivement préoccupée des sens, l'intelligence qui distingue l'homme des animaux soumis à son empire. La vie divine n'est pas moins nécessaire à l'homme, en effet, pour atteindre sa fin, que la vie raisonnable ; n'en point tenir compte, laisser dépérir le germe divin déposé dans l'âme d'un enfant à sa nouvelle naissance au bord de la fontaine sacrée, serait pour une mère replonger dans la mort l'être fragile qui lui devait l'existence. Elle avait autrement compris sa mission votre illustre mère,ô Martyrs ! Et c'est pourquoi l'Eglise, qui se réserve de nous rappeler sa mémoire sainte au jour où, quatre mois après vous, elle quitta notre terre, fait néanmoins de la fête présente le principal monument de sa gloire. C'est elle que célèbrent surtout et les lectures et les chants du Sacrifice (2), et les instructions de l'Office de la nuit (3). C'est qu'en effet servante du Christ par la foi, proclame saint Grégoire, elle est aujourd'hui devenue sa mère, selon la parole du Seigneur même, en l'engendrant sept fois dans les fils que lui avait donnés la nature. Après vous avoir rendus si pleinement tous les sept à votre Père du ciel, que sera son propre martyre, sinon la fin 1. Gal. IV, 19. — 2. Introit., Epist., Evang., Commun. - 3. Lect. VI, et Homil. diei. 80 trop longtemps retardée du veuvage, l'heure toute de joie (1) qui la réunira dans la gloire à ceux qui sont devenus doublement ses fils ? Dès ce jour donc qui fut pour elle la journée du labeur sans être encore celle de la récompense, à cette date où la mère passa sept fois par les tortures et la mort et dut accepter par surcroît la continuation de l'exil, il convenait qu'on vît se lever les fils (2) et renvoyer à qui de droit l'honneur du triomphe. Car dès maintenant, tout exilée qu'elle reste encore, la pourpre, teinte non pas deux (3) mais sept fois, est son vêtement (4) ; les plus riches des filles d'Eve (5) s'avouent dépassées par cette débordante fécondité du martyre ; ce sont ses œuvres mêmes qui la louent aujourd'hui dans l'assemblée des Saints c. Puissent donc en ce jour et les fils et la mère, puissent les deux nobles sœurs associées à leur triomphe, écouter nos vœux, protéger l'Eglise, rappeler le monde aux enseignements contenus dans les exemples de leur vie ! 1. Prov. XXXI,
25. — 2. Ibid. 28. — 3. Ex. XXV, 4, etc. 4. Prov. XXXI,
22. — 5. Ibid. 29.— 6. Ibid. 31. |