LE XVIII AOUT. QUATRIÈME JOUR DANS
L'OCTAVE DE L'ASSOMPTION.
Inséparable de Jésus dans les
décrets éternels, Marie fut avec lui le type de toute beauté pour l'Auteur du
monde. Quand la Toute-Puissance préparait la terre et
les cieux (1), la Sagesse se jouait devant elle en son humanité future comme
exemplaire premier, comme mesure et comme nombre (2), comme point de départ,
centre et sommet de l'œuvre entreprise par l'Amour; mais avec elle aussi, la
Mère prédestinée, la femme choisie pour donner de sa chair au Fils de Dieu sa
qualité de Fils de l'homme, apparaissait, parmi les simples créatures, comme
devant être le terme de toute excellence dans les divers ordres de la nature,
de la grâce et de la gloire. Ne soyons donc pas étonnés si l'Eglise (3) met sur
les lèvres de Marie la parole que l'éternelle Sagesse dit la première : J'ai
été créée au commencement (4).
Dans tout son être, et jusqu'en
son corps, fut réalisé pleinement l'idéal divin. Faire jaillir du néant le
reflet des perfections infinies, c'est le but de toute création, la loi de la
matière même. Or,
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après la face du plus beau des
enfants des hommes (1), rien n'exprima Dieu ici-bas comme le visage de la
Vierge. On connaît l'exclamation ad-mirative prêtée à
saint Denys voyant pour la première fois Notre-Dame : « Si la foi ne m'eût
révélé votre Fils, je vous aurais prise pour la Divinité! » Authentique ou non
dans la bouche de l'Aréopagite (2), ce cri du cœur rend bien pourtant la pensée
des anciens. L'on devra d'autant moins en être surpris, que nul fils ne ressembla comme Jésus à sa mère. N'ayant point de père
ici-bas, c'était deux fois pour lui la loi de nature. C'est aujourd'hui la
complaisance des cieux, où Marie et Jésus montrent aux Anges, dans leurs corps
glorifiés, des aspects nouveaux de l'éternelle beauté que ces substances
immatérielles n'eussent point su traduire.
Or, l'ineffable perfection du
corps de Marie résulta de l'union de ce corps avec l'âme la plus parfaite
elle-même qui fut jamais, si, comme il se doit toujours faire, on excepte l'âme
du Seigneur son Fils. Chez nous, la déchéance originelle a brisé l'harmonie qui
devait subsister entre les deux éléments si divers de notre être humain, rompu
aussi, le plus souvent, et parfois renversé les proportions de la nature et de
la grâce. Il en est autrement là où l'œuvre divine ne fut point de la sorte
viciée dans son principe; c'est ainsi que, pour chacun des bienheureux esprits
des neuf chœurs, le degré de la grâce est en rapport direct avec ses dons de
nature (3). L'exemption du péché laissa l'âme de l'Immaculée informer
dans un empire absolu son corps à son image,
tandis
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qu'elle-même, se prêtant à la grâce
selon l'étendue de ses aptitudes exquises, permit à Dieu de l'élever
surnaturellement par delà tous les Séraphins jusqu'aux degrés de son propre
trône.
Car au royaume de la grâce, non
moins qu'en celui de la nature, la suréminence de Marie fut celle qui convenait aune Reine.
Son éveil au sein de la bienheureuse Anne nous la fait voir plus élevée déjà
que les plus hauts monts (1) ; Dieu, qui n'aime que ce qu'il
fait digne de son amour, chérit
cette entrée, ces portes de la vraie Sion, par-dessus toutes
les tentes de Jacob (2). Se pouvait-il en effet qu'un seul instant le
Verbe, qui l'avait élue pour Mère, dût aimer plus, comme plus parfaite, une
autre créature ? Aussi nulle parité possible en ces origines mêmes, nulle
infériorité surtout qui de la Mère eût atteint jusqu'au Fils. Egalement pour la
suite, en la bien-aimée, nul défaut de correspondance aux prévenances divines;
à perfection si grande eussent répugné toute défaillance, toute lacune,
tout arrêt. Depuis le moment de sa Conception très sainte jusqu'à celui de la
mort glorieuse qui lui ouvrit les cieux,
la grâce agit en Marie sans nulle trêve dans la totalité de sa force divine.
C'est ainsi que partie de sommets encore inconnus, doublant à chaque coup
d'aile son énergie, son vol
puissant l'a portée jusqu'à ce voisinage de Dieu où notre admiration la
suit en ces jours.
Cependant Notre-Dame n'est point
seulement la première-née (3), la plus parfaite, la plus belle, la plus sainte
des créatures et leur Reine ; ou plutôt elle n'est tout cela, que parce qu'elle
est la Mère du Fils de Dieu. Ne fût-ce
que pour constater
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qu'elle dépasse à elle seule tous
les sujets réunis de son vaste empire, il nous est possible encore de la
comparer avec l'homme, avec l'ange, sur le terrain de la nature et celui de la
grâce. Où le rapprochement cesse, où toute transition fait défaut, c'est pour la
suivre à la retraite inaccessible où, quoique toujours la servante du Seigneur (1),
elle entre en part des éternelles relations qui constituent la Trinité sainte. Quel est, en une créature, ce mode de
la divine charité où Dieu est aimé comme fils ? Mais écoutons ici l'évêque de
Meaux, dont le moindre mérite n'est pas d'avoir compris comme il l'a fait les
grandeurs de Marie :
« Pour former l'amour de la
sainte Vierge il a fallu y mêler ensemble tout ce que la nature a de plus
tendre, et la grâce de plus efficace. La nature a dû s'v
trouver, parce que cet amour embrassait un fils ; la grâce a dû y agir, parce
que cet amour regardait un Dieu. Mais ce qui passe l'imagination, c'est que la
nature et la grâce n'y suffisent pas,
parce qu'il n'appartient pas à la nature de trouver un fils dans un Dieu
; et que la grâce, du moins ordinaire, ne peut faire aimer un Dieu dans un fils
: il faut donc nécessairement s'élever plus haut. Permettez-moi, chrétiens, de
porter aujourd'hui mes pensées au-dessus de la nature et de la grâce, et de
chercher la source de cet amour dans le sein même du Père éternel. Le divin
Fils dont Marie est mère, lui est commun avec Dieu. Elle est unie avec
Dieu le Père, en devenant la Mère de son
Fils unique, qui ne lui est commun qu'avec le Père éternel dans la manière dont elle l'engendre (2). Mais pour la rendre capable
d'engendrer un Dieu, il a fallu que le Très-Haut la couvrît de
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sa vertu (1), c'est-à-dire, qu'il
étendît sur elle sa fécondité. C'est en cette sorte que Marie est associée à la
génération éternelle.
« Mais ce Dieu qui a bien voulu
lui donner son Fils, pour achever son ouvrage, a dû aussi faire couler dans son
chaste sein quelque étincelle de l'amour qu'il a pour ce Fils unique, qui est
la splendeur de sa gloire et la vive image de sa substance (2). C'est de là
qu'est né l'amour de Marie : il s'est fait une effusion du cœur de Dieu dans le
sien ; et l'amour qu'elle a pour son Fils lui est donné de la même source qui
lui a donné son Fils même. Après cette mystérieuse communication, que
direz-vous, ô raison humaine ? Prétendrez-vous pouvoir comprendre l'union de
Marie avec Jésus-Christ? Car elle tient quelque chose de cette parfaite unité
qui est entre le Père et le Fils. N'entreprenez pas non plus d'expliquer quel
est cet amour maternel qui vient d'une source si haute, et qui n'est qu'un
écoulement de l'amour du Père pour son Fils unique (3). »
Palestrina, l'ancienne Préneste,
députe à la cour de Marie son valeureux et doux martyr Agapit.
Par son jeune âge et sa fidélité, il nous rappelle cet autre gracieux athlète,
l'acolythe Tarcisius, dont
la victoire accompagne de si près au 15 août le triomphe de la Reine du monde,
qu'elle s'éclipse en la gloire de celle-ci. Au temps où Valérien persécutait
l'Eglise, à la veille des combats de Sixte et de Laurent, Tarcisius,
portant le Corps du Seigneur, est rencontré par des païens
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qui prétendent le contraindre à
leur montrer ce qu'il porte; mais, serrant sur son cœur le trésor du ciel, il
se laisse broyer sous leurs coups « plutôt que de livrer à ces chiens enragés
les membres divins (1). » Agapit, à quinze ans,
parcourt au milieu des tourments et des prodiges l'arène que vient de rouvrir à
l'ambition des disciples de Jésus le césar Aurélien. Si jeune qu'il fût, le
martyr avait pu voir la fin honteuse de Valérien ; or, l'édit nouveau qui lui
valut de rejoindre Tarcisius aux pieds de Marie
n'était pas encore promulgué dans tout l'empire, qu'Aurélien à son tour était
foudroyé par ce Christ de qui seul tiennent leurs couronnes les empereurs et
les rois.
ORAISON
Que votre Eglise, ô Dieu, se
réjouisse, appuyée sur le suffrage du bienheureux Agapit;
que les glorieuses prières de votre Martyr lui obtiennent fidélité persévérante
et sécurité entière. Par Jésus-Christ.
En rentrant de Palestrina dans la
Ville éternelle, saluons sur la gauche le cimetière des saints Marcellin et
Pierre, où furent d'abord déposées les reliques saintes de la pieuse
impératrice Hélène, qui s'éleva aujourd'hui de la
terreau ciel. L'Eglise Romaine a cru ne pouvoir l'honorer mieux, qu'en
confondant pour ainsi dire, au III Mai, sa mémoire avec celle du bois sacré
rendu par elle à nos adorations. Nous ne reviendrons
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donc pas aujourd'hui sur la
glorieuse Invention qui, après trois siècles de combats, vint consacrer si
heureusement l'ère du triomphe. Offrons pourtant notre hommage à celle qui
déploya sur le monde délivré l'étendard du salut, et plaça la Croix sur le
front des princes autrefois ses persécuteurs (1).
ORAISON.
Seigneur Jésus-Christ, qui avez révélé à la bienheureuse
Hélène le lieu où votre Croix était cachée, pour enrichir par elle votre Eglise
de ce précieux trésor; accordez-nous par son intercession d'obtenir, grâce au
prix soldé sur cet arbre de vie, les récompenses de la vie éternelle. Vous qui
vivez.
Mais revenons à l'impératrice des
cieux, dont Hélène est la fortunée suivante, dont les Martyrs forment l'armée.
Pour la chanter et la prier du milieu de la mer orageuse, Adam de Saint-Victor
nous donnera cette Séquence d'un accent si suave.
SEQUENCE.
Salut, Vierge sans pareille,
Mère de notre salut, nommée l'Etoile de la mer, étoile nullement vagabonde : ne
permettez pas que sur la merde cette vie nous fassions naufrage,mais que pour nous toujours votre prière s'adresse au
Sauveur né de vous.
La mer s'irrite, les vents
sont en furie, les flots soulevés se bouleversent ; le navire court, mais
au-devant que de périls ! Là les sirènes du plaisir, là le dragon, les chiens
de mer et les pirates concourent ensemble à nous faire désespérer de la vie.
Au fond de l'abîme, puis
jusqu'au ciel l'onde en colère porte l'esquif ; le mât chancelle, la voile est
arrachée, le nautonier cesse la lutte ; chez nous, en de tels maux, l'homme
animal succombe : ô mère toute spirituelle, délivrez-nous de la mort.
Par la rosée du ciel en vous
répandue, sans perdre la fleur de pureté, vous donnâtes au monde, prodige
nouveau, une fleur nouvelle : le Verbe égal à son Père entre au sein de la
Vierge ; pour nous il prend un corps dans le secret de vos chastes entrailles.
Celui dont la puissance
gouverne toutes choses vous élut et prédestina ; sans rompre le sceau virginal,
il vous remplit de lui-même ; dans l'enfantement, sans déchirement, sans
douleur, au rebours de la première mère, vous mîtes au jour le Sauveur.
O Marie, l'excellence de vos
mérites vous élève incomparablement par delà les chœurs angéliques ; jour
fortuné que celui-ci, où vous gagnez les cieux ! dans
votre piété maternelle, regardez-nous en nos bas-fonds.
Vous êtes la sainte et vive
racine, la fleur, la vigne et l'olivier qu'aucune greffe ne féconde ; vous êtes
le flambeau de la terre, la splendeur du ciel ; vous l'emportez sur le soleil
en éclat : recommandez-nous à votre fils, pour qu'il nous juge en miséricorde.
Devant la face du Roi
suprême, ayez souvenir du petit troupeau ; il a transgressé la loi qui lui fut
donnée, et pourtant il espère sa grâce : propice et doux, digne d'une louange
éternelle, le juge a donné aux coupables un gage d'espérance, en se faisant
hostie sur la croix.
Jésus, fruit des entrailles
de votre sainte Mère, soyez-nous, sur les flots de ce monde, guide, chemin et
libre accès au ciel ; tenez le gouvernail, dirigez le navire ; si violente
qu'elle puisse être, apaisez la tempête ; dans votre clémence, donnez-nous
d'aborder heureusement au port. Amen.