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SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT FRANÇOIS-XAVIERANALYSE.Sujet. Voici un miracle de la vertu de Dieu, qui fait
bien voir que le bras du Seigneur n'est pas raccourci, et qu'il peut encore
sauver son peuple. Ce
nouveau miracle, c'est saint Division.
De tous les miracles qui se sont faits dans l'établissement de l'Eglise
chrétienne, un des plus grands, c'est l’établissement de l'Eglise même par le
ministère des apôtres. Or, dans ces derniers siècles, saint Première
partie. Xavier
est appelé par le roi de Portugal pour passer aux Indes. Il s'embarque à
Lisbonne, il aborde dans l'Inde, le voilà rendu au rap de Comorin, et d'abord
vingt mille idolâtres viennent le recevoir pour l'ambassadeur du vrai Dieu. Il
parait chez les Mores, fameux insulaires, et dans l'espace de quelques jours il
réduit sous le joug de la loi chrétienne jusqu'à trente villes. Le Japon
l'attend : il y va, et il y confond les faux prêtres des idoles, il y baptise
les rois, il y sanctifie les peuples, il y établit de nombreuses et de
florissantes Eglises. Or,
pour peu qu'on raisonne, et que l'on considère les circonstances de tous ces
faits, ne doit-on pas les regarder comme autant de prodiges? Il est vrai que
Luther et Calvin pervertissaient au même temps et attiraient à eux l'Occident
et le Septentrion : mais ces deux hérésiarques prêchaient une religion commode
à la nature, et pour établir une telle religion, il ne fallait point de
miracle, au lieu que Xavier prêchait une loi contraire à tous les sentiments
naturels. Quelle
gloire pour cet homme apostolique, quand au jugement de Dieu il produira les
fruits de sa mission et de si heureuses complètes! Mais quel sujet de
condamnation pour nous, qui profitons si peu des soins de tant de prédicateurs,
et de la sainte parole qu'ils nous annoncent! Deuxième
partie. De
là il devint insensible à tout, pour n'être sensible qu'aux impressions de la
charité. Les hôpitaux devinrent pour lui une demeure ordinaire et agréable. Les
nations les plus sauvages se trouvaient forcées de l'aimer, voyant qu'il aimait
jusqu'à leurs misères; et les peuples, témoins des secours qu'ils en recevaient
dans les infirmités de leurs corps, lui abandonnaient la conduite de leurs
âmes. Quels
fonds employa-t-il dans l'exercice de son ministère? point d'autres pour lui
qu'une extrême pauvreté. C'est avec le signe de cette pauvreté qu'il parcourt
les provinces et les royaumes. Mais n'était-ce pas avilir son caractère?
c'était plutôt le relever, et accréditer la loi qu'il publiait. Car ce
désintéressement charmait les fidèles, et leur faisait conclure qu'il y avait
quelque chose de surnaturel et de divin dans une religion qui élevait ainsi les
cœurs et les dégageait de toutes les vues terrestres. Par
quelle voie pénétra-t-il jusque dans la capitale du Japon? par celle de
l'humilité, en se réduisant à la vile condition de serviteur. A quoi
s'appliquait-il avec plus de zèle? A enseigner aux enfants les premiers
principes de la doctrine chrétienne, se faisant, pour ainsi dire, enfant comme
eux. Or, voilà le miracle, que par la pauvreté, par l'humilité, par le
renoncement à toute chose et à soi-même, il a fait ce que toute la politique du
monde n'eût osé entreprendre, et ce que jamais elle n'eût exécuté. Il
s'est vu comblé d'honneurs : cela est vrai; mais c'est au même temps ce qu'il y
a de merveilleux, qu'on ait ainsi respecté et honoré un pauvre. Il a fait des
miracles : mais pourquoi Dieu lui mettait-il de la sorte son pouvoir dans les
mains? parce que c'était un homme humble. Bel
exemple pour les prédicateurs et les ministres de l'Evangile. Qu'ils aient le
zèle de Xavier, qu'ils meurent à eux-mêmes comme Xavier, qu'ils prennent comme
Xavier cet esprit d'anéantissement qui fut l'esprit du Sauveur des hommes et
l'esprit de tous les apôtres, alors ils seront les instruments digues de Dieu, et
il s'en servira pour l'avancement de sa gloire et pour le salut du prochain. 319 Ecce non est abbreviata manus
Domini, ut salonre nequeat. Voici
un miracle de la vertu de Dieu, qui fait bien voir que le bras du Seigneur
n'est pas raccourci, et qu'il peut encore sauver son peuple. (Isaïe, chap. LIX,
1.) Monseigneur *, Quel est ce miracle dont nous
avons été nous-mêmes témoins, et en quel sens peuvent convenir ces paroles du
Prophète à l'homme apostolique dont nous solennisons la fête ? Est-ce l'éloge de
ou n'est-ce pas l'éloge de la foi qu'il a prêchée? et si le
Seigneur, dans ces derniers siècles, a fait éclater sa toute-puissante vertu
par la conversion d'un nouveau monde, est-ce au ministre de ce grand ouvrage
qu'il en faut attribuer la gloire, ou n'est-ce pas plutôt au Maître qui l'avait
choisi, et qui l'a si heureusement conduit dans l'exercice de son ministère?
Parlons donc, Chrétiens, non pas pour exalter le mérite de l'apôtre des Indes
et du Japon, mais pour reconnaître la force de l'Evangile qu'il a porté à tant
de nations barbares; et lirons, des merveilleux succès de sa prédication, une
preuve sensible et toute récente de l'incontestable vérité de la foi à laquelle
il a soumis les plus fières puissances de l'Orient : Ecce non est abbreviata
manus Domini. Voici un prodige que Dieu nous a mis devant les yeux, pour
nous convaincre et pour confirmer notre foi peut-être chancelante, toujours au
moins faible et languissante : c'est la propagation du christianisme en de
vastes pays d'où l'infidélité l'avait
banni, et où Xavier, sur les ruines de l'idolâtrie et malgré tous les
efforts de l'enfer, a eu le bonheur de le rétablir. Je ne prétends point égaler
par là cet ouvrier évangélique aux premiers apôtres. Je sais quelles furent les
prérogatives de ces douze princes de l'Eglise, et quelle supériorité le ciel
leur donna, soit par l'avantage de la vocation, soit par l'étendue du pouvoir,
soit parla plénitude de la science. Mais après tout, comme saint Augustin a
remarqué que ce n'était point déroger à la dignité de Jésus-Christ, de dire que
saint Pierre a fait de plus grands miracles que lui : aussi ne crois-je rien
diminuer de la prééminence des apôtres, quand je dis que Dieu, pour
l'amplification de son Eglise, a employé saint C'est, Monseigneur, ce que nous allons voir; et je ne puis douter qu'entre les honneurs que 1 Messire reçoit de la part des hommes l'illustre saint dont nous célébrons la mémoire, il n'agrée surtout le culte et le témoignage de piété que Votre Grandeur vient ici lui rendre. On sait quel fut son respect et sa profonde vénération pour les évoques, légitimes pasteurs du troupeau de Jésus-Christ , et les dépositaires de l'autorité de Dieu ; on sait avec quelle soumission il voulut dépendre d'eux ; que c'était sa grande maxime ; que c'était, disait-il lui-même, la bénédiction de toutes ses entreprises, et que c'est enfin une des plus belles vertus que l'histoire de sa vie nous ait marquées. Mais, Monseigneur, si Xavier eût vécu de nos jours, et qu'il eût eu à travailler sous la conduite et sous les ordres de Votre Grandeur, combien, outre ce caractère sacré qui vous est commun avec plusieurs, eût-il encore honoré dans vous d'autres grâces qui vous sont particulières? Aussi zélé qu'il était pour l'honneur de l'Evangile, combien eût-il révéré dans votre personne un des plus célèbres prédicateurs qu'aient formés notre France; un homme dont le mérite semble avoir eu du ciel le même partage que celui de Moïse, et à qui nous pouvons si bien appliquer ce qui est dit de ce fameux législateur : Glorificavit illum in conspectu regum, et jussit illi coram populo suo (1); Dieu l'a glorifié devant les têtes couronnées par le ministère de sa sainte parole, et lui a donné ensuite l'honorable commission de gouverner son peuple. Voilà, Monseigneur, ce qui eût sensiblement touché le cœur de Xavier : et Votre Grandeur n'ignore pas comment les nôtres sur cela même sont disposés. Que n'ai-je, pour traiter dignement le grand sujet qui me fait aujourd'hui monter dans cette chaire, et paraître en votre présence, ce don de la parole et cette éloquence vive et sublime qui vous est si naturelle ! mais le secours du Saint-Esprit suppléera à ma faiblesse, et je le demande par la médiation de Marie : Ave, Maria. Une des difficultés les plus ordinaires que formaient autrefois les païens contre notre religion, c'était, si nous en croyons le vénérable Bède, qu'on n'y voyait plus ces miracles dont leur parlaient les chrétiens, et qu'ils produisaient comme les preuves certaines de sa divinité : ce qui faisait conclure à ces ennemis du christianisme, ou qu'il avait dégénéré de ce qu'il était, ou qu'il n'avait jamais été ce qu'on prétendait. A cela, les Pères répondaient diversement. Il est vrai, disait saint Grégoire, pape, 1 Eccli., XLV, 3. 320 que ce don des miracles n'est plus aujourd'hui si commun
qu'il l'a été dans la primitive Eglise; mais aussi n'est-il plus
désormais si nécessaire qu'il l'était alors : car la foi, naissante encore,
n'était, dans ces premiers temps, qu'une; jeune plante qui, pour croître et
pour se fortifier, devait être arrosée et nourrie de ces grâces
extraordinaires; mais maintenant qu'elle a jeté de profondes racines, et
qu'elle est en état de se soutenir, elle n'a plus besoin de ce secours. Cette
réponse est solide, mais celle de saint Augustin me paraît plus sensible et plus
convaincante, lorsqu'il raisonnait de la sorte, en disputant contre les
infidèles : Ou vous croyez les miracles sur quoi nous appuyons la vérité de la
religion chrétienne, ou vous ne les croyez pas : si vous les croyez, c'est en
vain que vous nous en demandez de nouveaux, puisque Dieu s'est assez expliqué
par ceux qu'il a opérés d'abord dans l'établissement du christianisme : si vous
ne les croyez pas, du moins faut-il que vous en reconnaissiez un , bien
authentique et plus fort que tous les autres, savoir, que, sans miracles, le
monde ait été converti à la foi de Jésus-Christ : Si Christi miraculis non
creditis, saltem huic miraculo credendum est, mundum sine miraculis fuisse
conversum. En effet, qu'y a-t-il de plus miraculeux qu'une telle
conversion? Mais permettez-moi, mes chers auditeurs, d'ajouter ma pensée à
celle de ces grands hommes : car je dis que les miracles de l'Eglise naissante
n'ont point cessé ; je prétends qu'ils subsistent encore, et que Dieu les a
continués jusque dans ces derniers siècles ; et je puis toujours m'écrier, avec
le Prophète, que le bras tout-puissant du Seigneur n'est point raccourci : Ecce
non est abbreviata manus Domini. Pour vous en faire convenir avec moi, je
vous demande quel est, de tous les miracles qui se sont faits dans
l'établissement de l'Eglise, le plus merveilleux et le plus grand ? n'est-ce
pas, comme dit saint Ambroise, l'établissement de l'Eglise même? Rappelez dans
votre esprit de quelle manière la loi chrétienne s'est répandue dans le monde;
la sublimité de ses mystères incompréhensibles, et même opposés, en apparence,
à la raison humaine; la sévérité de sa morale, contraire à toutes les
inclinations de l'homme et à ses sens; les violents assauts et les combats
qu'elle a eu à essuyer; la faiblesse des apôtres dont Dieu s'est servi pour la
prêcher, et toutefois les succès étonnants de leur prédication dans les
royaumes, dans les empires, dans tous
les états. Il n'y a point d'esprit droit et équitable qui, pesant bien tout
cela, n'y découvre un miracle visible, et qui n'avoue, avec Pic de la Mirande,
que c'est une extrême folie de ne pas croire à l'Evangile : Maximœ insaniœ
est Evangelio non credere. Or, je soutiens que saint PREMIÈRE PARTIE.
Saint Augustin, expliquant ces paroles
du psaume quarante-quatrième : Pro patribus tuis nati sunt tibi filii
(1), en fait une application bien juste, lorsque , s'adressant à l'Eglise, il
lui parle de cette sorte : Sainte épousi1 du Sauveur, ne vous plaignez pas que
le ciel vous ait abandonnée, parce que vous ne voyez plus Pierre et Paul, ces
grands apôtres dont vous avez pris naissance, et qui ont été vos pères : Non
ergo te putes esse desertam , quia non vides Petrum, quia non vides Paulum,
quia non vides eos per quos nata es ; Car vous avez formé des enfants
héritiers de leur esprit, et qui vous rendront aussi glorieuse et aussi féconde
que vous le fûtes jamais : Ecce pro patribus tuis nati sunt tibi filii.
Or, entre ces enfants de l'Eglise, successeurs des apôtres et comme les
dépositaires de leur zèle, il nie semble, Chrétiens, que je puis mettre Examinons-le, ce miracle. Après
l'avoir étudié avec soin, pour ne rien dire qui ne soit autorisé et par la voix
publique, et par le témoignage même de l'Eglise qui l'a reconnu; sans rien
exagérer dans une chaire consacrée à 1 Psal., XLIV, 17. 321 la vérité, mais à ne prendre que la substance de la chose ,
et à considérer le fait précisément en lui-même, dénué de toutes les
circonstances qui le relèvent, le voici tel que je le conçois et que vous le
devez concevoir. Xavier, par la seule vertu de la divine parole, a soumis un
monde entier à l'empire du vrai Dieu, a répandu en plus de trois mille lieues
de pays la lumière de l'Evangile, a fondé un nombre presque innombrable
d'Eglises dans l'Orient ; est entré en possession de cinquante-deux royaumes,
pour y faire régner Jésus-Christ ; a dompté partout l'infidélité du paganisme,
l'obstination de l'hérésie, le libertinage de l'impiété; a conféré de sa main
le baptême à plus d'un million d'idolâtres, et les a présentés à Dieu comme de
fidèles adorateurs de son nom : voilà le miracle de notre foi. Miracle
au-dessus de tout ce que nous lisons de ces héros, ou vrais, ou prétendus , que
l'histoire, profane a tant vantés; miracle où je puis dire, en me servant de la
belle expression de saint Ambroise, que Vous savez, mes chers auditeurs,
par quelle occasion et quel dessein fut appelé l'homme apostolique dont je
parle, pour passer aux Indes : car je laisse ce qu'il fit en Europe, et je
viens d'abord à ce qu'il y a dans mon sujet d'essentiel et de capital. Certes,
ce furent deux entreprises bien différentes que celle de Jean III, roi de
Portugal, et celle de Xavier ; et il est bien à croire que, selon la politique
mondaine, l'une ne fut que l'accessoire de l'autre. En effet, si la piété du
prince lui fit souhaiter d'avoir un homme de Dieu pour aller combattre la
superstition, le soin de sa propre grandeur lui fit équiper une flotte entière
pour étendre ses conquêtes, et pour établir en de nouvelles et de vastes
contrées sa domination. Telles étaient les vues de ce monarque ; telle était la
fin que se proposaient les ministres de son Etat : mais le ciel en avait tout
autrement disposé. Le dessein du roi de Portugal ne fut qu'une occasion ménagée
par la Providence pour ouvrir le chemin à Xavier, et pour le faire entrer dans
la moisson qu'il devait recueillir. Il ne faut que lui pour
cet important ouvrage; lui seul,
il fera plus que ce pompeux et terrible appareil d'armes et de vaisseaux, et il
portera plus loin les bornes du christianisme que Jean les limites de son
empire. Déjà je l'entends, ce saint
apôtre, qui rallumant toute l'ardeur de sa charité, et rappelant toutes les
forces de son âme à la vue de l'immense carrière qu'on lui donne à fournir,
s'encourage lui-même, et s'excite à tout entreprendre pour la gloire du
souverain Maître qui l'envoie. Allons, Xavier, dit-il en de fervents et de
secrets colloques, puisque ton Dieu est partout, il faut qu'il soit partout
connu et adoré ; ce serait un reproche pour toi, que l'auteur de ton être fût
loué dans tous les lieux du monde par les créatures insensibles, et qu'il y eût
un endroit de l'univers où il ne le fût pas des créatures intelligentes et
raisonnables. Et pourquoi mettrais-tu entre les hommes quelque différence, et
voudrais-tu en faire le choix, puisque le Créateur qui les a formés les
embrasse tous dans le sein de sa miséricorde? Non, non : souviens-toi qu'en te
confiant son Evangile, il t'en a rendu redevable à tous, et que c'est pour tous
qu'il t'a communiqué sans restriction tout son pouvoir. Ce ne sont point là,
Chrétiens, mes propres pensées, ni mes expressions; mais celles de Xavier,
qu'il nous a laissées dans ses épîtres, fidèles interprètes de son cœur, et
lettres sacrées que nous conservons comme les précieuses reliques et les
monuments de son zèle. C'est donc en de telles dispositions et avec de si nobles sentiments qu'il s'embarque à Lisbonne, qu'il traverse deux fois la zone torride, qu'il échappe heureusement le fameux cap de Bonne-Espérance, qu'il aborde dans l'Inde, qu'il passe dans l'île de la Pêcherie. Je serais infini, si j'entreprenais de faire le dénombrement de ces longues et fréquentes courses qui n'ont pu lasser son courage, et qui peut-être lasseraient votre patience. Mais un peu de réflexion, s'il vous plaît :1e voilà rendu au cap de Comorin, et d'abord vingt mille idolâtres viennent le reconnaître pour l'ambassadeur du vrai Dieu. D'où l'ont-ils appris, et qui le leur a dit! Ah! voici le miracle: Xavier ne sait ni la langue ni les coutumes du pays ; et cependant il persuade tous les esprits et gagne tous les cœurs. Chaque jour toute une bourgade est initiée au saint baptême. Les prêtres des faux dieux en conçoivent le plus violent dépit, et s'y opposent ; les chefs du peuple, les magistrats, en sont transportés jusqu'à la fureur; mais, pour user des termes de saint Prosper sur un sujet à peu près semblable, c'est de ces ennemis mêmes, de ces emportés 322 et de ces furieux, qu'il compose une nouvelle Eglise : Sed
de his resistentibus, sœvientibus, populum christianum augebat. A peine ces
sages Indiens l'ont-ils eux-mêmes entendu, qu'ils veulent devenir enfants, pour
se faire instruire des mystères qu'il leur enseigne. A la seule présence de ce
prédicateur inspiré d'en-haut, toute leur sagesse s'évanouit ; et par là ils
semblent vérifier la parole de l'Ecriture, selon le sens que lui donne saint
Augustin : Absorpti sunt juncti petrœ judices eorum (1) ; Leurs juges,
c'est-à-dire les savants de leur loi et les maîtres du paganisme, mis auprès de
Jésus-Christ, qui est la pierre angulaire, ou des ministres de son Evangile,
ont été entraînés, ont été comme engloutis et absorbés : Absorpti sunt. N'était-ce pas un spectacle digne
de l'admiration des anges et des hommes, de voir ce conquérant des âmes former
dans les plaines de Travancor des milliers de catéchumènes, faire autant de
chrétiens qu'il assemblait autour de lui d'auditeurs, s'épuiser de forces dans
cet exercice tout divin ; et, comme autrefois Moïse, ne pouvoir plus lever les
bras par la défaillance où il tombe, et avoir besoin qu'on les lui soutienne,
non point pour exterminer les Amalécites, mais pour ressusciter des troupes
d'infidèles à la vie delà grâce ? Quel triomphe pour la foi qu'il venait de leur
annoncer, quand il marchait à la tète de ces néophytes, qu'il les conduisait
dans les temples des idoles, qu'il les animait à les briser, à les fouler aux
pieds, et, comme parle saint Cyprien, à faire de la matière du sacrilège un
sacrifice au Dieu du ciel? Il n'en demeure pas là. Bientôt il paraît chez les Maures,
fameux insulaires, d'autant plus chers à Xavier qu'ils sont plus connus par
leur barbarie, et qu'il en attend de plus rigoureux et de plus cruels
traitements; car voilà ce qui l'attire, voilà ce qu'il cherche. Mais,
providence de mon Dieu, que vos vues sont au-dessus des nôtres, et que vous
savez conduire efficacement, quoique secrètement, vos impénétrables et
adorables desseins ! Qui l'eût cru? cette brebis au milieu des loups, sans rien
craindre de leur férocité, leur communique toute sa douceur. Ces tremblements
de terre si communs parmi eux lui donnent occasion de les entretenir des
grandeurs du Dieu qu'il leur prêche, et de la sévérité de ses jugements. Ces
montagnes de feu qui sortent du sein des abîmes lui servent d'images, mais
d'images affreuses, pour leur 1 Psal., CXL, 6. représenter les flammes éternelles, et pour -leur en
inspirer une horreur salutaire. Il les cultive, il les rend traitables, il les
transforme en d'autres hommes. Toute l'Inde est dans l'étonnement, et ne peut
comprendre qu'en peu de jours il ait réduit sous le joug de la foi chrétienne
jusqu'à trente villes. Vous diriez que, comme les cœurs des rois sont dans la
main de Dieu, tous les cœurs de ces peuples sont dans celle de Xavier. Il entre
dans Malaque, et d'une Babylone il en fait une Jérusalem, c'est-à-dire d'une
ville abandonnée à tous les vices il en fait une ville sainte. Le grand
obstacle aux progrès de l'Evangile, c'est l'amour du plaisir et la pluralité des
femmes : honteux dérèglement que la coutume avait introduit, et que la coutume
autorisait. Il l'attaque et il l'abolit; mais comment? avec un ascendant sur
les esprits et un empire si absolu, que nul homme engagé dans ce libertinage
n'oserait paraître devant lui. Et parce qu'ils l'aiment tous comme leur père,
parce qu'ils veulent tous traiter avec le saint apôtre, de là vient qu'ils
renoncent tous à ce désordre. Plus de quatre cents mariages prétendus , cassés
par son ordre, les liens les plus forts et les plus étroits engagements rompus,
toutes les familles dans la règle : qu'y eut-il jamais de plus merveilleux ? et
si ce ne sont pas autant de miracles , qu'est-ce donc, et à quel autre qu'à
Dieu même attribuerons-nous un changement si difficile, si prompt, si
universel? Cependant, Chrétiens, un nouveau
champ se présente à cet ouvrier infatigable ; et, sans nous arrêter, suivons-le
partout où l'ardeur de son zèle porte ses pas. Le Japon l'attend, et c'est là,
pour m'exprimer de la sorte, que Dieu a placé le siège de son apostolat; dans
l'Inde il a travaillé sur un fonds où d'autres avant lui s'étaient exercés ; il
a marché sur les traces des apôtres; mais ici il peut dire comme saint Paul : Sic
autem prœdicaci Evangelium hoc, non ubi nominatus est Christus, ne super
alienum fundamentum œdificarem; sed sicut scriptum est, quibus non est
unnuntiatum de eo (1) ; Oui, mes
Frères, j'ai prêché Jésus-Christ, mais dans des lieux où jamais ce nom
vénérable n'avait été prononcé ; et Dieu m'a fait cet honneur de vouloir que
j'édifiasse là où personne avant moi n'avait bâti. Xavier en effet est le
premier qui ait porté à cette nation le flambeau de l'Evangile ; je dis, à
cette nation si fière et si jalouse de ses anciennes pratiques et de la
religion de ses pères ; à cette nation où 1 Rom., XV, 21. 323 le prince des ténèbres dominait en paix depuis tant de
siècles, et qu'une licence effrénée plongeait dans tous les désordres. Il
s'agissait de leur annoncer les vérités les plus dures, et d'ailleurs les moins
compréhensibles ; une doctrine la plus humiliante pour l'esprit et la plus
mortifiante pour les sens; une foi aveugle, sans raisonnement, sans discours;
une espérance des biens futurs et invisibles, fondée sur le renoncement actuel
à tous les biens présents ; en un mot, une loi formellement opposée à tous les
préjugés et à toutes les inclinations de l'homme. Voilà ce qu'il fallait leur
faire embrasser, à quoi il était question de les amener, sur quoi Xavier
entreprend de les éclairer : quel projet ! et quel en sera l'issue ? Ne
craignons point, mes chers auditeurs : c'est au nom de Dieu qu'il agit ; c'est
Dieu qui le députe comme le Prophète, et qui lui ordonne d'arracher et de
planter, de dissiper et d'amasser, de renverser et d'élever. Il arrachera les
erreurs les plus profondément enracinées, et jusque dans le sein de l'idolâtrie
il plantera le signe du salut, il dissipera les légions infernales conjurées
contre lui, et malgré tous leurs efforts il rassemblera les élus du Seigneur ;
il renversera ce fort armé qui s'était introduit dans l'héritage du Dieu
vivant, et de ses dépouilles il érigera
un trophée à la grâce victorieuse qui l'accompagne, et qui se répandra avec
abondance. Parlons sans figure, et ne
cherchons point de magnifiques et de pompeuses expressions pour soutenir un
sujet qui par lui-même est au-dessus de toute expression. croix et d'en rougir comme l'imposture a voulu nous le
persuader, se sont immolées pour la croix et par la croix, se sont exposées
pour elle à toutes les rigueurs de la captivité, à toutes les ardeurs du feu, à
toutes les horreurs de la mort ; enfin, des Eglises où l'on a pu presque
compter autant de martyrs qu'elles ont eu de fidèles. Tels sont les fruits de
la mission de Xavier. Qui les a fait naître, ces fruits de sainteté? C'est
Xavier coopérant avec Dieu ; c'est Dieu agissant dans Xavier. Nous pouvons dire
l'un et l'autre, comme nous le voudrons, pourvu que nous reconnaissions là le
miracle de notre foi : Ecce non est abbreviata manus Domini. Cependant, au milieu de ses
victoires, ce héros chrétien en voit tout à coup le cours interrompu.
Insatiable dans ses désirs', il tourne son zèle vers le vaste empire de la
Chine, et la Chine lui échappe. Quelle subite et triste révolution ? Ainsi vous
l'aviez ordonné, Seigneur. Mais s'il m'est permis de pénétrer dans un de ces
secrets que votre providence tient cachés à nos yeux, et qu'il n'appartient
qu'à votre sagesse de bien connaître, pourquoi, mon Dieu, arrêtez-vous un
apôtre uniquement occupé du soin de votre gloire, et pourquoi lui refusez-vous
l'entrée d'une terre où il ne pense qu'à faire célébrer vos grandeurs ? Vous ne
permîtes pas à Moïse d'entrer dans la terre de Chanaan, parce qu'il avait
manqué à vos ordres, et qu'il n'avait pas sanctifié votre nom parmi le peuple :
Quia prœvaricati estis contra me, et non sanctificastis me inter filios
Israël (1). Mais voici un homme soumis à votre parole, un homme selon votre
cœur, et vous le retenez dans une île déserte ! Lorsqu'il médite une conquête
si glorieuse pour vous, et après laquelle il soupire depuis si longtemps, vous
l'abandonnez à la mort, qui fait échouer toutes ses espérances ! Je me trompe,
Chrétiens, Xavier est entré dans la Chine ; au défaut de son corps, son esprit
y a percé ; il y est encore vivant, et il y soutient tant de prédicateurs de
tous les états et de tous les ordres de l'Eglise ; c'est lui qui les dirige par
ses leçons, lui qui les anime par ses exemples, lui qui les console dans leurs
fatigues par le souvenir de ses travaux, et lui enfin qui, du haut de la
gloire, fait descendre sur eux ces secours de grâces dont ils tirent toutes
leurs forces, et qui achève ainsi dans le ciel ce qu'il n'a pu accomplir sur la
terre. Or revenons ; et, sans vous faire
un détail plus 1 Deut., XXXII, 51. 324 exact de tant de nations qu'il a instruites , de tant de
provinces et de royaumes qu'il a parcourus, de tant de mers qu'il a traversées,
et où si souvent il s'est vu exposé aux tempêtes et aux naufrages,
tenons-nous-en à l'idée générale que je viens de vous tracer, et qui n'est
encore qu'une ébauche très-légère des progrès de la foi par le ministère ,de
cet homme vraiment apostolique. Pour peu que nous raisonnions, et qu'examinant
avec attention toutes les circonstances de ce grand miracle dont Dieu même fut
l'auteur, et dont Xavier n'a été que l'instrument, nous considérions le
caractère des peuples avec qui il eut à traiter, l'obstination de leurs esprits
et leur attachement à de fausses divinités, la corruption de leurs mœurs et
leurs habitudes vicieuses et profondément enracinées, leur férocité ou leur
fierté naturelle ; d'ailleurs, la sublimité de la loi qu'il leur a prêchée, son
obscurité dans les mystères, sa sévérité dans la morale ; et avec cela ce
consentement universel, cette soumission prompte et cette étonnante docilité
avec laquelle ils l'ont reçue, ne sommes-nous pas obligés de nous écrier que le
doigt du Seigneur était là? Digitus Dei est hic (1). Et quelles marques
plus sensibles pourrions-nous avoir de la vertu divine qui l'accompagnait? Ecce
non est abbreviata manus Domini. Il est vrai : tandis ou presque
au même temps que 1 Exod., VIII, 19. commandait aux éléments, calmait les flots de la mer,
paraissait à la fois en divers lieux, voyait l'avenir, lisait dans les cœurs, chassait les démons, guérissait les malades,
ressuscitait les morts ; et que jamais ces docteurs de l'erreur ne firent rien
voir qui marquât en eux une vocation spéciale et propre, et qui donnât à
connaître que le Seigneur était avec eux. Je ne dis point tout cela ; mais
voici à quoi je m'en tiens, et ce qui me suffit : c'est qu'ils prêchaient une
religion favorable à la nature, commode aux sens, qui retranchait tous les préceptes de l'Eglise,
qui dégageait de l'obligation des vœux, qui délivrait du joug de la confession,
qui, sous prétexte d'une impossibilité
imaginaire dans la pratique des commandements et d'un défaut de grâce,
conduisait les hommes au libertinage. Or, pour établir une telle religion dans
le monde, il ne faut point de miracle, puisque le monde n'y est déjà que trop
disposé de lui-même : au lieu que le saint apôtre des Indes et du Japon
apportait une loi contraire à tous les sentiments naturels ; une loi qui
déclarait la guerre aux passions , qui condamnait les plaisirs, qui prescrivait
des règles de continence, capables de rebuter tous les esprits ; qui obligeait
à verser son sang, à donner sa vie, à endurer les plus cruels supplices pour la
défendre et la soutenir. Or, d'avoir fait agréer cette loi à une multitude
presque infinie d'idolâtres de tout sexe, de tout âge, de tout caractère, de
tout état, aux grands et aux petits, aux sages et aux simples, à des voluptueux
et à des sensuels, à des opiniâtres et à des présomptueux, n'est-ce pas là le
plus évident de tous les miracles, et quel autre que Dieu même l'a pu opérer ?
Miracle par où Xaxier réparait les ruines de l'Eglise et les brèches qu'y
faisait le schisme de l'hérésie, puisqu'il est certain que, par ses
prédications apostoliques, il a plus gagné de sujets à la vraie religion que
Luther et Calvin ne lui en ont dérobé, et n'en ont porté à la rébellion.
Tellement que nous pouvons lui appliquer le bel éloge que saint Basile donnait
autrefois à saint Grégoire de Nazianze et l'appeler le supplément de l'Eglise :
Supplementum Ecclesiœ, parce qu'il a suppléé avantageusement, par son
zèle, à toutes les pertes qu'elle avait faites par la division des hérétiques. Ah ! Chrétiens, que la charité
est généreuse dans ses entreprises, qu'elle est ferme et constante dans ses poursuites
! mais surtout qu'elle est heureuse dans ses succès ! Que ne peut point un
homme possédé de l'Esprit divin, 325 libre de tous les intérêts de la terre, et uniquement
passionné pour la gloire du Seigneur? Ne faut-il pas que l'ambition humaine fasse
ici l'aveu de sa faiblesse et qu'elle cède au zèle d'un apôtre qui ne cherche
qu'à faire connaître et honorer Dieu? Si Xavier eût embrassé la profession des
armes, comme sa naissance semblait l'y engager, ou s'il eût borné ses vues à se
distinguer dans les lettres, selon son inclination particulière et le
caractère, de son esprit, qu'eût-il fait? et quoi qu'il eût fait, son nom
vivrait-il encore dans la mémoire des hommes, et ne serait-il pas peut-être
enseveli avec tant d'autres dans une profonde obscurité? Mais maintenant on
publie partout ses merveilles ; les siècles entiers n'en peuvent effacer le
souvenir, et jusqu'à la dernière consommation des temps, il sera parlé de
Xavier dans toutes les parties du monde. Je dis plus : car, pour me servir de
la noble et admirable figure de saint Grégoire, pape, comment paraîtra-t-il
dans cette assemblée générale de l'univers, où Dieu viendra couronner ses
saints, surtout ses apôtres, et leur rendre gloire pour gloire? C'est là, dit
le saint docteur dont j'ai emprunté cette pensée, que les apôtres traîneront
après eux, et comme en triomphe, toutes les nations qu'ils ont conquises à
Jésus-Christ ; là que Pierre se montrera à la tète de la Judée qu'il a
convertie; là qu'André conduira l'Achaïe; Jean, l'Asie; Thomas, toute l'Inde : Ibi
Petrus cum Judœa conversa apparebit ; ibi Andreas Achaiam, Joannes Asiam,
Thomas Indiam in conspectu Judicis , regi conversam ducet. Et moi j'ajoute
: c'est là que Xavier produira, pour fruits de son apostolat, des troupes sans
nombre de toutes nations, de tous peuples, de toutes tribus, de toutes langues,
qu'il a réduites sous le joug de l'Evangile, et tout un monde dont il a été la
lumière : Ex omnibus gentibus, et tribubus, et populis, et linguis (1). Mais sur cela même, mes chers
auditeurs, quels reproches n'avez-vous pas à vous faire? C'est par le ministère
d'un seul prédicateur que Dieu, jusqu'au milieu de l'idolâtrie, a opéré ces
miracles de conversion ; et dans le centre de la foi tant de prédicateurs suffisent
à peine pour convertir un pécheur. Xavier prêchait à des infidèles, et il les
touchait; nous prêchons à des chrétiens, et ils demeurent insensibles. A quoi
attribuerons-nous cette monstrueuse opposition? est-ce que Xavier était saint,
et que nous, ministres de la divine 1 Apoc, VII, 9. parole, ne le sommes pas? mais notre foi ne serait plus ce qu'elle est, si elle dépendait ainsi des ministres qui l'annoncent ; ils ne prêchent pas et ils ne convertissent pas comme saints, mais comme députés de Dieu , et comme envoyés de Dieu : or, quelles que soient les qualités de la personne, cette députation et cette mission n'est pas moins légitime. Quand donc vous dites, Si c'étaient des saints, je les écouterais et ils me persuaderaient, vous commettez, selon saint Bernard, trois grandes injustices : Tune, par rapport à la grâce, dont vous bornez l'efficace et le pouvoir à la vertu, ou plutôt à la faiblesse d'un homme ; l'autre, par rapport au prochain, en imputant aux ouvriers évangéliques ce qui ne vient pas d'eux, savoir, votre impénitence et votre obstination ; la dernière, par rapport à vous-mêmes, en cherchant de vaines excuses dans vos désordres, et des prétextes pour vous y autoriser. Quoi donc ! est-ce que Xavier avait un autre Evangile à prêcher que nous? est-ce qu'il faisait connaître un autre Dieu ? est-ce qu'il enseignait d'autres vérités? est-ce qu'il proposait d'autres peines et d'autres récompenses? rien de tout cela : mais c'est qu'il instruisait des peuples qui, quoique nés et quoique élevés dans l'infidélité, suivaient les impressions de la grâce ; et que vous, dans le christianisme, vous la combattez, vous la rejetiez, vous l'étouffez. De là des millions d'athées ou d'idolâtres étaient tout à coup changés en de vrais chrétiens , et tous les jours des chrétiens deviennent des impies et des athées. Je dis des athées ; car il n'y en a que trop et de toutes les manières : athées de créance et athées de volonté ; athées qui ne reconnaissent point de Dieu, et athées qui voudraient n'en point reconnaître, et qu'en effet il n'y en eût point; athées dans les cours des princes, athées dans la profession des armes, athées dans les académies des savants, athées dans tous les lieux et tous les états où règne la dissolution du vice. Ah ! mes Frères, n'est-ce pas ainsi que s'accomplit la parole du Sauveur du monde, cette parole si terrible pour nous, que plusieurs viendraient de l'Orient : Multi ab Oriente venient (1) ; qu’ils prendraient place dans te gloire avec Abraham et tous les saints habitants de ce séjour bienheureux : Et recumbent cum Abraham , Isaac et Jacob (2) ; mais que, pour les enfants et les héritiers du royaume, ils seraient chassés et précipités dans les ténèbres de l'enfer : Filii autem regni ejicientur 1 Matth., VIII, 11.— 2 Ibid. 326 in tenebras exteriores (1) ? Ne soyons pas du nombre
de ces chrétiens réprouvés ; et pour cela, réveillons notre foi, ranimons-la,
rendons-la fervente et agissante. Je viens de vous en proposer un des plus
grands motifs ; c'est ce miracle de l'Evangile, renouvelé par DEUXIÈME PARTIE.
Faire de grandes choses, ce n'est
point précisément et uniquement en quoi consiste la toute-puissance de Dieu ;
mais faire de grandes choses de rien, c'est le propre de la vertu divine, et le
caractère particulier qui la distingue. Ainsi Dieu en a-t-il usé dans la
création et dans l'incarnation, qui sont, par excellence les deux chefs-d'œuvre
de sa main. Dans la création , il a tiré tous les êtres du néant, c'est sur le
néant qu'il a travaillé ; et parce qu'il agissait en Dieu, il a donné à ce
néant une fécondité infinie : dans l'incarnation, il a réparé, renouvelé,
réformé toute la nature, et, pour cela, il a eu besoin d'un Homme-Dieu ; mais
il a fallu que cet Homme-Dieu s'anéantît, afin que Dieu pût s'en servir pour
l'accomplissement du grand mystère de la rédemption du monde. Or, voilà aussi
l'idée que Jésus-Christ a suivie dans l'établissement de l'Evangile. Il voulait
convaincre l'univers que c'était l'œuvre de Dieu, et que Dieu seul en était
l'auteur. Qu'a-t-il fait? 11 a choisi des sujets vils et méprisables, des
hommes sans appui, sans crédit, sans talent ; des disciples qui furent la
faiblesse même, des apôtres qui n'eurent point d'autres armes que la patience,
point d'autres trésors que la pauvreté, point d'autre conseil que la simplicité
: Non multi potentes, non multi nobiles, sed quœ stulta sunt mundi, elegit
Deus (2). Eh quoi ! Seigneur, eût pu lui dire un sage du siècle, sont-ce là
ceux que vous destinez à une si haute entreprise ? Avec des hommes aussi
dépourvus de tous les secours humains, que prétendez-vous et qu'attendez-vous ?
Mais : Vous vous trompez, lui eût répondu ce Dieu Sauveur, vous raisonnez en
homme, et j'agis en Dieu. Ces simples et ces faibles, ce sont les ministres que
je demande, parce que j'ai de quoi les conduire et les soutenir. 1 Matth., VIII, 12. — 2 1 Cor., I, 27. S'ils avaient d'autres qualités, ils feraient paraître leur
puissance , et non la mienne. Pour faire réussir mon dessein, il me faut des
hommes qui ne soient rien selon le monde, ou qui ne soient que le rebut du
monde; et la première condition requise dans un apôtre et un prédicateur de mon
Evangile, c'est qu'il soit mort au monde et à lui-même. Tel était, si je puis parler de
la sorte, la politique de Jésus-Christ : politique sur laquelle il a fondé tout
l'édifice de sa religion, et politique dont saint Par quel moyen est-il donc venu à
bout de ce grand ouvrage, dont il se trouvait chargé? Ah ! Chrétiens, que
n'ai-je le loisir de vous le faire bien comprendre ! que n'ai-je des couleurs
assez vives pour vous tracer ici le portrait de cet apôtre ! vous y verriez la
parfaite image d'un saint Paul , c'est-à-dire un homme détaché de tout par le
renoncement le plus universel à tous les biens de la vie, à tous les honneurs du
siècle, à tous les plaisirs des sens ; un homme crucifié, et portant sur son
corps toute la mortification du Dieu pauvre et du Dieu soutirant qu'il
annonçait ; un homme immolé comme une victime, et sacrifié au salut du prochain
; un homme anathème pour ses frères, ou voulant l'être, et toujours prêt à se
livrer lui-même, pourvu qu'il pût les affranchir de l'esclavage de l'enfer et
les sauver. Mais encore par quelle vertu a-t-il fait tant de merveilles dans la
conversion de l'Orient? est-il 327 il croyable que ce soit par tout ce que nous lisons dans son
histoire? je veux dire par une abnégation totale et sans réserve, par une
humilité sans mesure, par un désir ardent du mépris, par une patience à
l'épreuve de tous les outrages, par la plus rigoureuse pauvreté, par L'amour le
plus passionné des croix et des souffrances : en un mot, par un abandon général
de tout ce qui s'appelle douceurs, commodités, intérêts propres? Est-ce ainsi
qu'il s'est insinué dans les esprits , et sont-ce là les ressorts par où il a remué
les cœurs pour les tourner vers Dieu ? Je vous l'ai dit, Chrétiens, et je le
répète ; c'est par là môme, et jamais il n'y employa d'autres moyens. En
voulez-vous la preuve ? la voici en quelques points où je me renferme : car,
dans un sujet si étendu, je dois me prescrire des bornes, et me contenter de
quelques faits plus marqués, qui vous feront juger de tous les autres. Il était d'une complexion
délicate, et la vue seule d'une plaie lui faisait horreur : mais rien n'en doit
faire à un apôtre ; il faut qu'il surmonte cette délicatesse , et qu'il
apprenne à triompher de ses sens avant que d'aller combattre les ennemis de son
Dieu. Sur cela que lui inspire son zèle ? vous l'avez cent fois entendu ; mais
pouvez-vous assez l'entendre pour la gloire de Xavier et pour votre édification?
Retiré dans un hôpital, et employé auprès des malades, quel objet il aperçoit
devant ses yeux ! et n'est-ce pas là que tout son courage est mis à l'épreuve,
et que, pour vaincre les révoltes de la nature, il a besoin de toute sa ferveur
et de toute sa force ? C'était un malade; disons mieux , c'était un cadavre
vivant, dont l'infection et la pourriture auraient rebuté la plus héroïque
vertu. Que fera Xavier? Au premier aspect son cœur malgré lui se soulève ; mais
bientôt à ce soulèvement imprévu succède une sainte indignation contre lui-même
: Eh quoi ! dit-il, faut-il que mes yeux trahissent mon cœur, et qu'ils aient
peine à voir ce que Dieu m'oblige à aimer ? Touché de ce reproche, il s'attache
à cet homme couvert d'ulcères , il embrasse ce cadavre que la foi lui fait
envisager comme un des membres mystiques de Jésus-Christ, et mille lois il
baise ses plaies avec le môme respect et le même amour que Madeleine pénitente
baisa les pieds de son Sauveur : il fait plus; mais je ménage votre faiblesse,
et je veux bien y avoir égard , pour vous épargner un récit où peut-être vous
m'accusez de ne m'être déjà que trop arrêté. Or, qui pourrait dire combien
cette victoire qu'il remporta sur lui-même lui valut pour la conquête des âmes?
De là et par ce seul effort, il devint insensible à tout le reste, pour n'être
plus sensible qu'aux impressions de la charité. De là, les hôpitaux, dont il
avait un éloignement naturel, devinrent pour lui une demeure ordinaire et
agréable; delà, il apprit à vivre parmi les pauvres , à converser et à se
familiariser avec les barbares, à les visiter dans leurs cabanes, à les
assister dans leurs besoins, à les aider de ses conseils dans leurs affaires,
et à s'attirer ainsi toute leur confiance : car ces sauvages , tout sauvages
qu'ils étaient , se trouvaient forcés de l'aimer, voyant qu'il aimait jusqu'à
leurs misères: et, témoins des secours qu'ils en recevaient dans les infirmités
de leurs corps et dans toutes les nécessités temporelles, ils lui abandonnaient
au même temps le soin de leurs intérêts éternels et la conduite de leurs âmes. Ce n'est pas assez : il faut
qu'un apôtre soit pauvre lui-même , selon l'ordre que donna le Sauveur du monde
à ces premiers prédicateurs de l'Evangile, qu'il envoya dans toutes les
contrées de la terre, sans biens, sans revenus, sans héritage, et à qui même il
marqua en termes exprès, s'ils avaient deux habits, de n'en garder qu'un , et
de n'être point en peine de leur entretien et de leur subsistance. Dans les
entreprises humaines, pour peu qu'elles soient importantes, on a besoin de
grandes ressources, et ce n'est souvent qu'à force de libéralités et de
profusions qu'on les fait réussir : mais n'avoir rien, ne posséder rien, et
dans cette extrême disette exécuter des desseins à quoi d'immenses trésors et
les plus amples largesses ne suffiraient pas, c'est là que paraît évidemment le
pouvoir et la vertu de Dieu. Autre moyen qu'employa Xavier à la conversion des
peuples. Il part de Rome pour se rendre à Lisbonne; c'est un roi qui l'invite,
c'est le souverain pontife qui l'envoie, c'est de la dignité même de légat du
Saint-Siège, aussi éminente que sacrée, qu'il est revêtu : mais quelle pompe
l'accompagne, ce ministre d'un grand roi et ce légat apostolique? en deux mots,
mes chers auditeurs, vous allez l'apprendre : un habit usé et un bréviaire,
voilà tout l'appareil de sa marche et toutes les richesses qu'il porte avec
soi. Peut-être , lorsqu'il s'agira d'entrer dans le champ du Seigneur, et que
de Lisbonne il faudra passer dans les Indes, pensera-t-il à se pourvoir ? Que
dis-je! il se croira toujours abondamment pourvu de toutes choses, tant qu'il
mettra sa confiance en Dieu, et qu'il s'abandonnera aux 328 soins de sa providence; tout autre secours, il le refusera,
se tenant plus riche de sa pauvreté que de tous les biens du monde. C'est avec le signe de cette
sainte pauvreté qu'il arrive à Mozambique, qu'il se l'ait voir à Mélinde, à
Socotora, à Coa; qu'il va mouiller à la côte de la Pêcherie, qu'il parcourt le
royaume de Travancor ; qu'il visite les îles de Manar, d'Amboine, de Ceylan,
les Moluques; vivant de ce qu'il a soin de mendier, et, du reste, aussi peu
attentif à sa nourriture, à sa demeure, à son vêtement, que s'il n'avait point
de corps à soutenir. Mais quoi ! n'était-ce pas avilir son caractère?
n'était-ce pas tenter Dieu? Non, Chrétiens, ce n'était ni l'un ni l'autre ;
car, d'une part, les dignités ecclésiastiques n'en deviendraient que plus
vénérables, et ne seraient, en effet, que plus respectées et plus révérées, si
la pauvreté de Jésus-Christ et la simplicité de l'Evangile en bannissaient
l'abondance, le luxe et le faste ; et d'ailleurs, Xavier n'ignorait pas que
Dieu ne manque jamais à ses ministres, dès qu'ils ne cherchent que lui-même et
que sa gloire, et qu'il fait même servir leur pauvreté au succès de leur
ministère : aussi combien fut efficace le désintéressement de notre apôtre
auprès de ces infidèles, qui en furent tout à la fois et les témoins et les
admirateurs? Pourquoi, disaient-ils, et comment un homme si réglé et si sage
dans toute sa conduite a-t-il quitté sa patrie , traversé tant de mers, essuyé
tant de périls, pour venir ici mener une vie pauvre et misérable? est-ce la
nature, est-ce l'amour de soi-même qui inspire un tel dessein? 11 faut donc
qu'il y ait dans son entreprise quelque chose de particulier, et au-dessus de
nos connaissances; il faut que ce soit un Dieu qui l'ait envoyé, et que la loi
qu'il nous annonce ait une vertu supérieure et toute céleste, qui nous est
cachée. Ce raisonnement était comme le préliminaire de leur conversion, et
bientôt la grâce achevait, parmi ces Indiens, ce que la pauvreté volontaire de
Xavier avait commencé. Et par quelle voie pénétra-t-il jusque dans la capitale du
Japon? 0 providence de mon Dieu! que vous êtes admirable et adorable, lorsque
vous employez ainsi la faiblesse même, la bassesse même, L'humilité même , et
l'humilité la plus profonde , à soumettre les forts, les puissants, les grands!
Oui, glorieux apôtre, c'est sur le fondement de votre humilité , comme sur la
pierre ferme, que Dieu établit cette Eglise du Japon, si célèbre par ses
combats pour la foi de Jésus-Christ, et plus célèbre encore par ses triomphes.
Le Sauveur des hommes, descendant
sur la terre, s'humilia pour nous , dit saint Paul, et pour notre rédemption ,
jusqu'à prendre la forme d'esclave: Exinanivit semetipsum, formam servi accipiens
(1). Permettez-moi, mes chers auditeurs, d'en dire par proportion autant de Combien d'esprits profanes et
imbus des maximes du monde le méprisèrent, et combien encore le mépriseraient,
en le voyant au milieu de ces enfants qui le suivaient en foule, et qu'il
recevait avec une bonté de père! Mais, chose admirable, et que nous devons
regarder comme le plus visible témoignage de la présence et 1 Philip., II, 7. 329 de l'opération miraculeuse de l'Esprit divin qui présidait à
ces saintes assemblées ! c'est de ces enfants mêmes que Xavier formait des
troupes auxiliaires , plus terribles à l'enfer que toutes les puissances de la
terre ; c'est de ces enfants mêmes qu'il faisait des apôtres; c'est à ces
enfants qu'il donnait des missions, qu'il communiquait le pouvoir de guérir les
malades, de chasser les démons, de prêcher la foi. Confiteor tibi, Pater,
Domine cœliet terrœ, quia abscondisti haie a sapientibus, et revelasti ea parvulis
(1): O mon Dieu, disait ce saint homme dans une de ses épîtres, j'adore votre
providence éternelle, d'avoir attaché à de si faibles moyens un de vos plus
grands ouvrages ! Mais je ne m'en étonne point, Seigneur; car vous ne voulez
pas que le prix de votre mort soit anéanti : or, si l'éloquence des hommes
pouvait exécuter cette entreprise, l'humilité de la croix serait inutile et
sans effet : Non in sapientia verbi, ut non evacuetur crux Christi (2).
Ensuite, s'adressant à Ignace , à qui, par une confiance filiale, il déclarait
tous les mouvements de son cœur : Plût à Dieu, poursuivait-il, que tels et tels
que nous avons connus dans l'université de Paris , remplis de science et des
plus belles qualités de l'esprit, fussent ici pour admirer avec moi la force de
la parole de Dieu, quand elle n'est point déguisée par l'artifice , ni
corrompue par l'intention ! Ils oublieraient tout ce qu'ils savent, pour ne
savoir plus que Jésus-Christ crucifié ; et au lieu de ces discours qu'ils
préparent avec tant d'étude et qu'ils débitent avec si peu de fruit, ils se
réduiraient à l'état des enfants, afin de devenir les pères des peuples. Ainsi
parlait Xavier, et de là cette belle leçon qu'il faisait à un de ses plus
illustres compagnons, recteur du nouveau collège de Goa : Barzée, lui
disait-il, que le soin du catéchisme soit le premier soin de votre charge. C'a
été l'emploi des apôtres , et c'est le plus important de notre compagnie. Ne
croyez pas avoir rien fait, si vous le négligez ; et comptez sur tout le reste,
tandis que l'on s'acquittera avec fidélité d'un exercice si utile et si
nécessaire. Or, ce que Xavier conseillait là-dessus aux autres, c'est ce qu'il
pratiquait lui-même avec d'autant plus de zèle, qu'il y trouvait tout ensemble
et de quoi s'humilier, et de quoi avancer plus sûrement et plus efficacement la
gloire de Dieu. Vous me direz qu'il s'est vu comblé d'honneurs dans les cours des rois, qu'ils l'ont reçu avec distinction dans leurs palais, qu'ils Pont invité à leurs tables, qu'ils l'ont admis dans 1 Matth.,
XI, 25. — 2 1 Cor., I, 17. leurs entretiens les plus familiers et les plus intimes. Je
le sais ; mais c'est en cela même que nous découvrons la conduite de Dieu , qui
élève les petits, qui donne à leurs paroles un attrait dont les âmes les plus
hautaines et les plus indociles se sentent touchées ; et qui, tout méprisables
qu'ils paraissent selon le monde , leur fait trouver grâce auprès des princes
et des monarques. Vous me direz qu'il faisait des miracles, et que ces miracles
si surprenants et si fréquents prévenaient les peuples en sa faveur, et le
rendaient célèbre dans l'Inde et dans le Japon. J'en conviens; mais pourquoi
Dieu lui mit-il de la sorte son pouvoir dans les mains? parce que c'était un
homme qui, sans se confier jamais en lui-même, ne se confiait qu'en Dieu; un
homme qui, sans jamais s'attribuer rien à lui-même, référait tout à Dieu ; un
homme qui, ennemi de sa propre gloire et de lui-même, ne cherchait pour
lui-même dans tous ses travaux que le travail , et ne pensait qu'à faire adorer
et aimer Dieu; enfin , un homme qui, dans le dénûment entier et le parfait
dépouillement où il s'était réduit, donnait à connaître que tout ce qu'il
opérait de plus merveilleux et de plus grand n'était l'effet ni de la prudence
, ni de l'opulence, ni de la puissance humaine, mais uniquement et
incontestablement l'ouvrage de Dieu. N'en disons pas davantage, mes
chers auditeurs ; car je n'ai pas le temps de m'étendre ici plus au long, et il
faut finir. Mais soit que nous considérions le succès de 1 2 Cor.,
XI, 5. —2 I Cor., XV, 9. 330 eut à vous faire, et il vous fit, sur ce rivage où il plut à
votre providence de l'arrêter et de terminer sa course. Si le désir peut devant
vous suppléer à l'effet, ah ! Seigneur, souhaita-t-il rien plus ardemment que
de sacrifier pour vous sa vie? Et même ne la sacrifia-t-il pas ; et une vie
volontairement exposée pour l'honneur de votre nom , et pour la propagation de
votre Eglise, à tant de fatigues sur la terre, à tant d'orages sur la mer, à
tant de traverses de la part de vos ennemis, à tant de souffrances et de
misères, ne fut-ce pas une mort continuelle et un martyre? Quoi qu'il en soit, mes Frères,
voilà le modèle que cette sainte solennité nous met aujourd'hui devant les yeux
; et quand je dis mes Frères, j'entends ceux que Dieu a choisis pour les mêmes
emplois et le même ministère que Mais le point important, mes
Frères, c'est ce que j'ai dit, et ce que Xavier nous a si bien appris, savoir,
que nous ne serons jamais des instruments dignes de Dieu, et propres à
l'avancement de sa gloire, si nous ne mourons à nous-mêmes, et si nous
n'entrons dans cet esprit d'anéantissement, qui fut l'esprit du Sauveur des
hommes et l'esprit de tous les apôtres. Voilà de quoi nous devons être
persuadés comme d'un principe de foi : avec cela, Dieu se servira de nous ;
sans cela, Dieu n'agréera jamais nos soins. Nous pourrons bien faire des
actions éclatantes, mais nous ne gagnerons point d'âmes à Jésus-Christ; le
monde nous applaudira, mais le monde ne se convertira pas; nous établirons
notre réputation, mais Dieu n'en sera pas plus glorifié : et pourquoi
voudrait-on que les choses allassent autrement? sur quoi l'espérerait-on? Dieu
a prétendu sauver le monde par l'humilité :1esauverons-nous par la recherche
d'une vaine estime et d'un taux honneur? le Fils de Dieu s'est anéanti lui-même
pour opérer le salut des pécheurs: y coopérerons-nous en nous élevant et en
nous faisant valoir? Non, non, mes Frères, cela ne sera jamais : Dieu n'a point
pris cette voie et il ne la prendra jamais. Les apôtres ont converti le monde
par l'opprobre de la croix, et c'est par là que nous le devons convertir. De là vient que quand je vois les
ouvriers évangéliques dans l'élévation et dans l'éclat, favorisés, honorés,
approuvés du monde, je tremble, et je me défie de ces avantages trompeurs ;
pourquoi? parce que je dis : Ce n'est point de la sorte que le monde a été sanctifié.
Au contraire, quand je les vois en butte à la censure et à la malignité du
monde, dans l'abjection, dans la persécution, dans le mépris et la haine du
monde, j'en augure bien : car je sais que ce sont là les moyens dont
Jésus-Christ et les premiers ministres de son Eglise se sont servis. Pardonnez-moi,
mes Frères, si je vous explique ainsi mes sentiments; je le fais plus pour ma
propre instruction que pour la vôtre. Pour vous, mes chers auditeurs,
qui n'êtes point appelés de Dieu à ces fonctions apostoliques, tout ce que j'ai
à vous demander, c'est 331 que vous soyez les apôtres de vous-mêmes, et que vous ayez
pour votre âme, chacun en particulier, le même zèle que |