PURIFICATION VIERGE

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PREMIER SERMON SUR LA PURIFICATION DE LA VIERGE.

ANALYSE.

 

Sujet. Le temps de la purification de Marie étant accompli selon la loi de Moïse, ils portèrent l'enfant à Jérusalem pour le présenter au Seigneur.

 

Tout cela se fait selon la loi, et nous apprend comment nous devons nous-mêmes observer la loi de Dieu.

 

Division. En ce que Marie obéit à la loi, nous trouvons la confusion de notre orgueil qui s'élève contre la loi de Dieu : première partie ; en ce que Marie surmonte toutes les difficultés de la loi, nous trouvons la condamnation de notre lâcheté qui se décourage au moindre effort qu'il faut faire pour garder la loi de Dieu : deuxième partie.

Première partie. En ce que Marie obéit à la loi, nous trouvons la confusion de notre orgueil qui s'élève contre la loi de Dieu. Nous nous élevons contre cette loi divine, 1° par une révolte de cœur, 2° par un aveuglement d'esprit : or, l'obéissance de Marie confond aujourd'hui l'un et l'autre.

1° Révolte de cœur, lorsque nous disons comme l'ange rebelle : Non serviam; Je ne veux point me soumettre. C'est surtout le péché des grands. Mais sont-ils plus grands que ne l'était la mère de Dieu? Non-seulement elle se soumet à la loi, mais elle y soumet son fils, c'est-à-dire un Dieu. Belle leçon et pour les grands et pour les petits. Pourquoi un Dieu-Homme sujet à la loi? pour vous faire entendre, grands du monde, l'obligation où vous êtes de vivre dans un parfait assujettissement aux lois de Dieu. Obligation spéciale pour trois raisons : 1° parce que plus vous êtes grands, plus vous êtes capables de rendre à Dieu l'hommage qui lui est dû en qualité de souverain législateur; 2° parce que Dieu ne vous a distingués dans le monde que pour le glorifier de la sorte; 3° parce que Dieu, en vous plaçant au-dessus du commun des hommes, a prétendu vous proposer au monde comme des modèles de l'obéissance que nous lui devons. Je dis plus : pourquoi une mère de Dieu, et par son ministère un Homme-Dieu, soumis à la loi? Pour trois autres raisons qui vous regardent, vous que le Seigneur a réduits au rang des petits : 1° pour vous consoler de l'état où vous êtes; 2° pour vous instruire de la manière dont vous devez obéir aux hommes pour Dieu, et à Dieu dans les hommes; 3° pour confondre vos désobéissances à la loi de Dieu, lorsque vous avez tant de soumission aux lois des hommes. Il est vrai que l'assujettissement où nous tient la loi de Dieu, nous parait gênant et humiliant : mais Jésus-Christ et Marie s'en font une gloire. Après cela laissons-nous entraîner à l'esprit du monde, ennemi de toute loi de Dieu !

2° Aveuglement d'esprit, quand nous cherchons des prétextes pour nous décharger du fardeau de la loi de Dieu. Jésus-Christ et Marie s'y soumettent, quoiqu'ils eussent un droit incontestable de s'en dispenser : Dieu, dit saint Augustin, n'ayant pas voulu que

 

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notre religion, dont Jésus et Marie jetaient alors les premiers fondements, commençât par une dispense. C'était néanmoins une dispense légitime, et presque toutes les nôtres sont fausses et abusives. Suis-je obligé à cela? dit-on; est-ce un commandement absolu pour moi? Ce n'est point ainsi que le Sauveur du monde et sa sainte mère se sont retranchés sur l'obligation; et c'est une règle qui va à nous faire violer les lois les plus indispensables. Mais ne nous y trompons pas, car Dieu en jugera tout autrement que nous.

Deuxième partie. En ce que Marie surmonte toutes les difficultés de la loi, nous trouvons la condamnation de notre lâcheté qui se décourage au moindre effort qu'il faut faire pour garder la loi de Dieu. Nous nous figurons que cette loi exige trop de nous, 1° parce qu'elle nous engage à nous dépouiller en mille occasions de ce que nous avons de plus cher; 2° parce qu'elle nous prive de certaines joies et de certaines douceurs de la vie à quoi nous sommes attachés; 3° parce qu'elle nous ordonne en bien des rencontres de renoncer à un certain honneur mondain dont nous nous piquons. Mais à cela j'oppose trois leçons que nous fait aujourd'hui Marie.

Première leçon : Marie n'a qu'un fils; et pour se soumettre à la loi, elle se résout à le sacrifier. Ce que nous avons de plus cher est-il comparable à ce Dieu-Homme? Souvent même ce que nous avons de plus cher n'est-il pas pour nous la source de mille peines? Quels motifs se proposa Marie en présentant son fils? qu'elle le sacrifiait à Dieu, qu'elle fléchissait la colère et la justice de Dieu, qu'elle attirait sur elle les faveurs de Dieu. Entrons dans les mêmes sentiments, et rien ne nous coûtera.

Seconde leçon : Marie, pour garder la loi, sacrifie toutes les joies de son âme. Siméon lui prédit qu'en conséquence de l'oblation qu'elle fait de son Fils pour être immolé sur la croix, elle sera percée d'un glaive de douleur; et déjà elle ressent tout ce qu'elle ressentira alors. Devons-nous refuser après cela de sacrifier à la loi de Dieu des joies aussi vaines que les nôtres, des joies que nous sacrifions tous les jours au monde, et à quoi l'esprit de pénitence nous oblige de renoncer.

Troisième leçon : Marie, pour accomplir la loi, sacrifie jusqu'à son honneur, puisqu'on se purifiant elle parait de même condition que les autres femmes. Or, la loi de Dieu ne nous engage à rien de si humiliant; mais tous les jours néanmoins nous l'abandonnons pour un faux honneur, et pour contenter une folle ambition.

Compliment au roi.

 

Postquam impleti sunt dies purgationis ejus secundum legem Moysi, tulerunt illum in Jerusalem, ut sisterent eum Domino.

 

Le temps de la purification de Marie étant accompli selon la loi de Moïse, ils portèrent l'enfant à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur. (Saint Luc, chap. II, 22.)

 

Sire,

 

Cet enfant, qui est aujourd'hui porté à Jérusalem , c'est le Fils unique de Dieu, égal à son Père, éternel comme lui et Dieu comme lui. Celle qui le porte, c'est Marie, mère de Dieu, la plus sainte de toutes les femmes, et la plus remplie de grâce. Le sujet pourquoi elle le porte, c'est afin de le présenter à Dieu : et l'Evangéliste, s'arrêtant à une circonstance bien remarquable, ajoute que tout cela se fait selon la loi : Sicut scriptum est in lege Domini (1) ; comme si ni Marie, ni Jésus-Christ même, ne pouvaient avec bienséance paraître devant Dieu qu'en observant la loi ; comme si eur sacrifice, tout divin qu'il est, ne devait être agréé de Dieu qu'autant qu'il se trouverait conforme à la loi ; comme si l'ouvrage du salut et de la rédemption des hommes dépendait de l'accomplissement de la loi. Que signifie cela? c'est, Chrétiens, le mystère que j'entreprends de développer, et le point auquel je m'attache pour votre instruction et votre édification. Cette obéissance à la loi du Seigneur, cette obéissance que la présentation d'un Dieu Sauveur et la purification d'une mère vierge nous prêchent si hautement, cette vertu si inconnue, et néanmoins si nécessaire, voilà l'importante matière que me fournit la solennité de ce jour. Divin Esprit, vous qui sanctifiâtes Marie par la pratique et l'observation de la loi, et qui la

 

1 Luc, II, 23.

 

conduisîtes dans le temple pour y offrir son sacrifice comme il était ordonné dans la loi, remplissez-nous des mêmes sentiments dont son âme bienheureuse fut alors pénétrée; donnez-nous comme à elle une haute idée de cette sainte et adorable loi du Seigneur ; faites-nous bien comprendre que, sans cette loi, il n'y a dans nous que corruption et que désordre ; en sorte que, du moment que nous sortons hors des bornes de cette loi, nous devenons incapables de tout bien et déterminés à tout mal. Tant de crimes qui se commettent tous les jours, et que je puis appeler les abominations et les horreurs de notre siècle, en sont une preuve visible : mais peut-être l'endurcissement de nos cœurs ferait-il perdre à cette preuve toute sa force , si les lumières de votre grâce ne venaient au secours de nos réflexions. Je parle devant le plus grand roi du monde ; et sûr que je suis de sa religion, je ne crains point de parler avec trop de liberté, tandis que je parle pour les intérêts de la loi de Dieu. Je ne vous demande pas même, ô mon Dieu, comme la vertueuse Esther, que mes paroles lui plaisent ; parce que je me promets de sa piété, qu'en lui parlant de l'excellence et de la prééminence de votre loi, non-seulement je lui plairai, mais je le persuaderai et le toucherai. J'ai besoin néanmoins, Seigneur, de votre secours; et, pour l'obtenir, je m'adresse à Marie, en lui disant : Ave, Maria.

 

C'est le propre de l'esprit de l'homme, de n'avoir rien d'uniforme dans ses sentiments, d'être souvent contraire à lui-même, et de donner, selon les situations diverses où il se

 

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trouve, dans des extrémités tout opposées. Cela se vérifie en mille sujets, mais particulièrement en celui que j'ai entrepris de traiter, qui est l'obéissance et la soumission due à la loi de Dieu. Car je découvre deux principes différents , qui forment dans l'homme une double opposition à cette obéissance ; tellement que nous pouvons dire aussi bien que l'Apôtre : Je sens dans moi-même une loi secrète qui répugne à la loi de mon Dieu , et qui me captive sous la loi du péché. Ces deux principes, suivant la belle réflexion de saint Ambroise , sont l'orgueil de l'homme et sa lâcheté : l'orgueil de l'homme, qui lui fait oublier ce qu'il doit à Dieu; et sa lâcheté, qui l'empêche de voir ce qu'il peut, et de quoi il est capable avec le secours de Dieu : l'orgueil de l'homme, qui le rend insolent et libertin; et sa lâcheté, qui le rend faible et pusillanime. L'orgueil de l'homme, qui, à l'égard de Dieu même, lui inspire de la hauteur ; et sa lâcheté, qui, à l'égard de ses devoirs, le jette dans l'abattement : l'un et l'autre, pour lui faire violer cette souveraine et divine loi que Dieu lui a imposée, mais dont la servitude, quoique aimable , du moment qu'il se pervertit, commence à lui déplaire et à lui devenir odieuse. Or je veux, Chrétiens, combattre aujourd'hui ces deux désordres; et parce que l'accomplissement de la loi consiste à éviter également ces deux extrémités dangereuses, soit en se soumettant avec humilité à ce que la loi commande, soit en s'efforçant avec courage de surmonter ce qu'il y a dans la loi de difficile, mon dessein est de graver bien avant dans vos esprits et dans vos cœurs ces deux obligations, et de vous mettre pour cela devant les yeux l'obéissance que pratique aujourd'hui Marie : car, sans sortir de mon mystère, vous verrez dans la personne de cette vierge offrant son fils en sacrifice, le modèle d'une obéissance solidement humble, et d'une obéissance courageuse et héroïque : d'une obéissance solidement humble, qui confond notre orgueil; et d'une obéissance héroïque, qui condamne notre lâcheté. Prenez garde : Marie, dans la cérémonie de ce jour, accomplit la loi du Seigneur ; et cette loi, comme l'Evangile nous le fait assez entendre , est infiniment rigoureuse pour elle. En ce qu'elle obéit à la loi, je trouve la confusion de notre orgueil : ce sera la première partie ; en ce qu'elle surmonte toutes les difficultés de la loi, je trouve la condamnation de notre lâcheté : ce sera la seconde partie ; deux points que j'ai à développer, et qui vont faire le partage de ce discours et le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Nous nous élevons au-dessus de la loi de Dieu ; et cela, Chrétiens, nous arrive en deux manières : l'une, que j'appelle révolte du cœur, lorsque, sans nous expliquer autrement que par nos œuvres, nous disons intérieurement comme l'ange rebelle : N0n serviam (1) ; il m'en coûterait trop pour vivre dans cette servitude ; que Dieu ordonne tout ce qu'il lui plaira, je ne me soumettrai point à sa loi : l'autre, que je considère comme la plus pernicieuse erreur de notre esprit, lorsque, nous trompant nous-mêmes, nous cherchons des prétextes et nous nous formons des consciences pour nous dispenser des obligations de la loi. Or le mystère que nous célébrons confond hautement ces deux entreprises de notre orgueil ; et c'est, comme vous l'allez voir, ce qui paraît d'abord dans la présentation de Jésus-Christ et dans la purification de Marie.

Quoique nés dépendants et sujets de Dieu, nous avons, mes Frères, un penchant à nous révolter contre la loi de Dieu qui nous domine: voilà l'origine de toute la corruption de l'homme. Prenant l'homme en particulier, el selon la différence des conditions qui partagent le monde, voilà le péché capital des grands du siècle, qui, de leur état, se font un principe d'indépendance, comme si la loi de Dieu n'était pas faite pour eux, comme si Dieu en la portant avait dû les excepter; comme s'il n'était pas, au contraire, de l'empire de Dieu qu'il y eût pour eux un législateur et une loi, afin, disait le Prophète royal, de leur apprendre qu'ils sont hommes : Constitue legislatorem super eos, ut sciant quoniam homines sunt (2). Donnons à cette morale toute son étendue. Voilà, dis-je, en général, le péché des impies et des libertins, qui, jusque dans l'obscurité des plus médiocres fortunes , ont souvent à l'égard de Dieu des cœurs aussi indociles que ceux qui tiennent dans le monde les premiers rangs; la licence et l'impiété faisant dans les uns ce que l'abus de la grandeur et de l'élévation fait dans les autres. Mais Marie obéissant à la loi de Moïse, et se purifiant dans le temple, confond bien là-dessus, malgré nous, notre conduite. Car enfin elle était reine, elle était mère de Dieu, elle était, comme mère de Dieu, en possession d'une autorité légitime sur l'auteur même de la loi ;  et par conséquent

 

1 Jerem., II, 20. — 2 Psalm., IX, 21.

 

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elle avait tous les titres d'indépendance que peut avoir au-dessous de Dieu une pure créature. Il est vrai ; mais c'est justement pour cela que Dieu veut qu'elle s'assujettisse à la loi, afin de détruire par son exemple l'indépendance criminelle que nous affectons, afin de condamner notre libertinage par une preuve convaincante et sans réplique. Car si dans l'ordre de la rédemption, dont le secret adorable se développe aujourd'hui à nos yeux, une mère de Dieu, toute mère de Dieu qu'elle est, n'est pas exempte d'obéir, de quel front pouvons-nous soutenir devant Dieu l'injustice et la témérité de nos désobéissances? Marie fait quoique chose encore de plus : et quoi ? non-seulement elle se soumet à la loi, mais elle y soumet son Fils, ce Fils qui, plus grand, plus libre, plus absolu qu'elle, et néanmoins voulant bien être soumis par elle, fournit encore à Dieu contre nous une raison mille fois plus touchante pour réprouver et pour confondre cet esprit d'orgueil qui nous rend prévaricateurs. C'est-à-dire, Marie soumet à la loi la grandeur même, à la loi la puissance même, à la loi l'indépendance et la souveraineté même. Car voilà le double miracle que le ciel nous découvre dans cette fête : une reine sujette et assujettissant un Dieu ; un Dieu obéissant, et présenté par une mère obéissante : pourquoi? ah ! mes chers auditeurs, comprenez-le bien. Vous qui tenez dans le monde les premiers rangs, et vous qui vous trouvez réduits aux derniers; vous que vos conditions distinguent, et vous qu'elles ne distinguent pas; grands et petits, riches et pauvres, car je suis redevable à tous, écoutez-moi : c'est ici que l'intelligence d'une des plus importantes vérités vous est donnée, et c'est par la comparaison même de vos états que je vais vous la rendre sensible.

Pourquoi un Homme-Dieu sujet à la loi? Pour vous faire entendre, grands du monde, l'obligation spéciale où vous êtes de vivre dans un parfait assujettissement aux lois de Dieu. Vous ne l'avez peut-être jamais bien conçu ; et, par un renversement de raison et de religion, vous vous flattez que la rigueur des lois divines n'est pas pour vous comme pour le reste des tommes. Mais détrompez-vous aujourd'hui de cette fausse prévention, et pour cela entrez en esprit dans le temple de Jérusalem : car vous y verrez la maxime contraire solidement établie; et pour peu que vous vous appliquiez à considérer le mystère de ce jour, vous conclurez que les lois divines vous regardent encore plus particulièrement que le reste des hommes, quoiqu'elles soient pour tous sans exception. Vous me demandez sur quoi est fondée cette conséquence? Sur trois raisons que vous devez méditer tous les jours de votre vie. Première raison, c'est que plus vous avez dans le monde ou de naissance ou de pouvoir, plus vous êtes capables de rendre à Dieu l'hommage qui lui est dû en qualité de souverain législateur ; comme il est vrai de dire que Jésus-Christ, en se réduisant sous la loi, a eu seul l'avantage d'honorer la souveraineté de Dieu autant qu'elle mérite de l'être. Motif admirable pour vous engager, tout élevés et tout puissants que vous êtes, à une obéissance exacte. Dieu trouve en vous, quand vous accomplissez sa loi, une gloire particulière, et il ne tient qu'à vous de la lui procurer, cette gloire, qui plus que tout autre contribue à sanctifier son nom, et dont par là même il est si jaloux. Seconde raison, c'est que Dieu ne vous a distingués dans le monde que pour le glorifier de la sorte : car ne croyez pas, Chrétiens, qu'il y ait des hommes ou revêtus d'honneurs, ou pourvus de biens, pour être plus en droit que les autres de faire leurs volontés, et de vivre selon leurs lois. Cela ne peut être, et Dieu, dont la toute-puissance est inséparable de sa sagesse et de sa sainteté , n'a pu, dans l'inégalité des conditions humaines, se proposer une telle fin : les rois mêmes, qui, selon l'expression du Saint-Esprit, sont comme les divinités de la terre, ne règnent que pour servir le Seigneur : Et reges ut serviam Domino (1). Voilà l'ordre de la Providence et même de la création, selon lequel ce qui approche le plus de Dieu n'est défini que par une servitude plus immédiate, et une plus grande dépendance de Dieu. Et pourquoi cet ordre ne subsisterait-il pas, puisque Jésus-Christ, qui est le chef des prédestinés, n'a été prédestiné lui-même que pour y être soumis? En quoi consiste tout le mystère de son humanité? Saint Paul nous l'enseigne en deux mots, dont nous voyons aujourd'hui l'accomplissement : Misit Deus Filium suum factum ex muliere, factum sub lege (2); un Dieu formé d'une femme, pour être assujetti à la loi. Voilà l'idée que nous en donne l'Apôtre; voilà pourquoi ce Fils de Dieu a été envoyé : hors de là, ce Verbe divin ne se serait jamais fait chair, et sans cela il n'y aurait point eu de Dieu-Homme. Serez-vous donc surpris, ou devez-vous l'être, quand j'ajoute que sans cela il n'y aurait dans le monde ni qualité, ni dignité, ni rang, ni fortune, mais

 

1 Psalm., CI, 23. — 2 Galat., IV, 4.

 

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que Dieu vous aurait laissés dans le néant ; et que, s'il vous en a tirés, c'est afin que sa loi eût en vous des observateurs fidèles et de zélés défenseurs? Je dis plus, et c'est la troisième et dernière raison : Dieu, en vous plaçant au-dessus du commun des hommes, a prétendu vous proposer au monde comme des modèles de la sainte dépendance que je vous prêche ; de même que Jésus-Christ et Marie n'ont paru dans le temple du Seigneur que pour être l'exemple d'une inviolable fidélité, et d'une parfaite soumission à sa loi. C'est-à-dire, selon saint Grégoire, pape, que Dieu prétend que les petits apprennent des grands à lui obéir, et que les grands se considèrent sur ce point comme la règle, à quoi les petits ne manquent jamais de se conformer.

Ceci me donne lieu de parler maintenant à vous, mes Frères, à vous dont le salut rne doit être d'autant plus cher et les âmes plus précieuses, qu'ayant moins de part aux avantages du siècle, vous participez moins à ses désordres et à sa corruption ; à vous que Dieu a fait naître dans des conditions plus obscures, et dont il semble que la destinée, ou, pour mieux dire, la vocation se termine à dépendre et à obéir. Pourquoi une mère de Dieu , et par son ministère un Homme-Dieu, soumis à la loi ? Pour trois autres raisons qui vous regardent, et que je vous prie de n'oublier jamais : pour vous consoler, pour vous instruire, et pour vous confondre. Pour vous consoler de l'état où vous êtes, et qui vous réduit à n'avoir pour partage que l'obéissance : c'est l'état que Jésus-Christ a choisi, ayant mieux aimé prendre la forme de serviteur que celle de maître, et se soumettre à la loi, que de donner la loi ; pour vous fortifier par cette pensée, que ceux qui sont plus élevés que vous dans le monde sont sujets comme vous à la loi de Dieu, seront jugés aussi bien que vous selon la loi de Dieu, n'éviteront pas plus que vous le tribunal où tout doit être décidé par la loi de Dieu : voilà votre consolation. Pour vous instruire de la manière dont vous devez obéir, je veux dire aux hommes pour Dieu, et à Dieu dans les hommes, en sorte que votre obéissance ne s'arrête pas à l'homme, mais qu'elle s'élève à Dieu, comme à sa fin et à son principal objet: Sicut Domino, et non hominibus (1) ; que vous regardiez ces hommes de qui vous dépendez, comme les images de Dieu ; que vous respectiez leurs lois, comme des écoulements de la loi de Dieu ; que vous receviez leurs

 

1 Coloss., III, 23.

 

commandements, comme des déclarations expresses de la volonté de Dieu : vous souvenant que sans cela l'obéissance que vous leur rendez n'est qu'une obéissance servile, qu'une obéissance païenne, qu'une obéissance réprouvée, dont Dieu ne vous tiendra jamais nul compte, et dont vous perdez tout le fruit, parce que vous ne la pratiquez pas selon le divin exemplaire qui nous est aujourd'hui proposé dans la présentation d'un Dieu Sauveur, et dans la purification d'une mère vierge : voilà votre instruction. Mais surtout, pour vous confondre de l'extrême et de l'injuste opposition que vous avez à dépendre de Dieu et à porter le joug de sa loi, lorsqu'avec tant de docilité vous vous faites un mérite, du moins une politique, de dépendre des hommes. Car en vous comparant vous-mêmes avec vous-mêmes, voici, mes Frères, le sujet de ma douleur, et ce qui me fait gémir. Vous n'osez désobéir aux hommes, et vous désobéissez à Dieu, vous êtes souples devant les hommes, et orgueilleux devant Dieu ; les lois des hommes vous contiennent dans le devoir, et vous violez impunément celles de Dieu. Saint Paul disait aux Ephésiens : Obedite dominis carnalibus sicut Christo (1) ; Obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et avec respect comme à Dieu même. Mais s'il m'était permis de changer la proposition de saint Paul, peut-être vous dirais-je volontiers : Obéissez à votre Dieu comme vous obéissez à vos maîtres selon la chair : et c'est là ce que j'appelle votre confusion. Car quelle indignité, que je me trouve obligé de souhaiter pour vous qu'au moins les choses ici fussent égales, et de me contenter que vous eussiez pour votre Dieu une obéissance aussi prompte, aussi humble, aussi fidèle que celle qu'exigent de vous les hommes, et que vous leur rendez si exactement !

Je sais, mon cher auditeur, que cet assujettissement aux lois de Dieu vous paraît gênant et humiliant; je sais que vous vous aveuglez jusqu'à croire qu'il répugne à cette liberté naturelle dont vous êtes jaloux, et que vous ne distinguez pas d'un amour déréglé de l'indépendance et d'un esprit, de libertinage. Mais votre ignorance là-dessus vient encore de n'avoir pas bien pénétré le mystère de Jésus-Christ et de Marie obéissants à la loi du Seigneur : car si je vous disais que l'obéissance à cette sainte loi, bien loin d'humilier l'homme, fait sa véritable gloire; que plus on est sujet à cette loi, plus on est heureux, plus on est libre, plus on

 

1 Ephes., V, 5.

 

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est maître de soi-même ; qu'en cela consiste la différence de cette loi et des lois humaines; qu'au lieu que l'affranchissement des lois humaines passe pour un privilège, le grand privilège de la grâce, selon saint Augustin, est d'être incapable de s'émanciper de cette loi; que David, tout roi qu'il était, instruit d'un secret si important, envisageait comme une béatitude l'attachement à cette loi, faisait son occupation la plus ordinaire de méditer cette loi, ne trouvait point de repos que dans l'observation de cette loi : Pax milita diligentibus legem tuam (1) ; ce sont autant de vérités dont la raison et la foi vous feraient, malgré vous, convenir. Mais ne fais-je pas, pour vous en convaincre, quelque chose de plus, quand je vous propose le Saint des saints sanctifié par l'obéissance qu'il rend à cette loi, ce premier-né de toutes les créatures qui s'assujettit à cette loi, ce Rédempteur par excellence qui veut être lui-même racheté selon les termes de cette loi ; quand je vous représente Marie avec toute sa grandeur et son auguste maternité, remplie d'une sainte joie, parce qu'à l'exemple de son Fils elle se conforme à cette loi? n'est-ce pas, dis-je, ce qui doit faire plus d'impression sur vos esprits et sur vos cœurs, que si je rapportais tous les raisonnements de la théologie?

Après cela, Chrétiens, laissez-vous encore séduire par les fausses maximes du siècle, et mettez le bonheur de la vie dans une malheureuse possession de ne dépendre d'aucune loi, dans une licence criminelle de tout entreprendre au préjudice de la loi, dans un oubli de vos devoirs qui aille ou à méconnaître votre Dieu, ou à vous le figurer comme un Dieu fauteur de vos désordres. A le méconnaître, en disant avec l'impie Pharaon : Quis est Dominus, ut audiam vocem ejus (2)? Et qui est-il, ce Dieu dont on me menace sans cesse, et dont on n'oppose la loi ? qui est-il, pour m'obliger à me contraindre dans mes passions, dans mes désirs, dans mes desseins? A vous le figurer Comme un Dieu fauteur de vos désordres, en disant avec l'insensé : S'il y a un Dieu, est-il tel qu'on nous le dépeint? connaît-il toutes choses? y prend-il un si grand intérêt? s'offense-t-il si aisément? a-t-il une justice si sévère ? est-il si terrible dans ses vengeances? Et dixerunt : Quomodo scit Deus, et si est scientia in excelso (3)? Car voilà le langage du pécheur ennemi de la loi, et c'est où conduit enfin l'esprit du monde. On n'en vient pas là d'abord; mais, par un progrès infaillible de l'habitude  du

 

1 Pal., CXVIII, 165.— 2 Exod., V, 2. — 3 Psal., LXXII, 11.

 

péché, on s'accoutume, sinon à parler, du moins à penser et à vivre ainsi. A force de violer la loi, la crainte de Dieu s'affaiblit, le libertinage se fortifie et prend le dessus. Après bien des péchés commis et bien des transgressions réitérées, on se trouve dans l'abominable état de celui qui disait en insultant à Dieu : Peccavi, et quid mihi triste accidit (1)? J'ai péché et que m'en est-il arrivé de mal? De là cette tranquillité que l'on conserve même en péchant; de là cette hauteur et cette fierté avec laquelle on soutient le vice; de là cet endurcissement qui y met le comble. On rejette sans distinction toute loi de Dieu qui est incommode : si l'on en respecte quelqu'une, ce n'est pas parce qu'elle est la loi de Dieu, mais parce qu'elle est autorisée des lois du monde, et que les lois du monde forcent à la garder. Au commencement on sauve les dehors ; mais à la fin on lève le masque; on ne se contraint plus en rien, on ne ménage plus rien ; et Dieu veuille qu'on ne fasse pas même gloire de son impiété et de ses excès ! Voilà ce que les Saints et les serviteurs de Dieu ont tant déploré, et ce qu'ils déplorent tant tous les jours; voilà ce qui leur a fait répandre des larmes : Defectio tenuit me pro peccatoribus derelinguentibus legem tuam (1); Je suis tombé, disait le Prophète royal, dans une espèce de défaillance, quand j'ai vu, Seigneur, jusqu'à quel point votre loi était profanée; quand j'ai vu les pécheurs de la terre, la mépriser avec insolence et la rejeter. Voilà ce qui obligeait les prophètes à paraître dans les cours des princes, pour opposer au torrent de l'impiété le zèle de la loi qui les animait; et me voici, Chrétiens, chargé du même ministère, et envoyé pour la même fin. Quand je prêche ailleurs la parole de Dieu, il me suffit de dire à ceux qui m'écoutent, s'ils ne vivent pas en chrétiens : Infortunés que vous êtes, vous avez abandonné la loi de votre Dieu, et c'est ce qui vous a perdus ! Mais parlant aujourd'hui à des grands du monde, je leur fais un reproche encore plus terrible : je leur dis, avec le prophète Malachie : Vos autem scandalizastis plurimos in lege (1); Non-seulement vous avez abandonné la loi de votre Dieu, mais vous la faites abandonner à je ne sais combien d'autres que vous scandalisez, et qui ne sont pas à l'épreuve de votre exemple. Mais cette pensée m'emporterait trop loin : revenons à notre sujet.

Outre que nous nous élevons au-dessus de la loi de Dieu par une révolte de cœur, nous tombons encore dans ce désordre par un aveuglement

 

1 Eccl., V, 4.— 2 Psalm., CXVIII, 53. — 3 Malach., II, 8.

 

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d'esprit : c'est-à-dire que nous nous laissons préoccuper de certaines erreurs, que nous cherchons des excuses et des prétextes pour nous décharger du fardeau de la loi de Dieu ; que, raisonnant selon notre sens, et nous faisant des principes à notre gré, nous adoucissons la sévérité de la loi de Dieu ; que, pour parvenir à nos fins , nous interprétons comme il nous plaît les obligations de la loi de Dieu ; et que, séduits par les artifices de l'amour de nous-mêmes dont nous sommes prévenus, nous accommodons la loi de Dieu à nos intérêts, à nos vues, à nos inclinations et à nos passions, au lieu d'accommoder nos intérêts et nos passions, nos inclinations et nos vues, à. la rigueur de la loi de Dieu. Or, voici encore Marie et Jésus-Christ même qui, par la sainteté de leur exemple, nous font évidemment connaître le danger et le dérèglement d'une conduite si pernicieuse : comment cela ? en se soumettant l'un et l'autre à une loi dont ils étaient incontestablement exceptés, aune loi qui s'expliquait d'elle-même en leur faveur, et qui, dans les termes où elle était conçue, ne portait rien qui les obligeât.

Non, mes Frères, disait saint Augustin, soit qu'on eût égard à l'esprit de la loi, soit qu'on la prît à la lettre , ni Marie, ni le Sauveur du monde ne pouvait y être compris. Car il n'y avait rien à purifier dans Marie, et le Sauveur des hommes était, par lui-même , consacré à Dieu d'une manière plus excellente qu'il ne pouvait l'être par toutes les cérémonies du judaïsme. Ils n'avaient donc l'un et l'autre qu'à user de leurs droits, puisqu'ils étaient dispensés de la loi de Moïse. Mais Dieu , ajoute saint Augustin, par une disposition merveilleuse de sa providence , ne voulut pas que notre religion , dont Jésus et Marie jetaient alors, pour ainsi dire, les premiers fondements, commençât par une dispense, quoique légitime : cette dispense, quelque autorisée qu'elle eût été, aurait pu, par les fausses conséquences que nous en aurions tirées , servir à nos relâchements, et notre amour-propre n'eût pas manqué à s'en prévaloir. Ainsi, pour nous ôter ce prétexte, le christianisme, qui devait être l'idée de la plus irrépréhensible sainteté, a-t-il commencé par une obéissance volontaire, par une obéissance gratuite, par une obéissance qui anéantit tout ce qu'une vaine subtilité peut nous suggérer contre les saintes lois que la religion nous impose ; par une obéissance qui condamne sans réserve tant de dispenses abusives que nous nous accordons , tant de singularités odieuses que nous affectons, tant d'exceptions du droit commun que nous couvrons du voile d'une prétendue nécessité , tant de raisonnements frivoles et mal fondés, tant d'opinions hardies et trop larges, tant de probabilités chimériques, tant de détours et de raffinements où nous altérons la pureté de la loi ; en sorte que, tout étroite qu'elle est, elle ne nous oblige plus qu'autant que nous le voulons et de la manière que nous le voulons. Car, quelle vertu l'exemple de l'Homme-Dieu et de sa bienheureuse mère n'a-t-il pas pour nous détromper de tout cela, et pour nous en découvrir l'illusion?

De là vient qu'en conséquence de ce mystère, notre divin Maître, instruisant ses disciples, leur déclarait si souvent ce que son humilité nous prêche aujourd'hui d'une voix bien plus forte et plus intelligible : Non veni solvere legem, sed adimplere (1) ; Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi, ni pour l'enfreindre. Comme s'il eut craint, remarque saint Chrysostome, que sa qualité de Messie et d'auteur de la nouvelle alliance ne leur donnât lieu de former cette pensée , qu'il savait ne leur pouvoir être préjudiciable. Non veni solvere , sed adimplere : Non , je ne suis pas venu pour la destruction , mais pour l'accomplissement de la loi : parole divine, et qui devait pour jamais nous fermer la bouche. C'est pour cela même que ce Sauveur adorable était si fidèle et si attaché à toutes les observances de la loi écrite , qu'il se rendait si régulièrement à Jérusalem pour y célébrer la Pâque, et que jusqu'à un seul point, il ne laissait rien passer des moindres devoirs sans y satisfaire : Iota unum aut unus apex non prœteribit a lege, donec omnia fiant (1). Par où il prétendait combattre en nous cette disposition criminelle que nous avons à disputer avec Dieu , quand il s'agit de sa loi ; par où il prétendait nous faire sentir l'injustice de notre procédé, lorsque nous ne rendons à la loi de Dieu qu'une obéissance forcée, qu'une obéissance intéressée, qu'une obéissance imparfaite , et qui se réduit toute à cette règle : Y suis-je obligé dans la rigueur? est-ce un commandement absolu? y va-t-il du salut éternel? règle trompeuse, et qui nous expose à une réprobation éternelle, puisqu'il est certain qu'entre l'obligation de la loi et le conseil il n'y a souvent qu'un pas à franchir, et que, nous conduisant de la sorte, nous marchons toujours sur le bord du précipice. Par où il prétendait nous confirmer dans cette importante

 

1 Matth., V, 17. —2 Ibid., 8.

 

maxime, que nous devons toujours prendre contre nous-mêmes le parti de la loi de Dieu ; que sur le sujet de la loi de Dieu , nous devons toujours craindre de nous tromper et de nous former de fausses consciences, que pour décider en mille occasions jusqu'où la loi de Dieu s'étend , nous ne devons point consulter les lois du monde; qu'en ce qui regarde la loi de Dieu, le seul nom de dispense nous doit faire trembler, et que nous devons nous en défendre avec tout le zèle que peut inspirer une ferme et solide religion. Car voilà, Chrétiens, les saintes leçons que nous font dans ce mystère la présentation d'un Dieu Fils de Dieu, et la purification de la reine des vierges.

Je sais, encore une fois, que si chacun de nous veut s'écouter, il n'y aura personne qui ne se croie fondé en raison pour se dispenser des lois de Dieu les plus indispensables. Et pour en venir aux espèces particulières, je sais, par exemple, que la loi qui défend l'usurpation du bien d'autrui, et qui eu ordonne la restitution, se trouvera anéantie, si l'on veut consulter la politique, qui ne manquera jamais de décider en faveur de l'ambition et de la cupidité. Je sais que la loi qui défend de se venger n'aura plus de lieu, si l'on se met en possession de donner aux vengeances les plus déclarées le nom de justice, et si chacun, se faisant droit sur ses propres injures, s'opiniâtre à ne rien rabattre de la satisfaction qu'il se croit due. Je sais que la loi qui fait de l'occasion prochaine du péché, recherchée ou entretenue, un péché déjà consommé, ne sera plus qu'un fantôme de la loi, si chacun en veut être cru ou sur ses prétendus engagements qu'il proteste ne pouvoir rompre, ou sur la confiance qu'il a dans ses forces et dans sa disposition présente. Je sais que cette loi de l'abstinence et du jeune du carême, que l'Eglise va bientôt publier, deviendra une loi chimérique, si chacun, idolâtre de sa santé, ne veut avoir égard qu'à sa délicatesse, ou, pour mieux dire, qu'à sa mollesse. En un mot, je sais qu'en suivant l'esprit du monde, qui est un esprit de licence, nous secouerons le joug des plus rigoureuses obligations, et de nos devoirs les plus essentiels. Mais où va une telle conduite , et qu'en pouvons-nous attendre ? avons-nous affaire à un Dieu qui puisse être surpris, et à qui nous puissions en imposer? Lui qui a fait la loi selon les vues de sa sagesse infinie, et qui ne nous a pas appelés à son consul quand il a voulu l'établir, s'en rapporterais à nous? en passera-t-il par nos avis, s'en tiendra-t-il à nos décisions, quand il viendra pour nous juger ? Si Jésus-Christ et Marie avaient raisonné comme nous, ce mystère de leur obéissance que je viens de vous représenter, et qui a tant contribué à notre salut, aurait-il eu son accomplissement?

Ah ! Seigneur, s'écriait le Prophète royal (et c'est la conclusion que nous devons tirer avec lui), heureux ceux qui, purs et innocents, marchent avec humilité dans la voie de votre sainte loi! Beati immaculati in via, qui ambulant in lege Domini (1) ! Heureux ceux qui cherchent cette voie avec un cœur droit, et qui, l'ayant une fois trouvée, la suivent avec une invincible persévérance! car vous l'avez ordonné, mon Dieu, et il était juste que vos lois fussent exactement gardées : autrement elles ne seraient plus vos lois, et elles n'auraient plus ce caractère de souveraineté qui leur est propre, s'il nous était permis d'attenter sur elles, et de les interpréter au gré de nos passions. Voulez-vous, Chrétiens, un abrégé de tout ce que je viens de vous dire? le voici dans ces deux paroles de saint Augustin, qui expriment ma pensée bien plus noblement et plus fortement que moi : Mariam supra legem fecerat gratia, sub lege fecit humilitas. La grâce, dit ce saint docteur, avait élevé Marie au-dessus de la loi, et l'humilité l'a assujettie à la loi ; la grâce de son innocence et de sa maternité demandait qu'elle fût libre, et l'humilité de son cœur lui a fait préférer d'être obéissante et dépendante. Au contraire, et la grâce et l'humilité nous inspirent également la soumission : pourquoi ? parce que la grâce qui est en nous, n'est autre que la grâce de la pénitence, et par conséquent de l'humilité même. Mais notre orgueil s'oppose à l'une et à l'autre, et, tout sujets que nous sommes à la loi, je dis doublement sujets, et comme hommes et comme pécheurs, il nous révolte contre Dieu. De ce que Marie s'est soumise à la loi par une humble obéissance, c'est la confusion de notre orgueil ; et de ce qu'elle a surmonté toutes les difficultés de la loi par une obéissance généreuse, c'est la condamnation de notre lâcheté, comme nous l’allons voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

C'est un principe de foi, que la loi de Dieu, quelque parfaite qu'elle puisse être, non-seulement n'est point impossible, mais qu'elle n'est pas même tellement élevée au-dessus de nous,

 

1 Psalm., CXVIII, 1.

 

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que nous ayons droit de nous plaindre de sa difficulté, et de nous en faire un prétexte pour justifier nos lâchetés et nos infidélités : Mandatum hoc, quod ego prœcipio tibi hodie, non supra te est, nec procul positum : nec in cœlo situm, ut possis dicere : Quis nostrum valet in cœlum ascendere, ut deferat illud ad nos (1) ? Le commandement que je vous fais, disait Dieu aux Israélites, n'est ni au-dessus de vos forces, ni hors de l'étendue de vos conditions; en sorte que vous puissiez dire : Qui de nous arrivera là ? et pour le garder, il ne faut ni pisser les mers, ni se retirer dans les déserts et dans les solitudes, comme s'il était bien éloigné de vous : Nec trans mare positum, ut causeris et dicas : Quis nostrum poterit transfretare (2) ? Car c'est un commandement, ajoutait le Seigneur, que j'ai mis dans vos mains, dans votre bouche et dans votre cœur : dans votre cœur, en vous le rendant aimable ; dans votre bouche, en vous faisant avouer qu'il est souverainement juste ; et dans vos mains, en vous donnant de puissants secours pour l'accomplir avec facilité : Sed juxta te est, in ore tuo, et in corde tuo, ut facias illud (3). Ainsi parlait le Dieu d'Israël par l'organe de Moïse, en publiant une loi qui néanmoins, comme nous le savons, était une loi de crainte, une loi de rigueur et de servitude. Qu'aurait-il dit, c'est l'excellente réflexion de saint Augustin, et que n'aurait-il pas pu dire, s'il avait été question de publier la loi évangélique, qui est une loi de grâce, une loi d'amour et de liberté?

Cependant, Chrétiens, nous établissons un principe tout contraire ; et pour avoir de quoi nous défendre de toutes les accusations que cette sainte et adorable loi formera contre nous un jour, ou qu'elle forme déjà devant Dieu, nous l'accusons elle-même de n'être pas assez proportionnée à notre faiblesse ; nous nous la figurons dans un degré de sévérité où nous prétendons que nul de nous ne peut atteindre; et, par une pusillanimité dont nous voudrions la rendre responsable , nous disons sans cesse, comme l'Israélite prévaricateur : Quis in cœlum ascendet ? Et qui est l'homme qui pourra jamais parvenir à un point de sainteté si sublime? en un mot, nous nous persuadons que cette loi, pour exiger trop de nous, est absolument au-dessus de nous : et pourquoi? appliquez-vous à ceci : Parce qu'elle nous engage, disons-nous , à nous dépouiller en mille occasions de ce que nous avons de plus cher; parce

 

1 Deut., XXX, 12. — 2 Ibid., 13. — 3 Ibid., 4.

 

qu'elle contredit certaines affections tendres de notre cœur, et qu'elle nous oblige à les étouffer; parce qu'elle nous prive de certaines joies et de certaines douceurs de la vie à quoi nous sommes attachés ; parce qu'elle nous ordonne de renoncer à un certain honneur mondain dont nous nous piquons, et que souvent elle nous réduit à paraître devant les hommes dans des états très-humiliants. Car voilà ce que nous concevons de plus rigoureux dans la loi chrétienne, et où volontiers nous supposerions que notre faiblesse, secourue même de la grâce, ne peut s'élever. Mais envisageons aujourd'hui Marie; et, témoins de sa fermeté et de sa constance, instruisons-nous et confondons-nous. Car voici les importantes leçons que nous pouvons tirer de la conduite de cette vierge, et que nous devons opposer aux sentiments lâches qui nous arrêtent : leçons que nous rendent sensibles les trois principales circonstances de ce mystère, c'est-à-dire le sacrifice que fait Marie du bien le plus précieux pour elle et le plus cher, qui est son Fils; le sacrifice qu'elle fait de toutes les douceurs de la vie, en acceptant le glaive de douleur dont Siméon lui prédit que son âme sera percée ; surtout le sacrifice qu'elle fait de son honneur, en voulant paraître, comme les autres femmes, impure et pécheresse, elle qui était l'innocence et la pureté même. Ah! Chrétiens, que n'ai-je le zèle des apôtres pour vous faire sentir, mais efficacement, mais vivement, toute la force d'un si grand exemple!

Première leçon : Marie n'a qu'un fils, et, pour obéir à la loi, elle se résout à le sacrifier. Ce fils qu'elle aimait de l'amour le plus tendre, ce fils qu'elle avait conçu par miracle, ce fils en qui elle possédait tous les trésors, elle l'offre dans le temple de Jérusalem ; mais elle l'offre de la manière la plus héroïque, sans condition et sans réserve, sachant les ordres rigoureux que le ciel a portés, et qui doivent un jour s'exécuter dans la personne de ce divin enfant; consentant déjà qu'il soit la victime et le prix de la rédemption des hommes ; renonçant pour cela à tous les sentiments de son cœur; et, par un dernier effort de la plus généreuse et de la plus rigoureuse obéissance, voulant bien que ce fils ne soit plus à elle, qu'avec le triste, mais l'indispensable engagement de le voir dans la suite des années immolé sur la croix; voilà ce qu'il en a coûté à Marie pour accomplir la loi. Or est-ce là, mes chers auditeurs, ce qu'il nous en doit coûter à nous-mêmes? Il est vrai, pour obéir à la loi de Dieu,

 

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il nous en doit quelquefois coûter le sacrifice de ce que nous avons de plus cher; mais confessons-le de bonne foi, et ne nous déguisons rien à nous-mêmes : ce que nous avons alors de plus cher, est-il assez considérable pour le faire tant valoir à Dieu? quelque cher qu'il nous soit, du moment qu'il répugne à la loi de Dieu, n'est-ce pas ce qui nous trouble? n'est-ce pas ce qui nous dérègle? n'est-ce pas ce qui nous corrompt? n'est-ce pas ce qui nous décrie? et enfin n'est-ce pas ce qui nous damne ? Si la loi de Dieu nous retranche un mal aussi pernicieux que celui-là, avons-nous sujet de nous en plaindre; et la sainte violence qu'elle nous fait en nous obligeant à un renoncement si salutaire, doit-elle passer pour un excès de rigueur? prenez garde,   s'il vous plaît;  ceci mérite une réflexion particulière. Dans cette sainte solennité, Dieu nous dit comme à Marie, ou, si vous voulez, comme à Abraham : Tolle unigenitum tuum quem diligis, et offer illum mihi in holocaustum (1); Sacrifie-moi ce premier-né, c'est-à-dire cette passion dominante qui est dans ton cœur. Cela nous semble dur; mais, en même temps, faisant un retour sur nous, nous sommes contraints d'avouer que cette passion dominante est, par exemple, un attachement honteux qui nous déshonore, un esclavage des sens qui nous abrutit, une loi de péché qui nous captive et qui nous tyrannise : mais en même temps nous sommes forcés de reconnaître que cet attachement dont   nous nous faisons une passion , n'est qu'âne fascination d'esprit,   qu'un   ensorcellement de cœur, qu'une source d'égarements dans notre conduite , et de dérèglements dans nos affections et dans nos actions ; mais en même temps l'expérience   nous   montre que cette passion ,  dont nous  sommes   possédés , n'a point d'effet plus présent   ni  plus  ordinaire que de remplir notre âme  de chagrins,  de jalousies, de remords, de désespoirs; que, tandis que cette passion nous dominera, nous n'aurons jamais de paix ni avec Dieu, ni avec nous-mêmes; que   notre   conscience,  notre raison, notre foi, s'élèveront toujours contre elle ; qu'elle nous exposera même à la censure du monde, et qu'ainsi le monde, tout corrompu qu'il est, préviendra, par son jugement, le jugement terrible de Dieu que nous avons à craindre : en un mot, nous sentons bien que cette passion, avec ses prétendus charmes, du moment que nous nous y sommes livrés, est comme un démon qui s'est emparé de nous,

 

1 Genes., XXII, 2.

 

et qui, malgré nous, nous fait trouver dans nous-mêmes une espèce d'enfer. Or, cela étant, quelle plainte avons-nous droit de former contre la loi de Dieu? et quand il nous dit : Tolle; Délivre-toi, chrétien, de cet enfer, sors de cet esclavage, arrache cette passion de ton cœur, pouvons-nous lui répondre : Seigneur, vous m'en demandez trop?

Ah ! mes Frères, reprend saint Chrysostome, si Dieu en usait avec nous dans toute l'étendue de sa puissance, et que, sans nul égard au plus et au moins de ce qu'il nous en peut coûter, mesurant les choses par la seule règle de ce qui lui est dû, il nous commandât de lui sacrifier nos inclinations même les plus innocentes et les plus légitimes; s'il disait à l'un : Descends de cet état de grandeur qui te distingue dans le monde ; à l'autre : Dépouille-toi de ces biens que tu as si justement acquis ; à celui-ci : Oublie cet enfant qui est l'espérance de ta maison; à celui-là : Romps ce commerce,  quoique honnête,   que   tu entretiens avec cet ami, et qui fait la douceur de ta vie ; si Dieu, dis-je, nous parlait de la sorte, nous n'aurions rien à répliquer ; et pour le seul respect de sa loi, nous devrions être disposés à tout. Amitié, grandeur, intérêts,  famille,  il faudrait abandonner tout : pourquoi? parce qu'en matière de loi, dit Tertullien , mais particulièrement de loi divine, l'autorité de celui qui commande ne doit point être mise en comparaison avec l'utilité de celui qui obéit. Mais Dieu, mes chers auditeurs, tient à notre égard une conduite bien différente ; et, par une condescendance digne de lui, il ne nous fait point de loi qui ne nous soit avantageuse. Que nous dit-il? Sacrifie-moi, chrétien, ce qui te nuit, ce qui te perd, ce qui te damne, car tout le reste, je le laisse à ton pouvoir; possède ces biens dont je t'ai pourvu, mais défais-toi de cet amour criminel, qui serait le principe de ta réprobation; mets-toi au-dessus de cet ennemi que tu nourris dans ton sein, et qui t'éloignerait de la voie du salut; quitte ce péché dont tu t'es fait une habitude, et qui, par les dégoûts et les amertumes dont il est mêlé, te fait bien payer par avance les faux plaisirs que tu y goûtes. Voilà comment Dieu nous traite, plutôt en père qu'en souverain et en législateur : et ne sommes-nous pas inexcusables si, pour autoriser nos lâchetés, nous osons encore alléguer que le joug de sa loi est dur et pesant?

Il est dur de renoncer à ce qu'on a de plus cher; mais moi, je soutiens que cela n'est dur

 

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que parce qu'il ne nous plaît pas de l'adoucir par les grands et puissants motifs que Marie se proposa dans la présentation du Sauveur. Car, comme remarque saint Bernard, ce qui rendit à Marie l'accomplissement de cette loi, je ne dis pas supportante, mais aimable, ce fut la vue qu'elle eut, qu'en présentant son fils, elle le sacrifiait à Dieu, elle fléchissait la colère et la justice de Dieu, elle s'acquittait elle-même des obligations infinies qu'elle avait à Dieu, elle attirait sur elle et sur nous les faveurs de Dieu : voila ce qui l'anima , et ce qui lui fit surmonter cette tendresse maternelle qui s'opposait à son sacrifice. Or, à qui tient-il que nous n'agissions dans les mêmes vues? et que, dans la nécessité où nous nous trouvons quelquefois d'accomplir un précepte qui combat la nature et à quoi elle répugne, nous ne nous soutenions par ces pensées : Il est vrai que ce qu'on me demande et ce qu'il faut que je sacrifie, c'est ce que j'aime uniquement; mais parla je donnerai à Dieu ce qu'il attend de moi ; mais par là je montrerai à Dieu que je veux reconnaître ses dons, et les grâces qu'il a répandues sur moi ; mais par là j'apaiserai Dieu, justement courroucé contre moi; mais parla, tout pécheur que je suis, j'engagerai Dieu à avoir compassion de moi ; mais par là je me rendrai Dieu propice, je le mettrai dans mes intérêts, je le porterai à user de miséricorde envers moi. Au lieu que cette passion a fait jusqu'à présent tout mon désordre, du moment que je la sacrifierai, elle fera devant Dieu tout mon mérite. Si nous avions ces motifs présents à l'esprit, quel précepte nous paraîtrait rigoureux? et si, pour ne nous pas aider de ces motifs, la loi nous devient pénible, devons-nous nous en prendre à d'autres qu'à nous-mêmes? Il est dur de sacrifier sans condition et sans réserve ce que l'on aime : mais moi, je prétends qu'on le fait bien tous les jours pour obéir aux lois du monde. Car, pour satisfaire à certaines lois du monde, que: n'abandonne-t-on pas, et de quoi ne se prive-t-on pas? Vous me direz que les lois du monde ne vont pas jusqu'au sacrifice du cœur : et n'est-ce pas pour cela même, répond saint Ambroise, qu'elles sont plus dures, en nous obligeant à sacrifier tout, tandis que le cœur n'y consent pas et qu'il y contredit? au lieu que la loi de Dieu ne nous oblige à rien à quoi elle ne dispose notre cœur, jusqu'à nous en faire aimer la difficulté.

Seconde leçon : Pour garder la loi de Dieu il y a des douceurs dans la vie dont il faut se passer: et c'est encore ce qui effraie notre amour-propre. Car, quelque disposition que l'on ait à vivre dans l'ordre , on se propose toujours, en vivant ainsi, un certain état de douceur; et souvent même c'est cette douceur que l'on cherche, en se réduisant à l'ordre : et un des faibles les plus ordinaires de la piété est de se rebuter de l'ordre, dès qu'on n'y trouve pas cette douceur. Mais Marie nous apprend bien aujourd'hui à nous préserver de cet écueil : pour accomplir la loi du Seigneur, cette vierge incomparable sacrifie toutes les joies de son âme. Je m'explique. Elle sait bien que ce qu'elle va faire, en présentant Jésus-Christ, doit être pour elle une source de douleurs; elle voit déjà Siméon qui lui montre le glaive dont elle sera percée ; elle entend l'oracle du ciel qui lui est annoncé par ce saint vieillard, et elle n'ignore pas que la prédiction qu'il lui fait est le commencement de son martyre. Il n'importe : le zèle de la loi la presse : elle entre dans le temple, elle paraît devant Siméon, elle lui met son fils entre les bras; et par ces paroles prophétiques : Tuam ipsius animam pertransibit gladius (1) ; elle reçoit de lui le coup mortel. Car ne pensez pas qu'elle n'en ait senti l'effet qu'au Calvaire, lorsqu'elle assista au crucifiement de son fils. Tout ce qu'elle doit souffrir alors, elle le souffre dès aujourd'hui, et dès aujourd'hui elle peut dire qu'elle est attachée à la croix. Mais pourquoi faut-il qu'en obéissant à la loi, elle endure ce martyre douloureux? Ah! Chrétiens, parce qu'elle était prédestinée pour nous enseigner cette grande vérité, que là où il s'agit de la loi de Dieu, ;il n'y a ni plaisir, ni douceur de la vie à ménager. Or en voici la preuve authentique : car si des joies aussi saintes et aussi pures que les siennes ont dû être sacrifiées, il n'est pas juste, dit saint Bernard, que nous épargnions les nôtres, qui sont vaines, qui sont toutes profanes, qui nous dissipent, et qui nous font perdre l'Esprit de Dieu. Et si la mère de Dieu, qui, par excellence entre toutes les femmes, était bienheureuse, a néanmoins consenti, en se soumettant à la loi, d'être la plus affligée, nous ne devons pas si aisément nous rebuter de cette divine loi, pour quelques peines qu'il y a à supporter en l'observant. Mais le moyen, direz-vous, de mener une vie insipide et ennuyeuse ? car voilà le spécieux prétexte dont se couvre la lâcheté de tant d'âmes mondaines, quand on leur parle d'une soumission parfaite à la loi de Dieu : Le moyen de soutenir cet état? Mais,

 

1 Luc, II, 35.

 

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mon cher auditeur, comment le soutenez-vous tous les jours dans les engagements malheureux que vous avez avec le monde? Comment le soutenez vous dans la dépendance servi le où vous vous réduisez pour suivre toutes les volontés et tous les caprices d'un homme dont vous recherchez la faveur? comment le soutenez-vous, quand votre ambition ou votre cupidité vous le commande? Si vous agissiez par l'esprit de la foi, je vous dirais que la grâce, qui est toute-puissante , saura bien vous adoucir cet ennui que vous craignez. Si vous connaissiez le don de Dieu, vous confesseriez que ces joies courtes et passagères auxquelles on renonce pour Dieu sont abondamment compensées par des consolations bien plus solides, et bien plus propres à remplir la capacité de votre cœur. Et si, au défaut de toute autre considération, vous vouliez vous souvenir des désordres où vous avez vécu, vous vous estimeriez heureux de trouver dans cet ennui et dans cet éloignement des fausses joies du monde de quoi faire pénitence ; et cette pénitence, quoique secrète et cachée, surpasserait en mérite toutes ces pénitences et ces réformes d'éclat, que la vanité quelquefois soutient plus que la religion. Quoi qu'il en soit, je vous dis qu'il est indigne que, sur un devoir aussi important que l'observation de la loi de Dieu, vous apportiez une excuse aussi frivole que l'est cet ennui prétendu qui vous y paraît attaché.

Troisième et dernière leçon : Marie, pour obéir à la loi, sacrifie jusqu'à son propre honneur, puisqu'en se purifiant elle paraît de même condition que les autres femmes. Ainsi l'éclat de sa virginité est obscurci; de cette virginité dont elle avait été si jalouse dans le mystère de l'incarnation ; de cette virginité dont la gloire est de briller au dehors, et de ne pas laisser voir la moindre tache. Elle consent à en perdre la réputation et le nom; et de toutes les humiliations, voilà, j'ose le dire, la plus difficile à soutenir, d'être pure devant Dieu comme le soleil, et de paraître impure aux yeux des hommes. Tel est néanmoins le sacrifice que fait la plus sainte de toutes les vierges : pourquoi?afin de ne pas manquer à la loi. Or, cette loi de Dieu , mes chers auditeurs, ne nous oblige à rien de si humiliant. Elle veut que nous paraissions ce que nous sommes ; qu'étant essentiellement soumis au souverain domaine de Dieu, nous ne rougissions point des services qu'il exige de nous, et des hommages que nous devons lui rendre ; surtout,  qu'étant véritablement impurs et pécheurs, nous n'ayons pas honte des pratiques de la pénitence, qui doivent servir à nous laver, à nous réconcilier, à nous acquitter auprès de la justice divine. Mais que faisons-nous? Par le plus étrange renversement, nous voulons être pécheurs et paraître justes : Marie abandonne les apparences, pourvu qu'elle soit du reste assurée de conserver le trésor de sa virginité ; et vous , souvent peu en peine de la chose même , vous ne cherchez qu'à sauver les apparences. Du moins , n'est-ce pas précisément alors le faux honneur du monde qui vous fait garder la loi de Dieu? Mais en combien d'autres occasions cette adorable loi est-elle sacrifiée ? Parce qu'on veut s'élever et tenir un certain rang, on viole toutes les lois de l'équité et de la justice, on opprime le faible, on trompe le simple, on forme mille intrigues contre des égaux et des concurrents ; on emploie contre eux le crédit, l'artifice, la médisance, la calomnie, et sur leur ruine on établit sa fortune et les fondements de sa grandeur. Parce qu'on est prévenu de cette damnable maxime, qu'en matière d'injure il faut avoir raison de tout, et qu'autrement on est sans honneur; malgré la loi la plus authentique et la plus expresse qui nous ordonne de pardonner, quels ressentiments ne conserve-t-on pas? quels desseins ne conçoit-t-on pas? à quelles extrémités et à quelles vengeances ne se porte-t-on pas? On ne veut point entendre parler d'accommodement, on exige pour une offense assez légère, mais dont on se fait un monstre, des satisfactions infinies; ou , pour mieux dire, on ne sera jamais satisfait qu'on n'ait vu périr cet homme de qui l'on se croit offensé, et qu'on ne l'ait perdu. Parce qu'on craint la raillerie, et qu'on s'y exposerait en se distinguant des autres, tout instruit qu'on est de la loi, tout disposé qu'on esta l'observer, on se laissé aller au torrent, engager par l'exemple, dominer par le respect humain ; et au lieu de mettre sa gloire à servir Dieu, on la met à le déshonorer et à l'outrager. Ah ! mon Dieu, faudra-t-il donc que pour un fantôme d'honneur qui nous séduit, tous vos droits vous soient refusés, qu'on trahisse tous vos intérêts, qu'on renverse tous vos desseins, qu'on s'oppose à toutes vos volontés , qu'on méprise et qu'on foule aux pieds toutes vos lois? Et vous, ô homme, ne comprendrez-vous jamais en quoi consiste votre véritable grandeur? que c'est à dépendre du premier de tous les Maîtres, à vous attacher inviolablement a lui, à vous approcher continuellement de lui,

 

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à combattre généreusement pour lui, à vous rendre grand devant lui, à vous attirer son estime, et à mériter ses faveurs : tout cela par où? par l'accomplissement de sa loi.

C'est, Sire, ce que Votre Majesté a si bien compris ; c'est de cette loi de Dieu que vous faites gloire d'être le défenseur et le vengeur. Avoir fait des prodiges dans la guerre, vous être rendu l'arbitre de la paix, l'avoir donnée à toute l'Europe aux conditions qu'il vous a plu, avoir forcé par la seule crainte de votre nom toutes les puissances à la recevoir, vous être surmonté vous-même, en arrêtant le cours de vos conquêtes; ce sont, Sire, des éloges auxquels la flatterie n'a point de part, que l'envie même ne peut vous disputer, que vos ennemis, malgré eux , ont publiés aussi hautement que nous, et dont votre modestie commence à être fatiguée. Il y a, Sire, une autre gloire d'autant plus solide, que l'objet en est plus saint ; une gloire qu'un roi très-chrétien ne peut acquérir que par son zèle pour la loi du Seigneur, et c'est ce que Dieu vous réservait pour mettre le comble à votre auguste destinée. Ces saintes ordonnances contre le duel, que Votre Majesté vient de renouveler, et pour l'exécution desquelles vous vous êtes fait une religion, si j'ose ainsi m'exprimer, de n'être presque plus maître de vos grâces ; ces déclarations qui sortent chaque jour de votre conseil, si avantageuses à l'Eglise, et si sages pour contenir l'hérésie dans les bornes que les édits de vos ancêtres lui ont prescrites ; ces tribunaux érigés pour exterminer le libertinage et le vice, ce sont autant de preuves, et de preuves authentiques, du zèle qui vous anime. Il y avait dans la France des monstres cachés, et Votre Majesté est le héros que Dieu a suscité poulies étouffer et les écraser. Le sacrilège, l'impiété, l'homicide, suites funestes mais infaillibles de la débauche et de la licence des mœurs, se répandaient dans le monde ; et c'est à vous, Sire, que le monde sera redevable d'en être purgé. Il fallait un monarque aussi puissant, aussi éclairé, aussi religieux que vous, pour prendre ainsi la cause de Dieu en main, pour faire de la loi de Dieu votre propre loi, et pour être le restaurateur du bon ordre et de la sûreté publique. Vous soutiendrez, Sire, votre ouvrage : vous y emploierez toute votre autorité, et par votre autorité royale vous y mettrez la dernière perfection. Autrefois, l'irréligion, la profanation des choses saintes, les jurements, les blasphèmes régnaient à la cour ; mais ils y sont devenus des noms odieux, parce que Votre Majesté les a proscrits. Que ne peut-elle point encore contre d'autres désordres, et que doit-elle omettre de tout ce qu'elle peut pour les abolir? Voilà, Sire, comment vous serez fidèle à la loi du souverain Maître qui vous a placé sur le trône, et fait part de son pouvoir pour la défendre : voilà ce qu'elle attend de vous. Mais autant que vous serez fidèle à la loi de Dieu, autant cette sainte loi vous sera-t-elle, selon l'expression du Sage, fidèle elle-même : Et lex illi fidelis (1). Elle conduira vos pas, elle dirigera vos conseils, elle réglera vos entreprises, elle attirera sur votre personne sacrée toutes les bénédictions du ciel, et elle vous fera enfin mériter la couronne immortelle que je vous souhaite, etc.

 

1 Eccli., XXXIII, 3.

 

 

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