DIMANCHE DE PAQUES

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SERMON POUR LE DIMANCHE DE PAQUES.
SUR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. L'ange dit aux femmes : Ne craignez point; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié : il est ressuscité, il n'est plus ici ; voici le lieu où on l'avait mis.

Sainte et merveilleuse résurrection, qui doit servir de fondement à la foi et à l'espérance chrétienne.

Division. Le Fils de Dieu, dit saint Augustin, nous présente tout à la fois, dans sa résurrection, et un grand miracle, et un grand exemple. Miracle de la résurrection de Jésus-Christ, preuve incontestable de sa divinité ; c'est par là qu'il continue notre foi : première partie. Exemple de la résurrection de Jésus-Christ, gage assuré de notre résurrection future; c'est par là qu'il anime notre espérance : deuxième partie.

Première partie. Miracle de la résurrection de Jésus-Christ, preuve incontestable de sa divinité. Pourquoi la révélation de la divinité de Jésus-Christ était-elle surtout attachée à sa résurrection? 1° parce que sa résurrection était la preuve que cet Homme-Dieu devait expressément donner aux Juifs pour leur faire connaître sa divinité ; 2° parce que cette preuve était en effet la plus naturelle et la plus convaincante de sa divinité; 3° parce que, de tous les miracles de Jésus-Christ faits par la vertu de sa divinité, il n'y en a point eu de si avéré que la résurrection de son corps; 4° parce que c'est celui de tous qui a le plus servi à la propagation de la foi et à l'établissement de l'Evangile, dont la substance et le capital est de croire en Jésus-Christ, et de confesser sa divinité.

1° La résurrection de Jésus-Christ était la preuve que cet Homme-Dieu devait expressément donner aux Juifs pour leur faire connaître sa divinité. Car, pendant sa vie, il leur avait toujours donné cette preuve préférablement à toute autre : marque évidente, dit saint Chrysostome, que, dans le dessein de Dieu, la résurrection de Jésus-Christ avait été ordonnée comme le signe de sa filiation divine. De là dépendait la foi de tout le reste : qu'eussent dit les Juifs et ses propres disciples, s'il ne fût pas ressuscité, après avoir prédit tant de fois qu'il ressusciterait?

2° La résurrection de Jésus-Christ était en effet la preuve la plus naturelle et la plus convaincante de sa divinité; car quel miracle, que de se ressusciter soi-même?

3° La résurrection de Jésus-Christ est, de tous les miracles, le plus avéré. Les Juifs mêmes contribuèrent à le confirmer, en demandant à Dilate qu'il mit des gardes autour du sépulcre ; car, on ne peut pas due que ses disciples aient enlevé son corps : les gardes l'auraient-ils permis? De plus, à quel dessein ses disciples auraient-ils enlevé son corps, et pourquoi se seraient-ils tant intéressés pour un homme dont ils eussent reconnu l'imposture, si tout ce qu'il leur avait dit de sa résurrection se fût trouvé faux?

4° La résurrection de Jésus-Christ est, de tous les miracles, celui qui a le plus servi à la propagation de la foi et à rétablissement de l'Evangile, dont la substance et le capital est de croire en Jésus-Christ et de confesser sa divinité. Avec quel zèle les apôtres ont-ils publié par toute la terre cette résurrection du Fils de Dieu, et qui ne sait pas quel a été le succès de leur prédication? Disons donc à Jésus-Christ, connue saint Thomas : Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu. Servons-nous de la foi de sa résurrection et de sa divinité pour vaincre le monde : car, disait saint Jean : Quel est celui qui triomphe du monde, sinon celui qui croit que Jésus-Christ est Dieu?

Deuxième partie. Exemple de la résurrection de Jésus-Christ, gage assuré de notre résurrection future. Nous trouvons tout à la fois dans cette résurrection, 1° le principe, 2° le motif, 3° le modèle de la nôtre.

1° Le principe par où Dieu peut nous ressusciter : car la résurrection miraculeuse de Jésus-Christ est l'effet d'une force souveraine et toute-puissante. Or, s'il a pu, par sa toute-puissance, se ressusciter lui-même, pourquoi ne pourra-t-il pas nous ressusciter? Ainsi raisonnaient saint Paul et le saint homme Job.

2° Le motif qui engage Dieu à nous ressusciter : car il est naturel que les membres soient unis au chef; et quand le chef se ressuscite lui-même, n'est-ce pas une suite, qu'il doit ressusciter ses membres avec lui? Or, notre chef, c'est Jésus-Christ, et nous sommes tous les membres de Jésus-Christ.

3° Le modèle sur lequel Dieu veut nous ressusciter. Car, selon le témoignage de saint Paul, quand Dieu ressuscitera nos corps,

 

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ce sera pour les conformer au divin exemplaire qui nous est proposé dans la résurrection de Jésus-Christ, en sorte que nous aurons, pour ainsi parler, la même incorruptibilité, la même impossibilité, la même immortalité, la même clarté, etc.

Les grandes vérités! Malheur au libertin qui ne les croit pas, malheur au chrétien qui les croit, et qui vit comme s'il ne les croyait pas! mais heureux le fidèle qui, non content de les croire, en fait la règle de sa vie, et en tire de puissants motifs pour animer sa ferveur!

Compliment au roi.

 

Respondens autem angelus, dixit mulieribus : Nolite expavescere : Jesum quaeritis Nazarenum, crucifixum : surrexit, non est hic ; ecce locus ubi posuerunt eum.

 

L'ange dit aux femmes : Ne craignez point ; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié : il est ressuscité, il n'est plus ici ; voici le lieu où on l'avait mis. (Saint Marc, chap. XVI, 6.)

 

SIRE,

 

Ces paroles sont bien différentes de celles que nous voyons communément gravées sur les tomberai des hommes. Quelque puissants qu'ils aient été, à quoi se réduisent ces magnifiques éloges qu'on leur donne, et que nous lisons sur ces superbes mausolées que leur érige la vanité humaine? A cette triste inscription : Hic jacet; ce grand, ce conquérant, cet homme tant vanté dans le monde, est ici couché sous cette pierre et enseveli dans la poussière, sans que tout son pouvoir et toute sa grandeur l’en puisse tirer. Mais il en va bien autrement à l'égard de Jésus-Christ. A peine a-t-il été enfermé dans le sein de la terre, qu'il en sort dès le troisième jour, victorieux et tout brillant de lumière; en sorte que ces femmes dévotes qui le viennent chercher, et qui, ne le trouvant pas, en veulent savoir des nouvelles, n'en apprennent rien autre chose, sinon qu'il est ressuscité et qu'il n'est plus là : Non est hic (1). Voilà, selon la prédiction et l'expression d'Isaïe, ce qui rend son tombeau glorieux : Et erit sepulchrum ejus gloriosum (2). Au lieu donc que la gloire des grands du siècle se termine au tombeau , c'est dans le tombeau que commence la gloire de ce Dieu-Homme. C'est là, c'est, pour ainsi parler, dans le centre même de la faiblesse, qu'il fait éclater toute sa force; et jusqu'entre les bras de la mort, qu'il reprend par sa propre vertu une vie bienheureuse et immortelle. Admirable changement, Chrétiens, qui doit affermir son Eglise, qui doit consoler ses disciples et les rassurer, qui doit servir de fondement à la foi et à l'espérance chrétienne : car tels sont, ou tels doivent être les effets de la résurrection du Sauveur, comme j'entreprends de vous le montrer dans ce discours. Saluons d'abord Marie, et félicitons-la, en lui disant : Regina cœli, etc.

 

1 Matth., XXVIII, 6. — 2 Isa., XI, 10.

 

Oui, Chrétiens, un des plus solides fondements et de notre foi et de notre espérance, c'est la glorieuse résurrection de Jésus-Christ. Je le dis après saint Augustin ; et m'attachant à sa pensée, je trouve en deux paroles de ce Père le partage le plus juste, et le dessein le plus complet. Car selon la belle remarque de ce saint docteur, le Fils de Dieu, dans sa résurrection, nous présente tout à la fois et un grand miracle et un grand exemple : In hac resurrectione et miraculum, et exemplum. Un grand miracle pour confirmer notre foi : miraculum ut credas; et un grand exemple, pour animer notre espérance : exemplum ut speres. En effet, c'est sur cette résurrection du Sauveur des hommes que sont établies les deux plus importantes vérités du christianisme, dont l'une est comme la base de toute la religion, savoir, que Jésus-Christ est Dieu ; et l'autre est le principe de toute la morale évangélique, savoir, que nous ressusciterons un jour nous-mêmes, comme Jésus Christ. Ainsi, mes chers auditeurs, sans une plus longue préparation, voici ce que j'ai aujourd'hui à vous faire voir. Miracle de la résurrection de Jésus-Christ, preuve incontestable de sa divinité : c'est par là qu'il confirme notre foi, et ce sera la première partie. Exemple de la résurrection de Jésus-Christ, gage assuré de notre résurrection future: c'est par là qu'il anime notre espérance, et ce sera la seconde partie. Deux points d'une extrême conséquence. Dans le premier, Jésus-Christ, par sa résurrection nous apprendra ce qu'il est; dans le second, Jésus-Christ, par cette même résurrection, nous apprendra ce que nous serons. L'un et l'autre renferme ce qu'il y a dans le christianisme de plus sublime et de plus relevé. Plaise au ciel qu'ils servent également à votre instruction et à votre édification !

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

C'est une grande parole, Chrétiens, et qui mérite d'être écoutée avec tous les sentiments de respect que la religion est capable de nous inspirer, quand saint Paul nous dit que l'auguste mystère de la résurrection a établi dans le monde la foi de la divinité de Jésus-Christ : Qui prœdestinatus est Filius Dei in virtute, ex

 

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resurrectione mortuorum, Jesu Christi Domini nostri (1). Ainsi parlait l'Apôtre, persuadé, rempli, pénétré de cette vérité. Nous adorons, mes Frères, un Sauveur qui a été prédestiné Fils de Dieu, en vertu de sa résurrection glorieuse. Au lieu de prédestiné , le texte grec et le syriaque portent manifesté et déclaré ; mais saint Ambroise concilie ces deux versions, en disant que Jésus-Christ, qui était un Dieu caché dans son incarnation, devait, selon  l'ordre de sa prédestination éternelle, être un Dieu révélé et un Dieu connu dans sa résurrection : Christus latens in incarnatione, prœdestinatus erat ut declararetur Filius Dei in resurrectione. Je ne sais, mes chers auditeurs, si vous avez jamais fait réflexion à une autre proposition bien remarquable du même apôtre, dans cet excellent discours qu'il fit au peuple d'Antioche, et qui est rapporté au livre des Actes. Voici comment s'expliquait le docteur des Gentils : Et nos vobis annuntiamus eam, quœ ad patres nostros repromissio facta est, quoniam hanc Deus adimplevit, ressuscitans Jesum, sicut  in secundo psalmo scriptum est : Filius meus es tu ; ego hodie genui te (2) ; Nous vous annonçons l'accomplissement d'une grande promesse  que Dieu avait faite à nos pères, et qui a été durant tant de siècles le sujet de leur espérance et de leurs vœux. Dieu a voulu que nous, qui sommes leurs enfants, eussions  l'avantage de la voir enfin consommée; et l'exécution de cette promesse est qu'il a ressuscité Jésus, selon ce qui est écrit dans le Psaume : Vous êtes mon Fils, et c'est aujourd'hui que je vous ai engendré. Que signifie cela, Chrétiens? et de quel jour saint Paul prétendait - il parler? Si c'était de celui où Jésus-Christ, comme Fils de Dieu et comme Verbe incréé, est engendré de son Père, pourquoi l'appliquait-il au mystère de sa résurrection? et s'il l'entendait du jour où Jésus-Christ, comme Dieu-Homme, est ressuscité selon la chair, pourquoi faisait-il mention de sa génération éternelle? Ressuscitans Jesum, sicut scriptum est : Ego hodie genui te. Quel rapport de l'un à l'autre? Ah! répond saint Ambroise, il est admirable, et jamais l'Apôtre n'a parlé plus   conséquemment;   pourquoi? parce qu'en effet la résurrection de Jésus-Christ a été pour lui une seconde naissance,  mais bien plus heureuse et plus avantageuse que la première, puisqu'en renaissant pour ainsi dire, du tombeau, il a fait éclater visiblement dans sa personne ce caractère de Fils de Dieu, dont il était revêtu. Et c'est pour cela que le Père

 

1 Rom., I, 4. — 2  Act., XIII, 33.

 

 

éternel le reconnaît singulièrement dans ce mystère, et lui adresse ces paroles dans un sens particulier : Filius meus es tu; ego hodie quod te ; Oui, mon Fils, c'est en ce jour que je vous engendre pour la seconde fois, mais d'une manière qui justifiera parfaitement la grandeur de votre origine, et la vérité de cet être divin que vous avez reçu de moi : Filius meus es tu, id est, meum hodie te probasti esse Filium. Comme s'il lui disait : Tandis que vous avez été sur la terre, quoique vous fussiez sans contestation Fils de Dieu, on ne vous a considéré que sous la qualité de Fils de l'homme. Mais maintenant que vous triomphez de la mort, et que vous êtes régénéré à la vie de la gloire, vous vous rendez à vous-même un témoignage si authentique de la divinité qui habite en vous, qu'elle ne peut plus désormais vous être disputée ; et quoique j'aie toujours été votre Père dans le temps et dans l'éternité, je ne laisse pas de m'en faire aujourd'hui un honneur spécial, distinguant ce jour bienheureux entre tous les autres jours qui ont composé votre destinée, et le choisissant pour déclarer à tout l'univers que vous êtes mon Fils : Filius meus es tu; ego hodie genui te.

Mais venons au fond de la question ; et pour nous instruire d'une vérité aussi essentielle que celle-ci, voyons dans quel sens et comment il est vrai que la résurrection de Jésus-Christ établit particulièrement la foi de sa divinité. Car vous médirez : Le Sauveur du monde, pendant le cours de sa vie mortelle, n'avait-il pas fait des miracles qui l'autorisaient dans la qualité qu'il prenait de Fils de Dieu? Les démons chassés , les aveugles-nés guéris, les morts de quatre jours ressuscites, n'était-ce pas autant de démonstrations , mais de démonstrations palpables et sensibles, du pouvoir tout divin qui résidait en lui? quel effet plus singulier devait avoir sa résurrection , pour confirmer cette créance? Ecoutez-moi, Chrétiens, voici le nœud de la difficulté, et comme le point décisif du mystère que je traite. Je dis que la révélation de la divinité de Jésus-Christ était surtout attachée à sa résurrection : Qui prœdestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum (1) ; pourquoi? pour quatre raisons, ou plutôt pour une seule renfermée dans ces quatre propositions : parce que la résurrection de Jésus-Christ était la preuve que cet Homme-Dieu devait expressément donner aux Juifs pour leur faire connaître sa divinité : parce que cette preuve était en effet la plus naturelle et la plus

 

1 Rom., I, 4.

 

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convaincante de sa divinité : parce que, de tous les miracles de Jésus-Christ faits par la vertu de sa divinité , il n'y en a pas un qui ait été si avéré, ni d'une évidence si incontestable que celui de la résurrection de son corps ; et parce que c'est celui de tous qui a le plus servi à la propagation de la foi et à l'établissement de l'Evangile, dont la substance et le capital est de croire en Jésus-Christ et de confesser sa divinité : d'où vient que les chrétiens des premiers siècles, voulant exprimer dans un mot l'idée qu'ils se formaient de la résurrection du Sauveur, par un usage reçu entre eux, rappelaient simplement le Témoignage ; jusque-là que l'empereur Constantin, ayant bâti dans la nouvelle Jérusalem un superbe temple sous le titre de Jésus-Christ ressuscité, lui donna le nom de Martyrium, c'est-à-dire, Testimonium. Et saint Cyrille, patriarche de la même ville , en apporte la raison; savoir, que ce temple était consacré à un mystère que Dieu avait lui-même choisi, pour être le témoignage solennel de la divinité de son Fils.  C'est ce que vous verrez,  Chrétiens, dans l'exposition   de ces quatre articles que je vais vous développer.

Car premièrement, n'est-ce pas une remarque bien solide, qu'autant de fois que Jésus-Christ se trouve , dans l'Evangile, pressé par les Juifs sur le sujet de sa divinité, et qu'ils lui en demandent des preuves, il ne leur en donne jamais d'autre que sa résurrection , dont il se sert ou pour convaincre leurs esprits, ou pour confondre leur incrédulité? Cette nation infidèle, disait-il, veut être assurée par un miracle de ce que Je suis; et elle n'aura point d'autre miracle que celui du prophète Jouas, ou plutôt, que celui dont le prophète Jonas fut la figure; savoir, qu'après avoir été enfermé trois jours dans le sein de la terre, j'en sortirai comme Jonas sortit du ventre de la baleine : Generatio prava signum quœrit, et signum non dabitur ei, nisi siguum Jonœ prophetae (1). Vous me demandez, ajoutait-il en s'adressant aux pharisiens, par quel miracle je vous montre que j'ai droit d'user du pouvoir absolu et de l'autorité indépendante que je m'attribue : Quod signum ustendis nabis quia hœc facis (2) ? Or, voici par où je veux que vous en jugiez : c'est qu'après que vous aurez détruit, par une mort cruelle et violente, ce temple visible, qui est mon corps, je le rétablirai dès le troisième jour dans le même état, et dans un état même plus parfait : Solvite templum hoc , et in tribus diebus excitabo illud (3). Prenez garde, s'il vous plaît,

 

1 Matth., XII, 39. —  2 Joan., II, 18. — 3 Ibid., 19.

 

Chrétiens : il pouvait leur produire cent autres miracles, qu'il opérait au milieu d'eux; mais il les supprime tous , et vous diriez qu'en les faisant il ne se proposait rien moins que de faire connaître aux hommes sa divinité : car, s'il change l'eau en vin aux noces de Cana , c'est par une déférence comme forcée à la prière de Marie ; s'il délivre la fille de la Chananéenne, c'est pour se délivrer de l'importunité de cette femme ; s'il ressuscite le fils de la veuve, c'est par une pure compassion. Dans la plupart même de ces actions surhumaines , après avoir laissé agir sa toute-puissance, il recommande le secret à ceux qui en ont ressenti la vertu. Et quand il découvre aux trois disciples la gloire de sa transfiguration , où le Père céleste parlant en personne, le reconnaît pour son Fils bien-aimé, il leur défend d'en rien publier, jusqu'à ce qu'il soit ressuscité d'entre les morts : Nemini dixeritis visionem, donec Filius hominis a mortuis resurgat (1). Pourquoi cela? par la raison qu'en apporte saint Chrysostome, que dans le dessein de Dieu la résurrection de Jésus-Christ ayant été ordonnée pour être le signe de la filiation divine, c'était elle qui devait mettre le sceau à tous les autres miracles, et qui en devait consommer la preuve. De là dépendait la foi de tout le reste ; car ce Sauveur des hommes ayant dit : Je suis égal à mon Père et Dieu comme lui, et, pour faire voir que je le suis, je ressusciterai trois jours après ma mort ; s'il n'eût pas été tel qu'il prétendait, il était impossible qu'il ressuscitât, parce que Dieu alors, en concourant au miracle de sa résurrection, eût autorisé l'imposture et le mensonge. Si donc, après cette déclaration , il est ressuscité , il fallait aussi, par une suite nécessaire, qu'il fût Dieu. Etant Dieu, tous ses autres miracles subsistaient , puisqu'il est naturel à un Dieu de faire des miracles. Et au contraire , s'il n'était pas ressuscité, la créance de sa divinité se trouvait détruite par sa propre bouche; sa divinité détruite, ses miracles ne devaient plus avoir de force, ses paroles n'étaient que fausseté, sa vie qu'artifice et illusion, toute la foi chrétienne qu'un fantôme; et voilà le sens littéral de ce passage de saint Paul : Si autem Christus non resurrexit, inanis est prœdicatio nostra, inanis est et fides vestra (2). Tout cela, encore une fois, parce que Jésus-Christ avait marqué la résurrection de son corps comme le caractère distinctif de sa divinité.

Mais pourquoi choisissait-il celui-là préférablement à tous les autres? Ah! Chrétiens, en

 

1 Matth., XVII, 9. — 2 1 Cor , XV, 14.

 

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pouvait-il choisir un plus éclatant et plus sensible que de se ressusciter lui-même? Le miracle, dit saint Augustin, est, pour les créatures intelligentes, le langage et la voix de Dieu, et le plus grand de tous les miracles est la résurrection d'un mort : mais entre toutes les résurrections, quelle est la plus miraculeuse? n'est-ce pas, poursuit ce saint docteur, de se rendre la vie à soi-même, et de se ressusciter par sa propre vertu? Ce n'est donc point sans raison que Jésus-Christ s'attachait spécialement à ce signe, pour vérifier qu'il était Dieu et Fils de Dieu. En effet, il n'appartient qu'à un Dieu de dire comme lui : Potestatem habeo ponendi animam meam, et iterum sumendi eam (1) ; J'ai le pouvoir de quitter la "vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre; l'un m'est aussi facile que l'autre; et comme je ne la quitterai que quand je voudrai, aussi la re-prendrai-je quand il me plaira. Il n'y a, dis-je, qu'un Dieu qui puisse s'exprimer de la sorte. Avant Jésus-Christ (ne perdez pas cette réflexion de saint Ambroise, également solide et ingénieuse), avant Jésus-Christ, on avait vu dans le monde des hommes ressuscites, mais ressuscites par d'autres hommes. Elisée, par le souffle de sa bouche, avait ranimé le cadavre du fils de la Sunamite; et, par la prière d'Elie, l'enfant de la veuve de Sarepta, mort de défaillance et de langueur, avait été rendu à sa mère désolée, plein de vigueur et de santé. Mais, comme remarque saint Ambroise, ceux qui étaient alors ressuscites ne recevaient la vie que par une vertu étrangère; et ceux qui opéraient ces miracles ne les faisaient que dans des sujets étrangers. La merveille inouïe, c'était que le même homme fit tout à la fois le double miracle, et de ressusciter, et de se ressusciter. Car c'est ce qu'on n'avait jamais entendu : A sœculo non est auditum (2); et voilà le miracle que Dieu réservait à son Fils, afin de déclarer au monde qu'il était tout ensemble homme et Dieu : homme, puisqu'il était ressuscité; et Dieu, puisqu'il s'était ressuscité : Ut ostenderet quoniam erat in ipso, et ressuscitatus homo, et ressuscitans Deus. Mystère adorable que saint Jérôme, par ce don de pénétration qu'il avait pour bien entendre les Ecritures, observe dans ces paroles du Psaume, qui, selon la lettre même, conviennent à Jésus-Christ, et ne se peuvent rapporter qu'à lui : Aestimatus sum cum descendentibus in lacum : factus sum siciut homo sine adjutorio, inter mortuos liber (3). On m'a mis au rang des

 

1 Joan., X, 17. — 2 Ibid., IX, 32. — 3 Psal., LXXXVII, 6.

 

morts, et l'on a cru qu'en mourant je ne devais point avoir d'autre sort que le commun des hommes; mais il y a eu néanmoins entre eux et moi deux grandes différences : l'une, que j'ai été libre entre les morts : Inter mortuos liber ; et l'autre, que parmi les morts je n'ai eu besoin du secours de personne : Sicut homo sine adjutorio. Que veut-il dire, Chrétiens? C'est-à-dire que Jésus-Christ est entré dans le royaume de la mort, non pas comme son sujet, mais comme son souverain; non pas comme esclave, mais comme vainqueur ; non pas comme dépendant de ses lois, mais comme jouissant d'une parfaite liberté : Inter mortuos liber. De sorte que, pour en sortir par la voie de la résurrection, il ne lui a fallu que lui-même : point de prophète qui priât pour lui, qui lui commandât de se lever, qui le tirât par violence du tombeau, parce qu'étant Dieu il ne devait être aidé que de sa vertu toute-puissante : Factus sum sicut homo sine adjutorio, inter mortuos liber. Paroles, ajoute saint Jérôme, que le Saint-Esprit semble avoir dictées pour composer l'épitaphe de Jésus-Christ, qui devait ressusciter.

Il est donc vrai que la résurrection de cet Homme-Dieu était la preuve la plus authentique qu'il pouvait donner de sa divinité; et c'est pourquoi toute la Synagogue, conjurée contre lui, fit de si puissants efforts pour empêcher que la créance de cette résurrection ne fût reçue dans le monde. Tous les Juifs étaient persuadés que si l'on croyait une fois, et s'il était constant que Jésus-Christ fût ressuscité, dès là il se trouverait dans une pleine possession et de la qualité de Messie, et de celle de Fils de Dieu. Mais qu'est-il arrivé? Par une conduite tonte merveilleuse de la Providence, de tous les articles de notre religion, ou plutôt de tous les miracles sur quoi est fondée notre religion, il n'y en a aucun dont le fait ait été si avéré, ni dont l'évidence soit si incontestable : en sorte, dit saint Augustin, qu'un païen même et un infidèle, examinant sans préoccupation toutes les circonstances de ce miracle, est forcé d'en reconnaître la vérité. Et ce qui est encore plus étonnant, continue ce saint docteur, c'est que les deux choses qui naturellement auraient dû être des obstacles à la foi de cette résurrection, savoir, la haine des pharisiens et l'incrédulité des apôtres, sont justement les deux moyens que Dieu a employés pour l'appuyer et pour la fortifier. Oui, les ennemis de Jésus-Christ les plus passionnés ont malgré eux contribué, par leur haine même, à

 

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vérifier le miracle de la résurrection de son corps, et par conséquent à établir notre foi. Car prenez garde, Chrétiens : à peine Jésus-Christ est-il expiré, qu'ils s'adressent à Pilate ; et que lui représentent-ils? Nous nous souvenons que ce séducteur a dit, lorsqu'il était encore vivant : Je ressusciterai trois jours après nia mort ; il s'y est publiquement engagé, et il a voulu qu'on éprouvât par là s'il était fidèle et véritable dans ses paroles. Tout le peuple est dans l'attente du succès de cette prédiction : et si son corps venait maintenant à disparaître il n'en faudrait pas davantage pour confirmer une erreur aussi pernicieuse que celle-là. Il est donc important d'y pourvoir, et nous venons à vous pour le faire avec plus d'autorité. Allez, leur répond Pilate, vous avez des gardes, usez-en comme il vous semblera bon : je vous donne tout pouvoir. Et aussitôt le sépulcre est investi de soldats ; la pierre qui en ferme l'ouverture est scellée ; on n'omet rien pour une entière sûreté. Quel effet de cette prévoyance ! Point d'autres que d'écarter jusqu'aux moindres doutes et jusqu'aux plus légers soupçons sur la résurrection de Jésus-Christ. Car, malgré toutes leurs précautions et tous leurs soins, le corps du Sauveur, après trois jours de sépulture, ne s'étant plus trouvé dans le tombeau, que pouvaient dire les pharisiens? Que ses disciples l'avaient enlevé à la faveur de la nuit, et tandis que la garde était endormie? Mais, reprend saint Augustin, comment a-t-on pu approcher du sépulcre, lever la pierre, emporter le corps, sans éveiller aucun des soldats? D'ailleurs, si la garde était endormie, d'où a-t-elle su qu'on l'avait enlevé, et qui l'avait enlevé? et si elle n'était pas endormie, comment a-t-elle souffert qu'on l'enlevât? Quelle apparence que les disciples, qui étaient la faiblesse et la timidité même, soient devenus tout à coup si hardis, et qu'au travers des gardes, avec un danger visible de leurs personnes, ils aient osé ravir un corps mis en dépôt sous le sceau public? De plus, quand ils l'auraient osé, à quel dessein voudraient-ils faire croire aux autres une chose dont la fausseté leur aurait été clairement connue?que pourraient-ils espérer de la? Car s'ils avaient enlevé le corps, il leur était évident que Jésus-Christ n'était pas ressuscité, et qu'il les avait trompés; et comme ils s'étaient exposés pour lui à la haine de toute leur nation, il était naturel que, se voyant ainsi abusés, bien loin de soutenir encore ses intérêts, ils le renonçassent, déclarant aux magistrats que c'était un imposteur ; témoignage que toute la Synagogue eût reçu avec un applaudissement général, et qui leur eût gagné l'affection de tout le peuple : au lieu que, publiant sa résurrection, ils ne devaient attendre que les traitements les plus rigoureux, les persécutions, les prisons, les fouets, la mort même.

Cependant voilà l'unique défaite des Juifs, pour éluder le miracle de la résurrection de Jésus-Christ : Ses disciples enlevèrent son corps. Ce n'est pas seulement de l'évangéliste que nous l'apprenons, mais de Justin, martyr, lequel, ayant été juif de religion, était mieux instruit que personne de leurs traditions. Ils répandirent, dit-il, dans le monde, que le sépulcre avait été forcé. Mais le mensonge était si visible, que la résurrection du Sauveur ne laissa pas de passer pour constante parmi le peuple. Josèphe lui-même n'en a pu disconvenir, quelque intérêt qu'il eût à obscurcir la gloire du Fils de Dieu : et afin que la gentilité aussi bien que le judaïsme rendît hommage à ce Dieu ressuscité, Pilate, selon le rapport de Tertullien, bien informé de la vérité, et déjà chrétien dans sa conscience, en écrivit à Tibère : Ea omnia super Christo Pilatus, et ipse pro conscientia sua jam christianus, Tiberio renuntiavit. Sur quoi ce Père n'a pas craint d'ajouter que les empereurs auraient cru dès lors en Jésus-Christ, s'ils n'avaient été, comme empereurs, nécessaires au siècle, ou si les chrétiens, qui renonçaient au siècle, avaient pu être empereurs : Si aut Cœsares non fuissent sœculo necessarii, aut Christiani potuissent esse Cœsares. Mais ce qui me surprend au delà de tout le reste, et ce que nous ne pouvons assez admirer, c'est de voir les apôtres, qui, pendant la vie de leur Maître, ne pouvaient pas même comprendre ce qu'il leur disait de sa résurrection ; qui, dans le temps de sa passion, en avaient absolument désespéré, et qui rejetaient après sa mort, comme des fables et des rêveries, ce qu'on leur racontait de ses apparitions : de voir, dis-je, des hommes si mal disposés à croire, ou plutôt si déterminés à ne pas croire, devenir les prédicateurs et les martyrs d'un mystère qui, jusque-là, avait été le plus ordinaire sujet de leur incrédulité, aller devant les tribunaux et les juges de la terre, confesser une résurrection dont ils s'étaient toujours fait une matière de scandale, ne pas craindre de mourir pour en confirmer la vérité, et s'estimer heureux, pourvu qu'en mourant ils servissent à Jésus-Christ, glorieux et triomphant, de témoins fidèles. Qui fit ce changement

 

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en eux, et qui était capable de le faire, sinon l'assurance et la foi de sa résurrection? Mais une foi si ferme, après une incrédulité si obstinée, n'était-elle pas un coup de la main du Très-Haut? Hœc mutatio dexterœ Excelsi (1). Aussi est-ce en vertu de cette foi, je dis de la foi d'une résurrection si miraculeuse, que le christianisme s'est multiplié, que l'Evangile a fait dans le monde des progrès inconcevables, et que la divinité du Sauveur, malgré l'enfer et toutes ses puissances, a été crue jusqu'aux extrémités du monde. Nous n'avons qu'à considérer l'origine et la naissance de l'Eglise. Jamais les apôtres ne prêchaient Jésus-Christ dans les synagogues, qu'ils ne produisissent sa résurrection comme une preuve sans réplique : Hunc Deus suscitavit tertia diei. C'est celui, disaient-ils sans cesse, qui est ressuscité le troisième jour ; celui que le Dieu de nos pères a glorifié, en le délivrant de la mort ; celui que vous avez crucifié, mais qui depuis s'est montré dans l'état d'une vie nouvelle. On dirait que c'était là le seul article qui rendait leur prédication efficace et invincible. Car en quoi faisaient-ils paraître la force de ce zèle apostolique dont ils étaient remplis? A rendre témoignage de la résurrection de Jésus-Christ : Virtute magna reddebant apostoli testimonium resurrectionis Jesu Christi Domini nostri (1). En cela consistait tout le soin et tout le fruit de leur ministère ; jusque-là même que lorsqu'il fallut procéder à l'élection d'un nouveau disciple, en la place du perfide Judas, la grande raison qu'ils apportèrent fut qu'ayant vu ce qu'ils avaient vu, et qu'étant au Sauveur du monde ce qu'ils lui étaient, ils devaient s'associer quelqu'un pour être avec eux témoin de sa résurrection : Oportet enim testent resurrectionis ejus nobiscum fieri unum ex istis (2); comme si leur apostolat eût été réduit à ce seul point. Et en effet, ajoute saint Luc, tout le monde se rendait à la force de ce témoignage. Les Juifs n'y pouvaient résister , les Gentils en étaient persuadés, le nombre des chrétiens croissait tous les jours ; et nous apprenons de saint Chrysostome , qu'immédiatement après la profession de foi que faisaient les catéchumènes, en reconnaissant que Jésus-Christ était ressuscité, on leur conférait le baptême. Pourquoi cela? Parce que, professer la résurrection de Jésus-Christ c'était professer qu'il était Dieu; et professer qu'il était Dieu, c'était embrasser sa religion,

 

1 Psalm , LXXVI, 11. — 2 Act., X, 40. — 3 Act., IV, 33. — 4 Act., I, 21.

 

puisqu'il est certain que toute la religion chrétienne est fondée sur la divinité de Jésus-Christ, et que la divinité de Jésus-Christ ne nous a été authentiquement révélée que par le miracle de sa résurrection.

Arrêtons-nous ici, et pour répondre au dessein de Dieu dans ce mystère, élevons-nous par les sentiments de la foi au-dessus de notre bassesse. Entrons, si j'ose m'exprimer de la sorte , dans le sanctuaire de la divinité, de Jésus-Christ qui nous est ouvert ; et profitant de la fête que nous célébrons, disons avec les vieillards de l'Apocalypse, prosternés devant le trône de l'Agneau : Dignus est Agnus qui occisus est, accipere virtutem et divinitatem (1). Oui, l'Agneau sacrifié pour nous mérite de recevoir l'hommage que toute l'Eglise lui rend aujourd'hui. En adorant son Etre divin, faisons a ce Sauveur la même protestation que lui fit saint Pierre : Tu es Christus Filins Dei vivi (2). Vous êtes le Fils du Dieu vivant ; ou pour la concevoir dans des termes d'autant plus forts et plus énergiques qu'ils sont plus simples et plus naturels, servons-nous de l'expression de saint Thomas : Dominus meus, et Deus meus (3). Mon Seigneur et mon Dieu ! expression qui confondait autrefois l'impiété arienne, et qui fermera éternellement la bouche à l'infidélité des libertins. Au lieu qu'avant la résurrection du Fils de Dieu, et Thomas et les autres apôtres se contentaient de lui dire : Magister, Domine (4); Seigneur, Maître ; maintenant qu'il est ressuscité, faisons-nous un devoir de lui répéter cent fois : Dominus meus, et Deus meus. Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu ; et vous me le faites connaître si évidemment dans votre résurrection , que j'aurais presque lieu de craindre qu'elle ne fît perdre à ma foi une partie de son mérite. Car je sens mon âme toute pénétrée des vives lumières qui sortent de votre humanité sainte, et qui sont comme les rayons de la divinité qu'elle renferme. Je ne comprenais pas ce que saint Paul voulait faire entendre aux Hébreux, quand il leur disait que le Père éternel avait commandé aux anges d'adorer son Fils dans le moment qu'il ressuscita , et qu'il fit sa seconde entrée dans le monde : Et cum iterum introducit primogenitum in orbem terrœ , dicit : Et adorent cum omnes angeli Dei (5); mais j'en vois maintenant la raison : c'est que Jésus-Christ, en ressuscitant, montra à tout l'univers qu'il était Dieu, et que l'adoration

 

1 Apoc, V, 12. — 2 Matth., XVI, 16. — 3 Joan., XX, 28.— 4 Matth., XXII, 16. — 5 Hebr., 1, 6.

 

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est le culte propre de Dieu, et uniquement affecté à Dieu. Voilà pourquoi le Père éternel voulut que ce culte fût rendu solennellement à Jésus-Christ par tous les esprits bienheureux : Et adorent eum omnes angeli Dei, De savoir pourquoi il s'adressa aux auges et non pas aux hommes, pour leur donner cet ordre, ah! mes Frères, dit saint Jérôme, expliquant ce passage, c'est noire instruction d'une part, mais notre confusion de l'autre. Car il ne s'adressa aux anges que dans la connaissance anticipée qu'il eut de l'ingratitude, de la dureté, de l'insensibilité des hommes. Il ne s'adressa aux anges que parce qu'il prévit que les hommes seraient des esprits mondains, qui, bien loin d'adorer Jésus-Christ en vérité, l'outrageraient, le blasphémeraient, et par le dérèglement de leur vie le couvriraient de honte et d'opprobre. Il est vrai que les hommes, encore plus que les anges, devaient adorer ce Dieu renaissant du tombeau, puisque c'était leur Sauveur, et non pas le Sauveur des anges : mais les désordres des hommes, le libertinage des uns, l'hypocrisie des autres, l'orgueil de ceux-ci, la lâcheté de ceux-là, c'est ce qui détermina le Père céleste à recourir aux anges comme à des créatures plus fidèles, quand il voulut procurer à son Fils unique le tribut d'honneurs qui lui était dû en conséquence de sa résurrection : Et cum iterum introducit primogenitum in orbem terrœ, dicit : Et adorent cum omnes angeli Dei; comme s'il eût dit : Que les anges soient ses adorateurs, puisque les hommes sont des impies qui le scandalisent. Car c'est le reproche que chacun de nous a dû se faire aujourd'hui dans l'amertume de son âme : reproche qui suffirait pour nous tirer de l'assoupissement où nous sommes et pour ranimer notre foi ; reproche qui, par une suite nécessaire, produirait notre conversion et le changement de nos mœurs.

En effet, cette foi de la divinité de Jésus-Christ a sanctifié le monde; et n'est-ce pas par cette même loi que le monde qui nous enchante, et dont les maximes nous corrompent, doit être sanctifié dans nous? Si j'ai cette foi, ou je suis juste, ou je suis dans la voie de l'être : si je ne l'ai pas, il n'y a dans moi que péché et qu'iniquité. Qui est celui, demande le bien-aimé disciple saint Jean, qui triomphe du monde, sinon celui qui croit que Jésus-Christ est Dieu? Quis est qui vincit mundum, nisi qui credit quoniam Jesus est Filius Dei (1)? C'est-à-dire, quel est celui qui, maître de ses passions, est réglé

 

1 Joan., V, 4.

 

dans sa conduite, modéré dans ses désirs, continent, patient, charitable, sinon celui qui se laisse gouverner et conduire par la foi de ce Dieu Sauveur? au contraire, quel est celui qui demeure toujours esclave du monde et de ses concupiscences, esclave de l'ambition, esclave de l'intérêt, esclave de la sensualité, si ce n'est pas celui qui a renoncé à cette foi, ou en qui cette foi est languissante? Quis est qui vincit mundum, nisi qui credit quoniam Jesus est Filius Dei? Consultez l'expérience, et vous verrez avec quelle raison parlait l'Apôtre. La prudence humaine a cru pouvoir se maintenir indépendamment de cette foi, et en a voulu secouer le joug; mais on sait de quelle manière elle y a réussi, et les tristes effets de cette indépendance criminelle. On a vu des chrétiens s'ériger en philosophes, et, laissant Jésus-Christ, s'en tenir à la foi d'un Dieu : mais, par une disposition secrète de la Providence, leur philosophie n'a servi qu'à faire paraître encore davantage l'égarement de leurs esprits et la corruption de leurs cœurs. Il semble qu'avec la connaissance d'un Dieu, ils devaient être naturellement sages et naturellement vertueux : mais parce qu'on ne peut être solidement vertueux et sage que par la grâce, que la grâce est attachée à Jésus-Christ, que Jésus-Christ ne nous est rien sans la foi, que la foi qui nous unit à lui est celle qui nous révèle sa divinité, de là vient qu'avec toutes ces belles idées de sagesse, ils ont été des insensés, des emportés; qu'ils se sont laissé entraîner au torrent du vice, qu'ils ont succombé aux plus honteuses passions; qu'ils se sont, comme dit saint Paul, évanouis dans leurs propres pensées, et qu'affectant d'être philosophes, ils ont même cessé d'être des hommes. Au contraire, où a-t-on trouvé l'innocence et la pureté de la vie? Dans cette sainte et divine foi, qui nous apprend que Jésus-Christ est vrai Fils de Dieu : Quis est qui vincit mundum, nisi qui credit quoniam Jesus est Filius Dei ? Voilà ce qui nous justifie; voilà ce qui nous ouvre le trésor des grâces et des vertus; voilà ce qui nous donne accès auprès de Dieu, pour avoir part un jour à cette bienheureuse résurrection qui nous est promise. Résurrection de Jésus-Christ, preuve incontestable de sa divinité : c'est par là qu'il confirme notre foi. Résurrection de Jésus-Christ, gage assuré de notre résurrection future : c'est ainsi qu'il anime notre espérance, comme vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

De tous les articles de notre religion, il n'y en a aucun, dit saint Augustin, qui ait été plus contredit que la résurrection des hommes, parce qu'il n'y en a point qui les retienne plus dans le devoir, et qui les assujettisse davantage aux lois divines : In nulla re tam vehementer contradicitur fidei christianae, quam in resurrectione carnis. Car si les hommes doivent ressusciter, il y a donc une autre vie que celle-ci : toutes nos espérances ne se terminent donc pas à la mort; nous avons donc un sort bon ou mauvais à attendre dans l'éternité ; Dieu nous réserve donc à d'autres récompenses, ou à d'autres peines que celles que nous voyons; notre grande affaire est donc de travailler ici à mériter les unes et à éviter les autres; il faut donc rapporter nos actions à cette fin, et tout le reste doit donc être indifférent; nous sommes donc bien condamnables de nous troubler des misères de cette vie, et de nous laisser surprendre à l'éclat des prospérités humaines; la vertu seule est donc sur la terre notre bien solide, et même notre unique bien. Car toutes ces conséquences suivent nécessairement du principe de la résurrection des morts. C'est pourquoi Tertullien commence l'excellent ouvrage qu'il a composé sur cette matière par ces belles paroles : Fiducia christianorum, resurrectio mortuorum. Au contraire, dit saint Paul, si nous ne devons pas ressusciter, et si c'est au bonheur de ce monde que nos espérances sont bornées, nous sommes les plus misérables de tous les hommes : car tout ce que nous faisons est inutile. C'est en vain que nous nous exposons à tant de dangers, en vain que j'ai soutenu tant de combats à Ephèse pour la foi ; il n'y a plus de conduite, plus de règle à garder, et l'on peut donner à ses sens tout ce qu'ils demandent; le devoir et la piété sont des biens imaginaires, et l'intérêt présent est le seul bien qui nous doive gouverner. Prenez garde, Chrétiens : de cette erreur, que les hommes ne ressusciteront pas, l'Apôtre tirait toutes ces conclusions par un raisonnement théologique, dont il y a peu de personnes encore aujourd'hui qui comprennent toute la force, mais que saint Chrysostome a très-bien développé , en observant contre qui saint Paul avait alors à disputer. Ce n'était pas, remarque ce Père, contre les hérétiques, qui, reconnaissant l'immortalité des âmes, ne voulussent pas reconnaître la résurrection des corps; son argument eût été nul : mais il combattait les libertins et les athées, qui nient la résurrection des corps, parce qu'ils ne veulent pas croire l'immortalité des âmes, ni une vie future. Car quoique ces deux erreurs n'aient pas entre elles une connexion absolument nécessaire, elles sont néanmoins inséparablement jointes dans l'opinion des impies, qui, tâchant d'effacer de leur esprit l'idée des choses éternelles, afin de se mettre en possession de pécher avec plus d'impunité, veulent abolir premièrement la foi de la résurrection des corps, et, par un progrès d'infidélité qui est presque inévitable, s'aveuglent ensuite jusqu'à se persuader même que les âmes ne sont pas immortelles. Et voilà pourquoi saint Paul se sert des mêmes armes pour attaquer l'une et l'autre de ces deux impiétés.

Quoi qu'il en puisse être, je dis, Chrétiens, pour m'en tenir précisément à mon sujet, que dans la résurrection de Jésus Christ, nous avons un gage sensible et assuré de notre résurrection : comment cela? parce que, dans cette résurrection du Sauveur, nous trouvons tout à la fois le principe, le motif et le modèle de la nôtre : le principe par où Dieu peut nous ressusciter, le motif qui engage Dieu à nous ressusciter, et le modèle sur lequel Dieu veut nous ressusciter. Ceci demande toutes vos réflexions.

Je prétends d'abord que nous trouvons dans la résurrection du Fils de Dieu le principe de la nôtre : pourquoi? parce que cette résurrection miraculeuse est, de la part de Jésus-Christ, l'effet d'une force souveraine et toute-puissante. Car s'il a pu par sa toute-puissance se ressusciter lui-même, pourquoi ne pourra-t-il pas faire dans les autres ce qu'il a fait dans sa personne? C'est l'invincible raisonnement de saint Augustin. Il y en a, dit ce Père, qui croient la résurrection du Sauveur, et qui se rendent là-dessus au témoignage incontestable des Ecritures. Mais, fidèles sur ce point, ils corrompent d'ailleurs leur créance, et donnent dans une erreur grossière ; ne comprenant pas, ou ne voulant pas comprendre, comment il s'ensuit de là que nous puissions un jour ressusciter nous-mêmes. Or, reprend ce saint docteur, Jésus-Christ ressuscité dans une chair semblable à la mienne, et ressuscité par sa propre vertu, n'est-ce pas une preuve évidente que je puis un jour, non pas me ressusciter moi-même comme lui, mais être ressuscité par lui? selon les fausses idées des manichéens, poursuit saint Augustin , il n'avait pris, en venant sur la terre, qu'un corps fantastique et apparent; s'il avait laissé dans la corruption

 

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du tombeau cette chair formée dans le sein de Marie, et dont il s'était revêtu pour vivre parmi les hommes; si, reprenant une vie glorieuse, il avait repris un autre corps que le mien, un corps d'une substance plus déliée et composée de qualités plus parfaites, je pourrais peut-être douter de ma résurrection. Mais aujourd'hui il renaît avec la même chair, avec le même sang dont il fut conçu dans les chastes flancs d'une vierge ; et ce que je vois s'accomplir en lui, quelle raison aurais-je de croire qu'il ne puisse pas l'accomplir en moi ? Car est-il moins puissant en moi et pour moi, qu'il ne l'est en lui-même et pour lui-même; et si c'est toujours la même vertu, ne sera-t-elle pas toujours en état d'opérer les mêmes miracles ?

C'est donc par cette suprême puissance qu'il ira dans les abîmes de la mer, dans les entrailles de la terre, dans le fond des antres et des cavernes, dans les lieux du monde les plus obscurs et les plus cachés , recueillir ces restes de nous-mêmes que la mort avait détruits, rassembler ces cendres dispersées, et, tout insensibles qu'elles seront, leur faire entendre sa voix et les ranimer.

Ainsi le comprenait saint Paul, parlant aux premiers fidèles; Jésus-Christ est ressuscité, mes Frères , leur disait ce Maître des nations ; on vous l'annonce , et vous le croyez : mais ce qui m'étonne, ajoutait le grand Apôtre, c'est que, ce Dieu-Homme étant ressuscité, il s'en trouve encore parmi vous qui osent contester la résurrection des hommes : Si autem Christus prœdicatur quod resurrexit a mortuis , quomodo quidam dicunt in vobis quia resurrectio non est (1) ? car l'un n'est-il pas une conséquence de l'autre , et ne sera-ce pas ce Dieu ressuscité qui réparera les ruines de la mort, et qui rétablira nos corps dans leur première forme et leur premier état ? Qui et reformabit corpus humilitatis nostrœ (2). Mais encore par où opérera-t-il ce miracle ? sera-ce seulement par l'efficace de son intercession ? sera-ce seulement par la vertu de ses mérites ? non, remarque saint Chrysostome ; mais l'Apôtre nous fait entendre que ce sera par le domaine absolu qu'a l'Homme-Dieu sur toute la nature : Secundum operationem qua etiam possit subjicere sibi omnia (3).

Ainsi même l'avait compris le patriarche Job, cet homme suscité de Dieu, trois mille ans avant Jésus-Christ, pour en parler dans des termes si précis et si forts , et pour prédire si clairement la résurrection du Sauveur et la

 

1 1 Cor., XV, 12.— 2 Philip., III, 21. — 3 Ibid.

 

nôtre. Oui, je crois, s'écriait-il, pour s'encourager lui-même et pour se soutenir dans ses souffrances, je crois et je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je dois après les peines de cette vie, et après avoir payé le tribut à la mort, ressusciter dans ma propre chair : Credo quod Redemptor meus vivit (ces paroles sont admirables), et in novissimo die de terra, surrecturus sum (1). Voyez-vous la liaison qu'il met entre ces deux résurrections, celle de Jésus-Christ son Rédempteur : Credo quod Redemptor meus vivit; et la sienne propre, et innovissimo die de terra surrecturus sum ? Qu'aurait-il dit s'il eût vécu de nos jours, et qu'il eût été témoin comme nous de cette résurrection glorieuse du Fils de Dieu, où nous ne trouvons pas seulement le principe de la nôtre, mais encore le motif?

Car il est naturel que les membres soient unis au chef : et quand le chef se ressuscite lui-même, n'est-ce pas une suite qu'il doit ressusciter ses membres avec lui? Or, notre chef, c'est Jésus-Christ, et nous sommes tous les membres de Jésus-Christ. Je puis donc bien appliquer à ce mystère ce que saint Léon disait de la triomphante ascension du Sauveur au ciel, que Là où le chef entre, ses membres l'y doivent suivre : et de même que Jésus-Christ, selon la pensée de ce grand pape, n'est pas seulement rentré dans le séjour de sa gloire pour lui-même, mais pour nous, c'est-à-dire pour nous en ouvrir les portes et pour nous y appeler après lui ; par la même règle et dans le même sens n'ai-je pas droit de conclure que c'est pour nous-mêmes, qu'il a brisé les portes .. de la mort, pour nous-mêmes qu'il est sorti du tombeau et qu'il est ressuscité? Et certes, s'il veut, en qualité de chef, que ses membres agissent comme lui, souffrent comme lui, vivent comme lui, meurent comme lui, pourquoi ne voudra-t-il pas qu'ils ressuscitent comme lui? N'est-il pas juste que, nous faisant part de ses travaux, il nous fasse part de sa récompense : et puisqu'une partie de sa récompense est la gloire de son corps, parce que ce corps adorable est entré en participation de mérites avec son âme, n'est-il pas engagé par lui-même à récompenser pareillement en nous, et le corps et rame?C'est la belle et consolante théologie de saint Paul ; et voilà pourquoi ce grand apôtre l'appelle les prémices des morts : Primitiae dormientium (2) : le premier-né d'entre les morts, Primogenitus ex mortuis (3). Des prémices supposent des suites ; et pour être le premier-né,

 

1 Job., XIX, 25.— 2 1 Cor., XV, 20. — 3 Coloss., I, 18.

 

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ou, si vous voulez, le premier ressuscité d'entre les morts, il faut que les morts doivent pareillement renaître à la fin des siècles, et reprendre une nouvelle vie. Vérité si incontestable dans la doctrine du maître des Gentils, qu'il ne fait pas difficulté de dire que si les morts ne doivent pas ressusciter après la résurrection de Jésus-Christ, et en vertu de cette bienheureuse résurrection, il s'ensuit que ce n'est qu'une résurrection imaginaire et supposée : Si resurrectio mortuorum non est, neque Christus resurrexit (1).

Il est donc vrai, mes chers auditeurs, que nous ressusciterons par Jésus-Christ, ou plutôt parla toute-puissance de Jésus-Christ; il est vrai que nous ressusciterons, parce que Jésus-Christ est ressuscité : et pour mettre le comble à notre espérance, j'ajoute que nous ressusciterons encore semblables à Jésus-Christ, et que sa résurrection est le modèle de la nôtre. Car, demande saint Augustin, pourquoi Dieu a-t-il voulu que la résurrection de son Fils fût si sensible, et pourquoi le Fils unique de Dieu a-t-il tant cherché lui-même à la faire connaître et à la rendre publique? Ah ! répond ce saint docteur, c'est afin de nous découvrir sensiblement dans sa personne la vaste étendue de nos prétentions ; c'est afin de nous faire voir dans ce qu'il est ce que nous devons être, ou ce que nous pouvons devenir. Je n'ai donc qu'à me représenter ce qu'il y a de plus brillant dans le triomphe de mon Sauveur : je n'ai qu'à contempler cette humanité glorifiée ; ce corps, tout matériel et tout corps qu'il est, revêtu de toutes les qualités des esprits, tout éclatant de lumière, et couronné d'une splendeur éternelle; voilà l'heureux état où je dois être moi-même élevé, et ce que la foi me promet. Espérance fondée sur la parole même de Dieu, puisque c'est sur la parole de son apôtre. Car, dit l'Apôtre, quand Dieu viendra tirer nos corps de la poussière, et les ranimer de son souffle, ce sera pour les conformer au divin exemplaire qui nous est proposé dans la résurrection de Jésus-Christ : Reformabit corpus humilitatis nostrœ, configuratum corpori claritatis suae (1). Maintenant ce sont des corps sujets à la corruption et à la pourriture ; maintenant ce sont des corps sujets à la souffrance et à la douleur : maintenant ce sont des corps fragiles et sujets à la mort; maintenant ce n'est qu'une chair grossière, vile et méprisable. Mais alors, par le plus prompt et le plus merveilleux changement, ils auront, si je puis m'exprimer de la

 

1 1 Cor., XV, 13. — 2 Philip., III, 21.

 

sorte, la même incorruptibilité que le corps d'un Dieu, la même impassibilité, la même immortalité, la même subtilité, la même clarté: Configuratum corpori claritatis suœ. Tout cela néanmoins, mes Frères, à une condition, savoir : que nous travaillerons dans la vie présente à les sanctifier ; et par où? par la mortification et la pénitence chrétienne : car si ce sont des corps que nous ayons flattés, que nous ayons idolâtrés, à qui nous ayons accordé tout ce que demandait une cupidité sensuelle, et dont nous ayons fait par là des corps de péché, ils ressusciteront, mais comment? Comme des objets d'horreur, pour servir à la confusion de l'âme et pour partager son tourment, après avoir servi et avoir eu part à ses crimes.

Ah ! Chrétiens, les grandes vérités ! malheur à qui ne les croit pas; malheur à qui les croit, et qui vit comme s'il ne les croyait pas ! mais heureux mille fois le fidèle qui, non content de les croire, en fait la règle de sa vie, et en tire de puissants motifs pour animer sa ferveur ! Entrez, s'il vous plaît, avec moi dans cette importante morale.

Malheur, dis-je, à qui ne croit pas ce point essentiel du christianisme et celle résurrection future ! S'il y avait parmi mes auditeurs quelqu'un de ces libertins, voici ce que je lui dirais avec toute la sincérité et toute l'ardeur de mon zèle : Il faut, mon cher Frère, que le désordre soit bien grand dans vous, et que le vice y ait pénétré bien avant, pour vous réduire à ne plus croire une des vérités fondamentales de la religion. Il faut que votre cœur ait bien corrompu votre esprit, pour l'aveugler et le pervertir de la sorte. Car, dites-moi, je vous prie, si vous êtes encore capable de vous rendre à ce raisonnement, qui de nous deux est mieux fondé, vous qui ne croyez pas ce que l'on vous annonce touchant une autre vie que celle-ci et de la résurrection des morts, et moi qui le crois d'une foi ferme et avec une entière soumission ? Sur quoi vous appuyez-vous pour ne le pas croire, du moins pour en douter? Sur votre jugement, sur votre prudence, ou plutôt sur votre présomption? Vous ne croyez pas ces mystères, parce que vous ne les concevez pas, parce que vous voulez mesurer toutes choses par vos sens, parce que vous ne voulez déférer , ni vous en rapporter qu'à vos yeux ; parce que vous dites, comme cet apôtre incrédule : Nisi videro, non credam (1) ; Si je ne vois, je ne croirai  rien ; conduite pleine d'ignorance et

 

1 Joan., XX, 25.

 

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d'erreur : voilà le fondement de votre infidélité. Mais moi, dans ma créance et dans la foi que j'ai embrassée, et pour laquelle je serais prêt à verser mon sang, je me fonde sur le témoignage de Dieu même, sur les principes de sa providence et de sa sagesse, sur la vérité de mille prophéties, sur un nombre presque infini de miracles, sur l'autorité des plus grands hommes de tous les siècles, des hommes les plus sensés, les plus éclairés, les plus irréprochables et les plus saints. Je me trouve en possession d'une foi qui a opéré tant de merveilles dans l'univers, qui a triomphé de tant de rois et de tant de peuples, qui a détruit et aboli tant de superstitions, qui a produit et fait pratiquer tant de vertus, qui a eu tant de témoins, qui a été signée par le sang de tant de martyrs, qui s'est accrue par les persécutions mêmes et contre laquelle toutes les puissances de l'enfer et de la terre n'ont jamais pu prévaloir et jamais ne prévaudront : telles sont les raisons qui m'y attachent. Or, de ces raisons et des vôtres, jugez, encore une fois, quelles sont les plus solides et les plus capables de déterminer un esprit droit, et de le fixer.

Mais, me direz-vous, comment comprendre cette résurrection des morts? Il ne s'agit pas, mon cher auditeur, de la comprendre pour la croire , mais de la croire quand même elle vous serait absolument incompréhensible. Car, que vous la compreniez ou que vous ne la compreniez pas, ce n'est point ce qui la rend plus ou moins vraie, plus ou moins certaine, ni par conséquent plus ou moins croyable. Cependant j'ai bien lieu d'être surpris, mon cher Frère, que vous, qui vous piquez d'une prétendue force d'esprit, vous formiez là-dessus tant de difficultés. Comme si cette résurrection n'était pas évidemment possible à Dieu notre créateur; car, dit saint Augustin , s'il a pu créer de rien nos corps, ne pourra-t-il pas les former une seconde fois de leur propre matière? et qui l'empêchera de rétablir ce qui était déjà, puisqu'il a pu faire ce qui n'avait jamais été ? Comme si cette résurrection n'était pas même aisée et facile à Dieu, puisqu'il est tout-puissant, et que rien ne résiste à une puissance sans bornes. Comme si toutes les créatures ne nous rendaient pas cette résurrection très-sensible : un grain de blé meurt dans le sein de la terre, c'est la comparaison de saint Paul, et il faut, en effet, que ce petit grain pourrisse et qu'il meure; mais ensuite ne le voyons-nous pas renaître? et n'est-il pas étrange que ce qui vous fait douter de votre résurrection, soit cela même par où la Providence a voulu vous la rendre plus intelligible? Comme si cette résurrection n'était pas très-conforme aux principes de la nature, qui, par l'inclination mutuelle du corps et de l'âme, et par l'étroite liaison qu'il y a entre l'un et l'autre, demande qu'ils soient éternellement réunis. Comme si la créance de cette résurrection n'était pas une des notions les plus universelles et les plus communes qui se soient répandues dans le monde : ceux mêmes, disait Tertullien, qui nient la résurrection, la reconnaissent malgré eux, par leurs sacrifices et leurs cérémonies à l'égard des morts. Ce soin d'orner leurs tombeaux et d'en conserver les cendres, est un témoignage d'autant plus divin qu'il est plus naturel. Ce n'est pas seulement, ajoutait-il, chez les chrétiens et chez les Juifs qu'on a cru que les hommes devaient ressusciter, mais chez les peuples même les plus barbares, chez les païens et les idolâtres ; et ce n'a pas seulement été une opinion populaire, mais le sentiment des sages et des savants. Comme si Dieu, enfin, ne nous avait pas facilité la foi de cette résurrection par d'autres résurrections qu'on a vues, que des témoins irréprochables ont rapportées, et que nous ne pouvons tenir pour suspectes, sans démentir les divines Ecritures et les histoires les plus authentiques. Ah! moucher auditeur, allons à la source du mal, et apprenez une bonne fois à vous connaître vous-même. Vous avez de la peine à vous persuader qu'il y ait une autre vie, une résurrection, un jugement à la fin des siècles, parce qu'avec cette persuasion il faudrait prendre une conduite toute nouvelle, et que vous en craignez les conséquences : mais les conséquences de votre libertinage sont-elles moins à craindre pour vous et moins affreuses? Dieu, indépendamment de votre volonté, vous a créé sans vous, et il saura bien sans vous et malgré vous vous ressusciter : Non quia vis, non resurges; aut si resurrecturum te non credideris, propterea non resurges; ce sont les paroles de saint Augustin. Votre résurrection ne dépendra point de votre créance; mais le bonheur ou le malheur de votre résurrection dépendra et de votre créance et de votre vie. Or, quelle surprise à ce dernier jour, et quel désespoir, s'il faut ressusciter pour entendre l'arrêt solennel qui vous réprouvera; s'il faut ressusciter pour entrer dans les ténèbres de l'enter, en sortant des ombres de la mort; s'il faut ressusciter pour consommer par la réunion du corps et de

 

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l’âme votre damnation, parce que dans une affaire d'une telle importance vous n'aurez pas voulu prendre un parti aussi sage et aussi certain que l'est celui de croire et de bien vivre!

Je dis de bien vivre : et voici le malheur, non plus du libertin qui ne croit pas, mais du pécheur qui croit et qui vit comme s'il ne croyait pas. En effet, que sert-il de croire et de ne pas agir conformément à sa foi? que dis-je! et d'agir même d'une manière directement opposée à sa foi? de croire une résurrection qui nous fera comparaître devant le souverain Juge des vivants et des morts, et de ne travailler pas à le gagner, ce juge redoutable, et à le fléchir en notre faveur? de croire une résurrection qui   nous produira aux yeux du monde entier pour être connus tels que nous serons et tels que nous aurons été, et de vivre dans des habitudes, dans des désordres maintenant cachés et secrets, mais qui, révélés alors et publiés à la face de l'univers, nous couvriront d'ignominie et d'opprobre? de croire une résurrection qui nous doit faire passera une vie, ou éternellement heureuse, ou éternellement malheureuse,  selon  le bien  que nous aurons pratiqué dans la vie présente, ou selon le mal que nous y aurons commis, et de ne rien faire dans la vie présente de tout le bien qui  peut nous procurer une heureuse immortalité, et de commettre dans la vie présente tout le mal qui peut nous attirer la plus terrible condamnation, et nous conduire à une malheureuse éternité? Que sert-il, encore une fois, de croire de la sorte? ou plutôt, croire de la sorte, n'est-ce pas se rendre encore plus coupable et se condamner par soi-même? C'est à vous surtout, femmes du monde, à bien méditer ce point de votre religion, et à en profiter. Peu en peine de l'avenir, vous ne pensez qu'au présent; et refusant à votre âme tous vos soins, vous n'êtes occupées que de votre corps. Hélas! en voulant le conserver, vous le perdez. Voilà à quoi vous ne pensez pas, et à quoi vous penserez, mais trop tard, quand, au son de la dernière trompette, ce corps renaîtra de sa propre cendre, et que vous entendrez sortir de la bouche de Dieu ces formidables paroles : Quantum in deliciis fuit, tantum date illi tormentum (1) ; Que les délices où ce corps a vécu, soient la mesure de son tourment. Après que vous en avez fait votre idole, que vous l'avez tant ménagé et tant flatté, la mort en a fait la pâture des vers; et la nouvelle vie que je lui rends en va faire la pâture des flammes, dont

 

1 Apoc., XVIII, 7.

 

le sentiment lui sera d'autant plus douloureux, qu'il a plus goûté les fausses douceurs où vous l'avez nourri : Quantum in deliciis fuit, tantum date illi tormentum.

Concluons, mes chers auditeurs : Heureux le fidèle qui croit et qui attend une résurrection glorieuse, parce qu'il se met, par la pratique de toutes les œuvres chrétiennes et par la sainteté de ses mœurs, en état de la mériter! Voilà ce qui animait saint Paul, ce qui consolait l'Eglise naissante  et persécutée, ce qui, dans la suite des siècles, a soutenu tant de martyrs, tant de solitaires, tant de religieux : car nous souffrons, disaient-ils, nous mortifions nos corps, nous nous privons des plaisirs que le monde nous présente; mais ce n'est pas en vain : et puisque nous sommes assurés que l'âme survit au corps, et qu'à la dernière consommation des temps le corps doit encore se rejoindre à l'âme pour commencer ensemble une vie immortelle, nous avons bien de quoi nous réjouir dans la pensée que nous serons alors abondamment  payés,  par une félicité souveraine, de tout ce que nous aurons quitté sur la terre, et de tous les sacrifices que nous aurons faits à Dieu. Voilà ce qui doit inspirer le même zèle et la même ardeur à tout ce qu'il y a d'âmes pieuses qui m'écoutent; je dis plus, voilà ce qui doit sanctifier tout ce qu'il y a ici de chrétiens à qui je parle. Voilà sur quoi ils doivent prendre leurs résolutions : ils ne les prendront jamais sur des principes plus solides. Si dans cette solennité ils n'ont pas encore fait leur devoir, voilà ce qui doit les engager à s'en acquitter sincèrement, à s'en acquitter promptement, à s'en acquitter pleinement. S'ils ont satisfait au précepte de l'Eglise, et qu'ils soient ainsi rentrés dans les voies de Dieu, voilà ce qui doit les y maintenir et les y faire marcher constamment : car c'est de cette constance que tout dépend ; et pour ressusciter dans la gloire, il faut, par une sainte persévérance, mourir dans la grâce. Mais,  hélas! qui persévérera? souffrez, mes chers auditeurs, que je m'attache particulièrement à ce point, en finissant ce dernier discours. Qui, dis-je, persévérera ? sont ces âmes fidèles à leurs promesses et inébranlables dans leurs résolutions? Il n'y a que vous, ô mon Dieu, qui les connaissiez, puisqu'il n'y a que vous qui puissiez connaître et le cœur de l'homme et l'avenir; deux choses qui vous sont toujours  présentes, mais qui nous sont également cachées, et jusqu'où nos faibles lumières ne peuvent s'étendre. J'ai lieu néanmoins, Seigneur, de me consoler par les

 

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conjectures que je puis avoir d'un secret dont la parfaite connaissance vous est réservée; et je sais en particulier, tout l'univers le sait avec moi, qu'il y a ici un cœur que votre main a formé, un cœur ennemi de l'inconstance et de la légèreté, fidèle dans ses paroles, égal dans sa conduite, inviolablement attaché aux lois qu'il veut bien se prescrire; qui, s'étant proposé de grands desseins, n'en peut être détourné   par aucun obstacle ; qui a fait des prodiges de valeur pour les exécuter; et, ce qui n'est   pas   un moindre prodige , qui a renoncé pour cela non-seulement au repos et aux plaisirs, mais à ses avantages mêmes et à ses intérêts. Jusqu'où la perfection de votre loi ne peut-elle point porter, ô mon Dieu, ce cœur ferme et intrépide? et qui jamais , dans ce sens, a été plus propre que lui au royaume du ciel?

C'est donc Votre Majesté, Sire, qui fait ici toute ma consolation. Mais qui suis-je, pour parler de moi? Disons mieux; les anges protecteurs de votre royaume, les saints qui redoublent jour et nuit leurs prières pour votre personne sacrée, Dieu même, si j'ose le dire, ne trouve-t-il pas, dans la fermeté qui luit, votre caractère, de quoi pouvoir se consoler de l'inconstance de la plupart des chrétiens? C'est Dieu, Sire, qui a imprimé dans votre grande âme ce caractère de fermeté : et comme Votre Majesté, s'arrêtant au milieu de ses conquêtes, n'a point pris pour fermeté héroïque une opiniâtreté ambitieuse, aussi ne peut-elle se méprendre dans l'usage qu'elle doit faire de cette vertu. L'exemple qu'elle en vient de donner à toute l'Europe en est une preuve que la postérité n'oubliera jamais. Plus ferme dans sa religion que dans ses entreprises militaires, elle a fait céder ses entreprises militaires à l'intérêt commun de la religion. Au seul bruit des ennemis du nom chrétien, elle a interrompu le cours de ses armes; votre piété royale n'ayant pu souffrir que vos armes, autrefois si glorieusement employées, et peut-être encore aujourd'hui destinées parla Providence à repousser ces infidèles, servissent en aucune sorte à l'avancement de leurs desseins. Incapable alors de penser à vous-même, et de profiter dans cette conjoncture de la faiblesse de ceux dont votre bras a tant de fois dompté la force ; prêt à sacrifier tout dès que vous avez compris qu'il s'agissait de la cause de Dieu, vous avez oublié vos plus justes prétentions, quand il a fallu donner des marques de votre zèle et de votre foi. Voilà ce que j'appelle fermeté, et fermeté pure, puisque ni l'ambition ni l'intérêt n'y ont nulle part.

Mais après tout, Sire, Votre Majesté sait assez que la fermeté d'un roi chrétien ne doit pas en demeurer là : qu'elle doit être occupée dans lui à quelque chose encore de plus digne de lui : qu'il en doit être lui-même le sujet, et que, comme toutes les qualités qu'on admire dans les héros seraient peu estimées des hommes si la fermeté y manquait, ainsi la fermeté même est peu estimée de Dieu si elle n'est jointe avec sa grâce, qui seule fait à ses yeux notre mérite. Oui, c'est pour conserver la grâce, que Votre Majesté a reçu de Dieu ce caractère de fermeté et de constance; et jamais la guerre, ce théâtre si éclatant pour elle, ne lui a fourni de plus nobles triomphes que ceux d'un monarque qui fait triompher dans sa personne la grâce de son Dieu. Si dans tous les états la persévérance chrétienne est le dernier effet de la grâce, on peut dire que c'est une espèce de miracle dans un roi, et surtout dans le plus absolu des rois , puisqu'il trouve dans sa grandeur même les plus dangereux ennemis qu'il ait à combattre. Car, que ne doit pas craindre pour le salut celui à qui tout obéit, à qui tout cède, à qui rien ne peut résister, à qui tout s'efforce de plaire, et à qui tout craint souverainement de déplaire? et quelle fermeté d'âme ne doit-il pas opposer à tout cela, s'il veut, disait saint Bernard, que tout cela, en l'élevant, ne le perde pas ? Mais aussi de quel mérite devant Dieu ne doit pas être la persévérance d'un prince qui, se voyant au-dessus de tout et maître de tout, s'étudie à l'être encore plus de lui-même; qui, recevant à tous moments les hommages des hommes, n'oublie jamais ce qu'il doit à Dieu; qui joint avec la majesté du trône l'humilité de la religion, avec l'indépendance d'un souverain la charité d'un chrétien, avec le droit d'impunité l'équité la plus droite, et tous les sentiments de la plus exacte probité?

Voilà, Sire, les victoires que la grâce toute-puissante de Jésus-Christ doit remporter dans vous. Demeurant ferme dans cette grâce, vous confondrez les libertins, qui craignent votre persévérance : vous consolerez les gens de bien, qui en font le sujet de leurs vœux ; et constant pour un Dieu si constant lui-même pour vous, en gouvernant un royaume de la terre, vous mériterez de posséder le royaume éternel, que je vous souhaite, etc.

 

 

 

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