TRÈS-SAINT SACREMENT

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SERMON SUR LE TRÈS-SAINT SACREMENT.

ANALYSE.

 

Sujet. Ma chair est vraiment une viande.

 

Une viande sacramentelle, une viande qui, toute matérielle qu'elle est, a la vertu de nous conserver la grâce, c'est ce qui en fait l'excellence. Telle est la chair du Fils de Dieu.

 

Division. La gloire du corps de Jésus-Christ, c'est d'avoir été donné à l'Eglise dans le saint sacrement de l'autel : première partie ; la gloire de l'Eglise, c'est d'avoir reçu et de posséder le corps de Jésus-Christ dans ce sacrement : deuxième partie.

Première partie. La gloire du corps de Jésus-Christ, c'est d'avoir été donné à l'Eglise dans le saint sacrement de l'autel. Il était juste que Jésus-Christ travaillât à honorer sa chair, et deux raisons l'y obligeaient : 1° l'honneur qu'il avait fait à cette chair de contracter avec elle une alliance si étroite dans son incarnation ; 2° les humiliations extrêmes à quoi il l'avait réduite dans sa passion. Or, c'est dans la divine Eucharistie qu'il l'élève jusqu'à être l'aliment de nos âmes, et que, toute matérielle qu'elle est, il lui donne la vertu de vivifier nos esprits.

Après cela faut-il s'étonner que Jésus-Christ nous ait proposé son corps à adorer dans nos temples? car nous l'y adorons, disent saint Ambroise et saint Augustin : deux témoignages bien puissants contre les hérétiques. C'est pour cela même aussi que l'Eglise a institué cette fête, que nous célébrons à l'honneur du corps de Jésus-Christ.

Mais pourquoi cette cérémonie, de porter en pompe le corps du Fils de Dieu? C'est 1° en mémoire de ce qu'il se porta lui-même, quand il distribua à ses apôtres sa chair et son sang; 2° en action de grâces de ce qu'il allait lui-même autrefois parcourant les villes et les bourgades ; 3° pour lui faire une réparation authentique des opprobres qu'il souffrit dans les rues de Jérusalem, lorsqu'il fut traîné de tribunal en tribunal ; 4° pour lui faire honneur, dit le cardinal Du Perron, de toutes les victoires qu'il a remportées sur l'hérésie dans le sacrement de son corps; 5° pour lui faire comme une amende honorable de tant d'outrages qu'il a reçus et qu'il reçoit sans cesse, des mauvais chrétiens, dans l'Eucharistie. Quel doit donc être, pendant cette octave, l'occupation d'une âme fidèle? d'entrer dans les sentiments de l'Eglise, et d'honorer avec elle la chair du Rédempteur.

Deuxième partie. La gloire de l’Eglise, c'est d'avoir reçu et de posséder le corps de Jésus-Christ dans le sacrement de l'autel. Car c'est par là, 1° qu'elle est honorée de la présence réelle d'un Dieu; 2° qu'elle est honorée de ses entretiens et de sa familiarité la plus intime; 3° qu'elle est même honorée de l'union la plus parfaite avec lui, puisque ce Dieu-Homme, par le moyen de son sacrement, s'unit aux fidèles, qui sont les membres de l'Eglise, et vient demeurer en eux : tellement que, dans la pensée des Pères, l'Eucharistie est pour nous comme une extension du mystère de l'incarnation; 4° qu'elle est enfin nourrie de son corps et de son sang adorable.

De tout ceci nous devons remporter deux sentiments : 1° de respect et de vénération pour l'Eglise, 2° de zèle pour l'innocence et la pureté de nos corps. Respect et vénération pour l'Eglise; car pouvons-nous l'honorer assez après que Jésus-Christ l'a tant honorée ? Cependant, c'est nous-mêmes tous les jours qui la déshonorons. Zèle pour l'innocence et la pureté de nos corps, puisqu'en vertu de la communion, ils deviennent les sanctuaires vivants et les membres de Jésus-Christ même. Quelle indignité donc et quelle horreur de les profaner par des excès honteux !

 

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Caro mea vere est cibus.

 

Ma chair est vraiment une viande. (Saint Jean, chap. VI, 56.)

 

C'est ainsi que le Sauveur du monde faisait en deux mots l'éloge de son corps adorable; et c'est, Chrétiens, de cette chair toute sainte et toute divine que j'ai moi-même à vous entretenir. Ce n'est point de la personne de Jésus-Christ; ce n'est ni de sa divinité, ni de son âme, mais de sa chair : Caro mea. Et pour en venir d'abord au point que j'ai entrepris de traiter, remarquez, s'il vous plaît, avec moi, que, dans les paroles de mon texte, le Fils de Dieu, voulant recommander son corps aux Juifs, ne leur dit pas que c'est le temple du Saint-Esprit, que c'est le sanctuaire de Dieu, que c'est le chef-d'œuvre des mains et de la toute-puissance du Seigneur, mais que c'est une nourriture et une viande : Caro mea vere est cibus. Cependant, cet état de viande et d'aliment n'est-il pas le plus imparfait? Il est vrai, mes chers auditeurs, si nous l'entendons de cette viande commune qui sert à réparer les forces et à soutenir la vie naturelle de nos corps ; mais une viande sacramentelle, une viande qui, toute matérielle qu'elle est, a la vertu de nous conférer la grâce, de nous donner une vie surnaturelle et toute spirituelle, de nous purifier, de nous sanctifier, c'est ce qui nous la doit rendre infiniment précieuse , et ce qui en fait l'excellence. Vierge sainte, c'est dans vos chastes entrailles que ce sacré corps fut conçu ; votre chair innocente et pure a été la chair de Jésus-Christ, et la chair de Jésus-Christ a été la vôtre ; c'est par l'opération de l'Esprit céleste que cet ineffable mystère s'est accompli, et c'est auprès de ce divin époux que j'implore votre assistance, en vous disant : Ave, Maria.

Le dessein que je me propose dans ce discours vous surprendra peut-être , Chrétiens ; mais j'ose dire que si vous voulez vous appliquer à le bien comprendre, il vous paraîtra très-convenable au mystère de ce jour, et qu'il remplira parfaitement l'idée que vous avez de cette fête. Je veux vous montrer que c'est aujourd'hui par excellence la fête du corps de Jésus-Christ : Festum corporis Christi. Car c'est le titre qu'elle porte, et sous lequel elle a été instituée ; et mon dessein est de vous justifier ce titre, en vous faisant voir que le corps de Jésus-Christ ne pouvait être plus honoré qu'il l'est par le mystère de la divine Eucharistie : c'est là ma proposition générale. Il faut seulement la réduire à quelques points particuliers, et la partager. Or pour cela, je considère le corps de Jésus-Christ en deux manières ; ou plutôt, je trouve que Jésus-Christ a, tout à la fois, et un corps naturel, et un corps mystique. Son corps naturel, c'est sa propre chair, cette chair dont il s'est revêtu pour nous ; et son corps mystique, c'est l'Eglise, qu'il s'est unie et incorporée selon la doctrine de saint Paul. Je dis donc que c'est aujourd'hui la grande fête de l'un et de l'autre : pourquoi ? parce que c'est aujourd'hui tout ensemble le triomphe de la chair de Jésus-Christ, et le triomphe de l'Eglise de Jésus-Christ. Le Sauveur du monde ne pouvait faire plus d'honneur à sa chair que de l'établir, comme il a fait, en sacrement, et en sacrement le plus auguste de notre religion, qui est l'Eucharistie. Et j'ajoute que ce même Sauveur du monde ne pouvait faire plus d'honneur à son Eglise, qu'en lui laissant sa chair établie de la sorte, et comme érigée en sacrement. Ainsi l'Eglise et la chair de Jésus-Christ sont-elles honorées réciproquement l'une par l'autre. Car, la gloire du corps de Jésus-Christ, c'est d'avoir été donné à l'Eglise dans le saint sacrement de l'autel : vous le verrez dans la première partie. Et la gloire de l'Eglise, c'est d'avoir reçu et de posséder le corps de Jésus-Christ dans ce sacrement : ce sera la seconde partie. Quoique ce soit là un éloge plutôt qu'une instruction, nous pourrons néanmoins en tirer de solides conséquences pour l'édification de nos âmes. Commençons.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Il était juste que la chair de Jésus-Christ fût honorée , et que Jésus-Christ travaillât lui-même à lui faire rendre les hommages qui lui sont dus. Deux grandes raisons l'y obligeaient. Premièrement, l'honneur qu'il avait fait à cette chair de contracter une si étroite alliance avec elle, et de l'unir à sa personne divine dans l'incarnation; et secondement, les humiliations extrêmes à quoi il l'avait réduite dans sa passion. Avez-vous jamais pris garde, Chrétiens, aune belle parole de saint Jean, pour exprimer le grand mystère de l'incarnation du Verbe? Il ne dit pas que le Verbe s'est fait homme , il ne dit pas qu'il s'est allié à une nature intelligente et spirituelle comme les anges, il ne dit pas qu'il a pris une âme telle que la nôtre ; mais il dit simplement que le Verbe s'est fait chair : Et Verbum caro factum est (1). Eh quoi ! reprend saint Augustin, la chair de l'homme est ce qu'il y a dans l'homme de plus imparfait;

 

1 Joan., 1, 14.

 

c'est en quoi l'homme est semblable aux bêtes : pourquoi donc rapportera la chair seule cet étonnant mystère de l'union qui s'est faite entre l'homme et Dieu? Ah ! répond ce saint docteur, c'est pour vous apprendre ce que Dieu a fait pour nous, ce qu'il a voulu être pour nous, jusqu'à quel point il s'est anéanti pour nous ; puisque étant Dieu, il a bien daigné se faire chair. Il est vrai, Chrétiens; mais c'est par là même aussi que le Saint-Esprit nous a fait comprendre ce qu'il était important que nous sussions, quelle est la dignité de la chair de Jésus-Christ, puisqu'en conséquence de ces divines paroles : Et Verbum caro factum est, on peut dire, selon tous les principes de la théologie et de la foi, que la chair de Jésus-Christ a été la chair d'un Dieu, qu'elle a subsisté de la substance d'un Dieu, qu'elle a fait partie d'un tout, qui était Dieu; et que comme le Verbe, en s'incarnant, est devenu chair : Et Verbum caro factum est, ainsi la chair de l'homme, par l'incarnation, est devenue la chair d'un Dieu. De là, concluons qu'il n'y a donc point de gloire, point de culte , qu'on ne doive à la chair de Jésus-Christ ; et que Jésus-Christ même, après une si noble alliance, n'en pouvait trop faire pour honorer sa chair.

D'autant plus qu'il la réduisit dans sa passion aux dernières humiliations. Car, c'est cette chair vénérable qui fut comblée pour nous d'ignominies et d'opprobres, c'est elle qui fut déchirée de fouets, c'est elle qui fut profanée par les mains des bourreaux ; et, pour tout dire en un mot, c'est elle, si j'ose user ici de cette manière de parler, qui fit tous les frais de notre rédemption. Ce ne fut point l'âme de Jésus-Christ qui servit de victime pour notre salut ; ce fut son corps, ce fut sa chair virginale. Ce fut elle qu'il immola sur l'autel de la croix ; elle était sainte, et il en fit un anathème et un sujet de malédiction ; elle était digne de tous les respects des hommes, et il permit qu'elle fût exposée à toutes leurs insultes. Il fallait donc qu'il la récompensât et qu'il l'honorât autant qu'elle avait été humiliée, ou plutôt, autant qu'il l'avait lui-même humiliée. Or c'est justement ce que Jésus-Christ a fait dans la divine Eucharistie; voilà la fin qu'il s'est proposée dans l'institution de ce mystère, et voilà aussi pourquoi nous célébrons aujourd'hui la fête de son corps.

En effet, Chrétiens, l'Eucharistie seule fait plus d'honneur à la chair de Jésus-Christ que tous les autres mystères glorieux de cet Homme-Dieu : et quand il sortit du tombeau, la gloire qu'il communiqua à son corps ne fut point comparable à celle qu'il lui avait donnée, et qu'il lui donne encore tous les jours dans son saint sacrement. Cette proposition vous paraît nouvelle; mais écoutez-moi, en voici la démonstration. J'avoue, mes Frères, que Jésus-Christ, sortant du tombeau, donna à sa chair d'admirables qualités : impassibilité, subtilité, agilité, lumière et splendeur; mais après tout, ces qualités n'ont rien qui surpasse Tordre de la créature ; au lieu qu'ici, c'est-à-dire dans l'adorable Eucharistie, la chair du Sauveur est élevée à un ordre tout divin, elle y prend un être, elle y acquiert des propriétés, elle y fait ce que Dieu seul peut faire. Et quoi? il faudrait un discours entier pour vous l'expliquer. Je m'arrête à ce qu'il y a de plus essentiel, et à ce qui doit le plus vous toucher. Je ne vous dis point que cette chair bienheureuse possède une espèce d'immensité dans l'auguste sacrement de l'autel, puisqu'il est certain qu'elle n'y est bornée par aucun espace, et qu'en vertu de ce mystère elle peut être tout à la fois dans tous les lieux du monde; qualité propre de Dieu. Je ne vous dis point qu'elle y devient toute spirituelle, mais bien autrement que dans sa résurrection, puisque la chair de Jésus-Christ est dans l'hostie à la manière des esprits, tout en tout, et tout en chaque partie ; autre qualité miraculeuse. Je laisse ce qu'a remarqué l'abbé Rupert, qu'elle est comme éternelle et incorruptible dans ce sacrement, parce qu'elle y sera jusqu'à la consommation des siècles ; ou plutôt, Chrétiens, qu'elle y meurt tous les jours, mais d'une mort mille fois plus merveilleuse que l'immortalité même dont elle jouit dans le ciel, puisque c'est pour y renaître continuellement par les paroles de la consécration. Tout cela, autant d'effets de la toute-puissance divine pour honorer le corps du Sauveur.

Mais le grand miracle, et celui qui comprend tous les autres, et celui que Jésus-Christ nous a marqué plus expressément dans l'Evangile, et celui à quoi les hommes font moins de réflexion, et celui qui devrait être plus médité, et celui que je trouve incontestablement le plus glorieux à la chair du Fils de Dieu, je l'ai dit, et il faut le développer davantage, c'est que la chair de Jésus-Christ, dans l'Eucharistie, est l'aliment de nos âmes. Quoiqu'elle ne soit qu'une substance terrestre et matérielle, elle a la vertu de vivifier nos esprits. Au lieu que naturellement c'est l'esprit qui doit vivifier la chair, ici c'est la chair qui, par un

 

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prodige bien surprenant, vivifie l'esprit, et qui le soutient, et qui l'anime, et qui lui sert de nourriture pour le conserver. Car prenez garde, je vous prie (c'est la réflexion de saint Ambroise) : quand le Fils de Dieu parlait aux Juifs de ce sacrement, il ne leur disait pas : Ego sum cibus ; Je suis la viande ; mais il leur disait : Caro mea vere est cibus ; Ma chair est la viande dont il faut que vous soyez spirituellement nourris. Ce n'est point l'âme, ce n'est point la divinité de Jésus-Christ qui fait notre aliment spirituel dans l'Eucharistie, c'est sa chair : Caro mea. Si la divinité et l'âme s'y trouvent, c'est, comme parle l'école, par concomitance : ce qui nous nourrit, et ce qui nous est directement donné en qualité de nourriture, c'est la chair de cet Homme-Dieu, dont notre âme est sustentée, fortifiée, et, pour me servir du mot de Tertullien, engraissée. Or, quel honneur pour une chair, que ce soit elle qui nous rende tout spirituels, elle qui nous communique la grâce, et qui nous fasse vivre de la vie de Dieu même ! Oui, Chrétiens, je le répète, ce miracle seul élève la chair du Sauveur du monde à un ordre surnaturel et divin : car il n'y a que la chair d'un Dieu qui puisse opérer de telles merveilles ; et Dieu prenant une chair, ne pouvait plus l'honorer qu'en lui donnant la force et la vertu de les produire. Or, tout cela convient à la chair de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et c'est ce que l'Eglise exprime en un mot, lorsqu'elle nous la présente par les mains des prêtres : Corpus Domini nostri Jesu Christi custodiat animam tuam in vitam œternam ; Reçois, Chrétien, nous dit-elle, reçois le corps de ton Seigneur et de ton Dieu: et pourquoi? afin qu'il conserve ton âme pour la vie éternelle. Voyez-vous, mes chers auditeurs, l'inestimable prérogative du corps de Jésus-Christ ? Dans l'ordre de la nature, c'est à l'âme de conserver le corps : mais dans l'ordre de la grâce, c'est le corps de Jésus-Christ qui conserve notre âme ; et cet ordre, qui est un ordre de grâce pour nous, est pour le corps de Jésus-Christ un ordre de gloire, mais de la gloire la plus éminente et la plus sublime.

Après cela, faut-il s'étonner que Dieu, par une conduite pleine de sagesse, et par une disposition de sa Providence, nous ait proposé ce corps à adorer dans nos temples? A qui rendrons-nous plus justement le culte de l'adoration, qu'à une chair qui est le principe de notre vie et de notre immortalité; et où l'adorerons-nous avec plus de raison que dans son sacrement, puisque c'est là que Dieu l'a rendue toute-puissante pour nous animer de la vie de la grâce, et nous vivifier selon l'Esprit? Oui, mes Frères, dit saint Ambroise, nous adorons encore aujourd'hui la chair de notre Rédempteur, et nous l'adorons dans les mystères qu'il a institués lui-même, et qui se célèbrent tous les jours sur nos autels. Voilà, Chrétiens, des paroles bien pressantes contre nos hérétiques, et qui de tout temps les ont jetés dans un étrange embarras. Cette chair de Jésus-Christ, continue saint Ambroise, a été formée de la terre aussi bien que la nôtre, et la terre est appelée dans l'Ecriture l'escabeau des pieds de Dieu ; mais cet escabeau, considéré dans la personne du Sauveur et dans le sacrement de sa chair, est plus vénérable que tous les trônes des rois, et c'est pour cela que nous l'adorons. Je ne savais pas, ajoute saint Augustin, ce que Dieu voulait dire par son Prophète, quand il nous ordonne d'adorer l'escabeau de ses pieds, qui est la terre : Adorate scabellum pedum ejus (1) ; et je ne comprenais pas comment cela se pouvait faire sans impiété : mais j'en ai trouvé le secret et le mystère dans le sacrement de Jésus-Christ. Car, c'est ce que nous faisons tous les jours, lorsque nous mangeons sa chair, et qu'avant que de la manger nous l'adorons, non-seulement sans superstition, mais avec tout le mérite de la foi, parce que cette chair, étant un aliment de salut, quoiqu'elle soit de terre et l'escabeau même des pieds de Dieu, il faut l'adorer : et bien loin que nous péchions en l'adorant, ce serait un crime de ne l'adorer pas : Et quia illam carmin manducandam nobis ad salutem dédit, nemo autem illam manducat nisi prius adoraverit : sic inventum est, quemadmodum adoretur tale scabellum pedum Domini, ut non solum non peccemus adorando, sed peccemus non adorando.

C'est pour cela, Chrétiens, que l'Eglise a institué cette fête que nous solennisons sous le titre et à l'honneur du corps de Jésus-Christ. Elle a voulu se conformer aux sentiments et à l'exemple de Jésus-Christ même. Jésus-Christ a prétendu honorer sa chair dans l'Eucharistie; et l'Eglise honore l'Eucharistie pour honorer cette même chair. Vous me demandez sur quoi est fondée cette cérémonie de porter en pompe le corps du Fils de Dieu ? Sur les raisons les plus solides et les plus touchantes. Ecoutez-les. On le porte, remarque un savant théologien, premièrement, en mémoire de ce

 

1 Psalm., LVIII, 5.

 

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qu'il se porta lui-même, quand il distribua à ses apôtres sa chair et son sang. Car alors, dit saint Augustin, il est évident qu'il portait son propre corps, et que ce que l'Ecriture disait de David dans un sens figuré, savoir, qu'il se portait lui-même dans ses mains, s'accomplit à la lettre dans la personne du Sauveur : ce sont les termes exprès de saint Augustin. Mais que fit cet Homme-Dieu, quand il se porta ainsi lui-même? il se fit comme un triomphe à soi-même; car il ne pouvait être plus honorablement porté que par soi-même et dans ses propres mains. Or, c'est le mystère que l'Eglise nous représente aujourd'hui, faisant porter ce corps vénérable dans les mains des prêtres, qui sont comme les propres mains du Fils de Dieu. Mais pourquoi le porter hors des temples? pourquoi dans les rues et dans les places publiques? C'est, répond l'auteur que j'ai cité, en action de grâces de ce qu'il allait lui-même autrefois parcourant les villes et les bourgades, faisant le tour de la Judée et de la Galilée, et guérissant les malades partout où il passait : Vircuibat omnes civitates et castella (1). Voilà pourquoi l'Eglise le fait encore porter par toute la chrétienté, espérant du reste qu'il opérera parmi nous les mêmes merveilles qu'il opérait parmi les Juifs. Car ne doutez pas, mes chers auditeurs, que ce Sauveur, passant aujourd'hui devant vos maisons, ne les ait sanctifiées par sa présence ; ne doutez pas qu'il n'ait répandu dans toutes les places publiques des bénédictions particulières, et qu'on n'ait pu dire de lui : Pertransiit benefaciendo (2); il a passé, et il a laissé sur tout son passage des effets de sa libéralité. C'est ce que Dieu semble avoir voulu nous marquer dans une des plus belles figures de l'Ancien Testament. L'Ecriture dit que parce que Joseph avait pourvu de pain toute l'Egypte dans le temps de la stérilité et de la famine, le roi Pharaon le fit monter sur un char, et le fit conduire par toutes les provinces de son royaume, avec ordre à chacun de l'adorer et de se prosterner devant lui. Ainsi, parce que le Fils de Dieu nous a donné ce pain céleste qui est son corps, l'Eglise le fait paraître comme sur un trône et sous le dais ; et, dans cet état, elle le conduit dans tous les lieux du monde chrétien, ordonnant à tous les fidèles de fléchir les genoux devant lui, et de lui présenter leurs respects et leurs adorations. Il y a plus : elle le porte, ajoute le bienheureux évoque de Genève, pour lui faire une réparation authentique de tous les opprobres qu'il

 

1 Matth., IX, 39. — 2 Act., X, 38.

 

souffrit dans les rues de Jérusalem, lorsqu'il fut traîné de consistoire en consistoire, et de tribunal en tribunal. L'Eglise veut lui faire satisfaction de cette injure; et dans cette vue, elle le porte publiquement, et le fait suivre de tout le peuple, avec des acclamations et des chants d'allégresse. Enfin, pourquoi le porte-t-elle? Voici, Chrétiens, la raison capitale. Elle le porte, dit le grand cardinal Du Perron, pour lui faire honneur, mais un honneur solennel, de toutes les victoires qu'il a remportées sur l'hérésie et sur l'infidélité, dans le sacrement de son corps. Ne perdez pas, s'il vous plaît, cette remarque : nos hérétiques nous reprochent que ces processions sont des nouveautés, qui n'ont jamais été en usage dans les premiers siècles de l'Eglise ; et nous leur répondons qu'il faut bien que ce soient des nouveautés, puisqu'elles ne se font qu'en signe de leurs nouvelles erreurs, détruites et confondues par la vérité de l'Eucharistie. On ne portait point de la sorte autrefois le corps du Fils de Dieu, parce qu'il n'y avait point encore eu d'erreurs dont il eût triomphé : mais depuis qu'il s'est élevé des hérésiarques pour le combattre, depuis qu'il y a eu des hommes conjurés contre sa présence réelle dans le sacrement, et que, par la force de sa parole, il les a foudroyés et terrassés , l'Eglise s'est crue obligée de lui en ordonner un triomphe. Telle est l'origine de ces processions. Ainsi parlait le savant prélat dont nous venons de rapporter la pensée.

Mais ajoutons un point qui doit encore plus servir à notre instruction : disons que, par ces processions, l'Eglise prétend réparer tant d'outrages qu'ont faits au Sauveur du monde, et que lui font sans cesse les mauvais chrétiens dans l'Eucharistie. Oui, mes chers auditeurs, c'est pour nous-mêmes que l'Eglise a établi cette fête en forme d'amende honorable ; c'est pour toutes nos profanations, c'est pour tous nos sacrilèges, c'est pour toutes nos irrévérences devant les autels de Jésus-Christ, et dans son sanctuaire; c'est pour tous les scandales que nous y donnons, pour toutes les communions indignes de tant de pécheurs hypocrites, pour toutes les messes célébrées par des prêtres vicieux, pour toutes nos froideurs en approchant de la sainte table , pour toutes les négligences même qu'y apportent les âmes justes; c'est pour les vôtres, Chrétiens, et pour les miennes, depuis tant d'années que nous fréquentons ce mystère d'amour, c'est pour vous et pour moi que ces processions sont ordonnées, afin que l'honneur qui y est rendu à la chair de notre

 

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Dieu la dédommage en quelque sorte de toutes les insultes qu'elle a reçues jusqu'à présent de nous, et qu'elle en reçoit tous les jours. Permettez-moi de vous dire une chose qui doit vous confondre, et que vous ne pouvez pleurer trop amèrement. Que faisons-nous, quand nous manquons de respect envers la sainte Eucharistie? voici une pensée capable, ce me semble, de toucher les cœurs les plus insensibles : nous faisons que l'Eucharistie, instituée essentiellement pour honorer la chair du Sauveur, devient pour cette même chair un mystère d'humiliation, un mystère de confusion et de honte, un mystère d'ignominie. Pesez bien ce que je dis. Oui, la chair du Sauveur souffre mille fois plus de notre part dans l'Eucharistie, qu'elle n'a jamais souffert des Juifs dans sa passion : car dans sa passion elle ne souffrit que pour un temps , mais ici elle est exposée à souffrir jusques à la fin des siècles ; dans sa passion elle ne souffrait qu'autant que Jésus-Christ le voulait, et que parce qu'il le voulait; mais ici elle souffre , pour ainsi dire, par force et par violence ; si elle souffrit dans sa passion, c'était dans l'état d'une nature passible et mortelle ; mais ici elle souffre dans l'état même de l'impassibilité : ce qu'elle souffrit dans sa passion était glorieux à Dieu et salutaire aux hommes, mais ici ce qu'elle souffre est pernicieux aux hommes et injurieux à Dieu. Ah ! Chrétiens, les puissants motifs pour réveiller et pour exciter toute votre religion à l'égard de ce grand mystère !

Quelle doit donc être l'occupation d'une âme chrétienne pendant les saints jours de cette octave ? Ecoutez, Mesdames, écoutez tous, mes Frères : voici de quoi entretenir votre piété. L'occupation d'une âme chrétienne, en ce saint temps, doit être d'entrer dans les sentiments de l'Eglise, et d'honorer avec elle la chair du Rédempteur. Voilà à quoi elle doit s'employer. Qu'est-ce à dire , honorer la chair du Rédempteur ? C'est-à-dire lui rendre tout le culte qu'elle peut recevoir de nous dans le sacrement de l'autel ; imiter Madeleine, qui eut un zèle tout particulier pour cette sainte chair, l'arrosant de ses larmes, l'essuyant de ses cheveux, et répandant sur elle des parfums. Exercice, dit saint Thomas, dont le Fils de Dieu la loua, tout éloigné qu'il était des délices de la vie : pourquoi? Parce qu'il aimait à voir que sa chair fût honorée. De même, nous prosterner souvent en la présence de ce sacré corps, et là lui offrir mille sacrifices de louanges, mille adorations intérieures, mille hommages et mille actions de grâces; lui dire quelquefois, mais avec une foi vive, mais avec une dévotion ardente : Corps divin, corps bienheureux, vous avez été le prix de mon salut ; que ne dois-je donc pas faire pour vous glorifier ! mais puisque vous vous êtes mis dans ce sacrement pour y recevoir le tribut de gloire qui vous appartient, comment y a-t-il des chrétiens assez impies pour venir vous y profaner! Du moins j'irai, moi, vous présenter mon encens; et je voudrais y conduire avec moi tout ce qu'il y a d'hommes sur la terre. Tels sont, dis-je, les sentiments que nous devons prendre; et parce que le corps de Jésus-Christ doit être aujourd'hui porté en cérémonie et avec appareil, notre devoir est de contribuer à cet appareil et à cette cérémonie dans toute l'étendue de notre pouvoir. Vous surtout, Mesdames, si curieuses de mille superfluités qui ne servent qu'à votre luxe et à votre vanité , c'est là que vous les pouvez sanctifier, les consacrant au corps de votre Dieu, les employant à enrichir les vases qui le contiennent, à embellir les tabernacles où il est renfermé, à parer les oratoires où il doit reposer. Vous êtes si soigneuses d'orner vos corps, vous usez pour cela de tant d'artifices, vous faites pour cela tant de dépenses, vous prenez pour cela tant de mesures et tant de soins : mais vos corps, ces corps infectés de la corruption du péché, ces corps sujets à la pourriture , et qui bientôt ne seront que poussière et cendre, vous doivent-ils être plus chers que le corps de Jésus-Christ? Enfin, parce que le corps du Fils de Dieu est enlevé hors de ses temples et porté en triomphe, que fait l'âme chrétienne ? Elle le suit dans ce triomphe, c'est-à-dire elle l'accompagne dans ces processions, et lui fait escorte de sa propre personne. Et c'est, mes chers auditeurs, ce que l'Esprit de Dieu nous a divinement exprimé dans l'Epouse des Cantiques : ce passage convient admirablement à mon sujet, et l'application que j'en fais vous paraîtra bien naturelle. L'Epouse dit bien qu'elle a cherché son bien-aimé dans le lieu ordinaire où il a accoutumé de prendre son repos, mais qu'elle ne l'a pas trouvé : Quœsivi quem diligit anima mea; quœsivi illum, et non inveni (1) ; que là-dessus elle a pris la résolution de sortir, de faire le tour de la ville, d'aller dans les rues et dans les places chercher celui qu'elle aime : Surgam, et circuibo civitatem : per vicos et plateas quœram quem diligit anima mea (2). Elle ajoute que les gardes et les officiers

 

1 Cant., III, 1. — 2 Ibid., 2.

 

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de la ville l’ont rencontrée : Invenerunt me vigiles qui custodiunt civitatem (1) ; qu'elle leur a demandé s'ils n'avaient point vu son époux, et qu'immédiatement après elle l’a aperçu au milieu d'eux : Paululum cum pertransissem eos, inveni quem diligit anima mea (2); qu'elle a couru à lui, qu'elle ne l'a point quitté jusqu'à ce qu'elle l'eût conduit dans la maison de sa mère : Tenui illum, nec dimittam, donec introducam illum in domum matris meœ (3). Que veut dire tout cela, Chrétiens? Vous prévenez déjà ma pensée. Cette épouse est l'âme fidèle ; elle cherche aujourd'hui le Sauveur du monde dans le sanctuaire de l'Eucharistie, qui est comme son lit mystérieux, elle ne l'y trouve pas ; elle s'en va donc par les rues et dans les places publiques, pourvoir s'il y sera. C'est là en effet qu'elle le rencontre, environné de gardes, entouré de ses ministres qui le portent avec honneur, et de tout le peuple qui lui fait une cour nombreuse; elle se jette à ses pieds, elle l'adore, elle le suit des yeux, elle ne l'abandonne point qu'il ne soit rentré dans le temple d'où il était parti, et qui est proprement la maison de notre mère, puisque c'est la maison de l'Eglise : y a-t-il rien de plus juste que cette figure? Mais reprenons. La gloire du corps de Jésus-Christ est d'avoir été donné à l'Eglise dans le sacrement de l'autel; et la gloire aussi de l'Eglise est d'avoir reçu et de posséder le corps de Jésus-Christ dans ce sacrement. Renouvelez, s'il vous plaît, votre attention pour cette seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Si le Fils de Dieu était intéressé à honorer sa chair, il ne l'était pas moins à honorer son corps mystique, qui est l'Eglise. Nous ne faisons tous qu'un même corps avec Jésus-Christ, dit saint Paul : Vos estis corpus Christi, et membra de membro (4). En qualité de Sauveur, Jésus-Christ est notre chef, et en qualité de justes, nous sommes ses membres; et comme il est de l'honneur des membres d'avoir un chef couronné de gloire, aussi est-il de l'honneur du chef de répandre sur ses membres toute la gloire dont ils sont capables. Or, c'est ce que Jésus-Christ a fait dans l'institution de la divine Eucharistie, que nous pouvons proprement encore appeler la fête de l'Eglise, ou la tète du corps mystique de Jésus-Christ : Festum corporis Christi; pourquoi cela? parce que ce mystère est celui dont l'Eglise se tient

 

1 Cant., 3. — 2 Ibid., 4. — 3 Ibid. — 4 I Cor., XII, 27.

 

plus honorée, et qui la rend plus glorieuse devant Dieu.

Non, Chrétiens, le Sauveur du monde, avec toute sa magnificence, ne pouvait rien faire de plus honorable pour son Eglise, ni de plus grand, que de lui laisser le sacrement de son corps : c'était le comble de toute la gloire qu'il lui pouvait procurer; et l'on peut bien dire après cela que   cet Homme-Dieu avait pleinement accompli  le dessein  qu'il s'était formé,  d'avoir, comme parle l'Apôtre, une Eglise illustre, éclatante, enrichie des  plus beaux ornements du ciel :  Ut exhiberet ipse sibi gloriosam Ecclesiam (1) ; parce qu'en effet la possession du corps et du sang de Jésus-Christ donne à l'Eglise tous ces avantages et toutes ces qualités. Vous voulez savoir comment? Ah ! mes chers auditeurs, la riche matière à vos réflexions!   Autrefois les Juifs- se préféraient à toutes les nations du monde, et se glorifiaient d'avoir un Dieu qui ne dédaignait pas de demeurer au milieu d'eux et de marcher avec eux. Non, disait Moïse, il n'y a point de peuple qui ait des dieux si proches de soi, et par conséquent il n'y a point de peupla sur la terre si honoré que nous : Nec est a lia  natio tam grandis quœ habeat deos appropitiquantes sibi (2). Mais de quelle  manière Dieu demeurait-il avec les Juifs? Par cette arche d'alliance d'où il rendait des oracles, et à laquelle il avait attaché sa protection. Cette arche était-elle le vrai Dieu d'Israël ? Elle n'en était que la figure, que le tabernacle : et cependant parce qu'elle était placée au milieu des douze tribus,  qu'elle les accompagnait dans toutes leurs marches,   et  qu'ils la portaient dans leurs camps et dans leurs armées, ils se vantaient que leur Dieu les suivait partout, et que partout il leur était  présent. Mais qu'est-ce que cela, Chrétiens, si nous le comparons avec l'honneur que l'Eglise reçoit, et que nous recevons comme elle dans l'Eucharistie ? Un Dieu lui-même, dans sa propre substance, et avec toute la plénitude de sa divinité, demeure corporellement et réellement parmi nous; il réside dans nos temples ,  il vient jusque dans nos maisons; il se laisse non-seulement approcher, mais toucher, mais manger; et c'est bien à nous désormais de dire : Nec est alla natio tam grandis, quœ habeat deos appropinquantes sibi. Ezéchiel nous  parle d'une   cité  mystérieuse dont il décrit les richesses et la grandeur, et qui n'avait point d'autre nom que celui-ci : C'est le séjour de Dieu, et Dieu y est :

 

1 Ephes., V, 27. — 2 Deut., IV, 7.

 

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Et nomen civitatis, Dominus ibidem (1). Mais cette cité ne pouvait être que l'Eglise chrétienne, dont Dieu représentait déjà l'excellence à ce prophète ; car quel nom plus propre peut-on donner à l'Eglise ? Dominus ibidem : c'est là que Dieu habite; c'est là que, par un engagement irrévocable , il s'est obligé de demeurer jusqu'à la consommation des siècles ; et par quel engagement? Par l'Eucharistie, qui le tient comme attaché à son Eglise, sans qu'il puisse jamais s'en séparer : Et nomen civitatis, Dominus ibidem.

Cependant est-ce en cela seul que consiste tout l'honneur qui revient à l'Eglise de ce sacrement? Non, Chrétiens, il y a quelque chose de plus important ; écoutez-le. Etre honoré de la présence d'un Dieu, cela est grand ; mais être honoré de ses entretiens, mais être honoré de sa familiarité la plus intime, c'est bien encore une autre gloire. Or, tel est l'avantage de l'Eglise dans le sacrement du corps de Jésus-Christ. Que fait Jésus-Christ dans ce mystère? demande l'abbé Rupert. Il y converse avec les hommes, il y visite les hommes, et il y est visité des hommes, il y écoute les plaintes des hommes , il y reçoit les requêtes que lui présentent les hommes, il y accorde les différends des hommes, il y instruit, il y console les hommes. Parce que les hommes sont les membres de son Eglise, c'est à son Eglise qu'il défère tout cet honneur. Sur quoi, mes Frères, il me souvient d'une remarque qu'a faite Guillaume de Paris , expliquant la prophétie de Daniel. Quand le roi de Babylone, consulta les devins , sur la vision qu'il avait eue, et qu'il les obligea de lui dire le songe qui l'avait occupé pendant son sommeil, ils lui répondirent qu'il n'y avait point d'homme mortel qui le pût faire ; que cela n'appartenait qu'aux dieux, parce que les dieux n'avaient point de commerce avec les hommes : Nec reperietur quisquam qui indicet illum , exceptis diis, quorum non est cum hominibus conversatio (2). Cette parole, dit l'Ecriture, l'irrita, et il reconnut que toute la sagesse des devins n'était qu'erreur et que mensonge : pourquoi ? Ah ! répond Guillaume de Paris, il y eut en ceci du mystère. Ils présupposaient que les dieux du ciel ne s'abaissaient pas jusqu'à s'entretenir avec les hommes; et en cela ils firent paraître, sans y penser, leur ignorance, parce qu'il y avait un Dieu, le Dieu des chrétiens, qui devait honorer un jour les hommes de sa conversation et qui mettrait là ses plus chères délices: Deliciœ meœ, esse cum filiis hominum (3). Voilà, dis-je,

 

1 Ezech., XLVIII, 35.— 2 Daniel., II, 11.— 3 Prov., VIII, 31.

 

la prérogative de l'Eglise de Jésus-Christ, de pouvoir traiter familièrement avec son Dieu; et par là, reprend saint Chrysostome, nous avons en quelque sorte, sur la terre, le même avantage que les bienheureux dans le ciel : car le bonheur du ciel est de posséder Dieu ; et ne le possédons-nous pas tout entier dans la divine Eucharistie? Jésus-Christ, ajoute saint Chrysostome , se trouvait partagé entre l'Eglise triomphante et l'Eglise militante : elles disputaient à qui aurait son corps adorable, et l'une et l'autre y prétendaient : mais ce nouveau Salomon a fait ce que le premier , avec toute sa sagesse, ne put faire. Sans diviser son corps, il l'a donné à l'une et à l'autre : à l'Eglise triomphante, il l'a donné sans voile et à découvert : à la militante , il l'a donné sous les espèces de son sacrement.

Peut-on, Chrétiens, enchérir sur ces pensées? Oui, on le peut; et voici des avantages encore mille fois plus grands : et quoi? Souffrez que je les ramasse en abrégé, et que je vous en propose seulement l'idée , capable de ravir d'admiration les anges et les hommes. C'est que le sacrement de l'Eucharistie est pour nous, et pour tous les fidèles qui le reçoivent, une extension continuelle et perpétuelle du mystère de l'incarnation. Ainsi parlent les Pères. Vous savez à quel point d'honneur fut élevée l'humanité de Jésus-Christ, dans ce bienheureux moment qui l'unit au Verbe divin. Or je dis que Jésus-Christ, se donnant à nous par le sacrement de l'autel, a fait entrer tous les membres de son Eglise en communication de la même gloire, puisqu'il vient en nous , qu'il s'unit à nous, qu'il ne fait, pour ainsi dire, qu'un avec nous. Et c'est de là, selon la doctrine de saint Cyrille, fondée sur la parole du Fils de Dieu, que ce sacrement s'appelle communion : Qui manducat meam carnem, et bibit meum sanguinem, in me manet, et ego in eo (1) . D'où il s'ensuit même encore que, dans une certaine propriété de termes, le Sauveur du monde est à tous moments comme incarné de nouveau entre les mains des prêtres, qui sont ses ministres. O veneranda sacerdotum dignitas, in quorum manibus Filius Dei perpetuo incarnatur ! s'écrie saint Augustin. 0 vénérable et sacré caractère des prêtres, puisque Jésus-Christ, puisque le Fils du Père éternel, puisque notre Dieu , qui ne s'est incarné qu'une fois dans le sein de Marie , s'incarne sans cesse dans leurs mains ! Jugez , Chrétiens , de cet honneur, par celui que Dieu

 

1 Joan., VI, 57.

 

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fit à Marie, quand il la choisit pour sa mère. Nous rendons à cette Vierge un culte singulier de religion, parce que c'est en elle que le Verbe s'est fait chair; et que devons-nous penser des prêtres qui ont le pouvoir de le former dans leurs propres mains, de le produire par l'efficace de leur parole, de le faire reposer dans leur sein, non pas une fois, mais autant de fois qu'ils célèbrent les saints mystères?

Mais pourquoi entrer dans les secrets de la divine Eucharistie, pour connaître les privilèges de gloire que l'Eglise y trouve? Arrêtons-nous à ce qui se présente d'abord dans ce mystère, à ce qui en fait toute la substance, à ce que nous voyons, à ce qui frappe nos sens ; car c'est là que Jésus-Christ, pour honorer son Eglise, la repait de son corps, lui donne son sang pour breuvage et sa chair pour aliment, c'est-à-dire la chair d'un Dieu , le sang d'un Dieu, le corps d'un Dieu. Ah ! Chrétiens, que dirons-nous après cela? Pouvons-nous jamais exprimer ce qui est au-dessus de toute expression, au-dessus de toutes nos pensées, et même de tous les souhaits de notre cœur? Etre nourri de la chair d'un Dieu, c'était à l'Eglise, comme à la fille de Sion, comme à l'épouse du roi de gloire, et particulièrement comme au corps mystique de Jésus-Christ, qu'un tel honneur était réservé ; car il faut que l'épouse soit nourrie conformément à la grandeur de son époux, la fille par rapport à la noblesse de son père, et les membres du corps selon la dignité du chef. Or, pour l'épouse d'un Dieu , pour la fille d'un Dieu, pour le corps mystique d'un Dieu, il n'y avait que la chair d'un Dieu qui pût être une viande sortable. Pour les Juifs qui furent les esclaves de Dieu, c'était assez , dit saint Jérôme, de manger la manne, appelée dans l'Ecriture le pain des anges : mais à nous que Dieu a ennoblis jusqu'à nous faire ses enfants d'adoption, mais à l'Eglise qui a été engendrée du sang de Jésus-Christ, le pain des anges ne suffit pas ; il faut le pain de Dieu, et c'est pour cela que Jésus-Christ nous le donne dans l'Eucharistie.

De tout ce que j'ai dit, Chrétiens, remportons deux sentiments, qui sont les conséquences naturelles de ce discours : l'un de respect et de vénération pour l'Eglise, et l'autre de zèle pour l'innocence et la pureté de nos corps. Respect et vénération pour l'Eglise, qui est le corps mystique de Jésus-Christ; car pouvons-nous l'honorer assez, après que Jésus-Christ lui-même l'a tant honorée? C'est par elle qu'il nous donne sa chair et son sang ; c'est à elle qu'il veut que nous en soyons redevables, puisqu'il l'en a faite la dépositaire : et si nous recevions ce sang et cette chair divine par d'autres mains que par les siennes, la chair et le sang de Jésus-Christ, non-seulement ne nous seraient plus salutaires, mais deviendraient pour nous le poison le plus mortel. Il est vrai, c'est Marie, mère de Jésus, qui d'abord nous l'a donné , ce sacré corps : mais Marie, après tout, ne nous l'a donné qu'une fois, et l'Eglise nous le donne tous les jours; mais Marie nous l'a donné à tous en général, et l'Eglise nous le donne à chacun en particulier; mais Marie nous l'a donné comme un Sauveur qui devait régner sur nous, et l'Eglise nous le donne comme une viande qui s'unit à nous. D'où il nous est toujours aisé de conclure ce que nous devons à cette épouse du Fils de Dieu, avec quelle fidélité nous devons lui demeurer attachés, avec quelle ardeur nous devons défendre ses intérêts, avec quelle docilité nous devons recevoir ses ordres, avec quelle piété et quelle soumission nous devons les exécuter. Cependant, à quels combats et à quelles insultes ne s'est-elle pas vue exposée, en nous faisant le don le plus précieux, et même parce qu'elle nous le faisait et nous le conservait? Car vous savez combien de fois les hérétiques sont entrés dans ses temples pour le lui arracher; vous savez quels excès ils y ont commis, comment ils ont souillé son sanctuaire, renversé ses autels, brisé ses tabernacles,  enlevé ses vases   sacrés;   comment  ils ont porté leurs mains sacrilèges et parricides jusque sur ses enfants, jusque sur ses ministres, jusque sur son époux et son redoutable sacrement ; attentats dont le souvenir nous saisit encore d'horreur. Mais, Chrétiens, ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que cette mère des fidèles, ainsi outragée par ses ennemis, reçoive de nous tous les jours les mêmes outrages; et n'est-ce pas pour cela qu'elle peut bien dire, dans l'amertume de sa douleur : Filios enutrivi, et exultavi; ipsi autem spreverunt me (1) ? J'ai formé des enfants, je les ai élevés dans mon sein, je les ai nourris du lait de la plus saine doctrine, je leur ai donné un aliment tout divin, et ils m'ont méprisée! Car, prenez garde, mes chers auditeurs, et du moins faisons-y quelque réflexion : les hérétiques l'ont méprisée en profanant ses temples , et par tant de scandaleuses irrévérences n'en sommes-nous pas les profanateurs?  les   hérétiques   l'ont  méprisée  en souillant son sanctuaire,  en renversant ses

 

1 Isai., I, 2.

 

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autels, en brisant ses tabernacles ; et combien peut-être, dans ce même sanctuaire, à la face de ces mêmes autels, devant ces mêmes tabernacles, tout sanctifiés qu'ils sont par la présence réelle de Jésus-Christ, avez-vous formé de criminels desseins, et entretenu de honteuses passions? les hérétiques l'ont méprisée en se jouant de ses mystères, et en déshonorant son adorable sacrement ; et n'est-ce pas le déshonorer, ce même sacrement, que de le recevoir dans l'état de votre péché? n'est-ce pas vous jouer de ces divins mystères, que d'y assister avec aussi peu d'attention, avec aussi peu de respect et de retenue qu'aux assemblées les plus mondaines? Quand les hérétiques l'ont méprisée, c'étaient ses ennemis déclarés et ses persécuteurs; et dès là leurs mépris lui devenaient beaucoup moins sensibles : mais les nôtres la doivent toucher d'autant plus que nous sommes son troupeau, que nous sommes ses disciples, que nous sommes ses enfants : Filios enutrivi, et exaltavi ; ipsi autem spreverunt me !

Je dis de plus, que nous devons remporter un sentiment de zèle pour l'innocence et la pureté de nos corps. Oui, mes chers auditeurs, tout méprisables d'ailleurs que nous pouvons être, nous devons, si je l'ose dire, nous honorer nous-mêmes, puisque nous participons tous à cette glorieuse qualité de corps mystique du Rédempteur, et que c'est de nous comme de l'Eglise que saint Paul a dit : Vos estis corpus Christi (1) ; Vous êtes le corps de Jésus-Christ. Quelque vils que soient nos corps par eux-mêmes , nous devons néanmoins avoir pour eux un certain respect que la foi de l'Eucharistie nous doit inspirer, et que la piété doit entretenir : pourquoi ? non   plus seulement parce que nos corps sont les temples du Saint-Esprit,  selon l'Ecriture; cela dit beaucoup, mais cela ne dit pas encore assez : non plus seulement parce qu'ils sont les sanctuaires vivants où le corps de Jésus-Christ repose; c'est encore trop peu : mais parce qu'en vertu de la communion, ils deviennent les membres de Jésus-Christ même , ainsi que l'Apôtre nous l'enseigne : Nescitis quoniam corpora vestra membra sunt Christi (2) ? Ne savez-vous pas,

 

1 I Cor., XII, 27. — 2 Ibid., VI, 15.

 

disait-il aux Corinthiens, que vos corps sont les membres de Jésus-Christ; et par conséquent que vous n'êtes plus maîtres d'en disposer, mais qu'ils appartiennent à Jésus-Christ, qu'ils sont affectés à Jésus-Christ, qu'ils sont du corps de Jésus-Christ? Et non estis vestri (1). Ah ! Chrétiens, la grande vérité, et le grand motif pour conserver vos corps innocents et purs ! voilà l'importante morale sur laquelle insistait continuellement saint Paul dans les instructions qu'il faisait aux chrétiens : il avait du zèle pour la sanctification de leurs âmes ; mais il avait encore un zèle spécial pour la sanctification de leurs corps, parce qu'il les considérait comme les membres de Jésus-Christ. Voilà sur quoi il s'expliquait dans les termes les plus énergiques et les plus forts. Quelle indignité, mes Frères, et quelle horreur ! ces membres de Jésus-Christ, les profaner, les souiller, les livrer aux sales désirs d'une prostituée ! Plût au ciel, mon cher auditeur, que je n'eusse pas plus lieu que l'Apôtre de vous faire le même reproche ! mais à quoi ne vous a pas porté la corruption du siècle, à quels débordements et à quelles profanations ! Je dis à quelles profanations : car ne vous croyez pas seulement profanateur du corps de Jésus-Christ, quand vous le recevez dans l'état de votre péché ; mais vous l'êtes encore, comment? par ces voluptés brutales et ces plaisirs infâmes où vous plonge la passion, et qui déshonorent le corps du Sauveur en déshonorant le vôtre. Tellement que je puis alors prononcer contre vous le même anathème que saint Paul a prononcé contre les chrétiens sacrilèges : Reus erit corporis et sanguinis Domini, non dijudicans corpus Domini (2). Parce que vous n'avez pas fait dans vous-même le juste discernement qu'il fallait faire du corps du Seigneur, vous êtes coupables devant Dieu de ce corps et de ce sang précieux. N'attirons pas sur nous, mes chers auditeurs, ce terrible arrêt ; ne renversons pas les favorables desseins de Jésus-Christ. Honorons sur la terre, par la sainteté de nos corps , la sainteté du corps de cet Homme-Dieu, afin d'avoir part à sa gloire dans le ciel, où nous conduise, etc.

 

1 I Cor., VI, 19. — Ibid., XI, 29.

 

 

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