ÉTAT RELIGIEUX II

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DEUXIÈME SERMON SUR L'ÉTAT RELIGIEUX.
LE CHOIX QUE DIEU FAIT DE L'AME RELIGIEUSE, ET QUE L'AME RELIGIEUSE FAIT DE DIEU.

 

ANALYSE.

 

Sujet. Souvenez-vous-en, Israël, et ne l'oubliez jamais : vous choisissez aujourd’hui le Seigneur, afin qu'il soit votre Dieu; et le Seigneur vous choisit aujourd'hui, afin que vous soyez son peuple particulier.

 

Ces paroles expriment parfaitement ce qui se passe entre Dieu et l'âme religieuse, lorsqu'elle se consacre à la religion.

 

Division. Le choix que l'âme religieuse fait de Dieu, afin qu'il soit particulièrement son Dieu : première partie. Le choix que Dieu fait de l'âme religieuse, afin qu'elle soit particulièrement sa créature : deuxième partie.

 

Première partie. Le choix que l'Ame religieuse fait de Dieu, afin qu'il soit particulièrement son Dieu. 1° Choix glorieux a Dieu; 2" choix heureux pour l'âme religieuse; 3° choix qui lui rend Dieu souverainement nécessaire; 4° choix après lequel aussi Dieu lui suffit; 5° choix enfin par où Dieu devient spécialement et plus proprement son Dieu.

 

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1° Choix glorieux à Dieu : car c'est reconnaître authentiquement l'excellence de l'être de Dieu et sa souveraineté, puisqu'il n'y a qu'un Dieu qui mérite que nous quittions tout pour le posséder. Hommage qui lui est dû, et qu'il ne reçoit dans toute son étendue, que de l'âme religieuse.

2° Choix heureux pour l'âme religieuse. Ce choix est pour elle une assurance aussi grande qu'on peut l'avoir en cette vie, qu'elle aime Dieu de cet amour parfait dont la grâce est inséparable.

3° Choix qui rend Dieu souverainement nécessaire à l'âme religieuse. Si par son infidélité elle venait à ne pas trouver Dieu dans la religion, ne pouvant d'ailleurs y trouver les consolations du monde, quelle serait sa ressource? Du reste, heureuse nécessité qui l'oblige à s'attacher a Dieu.

4° Choix après lequel aussi Dieu suffit à l'âme religieuse. Les mondains, comblés des biens du monde, ne sont pas encore contents : l'âme religieuse, avec Dieu seul, jouit d'une paix parfaite, et nous sert de preuve sensible pour connaître comment Dieu seul fera dans le ciel toute notre béatitude.

5° Choix par où Dieu devient spécialement et plus proprement le Dieu de l'âme religieuse. Dieu lui tient lieu de tout; il est donc particulièrement son Dieu. De plus, il est le Dieu de tout l'univers par la nécessité de son être; mais il est plus proprement le Dieu de l'âme religieuse par le choix libre et volontaire qu'elle a fait de lui.

Deuxième partie. Le choix que Dieu fait de l'âme religieuse, afin qu'elle soit particulièrement sa créature. Elle ne pouvait choisir Dieu, si Dieu auparavant ne l'avait choisie et recherchée : mais pourquoi Dieu l'a-t-il choisie? 1° afin qu'elle soit sainte ; 2° afin qu'elle soit irrépréhensible; 3° afin qu'elle serve de modèle aux chrétiens du siècle; et c'est ainsi qu'elle appartient spécialement à Dieu, et qu'elle en est particulièrement la créature.

1° Afin qu'elle soit sainte; car Dieu l'a choisie afin qu'elle soit plus dévouée à son service. Or, Dieu étant saint, et le Saint des saints, dit saint Chrysostome, il veut et il doit être servi par des saints. Et n'est-ce pas de quoi sont remplies tant de communautés religieuses?

2° Afin qu'elle soit irrépréhensible. Dans l'état religieux une sainteté ordinaire ne suffit pas ; il faut une sainteté irréprochable, une sainteté à l'épreuve de toute censure, une sainteté où le monde, ce monde critique et si attentif à observer les personnes religieuses, ne puisse découvrir aucune tache. Il faut, pour l'honneur de Dieu, que les religieux puissent dire aux mondains ce que saint Paul disait aux païens : Capite nos ; Examinez-nous, et voyez s'il n'y a rien dans toute notre conduite que vous ayez droit de reprendre.

3° Afin qu'elle serve de modèle aux chrétiens du siècle; car qu'est-ce qu'un vrai religieux, sinon un chrétien parfait, et une image vivante de la perfection évangélique?

Les personnes religieuses sont donc le peuple de Dieu particulier, et d'une façon plus propre ses créatures, puisque rien ne leur manque pour être totalement, uniquement et irrévocablement à Dieu.

 

Memento, Israël, et ne obliviscaris : Dominum elegisti hodie, ut sit tibi Deus ; et Dominus hodie elegit te, ut sis ei populus peculiaris.

 

Souvenez-vous-en, Israël, et ne l'oubliez jamais : vous choisissez aujourd'hui le Seigneur, afin qu'il soit votre Dieu ; et le Seigneur vous choisit aujourd'hui, afin que vous soyez son peuple particulier. (Deutéronome, chap. VII, 6.)

 

C'est ainsi que Dieu parla aux Israélites, lorsqu'après les avoir tirés de la servitude, et les avoir longtemps éprouvés dans le désert, il les fit entrer dans la terre promise , qu'ils avaient si ardemment désirée , et qui devait être pour eux une terre de bénédiction. Mais toutes ces choses, dit saint Paul, n'étaient encore que des figures; et ce qui arrivait alors aux Israélites , selon le dessein de Dieu même, se rapportait essentiellement à nous : Hœc autem in figura facta sunt nostri (1). En effet, c'est dans les parfaits chrétiens que ces figures de l'ancienne loi trouvent leur accomplissement; et, sans sortir du lieu où nous sommes, c'est dans cette cérémonie religieuse que Ton voit clairement et sensiblement la vérité de ce que le Saint-Esprit a prétendu nous faire entendre par ces divines paroles que j'ai prises pour mon texte, et qui renferment tout le sujet de ce discours. Car, dites-moi, une âme dans les dispositions où nous paraît cette généreuse fille qui sert ici de spectacle aux anges et aux hommes, une âme que Dieu , par la vertu toute-puissante de sa

 

1 1 Cor., X, 6.

 

grâce, tire aujourd'hui de l'esclavage du monde, une âme prédestinée, dont l'heureux sort, après de saintes épreuves, est d'entrer dans la religion qu'elle regarde comme la terre des élus, et vers laquelle elle porte ses vœux les plus ardents; une vierge qui, à la face des autels, par une profession solennelle , choisit le Seigneur pour son Dieu, et que le Seigneur choisit réciproquement, pour l'associer au nombre de ses épouses, c'est-à-dire au nombre de ces vierges qui lui sont uniquement dévouées, et qui composent dans le christianisme ce peuple particulier dont il se glorifie d'être servi, n'est-ce pas à la lettre tout le mystère qu'exprime ce passage : Dominum elegisti hodie, ut sit tibi Deus ; et Dominus hodie elegit te, ut sis ei poulus peculiaris? C'est donc à vous, digne épouse de Jésus-Christ, que j'adresse ces paroles : écoutez-les avec respect, et n'en perdez jamais le souvenir : Memento, et ne obliviscaris. En vous consacrant à la vie religieuse, vous allez choisir le Seigneur, afin qu'il soit votre Dieu : Dominum elegisti hodie, ut sit tibi Deus ; et par une insigne faveur, votre Dieu va vous choisir, afin que vous soyez particulièrement sa créature : Et Dominus hodie elegit te, ut sis et populus peculiaris. Méditez bien ces vérités importantes, et qu'elles demeurent pour jamais profondément gravées dans votre cœur. Voilà ce que je vous propose, et ce que

 

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vous devez envisager comme le fonds de toutes vos obligations : le choix que vous faites de Dieu, et le choix que Dieu fait de vous. Le choix que vous faites de Dieu, source des mérites infinis que vous amasserez en le servant, et qui seront les fruits du sacrifice que vous allez lui offrir : c'est la première partie ; le choix que Dieu fait de vous, source des grâces abondantes qu'il vous prépare , et qu'il commence dès ce jour à répandre sur votre personne : c'est la seconde partie. Le choix que vous faites de Dieu, afin qu'il soit particulièrement votre Dieu : fondement solide du droit propre que vous aurez de vous confier en lui et de tout attendre de lui. Et le choix que Dieu fait de vous, afin que vous soyez spécialement sa créature : souverain motif de l'inviolable attachement que vous devez avoir pour lui. Que ne dois-je point me promettre de ces deux considérations , parlant ici à des âmes religieuses pleines de l'esprit de leur vocation, et continuellement occupées du soin de le conserver, de le renouveler, de l'augmenter? Quel exemple pour les chrétiens du siècle qui m'écoutent car pour votre édification, mes chers auditeurs , il n'y aura rien dans ce discours que vous ne puissiez et que vous ne deviez vous appliquer selon ce que vous êtes, et ce que Dieu demande de vous , dans la vie séculière et néanmoins chrétienne à laquelle il vous a appelés. Tout ce que je dirai vous instruira, ou, si vous n'en profitez pas, vous confondra. Mais indépendamment du fruit que les chrétiens du siècle en tireront, voici encore une fois, fidèle épouse du Sauveur, les deux avantages dont la profession religieuse va vous mettre en possession, et dont le devoir de mon ministère m'oblige à vous féliciter. En vertu de l'action que vous allez faire, le Dieu de l'univers, parce que vous le choisissez, va devenir singulièrement votre Dieu ; et vous, parce qu'il vous choisit lui-même , vous allez devenir singulièrement sa créature. C'est-à-dire, il va être votre Dieu avec toute la distinction qu'il le peut être dans l’ordre de la grâce ; et vous, avec la même distinction, vous serez sa créature d'une manière qui, dans l'ordre de la grâce , va dès maintenant vous combler de gloire. Avant que d'en venir à la preuve, ayons recours à la Mère de Dieu , et saluons-la en lui disant : Ave, Maria.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Choisir le Seigneur , et par ce choix en faire son Dieu, c'est un des secrets de la prédestination divine, qu'il n'appartenait qu'à Dieu même de nous révéler ; et dire qu'en quittant le monde pour embrasser l'état religieux, nous avons trouvé ce secret, c'est une vérité , mes chères Sœurs , aussi consolante pour nous qu'elle est propre à nous soutenir dans la pratique de nos devoirs. Mais cette vérité, quoique constante, a besoin d'éclaircissement. Car enfin, demandent les interprètes, expliquant ce passage du Deutéronome : Dominum elegisti, ut sit tibi Deus; Dieu ne serait-il pas notre Dieu, si nous ne le choisissions de la sorte ; et dépend-il de nous qu'il soit notre Dieu ou qu'il ne le soit pas, qu'il le soit plus ou qu'il le soit moins, qu'il le soit par un titre ou par un autre; et en conséquence du choix que nous avons fait de lui, sommes-nous en droit de prétendre qu'en effet il soit plus notre Dieu qu'il ne l'est du reste des hommes? C'est à ces importantes questions que je répondrai, et c'est de ces questions mêmes que je tirerai les preuves les plus convaincantes et les plus touchantes de la première proposition que j'ai avancée. Mais auparavant concevons-la bien, et formons-nous-en une idée juste, et qui puisse désormais être la règle de toute la conduite de notre vie.

Oui, mes chères Sœurs, je le répète , quand nous nous séparons du monde pour nous consacrer à Dieu par le vœu solennel de la religion, nous accomplissons en vérité et en esprit ce que les Israélites charnels n'accomplirent qu'en figure , lorsqu'ils entrèrent dans la terre promise. Non-seulement nous choisissons le Seigneur, mais nous le choisissons dans cette vue, qu'il soit particulièrement notre Dieu. Or je veux vous montrer d'abord combien d'une part ce choix lui est honorable , et de l'autre combien il nous est avantageux. Rapport à Dieu et à nous-mêmes , par où nous devons mesurer l'excellence et la perfection de ce choix. Il y a plus : car, ce choix présupposé, je veux vous faire remarquer, et même vous faire sentir, combien Dieu nous est nécessaire dans la séparation du monde où la religion nous engage. Mais aussi veux-je au même temps vous obliger à reconnaître que, quelque séparés du monde que nous soyons , ce choix présupposé , Dieu nous suffit. Appliquez-vous à ma pensée, dont voici le précis réduit à cinq chefs : choix glorieux à Dieu, choix heureux pour nous, choix qui nous rend Dieu nécessaire , choix qui fait que Dieu nous suffit, et choix enfin d'où il s'ensuit que Dieu est tout autrement notre Dieu qu'il ne l'est des chrétiens du siècle. Plaise au

 

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ciel que je puisse bien imprimer dans vos esprits et dans vos cœurs des vérités si édifiantes !

Première vérité : choix glorieux à Dieu. La démonstration en est sensible, et vous en devez être touchées. C'est qu'en  vertu  de ce choix nous rendons à Dieu un authentique témoignage qu'il est Dieu , et parfaitement notre Dieu, et, à l'exclusion de tout autre, notre seul et unique Dieu, puisqu'il mérite que nous quittions tout pour lui, et que pour lui nous renoncions à nous-mêmes : car il n'y a que Dieu qui mérite cet abandonnement total, et pour qui il nous soit permis de renoncer à nous-mêmes jusqu'à nous sacrifier nous-mêmes, comme il n'y a que l'âme religieuse qui rende à Dieu cet honneur, au moins dans toute l'étendue que cet honneur peut lui être rendu sur la terre. Et c'est ici, mes chères Soeurs, que je commence à découvrir le privilège inestimable de notre  vocation. Non ,  disait saint Basile à ses disciples, il n'y a que Dieu seul à qui ce sacrifice volontaire de la profession religieuse puisse être dû, et pour qui il puisse être louable. Quitter tout pour tout autre que pour Dieu, ce serait un excès de folie : mais pour Dieu, c'est une éminente sagesse. Renoncer à soi-même pour la créature, ce serait une idolâtrie secrète et une impiété ; mais pour Dieu , c'est un acte héroïque de religion. En cela, dis-je, consiste la grandeur' de Dieu, et par un admirable enchaînement des intérêts de Dieu avec les nôtres, en cela la grandeur de Dieu, quoique absolue et indépendante de nous, semble ne pouvoir être séparée de nos intérêts. Car vous seul, ô mon Dieu, vous seul êtes digne que nous quittions tout pour vous , parce que dans vous seul nous trouvons tout ce que nous quittons, et infiniment au delà de tout ce que nous quittons ; vous seul avez droit d'exiger que pour vous nous renoncions à nous-mêmes,  parce que vous seul pouvez nous dédommager de ce renoncement, et qu'étant Dieu, vous avez seul de quoi pouvoir être la récompense de notre sacrifice.

Mettons nos intérêts à part : ce n'est point encore de quoi il s'agit. J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que vous n'avez nul besoin de mes biens : Dixi Domino : Deus meus es tu, quoniam bonorum meorum non eges (1). Ainsi parlait David. Et moi, peut et doit ajouter L'âme religieuse, j'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que, non content de mes biens, dont vous n'avez ni ne pouvez

 

1 Psal., XV, 2.

 

avoir besoin, vous avez attendu de moi un hommage plus digne de vous, qui est le sacrifice de moi-même, et c'est celui que je vais vous présenter. Où sont les chrétiens du siècle qui choisissent Dieu à ce prix, et à qui, pour le posséder,  il en coûte ce  dépouillement de toutes choses , et ce sacrifice d'eux-mêmes complet et entier ? L'âme chrétienne, je l'avoue, est obligée, comme chrétienne, de renoncer à tout, au moins d'esprit et de cœur, puisque sans cela elle ne peut être à Jésus-Christ : Qui non renuntiat omnibus quai possidet, non potest meus esse discipulus (1) ; et, par la raison seule qu'elle est chrétienne,  elle doit renoncer à elle-même, puisqu'elle est incapable sans cela de suivre Jésus-Christ, qui nous a dit à tous, sans exception : Si quis vult post me venire, abneget semetipsum (2). Mais où sont ceux qui, dans le monde, observent à la lettre ces deux préceptes ; et entre ceux qui s'efforcent de les observer ,  où est celui qui les observe sans restriction? Prenez et considérez le chrétien du siècle le plus zélé, et dans sa condition le plus parfait; quelque parfait que vous le supposiez, en se donnant à Dieu, que ne se réserve-t-il pas? quelque détaché du monde que nous le concevions, à combien de choses est-il néanmoins vrai qu'il ne renonce pas réellement, et qu'il n'a pas même intention de renoncer? Maître de ses biens et de sa liberté, que quitte-t-il et de quoi se dépouille-t-il? Il n'y a que l'âme religieuse qui, par un retour et un généreux effort de sa reconnaissance, puisse dire à Dieu sans présomption : Qu'ai-je pu vous donner, Seigneur, que je ne vous aie pas donné? Qu'ai-je pu quitter pour vous que je n'aie pas quitté? Q'ai-je pu faire pour m'offrir à vous comme une hostie vivante, que je n'aie pas fait? Je dis, par un effort de sa reconnaissance ; car, si elle parle de la sorte, ce n'est point pour exalter le mérite de son sacrifice, mais pour honorer au contraire le don de Dieu : ce n'est point pour se glorifier ni pour se prévaloir de son état, mais pour reconnaître devant Dieu que ce qu'elle quitte n'est qu'un léger tribut de ce qu'elle lui doit : ce n'est point par un esprit d'ostentation, mais par une vive expression de son respect infini pour ce souverain Etre. Et voilà, mes chères Sœurs, comment le choix que nous faisons de Dieu lui est si glorieux.

Mais il est encore plus heureux pour nous : seconde vérité dont vous allez convenir. Car, fondé sur ce choix, et tandis que ce choix subsiste, nous sommes sûrs, autant qu'on le

 

1 Luc, XIV, 33. — 2 Ibid., IX, 83.

 

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peut être en celle vie, que nous aimons Dieu, et que nous l'aimons de cet amour parfait qui est inséparable de sa grâce, de cet amour souverain qui nous justifie aux yeux de Dieu, et qui seul, fussions-nous d'ailleurs chargés de crimes, a la vertu de nous réconcilier avec Dieu ; de cet amour de préférence en quoi consiste la plénitude de la loi, et à quoi le salut de l'homme est immanquablement attaché : amour de préférence, dont nous avons le gage le plus certain. Permettez-moi de vous développer ce point ; vous y trouverez un fonds inépuisable de consolation. Hors de l'état religieux, il est aisé de dire à Dieu qu'on l'aime par-dessus toutes choses, et qu'on l'aime plus que soi-même ; mais autant qu'il est aisé de le dire et de le penser, autant est-il rare et difficile de le pratiquer ; autant que ce langage est ordinaire dans le christianisme, autant est-il douteux dans un chrétien qui n'a pas renoncé au monde, et qui jouit tranquillement et à son aise des biens de la vie. En un mot, dit saint Chrysostome, on peut facilement se tromper en se flattant qu'on aime Dieu, et que pour Dieu, s'il le fallait, on serait prêt à tout quitter, pendant qu'on ne quitte rien et qu'on ne se dessaisit de rien. Au moment que nous prenons le parti de la religion, nous tenons le même langage : mais nous le tenons à bien meilleur titre. Pour montrer que nous aimons Dieu préférablement à tout, nous le préférons actuellement à tout, non pas en idée ni en spéculation, mais en pratique, et par l'engagement le plus réel. Nous ne voulons pas que Dieu nous en croie sur notre parole : en quittant tout pour lui, nous lui en donnons une preuve qui ne peut être équivoque ni sujette à l'illusion. Convaincus, par une fatale expérience, que nous ne devons pas nous en lier à nos propres sentiments pour nous assurer de nous-mêmes, nous nous vouons à Dieu jusqu'à nous ôter la disposition de nous-mêmes, et jusqu'à renoncer pour Dieu à tous les droits «lue nous avons sur nous-mêmes. Mais aussi pouvons-nous après cela, sans craindre de mentir au Saint-Esprit, protestera Dieu que nous l'aimons, et lui répondre de nous-mêmes sur l'article le plus essentiel de la loi. Donnons encore plus de jour à cette pensée. Dans cette vie, personne, dit l'Ecriture, ne sait s'il est digne d'amour ou de haine : Nescit homo utrum amore an odio diynus sit (1) ; et par conséquent personne dans cette vie ne sait s'il aime Dieu, ou s'il ne l'aime pas : car, si j'étais

 

1 Eccles., IX, 1.

 

certain que j'aime Dieu, je serais certain que Dieu m'aime et qu'il me trouve digne de son amour. Il est vrai que personne ne le sait infailliblement ; mais si quelqu'un le peut savoir, et si quelqu'un le sait de cette science qui, sans être infaillible, ne laisse pas de rendre l'espérance des justes ferme et tranquille, je soutiens que c'est l'âme religieuse : pourquoi? Parce qu'elle sait qu'il n'y a rien au monde qu'elle n'ait abandonné pour Dieu ; parce que, sans vouloir se comparer avec l'apôtre de Jésus-Christ, elle sait qu'elle a l'avantage de pouvoir dire comme lui : Quis nos separabit a charitate Christi (1) ; Qui désormais me séparera de l'amour de mon Dieu ? sont-ce les biens de la terre que j'ai quittés? sont-ce les plaisirs des sens que je me suis retranchés? sont-ce les honneurs du siècle que j'ai méprisés? Non, peut-elle conclure : car malgré l'affligeante incertitude où Dieu veut que je sois touchant son amour et sa haine, après le choix que j'ai fait de lui, en sacrifiant tout et en me sacrifiant moi-même pour lui, j'ai l'assurance la plus raisonnable et la plus solide que son amour est en moi, et que jamais rien ne m'en détachera. Ce choix lui est donc une espèce d'évidence de l'amour qu'elle a pour Dieu : or qu'y a-t-il pour elle de plus heureux que d'être ainsi assurée de cet amour, que de pouvoir se rendre ainsi le témoignage de cet amour, que de posséder ainsi cet amour comme le titre le plus légitime de sa prédestination? Avançons.

J'ai dit que le choix que nous faisons de Dieu dans la vocation religieuse et dans l'éloignement du monde où nous vivons, nous rend Dieu souverainement nécessaire : troisième vérité, mes chères Sœurs, à laquelle il est impossible que vous ne vous intéressiez pas, et qui suit du principe que j'ai établi. Car ayant tout quitté pour Dieu, si Dieu venait à nous manquer, où en serions-nous ? Si par notre infidélité, frustrés de notre attente, nous venions à ne pas trouver Dieu dans la religion, ne pouvant d'ailleurs y trouver les consolations du monde, que nous resterait-il? où serait notre ressource ? De cette vérité, le mondain, plein de ses erreurs, voudrait inférer qu'au moins en cela notre condition est à plaindre. Mais c'est en cela même, reprend saint Bernard, qu'elle nous paraît préférable à toute autre condition, et voici l'excellente raison qu'il en apporte : Car il est vrai, mes chers Frères, disait-il à ses religieux, séparés, comme

 

1 Rom., VI, 35.

 

521

 

nous le sommes, de tout ce qu'il y a d'agréable dans le monde, Dieu nous est nécessaire dans la religion ; mais c'est justement de quoi nous bénissons Dieu, qui par là nous a mis dans une sainte et absolue nécessité de nous attacher à lui et de ne vivre que pour lui. Il est vrai, Dieu , dans la religion, nous est infiniment plus nécessaire qu'aux chrétiens du siècle ; mais c'est en quoi nous nous sentons plus redevables qu'eux à Dieu : car malheur à nous si Dieu ne nous était plus nécessaire, on s'il nous l'était moins ! malheur à nous si, hors de lui, nous pouvions trouver du repos et de la douceur dans la vie ! malheur si, venant à oublier Dieu et à le méconnaître, nous pouvions nous passer de lui ! Les mondains, dissipés par les fausses joies et les vains amusements du siècle, peut-être peuvent-ils quelquefois, quoique faussement, se flatter d'être parvenus à cette prétendue et imaginaire indépendance de Dieu ; mais c'est ce qui fait la réprobation de leur état. La béatitude du nôtre est de ne pouvoir être heureux qu'en Dieu, de ne le pouvoir être qu'avec Dieu, de ne l'être qu'à proportion que nous nous unissons à Dieu : sans Dieu nous serions malheureux. Vous l'avez ainsi ordonné, Seigneur, et la loi que vous en avez faite n'est pas tant un arrêt de votre justice, qu'une disposition favorable de votre miséricorde : Jussisti, Dominent sic est (1). Sans vous, nous serions malheureux : mais nous le serions encore bien plus, si nous voulions sans vous ne l'être pas, puisque le comble de notre misère serait de chercher hors de vous la véritable félicité. Quoiqu'il en soit, mes Frères, poursuivait saint Bernard, en qualité de religieux, nous mettons au nombre des grâces et des plus précieuses grâces de notre état, le besoin même que nous avons de Dieu ; car, selon la parole sainte, plus nous avons besoin de Dieu, plus Dieu se tient obligé à répandre ses dons sur nous ; plus nous avons besoin de Dieu, plus il veut que nous ayons droit de recourir à lui, de compter sur lui et de tout attendre de lui. Sans lui nous ne trouverions dans la religion qu'un vide affreux de toutes les consolations humaines : mais étant, comme il est, un Dieu fidèle, il sait abondamment remplir ce vide par d'autres consolations toutes spirituelles dont il est lui-même la source. Autant que par la privation de tout le reste il nous devient nécessaire, autant se fait-il un honneur et prend-il soin de ne nous manquer jamais, tandis que nous soutenons par une sainte persévérance le choix que

 

1 August.

 

nous avons fait de lui. Aussi ai-je ajouté, mes chers Sœurs, que, quelque séparés du monde que nous soyons, ce choix présupposé, Dieu nous suffit : et c'est la quatrième vérité, encore plus capable de nous faire goûter le bonheur de notre profession. Ecoutez-moi ; je n'en dis qu'un mot, mais qui, joint à vos réflexions, pourra vous tenir lieu d'un discours entier.

Les chrétiens du siècle, même les plus réglés dans leurs désirs, ont, malgré eux, mille besoins qui, par l'engagement inévitable de leur condition, les assujettissent au monde, et les mettent par là dans une impuissance morale de parvenir jamais, sur la terre, à être contents. De combien de choses, et de choses hors de leur pouvoir, leur repos ne dépend-il pas ; et s'il en manque une seule, quand ils auraient tous les autres, combien de chagrins et de troubles ce seul défaut ne leur fait-il pas essuyer? Quel malheur, disait un païen, de dépendre de la sorte pour être heureux! Dans la religion, si nous avons besoin de Dieu, au moins avons-nous l'avantage de n'avoir besoin que de Dieu ; car avec Dieu, nous nous passons sans peine de tout : avec Dieu, nous n'envions , point au monde ses prospérités ; avec Dieu, quoique pauvres, nous sommes riches, et bien plus riches que si nous possédions tout, parce que nous ne désirons rien : Tanquam nihil habentes, et omnia possidentes (1). Quand on nous dit que Dieu seul fera notre béatitude dans le ciel, et que tout insatiables que nous sommes, au moment que sa gloire paraîtra, nous en serons rassasiés, selon la parole du Prophète royal ; quoique ce soit un point de. foi, nous avons de la peine à le comprendre, et nous voudrions qu'on nous en donnât une preuve sensible. La voici, mes chers auditeurs : car la preuve sensible de cet adorable attribut de Dieu, qui fait que, dans le séjour de la gloire, Dieu nous suffira, c'est qu'il suffit dès maintenant à l'âme religieuse, qui, fidèle à la grâce de sa vocation, jouit indépendamment du monde d'un solide et parfait contentement. Je m'explique : ce qui montre que les justes dans la gloire trouveront en Dieu seul toute leur félicité, c'est que, par une anticipation de cette gloire, on voit dans la religion des âmes qui ne veulent que Dieu, qui trouvent tout en Dieu, après avoir tout quitté pour Dieu, et qui contentes de Dieu, renoncent, pour le posséder, à toutes les grandeurs du monde, à tous les héritages du monde, à tous les établissements et à toutes les fortunes du monde. Oui, l'on en voit, et

 

1 2 Cor., VI, 10.

 

522

 

Dieu, par sa miséricorde, nous en met aujourd'hui devant les yeux des exemples vivants. Voilà ce que la grâce de Jésus-Christ opère dans ces âmes ferventes dont je parle, et à qui je parle : c'est un miracle incompréhensible pour ces mondains qui n'ont que de vues terrestres et animales; mais ce miracle n'est pas moins réel ni moins vrai. Le monde, avec tous ses biens ne suffit pas à un avare ; le monde avec tousses honneurs ne suffit pas à un superbe; le monde, avec tous ses plaisirs ne suffit pas à un sensuel; et Dieu seul, sans ces plaisirs du monde, sans ces biens, sans ces honneurs, suffit à l'âme qui le choisit pour son Dieu. Est-il rien de plus convaincant que ce témoignage? Etre content de Dieu, et de Dieu seul, voilà ce qu'éprouvent ceux et celles qui, faisant divorce avec le monde, cherchent Dieu dans la religion ; et que ne pouvez-vous là-dessus vous expliquer hautement, mes chères Sœurs, et rendre ici, à la grâce de votre Dieu, toute la gloire qui lui est due? voilà ce que vous éprouvez tous les jours, voilà ce qu'éprouvent tant d'autres dans l'humble et pauvre condition qu'ils ont, comme vous, choisie. Or quel dégagement et quelle liberté de l'âme, lorsqu'on se peut dire à soi-même : Dieu me suffit ! Je n'ai ni terre, ni héritages, ni revenus en ce monde, mais Dieu me. suffit, fortune, dignités, grandeurs du monde, tout cela n'est point pour moi, mais Dieu me suffit ; d'autres ont toutes les commodités de la vie, toutes les douceurs que le monde peut leur fournir, et moi je n'en ai aucune, mais Dieu me suffit; il nie suffit maintenant, il me suffira jusqu'à mon dernier soupir, il me suffira dans l'éternité : car étant mon Dieu, il est mon tout, et tout ce qui n'est pas mon Dieu ne m'est rien : Quid mihi est in cœlo, et a te quid volui super terram (1) ?

Enfin, pour cinquième et dernière vérité, je conclus que Dieu, en conséquence du choix que nous faisons de lui par la profession religieuse, devient singulièrement et spécialement notre Dieu ; et voilà, heureuse épouse du Sauveur, ce qui doit vous rendre votre vocation également chère et vénérable : en conséquence de l'action que vous allez faire, le Seigneur que vous choisissez sera votre Dieu, avec toute la distinction qu'il peut l'être dans l'ordre de la grâce; pourquoi? parce qu'en conséquence du renoncement que vous faites à tout pour lui, il sera lui-même votre partage, votre héritage, votre possession, et que de cette sorte

 

1 Psal., LXXII, 25.

 

vous aurez sur lui, pour ainsi dire, tout le droit de propriété qu'une créature peut avoir sur son Dieu. Appliquez-vous à ce que je dis : quand Dieu divisa la terre promise entre les tribus d'Israël, il ne donna, remarque l'Ecriture, aucun partage à la tribu de Lévi, parce que la tribu de Lévi, toute dévouée à Dieu, ne devait point avoir d'autre partage que Dieu même : Quia ipse Dominus possessio ejus est (1). Excellente figure, ma chère Sœur, de ce qui va se passer à votre égard ; car vous allez être dans la loi de grâce cette âme choisie dont Dieu sera tout le partage, et à qui Dieu, comme Dieu, appartiendra tout autrement qu'il n'appartient aux chrétiens du siècle. En effet, le chrétien du siècle peut bien dire comme David : Dominus pars hœreditatis meœ (2) ; Le Seigneur est une portion de mon héritage ; mais il ne peut pas dire absolument dans le même sens que l'âme religieuse : Dominus hœreditas mea. Le Seigneur est mon héritage; parce qu'avec Dieu, dit saint Bernard, il possède encore d'autre biens, et qu'en possédant ces autres biens avec Dieu, il en possède moins purement et moins parfaitement Dieu. C'est vous, fervente épouse de Jésus-Christ, qui, désormais ayant renoncé au monde, aurez droit de regarder Dieu comme un bien qui vous est uniquement propre, comme un bien qui vous est affecté, comme un bien d'autant plus votre bien que vous en faites votre seul bien. Au lieu que vos frères et vos sœurs selon la chair partageront entre eux un héritage temporel que vous leur abandonnez, et dont la mort les dépouillera ; vous allez en acquérir un, lequel, quoique immense et infini, sera tout entier à vous, comme s'il n'était que pour vous ; et cet héritage, encore une fois, c'est Dieu même qui vous tiendra lieu de tout. Or, vous tenir lieu de tout, c'est être non-seulement Dieu, mais spécialement votre Dieu. Et voilà le sens littéral de ces belles paroles : Quia ipse Dominus possessio ejus est.

Revenons donc , mes chères Sœurs, aux questions que j'ai d'abord proposées. Dieu ne serait-il pas notre Dieu, si nous ne le choisissions pas de la manière que je le viens d'expliquer? Ecoutez sur cela saint Basile : il serait notre Dieu, répond ce saint docteur, mais il ne le serait pas dans cette étendue et cette perfection qui suppose le sacrifice que nous lui faisons de nous-mêmes par les vœux de la religion : c'est-à-dire, il serait notre Dieu par la nécessité de son être et par le droit inaliénable

 

1 Deut., X, 9. —2 Psal., XV, 5.

 

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de sa souveraineté ; mais il ne le serait pas avec ce surcroît de domination et d'empire qu'il a sur nous quand nous nous dépouillons pour lui de notre liberté. Malgré nous, il serait le Dieu de toute la nature ; mais il ne serait pas au point qu'il l'est, le Dieu de notre cœur. Il dépend de nous en ce sens qu'il soit notre Dieu ; comme au contraire, quoique Dieu de l'univers, il n'est pas le Dieu des mondains, parce que les mondains se l'ont volontairement, et de leur choix, d'autres divinités que lui. C'est lui-même qui le leur déclare : Et ego non ero Deus vester. Par conséquent il est plus notre Dieu qu'il ne l'est du reste des hommes, puisqu'il l'est plus ou moins, selon que nous nous dévouons plus ou moins à son culte. Or y pouvons-nous être plus dévoués que nous ne le sommes en qualité de religieux? D'où il s'ensuit qu'en nous consacrant à Dieu, nous ajoutons à tous les autres titres, en vertu desquels il était déjà notre Dieu, celui de notre choix, et celui du choix le plus parfait que nous puissions faire. Quel trésor de grâce pour nous, si nous savons connaître le don de Dieu et en profiter ! Ils ont appelé ce peuple heureux, disait David, parce qu'il a des biens en abondance, parce qu'il jouit paisiblement des plaisirs de la vie, parce que le monde le loue et lui applaudit : Beatum dixerunt populum cui hœc sunt (1). Mais moi, ajoutait ce saint roi, j'ai dit : Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu : Beatus populus cujus Dominus Deus ejus (2). Et voilà, digne épouse de Jésus-Christ, votre vocation : vous avez choisi le Seigneur, afin qu'il soit singulièrement votre Dieu, Dominum elegisti, ut sit tibi Deus ; et le Seigneur vous choisit aujourd'hui, afin que vous soyez singulièrement sa créature, en vous associant à une communauté de vierges qui, dans le christianisme, est à la lettre son peuple particulier : Et Dominus elegit te hodie, ut sis ei populus peculiaris. C'est le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Comme il est de la foi que la grâce, qui est le principe du mérite, doit par conséquent précéder en nous tout mérite, aussi est-ce pareillement un point de foi que le choix que Dieu fait de nous doit, par une absolue nécessité, précéder le choix que nous faisons de Dieu. Et voilà pourquoi saint Bernard, instruisant une épouse de Jésus-Christ, et lui donnant une juste idée de sa vocation, en concluait

 

1 Psal., CXLIII, 15. — 2 Ibid.

 

toujours pour elle l'obligation indispensable où elle était de marcher saintement devant Dieu, et de se tenir dans une profonde humilité, accompagnée d'une vive reconnaissance, par ce raisonnement invincible : Nisi enim prius quœsita, non quœreres; sicut nec eligeres, nisi electa ; car, lui remontrait-il, quelque fidèle et quelque fervente que vous puissiez être dans la voie de Dieu, vous ne chercheriez pas Dieu , si Dieu le premier ne vous avait cherché ; et vous n'auriez pas l'avantage de l'avoir choisi, s'il n'avait eu auparavant la bonté de vous choisir lui-même, en vous prévenant par sa grâce, et en vous attirant à son service. Appliquons-nous, mes chers Sœurs, cette grande vérité; et, remontant jusqu'à la source des miséricordes de notre Dieu, entrons dans les desseins de son aimable providence sur nous quand il nous a appelés à la religion. Les voici. Dieu nous a choisis, afin que nous soyons dans le monde, je dis dans le monde chrétien, son peuple particulier : Et Dominus elegit te hodie, ut sis ei populus peculiaris. Qu'est-ce à dire, son peuple particulier? Saint Paul nous l'apprend en deux mots, dans ce beau passage de l'Epître aux Ephésiens : Elegit nos in ipso, ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus. J'avoue que saint Paul parlait là des chrétiens en général ; mais du reste, il est évident qu'il parlait des chrétiens parfaits, et qu'ainsi sa proposition convenait encore mieux à ceux et à celles qui, dans la suite des temps, devaient renoncer au monde, pour embrasser la profession religieuse, puisque c'est dans la profession religieuse que se trouvent plus communément les parfaits chrétiens. C'était donc vous et moi, mes chers Sœurs, que l'Apôtre de Jésus-Christ avait surtout en vue, lorsqu'il disait : Eligit nos, ut essemus sancti et immaculati. Entre les élus mêmes, Dieu nous a élus , afin que nous soyons saints; il nous a élus afin que nous soyons irrépréhensibles ; et j'ajoute, suivant la même pensée : il nous a élus, afin que nous servions d'exemple aux chrétiens du siècle ; il nous a élus, afin qu'au milieu d'eux nous paraissions comme la lumière du monde et comme le sel de la terre. Définition très-naturelle et très-vraie de l'état religieux. C'est le peuple saint du Seigneur : en comparaison des mondains, c'est le peuple sans tache et sans reproche, c'est le peuple suscité et prédestiné pour être le modèle des chrétiens ; c'est le peuple établi de Dieu pour confondre les erreurs et l'infidélité du siècle, et pour en

 

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arrêter la corruption : en un mot, c'est le peuple de Dieu particulier, dont les Israélites n'ont été que la ligure. Voilà, dis-je, âmes religieuses, à quoi se termine le choix que Dieu a fait de nous. Encore quelques moments de votre attention.

Dieu nous a choisis, afin qu'en qualité de religieux nous soyons son peuple saint : Elegit nos, ut essemus sancti. Choix adorable, qui nous a séparés du monde profane, pour nous associer, si j'ose m'exprimer de la sorte, à la sainteté de Dieu même : Sancti estote, quia ego sanctus sum (1). Car Dieu, dans le fond de son être, étant saint et le Saint des saints, il voulait, dit saint Chrysostome, et il devait être servi par des saints. Or c'était l'état religieux qui, par une divine fécondité, devait produire ce nombre de saints que Dieu voulait former pour la perfection de son culte. C'était l'état religieux qui, dans la retraite et dans l'éloignement du monde, devait élever cette multitude de saints éprouvés, de saints mortifiés, de saints consommés en toute sorte de vertus, de saints victorieux du monde et d'eux-mêmes, tels qu'il les fallait à Dieu, pour être servi en Dieu. David se plaignait autrefois, et gémissait de ce qu'il n'y avait plus de saints dans le monde. Sauvez-moi, Seigneur, s'écriait-il, touché des progrès que faisait le vice, et des désordres qu'il voyait croître de jour en jour : sauvez-moi, parce qu'il n'y a plus de saints dans le monde. Or qu'est-ce que le monde, sinon un enfer, du moment qu'il n'y a plus de saints ? Salvum me fac, Domine, quoniam defecit sanctus (2). Telle était la prière de ce saint roi, dans l'ardeur de son zèle, à la vue des iniquités du monde. Mais, par un sentiment bien contraire, je me console aujourd'hui de ce que , malgré les iniquités du monde, il y a encore des saints dans le monde. Car tandis que je vois des communautés de vierges consacrées à Dieu, et uniquement appliquées à remplir les devoirs de leur vocation, des communautés qui se distinguent par leur inviolable et constante régularité, qui édifient l'Eglise, et qui sont de celles que saint Cyprien appelait la plus noble portion du troupeau de Jésus-Christ; tandis que je vois des maisons religieuses de ce caractère (or il y en a), je dis hardiment et sans crainte : Non, la main du Seigneur n'est pas raccourcie ; et, malgré l'envie du démon, il ne laisse pas d'y avoir encore des saints. Comme il y en a dans le ciel que Dieu glorifie, il y en a sur la terre

 

1 Levit., XI, 44. — 2 Psal., XI, 2.

 

qui glorifient Dieu, et ce sont au moins, mes chers auditeurs, ces chastes épouses du Sauveur, qui se vouent à lui comme à leur unique époux ; ces âmes pures, qui, possédées de l'Esprit de Dieu, font un divorce éternel et solennel avec le monde; ces élues rachetées d'entre les hommes, pour être, dans les familles où elles sont nées, comme les prémices offertes au Dieu qu'elles adorent; ces vierges dont les vêtements blanchis dans le sang de l'Agneau, n'ont jamais été souillés, et qui, tout innocentes qu'elles sont, s'imposent tout le joug de la pénitence. Voilà les saintes de Dieu sur la terre : Sanctis quœ sunt in terra ejus (1). Tout le reste du monde si vous voulez, est corrompu; et je consens qu'indignés des scandales dont le monde est plein, vous disiez avec le Prophète : Tous se sont égarés : Omnes declinaverunt (2) ; tous, en quittant Dieu, se sont livrés aux plus abominables désirs : Abominabiles facti sunt in studiis suis (3) ; il n'y en a pas un qui ne vive dans le dérèglement, pas un qui ne se fasse de ses passions de secrètes idoles : Non est qui faciat bonum, non est usque ad unum (4). Oui, je consens que vous parliez de la sorte, pourvu que vous en exceptiez ces saintes filles qui suivent des voies si opposées à celle du monde, et qui par là, se préservant de sa contagion, ne peuvent avoir aucune part à cet égarement universel : pourvu que vous reconnaissiez que dans leurs personnes Dieu s'est réservé des servantes fidèles, qui n'ont point fléchi le genou devant Baal; de sincères adoratrices qui le servent en esprit et en vérité, et qui, jour et nuit occupées du soin de lui plaire, lui font aux dépens d'elles-mêmes des sacrifices dont il n'y a que lui seul qui sache le prix et le mérite. Car voilà toujours, mes chères Sœurs, la fin pour laquelle Dieu vous a choisies.

Je dis plus : Dieu nous a choisis, afin que dans le monde chrétien nous soyons irrépréhensibles : Ut essemus sancti et immaculati. Car dans l'état religieux, une sainteté ordinaire ne nous suffit pas; il nous faut une sainteté irréprochable, une sainteté à l'épreuve de toute censure, une sainteté où le monde critique ne puisse découvrir aucune tache, j'entends de ces taches honteuses qui déshonorent notre profession : pourquoi? parce qu'il nous faut une sainteté propre à confondre le libertinage du monde et son impiété. Or jamais notre sainteté ne sera telle, si elle ne monte jusqu'à ce degré d'irrépréhensibilité. Et en effet, c'est par ce motif que saint Pierre engageait les premiers

 

1 Psal., XV, 3. — 2 Ibid., XIII, 3.—  3 Ibid., I.—  4 Ibid., 1.

 

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fidèles à se conduire parmi les Gentils d'une manière qui les mît à couvert, non-seulement de tout blâme, mais de tout soupçon, afin, leur disait-il, mes Frères, que vous fermiez ainsi la bouche aux hommes ignorants et insensés, c'est-à-dire aux ennemis de la foi : Ut benefacientes obmutescere faciatis imprudentium hominum ignorantiam (1). C'est par cette même raison que saint Paul conjurait les ministres de l'Eglise d'être des hommes sans reproche, afin, reprenait-il, que nos adversaires, qui étaient les païens et les idolâtres, n'ayant aucun mal à dire de nous, soient forcés de nous respecter et de glorifier Dieu dans nous : Ut is qui ex adverso est, vereatur, nihil habens malum dicere de nobis (2). Or voilà justement, mes chères Sœurs, ce que Dieu demande de vous et de moi : car les mondains, au milieu desquels nous vivons, ne sont pas moins attentifs à nous observer, ni moins déterminés à nous censurer, que l'étaient alors les païens et les idolâtres à l'égard des premiers fidèles; et nous ne sommes pas moins obligés, comme religieux, à confondre, par l'intégrité de notre vie, l'injuste et maligne critique des libertins d'aujourd'hui, que l'étaient les chrétiens de ce temps-là à confondre celle du paganisme : comme religieux, la cause de Dieu et de son service n'est pas moins entre nos mains, et j'oserais bien dire qu'elle y est encore plus. C'est donc à nous de la soutenir par l'excellent moyen que je vous marque, et le voici. L'erreur des mondains, par exemple, est de se figurer que la piété, dans les vues secrètes de la plupart de ceux qui la pratiquent, n'est qu'un raffinement spécieux d'intérêt ou de vanité : c'est à nous de les convaincre d'ignorance, en leur faisant voir dans la religion des âmes solidement humbles, qui, bien loin d'y chercher l'éclat, font leurs plus chères délices de s'y ensevelir, et d'y mener une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu ; des âmes plus que désintéressées, ou dont l'unique intérêt est de n'avoir plus dans le monde nul intérêt : Ut obmutescere faciatis imprudentium hominum ignorantiam. La malignité des impies et des libertins et de décrier les serviteurs de Dieu par certains endroits faibles qu'ils leur reprochent, est dont ils font contre eux le sujet de leurs railleries : c'est à nous d'éviter ces faibles, et pour l'honneur de la religion, duquel nous devons personnellement répondre, de ne donner sur nous aucune prise : Ut nihil habeant malum dicere de nobis. Ainsi en usaient ces premiers

 

1 1 Petr., II, 15. — 2 Tit., II, 8.

 

chrétiens révérés par les païens mêmes, et à qui, comme religieux, nous avons dû succéder. Capite nos, disaient-ils, ou plutôt disait en leur nom le grand Apôtre, en faisant aux Gentils un saint défi : Capite nos : neminem lœsimus, neminem circumvenimus (1) ; Examinez-nous bien : nous n'avons fait tort à personne, nous n'avons ni offensé ni trahi personne : qu'avez-vous à nous objecter qui puisse nous faire rougir, ou qui soit indigne de nous? voilà de quoi ils se piquaient : l'irrépréhensibilité de leur conduite était la gloire, tout ensemble, et de leur Dieu et de leur profession ; par là ils désarmaient l'impiété, et par là ils triomphaient de la calomnie. Or, grâces au Seigneur, l'Eglise chrétienne est encore aujourd'hui en possession du même avantage. Mais à qui est-ce surtout qu'elle en est redevable? A ces ferventes communautés dont je viens de vous parler, à ces monastères ou règne l'esprit de Dieu ; car sans chercher des exemples ailleurs que dans cette sainte maison, quel droit ces vierges qui m'écoutent n'auraient-elles pas de dire aux mondains, comme saint Paul : Capite nos ; Informez-vous de notre vie tant qu'il vous plaira; et toute votre malignité n'y trouvera rien dont elle puisse se prévaloir contre la profession que nous faisons d'être les épouses de notre Dieu ? Mais parce que leur humilité ne leur permettrait pas, peut-être, de tenir ce langage, quoique vrai, quel droit, mes chers auditeurs, n'aurais-je pas moi-même de vous le produire, pour vous faire un défi pareil à celui de saint Paul, en vous disant : Considérez bien ces servantes de Dieu; et, sans leur faire aucune grâce, ce que je n'ai garde de vous demander pour elles, rendez-leur la justice qui leur est due, et confessez qu'elles sont au-dessus de la plus rigide censure. Et en effet, qui de vous les accusera d'ambition ? qui de vous les soupçonnera d'hypocrisie ? qui de vous les reprendra d'aucun de ces vices par où la vertu tous les jours devient si douteuse et même si odieuse dans le monde? Il n'y a dans toute leur conduite, ni artifice, ni déguisement, ni affectation, ni ostentation, ni politique, ni intrigue : quel reproche auriez-vous donc à leur faire, et par quel endroit pourriez-vous éluder ou affaiblir l'argument que saint Paul tirait de là pour la condamnation de votre vie lâche et mondaine? Or voilà, mes chères Sœurs, à quoi vous et moi nous devons aspirer dans la religion, à être de ces sujets irrépréhensibles. Il y a plus encore.

 

1 2 Cor., VII,  2.

 

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Dieu nous a choisis, afin qu'en qualité de religieux, nous servions de modèle aux chrétiens du siècle; c'est-à-dire afin que les chrétiens du siècle apprennent de nous ce qu'ils sont, ou plutôt ce qu'ils doivent être; afin qu'ils aient toujours dans nos personnes une idée sensible de la perfection à laquelle ils sont appelés; afin qu'en  nous voyant, ils se souviennent, pour ainsi dire, de quelle tige ils sont sortis, et qu'en se mesurant à nous, ils reconnaissent qu'autant qu'ils se sont éloignés de cette tige, autant ils ont dégénéré du christianisme qu'ils professent. Car quelque différence qu'on suppose entre  leur état et le nôtre, qu'est-ce qu'un vrai religieux, sinon un chrétien parfait; et comment un chrétien peut-il espérer d'être parfait chrétien, si, dans le siècle même où Dieu l'engage, il n'est religieux d'esprit et de cœur? Je serais infini si je voulais approfondir cette pensée ; mais je manquerais au devoir essentiel de mon ministère, si je ne concluais de là, mes chères Sœurs, combien nous sommes spécialement obligés d'être réguliers et fervents dans la pratique de nos devoirs. Car, puisqu'en qualité de religieux, nous sommes  choisis  pour être les modèles des chrétiens du siècle, je dis les modèles vivants de la sainteté de leur profession, que serait-ce si nous-mêmes nous venions à  négliger la nôtre, et à nous oublier? jusqu'à quel point nos infidélités et nos tiédeurs, par les funestes conséquences qu'en tireraient les mondains, n'autoriseraient-elles pas leurs désordres, et jusqu'à quel point leur libertinage ne se prévaudrait-il pas de nos moindres relâchements? Si le sel se corrompt, disait Jésus-Christ, avec quoi empêchera-t-on tout le reste de se corrompre; et si dans l'Eglise de Dieu ce qui devait être lumière devient ténèbres, que sera-ce des ténèbres mêmes? Or c'est vous, ajoutait notre divin Maître, en parlant à ceux qui avaient tout quitté pour lui, c'est vous qui êtes ce sel de la terre: Vos estis sal terrœ. C'est vous qui, destinés pour éclairer et pour édifier, êtes la lumière du monde : Vos estis lux mundi. Sel de la terre qui n'est plus bon à rien dès qu'une fois il a perdu sa force; lumière du monde qui, venant à s'éteindre ou à s'obscurcir, selon la parabole du Sauveur, laisse tout le corps obscur et ténébreux. Ma consolation est de parler aujourd'hui à des vierges prudentes, zélées, vigilantes, qui sont bien à couvert de ce reproche; à des épouses du Fils de Dieu, dont la sainte vie est dans la maison du Seigneur un flambeau ardent et luisant, un sel pur et incorruptible, dont la vertu est à l'épreuve de toute l'iniquité du siècle.

De là, mes chères Sœurs, Dieu nous a choisis, afin que nous soyons dans la loi de grâce son peuple particulier, comme les Israélites l'étaient dans l'ancienne loi. Car c'est par là qu'on les distinguait, et qu'entre tous les peuples de la terre on les regardait comme le peuple de Dieu : pourquoi? parce que c'était à eux, dit saint Paul, qu'appartenait l'adoption des enfants, la gloire, l'alliance, le culte, la loi, les oracles de Dieu et ses promesses : Quorum adoptio est filiorum, et gloria, et testamentum, et legislatio, et obsequium, et promissa (1). Or, après le choix que Dieu a fait de nous par la vocation religieuse, tout cela nous convient encore plus qu'à eux. L'adoption des enfants, puisqu'en qualité de pauvres volontaires, nous sommes sans contestation les héritiers primitifs du Père céleste. La gloire, puisqu'en vertu du sacrifice que nous lui faisons de nous-mêmes, nous possédons dans la religion toute la dignité, aussi bien que la sainteté du sacerdoce royal de Jésus-Christ. L'alliance, puisqu'étant vierges par état, vous êtes, par un titre solennel, les épouses de cet Homme-Dieu. La loi, puisque, pour l'embrasser dans toute son étendue, non contentes d'en accomplir les commandements, vous y ajoutez les conseils de la plus éminente perfection. Le culte, puisque, libres et dégagées des emplois profanes du  siècle , vous êtes uniquement occupées des choses de Dieu. Les promesses, puisque c'est expressément pour vous que le Sauveur du monde a dit : Quiconque  aura tout quitté, et s'attachera à me suivre, recevra le centuple, et en cette vie, et dans la vie éternelle. Nous avons donc, comme religieux, tous les dons et tous les avantages qu'on peut avoir, pour être dans le christianisme le peuple de Dieu particulier : et au lieu que dans l'Ecriture Dieu dit aux  mondains : Vos non populus meus ; Vous n'êtes point mon peuple, et vous êtes indignes de l'être ; si nous sommes fidèles à la grâce de notre vocation, Dieu nous dit au contraire : C'est vous qui, séparés du monde, méritez  de porter cette  glorieuse  qualité ; c'est vous  qui , dévoués à mon  service , êtes  non-seulement mon  peuple,  mais  l'élite de mon peuple ; c'est vous qui, rachetés de la terre,  êtes ce peuple conquis que j'ai choisi pour publier mes grandeurs, et pour chanter éternellement mes louanges : Populus acquisitionis, ut virtutes annuntietis ejus qui de tenebris vos vocavit in admirabile lumen suum (2).

 

1 Rom., IX, 4. — 2 1 Petr.,  II,9.

 

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Or c'est à ce peuple particulier, ma chère Sœur, que vous allez être associée. Dieu vous a choisie, afin que, par le plus spécial de tous les titres, vous deveniez sa créature. Comme chrétienne, vous Tétiez déjà, mais vous ne l'étiez pas encore aussi parfaitement, aussi pleinement, aussi absolument que vous pouviez l'être ; et Dieu, par la prédilection qu'il a eue pour votre personne, a voulu que vous le fussiez dans la même étendue de perfection qu'il est votre Dieu. Comme chrétienne, vous n'étiez qu'un commencement, qu'un essai, et, si j'ose user de ce terme, qu'une ébauche de sa créature; car c'est ainsi que le Saint-Esprit même s'en explique : Genuit nos verbo veritatis, ut simus initium aliquod creaturœ ejus (1) ; Il nous a engendrés comme chrétiens par la parole de la férité, afin que nous soyons au moins un commencement de cette créature parfaite, que sa grâce est capable de former en nous : Ut simus initium aliquod. Mais comme religieuse vous allez être cette créature parfaite, cette créature à qui rien ne manquera pour être totalement à Dieu, pour être uniquement à Dieu, pour être irrévocablement à Dieu ; puisqu'il est vrai qu'on ne peut être plus à Dieu qu'en se consacrant à la religion. Il ne me reste donc qu'à conclure par les paroles de mon texte, et qu'à vous dire, ma chère Sœur : Memento et ne

 

1 Jac., I, 18.

 

obliviscaris; Souvenez-vous-en, et ne l'oubliez jamais. Souvenez-vous-en dans les occasions importantes, où il s'agira de remplir les devoirs pénibles de votre état. Souvenez-vous-en dans les épreuves que Dieu voudra faire de vous, quand il sera question de lui donner des marques de votre persévérance. J'ai choisi le Seigneur, et le Seigneur m'a choisie : ces deux pensées vous soutiendront et vous fortifieront. Avec cela, il n'y aura point de difficulté que vous ne surmontiez, point de tentation que vous ne repoussiez, point de chagrin et de dégoût au-dessus duquel vous ne vous éleviez. J'ai choisi le Seigneur, et le Seigneur a bien voulu agréer le choix que j'ai fait de lui ; le Seigneur m'a choisie, et par un libre consentement j'ai ratifié le choix qu'il a fait de moi : ces deux pensées, dis-je, vous feront goûter le bonheur de votre état, vous en adouciront toutes les peines, vous exciteront à en acquérir toute la perfection. Souvenez-vous-en durant le cours de la vie, pour vous maintenir dans l'inviolable fidélité que notre Dieu attend de vous. Vous vous en souviendrez aux approches de la mort, pour vous animer d'une sainte confiance à la vue de ce jugement si formidable pour les mondains , mais plein de consolation et de gloire pour les âmes vraiment religieuses. C'est la grâce que je vous souhaite, etc.

 

 

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