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SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT JEAN-BAPTISTE.
ANALYSE.
Sujet. Il y eut un homme envoyé de Dieu, qui s'appelait
Jean. Ce fut lui qui vint pour rendre témoignage à la lumière. Voilà
le véritable caractère de saint Jean-Baptiste, et sa principale fonction en qualité
de précurseur. Il a été le témoin de Jésus-Christ, et il est venu pour cela. Division. Témoignage de Jean-Baptiste en faveur de
Jésus-Christ : première partie. Témoignage de Jésus-Christ en faveur de Jean-Baptiste
: deuxième partie. Première
partie. Témoignage de Jean-Baptiste
en faveur de Jésus-Christ. Ce divin précurseur a eu toutes les qualités d'un
parfait témoin : 1° témoin fidèle et désintéressé; 2° témoin instruit et pleinement éclairé; 3°
témoin sur et irréprochable; 4° témoin zélé
et ardent; 5° témoin constant et ferme. 1°
Témoin fidèle et désintéressé. On voulut le reconnaître pour le Messie; mais il
protesta hautement qu'il ne l'était point. 2°
Témoin instruit et pleinement éclairé. Tout ce que nous savons de Jésus-Christ
et tout ce que nous en devons savoir, c'est Jean-Baptiste qui nous l'a enseigné
le premier, par les différents témoignages qu'il a rendus à ce Dieu Sauveur. 3°
Témoin sur et irréprochable. C'était un saint, et réputé saint par les Juifs
mêmes. 406 4°
Témoin zélé et ardent. Avec quel zèle parlait-il aux Juifs, leur reprochant
leur incrédulité et les appelant race de vipères? Il est venu avec l’esprit
d’Elie. 5°
Témoin constant et ferme. Depuis sa conception jusqu'à sa mort, il n'a point
cessé de remplir son ministère. Mourir comme il est mort, pour la justice,
c'était mourir en témoin de Jésus-Christ. Rendons
nous-mêmes témoignage à Jésus-Christ par l'observation de sa loi; et soyons des
témoins fidèles, zélés, irréprochables et constants. Deuxième
partie. Témoignage de Jésus-Christ en
faveur de Jean-Baptiste. Le Sauveur du monde, pour honorer son précurseur, a
rendu témoignage, 1° à la grandeur de sa personne; 2° à la dignité de son
ministère; 3° a l'excellence de sa prédation; 4° à l'efficace de son baptême;
5° à la sainteté de sa vie et à l'austérité de sa pénitence. 1°
A la grandeur de sa personne. Je vous dis en vérité : Parmi les enfants des
hommes, il n'y en a point de plus grand que Jean-Baptiste. 2°
A la dignité de son ministère. Je vous déclare que Jean est encore plus que
prophète. Car c'est de lui qu'il est écrit : Voici mon ange que j'envoie devant
vous, pour vous préparer la voie. 3°
A l'excellence de sa prédication. Toute l'excellence de la prédication consiste
à éclairer et a toucher : or, selon le témoignage de Jésus-Christ, Jean-Baptiste
était un flambeau luisant et ardent. 4°
A l'efficace de son baptême. Le Fils de Dieu voulut lui-même le recevoir. 5°
A la sainteté de sa vie et à l'austérité de sa pénitence. Qu'êtes-vous allés
voir dans le désert? un roseau que le vent agite? un homme vêtu mollement?
Ainsi parlait le Sauveur du monde, pour faire connaître la constance de Jean,
et sa vie austère et mortifiée. Tâchons,
par la sainteté de nos mœurs, a mériter que Jésus-Christ nous reconnaisse un
jour devant son Père; et craignons an contraire qu'il ne rende témoignage
contre nous, par l'opposition qui se rencontrera entre notre conduite et celle
de saint Jean. Fuit homo missus a Deo, cui nomen
erat Joannes. Hic venit in
testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine. Il
y eut un homme envoyé de Dieu, qui s'appelait Jean. Ce fut lui qui vint pour rendre
témoignage à la lumière. (Saint Jean, chap. I, 7.) Monseigneur (1), C'est le vrai caractère du
glorieux précurseur saint Jean, dont nous célébrons aujourd'hui la fête. Un
homme suscité de Dieu pour servir de témoin à celui qui, comme Fils de Dieu et
Verbe de Dieu, était la lumière incréée; un homme prédestiné pour annoncer et
pour faire connaître au monde le Dieu incarné ; un homme miraculeusement conçu
par une mère stérile ; un homme dont on peut dire , dès son berceau, que
l'Esprit de Dieu était en lui, et que la main du Seigneur était avec lui ; un
homme dont la mission fut autorisée par la plus éclatante preuve de la vérité,
qui est son éminente sainteté : et tout cela, pour rendre témoignage à
Jésus-Christ. Voilà à quoi se réduisent les hautes idées que l'Evangile nous en
donne. Il n'était pas la lumière : Non erat ille lux (2), mais il était
le témoin de celui qui fut la lumière même ; de cet Homme-Dieu, à qui seul il
appartenait de pouvoir dire absolument et sans condition : Ego sum lux mundi,
je suis la lumière du monde. Car c'est pour attester la vérité de cette parole
du Sauveur , que Jean-Baptiste est venu; et voilà, encore une lois , l'abrégé
de son éloge : Hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine
(3). Eloge, mes chers auditeurs, que vous ne devez pas considérer comme un
simple panégyrique du saint que l'Eglise honore 1 Messire Henri
Feydeau de Brou, évêque d'Amiens. 2 Joan., I, 8.—
3 Ibid., 7. en ce jour, mais comme un discours fondamental sur un des
points capitaux de notre religion ; comme une instruction essentielle dans le
christianisme ; comme une exposition du grand mystère de notre foi, qui est
l'incarnation divine. Car, entre Jésus-Christ et Jean-Baptiste il y a eu des
liaisons si étroites, qu'on ne peut bien connaître l'un sans connaître l'autre
: et si la vie éternelle consiste à connaître Jésus-Christ: Hœc est autem vita
œterna, ut cognoscant te solum Deum virum, et quem misisti Jesum Christum
(1) ; aussi une partie de notre
salut consiste-t-elle à connaître saint Jean : or il suffit, pour le connaître
parfaitement, de bien comprendre qu'il a été le témoin de Jésus-Christ, et
qu'il est venu pour cela : Hic venit in testimonium. Dès le
moment de sa naissance , il délia, par un miracle visible, la langue de son
père Zacharie, pour lui faire publier les louanges de Dieu. Opérez ici, grand
saint, un pareil miracle, et déliez ma langue, afin que je puisse dignement et
utilement annoncer vos illustres privilèges et vos vertus à cet auditoire
chrétien. J'ai besoin, pour y réussir, d'un puissant secours; et pour
l'implorer plus efficacement, je m'adresse à la reine des vierges : Ave,
Maria. Il faut en convenir, Chrétiens : c'est quelque chose de bien singulier dans la destinée de Jean-Baptiste, qu'il ait été choisi de Dieu pour servir de témoin au Sauveur du monde. Mais c'est encore quelque chose de plus surprenant, que le Sauveur du monde, tout Dieu qu'il était, ait eu besoin du témoignage de saint Jean ; et que dans l'ordre, ou du moins dans l'exécution 1 Joan., XVII, 3. 407 des divins décrets, le témoignage de ce glorieux précurseur ait été nécessaire pour l'établissement de notre foi : or l'un et l'autre est néanmoins vrai, et l'Evangile, qui est notre règle, ne nous permet pas d'en douter. Oui, le Sauveur, tout Dieu qu'il était, a eu besoin du témoignage de Jean-Baptiste. Ainsi cet Homme-Dieu le reconnaissait-il lui-même , lorsqu'il disait aux Juifs : Si testimonium perhibeo de meipso , testimonium meum non est verum : alius est qui testimonium perhihet de me (1) ; Si je rendais seul témoignage de moi-même, vous diriez, quoique injustement, que mon témoignage n'est pas recevable ; mais en voici un autre qui rend témoignage de moi. Car, selon la pensée de saint Chrysostome, expliquant à la lettre ce passage, cet autre dont parlait Jésus-Christ était saint Jean son précurseur. De plus, dans l'ordre des divins décrets, le témoignage de saint Jean était nécessaire pour l'établissement de notre loi. Car le même évangéliste, qui nous apprend que Jean est venu pour rendre témoignage à la lumière : Ut testimonium perhiberet de lumine (2), en apporte aussitôt la raison : Ut omnes crederent per illum; afin que tous crussent par lui. D'où il s'ensuit que notre foi, je dis notre foi en Jésus-Christ, est donc originairement fondée sur le témoignage de ce grand saint, puisqu'on effet c'est par lui que nous avons cru, par lui que la voie du salut nous a été premièrement révélée, en un mot, par lui que nous sommes chrétiens. Ceci sans doute lui est bien avantageux ; mais ce n'est pas là néanmoins que je borne son éloge, et ce que j'ajoute en va faire le complément et la perfection. Car de même que Jean-Baptiste a servi de témoin au Sauveur du monde, le Sauveur du monde, par une espèce de reconnaissance, si j'ose ainsi m'exprimer, a voulu servir de témoin à Jean-Baptiste. De même que, par rapport à nous, le Sauveur, tout Dieu qu'il était, a eu besoin du témoignage «le saint Jean, saint Jean, par rapport à lui-même, a plus eu besoin encore du témoignage du Sauveur; et autant que la foi chrétienne est fondée sur le témoignage que Jésus-Christ a reçu de son précurseur, autant la gloire du précurseur est-elle fondée sur le témoignage qu'il a reçu de Jésus-Christ. Voilà tout mon dessein, que je renferme en ces deux points. Jean-Baptiste rendant témoignage au Fils de Dieu : c'est le premier ; et le Fils de Dieu rendant témoignage à Jean-Baptiste : c'est le second. De là deux conséquences pour votre 1 Joan., V, 31, 32. — 2 Ibid., I, 7. édification : l'une , que nous devons tous , à l'exemple de
saint Jean, et en qualité de chrétiens, être autant de témoins de Jésus-Christ;
l'autre, que comme Jésus-Christ a rendu témoignage à saint Jean, il faut qu'il
nous le rende un jour, et que nous méritions de le recevoir, si nous voulons
être du nombre de ses élus. Imiter saint Jean, en faisant de nos actions et de
notre vie un témoignage sensible et continuel, dont Jésus-Christ soit honoré ;
mériter, comme saint Jean, que Jésus-Christ, au moins dans son dernier
jugement, nous honore devant Dieu de son témoignage : deux conclusions morales
dont la pratique bien entendue est le précis de toute la sainteté chrétienne,
et pour lesquelles je vous demande une favorable attention. PREMIÈRE PARTIE.
Cinq choses, Chrétiens, sont
nécessaires à quiconque est choisi pour témoin, et en doit faire l'office : la
fidélité et le désintéressement dans le témoignage qu'il porte, l'exacte
connaissance du sujet dont il porte témoignage, l'évidence des preuves sur quoi
il appuie son témoignage, le zèle pour la vérité en faveur de laquelle il rend
témoignage, enfin la constance et la fermeté pour soutenir son témoignage : or
je trouve que saint Jean a eu dans le degré le plus éminent ces cinq qualités;
car il a été pour le Sauveur du monde un témoin fidèle et désintéressé, un
témoin instruit et pleinement éclairé, un témoin sur et irréprochable, un
témoin zélé et ardent, un témoin constant et ferme. D'où je conclus qu'il a
donc parfaitement répondu au dessein de Dieu sur lui, et que rien ne lui a
manqué pour vérifier dans toute leur étendue ces paroles de mon texte: Hic
venit in testimonium. Ecoutez-moi, je ne dirai rien qui ne soit tiré de
l'Evangile même. Je prétends d'abord que Jean-Baptiste
a fait à L'égard de Jésus-Christ l'office d'un témoin fidèle et désintéressé.
La preuve en est incontestable; car voici, selon l’évangéliste, le témoignage
que rendit cet homme de Dieu, lorsque les Juifs lui députèrent des prêtres et
des lévites, pour lui demander qui il était : Et hoc est testimonium Joannis
(1). Que fit-il? il ne délibéra point, il confessa de bonne foi, et il protesta
non-seulement sans peine, mais avec joie, qu'il n'était point le Christ : Et
confessus est, et non negavit, et confessus est : Quia non sum ego Christus
(2). Ils le pressèrent : Quoi donc! êtes-vous Elie? et il leur dit: Je ne le 1 Joan., I, 17. — 2 Ibid., 20. 408 suis point : Non sum (1). Etes-vous prophète? il
répondit : Non : Et respondit : Non (2). Mais qui êtes-vous?
répliquèrent-ils, afin que nous puissions en rendre compte à ceux qui nous ont
envoyés; que dites-vous de vous-même? et c'est alors qu'il leur fit cette
humble, mais héroïque déclaration : Ego vox clamantis (3); Je ne suis
qu'une simple voix qui crie et qui annonce au monde la venue du Seigneur. Ah !
Chrétiens, quelle fidélité ! en vit-on jamais un plus bel exemple? Prenez
garde, s'il vous plaît : les Juifs étaient disposés, si saint Jean l'eût voulu,
à le reconnaître pour leur Messie, c'est-à-dire pour leur libérateur et pour
leur roi ; et Jean, avec une droiture d'âme qui les étonne, renonce à cette
dignité pour la conserver à Jésus-Christ : il n'avait qu'à dire une parole, il
n'avait qu'à donner son consentement, et toute la Synagogue serait venue en
foule lui rendre hommage; mais il sait trop bien ce qu'il est, et à qui il est.
Non, leur dit-il, mes frères, je ne suis point ce Messie que vous attendez ;
vous lui faites tort, et vous vous faites tort à vous-mêmes de le confondre
avec moi : ce n'est point moi ; c'est un autre plus grand, plus fort, plus
puissant que moi; un autre à qui je ne suis pas digne de rendre les plus vils
services; c'est celui-là, mes frères, qui est votre Christ et votre roi ; ne le
cherchez point dans ce désert, il est au milieu de vous, et vous ne le
connaissez pas : je n'en ai ni le mérite, ni la sainteté, je suis un homme
pécheur ; et Terreur la plus pernicieuse et la plus grossière où vous puissiez
tomber est de m'attribuer cette qualité de Messie, qui est infiniment au-dessus
de moi, et de tous les dons de grâce que je puis posséder. Encore une fois, y
eût-il jamais un témoignage plus désintéressé et plus fidèle ? Concevez-le encore mieux par la réflexion que fait ici saint Chrysostome, et dont sans doute vous serez touchés; la voici : Saint Jean, par une heureuse conformité de caractère , se trouvait si semblable à Jésus-Christ, qu'on le prenait souvent pour Jésus-Christ; et Jésus-Christ, par la même raison, quoique Fils unique de Dieu, était si semblable à saint Jean, qu'au rapport de l'Evangile , on le prenait aussi souvent pour saint Jean. Car de là vient qu'Hérode, apprenant les miracles que cet Homme-Dieu faisait dans la Judée, disait que c'était Jean-Baptiste qui était ressuscité : et de là vient que les pharisiens, voyant la vie toute céleste que Jean menait dans le désert, ne doutaient point qu'il ne fût le Christ, jusqu'à lui envoyer une 1 Joan., I, 20. — 2 Ibid., 21. — 3 Ibid., 23. ambassade pour le saluer comme Christ. Peut-on rien dire de plus glorieux à l'avantage de ce grand saint? oui, Chrétiens : et quoi? c'est que Jean-Baptiste, étant pris pour le Christ et passant pour l'être, déclara hautement qu'il ne l'était pas, et refusa, sans balancer, l'honneur qu'on voulait lui faire, pour avoir celui d'être fidèle à son Dieu; car la fidélité de ce témoignage valut mieux pour lui que toute la gloire et tous les honneurs qu'il eût pu recevoir de la Synagogue. Mais admirez, Chrétiens, les autres marques de cette fidélité : C'est pour cela, disent les Pères , que saint Jean, jusqu'à l'âge de trente ans, se tint caché dans le désert, sans vouloir converser avec les hommes, de peur que les hommes, déjà trop prévenus en sa faveur, ne s'attachassent à lui, au préjudice du souverain attachement qu'ils devaient avoir et qu'il voulait leur inspirer pour Jésus-Christ. C'est pour cela que, encore que la main du Seigneur fût avec lui, par une disposition particulière de la Providence , il ne fit jamais de miracles, de peur d'autoriser l'erreur où étaient les Juifs, qui le regardaient comme le Messie promis de Dieu : car s'ils étaient prêts, sans lui avoir vu faire aucun miracle, à le reconnaître pour le Messie, qu'auraient-ils fait s'ils l'avaient vu ressusciter les morts, et commander aux vents et à la mer? C'est pour cela qu'il ne parlait jamais de Jésus-Christ que dans les termes les plus magnifiques et les plus sublimes, et de soi-même, au contraire , qu'avec les sentiments de la plus profonde et de la plus parfaite humilité , prenant plaisir à s'abaisser pour exalter Jésus-Christ, disant de Jésus-Christ : il faut qu'il croisse; et de soi-même : il faut que je diminue ; témoignant que le comble de sa joie et l'accomplissement de ses désirs , était de voir Jésus-Christ connu et adoré dans le monde. Ceux de nies auditeurs qui m'écoutent avec un esprit et un cœur chrétien, comprennent et goûtent ce que je dis. Mais enfin , si saint Jean , fidèle à son Dieu, refusa, comme il était juste, les honneurs dus au seul Messie, que n'acceptait-il ceux au moins qui lui convenaient, et que les Juifs, sans le flatter, ni se tromper, lui déféraient? que n'avouait-il qu'il était prophète, puisqu'il l'était en effet? que ne confessait-il qu'il était Elie, puisqu'il en avait l'esprit, et que c'était personnellement de lui que le Sauveur disait : Elias venit (1) ; Elie est venu ; c'est-à-dire Jean-Baptiste, en qui Dieu fait revivre l'esprit d'Ëlie? Non, Chrétiens, il ne consent à 1 Marc, IX, 22. 409 rien de tout cela ; il ne veut être ni Elie , ni prophète,
ni docteur, ni maître ; il se contente d’être la voix de celui qui crie :
Préparez les voies du Seigneur ; Ego vox ; pourquoi ? parce qu'il veut
être tout au Seigneur, et rien à lui-même ; parce que, comme la voix n'a point d'autre
usage que d'exprimer la pensée et de la rendre sensible, aussi Jean-Baptiste
n'a-t-il point d'autre vue ni d'autre fin que de faire connaître le Verbe de
Dieu, en rendant témoignage à L'Homme-Dieu : Hic venit ut testimonium
perhiberet de lumine. J'ai dit de plus que ce saint
précurseur avait été, à l'égard du Sauveur du monde, un témoin pleinement
instruit : car tout ce que nous savons de Jésus-Christ, et tout ce que nous
devons en savoir, tout ce que la foi nous en révèle d'important et de
nécessaire au salut, c'est Jean-Baptiste qui nous l'a enseigné le premier, par
les différents témoignages qu'il a rendus à ce Dieu Sauveur ; et, en effet,
c'est lui qui nous a fait connaître Jésus-Christ en qualité de Dieu-Homme , en
qualité de rédempteur, en qualité de sanctificateur des âmes, en qualité
d'auteur de la grâce et des sacrements à quoi la grâce est attachée, en qualité
de juste juge, qui récompense et qui punit ; en un mot, dans toutes les
qualités qui en ont fait un médiateur accompli : l'induction en sera sensible,
et n'aura rien pour vous de fatigant. Il nous a fait connaître Jésus-Christ
comme Dieu-Homme, quand il disait de lui : Post me venit vir qui ante me
factus est, quia prior me erat (1) ; Celui qui est venu après moi était
avant moi. Car, pour raisonner avec saint Augustin, si Jésus-Christ était avant
saint Jean, ce ne pouvait être qu'en vertu de sa divinité; il était donc Dieu :
s'il était après saint Jean, ce ne pouvait être qu'en vertu de son humanité ;
il était donc homme : s'il était tout ensemble avant et après saint Jean, ce ne
pouvait être que selon les deux natures qui subsistaient en lui; il était donc
en même temps Dieu et homme. C'est ainsi que concluaient les Pères contre les
ariens, les nestoriens et les eutychiens ; ce témoignage seul de Jean-Baptiste
: Post me venit vir qui ante me factus est (2), ayant dès les premiers
siècles de l'Eglise confondu tous les hérétiques qui combattaient le mystère de
l'incarnation. Il nous l'a fait connaître comme rédempteur, quand il le
montrait à ses disciples, en leur disant : Ecce Agnus Dei ; Voilà
l'Agneau de Dieu qui doit être immolé comme une victime pour le salut des
hommes : Ecce qui tollit 1 Joan., I, 30.— 2 Ibid. peccatum mundi (1) ; Voilà celui qui efface les péchés du monde : ce qu'il ajoutait, remarque saint Augustin, pour désabuser les Juifs de la fausse idée où ils étaient que ce Sauveur, si longtemps attendu et si ardemment désiré, devait seulement venir pour les délivrer de leurs misères temporelles, et pour les affranchir de la domination des Romains ; au lieu qu'il venait pour les dégager de la tyrannie du démon et de la servitude du péché, et qu'il n'était Sauveur que pour cela. Il nous l'a fait connaître comme sanctificateur des âmes, quand il allait prêchant partout que c'est de la plénitude de Jésus-Christ que nous avons tous reçu les dons célestes : Et de plenitudine ejus nos omnes accepimus (2). Il nous l'a fait connaître comme auteur de la grâce et des sacrements, à quoi la grâce est attachée, quand il apprenait aux Juifs que Jésus-Christ avait établi un baptême bien plus salutaire et plus efticace que le sien, un baptême qui ne consistait pas simplement dans la cérémonie de l'eau, mais qui par le feu de la charité et par l'opération du Saint-Esprit, purifiait tout l'homme pour en faire un sujet digne de Dieu : Ipse vos baptizabit in Spiritu Sancto et igni (3). Il nous l'a fait connaître comme juste juge, comme souverain rémunérateur, quand il assurait que Jésus-Christ viendra à la fin des siècles, avec le van à la main, pour séparer le bon grain d'avec la paille : Cujus ventilabrum in manu ejus (4); c'est-à-dire pour séparer les élus des réprouvés, et pour rendre à chacun selon ses œuvres. Voilà en substance toute la théologie, qui se propose pour objet la personne sacrée de Jésus-Christ ; et cette théologie, comme vous le voyez, est contenue dans les témoignages de saint Jean. Ah! grand saint, de quoi ne ,vous sommes-nous pas redevables, après que vous nous avez révélé de si hauts mystères ; et que ne vous doit pas l'Eglise, puisque c'est par vous qu'elle est entrée dans les trésors de la grâce suréminente et de la gloire de son divin époux? Mais le témoignage que saint Jean rendit au Fils de Dieu fut-il aussi convaincant et aussi irréprochable qu'il était vrai ? Oui, Chrétiens , il était convaincant et irréprochable, et jamais les Juifs opiniâtres, qui sont demeurés dans leur incrédulité, n'auront de légitime excuse, ni même de prétexte pour s'en défendre ; car que pouvaient-ils répondre aux reproches que leur faisait le Sauveur du monde? Jean-Baptiste est venu, leur disait-il ; vous avez eu de la vénération pour lui, vous l'avez respecté comme un 1
Joan., I, 20.— 2 Ibid., 16.— 3 Luc, III, 16. — 4 Ibid., 17. 410 prophète, comme un homme envoyé de Dieu; et cependant, lorsqu'il a rendu témoignage de moi, vous ne l'avez pas écouté. S'il s'était lui-même déclaré votre roi et votre Messie, vous l'auriez cru ; car vous étiez déterminés à le reconnaître pour tel : et maintenant, parce qu'il vous a dit que c'est moi qui suis ce Messie promis dans la loi, vous ne le croyez pas. Un homme est-il moins digne de créance, quand il parle en faveur d'un autre, que quand il parle pour soi-même? Vous l'auriez cru dans sa propre cause, et vous ne le croyez pas dans la mienne : comment pouvez-vous soutenir une telle contradiction? Ce reproche, dis-je, fermait la bouche aux ennemis du Sauveur. Et quand il ajoutait, dans une juste indignation : Au reste, sachez que les femmes prostituées et les publicains ont été en ceci plus sages que vous : car, malgré la corruption de leurs mœurs, ils se sont soumis à la parole de Jean-Baptiste; et vous qui cherchez tant à vous parer dune fausse justice, vous vous obstinez à ne pas recevoir son témoignage : or, c'est pour cela que ces pécheurs et ces pécheresses vous devanceront dans le royaume de Dieu. Quand il parlait ainsi aux pharisiens, il les confondait : pourquoi? parce qu'il leur opposait un témoignage qui les condamnait par eux-mêmes, savoir, le témoignage de saint Jean. En effet, ceux des Juifs qui furent fidèles à la grâce et qui crurent en Jésus-Christ, n'y crurent d'abord que sur le témoignage de son incomparable précurseur ; ce témoignage faisait tant d'impression sur leurs esprits, qu'ils ne pouvaient y résister. Il est vrai, saint Jean leur disait de Jésus-Christ des choses prodigieuses et inouïes : il leur disait que celui qui passait parmi eux pour le fils d'un artisan, était Fils de Dieu et égal à Dieu ; qu'étant Dieu il s'était fait chair, et que, sans cesser d'être Dieu, il était devenu homme sujet à la mort : tout cela devait naturellement révolter leurs esprits ; mais parce que saint Jean s'en faisait le garant, ils croyaient tout sur sa parole, et ils aimaient mieux, dit saint Chrysostome, captiver leur entendement, jusqu'à reconnaître qu'un Dieu s'était humilié, s'était fait esclave, s'était anéanti, que de penser en aucune sorte .que Jean-Baptiste se fût trompé ; estimant l'un plus impossible que l'autre, c'est-à-dire se tenant plus sûrs que Jean-Baptiste ne se trompait pas dans le témoignage qu'il rendait, qu'il ne leur semblait incroyable qu'un Dieu en fût venu jusqu'à cet excès d'humiliation et d'abaissement. Y eut-il jamais sur la ferre un tel don de persuader et de convaincre ? Je vais encore plus loin,
Chrétiens; il faut qu'un témoin ait de l'ardeur et du zèle pour 11 vérité dont
il rend témoignage. Ce zèle a-t-il manqué à saint Jean? vous le savez, et en
vain m'étendrais-je sur ce point, puisqu'il est évident que tout le soin du
divin précurseur a été de faire connaître Jésus-Christ, de le faire adorer, de
le faire aimer, de lui procurer dans le monde l'honneur et le culte qui lui est
dû , et d'apprendre aux hommes à le recevoir d'une manière convenable à sa
dignité, mais surtout à sa sainteté. Or, pour cela , il ne se contentait pas de
montrer aux Juifs cet agneau de Dieu comme l'espérance et le salut d'Israël;
mais il faisait retentir sa voix dans tout le désert, pour le prêcher
hautement; mais, par un succès merveilleux que Dieu donnait à sa parole , il
attirait les bourgades, les villes entières, et les convertissait à
Jésus-Christ; mais quand il trouvait des esprits rebelles et indociles , ne
pouvant contenir son zèle, et animé d'un saint courroux , il s'élevait contre
eux, il les traitait de serpents et de race de vipères, il les menaçait de la
colère du ciel : Genimina viperarum (1). Quel était donc le grand
exercice et l'unique occupation de Jean-Baptiste? de disposer les peuples à la
venue de Jésus-Christ, de les exhorter à la pénitence, parce que la pénitence
est la voie qui doit nous conduire à Jésus-Christ; de leur recommander surtout
l'humilité, parce que c'est l'humilité qui nous rend capables de participer à
la rédemption de Jésus-Christ. Parate viam Domini (2) : Mes frères, leur
répétait-il sans cesse, préparez les voies du Seigneur. Voici votre Dieu qui
vient à vous dans l'état d'une humilité profonde; ne paraissez pas devant lui
comme des collines et des montagnes, c'est-à-dire comme des hommes superbes et
orgueilleux. Pour rendre ces voies du Seigneur droites et unies, soyez petits à
vos yeux, soyez humbles, et défaites-vous de cette propre estime et de cet
amour-propre qui vous enflent. Ainsi leur parlait-il, faisant l’office de
témoin ; mais le faisant en apôtre. Voila pourquoi ce grand saint n'eut point
de désir plus ardent que de gagner des disciples à Jésus-Christ; voilà
pourquoi, non content de lui en former de nouveaux , il lui donnait même les
siens. Allez, leur disait-il, mes chers enfants, je ne suis plus votre maître;
le grand maître est venu ; c'est le votre et c'est le mien : ne pensez plus
désormais à moi. C'est à celui-là qu'il faut vous attacher : il a les paroles
de la vie éternelle. Allez le trouver, demandez-lui 1 Luc., III, 7. — 2 Ibid., 4. 411 s'il n'est pas ce désiré de toutes les nations que nous
attendons depuis si longtemps, et vous venez comme il vous répondra par ses
miracles. Quel zèle, Chrétiens, pour la gloire de Jésus-Christ ! Voulez-vous un
abrégé de toute la vie de saint Jean ? en deux mots, le voici : il est venu,
dit saint Luc, comme un second Elie; et, avec une ardeur infatigable, il a
travaillé à la conversion des cœurs ; il a réuni les pères avec les enfants ;
il a rappelé les désobéissants et les incrédules à la prudence des justes : et
pourquoi tout cela? pour préparer à Jésus-Christ un peuple parfait : Parare
Domino plebem perfectam (1). Voilà ce que j'appelle un témoin zélé. Enfin , ce fut un témoin
constant, puisque , depuis sa conception jusqu'à sa mort, il n'a point cessé de
remplir son ministère : car ne pensez pas qu'il ait attendu jusqu'au temps de
sa prédication pour rendre témoignage au Sauveur du monde : dès le sein de sa
mère il avait déjà commencé. Ce tressaillement que ressentit Elisabeth trois
mois avant la naissance de ce fils si cher et donné de Dieu, cette joie dont il
fut saisi et qu'il lit sensiblement paraître, ce furent les premiers
témoignages qu'il rendit à son Dieu. Fervens nuncius, s'écrie saint
Pierre Chrysologue, qui ante cœpit nuntiare Christum , quam vivere ! O
le fervent témoin ! dit ce Père, qui eut l'avantage d'annoncer Jésus-Christ
avant que de vivre ! Mais ce témoignage précoce, pour ainsi dire , n'était
qu'un essai de tous les autres témoignages que saint Jean-Baptiste devait
porter en faveur du Fils de Dieu ; ce qu'il avait commencé miraculeusement
avant sa naissance, il le continua pendant tout le cours de sa vie ; et comme
il avait vécu en témoin de Jésus-Christ, il voulut mourir de même : car mourir
pour la justice et pour la vérité, mourir en reprochant aux grands du monde
leur iniquité, mourir en instruisant Hérode de ses devoirs, mourir en faisant
respecter jusque dans la cour la sainte liberté d'un prophète qui parle pour la
cause de Dieu , n'est-ce pas mourir en témoin de Jésus-Christ? Ainsi
Jean-Baptiste a-t-il été constant dans son témoignage , puisqu'il l'a rendu dès
son entrée au monde, puisqu'il l'a rendu jusqu'au dernier moment de sa vie,
puisqu'il l'a rendu par ses paroles, puisqu'il l’a rendu par ses actions ,
puisqu'il l'a rendu par ses souffrances, puisqu'il l'a rendu par son martyre et
par sa mort, et que partout il a 1 Luc, I, 17. vérifié ce qui était écrit de lui : Hic venit in
testimonium , ut testimonium perhiberet de lumine. Excellent modèle que Dieu nous
présente aujourd'hui, et qui doit faire le sujet de nos plus sérieuses
réflexions. Je m'explique : nous tous qui faisons profession du christianisme,
nous devons servir de témoins à Jésus-Christ; voilà à quoi nous engage notre
religion. Qu'est-ce qu'un chrétien ? Un homme député de Dieu, un homme autorisé
de Dieu, un homme quia reçu de Dieu un caractère particulier, pour être le
témoin de Jésus-Christ : Et eritis mihi testes (1). De sorte que, si
nous ne participons à cette glorieuse qualité du précurseur saint Jean, nous
pouvons dire avec confusion et avec douleur qu'il n'y a point en nous de
christianisme, ni par conséquent de salut pour nous. En effet, dit saint
Augustin , depuis que Jésus-Christ est venu au monde et qu'il a racheté le
monde, Dieu , dans le conseil éternel de sa sagesse, a tellement disposé les
choses, qu'il n'y aura jamais d'homme sauvé que celui qui, selon la mesure de
la grâce attachée à son état, aura rendu témoignage à ce divin Sauveur. Tous
les saints qui sont dans le ciel, n'y sont qu'en vertu de ce titre ; les
apôtres n'y sont assis sur des trônes de gloire, que parce qu'ils ont rendu au
Fils de Dieu le témoignage de la parole, en prêchant son nom; les martyrs n'y
sont couronnés, que parce qu'ils lui ont rendu le témoignage de leur sang, en
souffrant et en mourant pour lui ; et les confesseurs n'y portent, comme
confesseurs, des palmes en leurs mains, que parce qu'ils lui ont rendu le
témoignage de leur sainte vie en pratiquant son Evangile : or c'est à nous, mes
chers auditeurs, de nous former sur leur exemple. Il y en a peu parmi vous qui
soient destinés au ministère apostolique. Nous ne sommes plus au temps des
persécutions, où la grâce du martyre était une grâce commune ; mais il faut
qu'avec l'esprit de la foi nous confessions tous Jésus-Christ par l'innocence
de nos mœurs, par l'édification de notre vie, par la ferveur de nos bonnes
œuvres : car voilà pourquoi il nous a choisis. Il a apporté du ciel une loi
sainte et toute divine, et il veut que nous en convainquions le monde. Or, le
monde ne recevra jamais notre témoignage sur la sainteté de cette loi, tandis
qu'il nous verra dans le désordre et dans la corruption du vice. Pour être de
légitimes témoins de là loi de 1 Act., I, 8. 412 Jésus-Christ, il faut que nous nous conformions à elle, et
que nous pratiquions fidèlement ce que nous confessons de bouche : sans cela,
notre témoignage est vain. Que devons-nous donc faire? ah! Chrétiens,
l'importante insfruction pour vous et pour moi! Ce que nous devons faire, c'est
de rentrer souvent dans nous-mêmes, et de nous examiner de bonne foi devant
Dieu, en nous demandant à nous-mêmes : Hé bien ! la vie que je mène est-elle un
témoignage recevable en faveur de Jésus-Christ et de sa loi? Si l'on en jugeait
par mes actions et par ma conduite, quelle idée le monde aurait-il du
christianisme que je professe? Ce pernicieux attachement aux biens de la terre,
ce désir insatiable d'en avoir, cette crainte excessive d'en manquer, qui
endurcit mon cœur, quel témoignage pour un Dieu qui a béatifié la pauvreté, et
qui l'a consacrée dans sa personne ! cette mollesse de vie dont je me fais une
habitude et même une fausse conscience, ce soin extrême de ma sauté, cette
recherche continuelle de tout ce qui flatte mes sens, quel témoignage pour un
Dieu mort sur la croix! cette ambition à laquelle je me livre, ces mouvements
que je me donne pour me pousser, pour m'élever, pour ne travailler qu'a l'accroissement
de ma fortune, quel témoignage pour un Dieu qui s'est anéanti ! Ah! Seigneur,
doit dire un mondain dans l'amertume de son âme, pour peu qu'il ait encore de
foi, je le reconnais : ce sont là comme autant de faux témoignages que j'ai
portés contre vous. Car il n'y a point de témoignage plus faux que celui qu'on
rend à un Dieu souffrant, par une vie toute sensuelle; que celui qu'on rend à
un Dieu pauvre, par une vie employée à satisfaire l'avarice et la cupidité. Et
voilà ce qui me fait trembler : si c'est un crime de porter faux témoignage
contre un homme, que sera-ce, ô divin Sauveur, de l'avoir porté mille fois
contre vous, qui êtes mon Dieu? Telle est, dis-je, Chrétiens, la
première leçon que nous devons nous faire à nous-mêmes; il faut que nous
servions de témoins à Jésus-Christ, mais il faut encore qu'à l'exemple de saint
Jean nous soyons pour Jésus-Christ des témoins fidèles, des témoins zélés, des
témoins irréprochables , des témoins constants. Ne perdez rien de toute cette
morale : des témoins fidèles qui ne nous cherchions pas nous-mêmes; qui, sous
ombre de l'honorer, ne nous attirions pas l'honneur; qui ne tendions pas, en le
glorifiant, aux fins secrètes de notre amour-propre; qui, par un raffinement de
piété, je dis de piété mercenaire, n'affections pas, en le servant, la gloire
même de le servir; au contraire, qui nous fassions un devoir de nous renoncer,
de nous sacrifier, de nous immoler pour lui : car si le monde, tout perverti
qu'il est, produit bien des hommes de ce caractère, c'est-à-dire s'il se trouve
des ministres qui se distinguent par là, qui sont tout à leurs maîtres, et rien
à eux-mêmes; si nous en voyons des exemples, quel sentiment la foi ne doit-elle
pas là-dessus nous inspirer? Est-ce trop pour le Dieu qui nous a sauvés et à
qui nous appartenons, que nous soyons tout à lui? la fidélité dont nous lui
sommes redevables, doit-elle être d'une moindre étendue que celle dont on se
pique envers les souverains de la terre? faut-il que le monde nous apprenne sur
cela notre devoir? faut-il que Dieu ait en nous des sujets moins dévoués que
nous ne les voudrions pour nous-mêmes? Cependant voilà notre désordre, jusque
dans le culte que nous rendons à notre Dieu : nous ne regardons souvent que
nous-mêmes, nous rapportons tout à nous-mêmes, nous ne pouvons nous défaire de
nous-mêmes, et nous n'agissons jamais sur ce grand principe de saint Paul, que
nous ne sommes plus à nous-mêmes, mais à celui qui nous a rachetés. Des témoins
zélés, pour soutenir, en mille occasions qui se présentent, la cause de
Jésus-Christ; et la soutenir, contre qui? contre l'impiété, contre le
libertinage, contre le vice, qui sont proprement ces races de vipères à la
malignité desquelles la force et l'efficace de notre zèle doit s'opposer;
étant, comme nous devons l'être, bien persuadés que, parmi les mauvais
chrétiens, cet Homme-Dieu n'a pas des ennemis moins dangereux qu'il en avait
parmi les Juifs; et que c'est à nous, comme héritiers du zèle de saint
Jean-Baptiste, de combattre ses ennemis, de les réprimer et de les confondre.
Que si en cela nous sommes lâches, si le respect humain nous ferme la bouche,
si la crainte de déplaire au monde nous rend timides; si, à force de vouloir
être prudents, nous devenons prévaricateurs; si, au lieu de nous élever contre
le scandale, nous nous contentons d'en gémir ; si , par nos ménagements et nos
tolérances, nous le fomentons ; si nous nous taisons où il faudrait parler, et
si nous dissimulons où il faudrait agir ; dès là nous sommes indignes d'être à
Jésus-Christ, et Jésus-Christ ne nous reconnaît plus. Des témoins
irréprochables, qui ne détruisions pas d'une part ce que nous prétendons 413 établir de l'autre, qui soyons à l'épreuve de la censure ,
et qui, par certains endroits , n'affaiblissions pas le témoignage que Jésus-Christ
d'ailleurs reçoit de nous, nous souvenant de l'avis de saint Bernard , que le
monde est trop éclairé pour que nous puissions aisément lui imposer; que,
quelque soin que nous prenions de nous cacher, il découvrira notre faible, et
qu'il ne manquera pas de nous l'objecter; qu'un seul point qui le scandalisera
dans nous, empêchera à son égard tout l'effet des vertus les plus exemplaires
que nous pourrions pratiquer; et, qu'à moins d'être
irrépréhensibles, dans le sens que l'entend saint Paul , nous sommes incapables d'être les témoins de
Jésus-Christ. Enfin, des témoins constants, pour tenir ferme et pour ne nous
point relâcher dans les persécutions que l'enfer nous suscitera ; pour
supporter avec patience les contradictions des hommes, pour résister à nos
propres faiblesses et pour vivre et mourir, selon l'exemple de saint Jean , en
rendant témoignage à ce Seigneur, qui veut spécialement être honoré par notre
persévérance. Voilà, mes chers auditeurs
, ce que nous devons être. Mais c'est à vous, ô mon Dieu, de faire, par votre
grâce toute-puissante, que nous soyons tels , comme c'est à nous de coopérer à
cette grâce pour arriver à cette perfection : c'est à vous à nous imprimer ces
caractères, et à nous de vous présenter des cœurs qui en soient susceptibles.
Vous avez vu , Chrétiens, le témoignage de saint Jean en faveur de
Jésus-Christ; voyez le témoignage de Jésus-Christ en faveur de saint Jean :
c'est le sujet de la seconde partie. DEUXIÈME PARTIE.
C'est une question qui se
présente naturellement à l'esprit, savoir lequel des deux fut plus avantageux à
Jean-Baptiste, ou de ce qu'il servit de témoin au Fils de Dieu , ou de ce que
le Fils de Dieu lui servit lui-même de témoin ; et je prétends qu'on peut bien
appliquer ici ce que disait saint Augustin, lorsque, faisant le parallèle des
deux apôtres de Jésus-Christ, saint Pierre et saint Jean l’évangéliste , il
demandait qui des deux avait eu une destinée plus souhaitable et plus digne
d'envie : ou saint Pierre, qui, selon le rapport de l'Evangile , semblait avoir
aimé son maître plus ardemment; ou saint Jean, qui, comme disciple favori, en
avait été plus tendrement aimé : car ce saint docteur répondait qu'à juger de
l'un et de l'autre par les règles de la religion , il y avait eu plus de mérite
à aimer comme saint Pierre, mais qu'il y avait eu plus de bonheur et plus de
faveur à être aimé comme saint Jean ; et qu'ainsi la comparaison ne pouvait
être qu'à l'avantage des deux, parce que, si saint Jean avait eu au-dessus de
saint Pierre la préférence de la tendresse et la prédilection de Jésus-Christ,
saint Pierre l'avait emporté sur saint Jean par la ferveur et le zèle qu'il
avait témoigné pour Jésus-Christ. Il m'a paru, dis-je. que cette décision de
saint Augustin convenait parfaitement à la question que je me suis proposée
touchant le divin précurseur saint Jean-Baptiste; car en voici la juste
application: avoir servi de témoin au Fils de Dieu, c'est ce qui a fait le
mérite de ce grand Saint; mais avoir eu pour témoin le Fils de Dieu même, c'est
ce qui a fait son bonheur et sa gloire ; et je vais vous montrer que cette
gloire a été la récompense et le couronnement de son mérite , comme il est vrai
que son mérite a été le fondement et le principe de cette gloire. Ecoutez-moi;
il n'y aura rien en tout ceci qui ne vous instruise et qui ne vous édifie. Ne vous étonnez pas, Chrétiens,
que le Sauveur du monde , par une espèce de reconnaissance, ait bien voulu
rendre témoignage à saint Jean, et servir de témoin à son témoin même ;
c'était, dit saint Chrysologue, pour vérifier dès lors, et pour accomplir par
avance cette promesse si solennelle et si authentique : Qui confitebitur me
coram hominibus, confitebor et ego eum coram Patre meo (1) : Quiconque me
confessera et me reconnaîtra devant les hommes , je le reconnaîtrai devant mon
Père et devant les anges, au jour de mon dernier avènement ; ainsi l'assurait
le Fils de Dieu, parlant des justes en général : mais à l'égard de
Jean-Baptiste , il a encore plus fait; car, sans attendre la fin des siècles,
il lui a servi de témoin dès cette vie, il l'a reconnu, il l'a glorifié en
toutes les manières. Je m'explique : qu'a fait le Sauveur du monde pour honorer
son précurseur? il a rendu témoignage à la grandeur de sa personne, il a rendu
témoignage à la dignité de son ministère, il a rendu témoignage à l'excellence
de sa prédication , il a rendu témoignage à l'efficace de son baptême, il a
rendu témoignage à la sainteté de sa vie et à l'austérité de sa pénitence :
tout cela, autant d'éloges sortis de la bouche du Fils de Dieu même, en faveur
de saint Jean : pesez-les, mes chers auditeurs, et admirez-les. Non, jamais homme ne s'est attiré
et n'a reçu tout à la fois tant d'honorables témoignages 1 Matth., X, 32. 414 que saint Jean-Baptiste. C'est ce que nous apprend l'évangile de ce jour; car nous y voyons les anges et les hommes, par une espèce de concert, occupés à l'exalter. Des hommes, au premier bruit de sa naissance, en sont déjà dans le ravissement, et manquent, ce semble, de termes pour exprimer les hautes idées qu'ils conçoivent de sa personne; ils se demandent les uns aux autres : Quis, putas, puer iste erit (1) ? Que pensez-vous que sera un jour cet enfant? comme s'ils disaient : Voici un enfant en qui la nature et la grâce ont déployé tous leurs trésors, un enfant de bénédiction, un enfant de prodiges et de miracles. Déjà, tout enfant qu'il est, la main du Seigneur, c'est-à-dire la puissance et la force de Dieu, est avec lui ; déjà il a délié la langue de son père Zacharie ; déjà il a rendu féconde la stérilité de sa mère Elisabeth : mais s'il a fait en naissant tant de merveilles, que fera-t-il dans le progrès de sa vie? s'il est si grand dès son berceau, que sera-ce quand , avec l'âge , il aura atteint la perfection d'une vertu consommée? c'est un secret, ajoutent-ils, que nous nous contentons de révérer, et qu'il ne nous est pas possible de pénétrer : Et posuerunt omnes qui audierunt, in corde suo, dicentes : Quis, putas, puer iste erit (2)? Après avoir entendu toutes ces merveilles, ils les conservent dans leur cœur, et ils demeurent dans le silence, parce qu'ils ne croient pas pouvoir s'en expliquer assez dignement. Mais voici un ange, qui vient suppléer à leur défaut, un ange député de Dieu : c'est Gabriel qui vient résoudre leur doute, et leur apprendre clairement et distinctement ce qu'ils doivent penser de la personne de Jean. Vous êtes en peine de savoir ce que sera un jour cet enfant ; et moi, dit l'ange, je vous déclare qu'il sera grand devant le Seigneur : Erit magnus coram Domino (3). Témoignage, Chrétiens, qui suffisait pour canoniser le précurseur de Jésus-Christ : car être grand devant les hommes, ce n'est rien ; être grand devant les princes et les rois, qui sont les dieux de la terre, c'est peu, puisque ces dieux de la terre sont eux-mêmes très-petits ; mais être grand devant le Seigneur, comme Jean-Baptiste, c'est être vraiment grand, c'est être solidement grand, c'est être absolument grand, parce que c'est être grand devant Celui qui est non-seulement la grandeur même, mais la source et la mesure de toutes les grandeurs : Erit magnus coram Domino. En effet, tout est petit devant Dieu, et les plus hautes puissances de l'univers ne sont, en présence 1 Luc., I,
66. — 2 Ibid. — 3 Ibid., 15. de cette majesté divine, que des atomes et des néants : Et
substantia mea tanquam nihilum ante te (1). Mais pour saint Jean, il est
quelque chose, et quelque chose de grand devant Dieu même : Magnus coram
Domino. Concluez de là quel est donc le caractère de sa personne, et le
degré de sa grandeur. Je me trompe, Chrétiens, ne le concluez pas encore de là
; c'est d'un autre témoin, c'est de Jésus-Christ qu'il faut que vous
l'appreniez : car il n'appartenait qu'à lui de nous donner une juste idée de la
personne de Jean-Baptiste. Les hommes n'en ont pu rien dire ; l'ange, quoique
ministre du Seigneur, n'en a pas dit assez; mais le Fils de Dieu couronnera
tout par son témoignage. Et que dira-t-il? une parole qui renferme ou plutôt
qui surpasse tous les éloges. Amen dico vobis, non surrexit inter natos
mxdierum major Joanne Baptista (2) : Oui, je vous dis en vérité, qu'entre
tous les enfants des hommes, il n'y en a point de plus grand que Jean-Baptiste.
Voilà , mes chers auditeurs, le comble de la grandeur : car être grand même
devant Dieu, c'était, après tout, une louange qui convenait à plusieurs autres
saints ; mais être si grand qu'entre tous les enfants des hommes il n'y en ait
point eu de plus grand, c'est la louange particulière et l'avantage de saint
Jean. Sur cela les Pères et les interprètes sont partagés : les uns veulent que
Jean n'ait été le plus grand qu'entre les saints de l'ancienne loi ; et les
autres, qu'il n'y en ait point eu de plus grand que lui, même entre les saints
de la loi de grâce. Quoi qu'il en soit, c'est de lui, et de lui seul, que le
Sauveur a dit : Non surrexit inter natos mulierum major. Voilà l'oracle
de la vérité, à quoi, sans rien examiner de plus, nous devons nous en tenir, et
voilà le premier témoignage que le Fils de Dieu rendit à la personne de saint
Jean. J'ai dit qu'il en avait rendu un
autre à la dignité de son ministère : comment cela? le voici. L'office
important et le ministère essentiel de Jean-Baptiste, fut d'être le précurseur
de Jésus-Christ ; mais cet office de précurseur était si relevé au-dessus de
tous les autres ministères où les hommes jusque-là avaient été employés, que,
sans le témoignage de Jésus-Christ nous ne l'aurions jamais compris. Prend
garde, s'il vous plaît. Les Juifs reconnaissaient saint Jean pour un prophète,
et ils en jugeaient bien, car il l'était; mais ils le croyaient simplement
prophète, et en cela ils se trompaient, car il était quelque, chose de plus : Etiam
dico 1 Psal., XXXVIII, 6. — 2 Matth., XI, 11. 415 vobis, et plus quam prophetam (1). Oui, leur disait
le Fils de Dieu, il est prophète , et plus bue prophète. Pourquoi , demande
saint Jérôme, plus que prophète? parce que les prophètes n'avaient annoncé le
Messie que dans l'avenir, au lieu que Jean-Baptiste annonçait qu'il était venu
; parce que les prophètes n'avaient vu les choses que de loin et dans l'obscurité,
au lieu que saint Jean les voyait clairement et en elles-mêmes. Sans autre
raison que celle-là, on avait droit de le mettre au-dessus de tous les
prophètes, et de l'appeler plus que prophète; mais la prééminence de son
ministère était fondée sur un titre encore plus digue de nos réflexions: Etiam
dico vobis, et plus quam prophetam. Hic est enim de quo scriptum est ; Ecce ego
mitto angelum meum qui prœparabit viam tuam ante te (2) ; Il est plus que
prophète , ajoutait le Sauveur du monde, parce que c'est celui dont le Père
éternel a dit à son Fils : Voici mon ange, que j'enverrai devant vous pour vous
préparer la voie. En effet, préparer la voie à un Dieu et être le précurseur
d'un Dieu, c'était faire l'office d'un ange, et les anges du premier ordre se
seraient tenus honorés de cette commission; mais cette commission est réservée
à Jean , et il était proprement l'ange de Jésus-Christ. Or, être l'ange de
Jésus-Christ , c'était quelque chose sans doute de plus honorable que d'être un
ange du commun : car les anges du commun, quoique ambassadeurs de Dieu, n'ont
point d'autre ministère que de veiller à la conduite des hommes; mais le
ministère de Jean-Baptiste regardait immédiatement la personne de Jésus-Christ,
puisqu'il n'était envoyé au monde que pour Jésus-Christ : Ecce ego mitto
angelum meum ante faciem tuam (3) Ah ! Chrétiens, est-il rien de plus
sublime, et qui doive nous inspirer plus de vénération pour ce grand saint?
c'était l'ange de notre Dieu ; il a fait dans le mystère de l'incarnation le même
office que l'ange envoyé à Marie de la part de Dieu; et en vertu de sa mission,
il a rendu à Jésus-Christ, comme précurseur, des services plus importants et
plus nécessaires que jamais les anges n'en ont pu rendre à cet Homme-Dieu.
Encore une fois, ministère tout angélique, ou plutôt ministère tout divin, que
Jésus-Christ a voulu honorer de son témoignage. Ajoutez-y ce qui doit en être la conséquence naturelle, je veux dire le témoignage que le Sauveur du monde rendit à la prédication de 1 Matth., XI, 9. — 2 Ibid., 10. — 3 Ibid. saint Jean. Vous le savez : toute l'excellence de la
prédication consiste en deux points, à éclairer et à toucher, à instruire et à
émouvoir; mais il est rare de trouver l'un et l'autre ensemble : car il arrive
tous les jours qu'entre ceux qui sont destinés, et qui ont même reçu des
talents du ciel pour être les dispensateurs de la parole de Dieu, les plus
fervents et les plus zélés ne sont pas les mieux pourvus de sciences et de
lumières ; et que les plus intelligents et les plus habiles ne sont pas
ordinairement ceux qui ont le plus de zèle et d'ardeur. Les uns éclairent, mais
ne touchent pas; les autres touchent, mais n'instruisent pas; au lieu que
Jean-Baptiste, selon le témoignage de Jésus-Christ, excellait également dans tous
les deux : Ille erat lucerna ardens et lucens (1). Vous l'avez vu,
disait aux Juifs ce Dieu Sauveur, et vous l'avez admiré. C'était un flambeau
qui éclairait toute la Judée ; mais c'était un flambeau ardent et luisant :
luisant, pour dissiper toutes les ténèbres de l'infidélité du siècle, et
ardent, pour embraser tous les cœurs du divin amour. Il a prêché parmi vous
avec tout l'esprit et toute la vertu d'Elie : In spiritu et virtute Eliœ
(2). L'esprit sans la vertu, ou la vertu sans l'esprit, n'auraient pas suffi ;
mais ayant possédé éminemment l'un et l'autre, c'a été un prédicateur parfait.
Que restait-il, Chrétiens, après des témoignages si illustres? Encore un moment
de votre attention ; je n'en abuserai pas. Il s'agissait d'autoriser le
baptême de saint Jean ; et c'est ce qu'a fait Jésus-Christ, par un quatrième
témoignage , qui ne mérite pas moins que les autres d'entrer dans l'éloge de ce
glorieux précurseur. Jean baptisait dans le Jourdain tous ceux qui venaient à
lui ; mais comme ce baptême était nouveau, les pharisiens et les partisans de
la Synagogue en jugeaient diversement. Quelques-uns l'approuvaient, d'autres le
blâmaient; ceux-ci l'estimaient bon et profitable, ceux-là le rejetaient connue
superstitieux et inutile. On demandait à saint Jean en vertu de quoi il
s'attribuait la puissance de baptiser, puisqu'il n'était pas le Christ : Quid
ergo baptizas, si tu non es Christus (3) ? Mais pour montrer que cette
puissance lui convenait, le Sauveur des hommes rend hautement témoignage de la
validité et de l'efficace du baptême de Jean : et quel témoignage? le plus
éclatant, mais aussi de la part d'un Dieu le plus surprenant; car tout Dieu
qu'il est, il reçoit ce baptême de la pénitence, 1
Joan., V, 35. — 2 Luc, I, 17. — 3 Joan., I, 25. 416 qui disposait alors les hommes à la rémission des péchés et
au baptême de la loi de grâce. C'est dans ce dessein qu'il vient de la Galilée
au Jourdain, et qu'il se présente à saint Jean pour être baptisé; c'est,
dis-je, afin de convaincre par là tous les esprits que le baptême de Jean est
donc un baptême salutaire; qu'il est saint, et qu'il est de Dieu, puisque lui,
qui est Fils de Dieu , en veut bien user. Mais , Seigneur, que faites-vous?
s'écrie Jean-Baptiste, touché et confus d'une humilité si profonde ; que faites-vous
, et avez-vous oublié ce que vous êtes et ce que je suis? c'est moi qui dois
être baptisé par vous, et vous venez à moi! Ne craignez-vous point, en vous
abaissant jusque-là, d'obscurcir votre gloire, et qu'on n'en tire des
conséquences au préjudice de votre sainteté? Sine modo, lui répond le
Fils de Dieu, sic enim decet nos implere omnem justitiam (1) ;
Laissez-moi faire pour cette heure, car c'est ainsi qu'il faut que nous
accomplissions toute justice. Vous m'avez rendu témoignage, je vais vous le
rendre à mon tour; et pour apprendre à tout le monde que votre baptême vient du
ciel, moi qui suis descendu du ciel, j'en veux bien faire l'épreuve dans ma
personne. Quoique ce soit le baptême de la pénitence , moi qui suis l'innocence
même, je veux bien m'y soumettre; et quoiqu'en m'y soumettant je paraisse
inférieur à vous sans l'être, je ne dédaigne point de le paraître, pourvu que
je persuade aux hommes que la pénitence à laquelle ce baptême les engage, est
la seule voie qui peut les conduire au salut et à la véritable rédemption.
N'est-il pas vrai, mes chers auditeurs, qu'il n'appartient qu'à Dieu de savoir
honorer ses saints? Finissons par le dernier, mais le plus essentiel de tous les témoignages que Jésus-Christ ait rendus à son précurseur, en publiant la sainteté de Jean, l'innocence de ses mœurs et l'austérité de sa pénitence. Où le trouvons-nous, ce témoignage? Au chapitre onzième de saint Matthieu. Car c'est là qu'il est dit que notre adorable Sauveur s'entretenant avec le peuple, et instruisant les Juifs qui l'écoutaient, leur parlait ainsi : Qu'êtes-vous allés voir dans Je désert? Quid existis in desertum videre (2)? Vous y avez vu Jean-Baptiste ; hé bien ! qu'en dites-vous? avez-vous cru voir en lui un roseau agité du vent, c'est-à-dire un esprit léger et sans consistance, qui suit le mouvement de ses passions, qui plie sous l'adversité, qui s'évanouit dans la prospérité, qui succombe à la crainte, que la vue de plaire, ou que l'intérêt 1 Matth., III, 4 — 2 Ibid., XI, 7. ébranle ; qui cède à tout et qui ne résiste à rien : Arundinem
vento agitatam (1) ? Non, Jean n'est point un homme de cette trempe, c'est
un cœur ferme et inébranlable dans le parti de Dieu; c'est une âme solide et à
l'épreuve de toutes les tentations du monde ; c'est un e prit supérieur à tout
ce que la faiblesse humaine peut former d'obstacles dans l'accomplissement des
devoirs les plus difficiles, et qui demandent une vertu plus héroïque : en
voilà le caractère. Mais encore, qu'avez-vous vu dans le désert? y avez-vous
trouvé un homme vêtu avec mollesse, un homme voluptueux, attaché à ses
commodités, aimant les douceurs delà vie, esclave de son corps et de ses sens :
Sed quid existis videre ? hominem mollibus vestitum (2)? Au contraire,
vous avez vu un homme crucifié pour le monde, un homme mort à tous les plaisirs
du monde, un homme ennemi de son corps, un homme épuisé d'abstinences et de
jeûnes, un homme couvert d'un rude ciliée : telle est la forme de vie dont
Jean-Baptiste est venu servir de modèle. Qui parle ainsi, Chrétiens? le Fils de
Dieu , lequel rend témoignage de la sainteté de son précurseur, et qui
n'allègue pour cela ni les révélations, ni les extases, ni le don des miracles
et des guérisons, ni l'esprit de prophétie, ni tontes les autres grâces
éclatantes dont saint Jean était rempli ; mais qui fait consister cette
sainteté dans une vie pénitente et mortifiée, dans la haine de soi-même , dans
le crucifiement de la chair, surtout dans la constance et la fermeté. Arrêtons-nous là, mes chers
auditeurs; voilà ce que je vous laisse à méditer , et ce qui doit être pour
vous et pour moi le fruit de ce discours. Je vous l'ai dit, et je vous le dis
encore, que si Jésus-Christ ne nous reconnaît devant son Père, et ne rend
témoignage en notre faveur, comme il l'a rendu en faveur de Jean-Baptiste, nous
ne serons jamais du nombre de ses prédestinés et de ses élus. Il faut, pour
être justes dans cette vie, que nous ayons le témoignage de Dieu en nous : Qui
credit, habet testimonium Dei in se (3); et j'ajoute que, pour être glorifiés
dans l'autre, il faut que nous ayons le témoignage de Jésus-Christ pour nous.
Or, jamais Jésus-Christ ne nous rendra ce témoignage favorable dont dépend
notre salut éternel, si nous ne sommes fermes comme saint Jean dans
l'observation de la loi de Dieu, et si nous n'entrons dans cette sainte voie de
la pénitence et de la mortification où a marché 1
Matth., XI, 7. — 2 Ibid., 7. — 3 Joan., V, 10. 417 le saint précurseur. Pourquoi cela? parce que Jésus-Christ
ne rendra témoignage qu'en faveur de ceux qui auront eu soin de se conformer à
lui. Or, nous ne pouvons nous conformer à Jésus-Christ, que par cet esprit de
pénitence, accompagné et soutenu d'une inviolable persévérance ; par conséquent
le témoignage de cet Homme-Dieu nous est indispensablement nécessaire. Il le
donne aujourd'hui au plus saint des hommes, qui est Jean-Baptiste; mais il ne
le donne que fondé sur ces deux chefs, de l'austérité de sa vie, et de la
solidité de sa vertu. Il n'est pas croyable que nous l'obtenions à des
conditions plus douces, ni qu'il ait pour nous des lois de providence moins
sévères et plus commodes. Savez-vous donc, Chrétiens, ce que nous avons à
craindre? c'est que Jésus-Christ, dans le jugement dernier, au lieu de rendre
témoignage pour nous, ne le rende contre nous ; et qu'au lieu que son
témoignage, s'il nous était favorable, mettrait le sceau à notre justification
et à notre prédestination, il ne fasse notre condamnation et notre réprobation.
Si jamais cet affreux malheur nous arrivait, par où Jésus-Christ fortifiera-t-il
son témoignage contre nous? par l'exemple de saint Jean , par la pénitence de
saint Jean, par la retraite de saint Jean, en un mot par l'énorme et
monstrueuse opposition qui paraîtra entre la conduite de la plupart des
chrétiens et celle de saint Jean. Car comment nous sauverons-nous
de cette contradiction, et qu'aurons-nous à y répondre? Jean, rempli du
Saint-Esprit et sanctifié même avant sa naissance, n'a pas laissé d'embrasser
une vie austère et pénitente; et moi qui suis pécheur, chargé devant Dieu du
poids de nies iniquités, je veux mener une vie aisée etdouee. Jean, dans la
plus parfaite innocence, n'a pas laissé de mater sa chair par le jeûne et le
cilice ; et moi j'épargne la mienne, qui est une chair de péché. Jean, à
l'épreuve de toutes les tentations du monde, n'a pas laissé de fuir le monde ;
et moi qui suis la faiblesse même, je m'expose à tous les dangers du monde.
Voila, dis-je, mes chers auditeurs, ce que saint Jean nous reprochera au
tribunal de Dieu : car, après avoir été le témoin de Jésus-Christ dans le
premier avènement de ce Dieu Sauveur, il viendra encore dans le second, et sera
appelé en témoignage contre les lâches chrétiens : Hic venit in testimonium
(1). Oui, il viendra, non plus pour servir de témoin à la 1
Joan., I, 7. lumière, mais pour servir de témoin contre l'iniquité. Ce
sacré chef que vous conservez comme un précieux dépôt ; ce chef dont la vue
confondit l’impie Hérode, et le fit trembler jusque sur le trône ; ce chef muet
maintenant, depuis qu'une mort sanglante lui a ôté l'usage de la voix, mais
alors rappelé à la vie et plus éloquent que jamais, fera sortir de sa bouche
des paroles foudroyantes qui altéreront les pécheurs. Ah! grand saint,
parlerez-vous donc contre ce peuple qui vous est spécialement dévoué ? il vous
honore et il vous invoque comme son protecteur : en deviendrez-vous
l'accusateur et le juge? Obtenez-lui ces grâces de conversion, ces grâces de
sanctification qui le remettront dans la voie du salut que vous nous avez
enseignée; surtout faites-lui bien comprendre ce fameux oracle, que depuis le
temps où vous avez vécu sur la terre, le royaume du ciel ne s'emporte que par
violence : A diebus Joannis Baptistœ regnum cœlorum vim patitur (1). Du reste, Chrétiens, parlant
devant un prélat que je considère ici, non-seulement comme l'évêque et le
pasteur de vos Ames, mais comme un des maîtres de l'éloquence de la chaire où
tant de fois il s'est distingué, j'aurais eu besoin, dans tout ce discours, des
dons excellents qu'il a reçus du ciel, et qu'il a su si dignement et si
saintement employer. Du. moins, Monseigneur, ai-je eu l'avantage de trouver en
vous de quoi persuader à votre troupeau les saintes vérités que je viens de lui
annoncer, et de quoi les lui rendre sensibles : car, en faisant l'éloge du
précurseur de Jésus-Christ, je n'ai pu m'empêcher de bénir le ciel, qui, pour
ma consolation, me fait voir encore aujourd'hui, dans votre personne, un prélat
rempli de l'esprit de Jean-Baptiste et imitateur de ses vertus; je veux dire un
prélat, aussi éclairé que zélé, aussi fervent que vigilant, et si j'ose
m'exprimer de la sorte, aussi aimable que vénérable ; un prélat plein de
vigueur et de force pour faire observer la discipline, mais en même temps plein
d'onction et de douceur pour la faire aimer; un prélat qui, comme
Jean-Baptiste, a édifié la cour, et que la cour a respecté; que le plus grand
des rois a honoré de son estime ; qui, prêchant aux grands du siècle avec une
liberté tout évangélique, mais aussi avec une égale sagesse, les a instruits de
leurs devoirs, et n'a pas craint de leur reprocher leurs désordres; un prélat
dont la saine doctrine, la solide piété, la vie édifiante 1 Mattf., XI, 12. 418 lui ont mérité L'auguste rang qu'il tient; et qui sans cesse
occupé de ses fonctions, n'a en vue que la gloire de Dieu, que les intérêts de
Dieu, que l'accroissement du culte de Dieu; enfin, un prélat qui, dévoué aux
travaux apostoliques, et, selon l'expression de saint Paul, n'estimant pas sa
vie plus précieuse que lui-même, sacrifie tous les jours sa santé aux exercices
de son ministère , à consacrer de dignes sujets, et à les former pour servir
utilement à son Eglise, à visiter les ouailles que la Providence qui a
confiées, à sanctifier son peuple, et à
le conduire dans le chemin de la perfection chrétienne : Parare Domino
plebem perfectam (1). Voilà, Monseigneur, les exemples que vous donnez, et
qui, plus efficaces que mes paroles, sont, pour toute cette assemblée, autant
d'exhortations pressantes et touchantes. Plaise au ciel que vous en suiviez,
Chrétiens, toute l'impression, et que par là vous arriviez un jour à la vie
éternelle, que je vous souhaite, etc. 1 Luc, 1, 17. |