SAINT PIERRE II

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DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT PIERRE.
SUR L'OBÉISSANCE A L'ÉGLISE.

ANALYSE.

 

Sujet. Et moi je vous dis que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle.

 

C'est à cette Eglise dont saint Pierre a été le fondement que nous devons notre obéissance et une parfaite soumission.

 

Division. Nous devons à l'Eglise une double obéissance : l'obéissance de l'esprit, pour croire les vérités qu'elle nous propose: première partie ; l'obéissance du cœur, pour suivre les lois qu'elle nous impose : deuxième partie.

Première partie. Obéissance de l'esprit, pour croire les vérités que l'Eglise nous propose. Elle est la dépositaire, l'organe et l'interprète de la vérité. C'est à elle à nous mettre en main le sacré dépôt de la parole de Dieu, et à nous l'expliquer; elle a pour cela mi pouvoir qu'elle a reçu du Fils de Dieu. Or, elle ne peut user de ce pouvoir qu'au:ant que nous sommes obligés de nous soumettre à ses décisions et de la croire. Ce qui faisait dire à saint Augustin qu'il ne croirait pas à l'Evangile, si l'autorité de l'Eglise ne l'y engageait. En effet, sans cette autorité de l'Eglise, il n'y aurait plus de règle fixe et certaine pour connaître le vrai sens de l'Evangile.

Maxime de saint Augustin, sans laquelle on ne peut conserver dans l'Eglise de Dieu ni la paix, ni l'ordre, ni l'unité de la doctrine, ni l'humilité de l'esprit. Maxime si nécessaire, que l'Eglise protestante elle-même en a reconnu la nécessité. Maxime qui présuppose l'infaillibilité de l'Eglise, et d'où suit toujours l'obligation indispensable de lui obéir.

Quatre choses sur cette obéissance de l'entendement. 1° C'est, à proprement parler, cette obéissance qui nous unit à l'Eglise, et qui nous fait membres de son corps : exemple de Tertullien. 2° Sans cette obéissance, il ne sert à rien d'être extérieurement dans le corps de l'Eglise, car l'extérieur de la profession et du culte n'est point ce qui nous lie à l'Eglise : exemple des donatistes. 3° Cette obéissance a été de tout temps l'épreuve à quoi l'on a distingué les vrais fidèles : exemple des saints Pères, et eu particulier de saint Jérôme. 4° Cette obéissance doit être une obéissance pratique, et non de paroles seulement. Voilà sur quoi nous serons jugés de Dieu. En vain aurons-nous pratiqué de bonnes œuvres, et marché dans la voie étroite, sans la soumission à l'Eglise, nos œuvres sont inutiles; et l'on peut même dire que, pour certains esprits, la voie étroite est en partie de renoncer à leurs sentiments pour prendre ceux de l'Eglise. Il est vrai que l'Eglise est gouvernée par des hommes; mais elle n'en est pas moins infaillible, puisque ces hommes sont conduits par l'Esprit de Dieu.

Deuxième partie. Obéissance du cœur pour suivre les lois que l'Eglise nous impose. 1° L'Eglise est notre mère, donc elle a droit de nous commander; 2° ce qu'elle nous commande est d'une obligation étroite et rigoureuse; 3° nous ne pouvons violer ses commandements, sans violer un des commandements les plus authentiques de la loi de Dieu; 4° la témérité avec laquelle nous transgressons les préceptes de l'Eglise, ne procède souvent que d'un fonds de libertinage.

1° L'Eglise est notre mère, donc elle a droit de nous commander. La vérité de cette conséquence se découvre d'elle-même. Il n'y a eu que les hérétiques qui n'aient pas reconnu sur cela le pouvoir de l'Eglise, par une prévention d'esprit; et il n'y a que les mauvais catholiques qui, le reconnaissant, refusent de s'y soumettre par une dépravation de cœur.

2° Ce que l'Eglise nous commande est d'une obligation étroite et rigoureuse. Il faut bien que cela soit, puisque les ordres d'un père obligent un fils, sous peine de péché; puisque Jésus-Christ veut qu'on tienne pour païen et pour publicain celui qui n'obéit pas à l'Eglise; puisque le même Sauveur a donné pouvoir à son Eglise de nous excommunier, lorsque nous lui sommes rebelles. Ainsi en particulier saint Augustin a-t-il parlé du jeûne ordonné par l'Eglise, comme d'un jeûne de précepte. D'autant plus criminels quand nous désobéissons à cette mère, qu'elle ne nous commande rien que de raisonnable.

3° Nous ne pouvons violer les commandements de l'Eglise, sans violer un des commandements les plus authentiques de la loi de Dieu : car Dieu, dans sa loi, nous commande d'obéir à l'Eglise.

4° La témérité avec laquelle nous transgressons les préceptes de l'Eglise, ne procède souvent que d'un fonds de libertinage. Ceci ne regarde point ceux qui ont eu le malheur de naître dans l'hérésie, mais les catholiques. Quel autre esprit qu'un esprit de libertinage peut les porter à violer des préceptes dont la pratique demande si peu d'efforts, et que l'Eglise a pris tant de soin de proportionner à notre faiblesse? Honorons notre religion, en honorant l'Eglise; édifions nos frères nouvellement convertis, et soutenu par nos bons exemples ce que la grâce a fait en eux.

 

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Et ego dico tibi, quia tu es Petrus, et super hanc petram œdificabo Ecclesiam meam, et portœ inferi non prœvalebunt adversus eam.

 

Et moi je vous dis que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. (Saint Matthieu, chap. XVI, 18.)

 

Ce sont, en peu de paroles, deux grands éloges tout à la fois prononcés par la bouche de Jésus-Christ, l'un en faveur de saint Pierre, le prince des apôtres, dont nous célébrons aujourd'hui la fête, et l'autre en faveur de l'Eglise. Saint Pierre est le fondement sur qui l'Eglise a été bâtie, et sur qui elle subsiste : voilà l'abrégé de toutes ses grandeurs. L'Eglise est un édifice spirituel, dont la solidité et la fermeté sont à l'épreuve de tous les efforts de l'enfer : voilà tout ce qui se peut dire de plus avantageux et de plus glorieux pour elle. Jésus-Christ ne sépare point ces deux choses, parce que ces deux choses sont renfermées l'une dans l'autre. La gloire de saint Pierre vient de ce que l'Eglise est fondée sur lui, et la force de l'Eglise vient de ce qu'elle est fondée sur saint Pierre ; c'est l'Eglise qui honore saint Pierre ; et c'est saint Pierre qui soutient l'Eglise : car encore une fois, Chrétiens , voilà proprement le mystère de ces paroles du Fils de Dieu, que j'ai prises pour mon texte : Tu es Petrus, et super hanc petram œdificabo Ecclesiam meam. Ce serait trop entreprendre, que d'embrasser ces deux sujets dans un seul discours; ainsi je me borne à vous parler de l'Eglise, et en particulier de l'obéissance que nous lui devons : matière d'une extrême conséquence et l'une des plus importantes qu'un prédicateur puisse traiter dans la chaire. Car l'Eglise, Chrétiens, est l'épouse de Jésus-Christ, et Jésus-Christ veut que son épouse soit écoutée, qu'elle soit obéie, et qu'on ait recours à elle comme à l'oracle; c'est cette Sion d'où sort la loi, et cette Jérusalem d'où la parole de Dieu est annoncée. Marie même, toute mère de Dieu qu'elle était, s'est glorifiée de ce titre de fille de l'Eglise. Avant que d'expliquer mon dessein, adressons-nous à cette vierge si fidèle, et disons-lui : Ave, Maria.

 

Pour entrer dans le dessein de ce discours , je trouve que l'Eglise exerce envers les fidèles deux fonctions différentes; elle les instruit et elle les gouverne : elle les instruit par les vérités qu'elle leur propose, et elle les gouverne par les commandements qu'elle leur fait : elle les instruit en leur apprenant ce qu'elle a appris elle-même du Fils de Dieu, son époux, et elle les gouverne en leur prescrivant des lois. Le Sauveur des hommes lui a donc donné deux sortes de pouvoirs : l'un d'enseigner de sa part, et l'autre de commander ; l'un pour nous dire : Croyez ceci, et l'autre pour nous dire : Faites cela. Or, sur ces deux pouvoirs qui conviennent à l'Eglise, je fonde l'obligation de deux sortes d'obéissances qui lui sont dues, dont la première est une obéissance de l'esprit, et la seconde une obéissance du cœur. Nous lui devons l'obéissance de l'esprit, parce qu'elle nous propose les vérités de la foi : c'est le premier point ; et nous lui devons l'obéissance du cœur, parce qu'elle nous impose des lois et des préceptes pour le règlement de notre vie: c'est le second point. Parce qu'elle a droit de nous dire : Croyez ceci, Dieu nous oblige d'avoir pour elle une parfaite soumission d'esprit; et parce qu'elle a droit de nous dire : Faites cela, Dieu veut que nous lui obéissions avec une entière soumission de cœur. Plût au ciel, mes chers auditeurs, que nous fussions bien persuadés de ces deux devoirs ! Je dis persuadés dans la pratique ; car dans la spéculation nous n'en doutons pas, et nous sommes trop catholiques pour former là-dessus quelque difficulté. Mais je voudrais sur cela même que nous eussions dans toute notre conduite un zèle proportionné aux lumières que Dieu nous a données. Car voici en deux mots toute la perfection d'un homme chrétien, en qualité d'enfant de l'Eglise : d'avoir un esprit docile et soumis pour tout ce que l'Eglise nous enseigne, et d'avoir une volonté prompte et agissante pour tout ce que l'Eglise nous ordonne : c'est à quoi je vais vous exciter, et ce qui fera tout le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Tel est, Chrétiens, l'ordre de la Providence, et il faut que nous convenions que la raison même le demandait ainsi : c'est à l'Eglise de nous proposer les vérités de la foi, et c'est à nous de les recevoir et de nous y soumettre. Pourquoi cette dépendance où nous sommes de l'Eglise, quand il s'agit de la foi divine? parce que Dieu, dit saint Cyprien, a établi l'Eglise pour être la dépositaire, l'organe, et, s'il est besoin, l'interprète des vérités qu'il nous a révélées. La dépositaire, pour nous les conserver; l'organe, pour nous les annoncer; et, quand il est nécessaire, l'interprète, pour nous les expliquer. Or, reconnaître dans l'Eglise ces trois qualités, comme nous les reconnaissons, et acquiescer ensuite, avec docilité et soumission d'esprit, à ce qu'elle nous propose comme

 

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révélé de Dieu, c'est ce que j'appelle rendre à l'Eglise l'obéissance la plus parfaite dont nous soyons capables, qui est l'obéissance de l'entendement.

Je sais, mes chers auditeurs (ne perdez pas, s'il vous plaît, cette remarque), je sais qu'à parler proprement et exactement, la parole de l'Eglise n'est point la parole de Dieu ; mais je dis que c'est à l'Eglise de nous mettre en main ce précieux dépôt de la parole de Dieu ; je dis que c'est à l'Eglise de nous déterminer en quel sens il faut entendre cette parole de Dieu ; parce qu'il n'est pas juste qu'un particulier s'en fasse l'arbitre, beaucoup moins que des choses aussi importantes et aussi essentielles que celles-là dépendent, sans distinction, du discernement d'un chacun et de son jugement. N'entrez-vous pas déjà dans ma pensée ? Et parce que nous n'avons que deux sources de la parole de Dieu ou de la révélation de Dieu, l'une qui est l'Ecriture, et l'autre la tradition, je dis que c'est à l'Eglise de nous garantir premièrement, et puis de nous expliquer l'Ecriture ; je dis que c'est à l'Eglise de nous rendre témoignage et de nous assurer de la tradition ; je dis qu'elle a pour cela un pouvoir et une autorité qu'elle a reçue du Fils de Dieu, et que ce pouvoir n'a été donné qu'à elle. Or l'Eglise ne peut user de ce pouvoir qu'autant que nous sommes obligés de lui obéir; et puisque ce pouvoir n'a été donné qu'à elle, c'est à elle, et non point à d'autres, que nous devons nous attacher ; à elle singulièrement et uniquement que nous devons nous soumettre en tout ce qui regarde l'exercice de ce pouvoir, c'est-à-dire dans les contestations qui peuvent naître sur les matières de la loi, dans les doutes particuliers que nous tonnons quelquefois, et dont notre raison est troublée, sur certains points de religion ; dans les difficultés qui se présentent, et qui sont même inévitables, ou sur l'obscurité de la tradition, ou sur l'intelligence de l'Ecriture ; de sorte qu'en tout cela l'Eglise soit notre oracle, et que sa décision nous serve de règle, mais de règle absolue et souveraine, parce que c'est elle, selon l'Apôtre, qui est la colonne et le soutien de la vérité : Columna et firmamentum veritatis (1). Voilà ce que je dis, Chrétiens, et ce que je prétends, avec saint Jérôme, être le grand principe de sagesse pour tout homme qui veut vivre dans la possession d'une foi tranquille et paisible ; disons mieux, d'une foi solide et prudente, puisque c'est ainsi que les

 

1 1 Tim., III, 15.

 

premiers hommes du christianisme l'ont toujours entendu et l'ont toujours pratiqué.

De là vient que saint Augustin, qui, sans contredit, fut l'esprit du monde le plus éclairé, et qui eût pu, avec plus de droit, juger des choses par ses propres lumières, protestait hautement qu'il n'aurait pas même cru à l'Evangile, si l'autorité de l'Eglise ne l'y eût engagé : Evangelio non crederem, nisi me Ecclesiœ commoveret auctoritas. Parole qui mille fois a confondu l'orgueil de l'hérésie, et qui de nos jours a servi de puissant motif à la conversion d'une infinité d'âmes élues , que Dieu a tirées du schisme et de l'erreur, pour faire paraître en elle les richesses de sa miséricorde et de sa grâce. Non pas , dit le savant Guillaume de Paris, que saint Augustin n'eût pour l'Evangile tout le respect et toute la vénération nécessaire ; mais parce que cet incomparable docteur était convaincu qu'il n'y avait point d'autre évangile dans l'Eglise de Dieu que celui dont l'Eglise de Dieu nous répondait, et dont nous pouvions être sûrs, comme l'ayant reçu par elle. C'est pour cela qu'il ne déférait à l'Evangile, qu'à proportion de sa déférence pour l'Eglise même : Evangelio non crederem, nisi me Ecclesiœ commoveret auctoritas. Et il avait raison. Car, sans ce témoignage de l'Eglise, qui m'a dit que ce livre que je reconnais, et que j'appelle l'Evangile, est en effet l'Evangile de Jésus-Christ? qui m'a dit que la version que je lis, et qui sous le nom de Vulgate passe aujourd'hui pour authentique, est une version pure et conforme au texte original? qui m'a dit qu'en mille endroits où le sens en paraît obscur, il doit être entendu d'une façon, et non pas d'une autre? Combien de libertins et de mondains ont abusé de l'Evangile, le prenant, tout divin qu'il est, dans des sens erronés et extravagants? combien d'hérésiarques et de novateurs l'ont corrompu jusqu'à s'en faire à eux-mêmes un sujet de ruine, après en avoir fait aux autres un sujet de division et de scandale? Combien d'imposteurs et de fourbes, dès la naissance même du christianisme, ont débité de faux évangiles, qu'ils ont supposés pour vrais; et combien déversions du vrai, non-seulement infidèles, mais empoisonnées, le siècle de Luther et de Calvin a-t-il répandues dans le monde? N'est-ce pas l'Evangile mal interprété, mal expliqué, mal traduit, qui a engendré toutes les sectes? s'est-il jamais élevé une hérésie qui n'ait prétendu avoir l'Evangile pour soi ? Moi donc, qui n'ai été contemporain, ni de Jésus-Christ, ni des évangélistes,

 

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et à qui cet Homme-Dieu n'a pas immédiatement parlé, en sorte que j'en puisse juger par ce que j'ai ouï ou par ce que j'ai vu, comment me conduirai-je? M'en rapporterai-je à mes lumières, à mes conjectures? j'aurai donc plus de présomption que saint Augustin, qui n'a pas voulu s'en rapporter aux siennes ! En consulterai-je un plus habile et plus intelligent que moi ! il faudra donc qu'il le soit plus que saint Augustin même, et c'est ce que je ne trouverai pas. M'en tiendrai-je à l'incertitude ? il n'y aura donc plus pour moi d'Evangile, puisqu'en fait d'Evangile même, je n'aurai plus rien d'assuré sur quoi je puisse faire fonds. Le seul parti qui me reste, mais qui seul me met à couvert de tous ces inconvénients, c'est que je m'adresse à l'Eglise, à qui ce trésor de l'Evangile fut confié par Jésus-Christ, et pour laquelle le Fils unique de Dieu a demandé que sa foi ne manquât jamais ; que j'aie, dis-je, recours à elle, et qu'à l'exemple de saint Augustin, je l'écoute, parce qu'elle est spécialement inspirée du Saint-Esprit, et qu'elle a un don d'infaillibilité que Dieu lui a promis, et qu'il n'a promis à nul autre : or, cette nécessité où je suis réduit de recourir à l'Eglise et de l'écouter, est la preuve invincible de l'obéissance et de la soumission d'esprit que je lui dois ; et c'est ce que saint Augustin m'a fait comprendre par cette maxime : Evangelio non crederem, nisi me Ecclesiœ commoveret auctoritas.

Maxime de saint Augustin, sans laquelle on ne peut conserver dans l'Eglise de Dieu ni la paix, ni l'ordre, ni l'unité de la doctrine, ni l'humilité de l'esprit. La paix, puisque sans cela les contestations y seraient éternelles : je dis les contestations sur l'Ecriture et sur le sens de l'Ecriture; l'Ecriture toute seule ne les finissant pas, au contraire, en étant elle-même le sujet, et n'y ayant plus d'ailleurs d'autorité à laquelle on fût obligé de se soumettre, plus de tribunal dont on n'appelât, plus de jugement qu'on ne fût en droit de rejeter, plus de résolution à laquelle on dût s'arrêter. L'unité delà doctrine, puisque l'Ecriture, expliquée non plus par l'Eglise, mais selon l'esprit intérieur et particulier d'un chacun, pourrait produire autant de sectes et autant de religions qu'il y aurait d'hommes dans le monde : car vous savez, mes Frères, si ce que je dis n'est pas ce que l'expérience nous apprend ; et vous n'avez qu'à voir l'état ou en est aujourd'hui le christianisme, par la multiplicité des sociétés qui le partagent, ou, pour mieux dire, qui le déchirent et qui le défigurent, pour juger si l'Ecriture, expliquée selon cet esprit particulier, est un moyen propre à conserver l'unit! de la foi ; et si, pour maintenir cette unité, ou pour la rétablir, il n'en faut pas enfin revenir à l'Ecriture expliquée par l'Eglise. L'humilité de l'esprit, puisqu'il n'y aurait point de chrétien, quelque simple et quelque ignorant qu'il fût, qui n'eût droit de croire que l'Ecriture, expliquée par lui, serait une règle plus infaillible que l'Ecriture expliquée par l'Eglise, et qu'il pourrait seul mieux entendre l'Ecriture que ne l'entend toute l'Eglise : proposition qui vous surprend et qui vous fait peut-être horreur, mais que les protestants les plus habiles ont soutenue et soutiennent encore, conséquemment à leurs principes. L'ordre, puisqu'il n'y aurait plus dans le monde chrétien ni subordination, ni dépendance; que le dépôt de la science de l'Ecriture n'appartiendrait plus aux pasteurs ; que ce ne serait plus de leur bouche, comme disait le Seigneur, qu'il faudrait recevoir la connaissance de la loi, et que chacun, sans caractère, sans titre, sans distinction, s'en faisant le juge, l'Eglise de Dieu ne serait plus qu'une Babylone.

Maxime de saint Augustin si nécessaire, que l'Eglise protestante elle-même en a enfin reconnu la nécessité ; et que par une providence singulière, oubliant ou abandonnant ses propres principes, elle s'est vue obligée et comme forcée de pratiquer ce qu'elle avait condamné. Car qu'ont fait les ministres et les pasteurs de l'Eglise protestante, quand il s'est élevé parmi eux des contestations dangereuses et des divisions sur le sujet de la parole de Dieu? Ont-ils permis à toute personne de s'en tenir à la parole de Dieu, expliquée indépendamment de leur Eglise ; et n'ont-ils pas exigé de leurs disciples que, renonçant à tout esprit particulier, ils reçussent cette parole de Dieu expliquée dans le sens et de la manière que leur Eglise leur proposait? Persuadés que pour maintenir leur Eglise, il fallait un jugement définitif, ne se sont-ils pas soumis à celui du synode national? n'ont-ils pas fait pour cela ce serment si solennel, par lequel ils s'y engageaient devant Dieu; et n'ont-ils pas ensuite prétendu pouvoir excommunier ceux qui refuseraient de se conformer à cette règle? Quand ils en ont trouvé d'opiniâtres et de résolus à suivre la parole de Dieu expliquée par eux-mêmes, plutôt que la même parole expliquée par leur Eglise, ne les ont-ils pas traités de schismatiques? ne leur ont-ils pas dit anathème, et ne les ont-ils pas retranchés de leur société, qu'ils soutenaient

 

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être l'Eglise de Dieu ? conduite que je défie à l'Eglise protestante de concilier jamais avec sa confession de foi : car si, comme elle le prétendait, la règle delà foi était la parole de Dieu toute seule, expliquée selon l'esprit intérieur et sans aucune dépendance du jugement de l'Eglise, en quoi avaient manqué ces malheureux qu'elle punissait si rigoureusement ? de quoi les accusait-on, et quel crime leur imputait-on? qu'avaient-ils fait que ce que leur confession de foi non-seulement leur permet lait de faire, mais les obligeait à faire? par où s'étaient, ils attiré l'excommunication et la censure, et que pouvait-on leur reprocher, sinon de s'en être tenus précisément à ce qu'on leur avait enseigné?

Maxime de saint Augustin, qui présuppose l'infaillibilité de l'Eglise. Et a-t-on pu jamais douter que l'Eglise de Jésus-Christ ne fût et ne dût être infaillible? Oui, mes Frères, on en a douté : et qui ? l'Eglise protestante. Non-seulement elle en a douté , mais elle a cru positivement , jusqu'à en faire un article de sa confession de foi, que la vraie Eglise de Jésus-Christ n'avait point ce don d'infaillibilité ; qu'elle était sujette à l'erreur, qu'elle pouvait tomber en mine, qu'elle y était en effet tombée; que n'étant qu'une assemblée d'hommes , quoique vraie Eglise d'ailleurs, elle pouvait errer dans la loi. Ainsi l'Eglise protestante le tient encore aujourd'hui : or par là, mes Frères, permettez-moi de vous le dire pour votre instruction et pour votre consolation, par là elle reconnaît deux choses : l'une , qu'elle pouvait donc vous tromper et se tromper elle-même quand elle vous séparait de nous (car je parle à vous qui en avez été séparés); l'autre, qu'il est donc évident qu'elle n'est point cette vraie Eglise dont saint Augustin disait : Evangelio non crederem, nisi, me Ecclesiœ commoveret auctoritas. Car toute Eglise qui avoue qu'elle s'est pu tromper et qu'elle a pu tromper les autres, toute Eglise qui a dit à ses enfants : Ne vous liez pas absolument à moi, j'ai pu vous séduire, en vous donnant pour l'Ecriture ce qui ne l'est pas, et pour vrai sens de l'Ecriture ce qui est le faux ; toute Eglise qui tient ce langage n'est point celle dont l'Ecriture nous donne l'idée, n'est point celle que saint Augustin avait en vue, et sans l'autorité de laquelle il n'aurait point cru à l'Evangile même; toute Eglise qui confesse qu'elle peut être le soutien de l'erreur, confesse qu'elle n'est plus le soutien de la vérité. Or l'Eglise protestante avoue tout cela, et elle ne peut pas se plaindre de la peinture que je fais ici d'elle, puisque c'est d'elle que je la tire, et que tout cela, en termes exprès, est le fond de sa doctrine et de sa créance. Ceux qui en sont instruits savent que je n'y ajoute rien ; et Dieu, témoin de ma sincérité, sait combien j'aurais en horreur le moindre déguisement, surtout dans un point de cette importance. Si j'ai altéré les choses en les rapportant, confondez-moi; mais si j'ai dit la vérité, bénissez Dieu de vous avoir fait comprendre ce que peut-être vous n'aviez jamais compris; et dites désormais comme nous, après saint Augustin : Evangelio non crederem, nisi me Ecclesiœ commoveret auctoritas.

Aussi saint Grégoire ,pape, parlant des quatre premiers conciles qui avaient représenté l'Eglise universelle, disait, sans crainte d'exagérer, qu'il les révérait comme les quatre livres de l'Evangile ; c'est l'expression dont il se servait : Sicut sancti Evangelii quatuor libros, sic quatuor concilia suscipere ac venerari me fateor. Non pas qu'il crût que les décisions de ces quatre premiers conciles fussent de nouvelles révélations que Dieu eût faites à son Eglise, il était trop instruit pour l'entendre de la sorte ; mais parce qu'il était persuadé que l'Eglise, dans ces premiers conciles, reconnus et tenus pour œcuméniques, avait éclairci et développé aux fidèles des révélations de Dieu qui jusqu'alors ne leur avaient pas été à tous si distinctement connues, bien qu'elles fussent en substance comprises dans l'Evangile et dans les livres sacrés. Quoi qu'il en soit, Chrétiens, je dis de cette obéissance et de cette soumission d'esprit dont nous sommes redevables à l'Eglise, quatre choses capables, ce me semble , de nous toucher , pour peu que nous ayons d'attachement à la vraie religion. Ceci mérite vos réflexions.

Car premièrement, nous devons faire état que cette obéissance à l'Eglise, quand il s'agit (les vérités de la foi, est proprement ce qui nous unit à elle , ce qui nous fait membres de son corps, ce qui nous anime de son esprit, et en vertu de quoi nous pouvons nous glorifier d'être ses légitimes enfants. Et voici la preuve qu'en apporte le docteur angélique saint Thomas : Parce qu'il est certain, dit-il, que nous ne sommes incorporés à l'Eglise que par la foi : or, il ne peut y avoir de foi sans cette obéissance dont il est ici question. Et en effet, pour croire , il faut se soumettre , non-seulement à la parole et à la révélation de Dieu (prenez garde , s'il vous plaît), mais à toutes les règles par où cette parole et cette révélation de Dieu nous est appliquée. Or, quelle est la règle vivante

 

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qui nous l'applique ? c'est l'Eglise. Otez donc cette obéissance à l'Eglise dans les points de la foi, dès là nous faisons avec elle comme une espèce de divorce ; dès là elle cesse d'être notre mère, et dès là nous cessons d'être ses enfants. Quelque mérite que nous eussions d'ailleurs, quelque sainteté qui parût en nous, quelque abondance de lumières que Dieu nous eût communiquée, fussions-nous inspirés comme les prophètes et éclairés comme les anges; dès que nous n'avons pas cette soumission de l'esprit que requiert l'Eglise dans ceux qui lui appartiennent, nous cessons de lui appartenir. Et c'est, chrétienne compagnie, le sort malheureux que les Pères ont si souvent déploré dans de grands hommes qui s'étaient là-dessus oubliés eux-mêmes, et dont les chutes , comme nous savons , ont été aussi terribles qu'éclatantes. C'est ce que saint Jérôme déplorait dans Tertullien, l'un des plus rares génies qu'il y ait eu jamais, mais dont la mémoire sera éternellement flétrie , pour n'avoir pas su captiver son esprit, et le réduire en servitude. Vous m'opposez, disait saint Jérôme, le sentiment de Tertullien, contraire à ce que nous croyons; et moi je vous réponds avec douleur que Tertullien, pour n'avoir pas soumis ses sentiments aux sentiments de l'Eglise , n'est pas un homme de l'Eglise, et que l'Eglise ne le compte point au nombre des siens : De Tertulliano nihil amplius dico, nisi Ecclesiœ hominem non fuisse. Censure plus rigoureuse mille fois et plus infamante que je ne puis vous l'exprimer : n'être plus sujet, n'être plus enfant, n'être plus membre de l'Eglise. Or, c'est à quoi l'esprit d'orgueil et son obstination l'avaient réduit. Mais Tertullien, me direz-vous, passait pour être l'oracle de son siècle, c'était un prodige de science; et quand saint Cyprien parlait de lui, il ne dédaignait pas de l'appeler son maître et son docteur : Da magistrum. Il est vrai, Chrétiens ; mais avec cela Tertullien n'était plus censé de l'Eglise ; et il aurait mieux valu pour lui qu'il eût été un humble disciple de l'Eglise, que d'être le maître de saint Cyprien, et le maître de tous les maîtres de la terre : De Tertulliano nihil amplius dico, nisi Ecclesiœ hominem non fuisse. Mais il avait un zèle extrême pour la réformation des mœurs ; il était austère dans sa vie, ennemi déclaré des relâchements, et jamais personne ne porta plus hautement que lui la sévérité de l'Evangile : j'en conviens avec saint Jérôme; mais malgré tout cela il était réprouvé de l'Eglise; car on peut être réprouvé de l'Eglise, et être tout cela ; et tout cela même, par l'abus que l'on en peut faire, peut contribuera cette réprobation, et c'est ce qui est arrivé à Tertullien, puisqu'il est évident que l'austérité de sa morale, poussée jusqu'à l'erreur, et soutenue au préjudice de l'obéissance qu'il devait à l'Eglise, est ce qui l'en a séparé, et qui l'a fait tomber dans l'hérésie : De Tertulliano nihil amplius dico, nisi Ecclesiœ hominem non fuisse. Or quel égarement, Chrétiens, ou plutôt quel abandon de Dieu, de s'exposer à perdre cette glorieuse qualité d'enfant de l'Eglise, pour ne vouloir pas s'assujettir à cet aimable joug qu'elle nous impose, et que notre propre intérêt nous engage à embrasser! Cependant voilà le désordre de l'esprit humain, toujours contraire à son bonheur aussi bien qu'à ses devoirs ; et c'est la tentation dangereuse dont l'humilité seule de la foi peut nous garantir.

Secondement, il nous servirait de peu que nous fussions extérieurement dans le corps de l'Eglise, et que nous eussions en apparence toutes les marques de sa communion, si cet esprit d'obéissance et de docilité venait à nous manquer : pourquoi? parce que l'extérieur de la profession et du culte n'est point dans le fond ce qui nous lie à l'Eglise, ni ce qui nous l'ait enfants de l'Eglise. Ce qui nous lie à l'Eglise, c'est l'intérieure disposition d'un esprit soumis à tout ce qu'elle nous enseigne, et à tout ce que l'Esprit de Dieu veut nous enseigner par elle. J'aurais donc beau faire au dehors ce que font les enfants de l'Eglise, c'est-à-dire participer aux sacrements de l'Eglise, assister au sacrifice de la messe, entrer dans tous les exercices de piété qui se pratiquent dans l'Eglise ; si je n'avais cette soumission intérieure, qui est la partie principale et substantielle de ma religion, il est toujours hors de doute que je serais au moins devant Dieu, retranché du corps de l'Eglise, et que je n'aurais plus la foi. Et c'est ce que saint Augustin observait si bien dans la conduite de certains donastistes déguisés, qui, sages et prudents selon le monde, mais schismatiques dans le cœur, affectaient de paraître unis à la société des fidèles, tandis que les autres, plus violents et plus passionnés, s'en tenaient séparés ouvertement. Car, ne vous y trompez pas, mes Frères, disait saint Augustin, soit que ces ennemis de la charité et de la paix aient levé le masque, soit qu'ils soient cachés parmi nous, ce sont également de faux chrétiens, et même des antéchrists. C'est ainsi qu'il les appelait, n'estimant pas que ce terme fût trop fort  pour  des hommes qui troublaient

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l'unité, et qui jetaient dans la confusion l'Eglise de Jésus-Christ : Hujus charitatis inimici, sive aperte foris sunt, sive intus esse videntur,pseudochristiani sunt et antichristi. Mais ce n'est pas tout : un chrétien de ce caractère était-il alors du corps de l'Eglise? Il en était, répond saint Augustin, et il n'en était pas : il en était en apparence et aux yeux des hommes, et il n'en était pas devant Dieu, ni en vérité : il en était ta l'extérieur, parce qu'il semblait se conformer à la créance de l'Eglise : mais il n'en était pas réellement, parce qu'il ne s'y conformait pas selon l'esprit. Il suffirait donc, pour n'être plus, selon Dieu, du corps de l'Eglise, d'avoir cette opposition volontaire, quoique secrète, aux vérités qu'elle nous propose? Oui, mes chers auditeurs, et c'est ce qui nie fait trembler pour je ne sais combien d'esprits prétendus forts, qui, sans y penser et même sans en être touchés, sont aujourd'hui dans ce désordre. S'ils savaient que cela seul peut aller jusqu'à détruire en eux l'habitude de la foi, et qu'étant tels, ils ne sont plus les membres vivants de l'Eglise, peut-être gémiraient-ils, et peut-être auraient-ils horreur de leur état. N'était-il pas du zèle que Dieu m'inspire pour leur salut, de leur en faire voir la conséquence ?

En troisième lieu, c'est cet attachement à l'Eglise, en matière de foi, qui de tout temps a été la pierre de touche par où l'on a éprouvé les vrais fidèles, et la marque essentielle et infaillible qui les a distingués. Car voilà le sens de cette parole si étonnante de l'Apôtre, qu'il fallait qu'il y eût des hérésies : Oportet hœreses esse (1); pourquoi? afin qu'on découvrît parla ceux qui, étaient solidement à Dieu ; comme dans un royaume (c'est l'excellente comparaison qu'ajoute saint Jérôme sur ce passage) les factions et les guerres civiles servent à éprouver et à faire discerner les vrais sujets : Oportet hœreses esse, ut qui probati sunt, manifesti fiant in vobis. Mais n'était-ce pas assez que les vrais fidèles fussent reconnus de Dieu; et ce discernement qui s'en fait par l'hérésie, était-ce une chose si importante, que pour cela même l'hérésie fût nécessaire? Oui, mes Frères, dit saint Paul, elle était nécessaire pour cela : c'est-à-dire que Dieu ne se contente pas d'être sûr de votre foi, mais qu'il veut que l'Eglise en reçoive des témoignages. Or elle ne reçoit jamais un témoignage plus authentique de notre foi, que lorsque, détestant toute erreur, nous nous attachons à elle, et qu'au lieu de nous laisser corrompre par la

 

1 Cor., XI, 19.

 

vanité, par la curiosité, par la nouveauté, nous tenons ferme pour la vérité dont elle nous a mis en possession. C'est de là que ces grands saints que nous appelons les Pères de l'Eglise, mais qui n'ont mérité d'en être les Pères que parce qu'ils en ont été les humbles enfants, se faisaient un point de conscience et de religion, un point de sagesse chrétienne, de s'attacher à l'Eglise dans toutes les révolutions et tous les troubles que la diversité des sectes produisait ; et parce qu'ils considéraient l'Eglise romaine comme le chef de toutes les Eglises du monde, comme le centre de l'unité, comme celle où il fallait que les brèches de la foi fussent réparées, selon les termes de saint Cyprien; aussi avaient-ils  pour elle des sentiments si respectueux  et un dévouement si parfait. Je vois, disait saint Jérôme, les agitations et les mouvements de l'arianisme, quoique foudroyé,  et  malgré les anathèmes de Nicée ; je vois encore l'Eglise d'Orient divisée en trois partis  contraires,  celui de Mélèce, celui de Paulin et celui de Vital. Chacun d'eux nie sollicite, et voudrait m'attirer à soi ; et moi je leur dis : Si quelqu'un de vous est uni à la chaire de saint Pierre, je m'unis à lui : Hic in très partes scissa Ecclesia, rapere me quisque ad se festinat; et ego interim clamito : Si quis cathedrœ Petri jungitur, meus est. Puis s'adressant au pape Damase, à qui il écrivait : C'est à vous, lui disait-il, Saint Père, et c'est à cette chaire de Pierre où vous êtes assis, que je veux m'associer dans ce différend :  Ego Beatitudini tuœ, id est, cathedrœ Petri consocior; car je sais que c'est sur cette pierre qu'est bâtie l'Eglise de Dieu ; je sais que celui qui mange l'agneau hors de cette maison , est un profane ; je sais que celui qui ne demeure pas dans  cette  arche, doit  nécessairement périr au temps du déluge : or, sachant cela, je serais prévaricateur si je me séparais de vous. Je ne connais point Mélèce, je ne sais ce que c'est que Vital, je n'ai que faire de Paulin : Non novi Vitalem, Meletium respuo, ignoro Paulinum. Quiconque ne moissonne pas avec vous, dissipe au lieu de ramasser ; et quiconque, en matière de créance et de foi, se détache de vous, n'est plus à Jésus-Christ : Qui non colligit tecum, dispergit; et qui tuus non est, Christi non est. C'est ainsi que parlait saint Jérôme, et c'est ainsi que doit parler tout homme chrétien qui est enfant de l'Eglise. Je n'ai que faire de celui-ci, ni de celui-là ; je ne connais ni ceux-ci, ni ceux-là; je m'attache à l'Eglise, qui est ma règle, pour ne m'en départir jamais.

 

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Il ne suffit pas encore de parler ainsi ; mais, en quatrième et dernier lieu, il faut que notre conduite réponde à nos paroles, et qu'elle les soutienne. Car, comme remarque saint Bernard, il n'y a personne dans l'Eglise, quelque mal disposé qu'il soit à son égard, qui ne se flatte d'une prétendue soumission; de même qu'il n'y a point de factieux et de rebelle dans un état, qui ne prétende avoir des intentions droites et défendre la bonne cause : langage spécieux , mais trompeur et faux. En effet, de dire qu'on est attaché à l'Eglise, et de se comporter comme les plus grands ennemis de l'Eglise ; de s'appeler enfants de l'Eglise, et de vouloir en même temps se faire les juges de l'Eglise ; de s'élever contre ses arrêts, de rejeter ses censures, de louer ce qu'elle réprouve, de soutenir avec opiniâtreté ce qu'elle condamne ; s'il y a un ouvrage qu'elle ait proscrit et frappé de ses anathèmes, de le lire impunément et sans scrupule; s'il y a une doctrine qu'elle ait foudroyée, de l'appuyer, de la répandre, et d'y employer l'autorité, le crédit, les promesses, les menaces, tous les artifices que l'esprit d'erreur inspire : en vérité, mes chers auditeurs, n'est-ce passe démentir soi-même? et concevez-vous une contradiction plus -sensible et plus évidente? Pourquoi des discours si soumis, quand toutes les (ouvres tendent à la sédition; et pourquoi se parer d'une obéissance imaginaire, quand on secoue réellement le joug et qu'on vit dans la révolte?

Cependant, ne nous y trompons pas, c'est par notre obéissance à l'Eglise en ce qui regarde la foi, que Dieu commencera le jugement d'un chrétien. Le premier article de l'examen rigoureux qu'il nous faudra subir, c'est celui-là. On nous demandera compte de notre foi ; et parce que la foi est inséparable de l'obéissance à l'Eglise, avant que d'entrer dans la discussion du reste, on nous obligera de répondre sur le devoir de cette obéissance ; si nous n'en avons pas eu la juste mesure, Dieu conclura dès lors contre nous, et notre sort sera déjà décidé. Après cela nous aurons beau protester à Dieu que nous avons fait en son nom des œuvres édifiantes et saintes, des actions de piété , de charité, de zèle, de miséricorde envers les pauvres : Domine, nonne in nomme tuo virtutes multas fecimus (1) ? Retirez-vous de moi, nous dira-t-il, je ne vous connais point : tout cela, pour être solide, devait être édifié sur le fondement de mon Eglise,

 

1 Matth., VII, 22.

 

et vous avez bâti sur le fondement du schisme et de l'erreur; tout cela donc est perdu pour vous. Et en effet, Chrétiens, hors de l'Eglise, je dis de l'Eglise dans le sens que je viens de vous l'expliquer, et selon lequel Dieu nous jugera, comme il n'y a point de salut, il n'y a point de bonnes œuvres. C'est pourquoi David promettant à Dieu de le glorifier, de l'exalter et de le louer, ajoutait toujours que ce serait dans l'Eglise, parce qu'il savait bien que hors de l'Eglise Dieu ne se tient point honoré de nos louanges. Je vous rendrai, ô mon Dieu, des actions de grâces, mais ce sera dans votre Eglise : Confitebor tibi in Ecclesia magna (1). J'ai annoncé votre justice, mais je l'ai annoncée dans votre Eglise : Annuntiavi justitiam tuam in Ecclesia magna (2). Tout mon mérite, si j'en ai devant vous, ne peut être que dans votre Eglise : Apud te laus mea in Ecclesia magna (3). Et il ne disait pas simplement : in Ecclesia, mais, comme remarque saint Augustin, in Ecclesia magna, c'est-à-dire, selon l'interprétation de ce Père, dans l'Eglise catholique, qui est l'Eglise universelle, et la seule où Dieu agrée nos services.

Voilà, dis-je, par où nous serons jugés, et par où nous devons commencer à nous juger nous-mêmes, persuadés que c'est là le point de conduite sur lequel il est plus dangereux de nous aveugler et de nous licencier. Car telle est notre erreur, Chrétiens, nous nous condamnons tous les jours sur je ne sais combien de chefs, résolus d'y apporter le remède et d'y mettre ordre, et nous laissons celui-ci, qui sans contredit est le plus essentiel. Nous nous piquons en d'autres choses d'être réguliers et sévères, et nous ne comptons pour rien de l'être en celle où Dieu veut que nous le soyons davantage, qui est l'humilité de la foi et la soumission à l'Eglise : nous louons la voie étroite de l'Evangile par rapport aux mœurs; mais par rapport à la créance, la voie la plus large et la plus spacieuse ne nous fait point de peur : et cela pourquoi? par la raison qu'en donne saint Augustin : Parce que nous faisons consister la voie étroite de l'Evangile en ce qui nous plaît, et plus souvent dans les choses qui se trouvent conformes à notre idée et à notre inclination, qu'en celles d'où dépend notre perfection. Tel, en tout autre point où il s'agirait de former sa conscience, ne voudrait pas se risquer sur un sentiment probable, qui, en matière de religion et d'obéissance à l'Eglise, va hardiment au delà de toute probabilité.

 

1 Psal., XXXIV, 18.— 2 Ibid., XXXIX, 10 — 3 Ibid., XXI, 26.

 

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Toutefois, mes Frères, dit saint Léon, pape, le premier pas de la voie étroite du christianisme, est d'assujettir notre esprit, et de lui ôter cette présomptueuse liberté  qu'il se  donne de ne croire que ce qu'il veut, et de vouloir juger de tout; c'est de le faire renoncer à ses sentiments, quand ils sont, en quelque sorte que ce soit, opposés à ceux de l'Eglise. Gagner cela sur soi, c'est ce que j'appelle la voie étroite pour deux sortes de personnes, pour les esprits éclairés et pour ceux qui, ne l'étant pas, se flattent de l'être. Je ne dis pas que la voie étroite consiste en cela seul, à Dieu ne plaise! mais je soutiens qu'elle doit commencer par là, et que sans cela elle manque dans le principe. Je ne dis pas même qu'elle consiste en cela pour tout le monde, mais pour ceux qui abondent dans leur sens, et qui ont de la répugnance à se soumettre. Si Tertullien avait eu pour l'Eglise cette soumission, je dis qu'eu égard à lui, il eût pratiqué une morale plus sévère, qu'en observant tous les jeûnes des montanistes, et tout ce qu'il y avait de plus rigoureux dans la discipline des novateurs : car étant par lui-même un esprit austère, toutes ces pénitences lui coûtaient peu; au lieu que cette soumission était le grand et l'héroïque sacrifice qu'il eût fait à Dieu de sa raison. Ah ! mes chers auditeurs, combien de chrétiens seront réprouvés de Dieu par le seul défaut de la foi; et combien de réprouvés en qui la foi n'aura manqué que par le défaut de docilité et d'obéissance à l'Eglise! Je sais ce qu'on dit quelquefois, que l'Eglise est gouvernée par des hommes, et que ces hommes qui la gouvernent peuvent avoir leurs passions, et les ont en effet : prétexte le plus frivole et le plus vain; car je considère l'Eglise,  ou sans l'assistance du Saint-Esprit, ou avec cette assistance qui lui a été promise. Si c'est sans l'assistance de l'Esprit de Dieu que je me la figure, quelque exempte qu'elle fût alors de tout intérêt et de toute passion, je ne serais pas obligé de me soumettre à elle, de cette espèce de soumission intérieure et absolue qu'exige la foi. Mais si je la prends telle que je la dois toujours prendre, et telle qu'elle est toujours, je veux dire comme assistée et inspirée de l'Esprit de vérité, toutes les passions et tous les intérêts des hommes n'empêchent pas que je ne lui doive une soumission entière de mon esprit : pourquoi? parce qu'indépendamment des intérêts et des passions des hommes, Dieu, qui est l'infaillibilité même, la conduit, et qu'en mille rencontres il fait servir nos passions et nos intérêts à l'accomplissement de ses desseins. Dès les premiers siècles du christianisme, les passions des hommes ont paru jusque dans l'Eglise ; et cependant les jugements de l'Eglise ont été reçus de tous les fidèles avec respect, toutes les erreurs ont été confondues, toutes les hérésies ont échoué. Les incrédules et les opiniâtres ont attribué ce succès à des causes humaines; mais les sages et les vrais chrétiens ont en cela reconnu l'effet visible de cette fameuse prédiction de Jésus-Christ, que toutes les portes de l'enfer, et à plus forte raison toutes les passions des hommes, ne prévaudront jamais contre son Eglise : Portœ inferi non prœvalebunt adversus eam (1). Tel est donc notre bonheur de voguer, pour ainsi dire, dans un vaisseau où nous sommes assurés de ne faire jamais naufrage. Nous pouvons être assaillis des vents et exposés aux tempêtes; mais il y a un guide qui dirige la barque de saint Pierre, et qui la préserve de tous les écueils. Confions-nous à ce divin conducteur, il ne peut nous égarer. Attachons-nous à l'Eglise qu'il anime, elle ne peut nous tromper. Soumettons-nous à elle, et rendons-lui non-seulement l'obéissance de l'esprit en croyant ce qu'elle nous enseigne, mais l'obéissance du cœur en pratiquant ce qu'elle ordonne : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Pour bien comprendre cet autre devoir à l'égard de l'Eglise, qui consiste dans l'obéissance du cœur et dans l'observation des lois qu'elle nous impose, écoutez, Chrétiens, quatre propositions, dont la liaison m'a paru une espèce de preuve à laquelle ni l'erreur, ni l'esprit de licence et d'indépendance qui règne dans le monde corrompu, n'opposeront jamais rien de solide. C'est assez que l'Eglise soit notre mère, pour conclure qu'elle a le droit de nous commander : première proposition ; et c'est assez que nous soyons ses enfants, pour devoir être persuadés que ce qu'elle nous commande n'est pas seulement d'une police extérieure, mais d'une obligation étroite, qui lie nos consciences, et qui nous engage sous peine de péché : seconde proposition. Du moment que nous reconnaissons l'Eglise pour notre mère, nous ne pouvons plus violer les commandements qu'elle nous fait, sans violer un des commandements les plus authentiques de la loi de Dieu : troisième proposition ; et la liberté, ou plutôt la témérité avec laquelle  nous transgressons les

 

1 Matth. XVI, 18.

 

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préceptes de l'Eglise, oubliant qu'elle est notre mère, ne procède souvent que d'un fonds de libertinage et d'un principe d'irréligion, peut-être plus dangereux pour nous que les péchés mêmes qui en naissent. Libertinage où nous nous flattons nous-mêmes, et que nous couvrons de mille prétextes ; mais prétextes que l'Eglise, quoique notre mère, ne favorisera jamais ; au contraire, qu'elle désavouera toujours, et, autant qu'ils auront été la cause de nos relâchements et de nos désordres, qu'elle condamnera et qu'elle détestera : quatrième et dernière proposition. Appliquez-vous, Chrétiens, je n'abuserai pas de votre patience,

Puisque l'Eglise est notre mère, elle a droit de nous commander : cette conséquence est si naturelle, que le seul bon sens suffit pour y souscrire. Quand on disait aux hérésiarques du siècle passé, que l'Eglise, en qualité d'épouse du Fils de Dieu, était reine et souveraine ; que comme souveraine elle avait le pouvoir de faire des lois, et que tout homme chrétien devait sans exception et sans distinction y être soumis, cette idée de souveraineté les choquait, et leur inspirait un chagrin qui peu à peu dégénéra dans un esprit de révolte. Ils voulaient une Eglise, mais une Eglise sujette, une Eglise sans autorité, une Eglise faible et impuissante ; et ils n'en pouvaient souffrir une qui eût un empire, je dis un empire spirituel, si étendu et si absolu. Ainsi Wiclef et Luther prétendirent-ils qu'il n'appartenait point à l'Eglise d'imposer des lois aux fidèles, et que le pouvoir qu'elle s'en attribuait était un pouvoir usurpé : par où ils faisaient bien voir qu'ils étaient de la secte et du caractère de ces esprits pervertis dont parlait l'apôtre saint Jude, c'est-à-dire de ces esprits déterminés à blasphémer et à maudire la domination même la plus légitime et la plus sainte : Similiter et hi dominationem spernunt ; majestatem autem blasphemant (1). Mais enfin, tout ennemis qu'ils étaient de la domination de l'Eglise, ou, pour mieux dire, de sa puissance et de sa juridiction, quand on leur représentait que l'Eglise est la mère de tous les chrétiens, et qu'une mère a droit de commander à ses enfants, comme elle est obligée de les gouverner, ne pouvant nier le principe, ils se trouvaient embarrassés sur la conséquence ; et, pressés de ce raisonnement qu'ils voulaient éluder, ils avaient recours à l'invective, déclamant contre les abus des pasteurs de l'Eglise et de ses ministres : comme si les désordres prétendus des ministres de l'Eglise eussent pu ôter à l'Eglise

 

1 Jud., VIII, 8.

 

même l'autorité que Jésus-Christ lui a donné; comme si ce divin Maître, malgré les plus visibles dérèglements des scribes et des pharisiens, n'avait pas autorisé leur ministère par la loi qu'il établissait, de faire ce qu'ils ordonneraient sans imiter leurs exemples ; comme si l'erreur la plus pernicieuse et la plus grossière n'était pas de faire dépendre la puissance d'ordonner et de commander, des qualités personnelles de ceux qui en sont revêtus ; comme si l'abus que peuvent faire les hommes de cette puissance, en détruisait le fond, qui est l'œuvre de Dieu, et de l'ordre de Dieu.

C'est néanmoins ce qu'ont avancé les partisans de l'hérésie. Mais permettez-moi de douter si la conduite de certains catholiques relâchés n'est pas en quelque sorte aussi injuste, et ne marque pas un aussi déplorable aveuglement. Ils ne nient pas la puissance spirituelle de l'Eglise ; mais ils comptent pour rien d'en secouer le joug : ils laissent l'Eglise en possession de son sacerdoce royal ; mais ils se rendent clans la pratique aussi indépendants d'elle, que ceux qui osent le lui disputer: ils ne contestent pas que ses préceptes ne soient justes et légitimes ; mais ils trouvent le moyen de s'en affranchir, pour peu qu'ils leur soient incommodes. Or, lequel des deux est plus injurieux à l'Eglise, ou de ne pas reconnaître son pouvoir par une prévention d'esprit, ou, le reconnaissant, de ne s'y pas soumettre par une dépravation de cœur? Il est donc vrai que l'Eglise peut nous prescrire des lois et nous faire des commandements. Mais de quelle nature ou de quelle force sont ces commandements de l'Eglise? je dis que ce sont des lois d'une obligation étroite et rigoureuse : seconde proposition. Calvin ne pouvait convenir qu'elles obligeassent sous peine de péché. Il ne comprenait pas, disait-il, qu'une loi humaine pût être la matière d'un crime devant Dieu : et plaise au ciel que parmi nous il n'y ait point d'âmes libertines infectées de la même erreur! Mais c'est ce qui doit nous étonner, qu'un homme aussi pénétrant que Calvin pût bien comprendre comment la désobéissance d'un fils envers son père le rend criminel aux yeux de Dieu, et qu'il ne pût concevoir comment la désobéissance d'un chrétien envers l'Eglise, qui est sa mère, le rend, au jugement de Dieu même, prévaricateur. Car pourquoi l'Eglise, qui nous a engendrés selon l'esprit, ne peut-elle pas sur nous ce que peuvent nos pères selon la chair? lui sommes-nous moins redevables? nous a-t-elle donné une naissance, une vie, une éducation moins

 

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estimable et moins précieuse? Quand il n'y aurait point d'autre fondement que celui-là pour justifier ce qui a passé de tout temps pour incontestable dans notre religion, savoir, que les préceptes de l'Eglise sont des liens de conscience qu'on ne peut rompre sans encourir l'indignation et la disgrâce de Dieu, ne serait-ce pas assez? Oui, mes chers auditeurs, ces préceptes, quoiqu'en eux-mêmes de droit humain et positif, vont jusqu'à l'offense divine et jusqu'à intéresser le salut. Ce sont pour nous des sources de grâce, quand nous les accomplissons; mais par un juste jugement, et contre l'intention de l'Eglise même, ils se tournent pour nous en malédiction, quand nous y contrevenons; et il faut bien que cela soit ainsi, puisque Jésus-Christ, dans l'Evangile, veut qu'on tienne pour païen et pour publicain celui qui n'obéit pas à l'Eglise : Si autan Ecclesiam non audierit, sit tibi sicut ethnicus et publicanus (1). Car ce qui mérite qu'on nous regarde comme païens, doit être au moins un péché de h nature de ceux qui causent la mort à notre âme; et ce qui nous met au rang des publicains, c'est-à-dire des pécheurs publics, n'est point la simple transgression d'une loi civile et pénale. Il faut bien encore que cela soit ainsi, puisque le même Sauveur a donné le pouvoir à son Eglise de nous excommunier et de nous retrancher de son corps, lorsqu'avec opiniâtreté, et par un esprit d'orgueil, nous persistons à son égard dans la désobéissance, en violant ses préceptes impunément : car une punition aussi terrible que celle-là ne suppose pas une faute légère ; et ce retranchement du corps mystique de Jésus-Christ ne peut-être pour le salut quelque chose d'indifférent.

En voulez-vous un témoignage, mais décisif? écoutez saint Augustin. Quand ce grand docteur parlait du jeûne commandé et déterminé par l'Eglise, comment s'en expliquait-il? en parlait-il comme d'une œuvre de subrogation pour les justes, ou comme d'un exercice volontaire de pénitence pour les pécheurs? Non ; il en parlait comme d'une loi à laquelle et les pécheurs et les justes, sous peine d'être condamnés de Dieu, devaient également s'assujettir; il disait qu'autant qu'il était louable de jeûner dans les autres temps de l'année, autant était-il punissable de ne pas jeûner dans les temps consacrés à la pénitence publique de l'Eglise, et particulièrement dans celui qu'elle nous a ordonné de sanctifier par le jeûne

 

1 Matth., XVIII, 17.

 

solennel du carême : que d'observer d'autres jeûnes, ce pouvait être un remède et une vertu ; mais que de manquer à celui-là, c'était un crime et un péché. Ce sont les termes dont il use : In aliis quippe temporibus jejunare, ont remedium est aut prœmium; in quadragesima non jejunare scelus est ac peccatum. La tradition du siècle de saint Augustin était donc que la loi du jeûne imposait aux chrétiens une obligation, non-seulement de police, mais de conscience; et que c'était, aussi bien que la loi écrite, une matière de transgression et de péché.

Cependant, Chrétiens, sans recourir à la tradition, ni à l'Ecriture, je dois m'en tenir à cette supériorité naturelle que l'Eglise a sur moi. Elle est ma Mère : donc je suis réprouvé de Dieu si je ne lui obéis pas, quand elle exige de moi un culte raisonnable : or, en exige-t-elle jamais un autre? et dans les commandements qu'elle me fait, pour peu que j'aie le cœur docile, est-il rien que ma raison même ne doive hautement approuver? Elle m'oblige à assister aux divins mystères et au sacrifice de ma religion, à recevoir chaque année le sacrement institué pour être la nourriture de mon âme et le gage de mon salut, à ne m'en approcher qu'après m'y être disposé par une solide épreuve de moi-même et par une confession exacte des désordres de ma vie, à garder des abstinences et des jeûnes qui peuvent me tenir lieu de satisfactions : or, sont-ce là des choses où je puisse me plaindre que l'Eglise ait excédé la mesure de ce culte dont parlait saint Paul, en l'appelant Rationabile obsequium (1); qu'elle n'ait pas eu égard à ma faiblesse, qu'elle n'ait pas même consulté mes besoins et mon intérêt; en un mot, qu'elle n'ait pas agi en Mère prudente et zélée, conduite par l'Esprit de Dieu? Quand elle ne m'aurait pas fait des lois de tout cela, ne devrais-je pas me les faire moi-même? et ces lois, quand je les observe, m'étant aussi utiles et aussi salutaires que l'expérience me l'apprend, Dieu n'aura-t-il pas droit de me punir, si, par impiété ou par lâcheté, je ne les observe pas?

Mais enfin , me direz-vous, tout cela ne nous est commandé que par l'Eglise. Je l'avoue, Chrétiens : mais prenez garde à ce que j'ai ajouté, et c'est la troisième proposition : savoir, qu'il est impossible de violer alors le commandement de l'Eglise , sans violer l'un des commandements les plus authentiques de la loi de Dieu : pourquoi ? parce que le commandement

 

1 Rom., XII, 1.

 

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de l'Eglise est toujours accompagné, ou, pour mieux dire, soutenu et autorisé du commandement de Dieu ; et je ne dis pas seulement ceci de certains préceptes qui, selon la remarque de saint Thomas , sont tout ensemble de droit ecclésiastique et de droit divin, tel qu'est, entre autres, le précepte de la communion : car il est bien évident que Jésus-Christ ayant établi la communion comme un moyen essentiellement nécessaire pour entretenir dans nous la vie de la grâce, et pour cela s'étant déclaré, que quiconque ne mangerait pas la chair du Fils de l'Homme serait privé de cette vie qui fait les saints et les élus de Dieu : Nisi manducaveritis carnem Filii Hominis , non habebitis vitam in vobis (1) ; quand je participe au corps de Jésus-Christ, et que j'accomplis le devoir chrétien par la communion pascale, je satisfais à deux préceptes, l'un de l'Eglise, l'autre du Sauveur ; et au contraire, si je manquais à ce devoir, je serais coupable d'une double prévarication et d'une double iniquité : prévarication, en ne donnant pas à l'Eglise cette marque de mon obéissance; mais prévarication encore plus grande, en négligeant, aussi bien que les conviés de l'Evangile, de me mettre en état d'assister à ce divin banquet où Jésus-Christ lui-même m'invite pour me nourrir de sa chair et de son sang. Sans parler, dis-je, de ces commandements, qui ne sont, à le bien prendre, des commandements de l'Eglise que parla circonstance du temps, mais qui dans le fond sont de l'institution divine, j'ai dit absolument, et il est vrai, que la désobéissance aux lois de l'Eglise est toujours accompagnée d'une désobéissance à la loi de Dieu : comment? parce qu'en même temps, pour user de cet exemple, que l'Eglise par une loi particulière, me commande le jeune, Dieu, par une autre loi qui est générale , me commande d'obéir à l'Eglise ; et je ne puis mépriser l'un de ces deux commandements sans mépriser l'autre, puisque l'un, dit le savant chancelier Gerson, sert de soutien et d'appui à l'autre. Je me trompe donc si je crois alors n'être responsable qu'à l'Eglise , et n'avoir péché que contre l'Eglise ; car j'ai péché contre Dieu même, et il faudra que je subisse la rigueur de son jugement aussi bien pour le jeune violé que pour les autres désordres de ma vie ; et voilà, mes chers auditeurs, ce que les théologiens concluent des paroles du Fils de Dieu, quand il disait à ses apôtres, qui furent les pasteurs de son Eglise : Qui vos audit, me audit :

 

1 Joan., VI, 54.

 

et qui vos spernit, me spernit (1) : Qui vous écoute, m'écoute; et qui vous méprise, nie méprise : paroles, ajoute le chancelier Gerson, qui montrent bien que Jésus-Christ est personnellement intéressé dans le mépris que nous faisons des lois de son Eglise ; et qu'en qualité de chef et d'époux de cette Eglise, le mépris qu'on fait d'elle retombant sur lui, il ne peut se dispenser, tant pour lui-même que pour elle, de nous en punir.

Le point de morale par où je finis, et qui est ma dernière proposition , c'est que la plupart des péchés qui se commettent contre l'Eglise, en violant ses lois , sont des péchés de libertinage , qui ne procèdent communément que d'un secret principe d'irréligion ; mais qui par là, changeant d'espèce, deviennent encore devant Dieu plus punissables et plus griefs : car pour les préceptes de la loi de Dieu , on les viole, dit Guillaume de Paris, par mille autres raisons que l'on peut appeler des tentations humaines. Un intérêt puissant, une passion forte , un mouvement subit, une occasion pressante et imprévue, voilà les sources ordinaires des crimes les plus énormes dont je parle ; c'est-à-dire, oh pèche contre la loi de Dieu , parce qu'on est emporté et dominé par la concupiscence ; on est impudique par faiblesse, médisant par légèreté , injuste par cupidité. Mais quand il s'agit des préceptes de l'Eglise, la plupart faciles en eux-mêmes, et dont la matière n'est presque jamais le sujet d'une violente passion qu'il faille vaincre pour les accomplir, par quel esprit et par quel principe peut-on les transgresser, si ce n'est par un principe de licence, par un esprit indépendant et libertin, par l'habitude malheureuse qu'on s'est faite de se soucier peu des observances et des devoirs de sa religion? principe plus funeste que les péchés mêmes qui en sont les suites; mais principe d'où tirent les péchés qui en naissent un surcroît de malice dont je voudrais aujourd'hui vous imprimer l'horreur.

Je ne parle point à vous , mes Frères, qui, par le malheur de votre naissance , ayant été enveloppés dans l'hérésie et dans le schisme, avez fait une profession ouverte de ne point obéir à l'Eglise, qui était votre mère, jusqu'à ce qu'il ait plu enfin au Seigneur de vous rappeler à son unité. Quoique, pendant cette séparation vous ayiez violé ses lois , je sais que vous l'avez fait par ignorance , aussi bien que vos pères, et Dieu veuille que cette ignorance

 

1 Luc, X, 16.

 

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ait pu vous servir de quelque excuse auprès de Dieu? Je pourrais donc vous dire , avec autant de raison que saint Pierre en parlant aux Juifs : Et mine scio, fratres , quia per ignorantiam fecistis (1). Je ne vous reproche point les désobéissances que vous commettiez alors contre l'Eglise, comme si elles avaient été des marques de votre irréligion ; et je déplore bien plutôt l'aveuglement où vous étiez en les commettant peut-être par le faux zèle d'une prétendue religion. Dieu, par son infinie bonté, vous a ouvert les yeux, et il me suffit d'ajouter ce que le prince des apôtres disait aux Israélites , au même chapitre des Actes que je viens de citer : Pœnitemini igitur et convertimini, ut deleantur peccata vestra (2) : Faites donc pénitence, mes frères; et, éclairés des lumières de la vérité , persévérez, croissez, affermissez-vous dans la grâce de votre conversion, afin que ces péchés d'ignorance que vous faisiez sans les connaître , et que vous n'aviez garde de pleurer, puisque vous n'en conveniez pas, soient maintenant effacés par la ferveur de votre vie, mais surtout par la soumission et l'inviolable régularité avec laquelle je me promets que vous observerez ces mêmes lois qui si longtemps ont été le sujet de votre transgression. Ce n'est point, dis-je, à vous, Chrétiens nouvellement réconciliés à l'Eglise de Jésus-Christ, que j'ai prétendu adresser la plainte que je fais ; c'est à vous, anciens catholiques, c'est à vous que je veux parler. Quel autre esprit, je le répète, qu'un esprit de libertinage, peut vous porter à violer des commandements dont la pratique demande si peu d'efforts, et que l'Eglise, usant d'une condescendance maternelle, a su proportionner à votre faiblesse par tant de tempéraments, pour ne pas dire de ménagements et d'adoucissements? Car de quoi s'agit-il? d'une messe qu'il faut entendre, d'une confession qu'il faut faire, d'une communion dont il faut s'acquitter, de quelques fêtes qu'il faut sanctifier, de quelques abstinences et de quelques jeûnes qu'il faut observer. Un chrétien qui, sans nécessité, sans raison, sans excuse; un chrétien qui, sans scrupule et sans remords, lait une profession ouverte de n'avoir sur cela

 

1 Act., III, 17, — 2 Ibid., 19.

 

pour l'Eglise aucun respect, ou qui n'a là-dessus pour elle qu'un faux respect, un respect de bienséance et de cérémonie, que donne-t-il à penser de lui, sinon qu'il a peu de religion , et que dans le fond il est impie et libertin?

Ah ! mes Frères, honorons notre religion par l'obéissance que nous rendrons à Jésus-Christ et à son Eglise. Autrefois on nous disait : Edifions les hérétiques qui nous voient, qui nous observent, et qui, tout retranchés qu'ils sont de l'Eglise, ne laissent pas d'être scandalisés, quand ils sont témoins du mépris que nous en faisons en méprisant ses lois ; l'exemple de notre fidélité et de notre soumission sera mille fois plus efficace pour les persuader et les toucher, que les plus savantes disputes et les discours les plus pathétiques ; et si quelque chose est capable d'achever leur conversion, c'est la bonne odeur de notre vie et la régularité de notre conduite. C'est ainsi qu'on nous parlait. Mais aujourd'hui je vous dis quelque chose de plus pressant : Editions, non plus des hérétiques obstinés, mais des catholiques nouvellement sortis du sein de l'hérésie et reçus dans le sein de l'Eglise ; ils sont encore faibles , ne les affaiblissons pas davantage par le scandale de nos mœurs. Quand ils ne voyaient nos désordres que de loin, ils en étaient surpris, ils en étaient frappés, ils en étaient indignés : que sera-ce quand ils les verront de près, et que sans cesse ils les auront devant les yeux? Ne leur donnons pas lieu de regretter ce qu'ils ont quitté, et peut-être d'y retourner. Ne détruisons pas dans eux l'ouvrage de la grâce, mais travaillons à L'affermir et à le perfectionner; pensons à nous-mêmes, et souvenons-nous qu'il y va de notre salut éternel. Grand saint, vous que nous invoquons spécialement en ce jour; vous à qui Jésus-Christ confia son Eglise, et qui en êtes après lui la pierre fondamentale ; vous qui en fûtes sur la terre le chef, l'apôtre, le martyr, ayez encore les yeux attachés sur elle; protégez-la, défendez-la,obtenez-lui les secours puissants qu'elle demande par votre intercession, pour confondre ses ennemis, pour sanctifier ses enfants, et pour nous faire tous arriver à la gloire, où nous conduise, etc.

 

 

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