NOTRE-DAME DES ANGES

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SERMON POUR LA FÊTE DE NOTRE-DAME DES ANGES.
SUR L'INDULGENCE DE PORTlUNCULE.

 

ANALYSE.

 

Sujet. Ce pauvre a prié, et le Seigneur l'a exaucé.

 

Ce pauvre, c'est saint François priant dans l'Eglise de Portiuncule, et demandant à Jésus-Christ, par l'intercession de Marie, une indulgence plénière pour tous les pécheurs qui visiteraient cette église avec les dispositions convenables.

 

Division. François qui prie pour les pécheurs, et qui par le mérite de sa personne est digne d'être exaucé : première partie. Marie qui intercède pour François, et qui s'y trouve engagée par les plus puissants motifs : deuxième partie. Jésus-Christ qui accorde, en faveur de l'un et de l'autre, une indulgence que nous devons regarder comme un des dons de Dieu les plus estimables : troisième partie.

 

Première partie. François qui prie pour les pécheurs, et qui, par le mérite de sa personne, est digne d'être exaucé : car qu'était-ce que François? 1° Un pauvre volontaire, 2° un pauvre crucifié, 3° un pauvre désintéressé pour lui-même et zélé pour le prochain.

1° Un pauvre volontaire, un pauvre évangélique, instituteur d'un ordre de pauvres, parfaits imitateurs de la pauvreté de Jésus-Christ. En fallait-il davantage pour lui faire trouver grâce auprès de Dieu, qui se plaît à écouter jusqu'aux simples désirs des pauvres.

2° Un pauvre crucifié, c'est-à-dire un pauvre revêtu de la mortification de Jésus-Christ, jusqu'à porter les stigmates de ce Dieu Sauveur. Quelle austérité de vie, quels jeûnes, quel renoncement à tous les plaisirs! Esprit de pénitence qu'il a laissé en héritage à ses enfants. Or, combien Dieu devait-il être touché de la prière d'un homme en qui il découvrait des traits si marqués et une si parfaite image de son Fils! Jésus-Christ prie pour nous dans le ciel, en montrant à son Père les cicatrices de ses plaies; et François priait sur la terre, en montrant à Dieu les mêmes blessures imprimées sur son corps.

3° Un pauvre désintéressé. Pour qui adressait-il ses vœux au ciel? Pour les autres, et non pour lui-même. Nos prières n'ont pas la même efficace auprès de Dieu, parce que nous ne sommes ni pauvres de cœur, comme saint François, ni crucifiés au monde, ni charitables, ni désintéressés.

Deuxième partie. Marie qui intercède pour François, et qui s'y trouve engagée par deux grands motifs : 1° motif de piété maternelle ; 2° motif d'intérêt propre.

1° Motif de piété maternelle envers saint François : car la Mère de Dieu ne devait-elle pas spécialement chérir un homme qui faisait une profession particulière de lui appartenir, et qui, dans l'église de Portiuncule, voulut contracter une alliance étroite avec elle, en se dévouant à son service, et la choisissant pour chef de son ordre? Quand donc François, à la tête de ses enfants, priait au pied de l'autel, Marie, prosternée devant le trône du Seigneur, lui présentait elle-même leur prière.

2° Motif d'intérêt propre. De quoi s'agissait-il dans la concession de l'indulgence que demandait saint François? L'église de Portiuncule, érigée sous le nom de Marie et sous le glorieux titre de Notre-Dame des Anges, était dans un abandon qui la déshonorait, et il était question de la mettre dans un nouveau lustre, en y attirant les peuples et en y rétablissant le culte de la Reine du ciel. De plus, il s'agissait de favoriser un ordre qui, de tous les ordres de l'Eglise, devait être un des plus ardents défenseurs des privilèges de cette Vierge, surtout de son immaculée conception. Ce n'est point en vain qu'on honore Marie et qu'on se confie en elle, lorsque ce n'est point un stérile honneur qu'on lui rend, ni une confiance présomptueuse qu'on a dans sa médiation.

Troisième partie. Jésus-Christ qui accorde, en faveur de Marie et de saint François, une indulgence que nous devons regarder comme un des dons de Dieu les plus estimables. Entre les autres indulgences, celle-ci est une des plus authentiques et des plus assurées, 1° parce que c'est une indulgence accordée immédiatement par Jésus-Christ; 2° parce que c'est une indulgence attestée par les miracles les plus certains; 3° parce que c'est une indulgence répandue parmi le peuple chrétien avec un merveilleux progrès des âmes.

1° Indulgence accordée immédiatement par Jésus-Christ : donc indulgence qui doit être infaillible. François néanmoins en communiqua avec le souverain pontife : car tel est l'ordre et l'Esprit de Dieu, que toute révélation soit soumise au tribunal et au jugement de l'Eglise. En quoi la conduite de saint François condamne bien celle des hérétiques, qui ne veulent s'en rapporter qu'à eux-mêmes.

2° Indulgence attestée par des miracles certains, quoi qu'en puissent dire ces prétendus esprits forts qui demandent des miracles pour croire, et qui ne veulent croire nul miracle.

3° Indulgence répandue parmi le peuple chrétien avec un merveilleux progrès des âmes : c'est ce qu'ont éprouvé tant de pécheurs convertis, tant de chrétiens lâches excités et ranimés, tant de justes même sanctifiés. Du reste, pour gagner cette indulgence plénière, il faut renoncer pleinement au péché ; et voilà pourquoi il y en a très-peu à qui elle soit appliquée. Ne négligeons rien pour profiter d'un avantage si précieux.

 

Iste pauper clamavit, et Dominus exaudivit eum.

 

Ce pauvre a prié, et  le Seigneur l'a exaucé.  (Psaume XXXIII, 7.)

 

Si jamais cette parole du prophète s'est accomplie, n'est-ce pas, Chrétiens, à l'égard du glorieux patriarche saint François d'Assise, et dans la concession de l'indulgence dont nous célébrons aujourd'hui la solennité? Il pria, ce pauvre évangélique : dans cette fameuse apparition où le Sauveur du monde, accompagné de Marie sa mère, se lit voir à lui, et sans

 

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réserve lui promit, comme à Salomon, de tout accorder à sa prière, il ne demanda ni la grandeur ni la fortune humaine ; il oublia même, ce semble, ses propres intérêts, et ne pensa qu'à ceux des fidèles pour qui il obtint une rémission entière et une pleine indulgence, toutes les fois qu'avec les dispositions requises, et à certain jour marqué, ils visiteraient cette église de Portiuncule, dédiée à la reine du ciel, et d'où il adressait à Dieu sa demande. Une prière si chrétienne et si sainte ne pouvait être rejetée. Marie la seconda, Jésus-Christ l'écouta. François eut la consolation d'avoir procuré aux plus grands pécheurs une des grâces les plus précieuses, et une des plus promptes et des plus infaillibles ressources contre les vengeances divines et les châtiments dont ils étaient menacés. Ainsi, mes chers auditeurs, pour vous proposer d'abord le dessein de ce discours, nous avons à considérer, d'une part, saint François qui prie, d'autre part, la mère de Dieu qui intercède, et enfin Jésus-Christ qui accorde. François qui prie, et pour qui? pour les pécheurs : c'est ce que je vous, ferai voir dans la première partie , Marie qui intercède , et en faveur de qui? pour François, dont elle appuie auprès de son Fils l'humble et fervente prière : c'est ce que je vous représenterai dans la seconde partie ; Jésus-Christ qui accorde, et quoi ? l'indulgence la plus générale et la plus complète : ce sera le sujet de la troisième partie. Ce n'est point encore assez; mais je reprends, et je lais trois profitions plus expresses et plus particulières ; car je; dis : François pria pour les pécheurs ; et je prétends que, par le mérite de sa personne, il fut digne d'être exaucé : première proposition. Marie intercéda pour François, et j'avance qu'elle y fut engagée par les plus puissants motifs : seconde proposition. Jésus-Christ, en faveur de l'un et de l'autre, accorda l'indulgence que nous pouvons tous ici nous appliquer, et je soutiens que c'est un des dons de Dieu les plus estimables : dernière proposition. Il s'agit de nous-mêmes, Chrétiens; il s'agit de notre avantage le plus essentiel : que faut-il de plus pour vous intéresser et pour soutenir votre attention, après que nous aurons salué Marie, en lui disant : Ave, Maria ?

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Je me figure d'abord, Chrétiens, François prosterné dans le sanctuaire comme un autre Salomon, et levant les mains pour faire à Dieu la même demande que ce monarque , lorsqu'il dédia le temple de Jérusalem. Orantes in loco

isto, exaudi cos in cœlo, et dimitte peccata servorum tuorum (1) . Seigneur, dit cet homme séraphique dont je parle, faites grâce à votre peuple, et pardonnez les péchés à tous ceux qui vous invoqueront en ce saint lieu. Car c'est ainsi que François pria, et je dis qu'il fut di^ne d'être exaucé : pourquoi ? est-ce en général parce qu'il était saint? cela suffirait pour justifier ma proposition , car la foi m'apprend qu'il n'y a rien de plus puissant auprès de Dieu que la sainteté : et quelle merveille que Dieu écoute un saint qui le prie et qui l'aime aussi ardemment que celui-ci, puisque, selon l'Ecriture, il fait la volonté de ceux qui le craignent? Si la crainte de Dieu, dit saint Augustin, a tant de pouvoir auprès de Dieu, que sera-ce de son amour? Si hœc timentibus, quid amantibus ? Mais le sujet que je traite demande quelque chose de plus particulier; et, sans m'en tenir à cette raison , je prétends que saint François mérita d'être exaucé par trois admirables qualités qui lui ont été personnelles, et qui lui ont gagné le cœur de Dieu : 1° parce que c'était un pauvre volontaire ; 2° parce que c'était un pauvre crucifié ; 3° parce que c'était un pauvre désintéressé pour lui-même et zélé pour le prochain : trois titres qui durent singulièrement relever devant Dieu la personne de François d'Assise et le mérite de sa prière : examinons-les.

C'est un pauvre, et un pauvre volontaire, un pauvre évangélique qui s'adresse à Dieu : ah ! Chrétiens, en faut-il davantage pour lui faire trouver grâce, et pour lui rendre Dieu favorable? Dieu qui, selon le texte sacré, n'attend pas que les pauvres le prient ; qui se plaît à écouter jusqu'à leurs simples désirs : Desiderium pauperum exaudivit Dominus (2) ; qui pour eux a l'oreille si attentive et si délicate, qu'il entend même la simple préparation de leur cœur : Prœparationem cordis eorum audivit auris tua (3); et qui fait tout cela, dit saint Chrysostome, pour honorer la pauvreté, comment n'y aurait-il pas égard dans un homme tel que François, où elle se présente avec tous ses avantages, et tout ce qui la peut rendre plus précieuse aux yeux du Seigneur ? Car, prenez garde, quand saint François prie, c'est un pauvre, mais ce n'est pas un pauvre ordinaire ; c'est ce pauvre par excellence que Dieu fit voir à David lorsqu'il voulut lui découvrir toute la perfection de la loi de grâce : Iste pauper clamavit, et Dominus exaudivit eum. Oui, le voilà ce pauvre : Iste pauper, ce pauvre,

 

1 3 Reg., VIII, 36. — 2 Psal., X, 17. — 3 Ibid.

 

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après Jésus-Christ, le plus grand amateur et l'observateur le plus exact et le plus sévère de la pauvreté de l'Evangile. Iste pauper, ce pauvre à qui Dieu dit comme à Salomon : Postula quod vis, ut dem tibi (1). Regarde, et de toutes les choses du monde, demande-moi celle que tu veux, afin que je te la donne ; mais qui ne trouve rien de meilleur pour lui ni de plus digne de son choix, que la pauvreté ; qui lui donne la préférence sur tout le reste, et la veut avoir seule pour partage : en cela plus heureux que Salomon , quand ce prince choisit la sagesse, parce que la sagesse de Salomon ne renfermait pas en elle la pauvreté de François , au lieu que la pauvreté de François contient éminemment la sagesse de Salomon , puisque la souveraine sagesse est d'être pauvre avec Jésus-Christ et comme Jésus-Christ. Iste pauper, ce pauvre qui a fait à Dieu une réponse toute différente de celle de Salomon , et qui ne dit pas : Seigneur, ne me donnez ni les richesses, ni la pauvreté : Mendicitatem et divitias ne dederis mihi (2); mais qui dit, tout au contraire : Seigneur , préservez-moi des richesses comme du poison le plus mortel, et donnez-moi pour héritage la pauvreté. Ce sera mon plus précieux trésor, et j'en ferai toutes mes délices. C'est sur elle que je bâtirai des églises sans nombre ; c'est elle qui servira de. pierre fondamentale au saint ordre dont il vous a plu de m'inspirer le dessein : je la laisserai par testament à ceux qui me suivront; elle leur tiendra lieu de fonds , de patrimoine, de subsistance, et ils la garderont comme le plus honorable et le plus noble partage qu'ils puissent recevoir de moi. Iste pauper, ce pauvre, en effet, instituteur d'un ordre que nous pouvons appeler Tordre des lévites de la nouvelle loi : pourquoi cela? parce que les lévites composaient cette tribu d'Israël à qui Dieu n'avait donné nulle possession dans la terre promise , et dont il voulut être lui-même le seul bien, et, pour parler avec l'Ecriture, l'unique possession : Non habuit Levi partem, neque possessionem, quia ipse Dominus possessio ejus est (3). Belle figure, Chrétiens, de l'ordre de saint François , qui le premier, entre les ordres religieux, a eu la gloire de ne pouvoir rien posséder; qui s'est réservé ce renoncement universel comme une de ses plus singulières prérogatives , et à qui l'Eglise l'a confirmée dans les conciles généraux au même temps qu'elle l'était aux autres. Ceux-ci font profession d'être pauvres, mais pauvres dans le particulier,

 

1 3 Reg., III, 5. — 2 Prov., XXX, 8. — 3 Deut., X, 9.

 

quoique en commun ils soient capables d'acquérir et d'avoir en propre : François, et dans le commun et dans le particulier, veut être privé de toute propriété, afin que la parole du Prophète royal puisse mieux se vérifier en lui : Iste pauper clamavit, et Dominus exaudivit eum.

Aussi, Chrétiens, comment Dieu eut-il pu se défendre de la prière d'un homme qui lui disait avec la même confiance que les apôtres : Seigneur, j'ai quitté tout, et je me suis réduit pour vous à l'état d'une pauvreté qui n'a point encore été vue ni pratiquée dans le monde ? J'ai engagé des milliers d'hommes à l'embrasser comme moi. Voyez, mon Dieu, quelle grâce vous voulez nous accorder : Ecce nos reliquimus omnia et secuti sumus te ; quid ergo erit nobis (1) ? Vous nous offrez la vie éternelle , et nous l'acceptons ; mais souvenez-vous, Seigneur, que vous nous l'avez déjà promise par d'autres titres. Vous nous parlez d'un centuple sur la terre, nous ne vous le demandons point ; et j'ose vous dire , au nom de tous mes frères et en mon nom, que .nous n'y prétendons rien. Vous chercherez donc, ô mon Dieu, dans les trésors de votre miséricorde, quelque autre grâce plus conforme à l'état de vie où vous nous avez appelés ; et puisque vous voulez bien que je vous explique sur cela mes desseins, ah ! Seigneur, pardonnez à ce peuple , et accordez à tous ceux qui viendront ici vous invoquer l'entière rémission de leurs péchés. Voilà ce que je voudrais obtenir de vous par le mérite de la pauvreté que je vous ai vouée. Je dis, mon Dieu, par le mérite de cette pauvreté, non point parce que c'est la mienne, mais parce c'est la vôtre, et qu'ayant été d'abord consacrée dans votre humanité sainte, vous daignez bien encore la considérer dans la personne de votre serviteur. Ainsi, mes chers auditeurs, François est-il exaucé parce qu'il est pauvre : Iste pauper clamavit ; et la pauvreté, l'objet du mépris des hommes, est ce qui fait son crédit auprès de Dieu : Et Dominus exaudivit eum.

Je dis plus : non-seulement c'est un pauvre qui prie par la bouche de saint François, mais c'est un pauvre crucifié, c'est-à-dire un pauvre attaché à la croix de Jésus-Christ pour y vivre, comme Jésus-Christ y fut attaché pour mourir; un pauvre qui eut droit de prendre la devise de saint Paul : Christo confixus sum cruci (2);et qui put dire de lui-même avec plus de fondement que cet apôtre : Ego autem stigmata Domini

 

1 Matth., XIX, 27. — 2 Galat., II, 19.

 

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Jesu in corpore meo porto (1); puisqu'il porta réellement sur son corps les sacrés stigmates de son maître. Il est vrai, quand saint François pria pour obtenir l'indulgence qui fait le sujet de cette fête, il ne portait pas encore visiblement ces glorieuses cicatrices; mais nous apprenons de son histoire qu'elles lui avaient déjà été imprimées par une action divine et intérieure ; elles ne paraissaient pas encore aux yeux des hommes, comme elles parurent dans la suite des années ; mais Dieu les voyait, Chrétiens : et de quels sentiments dut-il être touché à l'égard d'un homme en qui il découvrait des traits si marqués et une si parfaite image de son Fils? Que cette pensée m'ouvre un grand champ, et que n'ai-je tout le loisir de m'y étendre ! Pourquoi Jésus-Christ, après sa résurrection , voulut-il conserver les vestiges de ses blessures? les Pères en ont rapporté bien des raisons; mais la plus solide, à ce qu'il me paraît, et la plus vraie, c'est celle qu'en donne saint Jean Chrysostome : car le Fils de Dieu, dit-il, devait prier pour nous dans le ciel, et, selon la parole de saint Jean, plaider lui-même notre cause en qualité d'avocat et de médiateur; et voilà pourquoi il voulut toujours garder les cicatrices de ses plaies , quoiqu'elles fussent en apparence si peu convenables à l'état de sa gloire, parce qu'il savait que rien n'était plus propre à fléchir en notre faveur la justice de son Père, que de pouvoir sans cesse lui présenter le prix de notre rédemption. Appliquons ceci, mes chers auditeurs. François devait être un jour l'intercesseur de tout le genre humain; il avait à demander une rémission générale pour les pécheurs, et c'est de quoi il s'acquitte aujourd'hui : mais pour cela il lui fallait un crédit particulier auprès de Dieu ; et que fait le Sauveur du monde? il lui imprime ses stigmates, il lui ouvre le côté, il lui perce les mains et les pieds, il en fait un homme crucifié, afin que Dieu, considérant François, si je puis parler de la sorte, comme un autre Jésus-Christ, se trouve en quelque façon obligé de déférer à sa prière pour le respect de la divine personne qu'il représente : Et Dominus exaudivit eum. Hé quoi ! mes frères, disait saint Paul dans sa seconde Epître aux Corinthiens, si la loi de Dieu, écrite sur le marbre, mérita tant de respect, que les enfants d'Israël n'osaient jeter les yeux sur Moïse quand il l'apporta de la montagne, combien plus en mérite-t-elle, maintenant qu'elle est gravée dans nos cœurs ! Je dis de même

 

1 Galat., VI, 17.

 

des stigmates de saint François : si l'image du crucifix , seulement exprimée sur la pierre ou sur l'airain , est si vénérable dans notre religion que nous nous prosternons devant elle, qu'elle remplit les démons de terreur et que les anges la révèrent, que ne lui est-il pas dû lorsqu'elle est formée sur la chair des saints, sur une chair consacrée par toutes les pratiques de la plus austère pénitence, sur une chair revêtue de toute la mortification de l'Homme-Dieu?

Car, prenez garde, Chrétiens, François n'a pas seulement porté sur son corps les stigmates de Jésus-Christ, mais il a porté, et sur son corps et dans son cœur, ce qu'ils figuraient, je veux dire la mortification de Jésus-Christ. En effet, l'austérité de vie qu'il embrassa, les jeûnes continuels qu'il observa, le sac et le cilice dont il se chargea, les veilles et les travaux infatigables auxquels il se dévoua, les rigueurs de la pauvreté qu'il éprouva ; le renoncement général, je ne dis pas aux plaisirs, mais aux simples commodités et aux besoins, à quoi il se condamna; la loi indispensable de châtier son corps et de le réduire en servitude, qu'il s'imposa; la règle la plus mortifiante, et pour les sens et pour l'esprit, à laquelle il s'obligea ; les deux maximes qu'il se proposa et l'exactitude infinie avec laquelle il les pratiqua, l'une, de se considérer lui-même comme son plus grand ennemi et de se faire ensuite la guerre la plus cruelle, quoique la plus sainte ; l'autre, de traiter sa chair comme une victime de pénitence et d'en être le sacrificateur (pensée dont il fut toujours pénétré, et en conséquence de laquelle il sembla n'être au monde que pour travailler à sa propre destruction et à son propre anéantissement) : tout cela montre bien que cet ange de la terre, que cet homme séraphique ne se regardait que comme un homme crucifié au monde, et à qui le monde était crucifié : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo (1). En voulez-vous être plus sensiblement convaincus? voyez ses enfants, les imitateurs de sa vie et les héritiers de son esprit. C'est pour votre édification, et Dieu veuille que ce ne soit pas pour votre confusion, que saint François les a formés, qu'il les a élevés, et que Dieu nous les propose, et nous donne dans eux l'idée la plus juste de ce crucifiement évangélique. Ailleurs on parle de la croix, ailleurs on en fait de beaux discours, ailleurs on en affecte les dehors, ailleurs on s'en pare et on s'en glorifie;

 

1 Galat., VI, 14.

 

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mais dans les maisons de saint François on la porte en esprit et en vérité. C'est dans les successeurs de ce grand saint que Dieu conserve les prémices, ou , si vous voulez, les restes de cet esprit de pénitence par où l'Eglise doit être sanctifiée; et tout mondains que nous sommes, pouvons-nous voir ces hommes détachés d'eux-mêmes, sans rougir de nos sensualités et de nos délicatesses? Si l'iniquité et le relâchement du siècle n'empêchent pas qu'ils ne soient tels que nous les voyons, que devons-nous penser de leur glorieux patriarche ; et, témoins de la sainteté des enfants, quel jugement devons-nous faire de celle du père?

Ah! Chrétiens, voilà le fonds essentiel et capital du mérite de saint François, la croix de Jésus-Christ. Il s'en est chargé, et il l'a portée toute sa vie. Dans cet état, il s'est présenté à Dieu, il a poussé vers le ciel un cri accompagné de larmes ; Cum clamore valido et lacrymis (1) ; n'était-il pas de la gloire du Sauveur que le serviteur fût exaucé en cette occasion par les mérites du Maître? Et Dominus exaudivit eum.

D'autant plus qu'en portant la croix, cène fut pas tant pour ses propres péchés que François fit pénitence et qu'il pria, que pour les péchés des autres ; et de là suit la troisième qualité qui dut rendre sa prière plus efficace auprès de Dieu. J'ai dit que c'était un pauvre évangélique et un pauvre crucifié! c'est beaucoup; mais voici quelque chose encore de plus : c'est un pauvre désintéressé et zélé tout ensemble; désintéressé pour lui-même, zélé pour le prochain : voilà ce qui fait le comble de son mérite. Car pour qui demande-t-il? pour sa personne? pour celle de ses enfants? pour la conservation de son ordre et des maisons qu'il vient d'établir? Non, Chrétiens, il ne pense point à tout cela : son zèle, plus pur que la flamme , cherche ailleurs à se répandre ; et se souvenant que Jésus-Christ ne s'est fait pauvre qu'afin de se mettre dans un état où il eût droit de demander pour nous, il veut que sa pauvreté ait le même avantage. Pour qui donc prie-t-il? pour tous les pécheurs, dont il souhaite ardemment le salut, et pour qui il voudrait, comme saint Paul, être anathème ; pour les justes , qu'il aime avec tendresse, et qu'il porte tous dans les entrailles de sa charité ; pour l'Eglise, dont il conjure le ciel de sanctifier tous les membres; pour vous et pour moi, qui n'étions pas encore, mais à qui néanmoins il appliquait déjà

 

1 Hebr., V, 7.

 

par avance le fruit de la prière. Oui, c'est pour nous que François, aussi bien que Jésus-Christ, s'est fait pauvre; Propter vos egenus foetus est (1) ; et c'est pour nous qu'il interpose aujourd'hui le crédit de sa pauvreté. Rien pour moi, Seigneur, dit-il à Dieu, mais tout pour votre peuple. Vous me faites trop de bien ; mais ce peuple a besoin de votre miséricorde. Oubliez François, et jetez les yeux sur ces âmes engagées dans le péché. Il s'agit pour elles d'un pardon , mais d'un pardon entier qui leur remette avec l'offense toute la peine. C'est ainsi que je vous le demande, ô mon Dieu ! et c'est ainsi que vous me l'accorderez. Quelle merveille , mes chers auditeurs , qu'un pauvre s'empresse de la sorte pour d'autres nécessités que les siennes ! Quand un pauvre demande pour lui-même, on l'écoute par compassion ; mais quand il demande pour un autre, on le regarde avec admiration : priant pour soi, il est exaucé en considération de sa misère ; mais priant pour autrui, on l'exauce en vue du mérite de sa personne. C'est donc pour cela que Dieu s'est rendu à l'humble supplication de François; c'est, dis-je, parce que c'était un pauvre volontaire, un pauvre crucifié, et un pauvre désintéressé : Iste pauper clamavit, et Dominus exaudivit eum.

Tirons de là pour nous, en concluant cette première partie, quelques instructions importantes. Voulez-vous savoir pourquoi vos prières ont si peu de pouvoir auprès de Dieu? c'est que vous n'avez nulle des qualités que je viens de vous représenter dans cet homme séraphique dont je fais l'éloge, que vous n'êtes pas pauvre comme lui, que vous n'êtes pas crucifié comme lui, que vous n'êtes pas zélé comme lui. Quand je dis, mon cher auditeur, que vous n'êtes pas pauvre, je ne veux pas dire que vous soyez dans l'opulence et dans l'abondance de toutes choses ;'car peut-être êtes-vous pauvre en .effet; mais vous ne l'êtes pas comme saint François; pourquoi? parce que saint François a aimé sa pauvreté, et que vous avez en horreur la vôtre ; parce que saint François a fui les richesses, et que vous les recherchez avec passion ; parce que saint François faisait consister son bonheur à être pauvre, et que vous regardez cet état comme le souverain malheur. Non , Chrétiens, ne pensez pas que ce soit, dans les règles du christianisme, l'indigence ou la possession des biens qui fassent la vraie distinction des pauvres

 

1 2 Cor., VIII, 9.

 

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et des riches. Au milieu de votre pauvreté, peut-être êtes-vous devant Dieu dans le même rang que le mauvais riche de l'Evangile : et quand votre maison serait remplie de trésors, avec tous vos trésors vous pourriez être aussi pauvres que saint François. Si je prétends que vous ne l'êtes pas, ce n'est point précisément parce que vous possédez les biens de la terre ; mais parce qu'en les possédant, vous vous en laissez posséder vous-mêmes; mais parce qu'au lieu d'en être les maîtres, vous en êtes les esclaves ; mais parce que vous ne croyez jamais en avoir assez ; mais parce votre cœur y est attaché plus qu'à Dieu ; mais parce qu'il n'y a rien que vous ne sacrifiiez tous les jours à cette malheureuse convoitise qui vous brûle. Oui, voilà pourquoi je vous dis que  vous n'êtes  pas pauvres  comme saint François. Or j'ajoute, et c'est une conséquence infaillible et tirée des principes de la foi, que jamais vous n'aurez droit d'être exaucés de Dieu, si vous n'entrez en participation de cette sainte pauvreté. Car il faut vous souvenir que Dieu n'est pas riche indifféremment pour tout le monde, mais seulement pour les pauvres évangéliques ; que sa grâce est d'une qualité à ne pouvoir se répandre que dans une âme vide de tout le reste ; qu'elle ressemble à cette huile du prophète Elisée, qui s'arrêtait dès que les vaisseaux étaient remplis; et que plus vous aurez le cœur plein des faux biens du siècle, moins vous serez capables de recevoir les dons de Dieu. De plus, mon cher auditeur, aussi sensuel que vous Têtes, aussi adonné à vos plaisirs, aussi sujet à une vie molle,  et aussi ennemi de la mortification chrétienne, comment pouvez-vous faire agréer vos vœux à Dieu ? François n'est exaucé que parce qu'il porte l'image de la croix : mais quel caractère en avez-vous? où sont les marques de votre pénitence ? à quoi  Dieu  peut-il reconnaître dans toute votre personne quelque  vestige de la passion de son  Fils ? Si vous n'aviez pour modèle que ce Dieu crucifié, vous me diriez que c'est un Dieu, et qu'il est trop au-dessus de vous pour pouvoir vous former sur lui ; mais voici un homme crucifié, je dis un homme seulement homme, un homme tel que vous et de même nature que vous : quelle excuse pouvez-vous alléguer contre cet exemple? Enfin, trop intéressés pour nous-mêmes et pour des avantages purement humains , nous ne pensons jamais aux autres, dont nous sommes souvent chargés devant Dieu, et dont nous devons répondre à Dieu. Nulle charité, nul zèle pour le prochain. François a voulu faire pénitence pour tous les pécheurs : eût-il fallu s'immoler mille fois lui-même pour le salut de tous les hommes, il y était disposé ; et je puis bien lui appliquer ce que l'Ecriture a dit de Josias : Ipse est directus divinitus in pœnitentiam gentis (1). Mais quelle part prenez-vous, soit aux besoins spirituels, soit aux besoins même temporels de vos frères? et tandis que vous êtes si insensibles pour eux, devez-vous être surpris que Dieu ferme pour vous les trésors de sa miséricorde ? Avançons. Au même temps que François pria pour les pécheurs, Marie intercéda pour François, et j'ajoute qu'elle y fut engagée par les plus puissants motifs, comme je vais vous le montrer dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Deux grands motifs engagèrent la Mère de Dieu à intercéder pour François d'Assise, et à lui obtenir l'indulgence qu'il demandait : motif de piété maternelle, et, si je l'ose dire, motif d'intérêt propre ; motif de piété maternelle par rapport à saint François, c'est le premier; motif d'intérêt propre par rapport à elle-même, c'est le second. Renouvelez, s'il vous plaît, votre attention, Chrétiens, et apprenez combien cette reine du ciel est favorable à ses enfants, et quel soin elle prend de ceux qui la servent et qui se font un devoir de l'honorer.

Je dis, motif d'une piété maternelle : et pourquoi? Ne le savez-vous pas, mes chers auditeurs , et ignorez-vous la profession solennelle et authentique que fit d'abord François d'appartenir spécialement à Marie en se dévouant à elle, et la choisissant pour chef de son ordre? ne vous a-t-on pas dit cent fois quelle alliance il contracta avec elle, comment il entra dans son adoption, comment il la prit pour sa mère, comment il ne voulut point d'autre demeure qu'une pauvre cabane, et combien il la chérit, seulement parce qu'elle était dédiée à l'auguste Vierge dont le nom lui fut toujours si vénérable et les intérêts si précieux ; comment il se tint trop honoré et trop heureux d'avoir conçu là, pour ainsi parler, et enfanté le saint ordre dont il fut l'instituteur, d'en avoir jeté les fondements sur un sol que possédait Marie, si je puis encore user de cette expression , en qualité de propriétaire? Voilà les vues que se proposa ce glorieux patriarche, lorsque avec tous ses enfants il se retira à Portiuncule. C'était

 

1 Eccles., XLIX, 3.

 

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une maison déserte et ruinée ; et c'est pour cela même qu'elle lui plut, parce qu'elle était plus conforme à la pauvreté qu'il embrassait; c'était une maison étroite et abandonnée, et c'est pour cela même qu'elle lui parut digne de son choix, parce qu'elle marquait mieux le caractère de l'humilité évangélique dont il faisait profession ; mais surtout il l'agréa, parce que c'était une maison consacrée à sa puissante protectrice. Dès que François l'aperçut, il en fut charmé ; et s'adressant à ses compagnons : Ah ! mes frères, leur dit-il, voilà la terre de bénédiction que Dieu nous a promise, voilà le lieu de mon repos : Hœc requies mea in sœculum sœculi (1). Il est vrai, c'est une maison dénuée de tout ; mais souvenons-nous que nous serons les domestiques de la Reine du monde. Pour moi, ajouta cet homme séraphique, j'aime mieux cette petite portion du domaine de Marie, que les royaumes et les empires des princes du siècle ; et puisque nous allons entrer en possession de son héritage , il n'y a point de grâces que nous ne puissions attendre du ciel. Ainsi parla François, et c'est avec de tels sentiments qu'il établit ses frères dans ce lieu de sainteté, qui fut comme le berceau d'un des plus florissants ordres de l'Eglise : car c'est de là que sont sortis tant d'apôtres, de martyrs, de saints confesseurs; tant d'évêques, de cardinaux, et même de souverains pontifes ; tant de prédicateurs de l'Evangile, de docteurs, de théologiens , consommés dans la science de Dieu ; tant d'hommes illustres, dont la mémoire, comme celle du juste , sera éternelle. C'est là que Marie les a formés ; là qu'elle leur a donné le lait de cette éminente et saine doctrine dont ils ont été remplis; là que, par une fécondité virginale, elle les a multipliés pour les répandre ensuite jusqu'aux extrémités de la terre. Or revenons, Chrétiens, et dites-moi : Marie , la mère de cette famille spirituelle , et le chef de cette maison, n'était-elle pas engagée à contribuer de tout son pouvoir aux insignes faveurs dont il plaisait à Dieu de la combler? Puisque Portiuncule était le berceau où elle nourrissait et elle élevait une si nombreuse multitude d'enfants en Jésus-Christ, sa piété ne la portait-elle pas à y faire descendre toutes les grâces et toutes les bénédictions divines : et quand François, ce fidèle et zélé serviteur, adressait au ciel sa prière, et une telle prière , la Mère de Dieu ne devait-elle pas sentir ses entrailles émues , et prier elle-même avec lui et pour lui?

 

1 Psal., CCXXI, 14.

 

N'en doutons point, mes chers auditeurs, tandis que François et cette troupe de disciples qui l'accompagnent, prosternés devant l'autel du Seigneur, prient sur la terre, Marie dans le ciel, prosternée devant le trône de son Fils, lui présente elle-même leurs vœux. Elle les reconnaît pour ses enfants, et que dit-elle à ce Dieu Sauveur? ce que lui-même il dit à son Père , en lui montrant et lui recommandant ses Apôtres : Serva eos in nomine tuo quos dedisti mihi (1) ; Voilà mes enfants, et me voilà , Seigneur, avec eux en votre présence. Ils sont à vous, et ils sont à moi. Ils sont à vous, parce que vous les avez attirés par votre grâce , que vous les dirigez par vos exemples, que vous les avez remplis de votre esprit; et ils sont à moi, parce que vous me les avez donnés, et que c'est de vous-même que leur est venu le dessein de s'appuyer auprès de vous de mon nom, et de se ranger sous ma conduite. Or, comme mère, puis-je les oublier? et comme mon Fils, que pouvez-vous me refuser? Serva eos in nomine tuo quos dedisti mihi. Non, Chrétiens , rien ne lui sera refusé à cette mère toute-puissante, surtout quand c'est pour François qu'elle intercède; et elle ne peut rien refuser elle-même, surtout lorsque c'est François qui l'invoque et qui l'appelle à son secours. Rien, dis-je, ne lui sera refusé à cette médiatrice, et elle sera écoutée, d'autant plus que c'est en faveur de François qu'elle prie. Si c'était un pécheur couvert de crimes, si c'était un mondain plongé dans le plaisir et lié par de criminelles habitudes, Marie, en s'intéressant pour lui, trouverait même alors un accès favorable, et aurait encore de quoi se faire entendre. Les grâces de conversion, et les grâces les plus efficaces et les plus précieuses, lui pourraient être accordées. Qu'est-ce donc quand c'est la prière d'un juste qu'elle va offrir, la prière d'un des plus parfaits sectateurs de Jésus-Christ, la prière d'un saint? Et comment pourrait-elle refuser elle-même ce que François lui demande, et être insensible à la confiance qu'il lui témoigne, puisqu'elle exauce jusques aux plus grands pécheurs, et qu'elle leur fait tous les jours sentir les salutaires effets de sa miséricorde? je dis plus, puisqu'outre sa piété maternelle, son intérêt même et son propre honneur l'engageaient à seconder François, et étaient un nouveau motif pour entrer dans ses vues, et pour travailler à les faire heureusement et promptement réussir?

Car de quoi s'agissait-il dans la concession

 

1 Joan , XVII, 11.

 

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de cette indulgence que demandait saint François? De sanctifier une église depuis longtemps érigée sous le nom de Marie, et sous le glorieux titre de Notre-Dame des Anges; de rétablir le culte que tant de fois la reine du ciel y avait reçu, et qui commençait à s'abolir; de le renouveler, de le ranimer, de le rendre plus solennel et plus universel : voilà ce que François avait entrepris. Il voyait l'autel de sa sainte Mère dans un abandon qui la déshonorait et qui le touchait; et combien de fois à ce spectacle s'écria-t-il : Zelus domus tuœ comedit me (1) /Ah! Vierge si vénérable et si aimable, c'est le zèle de votre maison qui me dévore. Puisqu'elle est à vous, il faut qu'elle soit digne devons: Domum tuam decet sanctitudo (2) ; il faut que vous y receviez les hommages qui vous sont dus, et que tous les peuples y viennent en foule. Mais, pour y attirer les peuples, de quel moyen se servira-t-il? sera-ce par une vaine curiosité qu'il les engagera? sera-ce par la magnificence et l'éclat d'un superbe et nouvel édifice? sera-ce par la pompe et la variété des ornements? Non, Chrétiens, on n'y verra briller ni l'argent ni l'or; mais si les vœux de François sont accomplis, cette maison abandonnée sera désormais, par un privilège particulier, et obtenu du Père des miséricordes, un lieu d'indulgence et de rémission. Ce sera tout ensemble, et le refuge des pécheurs, et la demeure des saints : le refuge des pécheurs, qui, contrits et pénitents, y recevront l'entière abolition de leurs dettes, et qui, touchés de cette espérance, s'y rendront de toutes parts ; la demeure des Saints, de ces fervents compagnons de François, dont les exemples se répandront au dehors, gagneront les cœurs, et par un charme secret attireront aux pieds de Marie et de son autel les villes et les provinces. Marie donc y était intéressée; et en priant pour saint François, elle priait en quelque sorte pour elle-même, puisqu'il était question du rétablissement d'un temple bâti sous l'invocation de son nom.

Ce n'est pas tout; mais je prétends qu'elle ne s'y trouvait pas moins fortement portée par un autre intérêt encore plus cher; car elle avait à prier en faveur d'un ordre religieux qui, de tous les ordres de l'Eglise, devait être dans la suite des siècles un des plus déclarés et des plus ardents défenseurs des privilèges de cette Vierge et de ses illustres prérogatives; elle avait à lui procurer, par une reconnaissance anticipée, un des plus grands avantages

 

1 Joan., II, 17. — 2 Psal., XCII, 5.

 

et l'une des grâces les plus singulières qu'il pût attendre du ciel, qui est l'indulgence de ce jour. Vous me demandez en quoi cet ordre si célèbre a fait voir son zèle pour l'honneur de la Mère de Dieu; et moi je vous demande en quoi il ne l'a pas fait paraître. Oublions tout le reste, et arrêtons-nous à un seul point qui renferme tous les autres. C'est ce saint ordre, vous le savez, mes chers auditeurs, qui le premier a fait une profession publique de reconnaître et de soutenir l'immaculée conception de la Vierge; c'est lui qui l'a prêchée dans les chaires avec l'applaudissement des peuples, lui qui l'a défendue dans les écoles et les universités, lui qui l'a fait honorer dans le christianisme, et célébrer par des offices approuvés du Saint-Siège. Oui, c'est à l'ordre de saint François que Marie est redevable de cette gloire. Avant cet ordre sacré, il était permis de dire et d'enseigner que la Mère de Dieu n'avait pas été exempte elle-même de la tache originelle, qu'elle avait eu dans sa conception le sort commun des hommes, qu'elle avait été comme les autres à ce moment sous l'empire du péché ; mais depuis que François a paru au monde, depuis que ses enfants y sont venus, et que tant de maîtres se sont fait entendre, ce qu'il était libre de publier est proscrit de nos instructions et de nos prédications. L'Eglise ne peut plus souffrir ce langage; elle consent qu'on relève la très-pure conception de la Vierge, qu'on en instruise les fidèles, qu'on les affermisse dans cette créance, si conforme à leur piété et si avantageuse à la Mère de leur Sauveur : mais quiconque oserait autrement s'expliquer en public, elle le désavoue comme un téméraire ; que dis-je? elle le frappe de ses anathèmes les plus rigoureux, et le rejette comme un rebelle. Or, dites-moi si nous devons être surpris que Marie, en vue de tout cela, ait favorisé cet ordre séraphique d'une protection toute spéciale, et que le père ait reçu d'elle une assistance particulière, lorsqu'il lui préparait autant de hérauts et de zélateurs de sa gloire, qu'il devait avoir dans la suite des âges d'héritiers et de successeurs?

Heureux, Chrétiens, si nous avons le même zèle pour cette sainte Mère, et la même confiance en sa miséricorde ! car ce n'est point en vain qu'on l'honore, lorsqu'on l'honore de cœur et en effet ; ce n'est point en vain qu'on se confie en elle, lorsque c'est une confiance solide et chrétienne. Or qu'est-ce que l'honorer de cœur et d'effet? c'est, comme François, ne s'en tenir pas à de stériles paroles, ni à

 

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quelques prières que la bouche récite, mais faire honneur à son service par la pureté de nos mœurs et la ferveur de notre piété : et qu'est-ce que se confier en elle solidement et chrétiennement? c'est, à l'exemple de François, ne pas tellement compter sur elle et sur son secours, qu'on abandonne le soin de soi-même; mais concourir avec elle, agir avec elle, seconder sa vigilance maternelle, comme nous demandons qu'elle soutienne notre faiblesse et qu'elle seconde nos efforts. Si c'est ainsi que nous avons recours à Marie et que nous nous dévouons à elle, il n'y a rien que nous n'en puissions espérer. Mais que faisons-nous? Parce que nous savons qu'elle peut tout auprès de Dieu, nous nous reposons de tout sur sa médiation; parce que nous avons entendu parler de tant de miracles qu'elle a opérés, nous nous promettons les mêmes faveurs, sans y apporter les mêmes dispositions ; c'est assez que nous soyons fidèles à quelques pratiques d'une dévotion présomptueuse et mal réglée, pour nous tenir quittes de tout autre chose. Abus, mes chers auditeurs, et erreur : ce serait donner à la médiation de la Mère plus de vertu qu'à la médiation du Fils ; car Jésus-Christ même, notre souverain médiateur, avec tous ses mérites, ne nous a pas dispensés de travailler et de coopérer nous-mêmes à notre salut; et de là jugeons si c'est une espérance bien fondée, lorsque sans rien faire, ou pour détourner les foudres du ciel, ou pour obtenir ses grâces, nous nous flattons d'avoir une ressource assurée dans l'intercession de la Mère de Dieu. Nous avons vu comment saint François pria pour les pécheurs, comment Marie intercéda pour saint François ; voyons maintenant ce que Jésus-Christ accorda à la prière de l'un et de l'autre. Je soutiens que c'est un des dons du ciel les plus excellents, et je conclus par cette troisième partie.

 

TROISIÈME PARTIE.

 

Nous avons, Chrétiens, dans notre religion, des articles de créance bien surprenants; mais j'ose dire qu'entre les autres la foi d'une indulgence plénière n'est pas ce qui doit moins nous étonner : elle nous découvre des effets de miséricorde si extraordinaires, que, sans la révélation divine et sans l'autorité de l'Eglise, nous ne pourrions soumettre nos esprits à croire un point qui passe toutes nos vues, et qui est au-dessus de toutes nos espérances. Je n'entreprends pas de pénétrer ces mystères de grâce, et la brièveté du temps m'oblige à les présupposer ; je ne vous dirai point  qu'il  est prodigieux qu'un Dieu jaloux de sa gloire et de sa justice, comme est le nôtre, s'engage à en remettre toutes les prétentions,  à en céder tous les intérêts, et cela par la voie la plus courte, la plus aisée, la plus gratuite, qui est la concession de l'indulgence ; je ne m'arrêterai point à exalter le mérite et la grandeur de ce bienfait, capable d'exciter contre les hommes toute l'envie des démons, puisqu'il est vrai qu'un pécheur, eût-il commis tous les attentats que peut imaginer une créature rebelle, eût-il mérité tous les tourments de l'enfer,  dès là qu'il gagne entièrement l'indulgence plénière, se trouve tout à coup pleinement quitte devant Dieu, peut se glorifier de ne devoir plus rien à la justice de Dieu, paraît aussi net et aussi pur aux yeux de cette souveraine majesté, que s'il sortait des eaux du baptême; qu'il est dans la même disposition, pour être admis sans obstacle et sans délai à la gloire du ciel, que les martyrs lorsqu'ils venaient de répandre leur sang : et si vous qui m'écoutez, Chrétiens, vous avez eu aujourd'hui le bonheur de recevoir la grâce de l'indulgence attachée à cette Eglise, voilà l'état où vous êtes, et qui fait que je vous considère, non plus comme des hommes pécheurs, mais comme des sujets sur qui Dieu a déployé toute sa magnificence, et à qui il ne manque plus que la couronne d'immortalité. Mais, encore une fois, n'insistons point là-dessus, et contentons-nous d'admirer la bonté divine, qui, touchée de la prière d'un seul homme, je dis de François d'Assise, soutenu du suffrage de Marie, condescendit à lui accorder une telle grâce pour tous les hommes : car jamais le Seigneur accorda-t-il rien de semblable à Moïse, à David, à tous les patriarches de l'ancienne loi? Moïse  sollicite auprès de Dieu le pardon d'une petite troupe de criminels, et à peine l'obtient-il ; David même intercède pour un peuple innocent, et il est refusé : n'en soyons pas surpris, mes chers auditeurs. Quand Moïse et David priaient, Dieu n'avait pas ouvert tous ses trésors; c'étaient des saints de l'ancienne loi, où la justice régnait encore ; et Jésus-Christ nous assure que le plus petit dans  la loi nouvelle devait être plus grand qu'eux. Or quel est ce plus petit? C'est François, qui lui-même a choisi et voulu porter ce nom dans le royaume de l'Eglise, et dont nous pouvons dire en ce sens : Qui minor est in regno cœlorum (1).

Cependant, Chrétiens, pour ne pas vous renvoyer

 

1 Matth., XI, 11.

 

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sans quelque connaissance du don inestimable qu'il reçut de Dieu, parcourons-en les prérogatives. Elles sont rares et singulières; mais n'est-il pas étrange que la plupart les ignorent, lors même qu'ils prétendent en profiter? Je vais, dans une courte exposition, vous en instruire, afin de remplir mon devoir, et que vous puissiez satisfaire au vôtre : appliquez-vous. Je prétends que de toutes les indulgences, celle-ci est une des plus assurées et des plus authentiques qu'il y ait dans l'Eglise : pourquoi ? parce que c'est une indulgence accordée immédiatement par Jésus-Christ, premier privilège qui lui est particulier ; parce que c'est une indulgence attestée par les miracles les plus certains, autre privilège qui la distingue ; parce que c'est une indulgence répandue parmi tout le peuple chrétien avec un merveilleux progrès des âmes et de sensibles accroissements de piété, dernier privilège qui nous la doit rendre infiniment précieuse. Reprenons. Indulgence immédiatement accordée par Jésus-Christ. Il est vrai, le vicaire de Jésus-Christ peut accorder une indulgence; mais, quelque autorité qu'il ait pour dispenser aux fidèles les dons de Dieu, l'indulgence qu'il accorde peut quelquefois n'être de nulle vertu , parce qu'elle peut manquer ou d'une cause suffisante, ou d'une autre condition essentiellement requise : ainsi le déclare la théologie. Mais une indulgence directement et spécialement accordée par Jésus-Christ, doit être infaillible : car cet Homme-Dieu ne connaît-il pas toute l'étendue de son pouvoir, n'agit-il pas toujours selon les règles de sa sagesse éternelle? et d'ailleurs, étant le maître absolu de ses grâces, n'est-il pas, dans la distribution qu'il en fait, au-dessus de toute loi, et n'en peut-il pas disposer comme il lui plaît? Or, voilà le premier avantage de l'indulgence dont je parle : ce fut Jésus-Christ en personne qui l'accorda à saint François, mais, du reste, et c'est ce que je vous prie d'observer, en obligeant François d'en communiquer avec le souverain Pontife, et de se soumettre là-dessus à son discernement et à ses lumières. Marque indubitable qu'il n'y eut rien, ni dans la concession, ni dans la publication de cette indulgence, que de solide, que de bien fondé, que de conforme à l'esprit de Dieu. C'est ainsi que Jésus-Christ agissait, vivant parmi les hommes; c'est ainsi qu'après avoir guéri les malades, il leur recommandait de se présenter aux prêtres : Ite, ostendite vos sacerdotibus (1). Dépendance

 

1 Luc, VII, 14.

 

de l'Eglise, qui fut toujours et qui est encore le caractère spécial à quoi l'on doit discerner les œuvres de Dieu; et j'aurais ici, Chrétiens, une belle occasion de vous faire remarquer l'aveuglement de nos hérétiques. Car, prenez garde, l'hérétique rejette les indulgences, et saint François en publie une. Sur quoi se fonde l'hérétique? sur ce que l'esprit de Dieu lui a révélé, dit-il ; et sur quoi se fonde saint François? sur ce qu'il a appris et reçu de Dieu même. Voilà de part et d'autre le même langage ; mais voyez la différence : elle est essentielle. Car l'hérétique se fonde sur un esprit de Dieu, ou plutôt sur une révélation de Dieu, dont il se fait lui-même le juge, et qu'il ne veut soumettre à nul autre jugement : en quoi il s'attribue de plein droit un pouvoir dont il ne peut produire aucun titre légitime ; en quoi, pour ne rien dire de plus, il s'expose évidemment à l'erreur, puisque rien n'est plus sujet à nous tromper, et par conséquent ne nous doit être plus suspect, que notre sens propre ; et en quoi il renverse toute subordination, tout ordre, et jette le troupeau de Jésus-Christ dans une affreuse confusion, puisque ce principe une fois établi, chacun, sans égard à nulle puissance supérieure, se trouvera maître de s'attacher à ses idées, et de les suivre comme autant de vérités incontestables. Mais, par une règle toute contraire, l'esprit de Dieu, ou si vous voulez, la révélation de Dieu, sur quoi s'établit saint François, est une révélation sûre, et hors de tout soupçon : pourquoi ? parce que c'est une révélation soumise au tribunal de l'Eglise, et reconnue, approuvée par toute l'Eglise. Quelle est donc la témérité, je devrais dire l'extravagance de l'hérétique, de vouloir qu'on le croie sur son esprit, qui est un esprit particulier, et de trouver mauvais que saint François soit cru sur le sien qui est un esprit universel?

Mais le moyen que l'esprit de François ne fût pas suivi, comme il l'a été de tous les fidèles, après les miracles authentiques par où Dieu lui a rendu, et à l'indulgence qu'il publiait, des témoignages si sensibles et si éclatants? N'attendez pas de moi que j'entre ici dans un détail de faits que l'histoire vous apprendra, et dont elle conservera le souvenir jusques à la fin des siècles. Je sais qu'il y a de ces esprits mondains et prétendus forts qui, par lapins bizarre conduite, veulent des miracles pour croire, et ne veulent croire nul miracle; qui, pour éviter un excès, donnent dans un autre beaucoup plus dangereux, c'est-à-dire qui,

 

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pour ne se laisser pas entraîner aux erreurs populaires par une crédulité trop facile, s'obstinent contre les faits les plus avérés par une incrédulité opiniâtre ; qui ne reconnaissent ni les miracles des premiers siècles , parce qu'ils sont trop éloignés d'eux, ni ceux de ces derniers siècles, parce qu'ils sont trop près d'eux, comme si de nos jours le bras de Dieu s'était raccourci ; qui néanmoins voudraient d'ailleurs réduire tout au témoignage de leurs yeux, comme s'il n'y avait rien de croyable dans le monde que ce qu'ils ont vu ou ce qu'ils voient ; comme si Dieu, pour les convaincre, devait faire sans cesse de nouveaux prodiges ; comme s'il fallait, à un esprit droit et sage, d'autres preuves qu'une tradition commune, et appuyée sur la parole de tant de témoins. Non, mes chers auditeurs , ne nous piquons point de cette prudence profane , si contraire à la docilité chrétienne; ne croyons pas sans raison à tout esprit, l'Apôtre nous en a avertis, et c'est l'avis que je vous donne moi-même ; mais aussi, sans raison , ne nous faisons pas une maxime générale de contredire tout ce qui ne se trouve pas conforme à nos vues, et qui nous paraît hors des voies ordinaires. Quand donc on nous parle de ces merveilles qui ne purent avoir d'autre principe que la toute-puissance de Dieu, et qui servirent à François de gages certains pour confirmer la grâce qu'il avait obtenue, et pour en attester la vérité; quand on nous raconte en particulier ce qu'éprouva l'évêque d'Assise , lorsqu'au milieu de tout le peuple assemblé, sur le point de publier l'indulgence de Portiuncule, et voulant la limiter au nombre de dix années, il ne put jamais prononcer une parole , et se sentit forcé de déclarer solennellement qu'elle était perpétuelle ; quand on nous fait le récit de tant d'autres événements miraculeux, adorons la vertu divine qui opère de telles œuvres , et rendons à la vérité reconnue et si solidement prouvée l'humble et le juste hommage de notre soumission.

Mais de quoi, mes chers auditeurs, nous devons surtout bénir le Seigneur , c'est des admirables progrès et des fruits de grâce qu'a produite dans les âmes la sainte indulgence dont je voudrais ici vous faire connaître toute la vertu; elle s'est répandue dans toutes les parties du monde : et qui peut dire les salutaires et heureux changements qu'elle y a opérés? Les peuples l'ont reçue avec respect, l'ont recherchée avec ardeur, s'en sont servis pour la réformation et la  sanctification de  leurs mœurs. Combien de pécheurs ont profité de ce don de Dieu, non-seulement pour acquitter leurs dettes passées, mais pour se mettre en garde et se fortifier contre l'avenir, pour rompre une habitude criminelle qui les tyrannisait, pour éteindre le feu d'une aveugle convoitise et d'une passion sensuelle qui les brûlait, pour reprendre la voie du salut qu'ils avaient quittée, et pour y marcher avec assurance? combien de chrétiens lâches et tièdes, au pied de l'autel où ils étaient venus se laver dans ce bain sacré, et recueillir ce précieux trésor , se sont tout à coup sentis animés, excités, transportés, ont formé le dessein d'une vie toute nouvelle; et de froids et indifférents qu'ils étaient, sont sortis pleins de zèle, et d'une ferveur qui les a soutenus durant tout le cours de leurs années? combien de justes ont puisé, dans cette source divine et intarissable, les plus pures lumières pour les éclairer, les plus hauts sentiments pour les élever, d'abondantes richesses qu'ils ont conservées, multipliées, fait croître au centuple pour l'éternité? Voilà ce que l'on a vu tant de fois, ce que l'on a tant de fois admiré, sur quoi tant de fois on s'est écrié : Digitus Dei est hic (1) ; Le doigt de Dieu est là. Mais aussi, Chrétiens, parce qu'il n'y a rien de si utile et de si saint où le relâchement de notre siècle ne se soit glissé, combien d'autres ont perdu et perdent encore un talent qui leur devrait être si cher , et que le père de famille leur met dans les mains pour le faire valoir? c'est avec cette dernière réflexion que je vous renvoie.

Je ne parle point de ceux qui, volontairement et de gré, consentent à se priver d'un bien qu'ils rechercheraient au delà des mers, s'ils le savaient autant estimer qu'il mérite de l'être ; gens terrestres et grossiers dans toutes leurs vues; insensibles aux intérêts de leur âme, plus avides d'un gain temporel et périssable que de tous les dons du ciel et de toutes les indulgences de l'Eglise. Je n'en dis rien, parce qu'ils ne sont pas ici présents pour écouter ce que je dirais. Ce qu'ils négligent maintenant sera le sujet un jour de leurs regrets; et le traitement le plus doux qu'ils puissent espérer de Dieu , c'est de gémir longtemps dans les flammes vengeresses où il faut expier après la mort ce que l'on n'a pas pris soin de purifier pendant la vie. Je parle donc seulement des autres , qui, plus fidèles en apparence et plus vigilants, ont pris , à ce qu'il semble, les mesures convenables pour se disposer à

 

1 Exod., VIII, 19.

 

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l’indulgence qui leur est offerte. Je prétends que de ceux-là même il y en a un très-grand nombre à qui elle n'est point appliquée. Mais, dites-vous , ils ont fait ce qu'ils ont cru nécessaire pour cela : on les a vus aux tribunaux de la pénitence confesser leurs péchés; on les a vus à la table de Jésus-Christ participer aux saints mystères, et il y a lieu de penser qu'ils y sont venus en état de grâce. Tout cela est vrai, si vous le voulez, mes chers auditeurs ; et néanmoins je m'en tiens toujours à ma proposition, et je dis qu'avec toutes ces dispositions ils ne peuvent encore compter de s'être suffisamment et dignement préparés. Car il fallait renoncer pleinement au péché , c'est-à-dire il fallait renoncer non-seulement au péché mortel, mais au véniel ; non-seulement à l'acte du péché, mais à toute affection au péché. S'il reste dans le cœur le moindre désir, la moindre attache criminelle et volontaire, fussiez-vous de toutes les sociétés, eussiez-vous part à toutes les dévotions, jamais vous ne recevrez le fruit d'une indulgence plénière. Ainsi l'enseigne toute la théologie, fondée sur ce principe de foi, que Dieu ne remet point la peine du péché, tandis que l'affection au péché persévère dans une âme. Or, disent les docteurs , l'indulgence plénière est une rémission générale de la peine due à tous les péchés : donc elle suppose que toute affection au péché, pour léger qu'il soit, ait été détruite par un renoncement total et absolu. Condition essentielle, et condition bien raisonnable. Car Dieu vous dit : Cessez de vouloir m'offenser, et je cesserai de vouloir vous punir : est-il rien de plus juste? Mais tout juste qu'il est, Chrétiens, qui de vous l'a fait? soyez-en juges vous-mêmes, puisqu'il n'y a que vous-mêmes qui le puissiez savoir, et qui en puissiez juger. Cependant, ô mon Dieu, nous ne cesserons point de rendre à votre infinie miséricorde de solennelles actions de grâces. Vous pourriez, au moment que nous nous séparons de vous par le péché, nous abandonner et nous livrer à toute la rigueur d'une justice inexorable ; mais vous nous présentez la pénitence comme un bouclier pour parer à vos coups et pour les détourner. Ce n'est point assez ; et parce que la pénitence, en nous réconciliant avec vous, nous impose de longues et de pénibles satisfactions, vous voulez bien encore sur cela, Seigneur, vous relâcher de vos droits ; vous nous offrez l'indulgence, vous nous la faites annoncer par vos ministres, vous l'attachez aux exercices du christianisme les plus ordinaires et les plus faciles. Heureux, si nous entrons dans cette voie que vous nous ouvrez, et qui, au sortir de ce monde, doit nous conduire à vous, pour vous posséder éternellement ! Ainsi soit-il.

 

 

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