SAINT IGNACE DE LOYOLA

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
Mystères
NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST
CIRCONCISION DE JÉSUS-CHRIST
EPIPHANIE
PASSION DE JÉSUS-CHRIST I
PASSION DE JÉSUS-CHRIST II
PASSION DE JÉSUS-CHRIST III
DIMANCHE DE PAQUES
LUNDI DE PAQUES
ASCENSION
PENTECOTE
TRÈS-SAINTE TRINITÉ
TRÈS-SAINT SACREMENT
CONCEPTION VIERGE
ANNONCIATION  VIERGE I
ANNONCIATION VIERGE II
PURIFICATION VIERGE
PURIFICATION VIERGE II
PURIFICATION VIERGE III
ASSOMPTION  VIERGE I
ASSOMPTION  VIERGE II
TOUS LES SAINTS I
TOUS LES SAINTS II
COMMÉMORATION  MORTS
OUVERTURE DU JUBILÉ
PANÉGYRIQUES
SAINT ANDRÉ
SAINT FRANÇOIS-XAVIER
SAINT THOMAS, APOTRE
SAINT ETIENNE
SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE
SAINTE GENEVIÈVE
SAINT FRANÇOIS DE SALES
SAINT FRANÇOIS DE PAULE
SAINT JEAN-BAPTISTE
SAINT PIERRE I
SAINT PIERRE II
SAINT PAUL
SAINTE MADELEINE
SAINT IGNACE DE LOYOLA
NOTRE-DAME DES ANGES
SAINT LOUIS
SAINT BENOIT
ÉTAT RELIGIEUX I
ÉTAT RELIGIEUX II
ÉTAT RELIGIEUX III
ÉTAT RELIGIEUX IV
ÉTAT RELIGIEUX V
ÉTAT RELIGIEUX VI
ORAISONS FUNEBRES I
ORAISONS FUNEBRES II
ORAISONS FUNÈBRES III

SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ANALYSE.

 

Sujet. Dieu est fidèle, par qui vous avez été appelés à la compagnie de son Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur.

 

C'est ce que disait l'Apôtre aux chrétiens de Corinthe, et ce qui convient parfaitement à saint Ignace.

 

Division. Fidélité de Dieu dans la vocation d'Ignace : première partie. Fidélité d'Ignace à suivre la vocation de Dieu : deuxième partie.

Première partie. Fidélité de Dieu dans la vocation d'Ignace. 1° Fidélité envers l'Eglise; 2° fidélité envers Ignace même.

1° Fidélité de Dieu envers l'Eglise, pour l'intérêt de laquelle il suscita Ignace, en lui inspirant le dessein d'une vie apostolique; c'était un temps où l'hérésie s'élevait de toutes parts; et Dieu, pour la combattre et pour défendre son Eglise, appela saint Ignace. Voilà ce qui a rendu les enfants d'Ignace si odieux à tous les hérétiques : haine dont ils doivent se glorifier. Quelle était la source la plus commune des désordres qui régnaient dans l'Eglise? L'ignorance des vérités de la foi. Dieu donc envoya Ignace pour enseigner et par lui-même et par ses successeurs, pour catéchiser, pour instruire la jeunesse, pour ouvrir des écoles publiques, où l'on apprit, non point précisément les sciences profanes, mais la science du salut.

2° Fidélité de Dieu envers Ignace, le rendant capable de soutenir une si sainte entreprise, et par les dons extraordinaires de la grâce, le mettant en état de l'exécuter. C'était un homme sans lettres et sans études; mais Dieu tout à coup l'éclaira dans sa retraite, et loi communiqua les plus sublimes connaissances. Non-seulement Ignace fut éclairé d'en-haut pour lui-même, mais pour la conduite des autres : il n'y a, pour en être convaincu, qu'à lire ce livre admirable des Exercices qu'il composa. C'était un étranger, un mendiant, un inconnu : mais Dieu lui promit de lui être propice à Rome, et il le fut. Cependant le Ciel permit qu'Ignace fût persécuté : il est vrai ; mais être persécuté pour la justice, et tirer de ses persécutions de nouveaux avantages pour faire connaître et aimer Dieu, ne sont-ce pas des grâces et des effets de la fidélité de Dieu? En quelque état que nous soyons, si c'est Dieu qui nous y engage, il nous y soutiendra.

Deuxième partie. Fidélité d'Ignace à suivre la vocation de Dieu. Fidélité nécessaire, et sans laquelle il ne pouvait être un parfait ministre du Dieu vivant. Fidélité qui se réduisit à deux choses : 1° au soin qu'il prit d'acquérir toutes les dispositions requises pour son ministère ; 2° au zèle qu'il fit paraître dans l'exercice de son ministère.

 

463

 

1° Soin qu'il prit d'acquérir toutes les dispositions requises pour son ministère. Ce fut en effet pour cela qu'Ignace travailla d'abord à acquérir toutes les vertus que demande le ministère évangélique, surtout une parfaite mortification. Comment se traita-t-il dans la grotte de Manrèze? Ce fut pour cela qu'à l'âge de trente-trois ans, il s'abaissa jusqu'à se renfermer avec des enfants dans une école, pour y apprendre les lettres; pour cela, qu'il vint continuer ses études à Paris, mendiant lui-même son pain de porte en porte, afin de fournir à sa subsistance. Chose merveilleuse! c'est là que ce zélé disciple devint bientôt maître, et qu'il jeta les premiers fondements de son institut, en s'associant des compagnons.

2° Zèle qu'il fit paraître dans l'exercice de son ministère. Sans parler de tout le reste, il suffit de considérer cette compagnie dont il forma le dessein, dont il fut l'instituteur et le conducteur, et dont l'unique fin est la gloire de Dieu et la sanctification des âmes. Dire d'Ignace qu'il a été le fondateur de la compagnie de Jésus, c'est faire en un mot l'éloge complet de son zèle; car c'est donner à entendre que, non content de glorifier Dieu par lui-même, il l'a glorifié encore par tant de missionnaires, de prédicateurs, de directeurs des consciences, de savants hommes, de martyrs. Soyons fidèles à Dieu comme ce grand saint, en remplissant les devoirs de notre état. La fidélité de Dieu consiste à nous donner sa grâce; et notre fidélité doit consister à agir avec la grâce de Dieu.

 

Fidelis Deus, per quem vocati estis in societatem Filii ejus Jesu Christi Domini nostri.

 

Dieu est fidèle, par qui vous avez été appelés à la compagnie de son Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur. (Première Epître de saint Paul aux Corinthiens, chap. I.)

 

C'est aux chrétiens de Corinthe, et en général à tous les fidèles, que l'apôtre suint Paul adressait ces paroles : mais il me semble que je puis en particulier les appliquer au saint patriarche  dont  nous  célébrons  la fête, et qu'elles lui conviennent d'une façon toute spéciale, puisqu'il fut appelé de Dieu pour rétablissement d'un ordre que l'Eglise a approuvé, et qu'elle autorise encore sous le titre de la Compagnie de Jésus. Dieu , qui pour sa gloire voulait employer Ignace et l'engager dans une milice sainte, se servit de ses dispositions naturelles , et lui laissa ses idées guerrières, mais en les tournant vers un autre objet, et lui proposant, non plus des provinces et des terres, mais des âmes à conquérir. Il quitta les armes du siècle, mais pour se revêtir des armes de la foi. Il cessa de combattre les ennemis de l'état, mais pour  combattre les ennemis de l'Eglise; et la Compagnie qu'il entreprit de former, et dont Dieu lui inspira le dessein, fut la Compagnie de Jésus-Christ : Fidelis Deus, per quem vocati estis in societatem Filii ejus Jesu Christi. D'autres fondateurs avant lui n'avaient point cru blesser les règles d'une humilité chrétienne et d'une modestie religieuse, en donnant aux saints ordres qu'ils ont établis les augustes noms de l'adorable Trinité, du Saint-Esprit, des personnes divines ; et c'est sur le modèle de ces grands hommes, et par la même inspiration d'en-haut, que saint Ignace de Loyola choisit, pour la compagnie dont il a été l'instituteur, l'adorable nom de Jésus. Quoi qu'il en soit, mes chers auditeurs , nous allons voir, conformément aux paroles de mon texte, la fidélité de Dieu dans la vocation d'Ignace, et la fidélité d'Ignace à suivre la vocation de Dieu. Dieu fidèle en appelant Ignace à la compagnie de son Fils : ce sera la première partie ; Ignace fidèle en répondant à Dieu qui l'appelait : ce sera la seconde. De l'une et de l'autre nous apprendrons ce que nous pouvons attendre de Dieu, et ce que Dieu attend de nous dans les conditions où il nous fait entrer : voilà tout le sujet de ce discours. Vierge sainte, c'est sous vos auspices que cet homme apostolique renonça au monde, pour se dévouer à ce Sauveur que vous avez porté dans votre chaste sein. Ce fut un des plus zélés défenseurs de vos glorieux privilèges et de votre culte : vous m'accorderez , pour le louer dignement, le secours que je vous demande. Ave, Maria.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Je dis que Dieu, dans la vocation de saint Ignace, s'est montré merveilleusement fidèle : Fidelis Deus. Mais envers qui cette fidélité a-t-elle paru? Premièrement, envers l'Eglise, pour l'intérêt de laquelle Dieu suscita ce grand homme, lorsqu'il lui inspira le dessein d'une vie apostolique ; secondement, envers Ignace même, quand Dieu le rendit capable de soutenir cette sainte entreprise, et que, par des dons de grâce extraordinaires, il le mit en état de l'exécuter : voilà l'idée générale de cette première partie.

Quand Ignace fut appelé de Dieu aux fonctions de l'apostolat, vous le savez, Chrétiens, l’Eglise avait besoin de secours, et Dieu, par fidélité, était engagé à lui en fournir. C'était un temps où l'hérésie s'élevait de toutes parts, et déjà commençait à souffler le feu de ces fameuses rébellions dont les restes fument encore. Or, le Fils de Dieu ayant promis authentiquement à son Eglise que jamais les portes de l'enfer ne prévaudraient contre elle, il ne pouvait lui manquer dans une pareille rencontre ; et en conséquence de sa parole, il lui devait donner de nouvelles forces pour la défendre. Je ne prétends point vous faire entendre par là que saint Ignace ait été un homme

 

464

 

nécessaire à l'Eglise de Jésus-Christ; non, Chrétiens, ce n'est point là ma pensée : je dirais bien plutôt de lui ce que saint Grégoire, pape, disait en général des hommes apostoliques , dans une instruction qu'il leur adresse : l'Eglise de Jésus-Christ a été nécessaire à Ignace, parce qu'Ignace n'a pu se sanctifier que dans l'Eglise de Jésus-Christ; mais Ignace n'a point été et ne pouvait être nécessaire à l'Eglise de Jésus-Christ, parce que l'Eglise de Jésus-Christ a bien pu se passer d'Ignace et se conserver sans lui. Il est vrai, mes chers auditeurs: mais aussi ferais-je tort à saint Ignace , et en quelque sorte à Dieu même, si je ne disais qu'Ignace , tout serviteur inutile qu'il était, fut choisi de Dieu pour la défense de l'Eglise, et que sa vocation a été l'un des moyens que Dieu avait préparés pour faire voir à son Eglise qu'il ne l'abandonnait pas, et qu'il voulait lui être fidèle : Fidelis Deus, per quem vocati estis.

Reconnaissez-le d'abord, Chrétiens, par un trait admirable de la Providence : bien d'autres en ont fait la remarque ; et c'est pour cela même qu'elle paraît plus vraie, et que je puis avec plus de raison la faire à présent. Tandis que Luther lève l'étendard contre l'Eglise, et lui déclare la guerre, Dieu touche le cœur d'Ignace, et l'appelle pour l'opposer à cet hérésiarque. Quelle fidélité, Seigneur ! Ainsi en aviez-vous autrefois usé, faisant naître un Augustin en Afrique, le même jour que Pelage, l'ennemi de votre grâce, était né dans l'Angleterre ; et n'ayant jamais permis, dans la suite des siècles, que votre Eglise fut attaquée par un nouveau persécuteur, sans lui procurer d'ailleurs et en même temps un nouveau défenseur. Ainsi, dis-je, ô mon Dieu, avez-vous toujours gardé la foi à cette divine épouse : et ne semble-t-il pas que vous ayez voulu lui en donner un gage particulier dans la vocation d'Ignace? Fidelis Deus. En effet, qu'est-ce qu'Ignace , selon les vues de Dieu? C'est un homme né pour la destruction de l'hérésie, voilà son caractère; fondateur d'un institut dont l'essence est de combattre les ennemis de la foi, comme il est déclaré dans les bulles des souverains pontifes, voilà sa profession ; de qui tout le zèle a été employé pour l'Eglise, à étendre ses conquêtes, à faire observer ses lois, à maintenir l'usage de ses sacrements, à inspirer au peuple du respect pour ses cérémonies, à conserver les fidèles dans son obéissance, à y ramener les hérétiques, sans que pour cela il ait jamais épargné ni soins, ni travaux, ni force, ni crédit, ni repos, ni santé, ni réputation, ni vie : voilà quels ont été les emplois d'Ignace : un homme qui, dans l'ordre qu'il a établi, ne s'est proposé que de transmettre ce zèle à un nombre infini de successeurs, c'est-à-dire de préparer à toutes les Eglises du monde des missionnaires fervents, des prédicateurs évangéliques, des hommes dévoués à la croix et à la mort, des troupes entières de martyrs dont il a été le père : voilà les fruits de sa compagnie. Encore une fois, mes chers auditeurs, un homme de ce caractère, dans un temps où le schisme et l'erreur entreprenaient de renverser tout et de tout perdre, n'était-ce pas un secours manifeste que Dieu réservait à son Eglise, et ce secours ne doit-il pas être considéré comme une marque sensible de la fidélité de Dieu pour elle ? Fidelis Deus.

Ah! Chrétiens, permettez-moi de le dire ici, c'est de là qu'est venue toute la haine des hérétiques contre la personne et le nom d'Ignace ; voilà ce qui a rendu son institut et ce qui rend encore ses enfants si odieux à nos religionnaires. Je ne sais pas, mes Frères, disait saint Jérôme, par quelle fatalité il arrive que tous les ennemis de l'Eglise sont les miens; mais j'en bénis Dieu, et c'est une gloire pour moi que mon nom soit déchiré par ceux qui déchirent la robe de Jésus-Christ. On vient de me dire qu'Helvidius a écrit depuis peu contre moi une sanglante satire ; mais je me console , puisque c'est avec la même plume qui a écrit des blasphèmes contre Marie : car quel avantage que Jérôme, qui est le serviteur, soit traité comme la mère ! Ut eodem quo Mariœ detraxit calamo, me lacer et; et caninam facundiam servus Domini pariter experiatur et mater. Vous faites assez vous-mêmes, Chrétiens , l'application de ces paroles. Si saint Ignace était demeuré dans la grotte de Manrèze, s'il s'était contenté de pleurer et de faire pénitence pour les péchés du monde, s'il avait fondé un ordre de solitaires , son nom , même parmi les hérétiques, serait en bénédiction : mais il a parlé contre les ennemis de l'Eglise; mais sa vocation a été de se présenter au vicaire de Jésus-Christ, et de se consacrer par état aux missions du Siège apostolique ; mais Dieu a voulu qu'il levât des troupes auxiliaires pour combattre l'hérésie ; avec cela ne devait-il pas s'attendre aux plus violentes persécutions ? et en cela même n'a-t-il pas été une preuve vivante de la fidélité de Dieu envers son Eglise, à qui le ciel avait destiné un homme si ferme,

 

465

 

si constant, si zélé pour la secourir? Tout ceci est général; disons quelque chose de plus marqué.

Ce que j'admire davantage dans la vocation de saint Ignace, c'est la conduite que la Providence y a fait paraître pour retrancher la source des maux dont son Eglise était affligée. Car, prenez garde, Chrétiens : de plusieurs désordres d'où l'hérésie avait pris naissance, le principal était celui-ci : l'ignorance des choses de la foi, qui régnait parmi les peuples, jointe à la mauvaise éducation de la jeunesse. Consultez les écrivains qui en ont parlé : voilà la porte par où entra le démon de l'erreur, pour porter ses coups à l'Eglise et pour ruiner l'ancienne religion. Mais que fait Dieu en suscitant Ignace? Il donne à l'Eglise un préservatif contre ce mal si dangereux et si pernicieux ; car à quoi Ignace est-il spécialement appelé, et pour quelle fin ? pour enseigner, pour instruire, pour apprendre aux peuples à connaître ce qu'ils sont, pour déraciner de leurs esprits l'ignorance de nos mystères, pour y jeter les premières semences de la doctrine de la foi ; en un mot, pour former de vrais chrétiens, de même que le prophète avait été envoyé pour servir de maître aux nations : Ecce dedi eum prœceptorem gentibus (1). C'est pour cela que parmi les grandes affaires dont il était chargé, et sur lesquelles on le consultait de toutes parts comme un oracle, il faisait une de ses plus importantes occupations d'aller dans les rues de Rome catéchiser la populace, d'expliquer aux simples les points de la foi, d'assembler les femmes et les enfants dans les places publiques, pour leur donner les principes du salut : spectacle qui seul attirait toute la ville, jusques aux prélats même et aux cardinaux, à qui il prêchait par l'exemple de son humilité, tandis qu'il instruisait les autres et qu'il les touchait par la vertu de sa parole. C'est pour cela que lorsqu'Ignace envoyait ses frères au secours de quelque Eglise, il leur recommandait avant toutes choses le soin du catéchisme ; les avertissant que c'était là ce qui avait converti le monde ; que la science du catéchisme avait été celle des apôtres ; que l'Evangile n'avait été d'abord annoncé que par le catéchisme ; que, s'ils voulaient donc se rendre utiles à l'Eglise de Dieu, ils devaient négliger toute autre fonction plutôt que celle du catéchisme, et se souvenir que, selon la parole du Fils de Dieu même, une des preuves de la mission de Jésus-Christ fut d'évangéliser les pauvres : Pauperes vangelizantur (2). C'est pour

 

1 Isa., LV, 4. — 2 Matth., XI, 5.

 

cela qu'il a voulu que toute sa compagnie se fit un devoir particulier de l'instruction de la jeunesse. L'hérésie avait pris pour maxime de commencer par là, et de s'emparer des jeunes âmes, afin de les corrompre plus aisément; Ignace lui en ôte le moyen, et lui enlève cet avantage. En effet, il y avait déjà dans l'Eglise chrétienne de grands et de florissants ordres institués pour prêcher la parole de Dieu. Saint François et saint Dominique en avaient établi deux dont les succès remplissaient toute la terre; mais il n'y en avait point encore qui, par profession, fût engagé à ce divin emploi de former la jeunesse et de la sanctifier. Or, c'est le secours que Dieu, par un effet de sa fidélité, préparait à son Eglise dans la personne d'Ignace ; tellement que ce saint fondateur pouvait dire, après le Sauveur du monde : Sinite parvulos venire ad me (1) ; Laissez venir à moi ces âmes innocentes, puisque Dieu m'a fait l'honneur de me choisir pour les cultiver. Enfin, c'est pour cela que Dieu donna ordre à Ignace de fonder des collèges et des écoles publiques, non point précisément pour y enseigner les sciences profanes, il était trop rempli de celle des saints ; non point pour des intérêts temporels, il y avait renoncé en quittant le monde; mais pour nourrir dans la vertu de jeunes enfants plus susceptibles, à cet âge tendre, des saintes impressions qu'ils reçoivent, et pour leur faire sucer de bonne heure le lait de la piété. Ah 1 Chrétiens, quels fruits de grâce cette divine institution n'a-t-elle pas produits ? combien d'âmes ont été garanties de l'enfer ? combien de villes et de provinces ont été maintenues dans l'intégrité de la foi ? combien d'Etats ont été préservés de la contagion de l'hérésie ? Car il est remarquable que dans tous les lieux du monde où cette institution a été reçue, jamais l'hérésie n'a dominé, et qu'elle y est bientôt tombée en décadence : d'où je conclus que Dieu, en appelant saint Ignace, s'est montré fidèle, non-seulement à toute l'Eglise en général, mais à toutes les parties qui la composent : fidèle à tous les royaumes de la chrétienté, fidèle à toutes les nations de la terre, fidèle à tous les ordres de la république , fidèle à tous les âges et à toutes les conditions des hommes, puisqu'il n'y a pas une condition ni un âge, pas une nation ni un empire, à qui ce grand saint, en conséquence de sa vocation, n'ait consacré son travail et ses services : Fidelis Deus, per quem vocati estis m societatem Filii ejus Jesu Christi Domini nostri.

 

1 Marc, X, 14.

 

466

 

Mais allons plus avant, et voyons de la part de Dieu une autre espèce de fidélité à l'égard même d'Ignace. Quel mystère, mes chers auditeurs, et quelle conduite! Ignace est appelé de Dieu, mais à quoi ? à une fin dont il paraît absolument incapable ; à une entreprise pour laquelle il n'a ni talent, ni ouverture, ni disposition d'esprit. Il est destiné à diriger les cames, et c'est un soldat élevé dans les exercices de la guerre, et sans usage des choses divines. Il est question d'instruire les peuples, et Dieu prend un homme sans lettres et sans études. Il s'agit d'instituer un grand ordre, et de former un corps de religion qui se répande dans tout l'univers ; mais Ignace est seul, destitué de crédit et de force, réduit à une pauvreté extrême, qui l'a dépouillé de tout ce qu'il était selon le monde. Hé ! Seigneur, pouvait il dire aussi bien que Jérémie, où m'envoyez-vous, et qui suis-je ? je ne fais que de naître à votre grâce. A peine ai-je ouvert les yeux pour vous connaître : je ne suis encore qu'un enfant ; et quand il faut parler de vous, je ne sais pas prononcer une parole. Comment donc me confiez-vous un tel ouvrage? Tu l'entreprendras, lui répond le Seigneur ; et tu en viendras à bout. Ne dis point que tu es un enfant : Noli dicere : Puer sum (1) ; car il est de ma fidélité, après t'avoir choisi de te donner tous les moyens nécessaires pour l'accomplissement de ce grand dessein. Aussi, Chrétiens, n'est-ce pas un miracle que tout ce que le Seigneur opère dans Ignace presque au moment de sa conversion, pour en faire un instrument propre à avancer la gloire divine et à procurer le salut des âmes? Ignace n'est pas plutôt entré dans cette solitude où il fut d'abord conduit par l'esprit de Dieu, que le voilà comme transformé dans un autre homme. Il a passé toute sa vie dans l'embarras de la cour et le bruit des armes, et dans un instant il est rempli de dons extraordinaires ; il reçoit la grâce d'une oraison sublime; les jours et les nuits suffisent à peine pour contenter le goût qu'il y trouve. Il y emploie les semaines entières, sans autre aliment ni autre soutien, tant il est absorbé dans ce saint exercice. Ce ne sont que ravissements, qu'extases, où son corps paraît élevé de terre ; Dieu se découvre à lui par les communications les plus intimes : il voit sensiblement Jésus-Christ dans le sacrifice de l'autel; il traite avec la reine des anges ; il pénètre jusque dans le sanctuaire pour y contempler Dieu même, et la trinité de ses personnes : jamais cet adorable mystère ne fut

 

1 Jerem., I, 7.

 

révélé à un homme mortel plus clairement qu'à Ignace ; il semble que ce soit un saint Paul transporté dans le ciel, et jouissant déjà de la vision bienheureuse. Lui-même proteste qu'après ce qu'il a vu, il est prêt à mourir pour la foi, quand il n'y aurait plus d'Ecriture, ni de tradition. D'où vient ce changement, Chrétiens? C'est qu'Ignace, pour remplir sa vocation, doit être un homme de Dieu; et parce qu'il a été jusqu'à présent tout autre, il faut que Dieu en fasse un homme nouveau. Or il le fait par cette profusion de lumières et de grâces; et c'est en cela même que consiste la fidélité de Dieu envers ce saint patriarche.

Mais ce n'est point assez qu'Ignace soit éclairé pour lui-même : il faut encore qu'il le soit pour les autres, et Dieu en a-t-il pris soin? Lisez, mes chers auditeurs, lisez ce livre admirable des Exercices que ce saint solitaire composa dans sa retraite ; ce livre quia reçu tant d'éloges dans l'Eglise de Dieu ; ce livre dont les souverains pontifes ont voulu être les approbateurs, à qui le Saint-Siège a donné des grâces et des privilèges si authentiques; ce livre dont l'usage a produit tant de conversions et tant de merveilles dans le monde; ce livre dont les fruits sont encore aujourd'hui si abondants, et dont l'excellente méthode se pratique avec tant de succès dans le christianisme. Voyez s'il y a rien de plus solide pour la conduite des âmes, rien de plus prudent pour les règles de la foi, rien de plus certain pour le discernement des esprits, rien de plus relevé pour les maximes du salut. Qui fut l'auteur de cet ouvrage? Ignace. Mais quel Ignace? Permettez-moi de parler ainsi. Est-ce Ignace consommé dans la vie spirituelle, après plusieurs années depuis sa pénitence? non : mais Ignace sortant du monde, mais Ignace un mois après avoir quitté l'épée et s'être donné à Dieu. Cela ne tient-il pas du prodige? mais ce prodige, c'est une fidélité que Dieu croit devoir à la personne de son serviteur. Il l'a choisi pour l'instruction des peuples : dès là sa providence l'oblige à lui donner toutes les connaissances des plus grands maîtres : Fidelis Deus, per quem vocati estis.

Il y a plus : Ignace est un étranger, c'est un mendiant, c'est un inconnu ; il n'a ni accès dans Rome, ni pouvoir. Il n'importe : Va, lui dit Dieu, va dans cette capitale de l'univers; c'est là que j'ai bâti mon Eglise ; et c'est là que tu formeras une compagnie dont je serai spécialement le chef. Ne mesure point l'entreprise par tes forces : plus tu es faible, mieux elle

 

467

 

réussira. Toutes les puissances s'y opposeront, celles de l'enfer et celles de la terre, la sagesse des politiques, la passion des intéressés, le zèle des uns, la malice des autres; on te rejettera comme un misérable, on t'accusera comme un novateur, on te condamnera comme un ambitieux; mais je te serai fidèle : Ego tibi Romœ propitius ero.

Ce sont, Chrétiens, les propres paroles que saint Ignace entendit de la bouche de Jésus-Christ même, quand ce Dieu Sauveur se fit voir à lui dans cette célèbre apparition dont il l'honora, pour l'animera poursuivre constamment la fondation de son ordre. Paroles que des esprits profanes ont voulu corrompre par une licence qui approche de l'impiété ; mais paroles éternellement glorieuses à ce saint instituteur, qui reçut une assurance de la protection divine pour le lieu même où Dieu l'avait d'abord donnée à saint Pierre et à toute son Eglise : c'était un oracle que ces paroles, et vous en savez l'issue. Jamais ordre ne fut plus combattu que celui d'Ignace dans son institution, et jamais ordre ne fut approuvé avec des marques plus sensibles de la Providence. Les cardinaux s'assemblent pour l'examiner , et tous se sentent divinement émus et comme forcés à l'autoriser. L'un d'eux, tout déclaré qu'il était contre le dessein d'Ignace, avoue enfin qu'il n'y peut plus résister, et qu'il y reconnaît malgré lui le doigt de Dieu. On fait paraître ce pauvre, ce nouveau venu : il est admis honorablement par le pape, on le reçoit au nombre des fondateurs et des patriarches de l'Eglise , on lui expédie des bulles, on lui donne des pouvoirs, sa compagnie prend naissance: et qu'est-ce que cela, si ce n'est pas toujours un effet de l'inviolable fidélité de Dieu ? Fidelis Deus, per quem vocati estis.

Mais Dieu souffre qu'Ignace soit persécuté : voilà ce que l'incrédulité de tout temps a produit contre la Providence sur les âmes justes. Hé bien ! Chrétiens, que concluez-vous de là? Ignace a vécu dans la persécution : donc Dieu ne lui a pas été fidèle. Ah ! gardons-nous de tirer cette conséquence, si opposée aux principes de notre foi; autrement, il faudrait dire que Dieu n'a pas même été fidèle à son Fils, et que de tous les saints qui jouissent de la gloire, il n'y en pas un qui ne put former contre la providence de Dieu la même plainte. Non, mes chers auditeurs, ne raisonnons point de la sorte. Dites plutôt avec moi que les persécutions furent, pour saint Ignace, les plus évidents et les plus illustres témoignages de la fidélité de son Dieu, et vous parlerez en chrétiens.

Car, pourquoi ce grand saint a-t-il souffert tant de contradictions et de violences, a-t-il essuyé tant d'outrages, a-t-il été noirci de tant de calomnies? ne vous l'ai-je pas dit d'abord ? Ce fut pour l'intérêt de Dieu et pour sa justice. L'eût-on déféré à Barcelonne comme un visionnaire et un illuminé, s'il n'eût pas embrasé tous les cœurs par ses exhortations ferventes et pathétiques? L'eût-on confiné à Alcala dans un cachot obscur, s'il n'eût pas réduit des femmes très-qualifiées aux saintes rigueurs de la pénitence , en les ramenant de leurs désordres? Lui eût-on préparé dans Paris le traitement le plus indigne, s'il n'eût pas gagné à Dieu des hommes apostoliques pour être les compagnons de son zèle? N'est-ce pas en haine de la conversion de François-Xavier, qu'on attenta sur sa personne? D'où lui vint cette tempête qui se forma contre lui à Rome par un parti nombreux et puissant, sinon parce qu'il s'était hautement déclaré contre un prédicateur qui prêchait le luthéranisme? Mille autres semblables sujets, n'est-ce pas ce qui lui a suscité tant de persécutions? Or je vous demande, souffrir de la sorte, était-ce une marque que Dieu lui fût infidèle, puisque les persécutions sont les grâces les plus exquises dans l'ordre de la prédestination des saints, puisque leurs souffrances sont regardées dans le christianisme comme une béatitude , puisqu'il est certain que dans tout l'Evangile Jésus-Christ lésa spécialement promises à ceux qui seraient les hérauts de sa gloire ? Dites-moi, mes chers auditeurs, si c'était abandonner Ignace, que de le faire participer au sort des apôtres et des élus? Mais d'ailleurs, quand Dieu ajoute à tout cela une protection visible et éclatante, et que par des ressorts inconnus aux hommes, mais infaillibles , il fait tourner la persécution à la gloire de ce saint homme ; quand Dieu lui donne la grâce , comme à un autre Joseph, de régner, pour ainsi dire , dans sa prison , d'y attirer les peuples, d'y enseigner, d'y exhorter, d'y convertir lésâmes; quand on dit publiquement à Alcala que pour voir saint Paul dans les chaînes, il n'y a qu'à voir Ignace dans les fers; quand il sort des cachots de Salamanque avec une approbation juridique de sa doctrine, ce qui lui gagne un nombre infini de sectateurs; quand Dieu change en un moment le cœur de ceux qui prétendaient le déshonorer dans l'université de Paris, et qu'au lieu de le traiter aussi

 

468

 

rigoureusement qu'ils se l'étaient proposé , ils se jettent à ses genoux, publient son innocence et font un éloge de sa vertu; quand ses persécuteurs dans Rome sont punis de Dieu par des châtiments exemplaires, quand mille autres traits de la Providence donnent évidemment à connaître avec quelle attention le ciel veillait sur lui et le soutenait dans les traverses, peut-on dire qu'il en eût été délaissé? et par une conséquence toute contraire, ne faut-il pas reconnaître que Dieu jamais ne fut plus fidèle à Ignace que dans les croix et dans les afflictions ? Fidelis Deus, per quem vocati estis in societatem Jesu Christi.

Or , pour tirer de cette première partie quelque instruction dont nous puissions profiter, voilà, mes chers auditeurs, comment Dieu nous sera fidèle à nous-mêmes dans les conditions où il nous appelle, et où nous entrons par les ordres et sous la conduite de son adorable providence. Prenez garde, s'il vous plaît : je ne dis pas que Dieu nous sera fidèle dans les conditions où nous nous serons engagés de nous-mêmes , sans le consulter et sans égard à ses desseins : je ne dis pas qu'il nous sera fidèle dans ces états et dans ces ministères où nous nous serons ingérés, non selon son gré, mais selon le nôtre, selon le caprice qui nous guide, selon l'intérêt qui nous attire, selon l'ambition qui nous pousse, selon le plaisir qui nous flatte : surtout je ne dis pas qu'il nous sera fidèle dans ces occasions dangereuses où la seule passion nous conduit, et où la seule passion nous retient. Car, de quelle fidélité nous peut-il être redevable, lorsqu'il ne nous a rien promis ; c'est trop peu , lorsqu'il nous a même expressément menacés de retirer son secours, et de nous en priver? Je dis donc seulement qu'il nous sera fidèle, quand ce sera lui qui nous aura choisis, et que nous nous conformerons à son choix ; quand ce sera lui qui nous aura envoyés, et que nous aurons ses divines volontés à exécuter ; quand ce sera lui qui nous aura appelés, et que nous ne suivrons point d'autre vocation que la sienne. Oui, Chrétiens, c'est alors que notre Dieu nous sera fidèle, qu'il fera descendre sur nous l'abondance de ses grâces, qu'il nous éclairera de ses lumières, qu'il nous revêtira de sa force, qu'il nous garantira du péril, qu'il nous consolera dans nos peines, qu'il fera tout réussir à sa gloire et pour notre salut : car voilà ce qu'il ne nous peut refuser sans blesser tout à la fois, et sa bonté, et sa sagesse, et sa justice ; sans manquer à la parole qu'il nous a si solennellement donnée, et que tant d'exemples ont confirmée. Cependant observez bien encore la promesse que je vous fais de sa part, et prenez-en bien le sens. Je ne prétends pas qu'il fera toujours réussir les choses selon nos idées humaines, et que nous n'aurons point de combats à livrer, point d'obstacles à surmonter, point même de mauvais succès, selon le monde , à supporter. Ce n'est point là ce qu'il a voulu nous faire entendre, en nous assurant qu'il serait avec nous, et que nous pourrions toujours compter sur son assistance.

Mais je prétends que, soit que nos entreprises succèdent selon nos vues, ou qu'elles échouent, soit que nous soyons dans l'estime publique ou dans le mépris, quoi qu'il arrive, il saura tirer de tout sa gloire, et faire tout servir à notre avancement et à notre sanctification ; mais une telle fidélité de la part de Dieu n'est pas ce que nous demandons. Nous voudrions qu'il nous fût fidèle pour nous élever, pour nous distinguer, pour nous faire en tout paraître avec éclat. La moindre difficulté qui nous arrête, la moindre disgrâce qui nous humilie , le moindre revers qui nous dérange, c'est assez pour troubler notre foi, et pour nous faire accuser la providence du Seigneur. Si le saint patriarche dont je fais l'éloge en eût jugé comme nous, il eût bientôt abandonné l'ouvrage qu'il avait entrepris et commencé ; il eût cru devoir céder à tant d'orages et à de si rudes tempêtes dont il se vit assailli : mais au plus fort de la persécution, il espéra, comme Abraham, contre l'espérance même ; car il savait que Dieu a des voies secrètes qu'il n'est pas obligé de nous révéler, et que quand il paraît plus éloigné de nous, c'est souvent alors qu'il en est plus près. Agissons donc avec confiance ; et, sûrs que Dieu nous sera fidèle comme à Ignace, soyons nous-mêmes, comme Ignace, fidèles à Dieu : c'est le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Saint Paul écrivant aux Corinthiens leur fait en peu de paroles le portrait et l'éloge d'un homme apostolique, quand il leur dit que c'est le ministre de Jésus-Christ et le dispensateur des mystères de Dieu : Sic nos existimet homo ut ministros Christi et dispensatores mysteriorum Dei (1) Or vous savez, mes Frères, ajoute ce grand apôtre, que, lorsqu'il s'agit d'un dispensateur, la première chose qu'on attend de lui, c'est la fidélité à son maître : Hic jam quœritur inter dispensatores , ut fidelis quis

 

1 1 Cor., IV, 2.

 

169

 

inveniatur (1). Selon qu'il a plus ou moins été fidèle, nous le jugerons plus ou moins digne de louanges, et des récompenses attachées à son ministère. Prenons nous-mêmes cette règle, mes chers auditeurs, pour nous former une juste idée du mérite et de la gloire de saint Ignace. Il fut appelé à cette excellente fonction de ministre du Dieu vivant, pour la défense de l'Eglise et pour le salut des peuples.

Voyons donc si, dans la discussion de sa vie, il se trouvera tel que le veut saint Paul, ou plutôt que Dieu lui-même le demandait : Ut fidelis quis inveniatur. Car il ne suffisait pas que Dieu parût fidèle envers lui, il fallait qu'il répondît à Dieu, qu'il remplît la vocation de Dieu, et qu'il fût ainsi fidèle à Dieu. Fidélité tellement nécessaire, que Dieu, tout-puissant qu'il est, n'en pouvait faire sans cela un parfait ministre de l'Evangile : comprenez, s'il vous plaît, ma pensée. Dieu sans cela en pouvait faire un prophète et un homme de prodiges : c'est-à-dire que Dieu sans cela pouvait lui donner la connaissance de l'avenir, et lui faire voir dans le futur les événements les plus éloignés, qu'il a vus en effet, et prédits plus d'une fois ; que Dieu pouvait le rendre terrible aux démons , qu'il a mis en fuite d'une seule parole et chassés des corps ; que Dieu pouvait répandre sur son visage une splendeur toute miraculeuse, et semblable à celle des bienheureux, état où saint Philippe de Néri témoigna l'avoir aperçu, que Dieu pouvait lui conférer la grâce des guérisons, qu'il a souvent opérées pendant sa vie, et qu'il opère encore après sa mort : enfin que Dieu pouvait lui communiquer même la vertu et le pouvoir de ressusciter les morts ; témoin celui de Barcelonne, dont il est parlé dans la bulle de sa canonisation. Pour tout cela, il ne fallait que la seule fidélité de Dieu, parce qu'Ignace proprement ne contribuait en rien à tout cela ; mais tous ces avantages et toutes ces grâces n'étaient point assez pour former un ouvrier évangélique, et un digne ministre du Seigneur. Il lui fallait quelque chose de plus : et quoi? ah ! Chrétiens, il fallait surtout que ce fût un homme mort à lui-même ; un homme crucifié au monde et à sa chair; un homme zélé pour la gloire de Dieu , et prêt à tout entreprendre et à tout sacrifier pour elle ; un homme à qui le salut des âmes fut plus cher que toutes les choses de la terre, que son repos, que sa santé, que sa vie même. Voilà comment la fidélité du serviteur devait seconder la fidélité

 

1 1 Cor., IV, 2.

 

du maître qui l'employait, et comment elle l'a secondée en effet. J'en ai les preuves, que je tire de l'histoire de ce grand saint, et que je vous prie de bien écouter.

En quoi consiste le vrai caractère d'un ministre et d'un dispensateur fidèle? En deux choses, répond saint Jean Chrysostome, interprétant les paroles de saint Paul, savoir : dans le soin qu'il prend d'acquérir toutes les dispositions que requiert son ministère, et de s'en rendre capable : c'est la première; et dans le zèle qu'il fait paraître à s'acquitter de son ministère , et à ne rien épargner pour en remplir toute la mesure : c'est la seconde. Quiconque en use de la sorte dans l'administration des dons de la grâce qui lui ont été confiés, peut être regardé comme un véritable dispensateur de la maison de Dieu. Or, si cela est, j'ose dire que jamais homme ne mérita cette éminente et glorieuse qualité avec plus de justice qu'Ignace de Loyola; et en le disant, je n'avance rien dont il ne me soit aisé de vous faire convenir avec moi. Vous l'allez voir.

Car, pour commencer d'abord par le soin qu'il eut de se disposer à son ministère, que ne fit-il point pour se mettre en état de suivre la vocation de Dieu, et pour devenir un sujet propre à la conversion des âmes et à leur sanctification? C'était un homme du monde, un homme tel que je l'ai d'abord représenté, sans nulle teinture des lettres et sans nulle autre science que celle des armes : mais au moment qu'il a' compris à quoi Dieu le destine, que conclut-il? que dit-il? Vous le voulez, Seigneur, et j'y consens. Mais avant toutes choses, il faut donc faire de moi un homme nouveau ; il faut cesser d'être tout ce que je suis, afin de pouvoir être tout ce que vous prétendez que je sois; car quelle apparence que je puisse servir à vos adorables desseins, en demeurant ce que j'ai été? il faut donc en quelque sorte me détruire moi-même ; puisque cela ne se peut que par de violents combats contre moi-même, que par une mortification continuelle, que par une parfaite abnégation, c'est par là que je vais entrer dans la sainte carrière où vous m'appelez. Tels furent les sentiments d'Ignace, telle fut sa résolution ; et vous savez, Chrétiens, comment il l'exécuta.

Le suivrons-nous à Manrèze, et dans cette grotte devenue si fameuse par sa pénitence? faut-il vous dire quelle vie il y mena, quelles austérités il y pratiqua, quelles abstinences et quels jeûnes il y observa? c'est ce que vous

 

470

 

avez entendu cent fois, et ce que vous ne pouvez ignorer. Vous savez où le porta une sainte haine de lui-même ; qu'il ne voulut point d'autre nourriture que le pain et l'eau, ni d'autre lit que la terre ; que les disciplines sanglantes et réitérées chaque jour jusqu'à trois fois furent ses exercices les plus ordinaires ; qu'il fit du cilice son vêtement ; que, par un stratagème particulier et nouveau , pour repousser les attaques de l'ennemi qui le troublait, et pour calmer les peines intérieures qui lui déchiraient cruellement l'âme, il refusa à son corps, durant huit jours entiers, tout soulagement et tout aliment ; que, dans cette guerre si vive et si animée qu'il déclara à ses sens, toute sa prudence consista à ne point écouter la prudence humaine ; que par là il se réduisit bientôt dans la dernière faiblesse, et que dès lors il sembla prendre pour maxime, non pas de vivre, mais d'endurer une longue et perpétuelle mort. Voilà, dis-je, de quoi vous êtes suffisamment instruits.

Mais encore, pourquoi tant de rigueurs? Si vous me le demandez, Chrétiens, je vous réponds toujours que ce fut par un double motif de fidélité envers Dieu et de fidélité envers le prochain. Je dis de fidélité envers Dieu, parce qu'il ne crut pas pouvoir travailler efficacement à l'édification de l'Eglise de Dieu, s'il ne commençait par sa propre destruction, de même que ces Ninivites, à qui Jonas prêcha avec tant de succès la pénitence. Souffrez que j'applique ici cette figure. Le prophète leur annonça qu'après quarante jours leur ville serait renversée de fond en comble : Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur (1). Cette parole s'accomplit-elle? ne s'accomplit-elle pas? Elle ne s'accomplit pas selon la lettre, disent les pères et les interprètes, puisque Ninive subsista toujours : mais dans un sens plus spirituel et plus relevé, ajoutent-ils, elle se vérifia, puisqu'au temps marqué par le prophète, les Ninivites se reconnurent, se convertirent, changèrent de mœurs, de coutumes, de vie, en sorte qu'on put dire que ce n'était plus désormais l'ancienne Ninive, mais une autre élevée sur les ruines de la première ; tant la face des choses parut différente. C'est ainsi que je me figure Ignace sortant de Manrèze, après avoir consumé dans le feu de la plus sévère mortification tous les restes du monde, de la chair, du péché ; et se présentant à Dieu, pour lui dire, avec la même confiance qu'Isaïe : Ecce ego, mitte me (2) : Me voilà prêt

 

1 Jon., III, 4.— 2 Isa., VI, 8.

 

maintenant, Seigneur, à recevoir vos ordres ; vous cherchez un homme qui les publie et qui vous fasse connaître, envoyez-moi. Je ne suis plus cet Ignace autrefois l'esclave du monde et de la vanité ; tout ce que j'étais est mort dans ma personne, et je ne pense qu'à vous obéir : Ecce ego, mitte me. Fidélité donc envers Dieu; et je dis de plus, fidélité envers le prochain. Car, si ce saint pénitent se ménagea si peu, c'est qu'il conçut que, pour faire quelques progrès auprès des âmes dont Dieu voulait lui confier la conduite, il fallait qu'il fut impitoyable envers lui-même ; que, sans cette sévérité pour lui-même, il serait incapable de porter le poids du ministère évangélique, d'en soutenir le travail et d'en surmonter les difficultés ; que, s'il ne mourait à lui-même, il n'aurait jamais auprès des peuples ce crédit si nécessaire pour s'insinuer dans leurs esprits, et pour les persuader ; et que dès qu'ils remarqueraient en lui quelque recherche de lui-même, ils perdraient toute créance en ses paroles, et ne s'attacheraient qu'à ses exemples : principes bien contraires à ceux de ces prétendus zélés qu'on a vus de tout temps dans le christianisme, et qui, voulant s'ériger en maîtres absolus des consciences, ont établi, pour fondement de leur conduite, la sévérité envers les autres et l'indulgence envers eux-mêmes ; apôtres de la pénitence pour la prêcher, et ses déserteurs quand il a été question de la pratiquer ; ennemis déclarés d'une vie commode, lorsqu'il a fallu seulement la combattre dans une pompeuse morale, mais attachés à toutes les commodités de la vie lorsqu'il s'est agi de les prendre et de se les procurer; hypocrites pharisiens, contre qui le Sauveur du monde s'est tant élevé et qu'il a si bien marqués dans l'Evangile, en disant que tout leur zèle se terminait à charger leurs frères de fardeaux lourds et accablants, tandis qu'ils ne voulaient pas même les toucher du doigt.

Cependant une vertu sans lumière et sans connaissance ne suffit pas à un homme apostolique : il doit être éclairé, puisqu'il doit instruire les autres ; et si son zèle n'est conduit par la science, fût-il d'ailleurs le plus pur et le plus ardent, c'est un zèle dangereux, et qui peut donner en mille écueils. Que fera donc Ignace , et désormais est-il en état d'entreprendre des études plus sortables à son âge, et de s'avancer dans les sciences, dont il ignore jusques aux premiers éléments ? Ah ! Chrétiens, laissons agir sa fidélité : elle est humble, elle est généreuse et constante, c'est assez;

 

471

 

tout lui conviendra. Elle fera passer cet homme de trente-trois ans par tous les degrés; elle le réduira dans la poussière d'une classe, au rang des enfants ; elle le soumettra à la discipline d'un maître ; elle lui donnera toute la patience et toute la fermeté qu'il faut pour dévorer les premières épines de la grammaire, et pour en supporter tous les dégoûts. Que je consulte là-dessus certains esprits forts du siècle ; que sera-ce, à les entendre parler et selon leurs idées mondaines, qu'une telle résolution? ce sera faiblesse, ce sera bassesse d'âme, ce sera folie. Mais moi, je prétends que jamais Ignace ne fit rien pour Dieu de plus héroïque et de plus grand : pourquoi? parce que jamais il n'eut plus de violence à se faire pour réprimer tous les sentiments humains, et pour vaincre toutes les répugnances de la nature ; ici bien différent de son adorable Maître, lors même qu'il travaillait à pouvoir un jour l'imiter. Jésus-Christ encore enfant s'assit au milieu des docteurs dans le temple de Jérusalem ; et Ignace, cet homme déjà formé, est assis parmi des enfants dans une école publique. Jésus-Christ s'éleva au-dessus de son âge pour enseigner, et Ignace s'abaisse au-dessous du sien pour recevoir des enseignements. Jésus-Christ dans sa douzième année fit la fonction de docteur, et Ignace à trente-trois ans prend la qualité de disciple. Les scribes et les pharisiens furent dans l'étonnement de voir la sainte assurance de Jésus-Christ; et tout ce qu'il y a dans Barcelonne de gens sensés et raisonnables, est ravi d'admiration en voyant la docilité d'Ignace. Quelle différence, mes chers auditeurs, et tout ensemble quel rapport entre l'un et l'autre, puisque l'un et l'autre n'eurent en vue que de s'employer aux affaires de Dieu et de lui témoigner leur fidélité? Nesciebatis quia in his quoi Patris mei sunt oportet me esse (1).

Ce fut cette même fidélité qui attira Ignace dans Paris, pour y reprendre avec une ardeur toute nouvelle le cours de ses études ; qui lui en fit essuyer tous les ennuis, toutes les fatigues, toutes les humiliations ; et qui dans l'extrême et volontaire pauvreté qu'il avait choisie comme son plus cher héritage, et dont il ressentait toutes les incommodités, l'engagea à se retirer dans un hôpital, à mendier lui-même son pain de porte en porte, à se dégrader selon le monde, et à se mettre dans la vile condition de valet, suivant l'exemple de son Sauveur : Fornam servi accipiens (2). Quel état pour un

 

1 Luc, II, 49. - 2 Philip., II, 7.

 

homme jusque-là distingué, et par sa naissance, et par ses emplois ! Mais que nous importe, dit-il, à quelle condition nous nous trouvions réduits, quand c'est pour l'avancement de la gloire de Dieu, et pour l'accomplissement de ses éternelles et suprêmes volontés ? Soyons pauvres, soyons dépendants, soyons esclaves, soyons dans le rang le plus abject et le plus bas, pourvu que Dieu soit par là honoré et le prochain sanctifié. Et pourquoi ne m'en coûterait-il pas autant pour me former à la milice du ciel, qu'il m'en a coûté pour me signa-. 1er dans celle de la terre? Rien ne m'a rebuté, lorsqu'il a été question d'acquérir la science des armes; en dois-je moins faire pour acquérir la science du salut? Touché de ces sentiments, il redouble ses soins et son attention : la moindre négligence qui lui échappe est pour lui un crime qu'il se reproche amèrement, et dont il se punit rigoureusement. Dieu le soutient, le bénit; et voici la merveille que nous ne pouvons assez admirer. C'est que ce zélé disciple, tout disciple qu'il est, commence à devenir maître. Déjà inspiré d'en haut et dirigé par l'Esprit de Dieu, il jette les premiers fondements de cette compagnie dont il devait être l'instituteur et le père. Déjà dans l'université de Paris il s'associe neuf compagnons illustres par les talents de leur esprit et par leur savoir ; mais plus illustres encore par leur piété et par leur zèle. Dans le sein de notre France et dans la capitale de ce royaume, Ignace lève déjà ces troupes auxiliaires que Dieu réservait à son Eglise, et qui d'année en année croissant toujours, et grossies de toutes parts, devaient se répandre dans toutes les parties du monde. Car permettez-moi de le remarquer ici, c'est à notre France que le monde chrétien est redevable de ce secours; c'est là qu'Ignace s'est instruit; là que sa sainteté s'est élevée, s'est perfectionnée, s'est consommée; là qu'il s'est tracé le plan de sa compagnie, et qu'il a trouvé de dignes sujets pour le seconder et la faire naître; là que de concert, et portés du même zèle, ils se sont tous dévoués à la gloire du Seigneur et au service des âmes; de là enfin qu'ils sont sortis pour aller se présenter au souverain Pontife, et pour mettre la main à l'œuvre de Dieu qu'ils avaient méditée. Aussi le glorieux fondateur de la Compagnie de Jésus reconnut-il toujours dans la suite qu'il devait tout à la France , la regardant comme son berceau, ou, pour mieux dire, la regardant comme sa mère, et s'appliquant à lui envoyer des ouvriers qui pussent l'acquitter envers

 

472

 

elle, et lui rendre en quelque sorte ce qu'il en avait reçu.

Mais revenons et disons que si saint Ignace a fait paraître une pleine fidélité en se préparant à son ministère, il n'a pas moins dignement rempli l'autre devoir d'un parfait dispensateur, en travaillant sous les ordres du maître qui l'avait appelé, et selon la forme que Jésus-Christ même lui avait tracée. Vous savez, Chrétiens, que la gloire est un bien propre de Dieu, et qui n'appartient qu'à Dieu. Il nous abandonne toutes les autres choses, jusqu'à sa grâce, dit saint Augustin ; mais pour la gloire, c'est son fonds, et un fonds inaliénable : il ne la cède à personne ; et s'il y a quelque bien qu'il puisse attendre de la part des hommes, et en particulier de ses ministres, c'est celui-là. Voilà pourquoi le Fils de Dieu disait de lui-même qu'il était venu sur la terre pour y chercher non pas sa gloire, mais celle de son Père ; que c'était l'unique fin de sa mission, et l'unique fin de la mission de ses apôtres : Non quœro gloriam meam (1). Et parce que cette gloire de Dieu consiste en partie à être connu des hommes, à en être adoré et aimé, c'est pour cela que ce même Sauveur ajoutait qu'il était venu pour la conversion des pécheurs et la réparation du monde : Non sum missus, nisi ad oves quœ perierunt (2); et qu'il n'avait choisi ses apôtres que pour être les coopérateurs de ce grand ouvrage : Posui vos ut estis, et fructum afferatis (3).

Or, ceci posé, mes chers auditeurs, voulez-vous juger de la fidélité d'Ignace dans l'exécution des desseins de Dieu sur lui? voyez quelle fut l'ardeur et l'étendue de son zèle pour la gloire divine et pour le salut des âmes. Quel vaste champ s'ouvre devant moi, et ce qui me reste de temps peut-il suffire à une si abondante matière? Puis-je vous marquer mille traits particuliers? puis-je vous dire tout ce qu'il a entrepris, tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a souffert, non-seulement pour la gloire de Dieu, mais pour la plus grande gloire de Dieu et non-seulement pour le salut de ses frères, mais pour leur plus haute perfection ? Je ne vous le représenterai point dans cet étang à demi glacé, où il se plongea lui-même jusqu'au coup, s'estimant heureux de pouvoir, par cet étrange stratagème, arrêter un seul péché, et retenir par ce spectacle un malheureux que son libertinage portait vers l'objet criminel de sa passion. Je ne vous parlerai ni de ses ferventes prédications et des fruits

 

1 Joan., VIII, 50. — 2 Matth., XV, 24. — 3 Joan., XV, 10.

 

merveilleux qu'elles produisirent, ni de ses soins auprès des malades, pour sauver leurs âmes, encore plus que pour soulager leurs corps ; ni de ses pénibles voyages, tantôt pour courir au secours d'un fugitif qu'il eût pu poursuivre selon les lois d'une rigoureuse justice, et qu'il assista selon l'esprit de la plus pure charité ; tantôt pour visiter les saints lieux, et pour réparer la gloire de son Maître là où elle avait été et où elle était tous les jours si outrageusement blessée ; tantôt pour parcourir les villes et les bourgades, et pour répandre partout la bonne odeur de Jésus-Christ. Je ne vous dirai rien des saints établissements qu'il institua , et des maisons qu'il bâtit pour être consacrées à la pénitence, se souvenant que son Sauveur n'avait pas exclu du royaume céleste les femmes perdues, et qu'elles pouvaient autant glorifier Dieu dans leur retraite qu'elles l'avaient déshonoré dans leur péché. Tout cela, et bien d'autres preuves de sa fidélité et de son zèle, je les laisse ; car ce détail serait infini. Je m'attache à un fait plus général, mais aussi plus éclatant, et par où je conclus ce discours.

C'est, Chrétiens, cette institution d'une compagnie dont Tunique fin est la gloire de Dieu et le salut du prochain ; dont tous les sujets n doivent servir qu'à la gloire de Dieu et au salut du prochain ; dont toutes les vues, tous les intérêts, toutes les fonctions, tous les travaux ne doivent tendre qu'à la gloire de Dieu et au salut du prochain : d'une compagnie qui, sans se renfermer dans l'enceinte d'une province ou d'un empire, doit annoncer la gloire de Dieu et son saint nom dans tout l'univers : Euntes in mundum universum (1); doit prêcher l'Evangile à tous les peuples sans distinction d'âge, depuis les enfants jusques aux plus avancés, sans distinction de qualités et d'états, depuis les plus pauvres et les plus petits jusques aux plus riches et aux plus grands : Prœdicate Evangelium omni creaturœ; d'une compagnie qui, sans se borner à un moyen plutôt qu'à l'autre, fait profession d'embrasser tous les moyens de glorifier Dieu et de sanctifier les âmes : les écoles publiques et l'instruction de la jeunesse, la connaissance des lettres et divines et humaines, le ministère de la sainte parole, la direction des consciences, les assemblées de piété, les missions et les retraites : d'une compagnie qui, pour se dégager de tout autre intérêt que celui de Dieu et des âmes qu'il a rachetées de son sang, renonce solennellement à tout salaire et

 

1 Marc, XVI, 15.

 

473

 

à toute dignité ; qui, pour être plus étroitement liée au service de l'Eglise de Dieu, s'engage par un vœu exprès à s'employer partout où les ordres du souverain pontife et du vicaire de Jésus-Christ la destineront, fallût-il pour cela s'exposer à toutes les misères de la pauvreté, à toutes les rigueurs de la captivité, à toutes les horreurs de la mort: d'une compagnie qui, par la miséricorde du Seigneur et par la force toute-puissante de son bras, perpétuée de siècle en siècle et toujours animée du même esprit, à la place des ouvriers qu'elle perd, en doit substituer d'autres pour leur succéder, pour hériter de leur zèle, pour cultiver les mêmes moissons, pour soutenir les mêmes fatigues, pour essuyer les mêmes périls, pour combattre les mêmes ennemis et avec les mêmes armes, pour remporter les mêmes victoires, ou pour faire de leur réputation, de leur repos, de leur vie, les mêmes sacrifices. Aidé de la grâce, et en suivant toute l'impression, après avoir conçu et médité le dessein de cette compagnie, l'avoir ensuite conduit avec autant de sagesse que de constance et de force, l'avoir exécuté avec succès et porté enfin à toute sa perfection, dites-moi, Chrétiens, si ce n'est pas avoir été fidèle à Dieu, non-seulement comme ce bon serviteur de l'Evangile, en de petites choses : In modico fidelis (1); mais dans une des plus difficiles et des plus grandes entreprises?

Or voilà ce qu'a fait saint Ignace de Loyola. Je ne dis pas, voilà ce qu'il s'est proposé, voilà ce qu'il a ébauché, voilà ce qu'il a commencé; mais je dis : Voilà ce qu'il a lui-même achevé, et ce qu'il a lui-même consommé, et à quoi lui-même il a mis la dernière main. C'est lui qui, par la ferveur de ses prières, par l'abondance des lumières divines, par l'élévation et la vaste étendue d'un génie supérieur, parla droiture et la profondeur de ses réflexions, par l'invincible fermeté et la grandeur de son courage, a formé l'idée de cet institut, en a dicté toutes les règles, en a marqué toutes les fonctions, en a levé toutes les difficultés, en a réuni toutes les parties, en a composé tout le corps, l'a nourri, l'a fortifié, l'a fait agir jusqu'aux extrémités de la terre. Dire donc d'Ignace qu'il a été le fondateur de la compagnie de Jésus, c'est faire en un mot l'éloge complet de sa fidélité envers Dieu, et par conséquent envers le prochain : car c'est vous donner à entendre que, non content de glorifier Dieu par lui-même, il l'a glorifié par tant de missionnaires envoyés au delà des mers et aux nations les plus reculées,

 

1 Luc, XIX, 17.

 

pour y publier l'Evangile et y détruire l'infidélité; qu'il l'a glorifié par tant de prédicateurs employés auprès des fidèles pour leur enseigner leurs devoirs et les retirer de leurs désordres; qu'il l'a glorifié par tant de savants hommes consumés de veilles et d'études, pour confondre l'hérésie et pour défendre la religion ; qu'il l'a glorifié par tant de martyrs exposés aux glaives, aux feux, aux croix, aux tourments les plus cruels, pour l'honneur de la foi, et pour signer de leur sang le témoignage qu'ils lui rendaient ; qu'il l'a glorifié d'un pôle du monde à l'autre, où il a eu la consolation de voir les membres de sa compagnie s'étendre pour la conquête des âmes et l'accroissement du royaume de Jésus-Christ.

Ce n'est pas assez: et pourquoi n'ajouterais-je pas qu'il le glorifie encore, non-seulement dans le ciel où Dieu a couronne ses travaux, mais dans toute l'enceinte de cet univers, où ses enfants, sous sa conduite et par son esprit, travaillent à maintenir l'ouvrage de leur père, et y consacrent tous leurs soins? Car ce que saint Paul a dit en parlant d'Abel, et de l'offrande qu'il présenta à Dieu pour l'honorer, je puis bien ici l'appliquer au saint instituteur dont je fais l'éloge, et à la compagnie qu'il a laissée après lui, comme la dépositaire de ses sentiments, et l'héritière des grâces dont il fut si abondamment pourvu : Et per illam defunctus adhuc loquitur (1) . Oui, mes chers auditeurs, c'est par elle qu'Ignace, tout mort qu'il est, parle encore, et fait retentir sa voix dans tout»; la terre ; c'est par elle qu'il distribue le pain d'une sainte doctrine aux enfants de la maison du Père céleste ; c'est par elle qu'il va, à travers les tempêtes et les orages, au milieu des bois et dans le fond des déserts, chercher les brebis égarées d'Israël, et les appeler; c'est par elle qu'il dirige tant d'âmes saintes, qu'il louche tant de pécheurs, qu'il convainc tant d'hérétiques, et qu'il éclaire tant d'idolâtres. Pardonnez-moi, Chrétiens, et permettez-moi de rendre aujourd'hui ce témoignage à une compagnie dont je reconnais avoir tout reçu, et à qui je crois devoir tout; témoignage fondé sur une connaissance certaine de la droiture de ses intentions et de la pureté de son zèle, malgré tout ce que la calomnie a prétendu lui imputer, et les noires couleurs dont elle a tâché de la défigurer et de la ternir. Au reste, quand je m'explique de la sorte, ce n'est point à l'avantage des enfants que je le fais, ni pour les relever, mais uniquement pour relever le père,

 

1 Hebr., XI, 4.

 

474

 

ou plutôt pour relever la gloire de Dieu, à qui les enfants, comme le père, doivent tout rapporter. Non, Messieurs, vous ne nous devez rien, si vous le voulez; et si vous nous deviez quelque chose, je vous dirais tout le contraire de ce que disait saint Ambroise après la mort du grand Théodose, dont il faisait l'éloge funèbre. Il montrait les deux héritiers de l'empereur, présents à cette cérémonie ; et s'adressant au peuple, il s'écriait : Reddite filiis quod debetis patri ; Rendez aux enfants ce que vous devez au père. Je renverserais la proposition, et, vous présentant Ignace, je m'écrierais : Reddite patri quod debetis filiis ; Ce que vous croyez devoir aux enfants, rendez-le au père. Car c'est au père que tout est dû, puisque les enfants n'agissent que par les règles que le père leur a prescrites, que par l'esprit qu'il leur a inspiré, qu'avec les moyens qu'il leur a fournis. Je dirais encore mieux : Tout ce que vous pouvez devoir soit au père, soit aux enfants, rendez-le à Dieu ; car c'est à Dieu, et à Dieu seul, le principe de tout, que tout honneur appartient.

Ainsi vous parlerais-je : mais j'ai quelque chose à vous dire qui vous touche de plus près, et à quoi il vous est encore plus important de faire une sérieuse attention. Car ce qui a fait, mon cher auditeur, toute la sainteté d'Ignace, et ce qui l'a élevé à une si haute perfection, c'est d'avoir été fidèle à Dieu. Pourquoi n'êtes-vous pas saint comme lui, et pourquoi même n'êtes-vous rien moins que saint? Examinons quelle est la cause de cette différence. D'où vient qu'Ignace fut un homme de Dieu, et que vous êtes un homme du monde ; qu'il n'eut de pensées que pour Dieu, et que vous n'en avez que pour le monde; qu'il ne cessa point de glorifier Dieu, et que vous ne cessez point de l'outrager? Remontons à la source. Est-ce que Dieu ne veut pas tirer de vous sa gloire? est-ce qu'il ne vous appelle pas à la sainteté de votre état? est-ce qu'il vous refuse les grâces et les moyens nécessaires pour y parvenir ? Peut-être vous le persuadez-vous, et peut-être aimez-vous à vous entretenir dans cette fausse persuasion, pour avoir lieu de vous autoriser dans le relâchement et dans le dérèglement où vous vivez. Mais c'est une erreur dont il faut aujourd'hui vous détromper. Je vous l'ai dit, et je le répète : dans quelque état que vous vous trouviez par les ordres de la Providence, vous devez et vous pouvez vous y sanctifier; vous le devez, puisque c'est votre vocation ; et vous le pouvez, puisqu'on conséquence de cette vocation, Dieu vous offre son secours, et est toujours prêt à vous le donner. Mais si Dieu vous est fidèle comme il le fut à Ignace, êtes-vous, comme Ignace, fidèle à Dieu? Vous voulez que Dieu fasse tout, et qu'il ne vous en coûte rien. Mais saint Ignace s'est fondé sur une maxime bien opposée, savoir, que ne pouvant rien faire sans Dieu, il n'était pas d'une moindre nécessité pour lui de faire tout avec Dieu. Voilà le principe qui l'a fait agir, et le mal est que vous prenez tout une autre règle. Ce grand saint a su distinguer entre la grâce et l'action, la grâce qui nous prévient de la part de Dieu, et l'action qui la suit de notre part; et il a conclu que ce n'était pas la première, mais la seconde qui nous sanctifiait, et que la première sans la seconde était même le sujet de notre condamnation : au lieu que vous confondez l'une et l'autre, au lieu que vous attendez tout de l'une sans prendre soin d'y ajouter l'autre, croyant volontiers que la grâce de Dieu suffit, et vous mettant peu en peine d'y répondre. Ah 1 Chrétiens, n'oubliez jamais cette importante vérité, qu'on ne peut trop vous imprimer dans l'esprit : je veux dire que, comme vous ne pouvez vous sauver sans Dieu, Dieu jamais ne vous sauvera sans vous ; que comme vous ne pouvez vous sanctifier sans Dieu, jamais Dieu ne vous sanctifiera sans vous; et que de même qu'il y a une fidélité de Dieu envers l'homme à quoi Dieu ne manque jamais, il y a une fidélité de l'homme envers Dieu à quoi vous ne devez jamais manquer, afin que vous puissiez un jour entendre de la bouche de votre juge cette consolante parole : Venez, bon serviteur, serviteur fidèle; parce que vous m'avez été fidèle, entrez dans la joie du Seigneur et dans son royaume éternel, où nous conduise, etc.

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante