TOUS LES SAINTS I

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PREMIER SERMON POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.

ANALYSE.

 

Sujet. Dieu est admirable dans ses Saints.

 

Admirable dans leur prédestination, dans leur vocation, dans toute l'économie de leur salut, dans leur béatitude et dans leur gloire. Mais n'en demeurons pas là; car il y a des choses qui doivent encore plus nous toucher.

Division. Dieu est admirable de nous avoir donné les Saints pour intercesseurs et pour patrons : première partie; admirable de nous avoir proposé les Saints pour modèles et pour exemples : deuxième partie.

Première partie. Admirable de nous avoir donné les Saints pour intercesseurs et pour patrons : pourquoi? 1° parce qu'en cela Dieu nous découvre visiblement les trésors de sa sagesse et de sa providence; 2° parce que la gloire des Saints en est infiniment relevée ; 3° parce que nous y trouvons de très-grands avantages pour notre salut.

1° Dieu, en nous donnant les Saints pour patrons, nous découvre visiblement les trésors de sa sagesse et de sa providence : car c'est ainsi qu'il établit le plus bel ordre et la subordination la plus parfaite qu'il puisse y avoir entre les hommes. Nous dépendons des Saints, et notre dépendance nous est aimable, parce que nous savons que les Saints s'intéressent en notre faveur. Leur élévation, au lieu de les enfler, leur donne des inclinations bienfaisantes pour nous; et, au lieu d'exciter notre jalousie, elle nous inspire une reconnaissance affectueuse pour eux. De plus, c'est ainsi que Dieu a trouvé le moyen d'entretenir une sainte correspondance entre l'Eglise triomphante dans le ciel, l'Eglise militante sur la terre, et l'Eglise souffrante dans le purgatoire.

2° La gloire des Saints en est infiniment relevée. En effet, nous apprenons de là quel est le pouvoir des Saints : et s'ils sont si puissants pour les autres, quels trésors de gloire ne possèdent-ils pas pour eux-mêmes? quelle gloire d'être nos médiateurs auprès de Dieu, et des médiateurs à qui Dieu accorde tout ! C'est par là même encore que Dieu nous engage à les honorer nous-mêmes : en sorte qu'ils ont tout à la fois et les honneurs du ciel, et les honneurs de la terre.

3° Nous y trouvons de très-grands avantages pour notre salut. Les Saints prient pour nous; et comme leurs prières sont plus efficaces que les nôtres, elles contribuent dans un sens à notre salut plus que les nôtres : plus efficaces, dis-je, que les nôtres, soit par la dignité des Saints plus relevée, soit par leur charité plus épurée, soit par leur attention beaucoup plus constante et plus fixe, enfin, pur leur ferveur beaucoup plus ardente : aussi combien de fois les hommes ont-ils éprouvé les salutaires effets de leur protection!

Mais comment répondons-nous à leurs soins ? Nous les déshonorons sur la terre, nous violons les temples que l'Eglise a érigés sous leur nom, nous profanons leurs fêtes. Aurons-nous après cela bonne grâce de reprocher aux hérétiques de notre siècle le mépris qu'ils ont fait du culte des Saints? A cet abus qui regarde leur culte, nous en ajoutons un autre, qui est l'abus de leur invocation. Ne parlons point de ces prières abominables qui feraient des Saints, s'ils les écoutaient, les fauteurs de nos vices; ne parlons point de ces prières mondaines et intéressées qu'on fait aux Saints pour des biens temporels, sans jamais leur demander des biens spirituels. Le grand abus de l'invocation des Saints dans les prières même en apparence les plus religieuses, c'est que nous voulons qu'ils demandent à Dieu pour nous ce que Dieu, selon les règles de sa sagesse, ne veut pas nous accorder, et ce qu'il n'est pas à propos qu'il nous accorde. Nous les invoquons; et du reste, comptant sur leur intercession, nous prétendons vivre sans vigilance, sans pénitence, sans gène. Souvenons-nous que si les Saints sont puissants auprès de Dieu, ils ne le sont pas m préjudice de Dieu même, et de ce que nous lui devons; et prenons garde qu'au lieu d'être nos protecteurs, ils ne deviennent nos accusateurs et nos juges.

Deuxième partie. Admirable de nous avoir proposé les Saints pour modèles et pour exemples; car cet exemple des Saints opère en nous trois merveilleux effets : 1° Il nous persuade la sainteté; 2° il nous adoucit la pratique de la sainteté; 3° il nous Ma tout prétexte par où nous pourrions nous défendre d'embrasser la sainteté.

1° L'exemple des Saints nous persuade la sainteté : comment? En nous faisant comprendre d'une simple vue toute la perfection et tout le mérite de la sainteté : car qu'est-ce qu'un Saint? C'est une idée réelle, visible, palpable et substantielle de toute la sainteté évangélique; et Dieu, en nous le montrant, nous dit : Inspice, et fac secundum exemplar ; Regarde, et conforme-toi à ce modèle. Or, il n'est pas possible devoir la sainteté, je dis la vraie sainteté, telle qu'elle a été dans les Saints, sans l'estimer : cette estime en fait naître l'amour et le désir; et nous inspirer ces sentiments à l'égard de la sainteté, n'est-ce pas nous la persuader? L'exemple de Dieu n'était pas propre à faire sur nous le même effet, car, outre que Dieu est invisible, il n'est pas saint de la manière que nous devons l'être; notre sainteté doit consister dans la pénitence, dans la soumission, etc., et tout cela ne peut convenir à Dieu. Il fallait donc qu'il nous proposât des hommes comme nous, et de même nature que nous : or, c'est ce qu'il a fait. C'est par de semblables exemples que l'illustre Mathathias confirma ses enfants dans le culte du Seigneur, et c'est dans le même dessein que l'Eglise a ordonné qu'on exposât à nos yeux les image» des Saints.

 

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2° L'exemple des Saints nous adoucit la pratique de la sainteté : car il nous apprend, 1° qu'il n'y a rien d'impossible dans la sainteté, puisqu'il n'y a rien que les Saints n'aient pu et qu'ils n'aient soutenu; 2° qu'il n'y a rien même de si difficile qui ne puisse nous devenir agréable, puisque les Saints y ont trouvé et goûté les plus pures douceurs. Ces pensées réveillent notre courage, et le courage facilite tout.                                                                               3° L’exemple des Saints nous ôte tout prétexte par ou nous pourrions nous défendre d'embrasser la sainteté. Détail des divers prétextes que  l'exemple des Saints détruit : ils pouvaient les alléguer aussi bien que nous. Qu'aurons-nous donc à répondre quand Dieu,  dans  son jugement dernier, nous demandera compte de l'affreuse  différence qui paraîtra entre leur vie et la nôtre?

Compliment au roi.

 

Mirabilis Deus in Sanctis tuis.

Dieu est admirable dans ses Saints. (Ps. LXVII, 36.)

 

Sire,

 

Dieu, dans tous ses ouvrages, est admirable; mais il  Test particulièrement dans ses Saints, puisque de tous les ouvrages de Dieu, un des plus merveilleux et des plus grands, ce sont les Saints. Il est admirable dans leur prédestination, il est admirable dans leur vocation, il est admirable dans toute l'économie de leur salut, il est admirable dans leur béatitude et dans leur gloire. Je dis admirable de les avoir prédestinés à son royaume éternel, admirable de les avoir appelés à la foi, admirable de les avoir sanctifiés par la grâce, admirable de les avoir éprouvés et purifiés par les souffrances; enfin, admirable d'en avoir fait des Saints et des bienheureux  : Mirabilis in Sanctis  suis.   Voilà, Chrétiens, ce que Dieu a fait pour ses élus, et ce que je devrais, ce semble, développer dans ce discours : mais j'ai des choses à vous dire encore plus importantes pour votre édification; des choses qui, dans la vue de ces bienheureux prédestinés, vous rempliront, aussi bien que le Prophète royal, non pas d'une admiration stérile et sèche, mais d'une admiration affectueuse, solide, efficace, qui fortifiera votre foi, qui excitera votre espérance, qui animera votre charité ; en deux mots, qui élèvera vos esprits, et qui touchera vos cœurs : Mirabilis Deus in Sanctis suis. Vierge sainte, vous qui dans le ciel régnez au-dessus de tous les Saints, obtenez-moi les lumières dont j'ai besoin, et que je demande par votre intercession : faites, ô glorieuse Mère de Dieu, que je sois animé et rempli de cet esprit de sainteté dont vous reçûtes la plénitude en concevant le Verbe éternel ; faites que, servant d'organe à ce divin Esprit, j'annonce à cette cour des vérités capables d'en faire, selon l'expression de saint Paul, un peuple fervent et un peuple saint !  c'est pour cela que je vous adresse la prière ordinaire : Ave, Maria.

Il n'appartient qu'aux Saints de bien comprendre ce qu'opère en eux celui qui est l'auteur de la sainteté, et je serais téméraire, si je voulais, dans un sujet tel que celui-ci, m'en tenir âmes propres pensées, pour vous donner l'intelligence de ce qui fait le mystère de ce jour, c'est-à-dire de ce qui rend Dieu si admirable dans la personne de ses élus. Ainsi, renonçant à mes vues particulières, et profitant de celles qu'ont eues les saints, je m'attache à cette réflexion de saint Léon, pape, que je vous prie de bien comprendre, parce qu'elle renferme tout mon dessein. Ce Père explique les paroles de David que j'ai choisie pour mon texte : Mirabilis Deus in Sanctis suis; et considérant, par rapport à nous, l'excellence de cet état de gloire où les bienheureux sont élevés, il dit que deux choses y doivent être comme les deux principaux objets de notre admiration : l'une de ce que Dieu nous a donné dans les Saints de si puissants protecteurs ; et l'autre de ce qu'il nous a proposé dans ces mêmes Saints un si parfait modèle de sainteté : Mirabilis in Sanctis suis, in quibus et praesidium nobis constitua et exemplum. Voilà tout le partage de cet entretien : dans la première partie, je vous montrerai combien Dieu est admirable de nous avoir donné les Saints pour intercesseurs et pour patrons ; et dans la seconde, je vous ferai voir combien il est admirable de nous les avoir proposés pour exemples. Deux vérités d'une étendue infinie dans notre religion, et d'où s'ensuivent des conséquences à quoi nous devons bien, vous et moi, nous intéresser. Car voici d'abord les deux raisonnements qui se présentent à nos esprits : Les Saints sont nos intercesseurs et nos protecteurs ; nous avons donc une obligation indispensable de les honorer et de les invoquer : c'est le premier point; les Saints sont nos exemplaires et nos modèles ; nous avons donc un engagement essentiel à nous former sur eux, et à les imiter : c'est le second point. Le premier nous apprendra ce que les Saints font pour nous, et le second nous instruira de ce que nous devons faire nous-mêmes pour être Saints. L'un et l'autre, preuve invincible de la proposition que j'ai avancée, que si le Dieu d'Israël est admirable, c'est particulièrement

 

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dans ses Saints : Mirabilis in Sanctis suis. Voilà tout le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Non, Chrétiens, rien n'est plus digne de nos admirations que ce que la foi nous révèle dans la solennité de ce jour, quand elle nous apprend que les Saints sont devant le trône de Dieu nos protecteurs et nos intercesseurs; et l'Ange de l'école, saint Thomas, en donne trois excellentes raisons : la première regarde Dieu même, la seconde est prise des Saints bienheureux , et la troisième se rapporte à nous. Celle qui regarde Dieu même est qu'en ceci il nous découvre visiblement les trésors de sa sagesse et de sa providence; l'autre, qui se tire des Saints bienheureux, est que la gloire dont ils jouissent en est infiniment relevée ; et la dernière qui se rapporte à nous, est que nous y trouvons de très-grands avantages pour l'intérêt de notre salut. Appliquez-vous, s'il vous plaît, à ces trois vérités.

Dieu fait éclater sa providence en nous donnant les Saints pour protecteurs et pour intercesseurs. Comment cela? parce qu'il établit par là le plus bel ordre et la subordination la plus parfaite qu'il puisse y avoir entre les hommes. Je m'explique : sur la terre, les hommes dépendent les uns des autres; et cette dépendance mutuelle les tient dans la subordination. Les sociétés, les familles, les républiques , les Etats , l'Eglise même , et les divers corps de la hiérarchie qui la composent, sont autant d'ordres que Dieu a établis dans le monde ; mais après tout, quoique Dieu en soit l'auteur, ces ordres sont sujets à être troublés par la malice des hommes; ceux qui y tiennent les premiers rangs ne sont pas toujours les plus dignes de les occuper ; ceux qui y commandent devraient souvent y obéir : on y voit des grands et des petits, des pauvres et des riches, des heureux et [des misérables, et cela est de la providence de Dieu ; mais les petits y sont opprimés par les,grands, et les grands enviés par les petits ; et c'est comme une suite infaillible de la corruption de L'homme. Il n'y a qu'un seul ordre exempt de ces imperfections, c'est celui que Dieu a formé, par sa providence, entre nous et les Saints : car outre que la grâce est le fondement de cet ordre, outre que le mérite en est la mesure, et que toute prééminence n'y est accordée qu'à la sainteté; j'y trouve encore une chose bien singulière ; et quoi? c'est que, dans cette subordination, la dépendance même

 

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est aimable. Nous n'envions point la condition des Saints qui sont au-dessus de nous, parce que nous savons qu'ils travaillent auprès de Dieu pour nous procurer le même bonheur; l'élévation de leur état n'a rien qui nous choque, parce que nous n'ignorons pas qu'ils ne souhaitent rien plus ardemment que de nous rendre aussi grands et aussi puissants qu'eux; enfin, la gloire qui fait naître communément l'orgueil dans ceux qui la possèdent, et la jalousie dans ceux qui y prétendent, a ici deux effets tout contraires ; car elle donne aux Saints des inclinations bienfaisantes pour nous, et elle nous inspire une reconnaissance affectueuse pour eux; en sorte que nous avons bien droit de nous écrier : Mirabilis Deus in Sanctis suis! Ce n'est pas tout; mais voici une pensée qui vous paraîtra encore plus solide et plus touchante : c'est le vénérable Pierre, abbé de Cluny, qui me la fournit dans une épître contre certains hérétiques de son siècle ; elle est digne de votre attention. Dieu, dit ce savant prélat, avait un important dessein ; il voulait qu'entre les membres de son Eglise, qui sont les fidèles, quelque éloignés qu'ils pussent être les uns des autres, il y eût jusqu'à la fin du monde un lien de communication ; et qu'étant tous, comme ils sont, les membres vivants du même corps, unis au même chef, qui est Jésus-Christ, et animés du même esprit, qui est l'Esprit-Saint, ils eussent entre eux une correspondance qui ne put jamais être interrompue. La difficulté était de choisir un moyen pour cela : car l'Eglise se trouvant partagée en trois différents états, c'est-à-dire glorieuse et triomphante dans le ciel, militante sur la terre, et souffrante dans le purgatoire, comment pouvait-elle entretenir une si parfaite société? Ce ne pouvait être par la foi, parce que la foi, avec ses obscurités et ses nuages, n'est plus d'usage dans le ciel ; ni par l'espérance, parce que les Saints, possédant tout dans Dieu, n'espèrent plus rien. Qu'a fait Dieu? afin que ces trois Eglises eussent entre elles le commerce qu'elles devaient avoir, il les a unies par la charité, qui est une vertu commune. Et comment s'en est-il servi ? Ah ! Chrétiens, c'est ici la merveille : il a ordonné que les Saints qui sont dans le ciel prieraient pour les fidèles qui sont sur la terre, et que les fidèles qui sont sur la terre intercéderaient pour ceux qui souffrent dans le purgatoire. Ces âmes captives, quoique justes, ne sont plus capables de satisfaire à Dieu par elles-mêmes : Dieu veut que nous le fassions pour elles; et

 

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parce qu'en nous employant pour elles, nous sommes souvent indignes d'être exaucés, Dieu veut que les Saints, qui ont tout crédit auprès de lui, sollicitent pour nous. Nous offrons à Dieu, pour le soulagement de nos frères, des sacrifices et des satisfactions; et les bienheureux font pour nous des vœux et des prières. Ainsi l'Eglise triomphante s'intéressant pour la militante, et la militante compatissant aux peines de l'Eglise souffrante, de là résulte cette harmonie divine du corps mystique de l'Eglise, je veux dire la communion des Saints, qui est un des principaux articles de notre religion : Communionem Sanctorum. Or, dans cette communion la providence de notre Dieu n'est-elle pas souverainement adorable? Mirabilis Deus in Sanctis suis.

Mais tout cela est trop relevé pour la fin que je me suis proposée, qui est la réformation de nos mœurs : venons à la gloire des bienheureux mêmes. Car je prétends, en second lieu, que c'est pour en rehausser l'éclat que Dieu les a établis nos patrons et nos protecteurs. Le Prophète royal estimait qu'il était nécessaire de publier par toute la terre l'honneur que Dieu fait à ses Saints; et il était persuadé qu'il n'y avait point de motif plus efficace pour exciter dans nos cœurs le zèle de sa sainteté : Filii hominum , usquequo gravi corde ? ut quid diligilis vanitatem, et quœritis mendacium? Et scitote quoniam mirificavit Dominus sanctum suum (1) ; Enfants des hommes ( c'est à nous qu'il parlait, mes chers auditeurs), enfants des hommes, qui n'aimez que la vanité, et qui ne cherchez que le mensonge , jusqu'à quand demeurerez-vous dans cet aveuglement et dans cet assoupissement? Sachez qu'il y a d'autres biens à rechercher que les biens du monde ; sachez que le monde n'a rien que de vil et de méprisable, en comparaison de ces biens célestes où vous devez aspirer ; et pour vous en convaincre, envisagez la gloire dont Dieu se plaît à combler ses prédestinés. Cette vue seule vous détachera et vous détrompera de tout le reste. En effet, Chrétiens, si nous savions jusqu'à quel point Dieu honore ses élus dans ce royaume qu'il leur a préparé, nous n'aurions plus que du dégoût pour tout ce qui s appelle honneur du siècle, et nous dirions sans peine avec l'Apôtre : Verumtamen omnia detrimentum feci, et arbitror ut stercora (1). Mais le moyen de le savoir? car saint Paul déclare que jamais l'œil n'a vu, ni l'oreille n'a entendu, ni le cœur de l'homme n'a compris ce que Dieu

 

1 Psalm., IV, 4. — 2 Philip., III, 8.

 

réserve à ceux qui l'aiment. Il est vrai; mais le Saint-Esprit dont les révélations et les oracles sont, comme parle Vincent de Lérins, le supplément de notre intelligence, nous en a dit assez. Et quelle conjecture nous donne-t-il de la gloire des bienheureux? Celle-ci, que je vous prie de bien méditer : c'est que Dieu a voulu que les Saints fussent après Jésus-Christ (ne vous offensez pas de ce terme) comme nos médiateurs ; c'est qu'il a choisi les Saints pour être comme les canaux par où ses grâces découlent sur nous; c'est qu'il leur a donné un plein pouvoir pour nous protéger ; c'est qu'il accorde tout à leur intercession ; c'est qu'il ne peut, ce semble, leur résister quand ils lui parlent en notre faveur; c'est qu'il se laisse  fléchir par eux, jusqu'à suspendre, et même, selon le langage du texte sacré, jusqu'à (évoquer les arrêts de sa justice. Combien de fois en a-t-il usé de la sorte, et combien de fois, en considération de David, a-t-il calmé sa colère et retenu son bras, lorsqu'il était prêt à se venger des rois d'Israël et de Juda? n'apportant point d'autre raison pourquoi il arrêtait ses coups ,  que celle-ci : Propter David servum meum (1). Si les Saints de l'ancienne loi étaient si puissants, ceux de la loi de grâce le sont-ils moins? Et si Dieu eut tant d'égard pour la personne de David et des prophètes, que refusera-t-il aux martyrs qui ont été les confesseurs de son  nom, aux apôtres qui ont été les colonnes de son Eglise, aux vierges qui sont ses épouses, et surtout à la reine des Saints, qu'il a choisie pour sa mère? Or je dis, mes chers auditeurs, que c'est là une des plus illustres prérogatives de la gloire des Saints.  Ces rayons lumineux qui les environnent, cet éclat, cette beauté , cette agilité de leurs corps, cette magnificence du palais où ils habitent, ces troues où ils sont assis, ce ne sont que de faibles accidents et de légères marques de leur grandeur : mais cette vertu qu'ils ont de nous attirer les secours d'en-haut, cette fonction d'offrir à Dieu nos prières, de lui faire agréer nos vœux, de plaider devant lui notre cause, fonction qui les rend comme les agents et comme les coopérateurs de notre salut éternel : ah ! Chrétiens, voilà ce qui me fait comprendre l'excellence de leur état. Car je tire la conséquence, et je dis : Si ces bienheureux ont tant de pouvoir pour les autres, quels trésors de gloire ne possèdent-ils pas pour eux-mêmes, et quel est le fonds de leur béatitude, puisqu'ils le répandent si abondamment sur tous ceux qui les prient et qui les invoquent?

 

1 Isa., XXXVIII, 37.

 

Cela seul, encore une fois, me donne une haute idée de leur félicité ; et c'est pourquoi David , parfaitement instruit de ce mystère, le réduisait toujours à ce point : Nimis honorificati sunt amici tui, Deus : nimis confortatus est principatus eorum (1); Seigneur, disait-il à Dieu, vos amis et vos Saints sont honorés jusqu'à l'excès : comment? parce que leur principauté, c'est-à-dire, selon la version hébraïque, la commission qu'ils ont de nous secourir est d'une étendue infinie.

Au reste, Chrétiens, c'est en cela même que Dieu nous doit toujours paraître admirable. Car prenez garde, s'il vous plaît, à la belle réflexion de Guillaume de Paris : Il était, dit ce Père, de la justice que les Saints fussent honorés sur la terre ; il ne suffisait pas que leur béatitude nous fût connue, si nous ne rendions à leur sainteté un culte de religion ; c'était le tribut qu'ils avaient droit d'exiger de nous : mais parce que nous sommes intéressés, et que, nous recherchant en tout, nous aurions peu pensé aux Saints, si nous n'avions su que les Saints pensaient à nous, Dieu s'e?t servi de notre intérêt pour leur gloire ; et il nous a mis dans la nécessité d'avoir recours à eux, et de leur rendre des devoirs de piété pour mériter la grâce de leur assistance. C'est pour cela qu'il a donné à chaque Saint un pouvoir spécial que les autres n'ont pas, afin de nous engager à les invoquer fous ; c'est pour cela qu'il nous inspire quelquefois plus de dévotion pour un Saint moins glorieux dans le ciel, et qu'il nous accorde par lui ce que nous n'obtiendrions pas par un autre ; c'est pour cela qu'aujourd'hui l'Eglise leur rend à tous un honneur commun. Et voyez, Chrétiens, jusqu'à quel point ce dessein de Dieu a réussi : de là vient le zèle que tous les peuples dans le christianisme ont pour le culte des Saints ; de là vient que les Saints sont les patrons des villes, les protecteurs des royaumes, les anges tutélaires des Etats; qu'on consacre des temples à leur mémoire, qu'on offre des sacrifices en leur nom, qu'on se prosterne devant leurs tombeaux, que leurs ossements et leurs cendres sont en vénération par toute la terre. Qui fait cela ? ce besoin que nous avons des Saints et de leur secours auprès de Dieu, ou plutôt la sage disposition de Dieu, qui a voulu leur faire trouver dans notre dépendance leur élévation : Mirabilis Deus in Sanctis suis.

Mais après tout, mes Frères, dit saint Bernard, en voici le point qui nous touche, ce

 

1 Psalm., CXXXVIII, 17.

 

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pouvoir si ample que Dieu a donné aux Saints n'est point aussi honorable pour eux qu'il est avantageux pour nous ; et quand nous célébrons leur fête, c'est plus pour nous-mêmes que pour la gloire qui leur en revient : Prorsus ita est, fratres, quod eorum memoriam veneremur, nostra interest, non ipsorum. Appliquez-vous à cette dernière considération. Les Saints prient pour nous : c'est un des dogmes de notre foi, que l'hérésiarque Vigilantius osa contester, prétendant que ces bienheureux ne prenaient aucun soin de tout ce qui se passe en ce monde, et qu'ils n'en avaient même nulle connaissance. Car voilà la source où nos religionnaires ont puisé ; mais dès ces premiers temps l'erreur fut confondue, et la vérité triompha. L'épître 67 de saint Jérôme en est un monument authentique. Or cela présupposé , qui doute que les prières des Saints pour nous ne contribuent à notre salut plus que nos propres prières? Car, hélas ! Chrétiens, quelles prières faisons-nous, et ne sont-elles pas presque toujours le sujet de notre condamnation devant Dieu? pourquoi? parce que nous prions selon les désirs de notre cœur, qui sont injustes et déréglés; nous ne savons ce que nous demandons, ou plutôt nous demandons ce que nous savons nous être pernicieux, et nous ne demandons pas ce qui doit nous procurer le souverain bien. Mais les Saints, qui voient dans Dieu nos véritables besoins, ne demandent pour nous que ce qui nous est salutaire, et ce qui sert à nous sanctifier et à nous sauver; leurs prières sont efficaces, parce qu'il n'y en a pas une qui ne soit dans l'ordre des décrets de Dieu, et conforme à ses desseins. En quoi je vous prie de remarquer, avec l'abbé Rupert, un trait merveilleux de la miséricorde du Seigneur, qui s'étant engagé dans l'Evangile à nous accorder tout ce que nous lui demanderons : Quodcumque volueritis , petetis , et fiet vobis (1); prévoyant d'ailleurs que nous abuserions souvent de cette promesse, en lui demandant de faux avantages qui nous perdraient, a fait intervenir les Saints, qui prient pour nous contre nous-mêmes, quand l'objet de nos prières n'est pas tel qu'il doit être ; de sorte que, sans manquer à sa parole, il a droit de ne nous pas exaucer, parce qu'il exauce ceux que nous employons auprès de lui pour lui recommander nos intérêts.

Ajoutez que la prière d'un Saint est par elle-même bien plus puissante que toutes les nôtres,

 

1 Joan., XV, 7.

 

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puisque la dignité de la personne qui prie relève le mérite de la prière. Ajoutez que les Saints , dans un parfait désintéressement, prient pour nous avec une charité bien plus épurée ; ajoutez que la présence et la vue de Dieu rend leurs prières beaucoup plus attentives, comme l'exercice de son amour les rend beaucoup plus ferventes. Et voilà ce qui me ravit, et ce qui me donne tout ensemble de la confusion, de voir que ces élus de Dieu prient pour nous avec plus de zèle et plus d'empressement que nous-mêmes ; que leur état les exemptant de toute inquiétude pour leurs propres personnes, ils ne laissent pas, en quelque manière, de s'inquiéter pour nous; qu'autant qu'ils sont tranquilles sur ce qui regarde leur béatitude éternelle, autant sont-ils en peine de notre salut : Jam de sua immortalitate securi, et de nostra salute solliciti.

Ce sont là, Chrétiens, les obligations essentielles que nous avons à ces glorieux protecteurs. Comptons les grâces que nous avons reçues, les malheurs dont nous avons été préservés, les périls d'où nous sommes heureusement sortis, c'est de quoi nous devons aux Saints une éternelle reconnaissance. Combien de fois se sont-ils présentés pour nous devant le trône de Dieu, et combien de fois ont-ils détourné les foudres du ciel prêts à tomber sur nos têtes? Voilà ce qui les occupe : au milieu de leurs triomphes, ils pensent à nos misères; ils ne sont pas comme ces bienheureux du siècle que la fortune a élevés, et qui ne connaissent plus ceux qu'ils ont laissés derrière eux : leur gloire les unit à Dieu , mais elle ne les détache pas de nous; au contraire, elle ne les rend encore que plus charitables envers nous, que plus vigilants et que plus ardents : Mirabilis Deus in Sanctis sitis, in quibus prœsidium nobis constituit.

Cependant, mes chers auditeurs, comment répondons-nous à leur soin ? que dis-je, et quel abus ne faisons-nous pas du culte et de l'invocation des Saints? De leur culte (ne perdez rien de cette morale ; peut-être en vous découvrant un désordre que le libertinage du monde vous a caché jusqu'à présent, vous obligera-t-elle à prendre des mesures pour le corriger), de leur culte : car les devoirs sont réciproques; et il est juste qu'une dévotion sincère et respectueuse de notre part soit au moins le fruit d'une protection si avantageuse et si puissante. Et en effet, quand un grand nous appuie de son crédit, que ne faisons-nous pas pour lui marquer notre attachement? le monde nous apprend cette leçon : or il est question de savoir si nous la pratiquons à l'égard des Saints. Ah ! Chrétiens, permettez-moi de vous en faire le reproche, après me l'être fait à moi-même, c'est là que paraît non-seulement notre ingratitude, mais notre impiété. Les Saints sont nos intercesseurs auprès de Dieu ,  et nous leur faisons tous les jours mille outrages ; ils prient pour nous dans le ciel, et nous les déshonorons sur la terre. L'Eglise , sous leur nom , érige des temples, et nous les violons ; elle leur consacre des fêtes, et nous les profanons ; elle célèbre leurs offices, et nous y assistons, je ne dis pas sans religion, mais avec un esprit d'irréligion. Tout ce qui a rapport aux Saints nous devient une matière de péché. Ces temples, dis-je, qui sont les monuments publics de leur sainteté, et qui, pour cela même, étaient autrefois appelés les mémoires des martyrs : Memoriœ martyrum, comment  les fréquentons-nous, comment nous y comportons-nous, quels scandales y commettons-nous? Ce sont des maisons de prières, et l'on en fait des lieux de commerce et de rendez-vous ; ils sont destinés au sacrifice du vrai Dieu, et l'on s'y entretient des intrigues et des affaires du siècle ; au lieu que le Seigneur y devrait être glorifié dans ses Saints, c'est là que les Saints et le Seigneur sont plus exposés aux insultes et aux mépris des hommes. Ce que je dis n'est-il pas encore au-dessous de la vérité ? Mais ce n'est pas assez : leurs fêtes, que l'Eglise nous ordonne de sanctifier, et à quoi les premiers fidèles se préparaient si religieusement par des veilles et par des jeûnes, comment les solennisons-nous? puis-je  le dire et pouvez-vous l'entendre sans rougir? C'étaient pour ces fervents chrétiens de la primitive Eglise des jours de piété, et ce ne sont pour nous que des jours de licence, que des jours de divertissement et de jeux, que des jours de parties et de débauches, que des jours au moins de paresse et d'oisiveté : en sorte que, pour l'honneur même des Saints, on a jugé nécessaire d'en retrancher et d'en abolir. Car, reconnaissons-le à notre honte, un des motifs de cette suppression, c'a été le relâchement et l'indévotion des peuples. La fête d'un martyr, disait saint Bernard, est devenue, par la corruption de nos mœurs, une fête toute mondaine. On honore le précurseur de Jésus-Christ, c'est-à-dire le plus austère et le plus abstinent des hommes, par des intempérances et des excès.

Après cela, aurions-nous bonne grâce de reprocher aux hérétiques de notre siècle le mépris qu'ils ont fait du culte des Saints, et ne

 

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pourraient-ils pas bien nous répondre ce que Tertullien répondait aux païens de Rome, qui se plaignaient que les chrétiens méprisaient leurs dieux? il leur faisait voir que leurs dieux devaient plus se tenir offensés d'eux-mêmes et de leur conduite, que des chrétiens : Nescio plusne dii vestri de nobis, quam de vobis querantur. Car, en effet, si les chrétiens méprisaient les dieux de Rome, c'était par raison et par principe , comme ne les connaissant pas ; au lieu que ces païens les méprisaient par libertinage , et par le dérèglement de leurs passions. Nos hérétiques, dis-je, n'auraient-ils pas sujet de nous faire la même réponse? Nescio plusne Sancti vestri de nobis, quam de vobis querantur. Voilà ce que j'appelle l'abus du culte des Saints, et voici l'abus de leur invocation. Car pourquoi prions-nous les Saints, et pourquoi avons-nous recours a eux? ne parlons point de ces prières abominables , et, selon le terme de l'Ecriture, exécrables, qui feraient des Saints, s'ils les écoutaient, les fauteurs de nos vices ; de ces prières où l'on ose invoquer un Saint pour le succès d'une entreprise injuste, pour le maintien d'une fortune bâtie sur l’iniquité, pour l'heureuse issue d'une affaire dont l'artifice, la ruse, la mauvaise foi sont les ressorts, pour la satisfaction ou d'une aveugle cupidité, ou d'une vengeance secrète et raffinée. Que des infidèles, dit saint Augustin , qui n'adoraient que des divinités chimériques, et qui même se figuraient ces faux dieux encore plus corrompus qu'eux, leur aient autrefois adressé de semblables prières , je ne m'en étonne pas ; mais l'opprobre de notre religion est qu'invoquant les Saints glorifiés par les vertus chrétiennes , nous ne rougissions pas de leur demander ce qui va à la destruction et à l'anéantissement de toutes les vertus. Je serais infini, si je voulais m'étendre sur ce point; ne parlons pas même de ces prières mondaines et intéressées qu'on fait aux Saints pour des biens tout profanes, tels que sont les richesses et les honneurs du siècle, sans leur demander jamais d'autres biens qui regardent notre avancement dans les vertus chrétiennes, et la sanctification de nos âmes. Comme si ces élus de Dieu, si je puis ainsi m'exprimer, ne nous étaient bons que quand il s'agit des prospérités temporelles, que quand il s'agit d'obtenir un temps favorable pour rendre nos campagnes fertiles et nos moissons abondantes, que quand il s'agit de détourner le fléau d'une maladie contagieuse ou d'une calamité publique, que quand il s'agit d'éloigner de nos terres des puissances ennemies et de repousser leurs efforts, que quand il s'agit de relever une famille ruinée, de rétablir une santé affaiblie, de se tirer d'un mauvais pas où l'on se trouve engagé, et où l'on craint de se perdre selon le monde; de parvenir à son rang, à une dignité, et d'avoir de quoi en soutenir l'éclat. Car c'est sur de pareils sujets et en de semblables occasions qu'on reconnaît volontiers le pouvoir des Saints, et qu'on tâche à l'employer auprès de Dieu. Mais s'agit-il du salut et de tout ce qui y peut contribuer; s'agit-il de détruire une habitude vicieuse, et de renoncer à un engagement criminel ; s'agit-il de se préserver des pièges du monde et de sa corruption ; s'agit-il de vaincre une passion qui nous domine, de dompter la chair qui se révolte, de surmonter une tentation à laquelle nous n'avons que trop de fois succombé? c'est alors que le crédit des Saints nous est absolument inconnu, ou que nous agissons au moins comme s'il nous était absolument inconnu, parce que nous craignons qu'il ne lut trop efficace. Tout cela, Chrétiens, est sensible, et se fait voir par soi-même. Mais voici quelque chose de plus intérieur, que le devoir de mon ministère m'oblige à vous développer : malheur à moi si j'omettais une si salutaire instruction, et malheur à vous-mêmes si vous n'en profitez pas !

Le grand abus de l'invocation des Saints, dans les prières même en apparence les plus religieuses, c'est que nous voulons qu'ils demandent à Dieu pour nous ce que Dieu, en conséquence de ses décrets éternels, qu'il ne changera jamais, ne peut nous accorder; ce que Dieu, suivant les règles de sa sagesse, ne veut pas nous accorder, et ce qu'en effet il n'est pas à propos qu'il nous accorde. Nous invoquons les Saints; et abusant de l'avantage que nous avons d'être, pour ainsi dire, sous leur sauvegarde, nous prétendons vivre sans soin, sans vigilance, sans attention sur nous-mêmes. Nous invoquons les Saints; et par une fausse confiance en leur secours, nous prétendons que, pour l'accomplissement de nos vœux et pour le succès de notre prière, il suffise de les avoir invoqués. Nous invoquons les Saints, et en leur demandant l'esprit de pénitence, nous prétendons qu'il ne nous porte à rien qui nous gène, à rien qui nous coûte, à rien qui nous mortifie. Nous invoquons les Saints ; et en leur demandant la grâce de notre conversion, nous prétendons que cette conversion chimérique ne nous engage à nulle avance de notre part, ni à nulle violence; que nos liens se rompent

 

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d'eux-mêmes ; que notre cœur se trouve tout à coup dégagé, libre, tranquille, et qu'il jouisse des douceurs du triomphe, sans avoir éprouvé les peines du combat. Nous invoquons les Saints ; et en leur demandant certaines vertus, nous prétendons n'avoir nulles mesures à prendre pour les acquérir : souvent même ne craignons-nous pas de les obtenir , comme saint Augustin, avant qu'il se fut détaché de ses profanes engagements, demandait la continence, et souhaitait secrètement et au fond de l'âme de n'être pas exaucé ? Nous invoquons les Saints; et selon notre gré, selon nos vues qui nous trompent, nous leur marquons les grâces que nous attendons du ciel par leur médiation, et que nous voulons avoir, quoique ce soient des grâces qui ne nous conviennent pas, et qui quelquefois serviraient plutôt à notre perte qu'à notre salut. Ah 1 Chrétiens, souvenons-nous que si les Saints sont puissants auprès de Dieu, ils ne le sont pas au préjudice de Dieu même, et de ce que nous lui devons ; qu'ils sont puissants, mais d'une puissance réglée et ordonnée , d'une puissance toujours renfermée dans l'étendue de la loi éternelle ; c'est-à-dire qu'ils sont puissants pour nous aider, et non pas pour nous décharger de tout le travail : puissants pour nous faire agir, et non pas pour nous entretenir dans une indolence paresseuse et lâche ; puissants selon les desseins de Dieu , et non pas selon nos désirs aveugles et nos caprices. Invoquons-les : c'est pour cela que Dieu les a faits nos protecteurs : mais puisque ce sont des Saints, invoquons-les chrétiennement et saintement ; car si nous les invoquons en mondains, de protecteurs qu'ils doivent être pour nous défendre et pour nous secourir, nous en ferons nos témoins et nos juges, pour nous accuser et pour nous condamner. Invoquons-les, mais dans des sentiments et des vues qui les honorent. Autrement, mes chers auditeurs, savez-vous comment ils paraîtront devant le trône de Dieu ? apprenez-le de cette terrible vision qu'en eut saint Jean, et dont il parle dans son Apocalypse. Car il les vit en la présence du Seigneur; et il les entendit non point priant pour les hommes, mais demandant justice contre les hommes : Usquequo non vindicas sanguinem nostrum de iis qui habitant in terra (1) ? Justice non-seulement contre les hommes qui les ont méprisés pendant leur vie, qui les ont persécutés, accusés, condamnés ; non-seulement contre ces hommes libertins et impies qui profanent leurs fêtes ; et

 

1 Apoc , VII, 10.

 

qui raillent du culte que nous leur rendons, mais contre nous-mêmes, qui faisons ou qui voulons faire de leur protection un usage si contraire aux desseins de Dieu et si indigne d'eux : Usquequo non vindicas sanguinem nostrum de iis qui habitant in terra ? Quoi qu'il en soit, Dieu n'en est pas moins admirable dans ses Saints, admirable de nous les avoir donnés pour protecteurs, et admirable de nous les proposer comme modèles : vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Une des tentations les plus dangereuses à quoi l'homme sur la terre soit exposé, c'est le scandale ; mais aussi, par une règle toute contraire, puis-je ajouter qu'une des grâces les plus fortes et les plus efficaces que Dieu emploie pour ménager notre conversion et notre salut, c'est le bon exemple. En quelque dérèglement de vie que nous puissions être, et quelque opposition que nous ayons à rentrer dans Tordre et dans la soumission que nous devons à Dieu, si nous considérons bien l'exemple des Saints, il n'est presque pas possible qu'il n'opère en nous trois merveilleux effets ; je veux dire qu'il ne nous persuade la sainteté, qu'il ne nous adoucisse la pratique de la sainteté, et qu'il ne nous ôte tout prétexte pour nous défendre d'embrasser la sainteté. D'où je conclus qu'il nous réduit à une heureuse nécessité d'être Saints par imitation, comme les Saints l'ont été par devoir et par esprit de religion. Et voilà en quoi je disque Dieu est admirable de nous avoir donné les Saints pour modèles : Mirabilis Deus in Sanctis suis.

Oui, Chrétiens, les Saints sont des modèles qui nous persuadent la sainteté ; et il y a dans cette persuasion un certain charme qui gagne également le cœur et l'esprit. Ce n'est ni raisonnement, ni autorité ; c'est quelque chose qui tient de l'un et de l'autre, qui a tout le poids de l'autorité, qui a toute la force du raisonnement, mais qui de plus a je ne sais quoi que tous les raisonnements et toutes les autorités n'ont pas ni ne peuvent avoir. Comment donc la vie d'un Saint nous persuade-t-elle? En nous faisant comprendre, d'une simple vue, toute la perfection et tout le mérite de la sainteté. Qu'est-ce qu'un Saint? Un Saint, répond Guillaume de Paris, c'est une idée réelle, visible, palpable et substantielle de toute la perfection évangélique. Et quand Dieu nous met un Saint devant les yeux, que nous dit-il? Ce qu'il

 

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dit autrefois, à Moïse, en lui faisant voir la figure du tabernacle : Inspice, et fac secundum exemplar (1) ; Regarde, Chrétien, ce portrait vivant et animé : voilà ce que tu dois être, et sur quoi je veux que tu te formes; c'est dans l'exemple de ce prédestiné et de ce Saint que tu apprendras à observer ma loi, à accomplir la justice, à garder la charité, à satisfaire aux devoirs de la religion, à régler toute la conduite de ta vie : Inspice. Cet exemple t'instruira de ce que tu dois à ton Dieu, et de ce que tu dois à ton prochain ; comment il faut user des biens de la terre, et comment il faut s'en abstenir; quelle doit être la mesure de tes occupations, et quelle doit être celle de tes divertissements ; en un mot, ce que tu as à faire et ce que tu as à éviter pour vivre en chrétien : Inspice. Ainsi Dieu nous donne-t-il dans les Saints de quoi nous instruire et nous toucher. Il ne faut pour cela ni discours, ni préceptes : la vue d'un Saint est une leçon intelligible à tout le monde; les grands esprits et les simples, les spirituels et les ignorants sont également capables de la comprendre. Car on peut bien appliquer ici ce que saint Chrysostome disait du firmament. Vous me demandez comment le ciel parle, et comment il nous annonce les grandeurs de Dieu ? C'est, répondait ce Père, par sa splendeur et par la variété de ses étoiles; il n'a point d'autre langage que celui-là, ni d'autre voix; mais cette voix, toute muette qu'elle est, a retenti dans toutes les parties du monde : le Scythe, l'Indien, le Grec, le Barbare, tous l'entendent : Et Scytha, et Barbarus, et Indus hanc vocem audiunt. Disons le même des Saints; leur vie nous parle, et nous explique toute la loi de Dieu : comment? par les vertus dont elle a été ornée; et ce que nous aurions peine à concevoir dans la loi même, ce qui nous paraîtrait obscur dans les livres, ce que toutes les paroles des hommes ne nous développeraient qu'imparfaitement, nous est mis sous les yeux, et clairement exprimé dans l'exemple de ces élus de Dieu ; de sorte que les plus grossiers en sont instruits : Barbarus et Indus hanc vocem audiunt. Or il n'est pas possible de voir la sainteté, je dis la vraie sainteté telle qu'elle a été dans les Saints, sans en reconnaître d'abord tout le mérite, et sans lui donner notre estime. Ces excellents caractères qui lui sont propres, et en quoi consiste sa perfection, cette piété, cette humilité, ce désintéressement, ce détachement de soi-même, cet esprit de justice et de charité, cette droiture et

 

1 Exod., XXV, 40.

 

cette bonne foi, cette règle et cette sagesse, cette constance et cette force héroïque, tout cela nous convainc malgré nous qu'il n'y a rien de plus respectable, rien de plus aimable, et par conséquent rien de plus désirable : or, nous remplir de ces sentiments à l'égard de la sainteté, n'est-ce pas nous la persuader? Tout ce que nous pourrions lui opposer, ce serait d'être, ce semble, trop parfaite, et d'exiger trop de nous, puisque, pour nous faire saints, elle nous engage à être ennemis de nous-mêmes, jusqu'à faire à Dieu le sacrifice de notre vie. Mais cela même, reprend saint Augustin , est encore bien justifié par l'exemple de ces glorieux athlètes que le christianisme honore sous le nom de martyrs. Car leur exemple, tout admirable qu'il est, nous apprend qu'ils n'ont rien fait pour Dieu que ce que font tous les jours des sujets fidèles pour le service de leur prince, et que ce devoir si éminent de sainteté n'est, après tout, qu'un devoir commun, fondé sur la première loi de la nature, qui oblige l'homme à mourir, plutôt que de trahir son Dieu et sa religion.

Voilà, dis-je, ce que l'exemple des Saints nous persuade : celui de Dieu, quoique infiniment plus relevé, ne pouvait sur tout cela nous donner les mêmes lumières; pourquoi? saint Grégoire, pape, en apporte une belle raison : Non-seulement, dit-il, parée que la sainteté de Dieu est une sainteté invisible, inaccessible, incompréhensible, et par là, si j'ose ainsi m'exprimer, incapable de nous servir d'exemple, mais beaucoup plus (écoutez ceci), parce qu'à le bien prendre, Dieu n'est pas saint de la manière que nous devons l'être, et que la sainteté n'est point dans lui ce qu'elle doit être dans nous. Car dans nous, la sainteté est inséparable de la pénitence ; or la pénitence ne peut non plus convenir à Dieu que le péché : dans nous, une partie de la sainteté est de nous soumettre, de dépendre, d'obéir, voilà ce qui nous sanctifie; et en Dieu c'est tout le contraire : nous sommes saints parle mépris que nous faisons de nous-mêmes, et Dieu est saint par la gloire qu'il se donne à soi-même; il est saint dans une possession entière et parfaite de sa béatitude, et nous sommes saints par la patience dans nos misères, et ainsi du reste. Dieu pouvait donc bien, conclut saint Grégoire, nous commander la sainteté; mais il ne pouvait nous persuader par son exemple la sainteté, parce qu'il ne pouvait pas être notre modèle sur la plupart des vertus dont il faut que notre sainteté soit composée, et qui en

 

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font les principales parties. Mais qu'a-t-il fait? 11 nous a donné des hommes comme nous , et de même nature que nous, qui se sont sanctifies par toutes ces vertus ; et en nous les mettant devant les yeux, il a suppléé, pour ainsi dire, par leur exemple, ce qui manquait au sien. Car il nous fallait des modèles de sainteté qui nous touchassent et qui eussent une certaine proportion avec nous, pour pouvoir remuer les ressorts les plus intimes de notre cœur : or il n'y avait que les saints propres pour cela, et capables de faire cette impression sur nous. Et en effet, Chrétiens, c'est ainsi que l'Esprit de Dieu a de tout temps excité les hommes, et qu'il leur a inspiré les désirs ardents de la sainteté. C'est par là que ce généreux prince des Machabées, l'illustre Mathathias, étant proche de la mort, confirma ses enfants dans le culte du Seigneur et dans la vraie religion. Tout ce que je vous demande, leur dit-il, mes chers enfants, c'est que vous ne perdiez jamais le souvenir de ce qu'ont fait vos ancêtres pour le Dieu d'Israël ; car avec cela je me promets tout de vous. Représentez-vous souvent l'obéissance d'un Abraham , jusqu'à ne pas épargner son fils unique ; la fidélité d'un Joseph envers son maître, aux dépens de sa fortune et de sa liberté; la modération d'un David envers ses ennemis, au préjudice des intérêts les plus délicats de sa couronne; le zèle d'un Elie dans la cour des rois, au péril même de sa vie : et ainsi, parcourant de siècle en siècle et de génération en génération , vous trouverez qu'il n'y a point de parti dans le monde plus honorable ni plus solide que celui de servir Dieu. Ce furent les paroles de ce saint vieillard, que je puis bien appeler, avec saint Jérôme, un homme évangélique avant l'Evangile même : Virum ante Christi Evangelia evangelicum : et ces paroles produisirent dans la personne des jeunes Machabées, non pas les effets, mais les miracles de vertu dont vous avez entendu le récit. C'est pour cela même que le second concile de Nicée autorisa si fortement et si constamment l'ancienne tradition d'exposer les images des saints à la vénération des peuples; et nous savons, par le rapport de saint Damascène, qu'une des raisons qui détermina les Pères du concile fut celle-ci : savoir, que les fidèles voyant ces images, seraient excités à imiter dans la pratique ce qu'ils honoraient dans la figure et dans la représentation. Enfin , c'est pour cela que l'Eglise, après nous avoir présenté l'exemple de chaque saint en particulier dans les autres fêtes de l'année, tire aujourd'hui le rideau, s'il m’est permis d'user de cette expression, et nous les montre tous , espérant que la vue de tant d'exemples nous convaincra et nous convertira; comme si elle nous disait : Voyez, Chrétiens, voilà les héros de votre foi; voilà ces hommes dont le monde n'était pas digne, et qui, en méprisant le monde, se sont rendus dignes de Dieu ; voilà ceux qui remplissent le ciel. Comparez-vous à eux, et dans l'éloignement infini que cette comparaison vous fera, découvrir entre eux et vous , confondez-vous de ce que vous êtes, et aspirez à ce que vous n'êtes pas. Au lieu de ces vertus mondaines que vous affectez, et qui n'ont ni vérité ni solidité; au lieu de cette prudence de la chair qui vous aveugle, et qui est ennemie de Dieu ; au lieu de cette politique dont vous vous faites une conscience, et qui vous jette dans un abîme de péchés ; au lieu de cette science du monde que vous vantez tant, et dont tout le fruit est de vous bâtir sur la terre des fortunes périssables que la mort détruira bientôt; au lieu de tout cela, attachez-vous aux vertus chrétiennes, qui font les élus et les prédestinés. Il n'y a pas un saint dans le ciel, dont l'exemple ne soit pour vous une leçon : étudiez-les tous, et si vous voulez sanctifier votre ambition jusqu'à en faire une vertu, tâchez même à l'emporter sur eux : Aemulamini charismata meliora (1). C'est ce que l'Eglise nous dit, et à quoi il faut que nous répondions.

Mais ce que l'Eglise ou plutôt ce que Dieu demande de nous , le pouvons-nous dans l'extrême faiblesse où nous sommes, et au milieu de tant d'obstacles que nous rencontrons dans le monde ? Ah ! Chrétiens, c'est ici le grand point de notre instruction, et le second effet de l'exemple des Saints. Oui, nous le pouvons; et quoique l'esprit d'impénitence et de libertinage, qui règne dans nous, puisse nous faire penser le contraire, ces élus de Dieu seront des preuves éternelles que la sainteté n'a rien d'impossible ; qu'elle n'a rien même de fâcheux ni de difficile pour ceux qui aiment Dieu ; qu'elle a ses douceurs, ses consolations, aussi bien que le monde, et des consolations, des douceurs infiniment plus pures que celles du monde. Vérités, mes chers auditeurs, dont les Saints rendront témoignage contre nous au jugement de Dieu, et le témoignage le plus convaincant. Appliquez-vous. Nous mettons la sainteté au rang des choses impossibles ; c'est par où notre libertinage voudrait se maintenir.

 

1 1 Cor., XII, 31.

 

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Mais Dieu nous empêche bien aujourd'hui de nous prévaloir de cette pensée. Il est vrai que pour être saint il faut faire effort, prendre sur soi, renoncer aux sentiments naturels, fuir les plaisirs, dompter ses passions, mortifier ses sens; et le moyen, dit-on, d'en venir là, et de s'y soutenir? Ah! Chrétiens, autre merveille de la sagesse de Dieu : Mirabilis Deus in Sanctis suis. Car je conviens que cela surpasse les forces de la nature , je conviens qu'il n'y a rien là que de grand; mais Dieu n'est-il pas admirable de nous avoir facilité tout cela, de nous l'avoir adouci jusqu'à pouvoir dire que si sa loi est un joug, c'est un joug léger et un fardeau aisé à porter ? Jugum meum suave, et onus meum leve (1). Or il l'a fait, en nous donnant les Saints pour exemple. Avant cet exemple des Saints , nous pouvions trembler , et notre crainte semblait raisonnable ; mais maintenant qu'on nous montre tant de martyrs, tant de vierges, tant de glorieux confesseurs qui ont marché devant nous, et qui nous ont tracé le chemin , que pouvons-nous trouver d'impossible? Eh quoi! ils ont pu vivre dans les déserts et sur des rochers escarpés; ils ont pu s'ensevelir dans l'obscurité du cloître, et en supporter toutes les austérités ; ils ont pu joindre ensemble les prières presque continuelles, les longues et fréquentes veilles, les jeûnes rigoureux, les sanglantes macérations, tout ce qu'inspire l'esprit de pénitence et l'abnégation évangélique; ils ont pu se laisser condamner aux tourments les plus affreux, et les endurer. Voilà, disait l'Apôtre , ce qu'ont fait et ce qu'ont souffert tant de Saints ; ils ont bien voulu servir de sujets à la cruauté des hommes ; ils se sont exposés aux outrages, aux fouets , aux chaînes, aux prisons ; les uns ont éprouvé toute la violence du feu, les autres ont passé par le tranchant des épées, plusieurs ont été dévorés des bêtes féroces , ont été lapidés, ont été sciés : Lapidati sunt, secti sunt (2). Après cela, mes chers auditeurs, retranchez-vous sur votre faiblesse et sur une impossibilité prétendue. Avez-vous les mêmes combats à livrer? vous trouvez-vous dans les mêmes occasions de signaler votre courage et d'exercer votre patience? ce qu'on vous demande est-il comparable aux victoires que les Saints ont remportées, et aux obstacles qu'ils ont surmontés? Mais, dites-vous, si la sainteté n'est pas impossible, du moins est-elle bien difficile. Non, mes Frères, rien n'est difficile à ceux qui aiment Dieu comme les Saints.

 

1 Matth., XI, 30. — 2 Her., XI, 37.

 

L'ardeur de leur zèle , la ferveur de leur amour , leur générosité et leur résolution, leur ont aplani toutes les voies. Quand ont-ils senti les difficultés? ou s'ils les ont senties , quand s'en sont-ils plaints? quand en ont-ils été étonnés? quand ont-ils balancé et délibéré? Dès que vous serez animés du même zèle, que vous serez brûlés du même amour, que vous aurez pris les mêmes résolutions et avec la même générosité, ces peines que vous vous figurez comme des monstres disparaîtront et s'évanouiront. Tout vous deviendra facile, et même agréable. Je dis agréable : car nous voulons trouver du plaisir jusque dans la sainteté : sentiment bien indigne d'un chrétien ; mais tout indigne qu'il est, reprend saint Chrysostome , Dieu s'est accommodé en cela même à notre délicatesse, et l'exemple des Saints en est la preuve. Dès cette vie, ils ont goûté des douceurs et des consolations infiniment au-dessus de toutes les douceurs et de toutes les consolations du siècle. Au lieu de ces plaisirs infâmes et criminels que leur présentait le monde, et dont ils ont eu tant d'horreur, Dieu leur en a préparé d'autres tout célestes et tout divins. Peut-être ne les concevons-nous pas, parce que, plongés dans les sens, nous ne voulons pas nous mettre comme eux en état de les comprendre. Mais les fréquentes épreuves qu'ils en ont faites, et que nous ne pouvons désavouer, doivent bien nous convaincre là-dessus , et nous confondre. Tandis qu'au milieu des flammes, ainsi que nous l'apprend l'Ecriture, les réprouvés protestent qu'ils se sont lassés dans le chemin de l'iniquité : Lassati sumus in via iniquitatis (1) ; tandis que les esclaves du monde nous rendent eux-mêmes témoignage, qu'il n'y a pour eux dans la vie qu'amertume, que trouble, qu'affliction d'esprit : Exspectavimus pacem, et ecce turbatio (2); ces élus de Dieu nous assurent, tout au contraire, qu'ils n'ont jamais trouvé qu'en Dieu la source des vraies consolations ; que plus ils ont eu soin de se mortifier pour lui, plus il leur a fait sentir l'onction intérieure de la grâce; et que cette vie, qu'ils ont passée dans les pratiques les plus sévères du christianisme, bien loin de leur avoir paru dure et fâcheuse, était pour eux comme une béatitude anticipée. Pourquoi nous obstinerions-nous à ne les en pas croire, et quel intérêt auraient-ils eu à nous tromper? mais si nous les en croyons, pourquoi nous opiniâtrerions-nous à être plutôt malheureux avec le monde qu'à

 

1 Sap., V, 7. — 2 Jerem., XIV, 19.

 

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chercher dans Dieu notre véritable bonheur?

Ce n'est pas que j'ignore de combien de prétextes la nature corrompue tâche à se prévaloir pour nous éloigner de la sainteté. On dit : Le moyen de vivre en tel ou en tel état, et de s'y sanctifier? prétexte de la condition. On dit : Je suis détourné par mille autres soins qui m'occupent, et qui ne me donnent point de relâche ; prétexte des affaires. On dit : J'ai un tempérament délicat que le moindre effort altère, et que je dois ménager ; prétexte de la santé. On dit : J'ai des passions vives qui m'entraînent, et auxquelles je ne puis presque résister ; prétexte des dispositions intérieures. On dit : J'ai des engagements qui m'attachent, et mon cœur est pris ; prétexte de l'habitude. Enfin, que ne dit-on pas? mais quoi qu'on dise, je prétends qu'un troisième effet de l'exemple des Saints est de nous ôter tout prétexte dont notre lâcheté cherche à se couvrir et à s'autoriser. Car je le veux, mon cher auditeur, vous êtes dans des conditions dangereuses ; mais dans ces mêmes conditions n'y a-t-il pas eu des Saints, et même n'y en a-t-il pas eu dans des conditions qui les exposaient encore à de plus fréquents et à de plus grands dangers? Vous êtes obligé de vaquer à des emplois fatigants et embarrassants ; mais dans ces mêmes emplois, tant d'autres avant vous ne se sont-ils pas sanctifiés? Avez-vous moins de loisir pour penser à vous-même, que saint Louis sur le trône ; et lorsqu'il gouvernait un royaume, qu'il passait les mers, qu'il commandait les armées, qu'il donnait des batailles, lui était-il plus libre qu'à vous de se recueillir et de se défendre des distractions du monde ? Vous êtes faible, et d'une complexion qui vous engage à bien des ménagements, et qui vous met hors d'état d'agir ; mais combien de Saints, surtout combien de vierges déjà faibles par elles-mêmes, encore plus affaiblies par les abstinences, par les jeûnes, par de longues veilles, par de continuelles austérités, par tous les exercices de la pénitence et de l'abnégation chrétienne, n'ont pris néanmoins jamais aucun relâche, et, selon la parole de l'Apôtre, ont fait de leurs corps des hosties vivantes? Vous avez des passions à vaincre ; mais en avez-vous de plus difficiles à surmonter que des millions de pécheurs et de pécheresses, qui, par de salutaires violences, aidés de la grâce, ont triomphé de leur cœur, et en ont réprimé tous les mouvements?Enfin vous êtes dominé par l'habitude, vous êtes endurci dans le péché, vous êtes surchargé de dettes devant Dieu , vous êtes coupable à ses yeux d'un nombre infini d'offenses, et d'offenses très-grièves ; vous n'osez plus rien attendre de sa miséricorde. Ah ! mon cher Frère, souvenez-vous des Saints, et vous apprendrez qu'il n'y a point d'habitude si invétérée que vous ne puissiez détruire, qu'il n'y a point d'attachement si étroit que vous ne puissiez rompre, qu'il n'y a point d'état de péché d'où il ne soit en votre pouvoir de sortir, et qu'en quelques désordres (lue vous soyez tombé, vous n'avez point encore tellement éloigné Dieu de vous , que vous n'ayez des moyens prompts et sûrs pour le retrouver, et vous réconcilier avec lui. Car, combien y a-t-il eu de saints pénitents qui, à certains temps de leur vie, ont été dans les mêmes habitudes que vous, ont été aussi redevables à la justice de Dieu que vous, ont eu autant de sujet, et peut-être même plus de sujet que vous de se défier de sa miséricorde et de désespérer de leur retour? Cependant ils sont revenus, ils se sont convertis, ils se sont remis dans leur devoir, ils s'y sont perfectionnés, ils se sont élevés à la plus sublime sainteté. Est-ce que la grâce était plus puissante pour eux qu'elle ne l'est pour vous ? est-ce que les trésors de la divine miséricorde, si abondants pour eux, sont épuisés pour vous? Non, sans doute ; et dès que vous voudrez en faire l'épreuve comme les Saints, vous trouverez toujours un Dieu patient pour vous attendre, un Dieu prévenant pour vous rechercher, un Dieu bienfaisant pour vous combler de ses grâces, un Dieu tout-puissant pour opérer en vous des miracles de conversion et de sanctification. C'est ainsi qu'il renverse tous vos prétextes par l'exemple des Saints, et c'est en cela toujours qu'il est admirable : Mirabilis Deus in Sanctis suis. Mais en quoi vous êtes condamnables, Chrétiens, c'est de ne pas profiter de cet exemple. Qu'aurez-vous à répondre, quand Dieu, dans son jugement dernier, produira contre vous ces glorieux prédestinés, et qu'il vous demandera compte de l'affreuse différence qui paraîtra entre eux et vous, entre leur pénitence et votre obstination, entre leur courage et votre lâcheté, entre leur zèle, leur activité, leur ferveur, et votre mollesse, votre indolence, vos froideurs ; entre leur sainteté, et les abominations de votre vie libertine et corrompue? Car voilà le jugement de comparaison que vous aurez à soutenir, et qui vous convaincra, qui vous confondra, qui vous réprouvera. Prévenons-le, mes chers auditeurs ; et, comprenant qu'il ne tient qu'à nous de détourner ce

 

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triste malheur dont nous sommes menacés, aimons-nous assez nous-mêmes pour ne nous l'attirer pas volontairement. Si nous ne sommes pas encore saints, et si même nous ne sommes rien moins que saints, souhaitons de l'être, demandons de l'être, prenons toutes les mesures nécessaires pour l'être. Car, dit le Fils de Dieu, bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la sainteté et de la justice : Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam (1) ! Pourquoi ? parce que cette faim et cette soif, parce que ce désir sincère, ardent, efficace, les fera travailler fortement et solidement à acquérir le bien qu'ils souhaitent, et qui, sans contestation, est le plus précieux de tous les biens.

C'est, Sire, le soin important, le premier soin qui doit occuper les rois aussi bien que les autres hommes, et même en quelque sorte plus que les autres hommes. Qui que nous soyons, nous avons tous une obligation générale de nous sanctifier, mais il est vrai que les grands en ont une particulière ; et je ne craindrai point d'ajouter que cette obligation particulière pour les grands est encore plus étroite pour Votre Majesté. Ce n'est point assez ; et pourquoi ne dirais-je pas que vous avez sur cela une obligation qui vous est personnelle, et qui ne peut convenir à nul autre qu'à vous ? Cette obligation, Sire, qui vous est si propre, cette raison d'aspirer à la sainteté et à la plus sublime sainteté, c'est votre grandeur même, et le haut point d'élévation où nous vous voyons. Car, puisque le ciel a mis Votre Majesté au-dessus de tous les monarques de l'univers,

 

1 Matth., V, 6.

 

et puisque entre toutes les puissances humaines il n'y a rien qui l'égale, elle se trouve spécialement obligée par là, pour ne pas descendre, de se porter vers Dieu, de ne rechercher que Dieu , de ne s'attacher qu'à Dieu. C'est pour cela que Dieu vous a donné ces qualités éminentes qui font l'admiration de tous les peuples; c'est pour cela et pour cela seul qu'il vous a fait naître. Non, Sire, il ne vous a point fait naître précisément pour être grand dans le monde, ni pour être roi ; mais il vous a fait roi, et le plus grand des rois, pour être saint. Sans la sainteté, tout l'éclat de votre couronne, toute la splendeur de votre règne, tous ces titres qui vous sont si justement dus, de roi puissant, de roi sage, de roi magnifique, de roi conquérant, ne sont rien, ou ne sont, selon le langage de l'Ecriture, qu'illusion et que vanité : Vanitas vanitatum. Voilà, Sire, ce qu'ose représenter à Votre Majesté le dernier de vos sujets, qui, jugeant des choses par les lumières de l'Evangile qu'il a l'honneur de vous prêcher, s'estimerait mille fois plus heureux de donner sa vie pour le salut de votre âme, que pour l'accroissement de vos états. Non point qu'en fidèle et zélé sujet, je ne puisse et ne doive prendre part à ces succès éclatants qui font de votre royaume le plus florissant empire du monde : mais après tout, ce royaume de la terre passera, et le royaume du ciel ne finira jamais : l'un aura son temps, et l'autre, que Dieu réserve à ses Saints, n'aura pour terme que l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

 

 

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