NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST

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SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. Voici la marque h quoi vous connaîtrez le Sauveur qui vous est né ; c'est que vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche.

Que signe pour connaître un Dieu Sauveur ! une étable, une crèche, de pauvres langes ! c'est néanmoins le signe le plus convenable, comme on le verra dans ce discours : Et hoc vobis signum.

Division. Signe le plus convenable, parce que c'est le signe le plus naturel et le plus efficace. Le plus naturel, puisqu'il nous marque parfaitement que le Sauveur est né, et pourquoi il est né : première partie. Le plus efficace, puisqu'il commence déjà à produire dans les esprits et dans les cœurs les merveilleux effets pour lesquels le Sauveur est né : deuxième partie.

Première partie. Signe le plus naturel, puisqu'il nous marque parfaitement que le Sauveur est né, et pourquoi il est né. Ce Dieu Sauveur devait faire deux choses : 1° expier le péché, 2° réformer l'homme pécheur. Or, pour nous marquer qu'il venait accomplir l'un et l'autre, il ne pouvait choisir un signe plus propre que la pauvreté et l'obscurité de sa naissance.

1° Il devait expier le péché et satisfaire à la justice de son père. Voilà ce qu'il fait dans la crèche, et à quoi lui servent les misères et les humiliations de la crèche. Que nous apprend donc autre chose cet état pauvre, cet état humble, cet état souffrant où il naît, sinon qu'il vient faire pénitence pour nous, et nous apprendre à la faire? Mystère adorable, et capable d'exciter dans nos coeurs les sentiments de la plus vive contrition. Cet Enfant-Dieu pleure dans sa crèche; et ses larmes, dit saint Bernard, me causent tout à la fois et de la douleur, et de la honte : de la honte, quand je considère que le Fils unique de Dieu a pleuré mes péchés, et que je ne les pleure pas moi-même; de la douleur, quand je pense qu'après avoir fait pleurer Jésus-Christ, je lui en donne tous les jours de nouveaux sujets.

2° Il devait réformer l'homme pécheur. Ce qui perdait l'homme et ce qui le perd encore, c'est rattachement aux honneurs, aux riches et aux plaisirs du siècle. Mais que fait Jésus-Christ? Il vient au monde avec le signe de l'humilité, pour l'opposer à notre ambition; avec le signe de la pauvreté, pour l'opposera notre avare convoitise; avec le signe de la mortification, pour l'opposer à notre sensualité. Pouvait-il mieux nous faire entendre qu'il est ce Sauveur par excellence qui doit délivrer son peuple de la servitude du péché, et guérir toutes les blessures de notre âme? Raisonnons tant qu'il nous plaira, ce signe de l'humilité d'un Dieu confondra toujours l'orgueil du monde; ce signe de la pauvreté d'un Dieu confondra toujours l'aveugle cupidité du monde; ce signe de la mortification d'un Dieu confondra toujours la mollesse du monde.

Deuxième partie. Signe le plus efficace, puisqu'il commence déjà à produire dans les esprits et dans les cœurs les merveilleux effets pour lesquels le Sauveur est né. C'est ce qui parait, 1° dans les pasteurs qui furent appelés à la crèche de Jésus-Christ; 2° dans les mages qui vinrent adorer Jésus-Christ.

1° Dans les pasteurs. C'étaient des simples et des ignorants, c'étaient des pauvres, c'étaient des hommes méprisables selon le monde par leur condition : mais tout à coup, à la vue de ce signe de la crèche, ces ignorants sont éclairés et remplis de la science de Dieu; ces pauvres commencent à connaître le prix de leur pauvreté, et à l'aimer; ces hommes, si vils et si méprisables selon le monde, deviennent les premiers apôtres de Jésus-Christ, et l'annoncent de toutes parts. C'est ce même signe qui, dans la suite des temps, a encore formé au milieu de l'Eglise tant de saints pauvres; et voilà ce qui doit consoler les petits et faire trembler les grands.

2° Dans les mages. Car si l'exemple des pasteurs doit faire trembler les grands, l'exemple des mages les doit rassurer. C'étaient des grandi du monde, des sages du monde, des riches du monde : mais, par la vertu de ce signe, ces grands s'abaissent devant Jésus-Christ; ces sages se soumettent à la simplicité de la foi; ces riches se détachent de leurs richesses, et se font au moins pauvres de cœur. Changement d'autant plus miraculeux, que la grandeur du siècle est plus opposée à l'humilité chrétienne, la sagesse du siècle à la docilité chrétienne, et les richesses du siècle à la pauvreté chrétienne. Voilà ce qu'a pu opérer le signe de la crèche, et ce qu'il doit encore opérer dans chacun de nous, si nous voulons que ce soit pour nous un signe de salut.

Compliment au roi.

 

 

Et hoc vobis signum : invenietis infantem pannis involutum, et positum in prœsepio.

 

Voici la marque à quoi vous connaîtrez le Sauveur qui vous est né : c'est que vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche. (Luc, chap. II, 12.)

 

Sire,

 

Est-il donc vrai que le Dieu destiné pour nous sauver, que le médiateur des hommes, que le Fils unique du Père, faisant son entrée dans le monde, y dût être reconnu par des langes et par une crèche? Est-il vrai que ce devaient être là les marques de sa venue, et que ce Messie, dont les prophètes avaient si magnifiquement parlé, que ce Messie envoyé de Dieu pour un si important dessein, ne devait être distingué dans sa naissance que par l'humilité et la pauvreté ? Voilà, mes Frères, dit saint Augustin, ce qui a causé le scandale des Juifs. Us attendaient un Sauveur : mais ils supposaient que ce Sauveur viendrait dans l'éclat de la majesté ; qu'il serait riche, puissant, heureux ; qu'il rétablirait visiblement sur la terre le royaume d'Israël, qu'il comblerait ses sujets de biens et de prospérités. Prévenus qu'ils étaient de ces espérances, on leur a annoncé que ce Sauveur était né dans l'obscurité

 

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d'une étable, et c'est ce qui les a non-seulement troublés, mais choqués, mais révoltés. Ce scandale a passé jusque dans le christianisme : l'enfance et la crèche d'un Dieu, voilà par où a commencé parmi les chrétiens L'infidélité de l'hérésie. Otez-moi, disait, au rapport de Tertullien, l'impie Marcion, ôtez-moi ces langes honteux, et cette crèche indigne du Dieu que j'adore : Aufer a nobis pannos et dura praesepia. Ainsi parlait cet hérésiarque, si injustement et si faussement préoccupé contre les bassesses apparentes de Jésus-Christ naissant. Or, ce qui a scandalisé les Juifs, ce qui a servi de fond à l'erreur des premiers hérétiques, c'est ce qui nous trouble encore aujourd'hui. Car c'est là le signe que notre orgueil combat intérieurement, le signe qui blesse notre amour-propre, et contre lequel il s'élève; le signe que notre raison même a bien de la peine à ne pas condamner ; en un mot, le signe qui devait être, selon le Prophète, et qui sera toujours pour le monde un sujet de contradiction : Signum ad contradicetur (1). Cependant, Chrétiens, c'est à ce signe qu'est attaché notre salut, et c'est de là que dépendent les fruits de grâce que nous devons retirer de ce mystère. Il est donc de mon devoir de justifier, si j'ose parler de la sorte, ce signe adorable ; et c'est ce que je vais faire, après que nous aurons rendu à Marie l'hommage ordinaire. Ave, Maria.

 

Dieu, parlant au roi d'Israël, lui dit : Demandez au Seigneur votre Dieu qu'il vous fasse voir un signe de sa toute-puissance : Pete tibi signum a Domino Deo tuo (2) ; et sur le refus que fit Achaz de demander ce signe à Dieu, parce qu'il ne voulait pas tenter le Seigneur, le Seigneur lui-même lui donna, sans qu'il le voulût, un signe qu'il ne demandait pas : Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum (3). C'est ainsi, Chrétiens, que Dieu dans ce mystère en use à notre égard. Pour nous faire entendre que le Messie est né, il nous donne un signe, mais un signe que nous ne demandions pas, un signe que nous n'attendions pas, un signe auquel nous ne pensions pas; je dis plus, un signe que nous ne voulions pas, et contre lequel il prévoyait bien que le monde se révolterait. Cependant, c'est lui-même qui nous le donne, lui-même qui le choisit pour nous : Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum. Et il est question de savoir si nous avons droit de le rejeter, et si le choix qu'a fait Dieu de ce signe doit trouver tant de contradiction

 

1 Luc, II, 34. — 2 Isa., VII, 11. — 3 Ibid., 14.

 

dans nos esprits. Or je prétends que jamais contradiction n'a été plus mal fondée : pourquoi ? Parce que jamais signe n'a été plus raisonnable , plus saint, plus divin, ni par conséquent plus digne et du choix de Dieu, et de l'approbation des hommes, que celui de la pauvreté et de l'humilité de Jésus-Christ. Ecoutez-en la preuve, qui va faire le partage de ce discours. Le signe que l'ange donne aux pasteurs, en leur annonçant la naissance de Jésus-Christ, est le signe du Dieu Sauveur : Natus est vobis hodie Salvator, et hoc vobis signum (1) ; Il nous est né un Sauveur, et voici la marque à quoi vous pourrez le reconnaître. C'est donc par rapport à l'office de Sauveur que nous devons considérer ce signe. D'où je conclus d'abord que c'est de tous les signes que Dieu ait jamais donnés aux hommes le plus admirable : pourquoi? parce que c'est le signe le plus naturel, et en même temps le plus efficace que Dieu ait jamais employé pour découvrir aux hommes les richesses de sa grâce, et pour leur faire sentir les effets de sa miséricorde. Deux qualités qui distinguent ce signe, signe le plus naturel, et signe le plus efficace : le plus naturel, c'est-à-dire le plus propre à marquer et à bien faire connaître la chose qu'il signifie ; le plus efficace, c'est-à-dire le plus propre à opérer même ce qu'il signifie. Non, Chrétiens, Dieu avec toute sa sagesse ne pouvait aujourd'hui nous donner un signe, ni plus naturel, puisqu'il nous marque parfaitement que le Sauveur est né, et pourquoi il est né : première partie ; ni plus efficace, puisqu'il commence déjà à produire dans les esprits et dans les cœurs les merveilleux effets pour lesquels le Sauveur est né : seconde partie. Conformité de ce signe avec la qualité de Sauveur, vertu de ce signe dans les miracles qu'il a opérés dès la naissance du Sauveur : c'est tout mon dessein.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Il est vrai, Chrétiens, le saint et glorieux enfant dont nous célébrons la naissance avait été promis au monde en qualité de Sauveur. Mais, selon les principes de la foi, il ne devait l'être et même dans l'ordre de la justice il ne pouvait l'être qu'à deux conditions : l'une, d'expier le péché, et l'autre , de réformer l'homme pécheur. Car Dieu voulait être satisfait ; et tandis que l'homme demeurait dans la corruption et le désordre où l'avait réduit le péché, il n'y avait point de salut pour lui. Il

 

1 Luc, II, 12.

 

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fallait donc que Jésus-Christ, pour opérer ce salut et pour faire l'office de Sauveur, c'est-à-dire de médiateur entre Dieu et l'homme, donnât à Dieu, d'une part, toute la satisfaction qui lui était due, en portant la peine du péché ; et, de l'autre, corrigeât dans l'homme les dérèglements du péché. Or, pour nous marquer qu'il était prêt d'accomplir ces deux conditions, et que déjà même il les accomplissait, je prétends , et vous l'allez voir, qu'il ne pouvait choisir un signe plus naturel que la pauvreté et l'humilité de sa naissance. Transeamus usque Bethleem, et videamus hoc verbum quod factura est (1). Passons en esprit jusqu'à Bethléem ; et, à l'exemple des pasteurs, contemplant avec les yeux de la foi, ce que nous y voyons aujourd'hui, et ce que Dieu nous y fait connaître, tâchons de nous former l'idée d'un des plus grands mystères de notre religion.

Comme Sauveur, le Fils de Marie devait expier le péché, et être la victime du péché. Pouvait-il pour cela se produire au monde dans un état plus convenable que celui où la Providence l'a fait naître ; disons mieux, que celui où, par son propre choix, il a voulu naître? Ce fut là , ce fut dans l'étable de Bethléem, que, brûlé de zèle pour les intérêts de Dieu, il termina les anciens sacrifices, et, comme souverain prêtre de la loi de grâce, il en établit un nouveau : là que, la crèche lui servant d'autel, il fit à Dieu pour la première fois l'oblation solennelle de sa personne : là, comme porte le texte sacré, que son humanité lui tenant lieu de tabernacle, d'un tabernacle vivant, qui n'avait point été fait par les mains des hommes, mais qui était l'ouvrage du Saint-Esprit, il parut non plus avec le sang des boucs et des taureaux, mais avec son propre sang ; et, pour parler en termes plus simples, là qu'il se mit en devoir d'être déjà l'agneau de Dieu, cet agneau sans tache qui devait satisfaire à la justice divine par lui-même, et aux dépens de lui-même. Dieu ne voulait plus de toutes les autres victimes; mais ce corps tendre et délicat, dont il avait revêtu son Fils unique, était la vraie hostie qu'il attendait depuis tant de siècles. Or la voilà enfin cette hostie pure, sainte, digne de Dieu , la voilà qui commence à être immolée. Ainsi les Pères de l'Eglise l'ont-ils conçu, et ainsi Tertullien s'en expliquait-il, quand il nous donnait cette excellente idée de Jésus-Christ : A partu virgineo effectus hostia ; un Sauveur aussitôt sacrifié qu'il est né, aussitôt offert à son Père qu'il est sorti du

 

1 Luc, II, 15.

 

sein de sa mère. Car ne vous imaginez pas, dit saint Chrysostome, que l'immolation de cet agneau de Dieu ait été la dernière action de sa vie, ou du moins qu'elle n'ait été que la dernière. Si c'est par là qu'il voulut finir, ce fut aussi par là qu'il voulut commencer; c'est-à-dire, s'il acheva son sacrifice sur la croix, il en consacra les prémices dans la crèche.

Oui, mes Frères, ce fut dans sa sainte nativité que ce Verbe fait chair commença le sacrifice qu'il devait consommer au Calvaire. Il ressentait déjà ces divins empressements dont il donna dans la suite de si sensibles témoignages à ses disciples quand il leur disait : Baptismo habeo baptizari ; et quomodo coarctor usquedum perficiatur (1) ; Je dois être baptisé d'un baptême (c'était le baptême douloureux de sa passion et de sa mort) ; et que je me sens pressé jusqu'à ce qu'il s'accomplisse ! Ce terme coarctor, selon la belle remarque de saint Ambroise, ne pouvait mieux s'appliquer ni mieux se rapporter qu'au mystère de la crèche, où toute la majesté de Dieu était comme resserrée dans la petitesse d'un enfant, et où tout le zèle de Jésus-Christ, ce zèle immense, se trouvaient quelque sorte contraint et gêné, parce que le temps n'était pas encore venu de le faire paraître (1), et de le déployer dans toute son étendue : Et quomodo coarctor usquedum perficiatur? Il les ressentait, dis-je ces saints empressements, et il n'attendit pas que son sang fût entièrement formé dans ses veines pour se livrer comme une victime. A quoi donc ce Dieu nouvellement né pensa-t-il dès le moment de sa naissance ? à quoi s'occupa cette grande âme renfermée dans un si petit corps? Appliquez-vous, mes chers auditeurs, à une vérité si touchante. Que faisait Jésus-Christ dans la crèche? Il réparait par ses humiliations tous les outrages que l'orgueil des hommes avait déjà faits ou devait faire encore à Dieu ; il rétablissait l'empire de Dieu ; il rendait à Dieu toute la gloire que le péché lui avait ravie. Que faisait Jésus-Christ dans la crèche? Il apaisait Dieu, il désarmait la colère de Dieu; il attirait sur les hommes la plénitude des miséricordes de Dieu. Disons quelque chose de plus particulier. Que faisait Jésus-Christ dans la crèche? Il expiait tous les crimes dont les hommes étaient alors, et dont nous-mêmes nous devions être un jour chargés devant Dieu : nos révoltes contre Dieu, nos désobéissances à la loi de Dieu , nos résistances opiniâtres aux inspirations de Dieu, nos ingratitudes envers

 

1 Luc, XII, 50.

 

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Dieu, nos froideurs, nos relâchements dans le culte de Dieu. Il payait les dettes infinies dont nous devions être comptables à la justice de Dieu : et voilà ce qu'il nous annonce par le signe de sa pauvreté, par le signe de son humilité, par le signe de sa mortification: Et hoc vobis signum.

En effet, que nous apprend autre chose cet état pauvre où il se réduit, cet état humble où il paraît, cet état souffrant où il naît, sinon qu'il vient faire pénitence pour nous, et nous apprendre à la faire? Ecoutez ceci, Chrétiens. Je dis nous apprendre à la faire, car c'est aujourd'hui que Dieu veut que nous concevions une haute idée, une idée juste de cette sainte vertu ; en voici le signe, en voici la mesure et le modèle. Un Dieu humilié et anéanti, un Dieu pleurant et versant des larmes, un Dieu souffrant.  Oui, dit saint Chrysostome, couché dans la crèche, il faisait pénitence pour nous , parce qu'il savait que nous étions incapables de la faire sans lui ; et que notre pénitence, sans la sienne, nous eût été absolument inutile, puisqu'elle eût été indigne de Dieu. Et il nous apprenait à la faire, parce qu'il voulait que nous connussions l'indispensable nécessité où nous sommes   d'être   pénitents comme lui, et qu'il savait que sa pénitence sans la nôtre ,  quelque mérite   qu'elle   put avoir, ne nous serait jamais appliquée, ni jamais, par rapport à nous, ne serait acceptée de Dieu. C'est là, dis-je, ce qu'il nous enseigne ; et la crèche n'en est-elle pas la marque la plus convaincante ? Mais comment encore nous l'enseigne-t-il, cette pénitence? Ah!  Chrétiens, élevez vos esprits au-dessus des bassesses apparentes de ce mystère. Il pleure nos péchés, que nous ne pleurons pas nous-mêmes ; et il les pleure doublement, parce que nous ne les pleurons pas nous-mêmes. Mystère adorable, et capable d'exciter dans nos cœurs les sentiments de la plus vive contrition. Car prenez garde , mes Frères, c'est la remarque de saint Bernard : si Jésus-Christ naissant pleure dans la crèche, il ne pleure pas comme les autres enfants,  ni  par le même   principe que les autres enfants : Plorat quippe Christus, sed non ut cœteri, aut certe non quare cœteri. Les autres enfants pleurent par faiblesse, et celui-ci pleure par raison, pleure par amour et par compassion; les autres pleurent leurs propres misères, et celui-ci pleure les nôtres; les autres pleurent parce qu'ils portent la peine du péché, et celui-ci parce qu'il vient détruire le péché, et l'effacer par ses larmes. Or ces larmes d'un Dieu, ajoute le même Père, me causent tout à la fois et de la douleur et de la honte : Porro lacrymœ istœ, Fratres, et dolorem mihi pariant, et pudorem. De la honte, quand je considère que le Fils unique de Dieu a compati à mes maux, qu'il en a été si vivement touché, et que j'y suis moi-même si insensible; quand je fais réflexion qu'un Dieu a pleuré sur moi, et que je ne pleure pas sur moi-même ; au contraire, que je soutiens avec une affreuse indolence, avec une tranquillité et un endurcissement monstrueux, le souvenir de mon péché, dont je devrais faire la matière éternelle de mon repentir et de mes pleurs. De la douleur, quand je pense qu'après avoir fait pleurer Jésus-Christ dès son berceau, je lui en donne encore tous les jours de nouveaux sujets; que, pouvant le consoler par la réformation de ma vie, j'insulte, pour ainsi dire, à ses larmes par mes désordres ; et qu'au lieu qu'il a prétendu détruire le péché et l'anéantir, je le fais revivre dans moi et régner avec plus d'empire que jamais. Sur quoi ce grand saint s'écriait : O duritia cordis mei ! 0 dureté de mon cœur! jusqu'à quand résisteras-tu à la charité d'un Dieu, à la pénitence d'un Dieu, au zèle d'un Dieu, et au zèle d'un Dieu pour toi-même? Cœur de pierre ! quand t'amolliras-tu, et quand deviendras-tu ce cœur de chair que Dieu promettait à ses serviteurs, c'est-à-dire ce cœur tendre pour ton Dieu, ce cœur sensible aux impressions de son amour, aux mouvements de sa grâce et aux intérêts de sa gloire ? Car voilà, Chrétiens, les sentiments dont saint Bernard était pénétré en contemplant la crèche de Bethléem. C'était un homme séparé du monde, crucifié au monde, mort au monde, c'était un saint. Si donc il parlait de la sorte, et s'il le pensait, nous, bien éloignés de la sainteté de sa vie et des ferveurs de sa pénitence, que devons-nous dire, et surtout que devons-nous penser?

Il y a plus encore. Après avoir expié le péché, Jésus-Christ devait sauver et réformer l'homme pécheur, où plutôt il devait sauver l'homme pécheur et le réformer, en expiant notre péché et en satisfaisant à Dieu : Quia natus est vobis hodie Salvator (1). Ne regardons point cet enfant enveloppé de langes comme la splendeur de la gloire du Père, comme le créateur de l'univers, comme le seigneur de toute la terre, comme le roi des siècles, et comme le juge des vivants et des morts. Il est tout cela ; mais ce n'est sous aucune de ces qualités

 

1 Luc, II, 11.

 

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qu'il vient de naître. Envisageons-le comme sauveur et comme réformateur de l'homme, et voyons si le signe qu'il choisit pour nous annoncer sa venue n'est pas de tous les signes le plus convenable et le plus conforme au dessein qu'il s'est proposé. C'est un Dieu né pour nous sauver; et ce qui nous perdait, Chrétiens, ou plutôt ce qui nous perd encore tous les jours, vous le savez, c'est un attachement criminel aux honneurs du siècle, aux richesses du siècle, aux plaisirs du siècle, trois sources de corruption, trois principes de la réprobation des hommes. Or que fait Jésus-Christ? il vient au monde avec le signe de l'humilité, avec le signe de la pauvreté, avec le signe de la mortification. Prenez garde : je dis avec le signe d'une humilité sans bornes; pourquoi? pour l'opposer à cette ambition démesurée qui nous fait rechercher les honneurs du siècle, et qui est une de nos passions les plus dominantes. Je dis avec le signe d'une pauvreté volontaire; pourquoi ! pour l'opposer à ce désir insatiable des biens de la terre et des richesses du siècle, dont nous sommes possédés. Je dis avec le signe d'une entière mortification; pourquoi? pour l'opposer à cette mollesse qui nous corrompt et qui nous rend esclaves de nos sens. Peut-il mieux nous marquer qu'il est ce Sauveur par excellence qui doit délivrer son peuple de la servitude de l'enfer et de la tyrannie du péché? Conduite adorable de notre Dieu! Si ce Dieu Sauveur avait paru au monde avec des signes tout contraires à ceux qu'il a pris pour nous déclarer sa naissance, nous eût-il jamais persuadé ces grandes vérités, à quoi, de notre propre aveu, notre salut est attaché ? Je m'explique. S'il eût pris pour signe de sa venue, au lieu de l'obscurité de l'étable et de la pauvreté de la crèche, l'éclat et la gloire, l'opulence et les aises de la vie, nous eût-il jamais persuadé l'humilité de cœur, la pauvreté de cœur, le détachement et la haine de nous-mêmes ? Et d'ailleurs , sans nous persuader tout cela, nous eût-il sauvés? Le voyant riche et dans l'abondance , le voyant sur le trône et dans la grandeur, le voyant dans le faste, dans la pompe, aurions-nous été touchés des maximes de son Evangile, de cet Evangile qui devait condamner notre amour-propre ? Quelques leçons qu'il nous eût faites touchant le mépris du monde et le renoncement au monde, l'en aurions-nous cru? Quelque assurance qu'il nous eût donnée du bonheur de ceux qui souffrent et qui pleurent, nous en serions-nous tenus à sa parole? De sa doctrine, n'en aurions-nous pas appelé à son exemple? et quoique la conséquence de son exemple à sa doctrine ne fût pas juste par rapporta nous, eussions-nous eu assez d'équité pour ne nous en pas prévaloir ? Vous annonçant aujourd'hui un tel Sauveur, et avec de telles marques, serais-je bien reçu à vous prêcher la sévérité chrétienne, et oserais-je m'élever contre votre luxe, contre vos délicatesses, contre tous les désordres d'une cupidité avare ou sensuelle? Mais maintenant que je vous annonce un Sauveur né dans une crèche et réduit à une extrême misère; mais maintenant que je vous le présente, ce Sauveur, tel qu'il a voulu être et tel qu'il est en effet, sans secours , sans biens, sans autorité, sans crédit, sans nom, exposé dès sa naissance à toutes les injures d'une saison rigoureuse, à peine couvert de quelques misérables langes, n'ayant pour lit que la paille, et pour demeure qu'une vile retraite et une étable ; quels reproches n'ai-je pas droit de vous faire? quels arrêts ne puis-je pas prononcer contre vous? Je dis contre vous, mondains ambitieux et entêtés d'une vaine grandeur; je dis contre vous, mondains avides et intéressés ; je dis contre vous, mondains amateurs de vous-mêmes et voluptueux.

Car enfin, mes chers auditeurs, raisonnons tant qu'il nous plaira; ce signe de l'humilité d'un Dieu confond aujourd'hui malgré nous tout l'orgueil du monde ; et pour peu qu'il nous reste de religion, il est impossible qu'à la vue de la crèche nous soutenions l'énorme contradiction qui se trouve entre cet orgueil du monde et notre foi. Qu'un Juif ou qu'un païen soit livré aux désirs d'une ambition déréglée, je ne m'en étonne pas ; c'est une suite naturelle de l'incrédulité de l'un et de la vanité de l'autre ; mais qu'un chrétien qui fait profession d'adorer un Dieu humilié et anéanti ; disons mieux, qu'un chrétien qui, dans la personne de son Dieu, fait profession d'adorer l'humiliation même et l'anéantissement même , soit dans sa propre personne idolâtre des honneurs du monde; ne pense qu'à se les attirer, n'ait en vue que l'accroissement de sa fortune, ne puisse rien souffrir au-dessus de soi , se pique d'aspirer à tout, ne borne jamais ses prétentions, dise toujours dans son cœur : Ascendam (1), Je n'en demeurerai pas là; se pousse par brigue et par intrigue là où il se défie que son mérite le puisse élever, et se plaigne de l'injustice du siècle, quand par les voies les plus obliques il désespère d'y parvenir; ne

 

1 Isa., XIV, 14.

 

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regarde ce qu'il est déjà qu'avec indifférence et avec dégoût, et ce qu'il voudrait être qu'avec des impatiences qui le troublent, des inquiétudes qui le dévorent; qu'un chrétien, dis-je, avec la foi de ce grand mystère que nous célébrons, ait le cœur plein de ces sentiments, s'en fasse des règles de vie, et se croie sage et habile de les suivre : ah ! mes chers auditeurs, ce sont des contradictions que je ne comprends pas. Mais d'où viennent-elles, ces contradictions, que d'une opposition secrète à ce signe vénérable de l'humilité d'un Dieu naissant? Si ce signe trouvait dans nos esprits toute la docilité que la foi demande, ces contradictions cesseraient, et notre ambition serait pour jamais détruite, Or, du moment que ce signe détruit l'ambition dans nous, nous ne pouvons plus douter que ce ne soit le signe du Dieu Sauveur.

Raisonnons tant qu'il nous plaira ; malgré tous nos raisonnements, ce signe de la pauvreté d'un Dieu confond l'aveugle cupidité des hommes ; et il n'y a point de riche mondain, pour peu qu'il ait encore de christianisme, qui ne soit aujourd'hui troublé, alarmé, consterné de cette pensée : Le Dieu que j'adore est venu me sauver par le renoncement aux richesses, et sa pauvreté est le signe qu'il m'a donné de mon salut. Il est vrai que le monde, sans égard à ce signe, ne laisse pas de persister dans ses maximes : qu'à quoique prix que ce soit, il en faut avoir, que la grande science est d'en avoir, que la vraie sagesse est de s'appliquer à en avoir, que tout est permis et honnête pour en avoir, qu'on ne peut jamais en avoir trop, ni même en avoir assez ; que les hommes ne valent, ni ne sont estimés, qu'autant qu'ils en ont : mais il n'est pas moins vrai, répond saint Bernard, que dans tout cela le jugement du monde est réfuté, est renversé, est réprouvé par Jésus-Christ : Sed in his omnibus judicium mundi arguitur, subvertitur, confutatur ; et que le signe de sa crèche suffit pour donner de l'horreur de ces damnables maximes. Or ce signe peut-il confondre des maximes aussi damnables que celle-là, et n'être pas le signe du Rédempteur qui vient sauver le monde? Il est vrai que, malgré ce signe, les riches du siècle ne laissent pas de s'applaudir de leur prospérité, et d'en faire le sujet de leur vaine joie; mais aussi est-ce pour cela, ajoute saint Bernard, que Jésus-Christ dès son berceau leur dit anathème, et que de sa crèche, comme du tribunal de sa justice, il leur prononce aujourd'hui ces arrêts de condamnation : Vœ vobis divitibus (1) ! Malheur à vous, riches avares ; malheur à vous, riches injustes ; malheur à vous, riches orgueilleux; malheur à vous, riches insensibles et sans miséricorde ! c'est-à-dire, malheur à la plupart de vous; car c'est là que vous conduisent communément ces biens périssables que vous possédez, ou plutôt qui vous possèdent, plus que vous ne les possédez vous-mêmes ! Or, dans le dessein qu'avait le Sauveur du monde de lancer un jour contre les riches ces formidables anathèmes, par quel signe plus naturel pouvait-il les y préparer, que par le signe de sa pauvreté ; et dès là n'était-ce pas un signe de salut pour eux, puisqu'en les préparant à ces anathèmes, il leur apprenait à s'en préserver?

Raisonnons tant qu'il nous plaira, malgré toutes nos vues mondaines, ce signe de la mortification d'un Dieu confond aujourd'hui la mollesse du monde; et il n'y a point d'âme sensuelle, pour peu qu'elle soit encore susceptible des saintes impressions de la grâce, qui, s'appliquant ce signe et le considérant, ne rougisse de ses délicatesses, ou n'y renonce môme pour jamais. Or, de là, j'ai droit de conclure que c'est donc un signe de rédemption. Car ce qui corrompt plus souvent une âme, et ce qui la rend esclave du péché, c'est l'attachement à son corps, cette vie molle dont on se fait une habitude, cette condescendance éternelle aux désirs de la chair, cette attention à la flatter et à ne lui rien refuser, à lui accorder tout ce qu'elle demande et plus qu'elle ne demande ; cette superfluité d'ajustements, de parures, de propretés, de commodités ; cette horreur de la souffrance et ce soin excessif de prévenir et de fuir tout ce qui pourrait faire de la peine et mortifier : voilà ce qui entretient dans nous le règne de cette concupiscence charnelle qui souille les âmes. Or je défie l'âme la plus asservie à ses sens, de pouvoir se présenter devant la crèche du Sauveur sans avoir honte d'elle-même. On tâche à justifier tout cela, et à s'en faire même une conscience ; car qu'est-ce que la fausse conscience n'excuse pas? mais il est question de savoir si l'on peut avec tout cela être conforme à ce Dieu, dont la chair innocente et virginale doit être le modèle de la nôtre. Or le voici lui-même, reprend saint Bernard, qui vient nous assurer du contraire ; lui-même, qui est la sagesse de Dieu, vient nous détromper de toutes nos erreurs. Cette sagesse que Dieu tenait cachée dans son sein, se découvre pour cela visiblement à nous. Parce

 

1 Luc, VI, 24.

 

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que nous étions charnels, et que nous ne comprenions rien que de charnel, elle veut bien s'accommoder à notre faiblesse, elle prend un corps, elle se fait chair ; et, revêtue qu'elle est de notre chair, elle nous prêche hautement et sensiblement que cette vie douce et commode est la voie infaillible de la perdition, qu'il n'y a de salut que dans la pénitence, et qu'une partie essentielle de la pénitence est de mater sa chair et de la crucifier avec ses vices. Car voilà, mes Frères, ce que la Sagesse incarnée nous dit aujourd'hui ; voilà ce que nous annoncent l'étable, la crèche, les langes, toutes les circonstances qui accompagnent la naissance de cet adorable enfant : Hoc prœdicat stabulum, hoc clamat prœsepe, hoc lacrymœ evangelizant. Oui, Seigneur, c'est ce que vous nous faites entendre : et quand vous parlez, il est juste que vous soyez écouté; il est juste que toute la sagesse du monde s'anéantisse, et rende hommage aux saintes vérités que vous nous révélez ; il est juste que, renonçant à ses lumières, elle avoue que ce signe de la crèche avait plus de proportion que tout autre avec L'office de Sauveur que vous veniez exercer. Si vous aviez pris, ô mon Dieu, ce signe pour vous, il pourrait ne pas convenir à l'idée que nous avons de votre sainteté et de votre suprême majesté; mais le prenant pour nous, nous reconnaissons que c'est le signe qu'il nous fallait, puisque c'est par là que tous les dérèglements de notre esprit et tous les emportements de notre cœur devaient être confondus. N'est-ce pas même ainsi que l'ange semble nous le déclarer par ces paroles : Et hoc vobis signum (1) ? Comme s'il nous disait : C'est un signe, mais un signe pour vous, et non pour lui ; un signe pour vous faire comprendre ce qui vous a jusqu'à présent perdus, et ce qui doit désormais vous sauver. Si vous étiez venu, ô mon Dieu, pour être le Sauveur des anges, peut-être ce signe n'aurait-il pas été propre pour eux; mais il était propre pour des hommes superbes, pour des hommes remplis de l'amour d'eux-mêmes, pour des hommes dominés et corrompus par l'avarice : Et hoc vobis signum. Ce signe de la crèche, reprenait Tertullien, par rapport à mon Dieu, paraît indigne de sa grandeur; mais ce qui me paraît indigne de lui est nécessaire pour moi; ce qui fait en apparence sa confusion est le remède de mes criminelles vanités ; ce qui est le signe de son humiliation est le sacrement de mon salut : Totum hoc dedecus,  sacramentum est meœ

 

1 Luc, II, 12.

 

salutis. Et parce que le Dieu que j'adore ne veut être aujourd'hui ce qu'il est que pour mon salut; parce qu'oubliant en quelque façon qu'il est le Dieu de tous les êtres, il se contente d'être le Dieu de mon salut ; parce qu'en vertu de ce mystère, il semble que mon salut ne soit pas tant pour sa gloire que sa gloire pour mon salut, puisqu'il la sacrifie à mon salut, il veut bien prendre ce signe si salutaire et si nécessaire pour moi, tout humiliant qu'il peut être pour lui.

Ainsi, mes chers auditeurs, malheur à nous, si nous rejetons ce signe; malheur, si nous ne l'honorons qu'extérieurement ; malheur, si, Juifs encore d'esprit et de cœur, nous nous en scandalisons ! O prœsepe splendidum! o felices panni ! O glorieuse crèche ! s'écriait le grand saint Ambroise, et devons-nous nousécrieraprès lui : ô heureux langes ! ô précieuses marques de la venue de mon Sauveur, et du dessein qu'il a de me sauver ! signe le plus naturel, mais en même temps signe le plus efficace, puisqu'il commence déjà à produire les merveilleux effets pour lesquels le Sauveur est né, comme je vais vous le montrer dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Non, Chrétiens, à en juger par l'expérience et par l'événement, jamais Dieu, tout Dieu qu'il est, n'a donné aux hommes de signe plus efficace, ni d'une plus surprenante vertu, que celui qu'il nous donne dans la naissance de son Fils. Car, malgré les oppositions et les contradictions du monde, ce signe a sanctifié le monde et tous les états du monde. Miracle dont je ne veux point d'autre preuve que l'étable de Bethléem, puisque c'est là que, malgré l'infidélité du monde, ce signe de l'enfance de Jésus-Christ a rempli les ignorants et les simples de la science de Dieu, et a captivé les sages et les savants sous l'obéissance de la foi ; là que, malgré la cupidité du monde, ce signe de la pauvreté de Jésus-Christ a fait aimer aux pauvres leur misère et a détaché les riches de leurs richesses, là que, malgré l'orgueil du monde, ce signe des abaissements de Jésus-Christ a élevé dans l'ordre de la grâce de vils sujets, et a persuadé aux grands et aux puissants du siècle de se faire petits et humbles devant Dieu. Donnons jour à ces pensées. Qu'avez-vous compris, quand j'ai dit le monde sanctifié, et sanctifié dans tous ses états, sinon ces changements tout divins,ces effets naturels qu'a opérés la naissance du Fils de Dieu dans toutes les conditions qui partagent le monde, c'est-à-dire la simplicité éclairée, et la

 

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prudence humaine obligée de renoncer à ses propres vues ; la pauvreté reconnue pour béatitude, et l'opulence consacrée à la piété et à la religion ; la bassesse rendue capable de servir à Dieu d'instrument pour les plus grandes choses, et la grandeur soumise à Dieu par la grâce de l'Evangile, et dévouée au culte de Dieu? Car ce sont là les merveilles que l'étable de Bethléem nous découvre sensiblement, d'une part dans les pasteurs, et de l'autre dans les mages : et c'est aussi ce que j'appelle le miracle de la sanctification du monde. Dans les pasteurs, nous voyons des hommes grossiers devenus spirituels et intelligents, et dans les mages, des hommes intelligents et spirituels devenus dociles et fidèles ; dans les pasteurs, des pauvres glorifiant Dieu et s'estimant riches, et dans les mages, des riches pauvres de cœur et se dépouillant sans peine de leurs trésors; dans les pasteurs, des sujets méprisables selon le monde, choisis pour être les premiers apôtres de Jésus-Christ, et dans les mages, des grands de la terre humiliés et prosternés aux pieds de ce nouveau Messie. Miracle subsistant, qui, de l'étable de Bethléem, s'est répandu par un autre miracle dans tout le monde chrétien. Miracle qui va vous faire voir la vertu toute-puissante de ce signe par où l'ange annonce aujourd'hui la venue du Sauveur : Natus est vobis hodie Salvator, et hoc vobis signum (1). Appliquez-vous, mes chers auditeurs; tout ceci renferme pour nous des instructions bien solides et bien importantes.

Des simples et des ignorants (car puisque Jésus-Christ dans le mystère de ce jour leur a donné la préférence en les appelant les premiers à son berceau, il est juste de commencer par eux), des simples éclairés de Dieu, des pauvres glorifiant Dieu, et dans leur condition s'estimant riches, c'est ce qui paraît dans les pasteurs, et ce que le signe de la pauvreté de Jésus-Christ opéra divinement dans leurs personnes.  Ils passaient la nuit, dit l'évangéliste, à garder leurs troupeaux, lorsque tout à coup ils se trouvent investis d'une  lumière  céleste qui les frappe : Et claritas Dei circumfulsit illos (1). Pénétrés de cette lumière, et intérieurement émus, ils se disent l'un à l'autre: Allons, voyons ce qui est arrivé, et instruisons-nous de ce que Je  Seigneur veut ici nous faire connaître. Ils viennent à Bethléem, ils entrent dans l'étable, ils aperçoivent l'enfant dans la crèche; et, à la vue de ce signe, ils comprennent que c'est le Verbe de Dieu, ce Verbe incréé,  mais fait

 

1 Luc, II, 12. — 2 Ibid., 9.

 

homme pour sauver les hommes : Videntes cognoverunt de Verbo quod dictum erat illis de puero hoc (1). Prenez garde, s'il vous plaît : ce signe de la crèche ne les trouble point, ne les rebute point, ne les scandalise point; au contraire, c'est par là qu'ils discernent le don de Dieu ; c'est par ce signe qu'ils se sentent excités à bénir le ciel. Car ils regardent ce Dieu naissant, non-seulement comme leur consolation, mais comme leur gloire; ils se tiennent honorés de lui être semblables, et ils découvrent en lui leur bonheur et les prérogatives intimes de leur condition. Touchés donc de ce signe, ils adorent dans Jésus-Christ la pauvreté, qui jusque-là avait été le sujet de leurs chagrins et de leurs plaintes. Ils s'en retournent comblés de joie, contents de ce qu'ils sont, déplorant le sort des riches de Jérusalem, bien loin de l'envier; heureux en qualité de pauvres  d'être les élus d'un Dieu pauvre comme eux, et les prémices de sa rédemption : Et reversi sunt glorificantes et  laudantes  Deum (1).  Ce n'est point encore assez pour eux de l'avoir connu , ce Dieu pauvre ; ils l'annoncent de toutes parts ; ils publient les merveilles de sa naissance, et tous ceux qui les écoutent en sont surpris et ravis : Et omnes qui audierunt, mirati sunt (1) Qu'est-ce que tout cela? demande saint Chrysostome ; par où ces bergers dans un moment sont-ils devenus si intelligents et si spirituels ? d'où leur est venu ce don de pénétration, cette science de Dieu dont ils sont remplis ? comment l'ont-ils si tôt acquise, et où ont-ils appris le secret de la communiquer si aisément et si parfaitement aux autres ? Ah ? mes Frères, reconnaissons ici la Providence, et rendons-lui, avec des cœurs dociles, les hommages de notre foi : tout cela est le merveilleux effet de la crèche du Sauveur, et voici comment : comprenez et goûtez cette moralité, si essentielle au christianisme que vous professez.

La pauvreté, dit saint Bernard, abondait sur la terre; mais on n'en savait pas le prix: et c'était de là néanmoins que dépendait le salut de la plus grande partie du monde, puisque, dans l'ordre des conseils de Dieu , la plus grande partie du monde devait avoir la pauvreté pour partage. Que fait Jésus-Christ, il vient apprendre au monde à l'estimer : cette pauvreté était un trésor caché que chacun possédait sans le connaître, ou, pour mieux dire, que les hommes tout mondains et tout charnels possédaient malgré eux, et sans le vouloir; il vient leur en donner une juste idée, et

 

1 Luc, II, 17. — 2 Ibid., 20. — 3 Ibid., 18.

 

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leur en montrer la valeur. Et, en effet, à peine a-t il paru avec les marques précieuses de la pauvreté, que voilà des hommes, quoique charnels, persuadés du prix inestimable de ce trésor, ravis de l'avoir trouvé, prêts à tout quitter pour s'en assurer la possession, louant Dieu d'y être parvenus : Glorificantes et laudantes Deum (1). Parlons plus clairement. La pauvreté abondait sur la terre, mais, comme ajoute saint Bernard, ce n'était pas celle qui devait béatifier les hommes, et servir de titre pour l'héritage du royaume de Dieu. Car qu'était-ce que la pauvreté qui régnait sur la terre? Une pauvreté dont on gémissait, dont on rougissait, dont on murmurait ; et celle par où Ton devait entrer dans le royaume de Dieu était au moins une pauvreté acceptée avec soumission, soufferte avec résignation, convertie par un saint usage en bénédiction : or voilà celle dont le Fils de Dieu lève aujourd'hui l'étendard, en proposant le signe de sa crèche ; et vous savez avec quelle ardeur et quel zèle cet étendard a été suivi. Donnons encore à ceci un nouvel éclaircissement. Avant Jésus-Christ, on voyait des pauvres dans le inonde ; mais des pauvres, reprend saint Bernard , qui s'estimaient malheureux de l'être; des pauvres qui, souffrant toutes les incommodités de la pauvreté, n'en avaient ni la vertu ni le mérite, et qui, n'ayant pas les avantagea des richesses, en avaient toute la corruption et tout le désordre; des pauvres sans humilité, sans piété, souvent sans conscience et sans religion ; des pauvres dont l'indigence et la misère n'empêchaient pas le libertinage des mœurs, et qu'elle rendait au contraire plus vicieux et plus dissolus; en un mot, des pauvres réprouvés de Dieu par l'abus qu'ils faisaient de la pauvreté même. Voilà de quoi le monde était plein ; et il fallait, pour sanctifier le monde, des pauvres d'un caractère tout différent; c'est-à-dire des pauvres aimant leur pauvreté, profilant de leur pauvreté, honorant Dieu, et remerciant Dieu dans leur pauvreté; des pauvres en qui la pauvreté fût le fond d'une vie pure et innocente; des pauvres appliqués à leurs devoirs, vigilants, fervents, laborieux; des pauvres dont la religion fit respecter la condition, et dont la condition fût un état avantageux pour la religion. Or, grâces à celui dont nous célébrons la naissance, c'est par la vertu de sa crèche que le monde a vu de semblables pauvres ; et l'on peut dire que par là ce signe de la crèche a changé la face du monde, puisque partout où

 

1 Luc, II, 20.

 

il a été reconnu, la pauvreté, changeant de nature et de qualité, a rempli le monde de justes, de saints, de prédestinés; au lieu qu'auparavant elle le remplissait d'hommes inutiles, d'hommes vagabonds , et souvent de scélérats.

Sortons de l'étable de Bethléem, et par une autre preuve encore plus touchante, convainquons-nous de cette vérité. Qui a fait dans l'Eglise de Dieu tant de pauvres volontaires, dont la sainteté, aussi bien que la profession, est encore de nos jours l'ornement du christianisme? La vue de la crèche de Jésus-Christ : voilà ce qui a peuplé le monde chrétien de ces pauvres évangéliques, qui, par un esprit de foi, se sont fait un bonheur et un mérite de quitter tout et de se dépouiller de tout. Le monde profane les a traités de fous et d'insensés; mais en vue de cette crèche, ils ont tenu à honneur d'être réputés fous et insensés dans l'idée du monde profane, pourvu qu'ils eussent l'avantage d'être en cela même plus conformes à ce Dieu naissant. Des millions de fidèles, d'opulents qu'ils étaient, ont renoncé, pour le suivre, à toute la fortune du siècle; des hommes comblés de biens ont, à l'exemple de 3Ioïse, préféré les misères de ce Dieu Sauveur et celles de son peuple, à toutes les richesses de l'Egypte ; des vierges, illustres par leur sang, ont sacrifié, pour devenir ses épouses, les plus grandes espérances ; des princesses, pour se rendre dans sa maison d'humbles servantes, ont abandonné toutes leurs prétentions et tous leurs droits. Tel est le miracle dont nous sommes témoins, et, malgré l'iniquité du monde, ce miracle subsistera jusqu'à la fin des siècles; c'est-à-dire jusqu'à la fin des siècles il y aura des pauvres parfaits, des pauvres héritiers du royaume céleste, et cohéritiers du Dieu pauvre qui est venu leur en tracer le chemin et les y appeler.

Peuples qui m'écoutez, voilà ce qui doit vous remplir d'une confiance chrétienne et vous consoler, vous professez une religion qui relève votre bassesse, qui honore votre pauvreté, qui béatifie vos misères, et qui vous en découvre les avantages dans la personne de votre Dieu. Vous êtes peu de choses selon le monde ; mais c'est par là même qu'il ne tient qu'à vous d'être les sujets les plus propres au royaume de Dieu, puisque Dieu se plaît à répandre sur vous les richesses de sa grâce. Si vous connaissiez le don précieux que vous possédez et qui est en vous, si vous saviez estimer votre pauvreté ce qu'elle vaut, vous ne penseriez qu'à bénir le ciel ; et, vous félicitant vous-mêmes de la

 

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conformité de votre état avec l'état de Jésus-Christ, vous goûteriez sensiblement ce que votre infidélité a tant de peine à comprendre et peut-être à croire, je veux dire le bonheur et le prix de votre condition.

Au contraire, grands du monde, sages du monde, riches et puissants du monde, voilà votre humiliation, et ce qui doit vous faire marcher dans la voie de Dieu avec crainte et avec tremblement. Vous adorez un Dieu qui, se faisant homme, n'a rien voulu être de ce que vous êtes; et qui, par un dessein particulier, a affecté d'être tout ce que vous n'êtes pas : un Dieu qui, venant au monde, a méprisé toute la grandeur et toute la prospérité humaine, les regardant comme des obstacles à la fin de sa mission : un Dieu qui dans cette vue a appelé les pauvres et les petits préférablement à vous, et qui par là (oserais-je me servir de ce terme, si je n'avais de quoi vous l'adoucir?), qui, dis-je, par là semblerait presque vous avoir dédaignés; car, en qualité de prédicateurs de l'Evangile, nous ne pouvons, mes Frères, disait saint Cyprien, quelque zèle et même quelque respect que nous ayons pour vos personnes, vous dissimuler cette vérité affligeante : mais écoutez-moi, et comprenez-en bien l'adoucissement. Car il n'est point absolument vrai que ce Dieu pauvre ait en effet rebuté ni dédaigné la grandeur du monde; et j'avance même que, bien loin de Ja dédaigner, il a eu dans sa naissance des égards pour elle, jusqu'à la rechercher et à se l'attirer; mais c'est ici que je reconnais encore la vertu miraculeuse du signe de la crèche, et que j'adore les conseils de Dieu. Comme la vertu de ce signe a paru dans les petits, en les élevant aux plus hautes fonctions de l'apostolat ; dans les simples, en les éclairant des plus vives lumières de la foi ; dans les pauvres, en les enrichissant des plus précieux dons de la grâce : aussi, par un autre prodige, ce même signe de la crèche a-t-il fait paraître sa vertu dans les grands, en les réduisant à s'abaisser devant Jésus-Christ; dans les sages, en les soumettant à la simplicité de la foi; dans les riches, en les détachant de leurs richesses, et les rendant pauvres de cœur. C'est de quoi nous avons la preuve dans l'exemple des mages, mais une preuve à laquelle je défie les cœurs les plus endurcis de résister, s'ils s'appliquent à en sentir toute la force. Car Jésus-Christ naît dans la Judée; et des mages, c'est-à-dire des hommes savants, des puissants, des opulents du siècle, des rois même viennent des extrémités de l'orient pour le chercher. Après avoir abandonné pour cela leurs Etats, après avoir supporté les fatigues d'un long voyage, après avoir essuyé mille dangers, ils arrivent à Bethléem, ils entrent dans l'étable, et là que trouvent-ils? Un enfant couché dans une crèche. Mais cet enfant, est-ce donc le Dieu qu'ils sont venus reconnaître? Oui, Chrétiens, c'est lui-même; et c'est justement à ce signe de la crèche qu'ils le reconnaissent. Sans délibérer, sans examiner, dès qu'ils l'aperçoivent, ils se prosternent devant lui ; et non contents de lui sacrifier leurs trésors en les lui offrant, ils lui sacrifient leur raison en l'adorant.

Ah! Chrétiens, achevons de nous instruire dans cet excellent modèle que Dieu nous propose. Il est vrai, les mages ne voient qu'une crèche et qu'un enfant; mais c'est la merveille de Dieu, que ce signe de l'enfance et de la crèche de Jésus-Christ ait assez de pouvoir sur leurs esprits pour leur faire adorer dans cet enfant ce qui semble moins digne de leurs adorations, qu'il fasse assez d'impression sur leurs cœurs pour en arracher dans un moment les passions les plus vives et les plus enracinées, et qu'il soit assez efficace pour les humilier sous le joug de la foi. Après cela, douterons-nous que ce signe ne soit le signe du Dieu Sauveur? Je prétends que ce seul miracle de la conversion des mages en est un témoignage plus éclatant que tout ce que Jésus-Christ fera jamais; et que les aveugles-nés guéris, que les morts de quatre jours ressuscites, ne seront point des signes plus authentiques de sa divinité et de sa mission que ce qui paraît dans l'étable de Bethléem, c'est-à-dire que des grands du monde, que des riches du monde, que des sages du monde, soumis à l'empire de Dieu. C'est un grand miracle que des hommes simples et ignorants, comme les pasteurs, parviennent tout à coup à la connaissance des plus hauts mystères, et soient remplis des lumières divines; mais un miracle sans contredit encore plus grand, c'est que des hommes versés dans les sciences humaines et adorateurs de leur fausse prudence, y renoncent pour ne plus suivre que les vues obscures de  la foi. Car entre la sagesse du monde et l'obéissance de la foi, il y a bien plus d'opposition qu'entre la simplicité de l'esprit et les lumières du ciel, puisque Dieu prend plaisir à se communiquer aux simples : Et cum simplicibiis sermocinatio ejus (1). Quand donc je vois des bergers éclairés de Dieu, connaissant le Verbe fait chair, et

 

1 Prov., III, 32.

 

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l'annonçant, le glorifiant, j'en suis moins surpris, parce que ce sont là les voies ordinaires de la Providence; mais au contraire, la sagesse du monde étant si opposée aux révélations de Dieu, voulant raisonner sur tout, voulant avoir l'évidence de tout, voulant décider de tout selon ses vues, ce qui m'étonne, c'est de la voir si docile dans les mages et si souple. Frappé de ce changement, j'étends, s'il m'est permis, la proposition de Jésus-Christ, lorsqu'il disait à son Père : Confiteor tibi, Pater, quia abscondisti hœc a sapientibus et prudentïbus, et revelasti ea parvulis (1) ; Je vous bénis, mon Père, de ce que vous avez caché toutes ces choses aux sages et aux prudents du siècle, pour les révéler aux petits. Car je dis à Dieu : Soyez éternellement béni, Seigneur, de les avoir révélées aux savants et aux sages ! et quand je le dis ainsi, je ne détruis en aucune manière la parole du Fils de Dieu, puisqu'il a fallu, pour recevoir cette foi et pour croire ces ineffables mystères, que les savants et les sages soient devenus petits comme des enfants : Et revelasti ea parvulis.

C'est un grand miracle que des pauvres, tels qu'étaient les pasteurs, apprenaient à estimer la pauvreté, jusqu'à s'en faire un bonheur et un sujet d'action de grâces : mais un miracle sans doute encore plus grand, c'est que des riches se détachent de leurs richesses, et deviennent pauvres de cœur : car il est bien plus difficile d'allier ensemble l'opulence et la pauvreté de cœur, que cette même pauvreté de cœur et une pauvreté réelle et véritable. Que des bergers donc, nés dans la disette, accoutumés à vivre dans l'indigence et à manquer des commodités de la vie, se bornent à leur état et en soient contents, c'est ce que j'ai moins de peine à comprendre : mais la possession des richesses étant un poison si subtil pour corrompre le cœur, et une amorce si puissante pour le surprendre et pour l'attacher, que les mages, je veux dire que des riches, éteignent dans eux toute affection à ces biens trompeurs et enchanteurs ; qu'ils déposent leurs trésors aux pieds de Jésus-Christ pour l'en rendre maître, et qu'ils consentent à n'avoir plus désormais, s'il le faut, d'autre héritage sur la terre que sa pauvreté ; qu'au moins dans leur estime ils la préfèrent, cette pauvreté chrétienne, à toute la fortune du monde ; c'est ce que je ne puis assez admirer. Touché de ce prodige, je m'adresse à vous, riches, et je ne vous dis plus, comme saint Jacques : Tremblez, gémissez, déplorez le malheur de votre état :

 

1 Matth., XI, 25.

 

Agite nunc, divites; plorate ululantes in miseriis vestris (1) ; mais je vous dis : Prenez confiance, et consolez-vous ; car Jésus-Christ est venu appeler et sauver les riches aussi bien que les pauvres. Mais du reste, quels riches? observez-le bien, et voilà en quoi ce que je dis s'accorde parfaitement avec ce que dit ce saint apôtre. Car ces riches que Jésus-Christ reçoit à sa suite, et à qui il destine sa gloire, ce sont des riches détrompés du vain éclat des richesses, des riches prêts à lui sacrifier toutes leurs richesses, des riches pauvres de volonté et en esprit, et disposés, quand il lui plaira, à l'être pour lui et comme lui, réellement et en effet.

C'est un grand miracle que, malgré la bassesse de leur condition, Dieu ait suscité les pasteurs pour être comme les premiers apôtres du Messie, et pour publier dans le monde sa venue ; mais un miracle encore bien plus grand, c'est que, malgré l'orgueil presque inséparable de la puissance humaine, Dieu dans les mages ait inspiré aux puissants du siècle tous les sentiments de la vraie humilité ; car l'humilité dans la grandeur est le chef-d'œuvre de la grâce. Ainsi, sans me contenter de vous dire, avec l'apôtre saint Paul, que Dieu a choisi les faibles pour confondre les forts, et les petits pour humilier les grands : Infirma mundi elegit Deus ut confundat fortia (2) ; je puis ajouter qu'il a pareillement choisi les forts pour instruire les faibles, et les grands pour servir de modèles aux petits. Mais du reste, quels grands? prenez garde ; voici l'éclaircissement de ma pensée, et par où elle convient avec celle du maître des Gentils : des grands descendus volontairement, et par leur choix, au rang des petits ; des grands prévenus d'un saint mépris pour toute la pompe qui les environne, et plus petits à leurs yeux qu'ils ne sont grands devant les hommes; des grands qui ne prisent leur grandeur qu'autant qu'elle peut servir à s'abaisser plus profondément aux pieds de l'Homme-Dieu ; des grands jaloux, non de leur gloire, mais de la gloire de Dieu ; préparés à tout entreprendre, non pour dominer, mais pour obéir à Dieu ; non pour se faire honorer et craindre, mais pour faire honorer et craindre Dieu ; non pour se chercher eux-mêmes et leurs propres avantages, mais pour maintenir les droits et les intérêts de Dieu.

Voilà, mes chers auditeurs, ce qu'a pu opérer le signe de la crèche, et ce qu'il doit encore opérer dans chacun de vous, si vous voulez que ce soit pour vous un signe de salut : il faut

 

1 Jac., V, 1. —2 2 Cor., I, 27.

 

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qu'il corrige toutes vos erreurs, et qu'il vous fasse prendre des maximes toutes contraires à la sagesse du monde; il faut qu'il amortisse le feu de cette avare convoitise qui vous consume, et qu'il vous dégage de toute attache aux biens périssables du monde; il faut qu'il réprime vos ambitieux désirs, et qu'il bannisse de votre cœur toutes les vanités et tout le faste du monde. Autrement, craignez la vertu de ce signe, bien loin d'y mettre votre confiance ; car ce signe de salut, pour les autres, ne pourrait être pour vous qu'un signe de réprobation : signe vénérable et tout divin, en quoi consiste le caractère propre du christianisme, et par où d'abord il s'est fait connaître. Mais grâces soient rendues au Dieu immortel qui nous fait voir encore aujourd'hui, pour notre consolation, ce signe respecté, révéré, adoré par le premier roi du monde ; je veux dire qui nous fait voir le premier roi du monde fidèle à Jésus-Christ, déclaré pour Jésus-Christ, saintement occupé à étendre la gloire de Jésus-Christ, et à combattre les ennemis de son Eglise et de sa foi. L'hérésie abattue, l'impiété réprimée, le duel aboli, le sacrilège recherché et hautement vengé, tant d'autres monstres dont Votre Majesté, Sire, a purgé la France, et qu'elle a bannis de sa cour, en seront d'éternelles preuves. Le dirai-je néanmoins? et pourquoi ne le dirai-je pas, puisqu'il y va des intérêts du Seigneur, et que je parle devant un roi à qui les intérêts du Seigneur sont si chers? de ces monstres que Votre Majesté poursuit, et contre qui elle a déjà si heureusement employé son autorité royale, il en reste encore, Sire, qui demandent votre zèle et tout votre zèle. L'Ecriture me défend de les nommer; mais il me suffit que Votre Majesté les connaisse, et qu'elle les déteste. Elle peut tout, et la seule horreur qu'elle en a conçue sera plus efficace que toutes les lois pour en arrêter le cours. Ils ne soutiendront pas sa disgrâce , ni le poids de son indignation;  et quand elle voudra, ces vices honteux au nom chrétien cesseront d'outrager Dieu et de scandaliser les hommes. C'est pour cela, Sire, que le ciel vous a placé sur le trône ; c'est pour cela qu'il a versé si abondamment sur votre personne sacrée les dons de force, de sagesse, de piété, qui vous distinguent entre tous les monarques de l'univers ; mais c'est par là même aussi que Votre Majesté attirera sur elle toutes les bénédictions dont Dieu récompensa autrefois la religion de David : Car je le protégerai, dit le Seigneur, parlant de ce saint roi, je l'appuierai ; ma main s'étendra pour le secourir, et mon bras le fortifiera; j'exterminerai ses ennemis de devant ses yeux, toutes ses entreprises réussiront, enfin j'en ferai mon fils aîné, et je relèverai au-dessus de tous les rois de la terre : Et ego primogenitum ponam illum, excelsum prœ regibus terrœ (1) ; oracle accompli dans Votre Majesté, encore plus visiblement que dans le religieux prince en faveur duquel il fut d'abord prononcé. Nous n'en doutons point, Sire : voilà d'où sont venus et d'où viennent sans interruption ces prospérités et ces succès qui ont étonné toute l'Europe, et dont le bruit s'est répandu jusques aux extrémités de la terre. A ces succès, ô mon Dieu, à ces prospérités passées, vous en ajouterez de nouvelles : vous bénirez toujours un roi dont le premier soin est de vous honorer et de vous servir, dont le souhait le plus ardent est de faire de sa cour une cour chrétienne, de son royaume un royaume chrétien, et du monde même, s'il en était maître, un monde chrétien. Ainsi pourrez-vous, Sire, attendre tout d'un Dieu à qui vous donnez tous les jours des marques si sensibles de votre piété, et qui tous les jours vous donne des marques si éclatantes de sa protection. Il n'en demeurera pas là ; l'avenir répondra au passé, et l'éternité bienheureuse mettra le comble à de longues et de glorieuses années : c'est ce que je vous souhaite, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

 

1 Psalm., LXXXVIII,28.

 

 

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