ÉTAT RELIGIEUX V

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CINQUIÈME SERMON SUR L'ÉTAT RELIGIEUX.
COMPARAISON DES PERSONNES RELIGIEUSES AVEC JÉSUS-CHRIST RESSUSCITÉ.

ANALYSE.

 

Sujet. Si nous sommes entés en Jésus-Christ par la ressemblance de sa mort, nous le serons en même temps par la ressemblance de sa résurrection.

 

Etat de Jésus-Christ ressuscité, vrai modèle de la perfection religieuse ; ou, vie religieuse dans sa perfection, fidèle image de l'état de Jésus-Christ ressuscité.

 

Division. Conformité de l'état religieux avec l'état de Jésus-Christ ressuscité, soit par rapport au corps, soit par rapport à l'âme. Par rapport au corps; c'est ce que fait l'angélique pureté que professent les âmes religieuses : première partie. Par rapport à l'âme; c'est ce que fait l'entier éloignement du monde, et l'intime commerce avec Dieu où vivent les personnes religieuses : deuxième partie.

 

Première partie. Conformité de l'état religieux avec l'état de Jésus-Christ ressuscité par rapport au corps : c'est ce que fait l'angélique pureté que professent les personnes religieuses. Quatre qualités des corps glorieux, selon saint Paul, et en particulier du corps de Jésus-Christ ressuscité : 1° corps tout spirituel : Surget corpus spiritale; 2° corps incorruptible : Surget in incorruptione; 3° corps tout éclatant de gloire : Surget in gloria; 4° corps plein de force : Surget in virtute. Or, voilà dans une vierge dévouée à Dieu les quatre effets de la chasteté.

 

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1° Corps tout spirituel : Surget corpus spiritale; c'est-à-dire corps affranchi de la servitude des sens. Tel fut celui de Jésus-Christ ressuscité, tels seront ceux des bienheureux après la résurrection, et tel est l'état où le vœu de chasteté met une personne religieuse.

2° Corps incorruptible : Surget in incorruptione ; La chasteté, semblable à ce précieux parfum que Madeleine répandit sur les pieds du Sauveur du monde, est, dans la pensée des Pères, comme un baume sacré qui maintient le corps d'une épouse de Jésus-Christ dans une intégrité parfaite. Hors de la religion elle serait en danger de se corrompre; mais l'état religieux est pour elle un préservatif assuré.

3° Corps tout éclatant de gloire : Surget in gloria. C'est une inviolable chasteté qui fait aux yeux de Dieu le plus bel agrément d'une vierge. C'est elle qui l'élève a la noble alliance qu'elle contracte avec le Verbe de Dieu, en devenant l'épouse de l'Agneau.

4° Corps plein de vertu et de force : Surget in virtute. La pureté des corps glorieux après la résurrection sera une pureté sans effort; mais la pureté d'une vierge sur la terre est une pureté victorieuse, qui résiste et qui triomphe.

Du reste, tout cela demande dans les personnes religieuses un grand soin de se conserver, et l'exercice de toutes les vertus nécessaires pour se maintenir : morale que les chrétiens du siècle doivent s'appliquer à eux-mêmes.

Deuxième partie. Conformité de l'état religieux avec l'état de Jésus-Christ ressuscité par rapport à l'âme; c'est ce que fait l'entier éloignement du monde et l'intime commerce avec Dieu où vivent les personnes religieuses. Comment vécut Jésus-Christ sur la terre durant les quarante jours qu'il y demeura après sa résurrection? 1° Il y fut séparé du commerce des hommes; 2° si de temps en temps il se fit voir à ses disciples, ce ne fut que pour des besoins importants; 3° dans ces apparitions il vit ses disciples et leur parla, mais en leur témoignant toujours une sainte impatience de les quitter; 4° du reste, il n'eut d'entretien qu'avec Dieu, et toute sa conversation fut dans le ciel. Or n'est-ce pas là, en figure et en abrégé, la vie d'une âme religieuse?

1° Jésus-Christ fut séparé du commerce des hommes, et toute la vie d'une âme religieuse est une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

2° Jésus-Christ de temps en temps se fit voir à ses disciples, mais ce ne fut que pour des besoins importants, pour les rassembler, pour les confirmer, pour les consoler, pour les instruire. Une âme religieuse ne doit avoir de commerce avec les chrétiens du siècle qu'autant que l'édification, le zèle, la charité, la nécessité le demandent.

3° Jésus-Christ dans ses apparitions vit ses disciples et leur parla, mais en leur témoignant toujours une sainte impatience de les quitter. Dans les visites qu'une âme religieuse reçoit quelquefois de ses proches, elle u'aspire qu'à rentrer bientôt dans sa retraite, et qu'à retourner à ses exercices.

4° Jésus-Christ n'eut d'entretien qu'avec Dieu, toute sa conversation fut dans le ciel; et une âme religieuse n'est occupée que de Dieu, ni ne goûte que les choses du ciel. Heureuse vie dont elle comprend le bonheur, et dont elle rend sans cesse à Dieu des actions de grâces!

 

Si complantati facti sumus similitudini mortis ejus, simul et resurrectionis erimus.

Si nous sommes entés en Jésus-Christ par la ressemblance de sa mort, nous le serons en même temps par la ressemblance de sa résurrection. (Epitre aux Romains, chap. VI, 5.)

 

Ne vous étonnez pas , Chrétiens, si je vous parle de Jésus-Christ ressuscité , dans une cérémonie qui, selon toutes les maximes de la foi, est un véritable sacrifice, et doit être par conséquent regardée comme une véritable mort (1). Il est vrai, la mort et la résurrection sont deux termes essentiellement opposés, et il est aussi impossible dans l'ordre de la nature de mourir et de ressusciter tout à la lois , que d'être et de n'être pas. Mais cette opposition ne se rencontre point dans l'ordre de la y race : car l'âme chrétienne, par la conformité qu'elle a avec Jésus-Christ, peut sans contradiction réunir en elle ces deux choses ; je veux dire qu'elle peut, tout ensemble, et être morte spirituellement, et être spirituellement ressuscitée. Si complantati facti sumus similitudini mortis ejus, simul et resurrectionis erimus : Si, comme de nouvelles plantes, nous sommes entés sur la croix de cet Homme-Dieu ; si notre conversion, par laquelle nous mourons au péché , est en nous , comme elle le doit être, l'image de sa mort, elle le sera en même temps de sa résurrection. L'Apôtre ne dit pas qu'après avoir été semblables à

 

1 Le P. Bourdaloue fit ce sermon pour le temps de Pâques.

 

Jésus-Christ dans l'état de sa mort, nous lui serons un jour semblables dans l'état de sa résurrection el de sa gloire; mais il prétend que, par un effet miraculeux et tout divin, nous lui serons tout à la fois semblables dans l'un et dans l'autre ; et qu'en qualité de parfaits chrétiens, nous aurons l'avantage d'être conformes à sa vie glorieuse , dès le moment même que nous nous trouverons conformes à sa sainte mort : Simul et resurrectionis erimus. Je conviens donc, digne et fidèle épouse du Sauveur , qu'en mourant au monde vous allez mourir et vous ensevelir avec Jésus-Christ, suivant la pensée et l'expression de saint Paul : Consepulti sumus cum illo (1) ; mais mourir et s'ensevelir de la sorte, c'est ressusciter et entrer dans une nouvelle vie : Si commortui sumus et convivemus (2); et afin de ne me point écarter des sentiments de l'Eglise, qui, dans ces saints jours , est occupée à célébrer la résurrection du Fils de Dieu, après avoir pleuré sa mort, je veux vous montrer que l'état de Jésus-Christ ressuscité est le vrai modèle de la perfection de la vie religieuse, et que la vie religieuse, dans sa perfection, est la plus fidèle image de l'état de Jésus-Christ ressuscité. Pouvais-je choisir un sujet plus propre à vous donner une haute idée de votre vocation? Mais pour en tirer tout le fruit que je me promets ,

 

1 Rom., VI, 4.— 2 2 Tim., II, 11.

 

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j'ai besoin, pour vous et pour moi, des lumières du Saint-Esprit, et je les demande par l'intercession de la mère de Dieu, en lui disant : Ave, Maria.

 

Quand saint Paul parlait aux chrétiens de l'obligation que nous avons tous de porter , même dès cette vie , l'image de l'homme céleste , il s'expliquait trop clairement pour ne pas convenir d'abord que par cet homme céleste , il entendait Jésus-Christ ressuscité. Car voici comment il raisonne dans cet admirable chapitre de la première Epître aux Corinthiens , où, après avoir établi la résurrection du Fils de Dieu, comme le fondement de toute la morale du christianisme , il en tire cette conséquence, que je vous prie de bien comprendre , parce qu'elle va faire tout le sujet de ce discours. Nous reconnaissons, dit-il, deux hommes bien différents et bien opposés, mais qui sont néanmoins les deux principes de notre origine : le premier est Adam, qui fut formé de la terre, et qui, par cette raison , mais plus encore par le désordre de son péché, mérite d'être appelé l'homme terrestre : Primus homo de terra terrenus (1); et le second est Jésus-Christ, cet homme descendu du ciel, qui dans tous les mystères de sa vie, mais surtout dans sa sainte résurrection , a paru parfaitement ce qu'il était, c'est-à-dire un homme céleste et divin : Secundus homo de cœlo cœlestis (2). Tel qu'a été l'homme terrestre, qui est Adam, tels sont parmi nous ceux qui, menant une vie sensuelle et animale, bornent leurs désirs à la terre, et n'ont de vue que pour la terre : Qualis terrenus, tales et terreni (3) et tel qu'a été l'homme céleste, qui est Jésus-Christ, tels sont ces chrétiens qui, par la pureté de leurs mœurs, se conformant à son exemple et imitant sa sainteté, semblent déjà participer à sa gloire : Et qualis cœlestis , tales et cœlestes (4). C'est pourquoi, mes Frères, conclut l'Apôtre, comme nous avons été assez malheureux pour porter l'image de l'homme terrestre et pécheur, efforçons-nous maintenant de porter l'image de l'homme céleste et glorieux : Igitur sicut portavimus imaginem terreni, portemus et imaginem cœlestis (5). Or voilà, mes chers auditeurs, ce que fait excellemment une vierge chrétienne qui quitte le monde, et qui se consacre à Dieu par les vœux de la religion. Car pour vous en convaincre sensiblement, et pour vous donner une idée juste de la profession religieuse , en

 

1  1 Cor., XV, 47. — 2 Ibid. — 3 I Ibid., 48. — 4 Ibid. — 5 Ibid., 49.

 

la comparant avec la résurrection du Fils de Dieu, voici mon dessein. Je trouve deux choses singulièrement remarquables dans l'état de Jésus-Christ ressuscité (j'entends de Jésus-Christ ressuscité avant qu'il montât au ciel, et pendant les quarante jours qu'il demeura sur la terre) : l'une par rapport à son corps, l'autre par rapport à son âme bienheureuse. L'une qui consiste en ce que le corps de Jésus-Christ, par une vertu merveilleuse de sa résurrection, quoique toujours matériel dans sa substance et en lui-même, devint tout spirituel dans les divines qualités qu'il acquit en ressuscitant : l'autre, qui consiste en ce que Jésus-Christ, après sa résurrection, demeura tellement sur la terre, qu'il y fut désormais séparé du commerce des hommes, n'ayant même avec ses disciples que quelques entretiens courts et passagers, selon qu'il le jugeait nécessaire pour les affermir dans la foi; et du reste n'étant occupé que du ciel, et ne voulant plus avoir de conversation que dans le ciel. Deux choses qui font de Jésus-Christ ressuscité un parfait modèle de l'état religieux. Car c'est ainsi, ma très-chère Sœur, que, par le vœu de chasteté, vous allez présenter votre corps à Dieu comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux. Or, dans la doctrine de saint Paul, votre corps consacré de la sorte et immolé à Dieu va devenir un corps tout spirituel par la grâce de votre vocation, comme l'était celui du Sauveur par la gloire de sa résurrection. Par le vœu de clôture, vous allez, à l'exemple du même Sauveur, sans sortir du monde, vous séparer du commerce du monde, pour n'avoir plus de société ni de communication avec le monde, qu'autant qu'une sainte nécessité vous y engagera ; en sorte que vos entretiens avec les personnes du monde ne seront, si je l'ose dire, que de simples apparitions pour leur inspirer le zèle de leur conversion et de leur salut, pour les confirmer dans le bien, pour les édifier. Je vous ferai donc voir d'abord les caractères du corps glorieux de Jésus-Christ vivement marqués dans une vierge chrétienne qui, renonçant à la chair et au sang, choisit Jésus-Christ pour son unique époux; et ensuite vous verrez la forme de vie que tint sur la terre Jésus-Christ ressuscité, fidèlement et heureusement imitée par une vierge qui, se renfermant dans la maison de Dieu, se fait au milieu du monde une solitude où elle ne pense plus qu'à l'éternité. En deux mots, votre profession, âmes religieuses , par une pleine conformité avec la résurrection du Fils de Dieu, opère en vous

 

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tout à la fois deux miracles de la grâce ; savoir, une chair toute spirituelle, et un esprit tout céleste. Une chair toute spirituelle, par l'angélique pureté que vous professez : ce sera la première partie. Un esprit tout céleste, par l'entier éloignement du monde et l'intime commerce avec Dieu, où vous vivez : ce sera la seconde partie. Voilà, dis-je, les deux avantages que je découvre dans la vocation religieuse ; voilà à quoi je réduis les obligations de votre état; et voilà, mes chers auditeurs, ce que chacun de vous doit par proportion s'appliquer jusque dans la vie séculière, et cependant chrétienne, où la Providence l'engage.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

De toutes les idées que l'Ecriture nous donne de Jésus-Christ dans l'état de sa résurrection, la plus surprenante et la plus digne de nos réflexions, c'est celle qu'en avait conçue saint Paul, quand il disait aux Corinthiens : Et si cognovimus secundum carnem Christum, sed mine jam non novimus (1) : Ainsi, mes Frères, quoique autrefois nous ayons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant qu'il est ressuscité et dans L'état de sa gloire, nous ne le connaissons plus de cette sorte. Mais sur quoi l'Apôtre fondait-il, ou sur quoi pouvait-il fonder cette proposition si étonnante, et même en apparence si contraire à la vérité du mystère dont il parlait? Car il est de la foi que Jésus-Christ était ressuscité dans la même chair où il avait vécu, et où il était mort; et il est de la foi que la gloire de sa résurrection n'avait point détruit cette chair. Cela est vrai : mais elle l'avait tellement changée, que saint Paul prétendait avoir droit de ne la plus reconnaître. C'était un corps, dit saint Grégoire, pape, mais qui n'avait plus rien de matériel ni de terrestre, et que la gloire de sa résurrection rendait si différent des autres corps, qu'il ne devait plus être regardé que comme un pur esprit. Aussi les apôtres troublés et effrayés s'imaginaient-ils, en le voyant, voir un esprit : Conturbati et conterriti existimabant se spiritum videre. En effet, par un miracle inouï, et qui ne pouvait être que le privilège des purs esprits, il entrait dans les divers lieux où les disciples se trouvaient assemblés, sans que les portes lui en fussent ouvertes; pour montrer, ajoute le même Père, que dans l'état de sa nouvelle vie sa chair était bien de même nature que dans sa vie mortelle et passible, mais qu'elle jouissait d'une tout autre gloire :

 

1 2 Cor., V, 16.

 

Ut ostenderet esse post resurrectionem carnem suam, et ejusdem naturœ, et alterius gloriœ (1).

Excellent modèle de ce qui s'accomplit tous les jours dans les vierges consacrées à Jésus-Christ pour être ses chastes épouses. Voulez-vous savoir le premier avantage qui leur revient de cette consécration? le voici. Quoiqu'elles vivent encore dans la chair (c'est ainsi que s'exprime l'Apôtre), elles ne vivent plus selon la chair, elles ne marchent plus selon la chair, elles n'agissent plus selon la chair : In came ambulantes, non secundum camem militamus (2); c'est-à-dire que par la chasteté religieuse elles sacrifient leurs corps à Dieu, et que leurs corps sacrifiés semblent n'être plus ce qu'ils étaient, tant ils sont ennoblis et perfectionnés dans l'ordre de la grâce. Divin parallèle de Jésus-Christ ressuscité, et de ses épouses; parallèle dont je ne puis mieux vous faire voir le parfait rapport, qu'en le réduisant aux quatre propositions où saint Paul marquait les prérogatives de la résurrection des corps glorieux. Peut-être serez-vous surpris de trouver toutes ces propositions vérifiées clairement et presque à la lettre dans la personne d'une vierge qui se voue à Dieu. Prenez garde. Le corps mort, dit le docteur des Gentils, est mis en terre comme un corps animal et matériel, et il ressuscitera tout spirituel : Surget corpus spiritale (3). Il est mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible : Surget in incorruptione (4). Il est mis en terre difforme et hideux, et il ressuscitera tout éclatant et brillant de gloire : Surget in gloria (5). Il est mis en terre privé de mouvement et d'action, et il ressuscitera rempli de force et de vertu : Surget in virtute 6. Voilà, par rapport aux prédestinés, ce que fera un jour la résurrection. Or, je soutiens que, dès cette vie, la chasteté religieuse, dans ceux qui l'embrassent, produit déjà tous ces effets. Je soutiens que c'est elle qui par avance, et même dans le sens de saint Paul, rend le corps d'une vierge tout spirituel; que c'est elle qui le maintient dans une parfaite intégrité, et, si je puis me servir de cette expression, dans une sainte incorruptibilité ; que c'est elle qui le remplit d'une force surnaturelle et divine; que c'est elle qui fait déjà sa gloire anticipée, et que ces quatre caractères des corps glorieux sont les quatre dons de grâce que la religion lui communique. Voilà ce que je soutiens, et dont vous allez convenir.

J'ai dit que la chasteté religieuse, anticipant

 

1 Luc, XXIV, 37. — 2 2 Cor., X, 3. — 3 1 Cor., XV, 44.— 4 Ibid., 42.— 5 Ibid., 43. — 6 Ibid.

 

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dès cette vie l'effet de la résurrection, rend un corps tout spirituel ; et la preuve en est évidente : parce qu'il est certain que la chasteté, surtout avec ce caractère de stabilité que lui donne la religion, affranchit un corps de la servitude des sens, le met dans une disposition à n'être plus dominé par la concupiscence de la chair, le rend souple et obéissant à la loi de l'esprit. Or, pourquoi un corps soumis à l'esprit ne deviendrait-il pas spirituel, puisqu'un esprit esclave du corps est appelé dans l'Ecriture un esprit charnel? Car la grâce, dit saint Augustin, n'est pas moins efficace pour le bien que le péché pour le mal ; et puisque le péché peut faire qu'une âme raisonnable, de spirituelle qu'elle était, devienne tout animale et toute charnelle, faut-il s'étonner si la grâce, par une opération toute contraire, a la vertu de sanctifier un corps quoique matériel, et d'en faire un corps spirituel? Neque enim absurdum est, quod sit in homme caro spiritualis, si potest esse in hac vita spiritus ipse carnalis. C'est le raisonnement de saint Augustin; et pour mieux établir la proposition que j'ai avancée, consultons l'Evangile, et demandons au Sauveur du monde en quoi consiste cet état de spiritualité où doivent être élevés les corps bienheureux par la résurrection. C'est lui-même qui nous l'apprend dans le chapitre vingt-deuxième de saint Matthieu. In resurrectione neque nubent, neque nubentur; sed erunt sicut angeli Dei in cœlo (1) ; Après la résurrection, dit le Fils de Dieu, les hommes libres et dégagés des alliances sensuelles, seront comme les anges dans le ciel : pourquoi ? parce qu'ils n'auront plus entre eux d'autre société que celle dont les anges sont capables : Sed erunt sicut angeli Dei. Or, il est manifeste qu'en ceci l'état de la religion ressemble parfaitement à celui de la résurrection. Car qu'est-ce que la religion, qu'est-ce qu'un monastère de vierges, sinon une assemblée d'âmes élues qui sont vraiment les anges de la terre ; qui, s'étant associées pour être, par une inviolable et unanime profession, les épouses du Dieu qu'elles servent, n'ont point entre elles d'autre affinité que celle qu'elles auront comme les anges dans le séjour bienheureux; qui, selon la parole de saint Paul, ont des corps comme n'en ayant point, et usent du monde comme n'en usant point; enfin, dont il est vrai de dire, dans le sens propre et naturel : Neque nubent, neque nubentur, sed erunt sicut angeli Dei ? Un corps sanctifié par la chasteté

 

1 Matth., XXII, 30.

 

et par la solennelle profession qu'en fait une vierge, peut donc, dans les principes de Jésus-Christ, être considéré comme un corps spirituel et angélique; et Dieu, remarque saint Chrysostome, par son aimable providence, a ainsi disposé les choses, afin que de même qu'il y a des hommes dans le monde qui, par des péchés honteux, déshonorent leurs corps et l'avilissent jusqu'à la condition des bêtes : Homo cum in honore esset, non intellexit ; comparatus est jumentis insipientibus, et similis factus est illis (1), il y eût aussi des vierges sur la terre qui, par la sainteté de leur état, ennoblissent ce même corps, et relevassent en quelque manière jusqu'à la condition des anges : Sed erunt sicut angeli Dei in cœlo. Suivons la pensée de saint Paul.

Le corps, tout sujet qu'il est par lui-même à la corruption, ressuscitera tout incorruptible : Surget in incorruptione ; et je prétends que la chasteté, sans attendre la résurrection, nous fait déjà voir cette merveille dans une épouse de Jésus-Christ : second privilège que je vous prie de bien comprendre. Quand Madeleine, dans la ferveur de sa conversion, répandit sur les pieds du Sauveur du monde un précieux parfum, Jésus-Christ, pour la défendre et pour justifier son zèle contre les apôtres qui en murmuraient, dit une parole bien remarquable, et qui convient admirablement à mon sujet : Quod habuit hœc, fecit; prœvenit ungere corpus meum in sepulturam (2) ; Ne condamnez point cette femme : ce qu'elle a fait, c'a été pour prévenir le temps de ma sépulture, et pour embaumer dès à présent mon corps, en me rendant par avance ce devoir de sa piété : Prœvenit ungere corpus meum. Or voilà, mes chères Sœurs, ce que vous avez saintement imité, et ce que Dieu, par une grâce singulière, vous a inspiré de pratiquer pour vous-mêmes dans la religion. Car la chasteté que vous avez embrassée est, dans la pensée des Pères , comme une onction céleste répandue sur vos corps ; comme un baume sacré qui maintient vos corps dans une intégrité parfaite. Oui, c'est cette onction de la chasteté religieuse qui vous conserve au milieu de tant de dérèglements, où toute chair, dans ce malheureux siècle , semble être livrée ; et c'est cette onction de chasteté vouée à Dieu qui fait que le monde, tout perverti et tout corrompu qu'il est, ne peut néanmoins vous surprendre et vous pervertir. Hors de la religion, les vertus même les plus solides sont exposées à cette corruption du monde.

 

1 Psal., XLVIII, 13. — 2 Marc, XIV, 8.

 

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Sans une grâce tout extraordinaire, pour peu qu'une femme du monde vive selon l'esprit du monde, ce ver, qui infecte aujourd'hui ce qu'il y a de plus saint dans le christianisme, ce ver de l'impureté se forme peu à peu dans son cœur : l'oisiveté, la mollesse, les délices de la vie, la liberté des entretiens, les occasions, les mauvais exemples, tout cela, sans qu'elle s'en aperçoive, porte avec soi un air contagieux, dont il est difficile qu'elle se défende. Mais votre état, mes chères Sœurs, est un préservatif infaillible contre tout cela : préservatif contre la mollesse, parles austérités de la profession religieuse ; préservatif contre l'oisiveté, par le travail et les observances régulières qui partagent votre vie ; préservatif contre la licence des conversations mondaines, par les pieux entretiens et les saintes conférences que vous avez ensemble ; préservatif contre les occasions, par le divorce que vous avez fait avec le monde ; préservatif contre les mauvais exemples , par l'édification que vous donne une communauté tout entière , dont la ferveur vous soutient, et dont la sainteté est pour vous, selon l'Ecriture, une odeur de vie : Odor vitœ in vitam (1) ; au lieu que les scandales dont le monde est plein sont pour les justes mêmes qui y vivent une odeur de la mort : Odor mortis in mortem (2) ; Or, vous trouvant ainsi préservées de la contagion du monde, et respirant sans cesse un air pur dans la maison de Dieu, il ne faut plus être surpris que votre vie soit avec tant de distinction et irréprochablement exempte de cette corruption générale qui règne aujourd'hui dans le monde, et dans le monde chrétien. Une vierge, comme épouse de Jésus-Christ, a donc le bonheur d'être incorruptible par un don de la grâce, comme le seront un jour les corps des bienheureux par une propriété de leur résurrection.

De ces deux espèces d'incorruptibilité, vous me demandez quelle est la plus glorieuse devant Dieu. Mais peut-on douter que ce ne soit, préférablement à l'autre, celle qui convient à l'épouse de Jésus-Christ ; et n'est-ce pas encore ici que se vérifie la troisième proposition de saint Paul : Surget in gloria ? Non, tout ce que nous concevons de l'éclat et de la gloire des corps bienheureux n'approche point de la gloire solide et intérieure d'une vierge consacrée à Dieu ; de cette gloire qui lui vient de l'inviolable chasteté qu'elle professe ; de cette gloire que le Prophète royal lui attribue par ces paroles du psaume quarante-quatrième :

 

1 2 Cor., II, 16. — 2 Ibid.

 

Omnis gloria filiœ regis ab intus (1). Car c'est cette divine chasteté qui élève l'âme chrétienne à la sublime alliance qu'elle contracte avec le Verbe de Dieu. C'est en vue de cette divine chasteté que le Fils unique de Dieu ne dédaigne pas, mes chères Sœurs, de vous reconnaître pour ses épouses, et que l'ange de l'Apocalypse disait à saint Jean : Veni, et ostendam tibi sponsam uxorem Agni (2) ; Venez, je vous montrerai celle qui est l'épouse de l'Agneau. Titre spécialement acquis aux âmes religieuses, parce qu'il n'y a qu'elles dans l'Eglise de Dieu qui soient les épouses de l'Agneau par un vœu formel et solennel, par un engagement éternel, par un renoncement qui les met en droit d'appartenir bien plus que les autres vierges à cet époux immortel. C'est par le mérite de cette divine chasteté que vous suivez l'Agneau partout où il va, que vous avez part à ses plus intimes faveurs, que vous êtes rachetée d'entre les hommes pour être les prémices des offrandes qui lui sont faites : Primitiœ Deo et Agno (3). Que pouvez-vous espérer de la résurrection future, qui surpasse cet honneur? et un corps ainsi dévoué par la religion a-t-il besoin d'attendre la fin des siècles, pour être aux yeux de Dieu un corps revêtu de gloire? n'est-il pas déjà tel qu'il sera dans la béatitude que Dieu lui prépare ?

Ce n'est pas qu'il n'y ait de la différence entre l'état présent d'une vierge et l'état d'un corps glorieux ; mais c'est par proportion la même différence que saint Bernard a mise entre un ange et une vierge. Ils diffèrent entre eux, dit ce Père, par le bonheur, et non par la force et la vertu : Differunt felicitate, non virtute. Je vais encore plus loin, et je prétends qu'à l'égard même de la vertu et de la force, non-seulement il y a de la différence entre l'état d'une vierge sur la terre et celui d'un corps glorieux dans le ciel ; mais qu'à comparer l'un et l'autre, tout l'avantage est pour les vierges : comment cela? parce qu'après la résurrection, la pureté des corps glorieux sera désormais une pureté sans efforts, une pureté sans combat, une pureté sans victoire ; au lieu que la pureté des vierges, épouses du Sauveur, est en cette vie une pureté victorieuse, une pureté sujette aux attaques de l'ennemi, et qui se soutient, qui résiste, qui triomphe. Or, pour cela, quelle vertu ne faut-il pas ? D'où je conclus que cette pureté met donc nos corps dans la disposition où seront les corps des élus, quand ils ressusciteront pleins de force, et

 

1 Psal., XLIV, 14. — 2 Apoc, XXI, 9. — 5 Ibid., XIV, 4.

 

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qu'elle opère déjà dans nos personnes ce qui doit un jour arriver quand le dernier oracle de saint Paul s'accomplira : Surget in virtute.

Mais ici, mes chères Sœurs, permettez-moi de faire avec vous une réflexion qui renfermera le fruit de cette première partie, et qui me paraît d'une conséquence extrême pour votre édification et pour la mienne. Il est vrai que nos corps, par une grâce particulière de notre état, et par une prérogative de la profession religieuse, participent dès maintenant à la gloire de Jésus-Christ ressuscité; mais souvenons-nous qu'ils n'y participent qu'autant que nous y coopérons, et que par notre fidélité nous travaillons à les maintenir dans cette perfection. Souvenons-nous que nos corps, quoique consacrés par le vœu de la chasteté, ne sont en cette vie ni spirituels, ni incorruptibles, ni revêtus de gloire, ni remplis de force qu'autant que nous avons soin de les rendre tels par une application constante à tous les devoirs de la religion. Au lieu que les corps glorieux posséderont dans le ciel ces excellentes qualités sans aucun danger de les perdre, et au lieu que ces qualités leur tenant lieu d'une récompense éternelle, ils les posséderont par une invariable et bienheureuse nécessité ; souvenons-nous que ces qualités ne nous peuvent convenir que dépendamment du bon usage que nous faisons de notre liberté ; que dépendamment de l'attention que nous avons sur nous-mêmes, du courage avec lequel nous combattons contre nous-mêmes, de la guerre que nous déclarons à notre chair, comme à la plus dangereuse ennemie de nous-mêmes , de l'esprit de pénitence que nous entretenons dans nous-mêmes. C'est ce qui augmente devant Dieu notre mérite ; mais aussi persuadons-nous bien que c'est ce qui doit augmenter notre circonspection et notre crainte. Car enfin, quelque confiance que nous donne la religion, elle ne nous donne point d'assurance ; et les grâces dont elle nous fortifie , quelque puissantes qu'elles soient d'ailleurs, ne sont point des grâces à fomenter notre lâcheté, beaucoup moins à autoriser notre présomption. Quelque fonds que nous puissions faire, et que nous ayons droit de faire sur ces secours abondants de la religion, il faut après tout reconnaître que, n'étant ni absolument impeccables, ni confirmés en grâce, nous pouvons toujours déchoir de cet état de pureté où notre vocation nous établit; que plus cette pureté est dans un degré éminent, plus les chutes sont grièves et redoutables; que plus elle est éclatante, plus il est aisé d'en ternir le lustre ; que le moindre souffle de l'esprit impur est capable d'en effacer les plus beaux traits; que portant, comme dit saint Paul, ce trésor dans des vases de terre, nous devons marcher avec une sainte frayeur et mesurer tous nos pas;que la conduite la plus téméraire serait de nous glorifier de cet état de pureté, et de ne pas trembler dans la vue de notre fragilité ; que non-seulement les vices grossiers, mais les moindres relâchements peuvent avoir des suites funestes ; que la recherche de certaines commodités, que l'attache même trop grande aux nécessités de la vie, sont autant de dispositions à faire revivre en nous ce corps terrestre, dont la destruction doit être, avec la grâce, l'ouvrage de notre ferveur, et surtout de notre mortification ; que nos corps, quoique sanctifiés par la chasteté , ont toujours un penchant à s'affranchir des devoirs pénibles, et que, par une malheureuse sympathie, ils entraînent l'âme peu à peu, ils l'appesantissent, la rendent tardive et languissante, lui font porter avec dégoût et avec chagrin le joug de Dieu. Vérités dont nous sommes assez instruits ; et plaise au ciel qu'une fatale expérience et une preuve personnelle ne vous les fasse jamais sentir !

Que devons-nous donc faire pour nous préserver de ces désordres? vous en savez, mes chères Sœurs, l'important secret, et votre vie en pourrait être pour les autres une leçon. C'est de mettre en œuvre toutes les vertus religieuses qui doivent nous aider à entretenir cette admirable conformité de nos corps avec le corps glorieux de Jésus-Christ. Et quelles sont ces vertus? La vigilance, qui nous est représentée par ce don de clarté qu'eut le corps du Sauveur après sa résurrection ; l'obéissance, qui nous est marquée par le don d'agilité; la pénitence, qui éteint en nous toutes les passions, et que nous figure le don d'impassibilité : mais par-dessus toutes les autres une humilité sincère, sans laquelle il ne peut y avoir en tout cela ni sûreté pour nous, ni solidité. Donnez-les-nous, mon Dieu, toutes ces vertus ; nous vous les demandons. Achevez l'ouvrage que vous avez commencé ; et puisque vous nous avez engagés dans la sainte entreprise que nous avons formée, ne nous y abandonnez pas. Dans l'obligation où nous sommes d'accomplir notre sacrifice, s'il nous manquait une de ces vertus, où en serions-nous? si, par une vaine dissipation, nous donnions encore à nos sens une dangereuse liberté ; si, par l'infraction de la règle qui nous est imposée,

 

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nous tâchions d'en éluder la vérité; si dans la pratique de l'obéissance nous trouvions moyen, par les artifices de notre amour-propre, de ne faire jamais que notre volonté ; si nous prétendions être chastes sans être humbles, et si la sainteté de notre vœu ne nous dégageait par des sentiments d'une secrète vanité : ah! Seigneur, notre profession ne servirait qu'à notre confusion ; et n'aurait-on pas bien sujet alors, mes chères Sœurs, de nous faire le reproche que saint Paul faisait aux Galates : Nonne carnales estis, et secundum hominem ambulatis (1) ? Quelque spirituels que vous paraissiez et que vous vous piquiez d'être, vous êtes encore tout charnels.

C'est à vous-mêmes, hommes du siècle, que vous devez appliquer cette morale. Car sans être religieux il vous suffit d'être chrétiens, pour avoir une indispensable et essentielle obligation de vous conformer à Jésus-Christ, comme à votre modèle. C'est-à-dire que si vous êtes spirituellement ressuscites avec ce divin Sauveur, que si dans cette solennité de Pâques vous avez été véritablement et sincèrement convertis, vous ne devez plus être esclaves de la cupidité et de la chair ; vous ne devez plus suivre les appétits et les aveugles convoitises de la chair, que cette chair purifiée par le sacrement du corps de Jésus-Christ, ne doit plus être désormais sujette à la corruption du péché ; et qu'au lieu que nous gémissions autrefois de vous voir honteusement dominés par les sens, nous, les ministres du Seigneur , nous devons avoir la consolation de vous trouver heureusement changés et transformés en d'autres hommes; de sorte que nous puissions dire de vous : Et si cognovimus secundum carnem, sed nunc jam non novimus. Car voilà comment vous porterez l'image de l'homme céleste. Voilà les caractères de son corps glorieux, et voici ceux de sa bienheureuse âme dans l'état de la résurrection, non moins fidèlement exprimés dans une âme chrétienne qui se consacre à la retraite et à la vie religieuse. Renouvelez votre attention pour cette seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

C'est une réflexion de saint Paulin qui me paraît aussi solide qu'édifiante, savoir, que le mystère de la résurrection du Fils de Dieu ne nous confirme pas seulement dans la foi et dans l'espérance de notre résurrection future,

 

1 1 Cor., III, 2.

 

mais qu'elle nous enseigne même la forme de vie que nous devons tenir, comme chrétiens, dans le siècle présent ; et que cette vie nouvelle consiste surtout dans la séparation du monde, qui de tous temps a été regardée par les vrais serviteurs de Dieu comme une des parties les plus essentielles de la sainteté : Mysterio dominicœ resurrectionis, non ad solam resurrectionis nostrœ fidem, sed ad voluntariam hujus sœculi abdicationem instruimur. En effet, s'il y eut jamais un parfait modèle d'une vie retirée, et en particulier de la retraite, il est évident que c'est le mystère ou plutôt l'étal de Jésus-Christ ressuscité, avant qu'il montât au ciel, et pendant les quarante jours qu'il demeura sur la terre. Appliquez-vous à la comparaison que je vais faire de l'un et de l'autre, et voyez s'il est rien de plus naturel et de plus juste. Voici dans Jésus-Christ ressuscité l'exemplaire, et vous en reconnaîtrez aisément dans l'âme religieuse la ressemblance. Le Sauveur du monde, après sa résurrection, demeure encore sur la terre ; mais il y demeure séparé du commerce des hommes, séparé de ses disciples, séparé de ceux que l'Evangile appelle ses frères, séparé même de Marie sa mère : première circonstance, qui doit avoir pour vous, mes chères Sœurs, quelque chose de bien touchant et de bien consolant. Tout séparé qu'il est des siens, il ne laisse pas de leur apparaître quelquefois et de se faire voir à eux ; mais il ne leur apparaît que pour des besoins importants, et qu'autant qu'il le juge nécessaire pour leur donner des marques de son zèle et de sa charité : seconde circonstance encore très-propre à vous servir de règle. Dans ces apparitions, quoique passagères, il les voit et il leur parle, mais en leur témoignant toujours une sainte impatience de les quitter, et une espèce d'empressement de retourner à son Père : troisième circonstance, qui vous fait une leçon non moins utile que les autres, ni moins convenable à votre état. Du reste, il n'a d'entretien qu'avec Dieu ; toute sa conversation est dans le ciel, dont il se regarde déjà comme possesseur, et la terre n'est plus pour lui qu'une demeure étrangère : quatrième et dernière circonstance, qui achèvera de vous instruire, et de vous faire goûter votre bonheur. Or n'est-ce pas là en figure et en abrégé toute la perfection et toute la sainteté de la vie religieuse ? Mettons ces quatre traits de ressemblance dans tout leur jour, et suivez-moi.

Tout ressuscité qu'était le Sauveur des hommes, il demeurait encore sur la terre, mais

 

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sans y avoir avec les hommes ce commerce ordinaire qu'il avait eu pendant sa vie mortelle; et de la manière dont il se comportait à leur égard, on peut dire qu'il était absolument séparé d'eux. C'est ainsi qu'il s'en expliquait lui-même dans une de ses apparitions, lorsqu'il leur disait : Hœc sunt verba quœ locutus sum ad vos, cum adhuc essem vobiscum (1) ; Vous voyez l'accomplissement des choses que je vous ai prédites lorsque j'étais avec vous. Eh quoi ! reprend saint Augustin, n'était-il pas encore avec eux quand il leur parlait de la sorte? Il y était, dit ce saint docteur, puisqu'il leur parlait : mais il n'y était plus comme il y avait été lorsqu'il entretenait avec eux une société réglée ; parce qu'en sortant du tombeau, et ne voulant plus mener sur la terre qu'une vie solitaire, il s'était séparé de ceux qui lui étaient le plus étroitement unis , sans en excepter même sa sainte et bienheureuse mère. Beau modèle de l'état d'une âme consacrée à la vie religieuse ! Car voilà, mes chères Sœurs, ce que par la miséricorde du Seigneur vous pratiquez. Vivre dans le monde séparé du monde, loin des intrigues du monde, hors du tumulte et de l'embarras du monde, sans engagement et sans liaison d'intérêt avec le monde ; avoir des familles , et se regarder comme n'en étant plus ; avoir des proches et s'en détacher comme ne leur appartenant plus : avoir des amis et ne les fréquentant plus ; être au milieu du monde, et jusque dans le centre des villes, aussi retiré que les anachorètes dans les déserts : voilà votre vocation. De là vient que le Fils de Dieu, pour faire entendre qu'il était venu appeler les hommes à la perfection évangélique, disait qu'il était venu séparer le père d'avec son fils, et la fille d'avec sa mère : Venit separare hominem adversus patrem suum, et filiam adversus matrem suam (2). Or voyons-nous la pureté, la sainteté, la sublimité de cet esprit de séparation ailleurs que dans la religion? où voit-on des filles, sans préjudice des droits sacrés de la nature, saintement et pour jamais séparées de leurs mères, si ce n'est dans la personne de ces vierges dont la vie, selon saint Paul, est cachée avec Jésus-Christ en Dieu ? Vita vestra abscondita est cum Christo in Deo (3). C'est donc à vous, mes chères Sœurs, de soutenir dignement ce caractère ; et, grâces au Seigneur, vous le soutenez avec une persévérance et une régularité qui édifie toute l'Eglise. Une vie cachée dans le monde aurait par elle-même quelque chose de

 

1 Luc, XXIV, 44. — 2 Matth., X, 35.— 3 Coloss., III, 3.

 

triste ; mais les deux circonstances que l'Apôtre y ajoute, quand il dit que c'est une vie cachée en Dieu, et cachée avec Jésus-Christ, sont plus que suffisantes, non-seulement pour vous rendre supportable, mais pour vous rendre aimable la retraite que vous avez embrassée, et pour vous dédommager de tous les vains commerces à quoi vous avez renoncé. Car avec Jésus-Christ et avec Dieu, de quoi ne se passe-t-on point; et que peut-on désirer lorsqu'on a le bonheur de posséder Dieu et Jésus-Christ?

Cependant toute communication avec le monde est-elle interdite à l'âme religieuse? Non, Chrétiens; et l'âme religieuse, toute séparée du monde qu'elle est, peut et doit même quelquefois converser avec le monde, pourvu qu'elle se conforme à l'exemple que Dieu lui propose, et qu'elle doit elle-même se proposer : car il en faut toujours revenir au mystère de Jésus-Christ ressuscité, comme à la règle de notre perfection. Et voici, mes chères Sœurs, le second rapport de votre état avec le sien. Quoique séparé de ses disciples, il ne laisse pas de leur apparaître à certains temps, et de converser avec eux. Mais quand et pourquoi leur apparaît-il ? vous le savez : quand sa présence leur est nécessaire pour les affermir dans la foi ; quand il s'agit de les consoler, de les instruire, de les édifier ; quand il est question de leur parler du royaume de Dieu, de les détromper de leurs erreurs, de les ramener de leurs égarements ; en un mot, quand l'ordre de Dieu, et que la charité l'y engage. Ainsi, auprès du sépulcre, il apparaît à une troupe de femmes dévotes, pour les combler d'une sainte joie ; il apparaît à Madeleine dans le jardin, pour essuyer ses larmes ; il apparaît à saint Pierre, pour l'encourager dans sa pénitence ; il apparaît à saint Thomas, pour le guérir de son incrédulité ; il apparaît aux deux voyageurs d'Emmaüs , pour leur reprocher leur peu de foi, et pour rallumer dans leurs cœurs le feu de son amour ; il apparaît à tous les disciples assemblés, pour leur donner le Saint-Esprit, et leur recommander la paix. Jamais d'apparitions que pour des fins dignes de sa sagesse, et convenables à sa mission de Sauveur. Or ce que nous apprenons de là, mes chères Sœurs, ou ce que nous devons apprendre , c'est qu'en vertu de la profession que nous faisons de vivre dans le monde séparés du monde, nos conversations avec les hommes du monde doivent être à leur égard ce qu'étaient à l'égard des disciples les apparitions de

 

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Jésus-Christ, et produire par proportion les mêmes effets que produisaient les apparitions de Jésus-Christ. Je veux dire qu'en qualité de religieux, nous ne devons avoir de commerce avec les chrétiens du siècle qu'autant que nous sommes capables de contribuer à leur édification, qu'autant que le zèle de leur salut nous y peut obliger, qu'autant que la Providence nous fait naître des occasions de leur être saintement ou utiles, ou même nécessaires. Quand il y aura dans nos familles quelque intérêt de Dieu à appuyer, quelque œuvre de Dieu à procurer, quelque parole pour Dieu à porter; quand nos proches vivront dans le désordre, et qu'il s'agira de leur conversion ; quand il se formera parmi eux des inimitiés, et qu'il faudra s'employer à leur réconciliation ; quand il leur arrivera des disgrâces, et qu'ils auront besoin, pour les supporter et pour en profiter, de notre consolation, paraissons alors comme Jésus-Christ, et faisons-nous voir à eux. Sanctifions-les par nos discours, fortifions-les par nos conseils, soutenons-les dans leurs peines, et, pour les engager à se les rendre salutaires, faisons-leur connaître le don de Dieu dans les afflictions ; imprimons-leur le désir et l'estime des choses du ciel, détachons-les de celles du monde, désabusons-les des fausses maximes qui les séduisent, donnons-leur du goût pour la solide piété , inspirons-leur l'horreur du libertinage ; qu'ils se retirent d'auprès de nous convaincus et touchés de leurs devoirs ; enfin, sans rien prendre de leur esprit, tâchons de leur communiquer le nôtre. Car voilà ce que Dieu attend de notre fidélité, et pourquoi il nous a donné sa grâce. Combien de fois une âme religieuse a-t-elle par là servi à l'exécution des desseins de Dieu les plus importants pour l'avancement de sa gloire et pour le salut du prochain ? Combien de fois, par la sainteté de ses conversations avec le monde, a-t-elle eu le bonheur de gagner à Dieu des pécheurs endurcis ; et combien de fois Dieu a-t-il donné plus de bénédiction à ses paroles, qu'à celles des plus zélés et des plus éloquents prédicateurs? Combien de fois, quoique solitaire et séparé du monde, a-t-elle été dans sa famille un ange de paix, pour y réunir les cœurs aigris et divisés ; et combien de fois, par sa prudence, a-t-elle apaisé les différends et les querelles que l'esprit de discorde y avait suscités ? Voilà ce que j'appelle des conversations semblables aux apparitions du Sauveur; et voilà comment une vierge consacrée à Dieu doit se produire au monde, et s'intéresser à ce qui s'y passe. Elle n'en doit pas demeurer là; mais j'ajoute que ces entretiens avec le monde doivent être accompagnés d'une sainte impatience de retourner à sa solitude, comme ceux de Jésus-Christ ressuscité l'étaient d'un désir ardent de remonter à son Père. Il apparaissait à ses disciples, et il leur parlait? mais en leur témoignant toujours qu'il ne serait pas longtemps avec eux, et que, dans l'état de la vie nouvelle qu'il avait commencée, il n'avait plus que des moments à leur donner. Il faut, leur disait-il, que je vous quitte ; et il le faut non-seulement pour moi, mais pour vous-mêmes, puisque je ne vous quitte que pour aller faire l'office de votre intercesseur auprès de Dieu : Expedit vobis ut ego vadam (1). Je suis sorti, reprenait le même Sauveur, je suis sorti du sein de mon Père, pour venir dans le monde : maintenant je me sens pressé de sortir du monde pour rentrer dans le sein de mon Père : Exivi a Patre, et veni in mundum ; iterum relinquo mundum , et vado ad Patrem (2), Encore un peu de temps, concluait-il, et vous me verrez ; et puis encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus, parce que je m'en vais à celui qui m'a envoyé : Modicum et videbitis me, et iterum modicum et non videbitis me, quia vado ad Patrem (3). Ainsi, dis-je, leur parlait-il, non pas qu'il n'eût toujours pour eux la même tendresse, mais parce que l'état de sa gloire ne souffrait pas qu'il entretînt avec eux un plus long commerce , ni qu'il apportât le moindre retardement à l'ordre de son Père, qui le rappelait. Ici, mes chères Sœurs, ne croyez-vous pas entendre parler une de ces religieuses ferventes dont le nombre parmi vous est si grand ? ne croyez-vous pas la voir agir? Si pour la gloire du Seigneur elle converse quelquefois avec le siècle, de quel autre soin est-elle plus occupée que de retourner à ses devoirs, que de reprendre ses observances et ses exercices? Que dit-elle à ses proches dans les visites qu'elle en reçoit ? ce que Jésus-Christ disait à ses disciples : Expedit vobis ut ego vadam; Il est nécessaire que je vous laisse, parce que c'est Dieu qui me l'ordonne et qui me l'ordonne pour vous : car en me séparant de vous, et priant pour vous, je vous serai plus utile qu'en demeurant avec vous. Elle leur dit dans le même esprit : Modicum et videbitis me ; Pour un moment vous me verrez, mais ne me demandez rien davantage : j'ai des fonctions à remplir;

 

1 Joan., XVI, 7. — 2 Ibid., 28. — 3 Ibid., 16.

 

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et, comme religieuse, il faut que je m'acquitte de ce que je dois à Dieu et à mon état. Elle pourrait ajouter : Je suis sortie de ma solitude, parce que vous m'en avez tirée ; et j'y retourne parce que Dieu m'y attend. La charité que je vous dois m'obligeait à l'un, et la charité que je me dois à moi-même m'oblige à l'autre. Conduite dont le monde même le plus profane s'édifie, bien loin d'en être blessé. Mais que le monde l'approuve ou ne l'approuve pas, une épouse de Jésus-Christ ne pense qu'à plaire à l'époux céleste, pour qui elle a fait un divorce éternel au monde.

Achevons, et disons que, par un dernier trait de ressemblance avec son Sauveur ressuscité, quoiqu'elle soit encore sur la terre, toutes ses vues ne sont plus que pour le ciel; que toute sa conversation est dans le ciel, et qu'elle a un droit particulier de s'appliquer ces paroles de l'Apôtre : Nostra autem conversatio in cœlis est (1). Il est vrai, depuis sa résurrection et avant le triomphe de son ascension glorieuse , le Fils de Dieu était encore présent parmi les hommes : mais où élevait-il ses pensées? mais où portait-il ses désirs? mais où habitait son esprit? Dans ce royaume qui lui était acquis comme son héritage, qui lui était dû comme sa récompense, et où il aspirait sans cesse comme au séjour éternel de son repos. Or qui l'imite en cela plus parfaitement que l'âme religieuse? qui de tout le monde chrétien observe plus exactement et plus à la lettre cette grande leçon que faisait saint Paul aux premiers fidèles, et qu'il nous fait à nous-mêmes : Si consurrexistis cum Christo, quœ sursum sunt quœrite, ubi Christus est in dextera Dei sedens (2) ; Si vous êtes ressuscites avec Jésus-Christ, cherchez les solides et les vrais biens ; mais n'espérez pas les trouver ailleurs qu'avec Jésus-Christ, et que dans cette sainte demeure où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu. Quœ sursum sunt sapite, non quœ super terram : Goûtez, non plus les choses de la terre, qui sont au-dessous de vous, et qui par conséquent ne vous rendront jamais heureux ; mais goûtez les choses du ciel, et ne goûtez que les choses du ciel, qui, vous élevant au-dessus de vous-mêmes, vous élèveront à la source du parfait bonheur. Telle sera, ma chère Sœur, l’unique occupation de votre vie, et de là vous comprenez encore mieux que moi ce que vous devez aux miséricordes infinies de votre Dieu, qui vous appelle à une si éminente perfection.

 

1 Philip., III, 20. — 2 Coloss., III, 1.

 

Car voilà, digne épouse de Jésus-Christ, ce qui doit être aujourd'hui le sujet de votre reconnaissance ; et je m'assure que dans cette cérémonie religieuse la reconnaissance est, de tous les devoirs, celui dont votre âme est plus vivement touchée. Voilà ce qui doit vous faire dire avec le Prophète royal : Quid retribuant Domino pro omnibus quœ retribuit mihi (1) ? Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu'il m'a donné, et pour toutes les grâces dont il m'a comblée? mais que lui rendrai-je en particulier pour la protection visible dont il m'a favorisée et qu'il a fait éclater sur moi, pour les soins paternels qu'il a pris de moi, pour les miracles de providence qu'il a opérés en moi ? Que lui rendrai-je pour les ressources qu'il m'a fait trouver au milieu de mes malheurs, pour l'asile qu'il m'a préparé dans son sanctuaire et dans sa sainte maison, pour le bonheur inestimable que je vais avoir de vivre avec ses épouses, et d'être du nombre de ses épouses? que lui rendrai-je pour tout cela? Quid retribuant (2) ? Je lui offrirai mes vœux en présence de tout son peuple : Vota mea Domino reddam in conspectu omnis populi ejus ; et c'est parla que je m'acquitterai de ce que je lui dois ; par là que je lui rendrai amour pour amour, sacrifice pour sacrifice ; par là, tout indigne que je suis, et tout Dieu qu'il est, que j'aurai l'avantage d'avoir fait pour lui, autant qu'il m'est possible, ce qu'il a fait pour moi; de n'avoir rien épargné pour lui, comme il n'a rien épargné pour moi; d'être la victime de sa gloire, comme il a été la victime de mon salut. Car c'est ainsi que vous m'avez prévenue, Seigneur, de vos plus abondantes bénédictions. Vous avez rompu les liens qui m'attachaient au monde, et qui m'attachaient à moi-même : Dirupisti vincula mea (3) ; et voilà pourquoi je vous présenterai un sacrifice de louange et d'actions de grâces : Tibi sacrificabo hostiam laudis (4); voilà pourquoi, à la face du ciel et de la terre, témoins de la disposition intérieure et des sentiments de mon cœur, je vais, au pied de cet autel et au milieu de cette bienheureuse Jérusalem qui est votre Eglise, me dévouer à vous pour jamais : Vota mea Domino reddam in atriis domus Domini, in medio tui, Jerusalem (5).

Ainsi, dis-je, ma chère Sœur, devez-vous parler ; mais l'Esprit de Dieu, dont vous êtes remplie, vous en inspirera plus dans un moment que je n'en puis exprimer par toutes mes

 

1 Psal., CXV, 12. — 2 Ibid. — 3 Ibid., 16. — 4 Ibid., 17 — 5 Ibid., 14.

 

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paroles. Vous le savez, et vous voulez que je le publie ici hautement : vous êtes la fille de la providence ; et qui jamais dut être plus convaincu que vous qu'il y a un Dieu dans le ciel, protecteur des âmes affligées? Ce Dieu qui donne la mort et qui rend la vie, qui perd et qui sauve, qui précipite dans l'abîme et qui en retire, a fait paraître en vous l'un et l'autre, et a voulu que vous en fussiez un exemple éclatant, tandis qu'il vous faisait servir de spectacle au monde, aux anges et aux hommes. Dans le dessein qu'il avait formé de faire de vous une prédestinée, il vous a conduite par les voies dures des adversités les plus désolantes ; il vous a fait voir et sentir les horreurs de la mort, pour vous rendre aimables et douces les austérités de la vie où il vous destinait. Par les événements les plus funestes et tout ensemble les plus singuliers, il a ménagé votre élection, votre vocation, votre conversion, votre sanctification. Des crimes mêmes des hommes (par un secret de cette sagesse éternelle, qui sait tirer des plus grands maux le bien de ses élus), de l'iniquité des hommes il a fait l'occasion précieuse de votre salut. Au comble de l'infortune , il vous a suscité dans le siècle une seconde mère ; une mère selon la grâce ; une mère dont la piété, dont la charité libérale et bienfaisante vous donne aujourd'hui une naissance toute nouvelle, par l'entrée qu'elle vous procure dans la religion ; une mère à qui vous ne pensiez pas, mais à qui le Seigneur pensait pour vous, et qui, vous adoptant pour sa fille, s'est fait un mérite de vous pourvoir et de vous établir; une de ces femmes de miséricorde, comme parle l'Ecriture, dont le cœur s'attendrit sur toutes les misères, et dont les bonnes œuvres n'ont point de bornes ; une dame chrétienne, encore plus distinguée par sa vertu que par son rang, et qui, peu touchée de sa naissance et de son rang , conserve, avec toute la grandeur et tout l'éclat du monde, toute la modération et toute la perfection de l'humilité évangélique. Que n'en dirais-je point, si cette humilité même ne m'imposait silence, et ne m'empêchait de m'expliquer? Ainsi, ma chère Sœur, Dieu vous a traitée comme il a traité de tout temps ses plus fidèles épouses ; il vous a traitée comme il a traité son Fils unique, le chef des prédestinés. Il a voulu que vous entrassiez dans la religion par la même porte que Jésus-Christ est entré dans sa gloire ; il vous a menée au port à travers les orages et les tempêtes ; il vous a conduite par les souffrances et par les croix au séjour de la paix et de la sainteté, jusqu'à ce qu'il vous fasse arriver un jour à ce royaume céleste qu'il vous prépare, et que je vous souhaite, etc.

 

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