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SERMON SUR L'ASCENSION DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. Après qu'il eut parlé de lu sorte, il fut élevé à leur vue vers le ciel.

 

Jésus-Christ, dans son ascension, nous fait connaître à quelle gloire nous sommes appelés, et la vue de cette gloire doit exciter toute notre ferveur.

 

Division. Pour arriver à la même gloire que Jésus-Christ, il faut la mériter comme Jésus-Christ : première partie ; pour la mériter comme Jésus-Christ, il faut souffrir comme Jésus-Christ : deuxième partie.

Première partie. Pour arriver à la même gloire que Jésus-Christ, il faut la mériter; car il n'y est parvenu lui-même que par la voie du mérite. Ainsi, 1° on n'obtient cette gloire qu'en la méritant; 2° mais aussi est-on sûr de ne la mériter jamais sans l'obtenir.

1° On ne l'a point qu'on ne la mérite, on ne l'a que parce qu'on la mérite, et on ne l'a qu'autant qu'on la mérite. On ne l'a point, dis-je, qu'on ne la mérite : tel est l'ordre de Dieu; et c'est un article de notre foi. Fausse doctrine de Calvin, qui a voulu combattre ce point. On ne l'a que parce qu'on la mérite; tellement qu'elle est le partage du mérite seul, à l'exclusion de tout autre titre. La raison est que, suivant les décrets de la Providence, cette gloire ne doit être donnée aux hommes que selon les lois d'une justice rigoureuse. Il n'en est pas ainsi des récompenses du monde. Enfin, on ne l'a qu'autant qu'on la mérite. Si l'un est plus récompensé dans le ciel que l'autre, ce n'est que parce qu'il a acquis plus de mérite que l'autre. Il en va tout autrement dans le monde. On voit tous les jours des mérites médiocres l'emporter sur des mérites éclatants.

2° D'ailleurs aussi est-on sûr de ne mériter jamais la gloire du ciel sans l'obtenir. On mérite souvent les récompenses du monde sans les avoir : outre le mérite, il faut des patrons; on est' exposé à l'envie, à l'intrigue, à la cabale, aux caprices et aux préjugés d'un maître. Mais rien de tout cela avec Dieu. Quoi que je fasse, si c'est pour lui que je le fais, il m'en tiendra compte. Quel est donc notre aveuglement de mener une vie si inutile ? Enfants des hommes, jusqu'à quand aimerez-vous la vanité et chercherez-vous le mensonge? Vous êtes si ardents pour des biens périssables, jusqu'à quand négligerez-vous des biens éternels?

Deuxième partie. Pour mériter la même gloire que Jésus-Christ, il faut souffrir comme Jésus-Christ : 1° on ne va à la gloire du ciel que par les souffrances ; 2° mais toutes sortes de souffrances ne conduisent pas à cette gloire.

1° On ne va à la gloire du ciel que par les souffrances : Jésus-Christ n'y est point autrement arrivé; car il a fallu que le Christ souffrit, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire. Or, s'il l'a fallu pour le Christ, ne le faut-il pas pour nous ? C'est pourquoi les saints se glorifiaient et se félicitaient eux-mêmes de leurs souffrances : et c'est cela même qui leur a donné, sur le sujet des prospérités temporelles, des sentiments si contradictoirement opposés à la cupidité et à l'amour-propre. Enfin, c'est dans cette vue que le Fils de Dieu a prononcé ces anathèmes : Malheur à vous, riches! malheur à vous qui goûtez les douceurs de la vie! et qu'au contraire il a dit : Bienheureux les pauvres ! bienheureux ceux qui pleurent! Cependant on veut avoir en ce monde toutes ses aises; et l'on écarte, autant qu'il est possible, tout ce qui fait de la peine et qui mortifie.

2° Toutes sortes de souffrances ne conduisent pas à la gloire du ciel. Il faut que ce soient des souffrances pour la justice et

 

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pour Dieu, des souffrances sanctifiées par notre soumission à la volonté de Dieu. Sans cela c'est souffrir comme les démons; c'est aller à la perdition et à la mort, par où les justes et les vrais chrétiens vont au salut et à la vie. Car les souffrances, selon l'usage qu'on en fait, mènent à l'un ou à l'autre. Que ne souffre-t-on pas tous les jours pour le monde? mais on ne veut rien souffrir pour Dieu. Ayons sans cesse, pour nous animer, Jésus-Christ devant les yeux, et la gloire dont il va prendre possession.

 

Et cum hoc dixisset, videntibus illis, elevatus est.

Après qu'il eut parlé de la sorte, il fut enlevé à leur vue  vers le ciel. (Actes des Apôtres, chap. I, 9.)

 

Pourquoi le Sauveur du monde découvre-t-il aujourd'hui sa gloire à ses apôtres, et pourquoi veut-il qu'ils soient témoins de son triomphe, après avoir été témoins de ses humiliations et de ses souffrances ? Cette question, Chrétiens, n'est pas difficile à résoudre ; et vous jugez aisément que le Fils de Dieu voulut par là les affermir dans la foi, qu'il voulut les prémunir contre les dangereuses tentations auxquelles ils devaient être exposés, qu'il voulut les préparer aux persécutions et aux croix, et les rendre capables de souffrir eux-mêmes comme lui, non-seulement avec patience, mais avec joie. C'est pour cela qu'il se fait voir à eux dans tout l'éclat de sa majesté : c'est pour cela qu'en leur donnant une si sensible et si haute idée de ce séjour bienheureux où il va marquer leurs places, il les remplit d'une douceur intérieure et toute céleste, qui les retient sur la montagne, lors même qu'une nuée leur a fait perdre de vue leur divin Maître. En sorte qu'il faut que deux anges descendent exprès pour les retirer de cette profonde extase où ils demeuraient plongés, et pour les renvoyer à leurs travaux apostoliques : Ecce duo viri astiterunt juxta illos in vestibus albis, qui et dixerunt : Viri Galilœi, quid statis aspicientes in cœlum (1) ?

Appliquons-nous ceci, mes chers auditeurs ; car, en qualité de chrétiens, ce mystère nous regarde, et il doit opérer en nous les mêmes dispositions que dans les apôtres. En effet, il y a parmi nous des tièdes et des lâches dans la voie de Dieu, et il est important de les animer. Il y en a qui gémissent sous le poids des adversités et des misères humaines, et il s'agit de les consoler. Peut-être y en a-t-il qui, jouissant d'une tranquille prospérité, sont sur le point de tomber dans des états d'autant plus affligeants et plus douloureux, qu'ils les prévoient moins ; et je dois les y disposer. Or, en voici l'excellent moyen. Nous attendons un Sauveur, qui, comme disait le grand Apôtre, transformera notre corps, et le rendra, tout vil et tout abject qu'il est, conforme à son corps glorieux : Salvatorem expectamus, qui reformabit corpus humilitatis nostrœ, configuratum corpori

 

1 Act., 1, 11.

 

claritatis suae (1). Non-seulement nous l'attendons, mais, éclairés des vives lumières qui rejaillissent de son humanité sainte, nous le voyons et nous l'admirons. Voilà l'objet de nos espérances, voilà le sujet de notre consolation, voilà ce qui doit allumer notre ferveur et soutenir notre courage : la vue de ce Sauveur couronné de gloire, l'attente de cette gloire dont il nous assure la possession. Car nous sommes déjà, selon l'expression de saint Jean, les enfants de Dieu : Nunc sumus filii Dei (2); et nous savons que quand Jésus-Christ viendra à la fin des siècles, et qu'il se montrera dans la même gloire où il paraît en ce jour, nous serons semblables à lui : Scimus quoniam cum apparuerit, similes ei erimus (3). C'est là, dis-je, ce qui nous doit rendre fervents et patients; fervents dans l'accomplissement de nos devoirs, patients dans les afflictions et dans les maux qui nous arrivent par l'ordre de la Providence. Mon dessein est donc de vous parler de la gloire du ciel, et de vous la proposer comme le motif le plus touchant, le motif le plus propre à faire impression sur vos cœurs, et à vous faire tout entreprendre et tout supporter dans la vie. J'ai besoin de la grâce du Saint-Esprit, et je la demande par l'intercession de Marie : Ave, Maria.

 

Isaïe l'avait dit, et saint Paul, dans les mêmes termes, nous l'a déclaré, que l'œil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu , et que le cœur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu, dans les trésors de sa miséricorde, a préparé pour ceux qui l'aiment et qui le servent. Après deux témoignages si authentiques, il n'y a point de prédicateur de l'Evangile qui puisse, sans témérité, entreprendre de donner à ses auditeurs une idée juste de la gloire du ciel. Mais aussi, dit saint Chrysostome, le prédicateur a-t-il en cela même un grand avantage, puisque l'impuissance où il est réduit est justement l'idée la plus haute, la plus vraie, la plus exacte que nous puissions avoir sur la terre, et qu'il puisse donner de cette gloire. Ne faisons donc point aujourd'hui d'efforts inutiles pour comprendre une gloire dont la plus essentielle propriété est d'être incompréhensible. Il nous doit suffire de la connaître comme nous connaissons Dieu, c'est-à-dire de savoir ce qu'elle est, par ce

 

1 Philip., III, 21. — 2 Joan., III, 2. — 3 Ibid.

 

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qu'elle n'est pas. Or nous le savons, et j'oserais même ajouter que nous le sentons, lorsqu'il nous arrive, en contemplant l'univers, et le bel ordre des créatures qui le composent, de Mm cette réflexion aussi touchante que solide : Tout ce que je vois n'approche pas de ce que j'espère ; et tout ce que j'admire en cette vie n'est qu'une ombre obscure et confuse de ce que Dieu me destine en l'autre. Car voilà, Chrétiens, la plus excellente notion que nous ayons à nous en former. En effet, c'est ainsi que saint Augustin, voyant la cour des empereurs de Home si pompeuse et si magnifique, te figurait par proportion la magnificence et la beauté de la cour céleste; c'est ainsi qu'au milieu des cérémonies les plus augustes, il l'écriait : Si hœc tam pulchra sunt, qualis ipse? et si hœc tanta, quantus ipse ? Si tout ceci est si brillant, si grand, si surprenant, que sera-ce de vous, ô mon Dieu? et c'est ainsi que nous en jugerions nous-mêmes, si nous ne nous laissions pas éblouir au vain éclat du monde, et que nous sussions, comme ce grand saint, nous élever des grandeurs visibles et mortelles aux grandeurs invisibles et éternelles. Mais, encore une fois, tenons-nous-en à la règle du Saint-Esprit, qui nous défend de rechercher ce qui est au-dessus de nous, et qui nous ordonne d'être attentifs à ce que Dieu demande de nous : Altiora te ne quœsieris ; sed quae praecepit tibi Deus, illa cogita semper (1); c'est-à-dire, sans avoir une vaine curiosité d'apprendre en quoi consiste la gloire des bienheureux, instruisons-nous avec humilité de ce que nous devons faire pour y parvenir. Le voici, mes chers auditeurs, et il n'y a personne qui ne doive se l'appliquer. Le Sauveur du monde nous fait connaître, par son exemple, que cette gloire est une récompense, et il nous fait au même temps entendre que cette récompense est surtout le fruit et le prix des souffrances. Arrêtons-nous à ces deux pensées, et faisons-en le partage de ce discours. Cette gloire où nous appelle après lui Jésus-Christ est une récompense; il faut donc la mériter : ce sera la première partie. Cette récompense est surtout le fruit et le prix des souffrances, c'est donc en particulier par le bon usage des souffrances qu'il la faut mériter : ce sera la seconde partie. Ainsi le Fils de Dieu l'a-t-il méritée lui-même. Et voilà en deux mots ce qu'il nous a révélé de notre gloire future, et ce qu'il nous est nécessaire de ne pas ignorer. Tout le reste sont choses ineffables, mystères cachés, secret

 

1 Eccles., III, 22.

 

qu'il n'est pas permis même à saint Paul de nous découvrir, et qu'il est beaucoup moins en mon pouvoir de vous expliquer : Arcana verba quœ non licet homini loqui (1). Mais pour votre édification, et pour satisfaire à ce que vous attendez de moi, je dois vous dire, et je vous le dis avec tout le zèle que Dieu m'inspire, que si vous voulez arriver à la même gloire que Jésus-Christ, vous devez la mériter comme Jésus-Christ : première proposition ; et que si vous voulez la mériter comme Jésus-Christ, vous devez souffrir comme Jésus-Christ: seconde proposition. Je vous demande pour l'une et pour l'autre une attention favorable. Elles sont simples; mais, dans leur simplicité, elles renferment les plus importantes instructions.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Je m'en vais, disait le Sauveur du monde à ses disciples, sur le point qu'il était de retourner à son Père; je vais prendre possession de la gloire qui m'est réservée dans le ciel, et vous préparer au même temps à chacun votre place dans ce séjour bienheureux : Vado parare vobis locum (2). Parole pleine de consolation; mais parole précédée d'une autre qui devait être pour eux, et qui est pour nous un grand fonds d'instruction. Car le même Sauveur leur avait dit auparavant : Ce royaume où je veux vous appeler après moi, je vous le promets, mais aux mêmes conditions que mon Père me l'a promis, et vous ne l'aurez point autrement que moi : Dispono vobis sicut disposuit mihi Pater meus regnum (3). Or, le fils de David n'y est entré que par la voie du mérite. D'où il s'ensuit, mes chers auditeurs, par la plus juste de toutes les conséquences, que pour parvenir nous-mêmes à cette gloire céleste, il faut que nous l'ayons méritée. Mettons dans tout son jour cette vérité, que je vous propose aujourd'hui comme le motif le plus capable d'exciter votre zèle et d'allumer toute votre ferveur.

Oui, Chrétiens, la gloire que nous attendons est une récompense que Dieu nous destine; et pour peu que vous ayez de pénétration, vous y devez découvrir d'abord deux différences bien remarquables, qui la relèvent infiniment au-dessus de ces récompenses fragiles et passagères que le monde promet à ceux qui le servent. Car, selon la belle réflexion de saint Jean Chrysostome, telle est l'injuste distribution qui se fait des récompenses du monde: on les a souvent sans les mériter, et on les mérite

 

1 2 Cor., XII, 4. — 2 Joan., XIV, 2. — 3 Luc, XXII, 29.

 

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encore plus souvent sans les avoir. On les a sans les mériter, et c'est ce qui devrait humilier la plupart des heureux du siècle ; et on les mérite encore plus souvent sans les avoir, c'est ce qui rebute et ce qui désespère les malheureux. Mais il n'en est pas ainsi de cette récompense immortelle où nous aspirons. Comme on ne l'obtient jamais qu'en la méritant, aussi est-on sûr de ne la mériter jamais sans l'obtenir. Deux points auxquels je m'attache, et que je voudrais imprimer profondément dans vos esprits.

C'est une récompense que ce royaume éternel, où Jésus-Christ, comme notre chef, entre glorieux et triomphant ; mais cette récompense (prenez garde à ces trois pensées), on ne l'a point qu'on ne la mérite ; on ne l'a que parce qu'on la mérite ; on ne l'a qu'autant qu'on la mérite. On ne l'a point, dis-je, qu'on ne la mérite. Dieu, comme maître de ses biens, pouvait nous la donner gratuitement, sans qu'il nous en coûtât rien : mais il ne Ta pas voulu ; et, suivant l'ordre qu'il a établi, il faut de deux choses l'une , ou que nous méritions cette récompense, ou que nous y renoncions. De quelque manière que Dieu nous ait prédestinés, en vue ou indépendamment de nos bonnes œuvres (question qui partage l'école, et qui n'appartient point à mon sujet), il est certain, et c'est un principe de religion, que nous n'aurons jamais part à son héritage, si nous nous trouvons à la mort dépourvus de ces mérites, qui sont, selon l'Evangile, les titres légitimes pour y prétendre. Venez, nous dira Jésus-Christ dans le jugement dernier, si nous sommes assez heureux pour être du nombre de ses brebis, et placés à sa droite ; venez les bien-aimés de mon Père; possédez le royaume qu'il vous préparait, et qui vous est désormais acquis : Venite , possidete paratum vobis regnum (1). Mais en vertu de quoi nous le donnera-t-il, ce royaume? écoutez ce qu'il ajoutera. Parce que vos bonnes œuvres me parlent pour vous , parce que vous avez fait des choses dont je n'ai point perdu le souvenir, et qu'il est maintenant de ma justice et de ma fidélité de les reconnaître : parce que dans la personne des pauvres, qui étaient mes membres vivants, vous m'avez secouru, nourri, logé, visité : enfin, régnez avec moi, parce que vous avez été charitables pour moi : Possidete paratum vobis regnum ; esurivi enim, et dedistis mihi manducare. Raisonnons tant qu'il nous plaira, voilà, dans le sens de Jésus-Christ même, tout le

 

1 Matth., XXV, 34.

 

dénoûment du mystère impénétrable de la prédestination. C'est en cela, remarque le docteur angélique saint Thomas, que cette récompense du ciel est une véritable gloire, et même la gloire par excellence, parce qu'elle est le fruit du mérite, et du mérite le plus parfait qui puisse convenir à l'homme. En effet, ce qui se donne à la faveur peut bien être une grâce, peut bien être une distinction , peut bien être un privilège ; mais à parler exactement, ce ne peut être une gloire. Or, ce n'est point là ce que Dieu réserve à ses élus ; mais dans le langage du Saint-Esprit, ce qu'il leur réserve est une récompense, et par là même une gloire : Gloria hœc est omnibus sanctis ejus (1). Parce qu'ils ont été saints sur la terre, ils sont bienheureux dans le ciel, et comblés de gloire ; mais leur bonheur, et comme récompense et comme gloire, suppose qu'ils s’en sont rendus dignes : voilà ce que nous enseigne la foi.

Calvin a combattu cette vérité, et c'est un des points où je confesse que son hérésie nf a toujours paru plus insoutenable. Il a prétendu que nos plus saintes actions, par rapport à Dieu, ne pouvaient jamais être méritoires : cependant Dieu même nous assure qu'elles le sont, et nous dit en termes exprès qu'à la fin des siècles sa providence éclatera, lorsqu'il viendra pour rendre à chacun selon le mérite de ses œuvres : Unicuique secundum meritum operum suorum (2). Pouvait-il s'expliquer plus clairement? Mais ne suffit-il pas, disait Calvin, que Jésus-Christ nous ait acquis la gloire que nous espérons, et qu'il l'ait méritée pour nous? Non, répondent les théologiens, après saint Augustin , cela ne suffit pas. Il faut qu'après lui, que par lui et qu'avec lui, nous la méritions encore pour nous-mêmes ; comme il ne suffit pas que Jésus-Christ ait fait sur la croix pénitence pour nous, si nous ne la faisons pour nous-mêmes. Il faut que notre pénitence, jointe à la pénitence de cet Homme-Dieu , nous réconcilie avec Dieu ; et de même il faut que nos mérites, joints à ses mérites, nous ouvrent le royaume de Dieu ; et c'es à quoi le grand Apôtre travaillait si saintement, et ce qui lui faisait dire : Adimpleo ea quœ desunt passionem Christi (3). J'accomplis en moi ce qui manquerait sans cela à ma rédemption, et à ce que Jésus-Christ a souffert pour moi. Mais n'est-ce pas faire tort aux mérites du Rédempteur, que d'accorder une récompense aussi divine que celle-là à d'autres mérites que les siens? Nullement, dit saint Augustin ; et la raison

 

1 Psal., CXLIX, 9. — 2 Eccles., XVI, 16. — 2 Colos., I, 24.

 

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qu'il en apporte est convaincante : parce que les mérites que nous devons acquérir, et ajouter à ceux du Rédempteur, sont tellement des mérites différents des siens, qu'ils sont néanmoins dépendants des siens, fondés sur les siens, tirant toute leur efficace et toute leur valeur des siens ; et par conséquent incapables de préjudiciel' aux siens. Que fait Dieu, quand il nous récompense? Je l'avoue, il couronne nos mérites ; mais parce que nos mérites sont ses dons, en couronnant nos mérites, il couronne dans nos personnes ses propres dons : Coronat in nobis dona sua; c'est la belle expression de saint Augustin. Mais avouer que l'homme peut mériter le royaume du ciel, n'est-ce pas lui donner le sujet de se glorifier? Oui, continue ce saint docteur, et malheur à nous si, faute d'un tel mérite, nous n'étions pas en état de nous glorifier dans le sens que Calvin veut nous le défendre ! Car, le royaume céleste n'est que pour ceux qui ont droit de se glorifier dans le Seigneur ; et un des caractères de l'homme juste, le plus distinctement marqués par l'Apôtre, est qu'il puisse, sans présomption, mais avec une sainte confiance, prendre part à cette gloire dont le Seigneur est le principe et la fin : Qui gloriatur, in Domino glorietur (2). Or, le faible de l'hérésie et de la prétendue réforme de Calvin, est qu'elle dépouille le juste de tout mérite, j'entends de tout mérite propre, et qu'elle lui ôte ainsi tout moyen de se glorifier même en Dieu : condition néanmoins essentielle pour être récompensé de Dieu. Avançons.

Non-seulement on n'a point la récompense du ciel qu'on ne la mérite, mais, ce que je vous prie de bien comprendre, on ne l'a que parce qu'on la mérite : en sorte qu'elle est le partage du mérite seul, à l'exclusion de tout autre titre. De là vient que saint Paul, pour la définir, l'appelle couronne de justice : In reliquo reposita est mihi corona justitiœ (3) ; parce qu'en effet, disent les Pères, cette récompense ne doit être donnée aux hommes que selon les règles d'une justice rigoureuse, d'une justice incorruptible, d'une justice que rien ne touchera, que rien ne fléchira, que rien ne préoccupera; d'une justice qui n'aura d'égards pour personne, qui ne distinguera ni qualités, ni rangs, ni naissance, mais qui discernera parfaitement le mérite. Les récompenses du siècle sont tous les jours en butte à la cupidité et à l'ambition : quoi qu'elles ne soient dues qu'au mérite, toute autre chose que le mérite

 

1 1 Cor., I, 31. — 2 1 Tim., IV, 8.

 

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contribue à les faire avoir. On les emporte par le crédit, on se les attire par la brigue, on les arrache par l'importunité : les plus hardis et les plus avides sont ceux qui y parviennent; le hasard en décide, la bonne fortune de l'un, et souvent l'iniquité de l'autre. On se prévaut, pour les demander, du mérite d'autrui ; le fils veut être récompensé des services du père ; l'ami croit être en droit de profiter du travail et du pouvoir de son ami. Ceux mêmes que Dieu a fait les dispensateurs de ces récompenses temporelles, quelque précaution qu'ils y apportent, et quelque envie qu'ils aient de les distribuer avec équité, peuvent à peine se répondre d'eux-mêmes, et compter qu'ils ne se laisseront pas prévenir et surprendre. Comme ils sont hommes, dit saint Augustin, ils récompensent en hommes, c'est-à-dire bien plus souvent selon la nécessité de leurs affaires, que selon le degré de leur estime ; bien plus souvent par inclination que par raison. Et en effet, ceux qui entrent dans leurs plaisirs ont communément bien plus de part à leurs grâces et à leurs bienfaits, que ceux qui s'immolent pour leur service. Ceux qui les flattent et qui les trompent, sont communément bien mieux récompensés que ceux qui leur sont fidèles. Ainsi vont les choses humaines : et quelque zèle que nous ayons pour la réformation de l'univers, nous ne devons pas espérer qu'elles prennent un autre cours.

Rien de tout cela dans la récompense où Dieu nous appelle. Il pèsera ses élus dans la balance, mais dans la balance du sanctuaire ; et leur mérite seul, mis à l'épreuve de son jugement, fera la décision de leur sort. Quiconque n'en aura pas l'exacte mesure, fût-il un des dieux de la terre, sera rejeté. Comme le fils ne portera point l'iniquité du père, aussi le mérite du père ne suppléera point à l'indignité du fils. Tout devant Dieu sera personnel, et la règle du Saint-Esprit subsistera: Unicuique secundum meritum operum suorum (1); A chacun selon ses œuvres. Il ne dit pas, à chacun selon ses lumières, à chacun selon ses maximes, à chacun selon ses talents ; il ne dit pas même, à chacun selon ses désirs, selon ses projets et ses intentions ; mais, à chacun selon ses actions, à chacun selon ce qu'il aura fait, et non point selon ce qu'il aura cru, ou ce qu'il aura voulu faire : Unicuique secundum meritum operum suorum. En un mot, le temps de la grâce et de la miséricorde sera expiré, et celui de la justice succédera : et par la même raison que la grâce, dans les élus,

 

1 Eccli., XVI, 16.

 

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aura précédé tout mérite, la gloire dont Dieu les comblera aura pour fondement le mérite acquis par la grâce. Rien de plus vain, dans l'opinion des mondains mêmes, que la gloire du monde : pourquoi ? parce qu'elle n'est ni une preuve certaine, ni une conséquence sûre du mérite; parce qu'elle est presque toujours l'effet du caprice et de la prévention des hommes ; parce qu'il n'y a rien où la corruption du jugement des nommes, où leur peu d'équité, d'intégrité, de sincérité, paraisse plus évidemment qu'en ce qui regarde cette gloire profane. Mais par une règle toute contraire, concevez de là ce que c'est que la gloire des prédestinés dans le ciel, puisque c'est un Dieu qui en est l'arbitre ; un Dieu souverainement éclairé, souverainement juste, et qui ne peut estimer que ce qui est essentiellement estimable ; un Dieu aussi déterminé à ne glorifier que le mérite, qu'il l'est à réprouver et à punir le péché ; un Dieu dans l'un et dans l'autre également infaillible, inflexible, irrépréhensible: tel est, mes Frères, concluait saint Paul, tel est le Maître dont il m'importe d'être loué et d'être favorablement jugé, parce que c'est Celui dont l'approbation et la louange doit faire éternellement la solide gloire : Qui autem judicat me, Dominus est (1).

Enfin, cette récompense des bienheureux, on ne l'a qu'autant qu'on la mérite ; et si l'un est plus récompensé que l'autre, s'il est dans un degré de gloire plus éminent que l'autre, ce n'est que parce qu'il a plus de mérite que l'autre. Dans le monde, on voit tous les jours des mérites médiocres l'emporter sur des mérites éclatants : et vous le permettez, Seigneur, pour nous apprendre que ce n'est point ici que se doit faire le vrai discernement de nos personnes ; vous le permettez pour nous détacher malgré nous de la terre, et pour nous faire porter plus haut nos vues ; mais dans le royaume de Dieu , chacun est placé selon l'ordre où il doit être ; et une des plus singulières beautés que l'Ecriture y fait remarquer, est cette admirable proportion entre la qualité du mérite et le rang qu'il occupe. Il y a, disait le Fils de Dieu, dans la maison de mon Père, différentes demeures; mais ces demeures, observe saint Bernard, ne sont différentes que parce qu'il s'y trouve des mérites différents. Le plus ou le moins de mérite y fait donc le plus ou le moins d'élévation : cinq talents de mérites y produisent cinq talents de gloire, et deux n'y en produisent que deux : tellement

 

1 1 Cor., IV, 4.

 

que la diversité du mérite y distingue, y partage, y ordonne tout. Or, si cela est, Chrétiens, permettez-moi de m'arrêter ici, et de faire avec vous une réflexion dont il est difficile que vous ne soyez pas touchés : à quelle étonnante révolution ne doivent pas s'attendre la plupart des hommes, quand ce mystère s'accomplira, et que Dieu, dans son jugement dernier , viendra faire ce partage? Quelle désolation, par exemple, pour tant de grands, lorsqu'après avoir tenu dans le monde des rangs honorables que leur donnaient leurs dignités, leurs emplois, leurs charges , il leur en faudra prendre d'autres que le mérite seul réglera, et où l'arrêt de Dieu les réduira ! Si Dieu, au moment que je parle, leur faisait voir l'affreuse différence de ce qu'ils sont aujourd'hui et de ce qu'ils seront alors, dans quelle consternation cette vue ne les jetterait-elle pas ! et quand à la mort il faudra quitter en effet ces rangs de naissance et de fortune, pour passer à d'autres rangs qu'une exacte et rigoureuse justice leur assignera, quelle douleur pour eux de se trouver dans un si prodigieux abaissement, dans un éloignement infini de Dieu, parce qu'ils n'auront presque rien fait pour Dieu ! Je sais que cette réflexion est affligeante; mais en est-elle moins salutaire, et ne serais-je pas prévaricateur, si, dans une occasion aussi naturelle que celle-ci, je ne les faisais souvenir qu'outre les grandeurs de la terre, il y en a d'autres dans le ciel où ils doivent aspirer ; qu'il y a d'autres honneurs dont ils doivent être jaloux, d'autres places qu'ils doivent remplir, d'autres établissements pour lesquels Dieu les a créés? Aurais-je pour leur salut le zèle que mon ministère doit m'inspirer, si je ne les avertissais pas que la figure de ce monde passe, et qu'après qu'elle sera passée, le mérite d'une vie chrétienne est le seul titre de distinction qui nous restera?

Mais revenons. Je ne me suis pas contenté de vous dire qu'on a souvent les récompenses du monde sans les mériter : j'ai ajouté que souvent aussi on les mérite sans les avoir; au lieu que nous sommes assurés, en méritant la récompense éternelle, de l'obtenir. En effet, comptez, si vous le pouvez, mes chers auditeurs, combien de gens vous avez vus dans le monde mener une vie obscure, et ne parvenir à rien, avec un mérite et des services qui devaient les élever à tout. Des patrons leur ont manqué , des concurrents les ont écartés ; l'envie, l'intrigue, la cabale, mille mauvais offices les ont détruits ; un maître aveugle et

 

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sans discernement, un maître insensible et indifférent, un maître trompé et prévenu les a laissés dans la foule, les a oubliés, méprisés, rebutés. Que ne nous apprend pas là-dessus l'usage et la science du  monde? Mais avec Dieu, je suis à couvert de toutes ces injustices. Quoi que je fasse, si c'est pour lui que je le fais, il m'en tiendra compte.  Qu'est-ce qu'un verre d'eau ? cependant ce verre d'eau donné en son nom ne sera pas sans récompense. Qu'est-ce  qu'une   pensée ? cependant cette bonne pensée reçue et suivie aura son salaire. Qu'est-ce qu'un désir? cependant ce bon désir, conçu et formé dans le cœur, produira, selon l'expression de l'Apôtre, son rayon de gloire. Qu'est-ce qu'une parole? cependant cette parole dite avec douceur, avec humanité, avec charité, sera écrite dans le livre de vie. Or, si Dieu doit récompenser de la sorte jusqu'aux moindres mérites, que sera-ce des   autres? C'est ainsi qu'il nous l'a promis ; et comme il est tout-puissant, c'est ainsi qu'il peut l'accomplir; et comme il est fidèle, c'est ainsi qu'il veut l'accomplir : par conséquent, c'est ainsi qu'il   l'accomplira.  En sorte,   conclut saint Augustin, que sa toute-puissance, qui est la toute-puissance d'un Dieu, n'aura point dans l'éternité d'autre occupation que de glorifier ses élus et tous leurs mérites. Voilà à quoi il s'emploiera, en quoi il mettra une partie de ses complaisances , de quoi il ne se lassera jamais.

Mais cela posé, Chrétiens, et quoique nous fassions profession de le croire, vivons-nous et agissons-nous comme en étant persuadés ? Je parle à des auditeurs qui, chacun dans leur condition, se piquent d'avoir leur mérite, et je veux bien convenir de tout le mérite dont vous vous piquez. Mais ce mérite, que je n'ai garde de vous disputer, est-ce un mérite pour le ciel? est-ce un mérite à qui Jésus-Christ ait jamais rien promis? est-ce un mérite que vous osiez vous-mêmes présenter à Dieu pour lui demander son royaume? Si les saints qui règnent avec ce Dieu et ce Roi de gloire n'avaient point eu d'autre mérite, recueilleraient-ils maintenant les fruits dont ils ont jeté sur la terre les précieuses semences? Entrons dans le détail. Une vie aussi inutile et aussi vide de bonnes œuvres que celle d'un homme du monde, d'une femme du monde, réguliers d'ailleurs et d'une conduite, selon le monde, irréprochable , est-ce la vie d'un chrétien , gagé, selon la parabole de l'Evangile, pour mériter une récompense immortelle? Voyons ces mercenaires, qui, pressés par le besoin, donnent leurs peines pour un salaire temporel : ces hommes à qui le Fils de Dieu nous compare si souvent, et à qui il veut, en quelque état que nous puissions être, que nous nous conformions. Les imitons-nous? sommes-nous attachés, comme eux, à un travail constant et assidu? renonçons-nous comme eux à la mollesse et à la douceur du repos? avons-nous, comme eux, des jours pleins par une pratique entière de nos devoirs? Si, malgré cette inutilité de vie, l'on gagnait le ciel, le ciel serait-il ce royaume de conquête qu'il faut emporter par la violence et acheter si chèrement ? Doit-il suffire à des chrétiens, pour être récompensés de Dieu, de se trouver exempts de crime? et la maxime sur laquelle on s'appuie jusqu'à s'en faire une conscience, que tout le mérite du salut se réduit à ne point faire de mal, n'est-ce pas une erreur dont il faut aujourd'hui vous détromper? Mérite-t-on des récompenses en ne faisant rien? le monde en juge-t-il de la sorte? récompense-t-il l'oisiveté,  quoique d'ailleurs innocente? n'exige-t-il pas des services réels? et pourquoi croirons-nous que Dieu nous en tiendra quitte à moins de frais? Vivant dans cette erreur grossière, que je sais être le désordre le plus ordinaire de ceux qui m'écoutent, puis-je, mes chers auditeurs, vous dire, à la vue de Jésus-Christ montant au ciel : Gaudete et exultate (1) ; Réjouissez-vous et tressaillez de joie ?  pourquoi ?  Quoniam merces vestra copiosa est in cœlis (1); parce que vous aurez la même récompense que ce Dieu glorifié, une récompense abondante.  Ne dois-je pas vous dire plutôt : Pleurez et gémissez ? pourquoi ? parce que, travaillant si peu, il faut que votre récompense soit bien petite : pleurez! pourquoi? parce qu'il est même plus vraisemblable que cette récompense des élus n'est point pour vous : pleurez ! pourquoi? parce que ces mérites dont vous voulez vous prévaloir, et à qui le monde donne de vains éloges, sont des mérites périssables, dont vous avez déjà reçu la récompense, et dont vous ne la recevrez jamais. Voilà, dans cette sainte solennité, et malgré la joie de l'Eglise, ce qui doit faire le sujet de votre douleur.

Enfants des hommes, concluait le Prophète royal, jusques à quand aimerez-vous la vanité et chercherez-vous le mensonge? Usquequo diligitis vanitatem, et quœritis mendacium (3) ? Il leur en demandait la raison : usquequo ? et il n'en attendait pas la réponse, remarque saint

 

1 Matth., V, 12. — 2 Ibid. — 3 Psal., IV, 3.

 

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Augustin, parce qu'il savait bien qu'ils n'en avaient point à lui faire. Souffrez que je vous fasse le même reproche. Enfants des hommes, jusques à quand vous fatiguerez-vous à chercher des récompenses corruptibles, dont la poursuite vous cause tant d'inquiétudes, dont le retardement vous remplit de tant de chagrins, dont vous n'êtes jamais contents, et qui ne servent qu'à vous jeter dans un plus profond oubli de Dieu? Aussi ardents que vous l'êtes pour ces biens de fortune qui emportent toutes vos réflexions et tous vos soins, et dont la mort vous dépouillera bientôt, jusques à quand négligerez-vous ces vrais biens et cette couronne que votre médiateur et votre chef vous propose comme l'objet le plus digne de vos vœux? Ecoutez-le parler lui-même; car c'est lui-même qui, du haut de sa gloire, s'adresse à nous en ce jour, et nous dit : Usquequo diligitis vanitatem, et quœritis mendacium (1) ? Hommes terrestres et sensuels, jusques à quand mépriserez-vous mes promesses pour celles du monde? Puisque vous êtes si intéressés et si avides, que ne vous attachez-vous du moins au maître qui vous offre davantage? Le monde a-t-il des récompenses aussi solides et même aussi présentes que les miennes? le monde, quand vous vous êtes livrés à lui, vous a-t-il jamais rendus heureux, et trouve-t-on le centuple en le servant? Voilà, chrétiens auditeurs, à quoi il faut que vous répondiez, mais à quoi vous ne pouvez bien répondre que par la réformation de vos mœurs et par un parfait changement de vie. Que ce soit donc là désormais l'exercice de votre foi : Thesaurizate vobis thesauros in cœlo (2) ; Amassez des trésors pour le ciel. Au lieu de ces vertus mondaines dont vous vous parez, et qui ne sont devant Dieu de nul mérite; au lieu de cette prudence de la chair, de cette politique, de cette force païenne, entrez dans la pratique de ces vertus chrétiennes , qui seront pour vous des sources fécondes de béatitude et de gloire. Appliquez-vous non-seulement à vous assurer, mais à augmenter votre récompense par vos bonnes œuvres. C'est à quoi jusques à présent vous n'avez point pensé; mais il est encore temps d'y pourvoir : car vous pouvez encore réparer par votre ferveur toutes vos pertes. Vous pouvez encore racheter ces jours malheureux où vous n'avez rien fait, ni pour Dieu, ni pour votre âme. Vous pouvez même, à l'exemple des ouvriers de l'Evangile, commençant tard et à la dernière heure du jour, être aussi bien

 

1 Psal., IV, 3. — 2 Matth., VI, 20.

 

récompensés que ceux qui sont venus dès le matin, et qui ont travaillé toute la journée. Or, si vous le pouvez, êtes-vous excusables de ne le faire pas? Récompense du ciel, récompense qu'il faut mériter comme Jésus-Christ; c'est ce que vous avez vu : mais pour la mériter comme Jésus-Christ, j'ajoute qu'il faut souffrir comme Jésus-Christ; vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

C'est un ordre établi de Dieu, et le monde même, tout perverti qu'il est dans ses maximes, est obligé de s'y soumettre et de le reconnaître : on n'arrive pointa la gloire par le plaisir; mais il faut renoncer au plaisir, quand on se propose d'acquérir la véritable gloire. Car le plaisir ne conduit à rien, je dis à rien de solide, ni à rien de grand. Jamais ce qui s'appelle vie de plaisir n'a produit une vertu, n'a inspiré de sentiments nobles, n'a élevé l'homme au-dessus de lui-même. Soit donc par la nature des choses, soit par un effet de la corruption du péché, le plaisir et la gloire dans cette vie sont incompatibles ; et quiconque présume qu'il pourra les accorder, se flatte et se trompe, séduit par les fausses idées qu'il a de l'un ou de l'autre. En un mot, où règne l'amour du plaisir, il faut que le désir de la gloire cesse; et où le désir de la gloire est sincère, il faut que le plaisir soit sacrifié. C'est ainsi que le concevaient les sages mêmes du paganisme; et ils le concevaient bien. Or, si cela est vrai de la gloire en général, et même en particulier de cette gloire profane que l'ambition des hommes recherche, quel jugement devons-nous faire de la gloire du ciel? de cette gloire pour laquelle nous avons tous été créés, mais sur quoi nous avons perdu nos droits, en perdant la grâce de l'innocence, et où il n'y a plus de retour pour nous que par les œuvres de la pénitence ; de cette gloire où nous ne pouvons prétendre que par la croix de Jésus-Christ, et qu'il ne nous est pas même permis d'espérer, si nous ne sommes, comme dit saint Paul, entés sur Jésus-Christ, et sur Jésus-Christ souffrant et mourant : Si complantati facti sumus similitudine mortis ejus, simul et resurrectionis erimus (1). Non, mes chers auditeurs, je le répète, jamais les plaisirs de la vie ne nous feront parvenir à cette gloire. Il faut y aller par la voie des souffrances : première vérité, qui confondra éternellement la mollesse et la délicatesse des mondains. Mais d'ailleurs toutes sortes de

 

1 Rom., VI, 5.

 

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souffrances ne conduisent pas à cette gloire : autre vérité qui doit détromper une infinité de chrétiens que nous voyons souffrir dans le monde, mais qui ne souffrent pas en chrétiens. Deux importantes leçons que j'ai encore à développer, et que je regarde comme les deux points les plus essentiels de la morale évangélique.

Il faut, comme Jésus-Christ, aller à la gloire céleste par la croix et par les souffrances. Heureux si par là nous en trouvons le chemin! mais malheur à nous si nous nous figurons qu'on y arrive par une voie plus douce et plus commode, et qu'il y ait pour cela des conditions et des étals privilégiés ! Que n'ai-je le zèle de saint Paul, pour graver profondément dans vos cœurs ce grand principe I C'est ce que le Sauveur du monde fit entendre aux enfants de Zébédée, qui passaient néanmoins pour ses disciples favoris, quand il réprima, par la dureté apparente de sa réponse, la vanité de leur prétention. Vous me demandez, leur dit-il, d'être assis et honorablement placés dans mon royaume; et moi je vous demande si vous pouvez boire le calice que je boirai moi-même avant vous. Comme s'il leur eût dit : Favoris et disciples tant qu'il vous plaira, si vous ne participez à ce calice dont je vous parle, à ce calice d'amertume et de douleur, il n'y a pour vous dans mon royaume ni place ni rang; et quiconque refuse d'accepter cette condition, et n'a pas le courage de passer par cette épreuve, doit renoncer à ma gloire, et compter qu'il en est exclu. C'est ce que le même Sauveur nous a fait voir dans sa propre personne, et ce qu'il déclara à ses apôtres, sur le point qu'il était de retourner à ce royaume céleste qu'il avait quitté pour descendre sur la terre : Nonne hœc oportuit pati Christum, et ita intrare in gloriam suam (1) ? Vous vous étonnez de ce que le Christ a souffert, et votre foi en est troublée : mais ignorez-vous les divines Ecritures, et n'avait-il pas été dit qu'il souffrirait de la sorte, et qu'il entrerait ainsi dans la gloire? Or, s'il le fallait pour le Christ, oportuit, ne le faut-il pas pour nous? et qui peut se plaindre d'une loi que le Fils même de Dieu a voulu et a dû subir? Aussi les saints, au moins ceux de la loi de grâce, non-seulement se sont consolés, mais se sont réjouis, mais se sont glorifiés dans les afflictions de cette vie, parce qu'ils les ont toujours regardées comme la route sûre et infaillible qu'ils devaient suivre pour parvenir au terme de leur bonheur. Au lieu que David, par un mouvement de confiance,

 

1 Luc, XXIV, 26.

 

mais d'une confiance encore judaïque, c'est-à-dire d'une confiance qui se proposait encore quelque chose de terrestre et de charnel, et qui ne s'élevait pas aussi parfaitement que la nôtre aux biens spirituels et célestes; au lieu, dis-je, que David, pour chercher du soulagement dans ses maux, faisait à Dieu cette prière, et lui disait : Educes de tribulatione animam meam (1) ; Délivrez-moi, Seigneur, des tribulations qui m'accablent : les saints de la loi nouvelle, par un esprit tout opposé, mais bien plus épuré et plus éclairé, ont cru devoir dire : Non, Seigneur, ne nous en délivrez pas. Ce sont des tribulations, il est vrai, mais des tribulations salutaires, dont, malgré les révoltes de la nature, nous nous glorifions et nous nous félicitons : Gloriamur in tribulationibus nostris (2). Ce sont des maux qui nous abattent, mais qui, par un effet tout divin, au même temps qu'ils nous abattent aux yeux des hommes, nous détachent de nous-mêmes et nous élèvent à vous ; des maux qui sont les gages précieux de ce véritable, de cet unique, de ce souverain bien que nous attendons. Et à quoi nous réduiriez-vous, Seigneur, reprenait, au nom de tous les autres, saint Grégoire, pape, pénétré de cette vérité; à quoi, mon Dieu, nous réduiriez-vous, si, par une miséricorde qui nous perdrait, vous veniez à nous délivrer de ces maux que nous endurons, puisque vous nous assurez, dans toutes vos Ecritures, que la souffrance doit faire tout le mérite de notre espérance, et par conséquent qu'elle en doit être le plus ferme et le plus solide appui? Où en serions-nous, si, n'étant plus dans le monde ni affligés, ni humiliés, ni mortifiés, ni persécutés, nous n'avions plus ce qui est, selon le témoignage de votre Apôtre, le caractère le plus visible et le plus certain de vos prédestinés? Ne nous écoutez donc point, Seigneur, si jamais nous souhaitions d'avoir sur la terre un sort plus tranquille ; et rejetez notre prière, si nous étions assez insensés pour vous demander une telle grâce. Donnez-nous des secours puissants pour nous soutenir, et un fonds de patience pour souffrir avec soumission; mais ne nous punissez pas, Seigneur, jusqu'à nous traiter dans la vie plus favorablement que vous ne l'avez été, et jusqu'à éloigner de nous ce qui doit nous donner une sainte ressemblance avec vous. Ainsi, dis-je, ont parlé les saints; et ce langage, qui, selon la prudence de la chair, parait folie, était dans eux la plus éminente sagesse.

 

1 Psalm., CXLII, 11. — 2 Rom., V, 3.

 

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C'est cela même qui a donné à ces grands hommes et à ces fidèles serviteurs de Dieu, sur le sujet des prospérités temporelles, des sentiments si contradictoirement opposés à la cupidité et à l'amour-propre ; c'est ce qui les a fait trembler, quand ils se sont vus dans des étals dont le monde leur applaudissait, et où consiste en effet la félicité des enfants du siècle, mais dont ils craignaient les suites funestes, par rapport a cette félicité qu'espèrent les enfants de Dieu : c'est ce qui les a convaincus, aussi bien que saint Augustin, qu'une prospérité complète, s'il y en avait une dans le temps présent, serait une réprobation commencée; et qu'un homme sur la terre parfaitement heureux, s'il raisonnait bien, devrait ou se croire perdu, ou se condamner pour toute sa vie à pleurer et à gémir : pourquoi? parce qu'il n'y aurait point de moment où il ne dût être touché et alarmé de cette pensée : Je ne suis pas dans la voie de Dieu; ce n'est point par là que Dieu a conduit ses élus. Comblé de biens comme je le suis, et souffrant aussi peu que je souffre, s'il y a une éternité bienheureuse, je n'ai nul lieu de croire qu'elle soit pour moi, et j'ai d'affreuses présomptions qu'elle n'est pas pour moi. Pensée désolante pour un chrétien ! C'est dans cette vue que Jésus-Christ a prononcé ces fameux anathèmes, à quoi le monde ne souscrira jamais, mais qui subsisteront malgré le monde, et qui, malgré le monde, auront leur effet : anathème contre les riches voluptueux : Vœ vobis divitibus (1)! anathème contre ceux à qui rien ne manque, et qui vivent selon les désirs de leur cœur : Vœ vobis qui ridetis, qui saturati estis (2) ! c'est-à-dire, anathème contre ceux que le monde a toujours été en possession de béatifier et de canoniser. Et c'est par la même raison que ce divin Maître a érigé en béatitude ce que le monde déteste, et ce qu'il a le plus en horreur : Bienheureux les pauvres! Beati pauperes (3) ! bienheureux ceux qui pleurent! Beati qui lugent (4) ! bienheureux ceux qui souillent persécution! Beati qui persecutionem patiuntur (5) ! Enfin, c'est ce que les apôtres Paul et Barnabé prêchaient avec tant de zèle, quand ils allaient, dit saint Luc, visitant les Eglises chrétiennes, fortifiant le courage des disciples, les exhortant à persévérer dans la foi, et leur remontrant que c'était par les afflictions et les peines qu'ils devaient entrer dans le royaume de Dieu : Confirmantes animas discipulorum ,

 

1 Luc, VI, 24.— 2 Ibid., 25.— 3 Matth., V, 3. — 4 Ibid , 5 —  5 Ibid , 10.

 

et exhortantes ut permanerent in fide, et quoniam per multas tribulationes oportet nos intrare in regnum Dei (1).

Telle est la loi que Dieu, dans le conseil de sa providence, a portée, et qu'il ne changera pas pour nous. Cependant, au mépris de cette loi, on veut être heureux dans le monde ; et, quoique les souffrances soient la marque la plus certaine des élus de Dieu, par une infidélité dont on ne fait nul scrupule, et qu'on ne se reproche jamais, on consent à n'avoir point cette marque spéciale de prédestination pour le ciel, pourvu que l'on soit, si je puis ainsi parler, des prédestinés de la terre. A quelque prix que ce puisse être, on veut, autant qu'il est possible, écarter tout ce qui fait de la peine et qui incommode; et, sans balancer, on renonce, au moins dans la pratique et parles œuvres, aux béatitudes de Jésus-Christ, pour jouir des béatitudes du siècle. Que cet adorable Sauveur, que les saints, après lui, soient arrivés à la gloire par la croix et par les tribulations, on prétend y arriver par la joie et par le plaisir : car au même temps qu'on ne veut rien souffrir, on veut néanmoins d'ailleurs, par un secret inconnu à Jésus-Christ même, et par une contradiction que les saints n'ont jamais accordée, se sauver dans le monde, c'est-à-dire qu'on veut se sauver dans le monde, tandis qu'on n'y respire que le plaisir, qu'on y rapporte tout au plaisir, qu'on y cherche avec soin et en tout le plaisir, qu'on ne pense qu'à y mener une vie de plaisir, et qu'on n'y connaît point d'autre bien que le plaisir. Mais que fait Dieu, Chrétiens? remarquez ces deux traits de sa miséricorde, et reconnaissez le désordre de votre conduite. Afin que les plaisirs du monde ne vous corrompent pas, et que ce ne soient pas des obstacles à votre bonheur éternel, Dieu, qui veut en quelque sorte, malgré vous-mêmes, vous sauver, mêle ses plaisirs d'amertumes, vous y fait trouver des dégoûts, vous les rend fades et insipides. C'est ce que vous éprouvez à toute heure ; et vous qui, contre tous les desseins de Dieu, voulez vous perdre, malgré toutes les amertumes qui s'y rencontrent, vous êtes avides de ces plaisirs, vous les désirez ardemment, vous vous y attachez opiniâtrement, et, tout insipides qu'ils sont, vous les préférez aux délices pures de cette gloire , dont la seule espérance serait déjà pour vous une félicité anticipée. Semblable à l'infortuné Esaü, qui, pour contenter  seulement   une   fois la faim   qui   le

 

1 Act., XIV, 21.

 

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pressait, vendit son droit d'aînesse, et fut par là frustré de la bénédiction de son père, vous sacrifiez à de vaines douceurs, et à quelques moments d'une volupté passagère, le saint héritage qui vous était acquis.

Ce n'est pas assez : Dieu vous envoie des souffrances, et par une bonté paternelle, il les attache à votre condition , à vos emplois, aux engagements que vous avez dans le monde. Car, quelques mesures que l'on prenne, on ne peut être en commerce avec le monde sans y trouver sans cesse des sujets de mortification et de chagrin. Si vous connaissiez le don de Dieu, vous ne penseriez qu'à le bénir d'en avoir ainsi ordonné, et vous «'auriez que des actions de grâces à lui rendre, de vous avoir pourvus d'un si puissant préservatif contre les dangers et les écueils de votre état. Quelque avantageuse, selon le monde, que put être votre destinée, vous ne vous croiriez pas abandonnés du ciel, ni réprouvés, puisque vous auriez encore part au calice du salut. Mais quel usage faites-vous d'un si précieux talent? A ce désir insatiable des plaisirs du monde que je viens de vous reprocher, vous joignez l'abus des souffrances par où Dieu voulait vous sanctifier : et comme vous vous pervertissez par les plaisirs mêmes que vous ne goûtez pas, et qui ne vous satisfont pas, ainsi vous pervertissez-vous par les croix mêmes que vous portez, mais dont vous ne profitez pas; car toutes sortes de souffrances ne conduisent pas à la gloire que Dieu nous découvre dans le mystère de ce jour. Si cela était, l'enfer ne serait plus enfer. Il faut que ce soient des souffrances pour la justice, parce qu'il n'y en a point d'autres que Dieu puisse couronner, ni qui puissent avoir de la proportion avec cette vie bienheureuse où Jésus-Christ après lui nous appelle. Souffrir parce qu'on a le cœur déchiré de mille passions, souffrir parce qu'on est dévoré par une ambition que rien ne peut satisfaire, souffrir parce qu'on est possédé d'une envie secrète, souffrir parce qu'on a dans l'âme la haine et le fiel, c'est souffrir plus que n'ont souffert les pénitents les plus austères , et plus que ne souffrent ces malheureux, condamnés par la justice et la rigueur des lois à traîner leurs chaînes dans un esclavage dur et honteux. Mais c'est souffrir comme les démons, pour l'iniquité; et il répugne à la sainteté de Dieu de tenir compte aux hommes de ce qu'ils souffrent pour de si indignes sujets. Si donc l'on prétend au royaume de Dieu, il faut souffrir pour la cause de Dieu, il faut souffrir pour la charité, souffrir pour la vérité, souffrir pour la paix, souffrir pour l'obéissance : car tout cela est renfermé dans cette justice chrétienne dont parlait le Fils de Dieu , quand il disait : Beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam, quoniam ipsorum est regnum cœlorum (1) ! Souffrir plutôt que de se venger et de repousser une injure, en rendant le mal pour le mal, c'est ce que j'appelle souffrir pour la charité ; souffrir plutôt que de trahir sa conscience, plutôt que de manquer à son devoir, plutôt que d'approuver le vice, c'est ce que j'appelle souffrir pour la vérité ; souffrir plutôt que de causer du trouble, en voulant se défendre et se justifier, c'est ce que j'appelle souffrir pour la paix; souffrir plutôt que de murmurer et de se plaindre, plutôt que de résister aux puissances légitimes, c'est ce que j'appelle souffrir pour l'obéissance. Voilà les souffrances que Dieu accepte, et qu'il récompense dans son royaume. Mais ma douleur est, Chrétiens, que les vôtres ne sont pas communément de ce caractère; ma douleur est qu'au lieu que les saints disaient en s'adressant à Dieu : Propter te mortificamur tota die (2). C'est pour vous, Seigneur, que nous sommes persécutés et que nous voulons l'être, c'est pour vous que nous nous persécutons en quelque manière nous-mêmes, et que nous nous mortifions : peut-être ceux qui m'écoutent, et à qui je parle, pourraient dire au monde : C'est pour toi que je me mortifie, monde, dont je me suis fait l'esclave; c'est pour toi que je me captive, c'est pour toi que je me fais violence, c'est pour toi que je souffre tout ce que les serviteurs de Dieu ont souffert pour Dieu. Or, qu'arrive-t-il de là? Ce qui me paraît et qui doit vous paraître, mes chers auditeurs , le comble de tous les malheurs de l'homme : vous allez à la perdition et à la mort, par où les justes et les vrais chrétiens vont au salut et à la vie. Car les souffrances mènent à l'un et à l'autre ; et ce n'est point, je le répète, précisément par les souffrances que Dieu fait le discernement des élus et des réprouvés; c'est par la qualité, c'est par le motif, c'est par le principe et la fin des souffrances. Cependant, j'en reviens toujours à la proposition générale, que pour entrer dans cette patrie, dont les portes aujourd'hui vous sont ouvertes, et pour mériter d'y être reçu, il faut souffrir.

Cette parole, Chrétiens, vous paraît dure; mais j'ose dire qu'elle ne doit point l'être pour vous, et en voici la raison, à laquelle je vous

 

1 Matth., V, 10. — 2 Rom., VIII, 36.

 

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défie de répliquer. Car que ne souffrez-vous pas tous les jours, et que n'êtes-vous pas déterminés à souffrir pour le monde ? que ne souffrez-vous pas pour vous établir, et pour vous pousser dans le monde? Ce désir d'acquérir de la gloire, que ne vous fait-il pas entreprendre? Cette ambition de vous élever, que ne vous fait-elle pas prendre sur vous ? S'il s'agit de votre fortune, épargnez-vous votre santé, ménagez-vous votre repos, vous plaignez-vous qu'il vous en coûte de l'assujettissement et du travail? avec quelle patience ne supportez-vous pas tout ce qui se présente de plus fâcheux et de plus pénible? avec quelle ardeur et quel courage ne passez-vous pas pardessus toutes les difficultés? Pour peu que vous ayez de bonheur et que les choses vous succèdent, que ne trouvez-vous pas aisé? Faut-il vous exciter et vous animer? avez-vous besoin pour cela de remontrances? ne vous les faites-vous pas à vous-mêmes, et ne vous en dites-vous pas plus que je ne vous en dirai jamais? Or, souffrez pour Dieu ce que vous souffrez pour le monde, je ne vous en demande pas davantage. Vous en faut-il un motif pressant, touchant, convaincant? ne l'avez-vous pas dans cette gloire qui vous est proposée comme le terme de votre espérance? y a-t-il un autre bien plus précieux pour vous que cette gloire où vous n'aurez plus rien à désirer, plus rien à demander, plus rien à rechercher, parce qu'elle comblera toute la capacité de votre cœur; que cette gloire durable et éternellement assurée, que jamais rien ne vous enlèvera, que jamais rien ne troublera, que jamais rien ne bornera; que cette gloire après laquelle les saints ont tant soupiré , vers laquelle ils élevaient sans cesse leur esprit, ils tournaient sans cesse leurs regards, et dont la seule vue, quoique obscure et encore imparfaite, dont le seul avant-goût sur la terre les ravissait, les transportait, et, pour m'exprimer ainsi, les enivrait; que cette gloire où le Fils de Dieu souhaitait si ardemment de retourner, dont il parlait si souvent à ses disciples, surtout depuis qu'il fut ressuscité, et qu'il se vit sur le point d'aller recevoir la couronne que son Père lui avait préparée? C'est là qu'il nous précède, Chrétiens : nous sommes ses membres, et il est notre chef ; partout où le chef entre, il faut que les membres le suivent, et qu'ils y soient placés avec lui. C'est là qu'il traîne après soi comme en triomphe, et qu'il introduit tant d'âmes justes, tant de patriarches, de prophètes, de prédestinés de l'ancienne loi, qui depuis si longtemps attendaient ce libérateur. Joignons-nous d'esprit et de cœur à cette troupe glorieuse, et disposons-nous à la grossir un jour nous-mêmes, et à partager avec eux la même gloire. Mais, du reste, n'oublions jamais (car c'est là toujours qu'il s'en faut tenir, et ce qu'il faut poser pour un principe nécessaire et incontestable), que c'est une récompense; qu'elle l'a été pour eux, qu'elle le doit être pour nous ; qu'ils J'ont acquise par la sainteté de leurs œuvres, par la ferveur de leur piété, surtout par leur patience inaltérable et leur constance à souffrir, et que c'est ainsi que nous la devons mériter. Défions-nous de notre faiblesse ; mais ne craignons point toutefois que les forces nous manquent, puisque Jésus-Christ est à la droite de son Père comme notre médiateur, comme notre pontife, pour faire descendre sur nous ses grâces les plus puissantes. Allons à son trône, à ce trône de gloire et de miséricorde tout ensemble, lui présenter nos hommages, lui offrir nos prières, lui exposer nos besoins, l'adorer et l'invoquer , jusqu'à ce que nous puissions dans l'éternité le voir et le posséder. C'est ce que je vous souhaite, etc.

 

 

 

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