ASSOMPTION  VIERGE I

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
Mystères
NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST
CIRCONCISION DE JÉSUS-CHRIST
EPIPHANIE
PASSION DE JÉSUS-CHRIST I
PASSION DE JÉSUS-CHRIST II
PASSION DE JÉSUS-CHRIST III
DIMANCHE DE PAQUES
LUNDI DE PAQUES
ASCENSION
PENTECOTE
TRÈS-SAINTE TRINITÉ
TRÈS-SAINT SACREMENT
CONCEPTION VIERGE
ANNONCIATION  VIERGE I
ANNONCIATION VIERGE II
PURIFICATION VIERGE
PURIFICATION VIERGE II
PURIFICATION VIERGE III
ASSOMPTION  VIERGE I
ASSOMPTION  VIERGE II
TOUS LES SAINTS I
TOUS LES SAINTS II
COMMÉMORATION  MORTS
OUVERTURE DU JUBILÉ
PANÉGYRIQUES
SAINT ANDRÉ
SAINT FRANÇOIS-XAVIER
SAINT THOMAS, APOTRE
SAINT ETIENNE
SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE
SAINTE GENEVIÈVE
SAINT FRANÇOIS DE SALES
SAINT FRANÇOIS DE PAULE
SAINT JEAN-BAPTISTE
SAINT PIERRE I
SAINT PIERRE II
SAINT PAUL
SAINTE MADELEINE
SAINT IGNACE DE LOYOLA
NOTRE-DAME DES ANGES
SAINT LOUIS
SAINT BENOIT
ÉTAT RELIGIEUX I
ÉTAT RELIGIEUX II
ÉTAT RELIGIEUX III
ÉTAT RELIGIEUX IV
ÉTAT RELIGIEUX V
ÉTAT RELIGIEUX VI
ORAISONS FUNEBRES I
ORAISONS FUNEBRES II
ORAISONS FUNÈBRES III

PREMIER SERMON SUR L'ASSOMPTION DE LA VIERGE.

ANALYSE.

 

Sujet. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée.

 

Ce mystère de l'assomption de Marie est par excellence le mystère de sa gloire; mais si nous savons bien nous l'appliquer et eu profiter, il n'est pas moins le mystère de notre espérance.

 

Division. Nous donnons communément dans deux erreurs sur le sujet de la gloire de Marie : l'une regarde les moyens par où elle y est parvenue; et l'autre, les avantages qui nous en doivent revenir. Or voyons, pour nous garantir de la première erreur, quel a été le vrai principe de la béatitude de Marie : première partie ; voyons, pour nous préserver de la seconde, quelle est la mesure du pouvoir de Marie : deuxième partie. Voilà de quoi exciter tout à la fois et régler notre espérance.

 

Première partie. Quel a été le vrai principe de la béatitude de Marie, c'est-à-dire pourquoi Marie est-elle aujourd'hui glorifiée dans le ciel? est-ce parce qu'elle a été mère de Dieu? Non; mais, 1° parce qu'elle a été obéissante et fidèle à Dieu; 2° parce qu'elle a été humble devant Dieu.

1° Parce qu'elle a été obéissante et fidèle à Dieu. C'est ainsi que le Sauveur du monde s'en déclara, lorsque cette femme de l'Evangile lui ayant dit : Bienheureux le sein qui vous a porté! il lui fit cette réponse : Mais plutôt, heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique! Par où il donnait à entendre, reprend saint Augustin, que c'était l'obéissance et la fidélité de Marie qui faisait son bonheur, et non pas la maternité divine. Or, ce qui faisait alors le bonheur de Marie, c'est ce qui a fait depuis sa gloire dans le ciel. Avoir été mère de Dieu, c'est un bonheur qu'a reçu Marie; mais avoir été fidèle à Dieu, c'est un mérite; et Dieu, dans sa mère même, ne couronne que le mérite.

2° Parce qu'elle a été humble. C'est en ce sens que saint Ambroise prend ces paroles de Marie : Quia respexit humilitatem ancillae suae; ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes ; Parce que le Seigneur a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante, et qu'il a été touché de l'aveu qu'elle en faisait; pour cela, et pour cela spécialement, elle sera béatifiée. Les anges, dit saint Bernard, voyant Marie monter au ciel avec tant de pompe, eurent bien lieu de s'écrier comme les compagnes de l'épouse : Quae est ista? Qui est celle-ci? mais on eût bien pu leur répondre ce que saint Paul disait du Fils de Dieu : Quod autem ascendit, quid est, nisi quia et descendit? Elle est élevée, parce qu'elle s'est abaissée.

Voilà, encore une fois, ce que le Sauveur du monde a couronné dans Marie, sans considérer en aucune sorte qu'elle était sa mère : pourquoi? parce qu'en la couronnant, il n'agissait ni en fils, ni en homme, mais en Dieu et en juge souverain. Ainsi l'avait-il déjà traitée par avance aux noces de Cana et eu d'autres occasions. On peut dire néanmoins d'ailleurs que su maternité a contribué à sa béatitude : comment? en ce qu'elle a eu, comme mère de Dieu, de plus grandes grâces dont elle a rempli la mesure par sa fidélité ; en ce que sa maternité a rehaussé le prix de son humilité : mais toujours est-il vrai que la cause prochaine de la béatitude de Marie n'a point été sa maternité divine, et que c'a été seulement sa fidélité d'une part, et de l'autre son humilité.

Puissants motifs, 1° pour exciter notre espérance : Marie ne parvient à la gloire que par le même chemin qui nous est ouvert à tous; 2° pour nous inspirer un saint mépris de tout ce qui s'appelle distinction et grandeur dans le monde; Ce n'est point parla que nous mériterons la gloire du ciel; 3° pour nous faire même peu compter sur certaines grâces, quoique d'un ordre surnaturel, à moins qu'elles ne soient soutenues par la sainteté de notre vie.

Deuxième partie. Quel est dans le ciel le pouvoir de Marie pour nous secourir? Il est certain que nous pouvons saintement et utilement invoquer la mère de Dieu; car on s'adressait bien à elle lorsqu'elle était sur la terre, et l’on employait bien sa médiation auprès de Jésus-Christ pour obtenir de lui des grâces : maintenant qu'elle est dans le ciel, pourquoi le pourrait-on moins ? 1° Est-ce qu'elle ne voudrait plus s'intéresser pour nous? mais dans le ciel sa charité est plus ardente que jamais; 2° est-ce. qu'elle ne peut plus nous secourir? mais dans l'état de sa gloire, serait-elle moins puissante qu'elle ne l'était parmi nous, et dans ce lieu d'exil? 3° est-ce qu'elle ne connaît plus nos besoins, et qu'elle n'entend plus nos prières? mais les anges, à qui Dieu a confié nos personnes, nous entendent bien; 4° est-ce que l'usage de l'invoquer blesse l'honneur de Dieu? erreur pitoyable; car nous l'invoquons, non comme celle à qui il appartient de donner la grâce, mais comme celle qui peut nous l'obtenir. Nous pouvons donc invoquer Marie, et ce droit de recourir à elle est un des plus fermes appuis de notre espérance. Nous avons dans cette vierge, 1° une avocate toute-puissante auprès de son Fils, qui est notre juge; et quand nous l'appelons toute-puissante, ce n'est pas à dire qu'elle soit au-dessus de son Fils, mais qu'elle peut tout obtenir de lui, et par la prééminence de sa dignité, et par le mérite de sa personne; 2° une mère de miséricorde pour les pécheurs, puisque c'est aux pécheurs mêmes qu'elle est en quelque manière redevable de toute sa gloire.

Voilà notre espérance : mais quel en est l'abus? c'est que nous osons nous promettre de la protection de Marie, 1° des grâces chimériques et impossibles; 2° des grâces possibles, mais miraculeuses; 3° des grâces, s'il y en avait de telles, incapables de nous sanctifier, et beaucoup plus capables de nous pervertir; 4° des grâces selon notre goût et les désirs corrompus de notre cœur. Or, ce n'est point pour cela que la mère de Dieu est puissante. Espérons eu elle, mais que notre espérance soit juste et réglée.

Prière à la Vierge.

 

231

 

Maria optimam partent elegit, quœ non auferetur ab ea.

 

Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée. (Saint Luc, chap. X, 42.)

 

Ce fut à Marie, sœur de Marthe, que le Fils de Dieu rendit ce témoignage avantageux : c'est ainsi qu'il se déclara pour elle, et qu'il la félicita de ce qu'elle s'attachait à l'écouter, pendant que Marthe se fatiguait et s'empressait à le servir. Il faut néanmoins convenir que ces paroles de notre évangile, appliquées à la fête que nous célébrons, expriment parfaitement le caractère de Marie , mère de Jésus, puisqu'elle a eu sans contredit en toutes choses la meilleure part. Je n'aurais, pour vous en convaincre, qu'à parcourir tous les mystères qui se sont accomplis dans la personne de cette incomparable vierge , et qu'à vous y faire remarquer les privilèges infinis de grâce et de gloire qui l'ont élevée au-dessus de tous les justes et de tous les élus de Dieu. Mais je m'arrête uniquement à l'auguste mystère de son Assomption ; car ce degré de gloire si sublime où elle paraît aujourd'hui, cette couronne d'immortalité qu'elle reçoit des mains de son fils, cette béatitude qu'elle possède . et qui doit être la récompense éternelle de ses éminentes vertus, c'est la consommation, non-seulement de toutes les grâces dont elle a été comblée, mais de tous les mérites qu'elle a acquis, et par conséquent ce que nous pouvons dire pour elle, souverainement et par excellence, la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée : Optimam partent elegit, quoi non auferetur ab ea. Heureux partage de Marie, qui doit être le sujet de nos réflexions, et auquel nous devons tous nous intéresser, si nous avons, comme chrétiens , les sentiments de religion que la vue du triomphe de cette mère de Dieu doit produire dans nos cœurs ! Ce que nous appelons son assomption est par excellence le mystère de sa gloire : mais si nous savons bien nous l'appliquer et en profiter, il n'est pas moins le mystère de notre espérance; et voilà ce que j'entreprendrai de vous faire voir, après que j'aurai demandé les lumières du Saint-Esprit, par l'intercession de sa bienheureuse épouse. Ave, Maria.

 

C'est de l'espérance que le juste vit, aussi bien que de la foi ; c'est sur l'espérance, aussi bien que sur la foi, qu'est fondé tout l'édifice de cette perfection chrétienne dont la charité est le comble ; c'est par l'espérance aussi bien que par la foi que nous nous élevons à Dieu, que nous cherchons Dieu, et que nous trouvons le royaume de Dieu. Ainsi, Chrétiens, quand j'ai dit que le mystère de ce jour était un des mystères de notre espérance, j'ai prétendu vous en donner l'idée la plus haute, et tout ensemble la plus consolante et la plus édifiante que vous en ayez jamais conçue. Ecoutez-moi et vous en allez convenir. Pour y procéder avec ordre, je ne prétends point pénétrer le fond de la béatitude et de la gloire dont la Reine des anges jouit dans le ciel ; car, comme remarque saint Bernard, si l'œil n'a point vu, et si le cœur de l'homme n'a jamais compris ce que Dieu prépare au moindre de ses élus, qui pourra comprendre et encore moins expliquer ce qu'il a préparé pour la plus parfaite et la plus sainte de toutes les vierges? Sans vouloir donc connaître la gloire de Marie en elle-même, il me suffit d'en examiner le principe et les effets; le principe, par rapport à Marie qui la possède ; et les effets par rapport à nous, qui, comme enfants et serviteurs de Marie, devons y participer : car, envisageant celte gloire dans son principe, et par rapport à Marie, j'y découvre un des plus puissants motifs de notre espérance ; et la considérant dans ses effets et par rapport à nous, j'y trouve un des plus solides appuis de notre espérance. Appliquez-vous à ma pensée. Il est certain que Marie, dans son assomption, a reçu de Dieu comme une double plénitude, je veux dire une plénitude de bonheur, et une plénitude de pouvoir ; une plénitude de bonheur pour elle-même, et une plénitude de pouvoir pour ceux qui l'invoquent. Or la vue de son bonheur, ou plutôt de ce qui a été la cause et la source de son bonheur, c'est ce qui doit exciter notre espérance ; et la vue de son pouvoir auprès de Dieu , c'est ce qui doit affermir notre espérance. Je pourrais m'en tenir là ; mais parce que rien n'est plus sujet à l'illusion que l'espérance , même chrétienne , et que rien n'est plus dangereux dans la voie de Dieu que l'abus de cette vertu, j'ajoute à ces deux vérités une réflexion qui m'a paru bien importante, et que je vous prie de faire avec moi : c'est qu'en même temps que le mystère de ce jour excite et affermit notre espérance, il nous apprend encore à la régler, et à n'en pas abuser : instruction à laquelle je réduis tout ce discours, pour combattre deux erreurs grossières où nous tombons communément sur le sujet de la gloire de Marie : l'une qui regarde les moyens par où elle y est parvenue, et l'autre les avantages qui nous en doivent revenir. Car ces moyens par où Marie est parvenue au comble de la

 

232

 

gloire, nous nous les figurons tous différents de et; qu'ils ont été ; et ces avantages qui nous doivent revenir de la gloire de Marie, nous nous les promettons tout autres qu'ils ne sont en effet : deux erreurs, dis-je, infiniment préjudiciables. Tâchons à nous en préserver, et pour cela reconnaissons premièrement quel a été le vrai principe de la béatitude de Marie, et voyons ensuite quel est le pouvoir que Dieu lui a donné pour nous secourir : le principe de sa béatitude, bien expliqué, nous garantira de la première erreur ; et la mesure de son pouvoir, bien entendue, nous mettra à couvert de la seconde. Voilà tout mon dessein, et ce qui demande une favorable attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Considérer dans l'assomption de Marie une vierge triomphante, une reine couronnée, une créature élevée au-dessus de tous les ordres des esprits bienheureux , et placée dans le rang de la gloire le plus éminent ; en un mot, mu: mère de Dieu béatifiée par le Dieu même qu'elle a conçu, et qu'elle a eu l'honneur de porter dans ses chastes entrailles : je l'avoue, Chrétiens, c'est quelque chose de grand, quelque chose qui surpasse toute expression humaine, et sur quoi l'on pourrait bien s'écrier : O altitudo divitiam (1) ! O abîme des trésors de Dieu ! C'est ce que l'Eglise semble nous proposer d'abord dans cette solennité, et c'est là que nos réflexions sur ce mystère se sont peut-être jusques à présent terminées : mais si cela est, et si nous en sommes demeurés là, quelque auguste que nous ait paru ce mystère, j'ose dire que ni vous ni moi ne l'avons jamais bien pénétré : car, il est vrai, voilà, mes chers auditeurs, ce qu'il y a dans l'assomption de .Marie d'éclatant et de magnifique ; mais l'esprit de la foi, qui perce, comme dit saint Paul, jusque dans les secrets les plus intimes, et pour user du ternie de cet apôtre, jusque dans les profondeurs de Dieu : Etiam profunda Dei (2), nous y découvre bien d'autres sujets d'admiration. En voici un, Chrétiens, qui vous surprendra, mais qui vous édifiera; et qui, détrompant vos désirs , excitera dans vos cœurs les sentiments les plus vifs de l'espérance des justes. Appliquez-vous , s'il vous plaît.

Qu'est-ce donc que je conçois, ou qu'est-ce que je dois concevoir dans le mystère que nous célébrons ? Une mère de Dieu glorifiée,

 

1 Rom., XI, 33. — 2 1 Cor., II, 10.

 

non point absolument et précisément parce qu'elle a été mère de Dieu, mais parce qu'elle a été obéissante et fidèle à Dieu, mais para1 qu'elle a été humble devant Dieu, mais parce qu'en vertu de ces deux qualités elle a été singulièrement et par excellence la servante de Dieu. Voilà ce que je considère, dans son assomption , comme l'essentiel et le capital à quoi nous devons nous  attacher ; et c'est le précis et le fonds de toute cette première partie. La proposition vous étonne, et vous avez peine à vous persuader que ce qui a élevé Marie à cette gloire incompréhensible dont elle prend possession dans le ciel, ne soit pas l'excellente prérogative qu'elle a eue sur la terre d'être la mère d'un Dieu. Car, quel titre en apparence plus légitime pouvait-elle avoir, pour être reçue en souveraine dans le royaume de son fils, que d'avoir été sa mère ; et si elle avait à se promettre devant Dieu quelque distinction, d'où devait-elle plutôt l'attendre que de cette divine maternité? Cependant, Chrétiens, il est de la foi que cette maternité, toute divine qu'elle est, n'est point proprement et dans la rigueur ce qui fait aujourd'hui l'élévation de Marie : car c'est ainsi que le Sauveur lui-même s'en est expliqué dans l'Evangile ; et la déclaration expresse qu'il nous en a faite est une preuve sans réplique. Vous l'avez cent fois entendue, mais peut-être ne l'avez-vous jamais méditée autant qu'il était nécessaire : écoutez-la donc, et ne l'oubliez jamais. Vous  savez en quels ternies cette femme dont parle saint Luc se sentit un jour inspirée de féliciter Jésus-Christ, lorsqu'elle s'écria que bienheureux était le sein qui l'avait porté, et les mamelles qui l'avaient nourri : Beatus venter qui te portavit, et ubera quœ suxisti (1) ! Elle crut, aussi bien que nous, que la béatitude de Marie consistait à être la mère de ce Dieu incarné et fait homme : Beatus venter. Mais vous savez aussi de quelle manière Jésus-Christ la détrompa, et l’étonnante réponse qu'il  lui  fit. Non, non, reprit cet Homme-Dieu, vous l'entendez mal, et il n'en est pas comme vous le pensez : Quinimo; celle que je reconnais pour mère, et dans le sein de laquelle j'ai été formé, n'est point heureuse pour cela. Ce n'est point là ni la mesure, ni la cause immédiate de son bonheur; mais les bénédictions abondantes dont Dieu l'a déjà prévenue, et dont il achèvera un jour de la combler, procèdent de toute une autre source. Or, prenez garde, Chrétiens, que ce  qui faisait alors, dans le sens du Fils de Dieu, la béatitude

 

1 Luc, XI, 27.

 

233

 

de Marie, c'est ce qui a fait depuis, et ce qui fait encore maintenant sa gloire dans le ciel : car la gloire d'une créature et sa béatitude devant Dieu ne sont qu'une même chose. Marie, dans la pensée de Jésus-Christ, n'était point heureuse précisément par la raison qu'elle était sa mère : ce n'est donc point précisément en vue de sa maternité qu'elle a été glorifiée. La conséquence est évidente, selon tous les principes de la théologie et même de la foi. Pourquoi donc Marie se trouve-t-elle si hautement et si honorablement placée dans le royaume céleste? apprenez-le de Jésus-Christ, qui seul a pu nous le révéler ; apprenez-le de Marie même, qui en a senti l'effet et l'accomplissement dans sa personne : joignez ensemble ces deux témoignages, et faites-vous-en deux leçons pour la conduite de votre vie. Rien ne vous fera mieux goûter ce que j'appelle le don de l'espérance chrétienne, et ne sera plus propre à vous inspirer un zèle ardent pour votre sanctification.

Voici le témoignage de Jésus-Christ. Il déclare, en comprenant Marie dans la réponse générale que je viens de vous rapporter, et l'y comprenant d'autant plus qu'elle en était personnellement le sujet; il déclare, dis-je, que la béatitude de Marie vient uniquement de ce qu'elle a été fidèle à Dieu , et obéissante à sa parole : Quinimo, beati qui audiunt verbum Dei et custodiunt illud (1) ! Voilà l'oracle de la Sagesse incréée, trop clair pour n'être pas pris à la lettre, et trop avantageux à la Vierge que nous honorons pour n'en pas faire le fonds de son éloge. Avoir écouté et inviolablement pratiqué tout ce qui était pour elle parole de Dieu, ordre de Dieu, bon plaisir de Dieu : c'est-à-dire avoir suivi tous les mouvements de la grâce qui agissait en elle, sans y apporter jamais la moindre résistance ; avoir répondu exactement et constamment à toutes les inspirations qu'elle recevait de Dieu ; avoir accompli, avec la dernière fidélité, tous les desseins que Dieu avait formés sur elle ; n'être jamais sortie des voies de cette providence supérieure qui la gouvernait; s'être fait une loi des volontés de Dieu les plus parfaites; s'être dévouée sans exception à Dieu, dans les plus rigoureux sacrifices qui devaient être, et qui ont été les épreuves de sa vertu; avoir sanctifié sa vie par un continuel exercice de cette obéissance ; avoir rendu toutes ses actions, jusques aux plus petites, précieuses devant Dieu par le mérite de cette soumission; et ne s'être jamais ralentie un seul moment,

 

1 Luc, XI, 28.

 

jamais relâchée de sa première ferveur, toujours attentive à ce que l'Esprit de Dieu lui suggérait, toujours agissante pour Dieu , toujours unie de cœur à Dieu, toujours dépendante de Dieu : voilà, dit saint Augustin, ce que Dieu a couronné et glorifié en elle : Hoc in ea magnificavit Dominus, quia fecit voluntatem Patris, non quia caro carnem genuit. C'est ainsi qu'en parlait ce saint docteur ; comme s'il eût dit : Ne vous y trompez pas, mes Frères, et ne confondez pas les dons de Dieu. Avoir engendré selon la chair le Verbe éternel, et par le plus inouï de tous les miracles être devenue la mère de son Créateur, c'est un honneur que Marie a reçu de Dieu ; mais ce n'est point, à le bien prendre, un mérite que Dieu ait dû, ni qu'il ait pu même, selon les lois de sa justice, récompenser dans Marie. Il n'a loué dans elle que ce qu'elle a fait pour lui. Or, ce qu'il a trouvé dans elle de louable, est uniquement ce qui a fait sa gloire devant lui : Hoc in ea magnificavit quia fecit voluntatem Patris, non quia caro carnem genuit.

Je me trompe, Chrétiens; la fidélité de Marie n'est pas le seul titre de la béatitude et de la gloire dont Dieu, comme juge équitable, la combla dans son assomption. Une autre de ses vertus y eut encore part, et la foi nous enseigne que ce fut son humilité. Humilité de Marie, s'écrie saint Ambroise, qui, dans l'incarnation divine, ayant eu la force d'attirer un Dieu sur la terre, eut encore le pouvoir d'élever une pure créature au plus haut des cieux. En effet, avoir été fidèle à Dieu, et obéissante à sa parole, autant que l'avait été Marie, c'était beaucoup; mais ce n'était rien si elle n'eût été humble, et si, faisant pour Dieu tout ce qu'elle faisait , elle n'y avait ajouté, pour surcroît de mérite, de n'avoir jamais eu la moindre vue de s'en rien attribuer à elle-même. Car voilà le fonds que Dieu, juste et suprême rémunérateur, crut devoir enrichir dans la personne de cette vierge incomparable , non-seulement des dons de la grâce, mais des trésors immenses de la gloire dont il la mit en possession. Qui le dit? Marie elle-même, qui, pleine de l'Esprit de Dieu, s'en rendit authentiquement le témoignage : Quia respexit humilitatem ancillae suœ; ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes (1) ; Oui, dit-elle, dans ce sacré cantique qui, selon saint Ambroise, fut comme l'extase de son humilité, aussi bien que de sa

 

1 Luc, 1, 48.

 

234

 

reconnaissance, voilà pourquoi on m'appellera bienheureuse, et pourquoi, en effet, je léserai, parce que le Seigneur a jeté les yeux sur ma bassesse. Or elle parlait ainsi, reprend saint Ambroise, ayant déjà été saluée par l'ange comme mère de Dieu, ayant déjà été déclarée reine du ciel et de la terre, ayant déjà été remplie de la divinité du Verbe, qui habitait en elle corporellement; et l'aveu qu'elle faisait de sa bassesse n'était qu'une expression vive et affectueuse de l'humilité de son cœur : Quia respexit humilitatem ancillœ suœ ; parce que le Seigneur a été touché de l'humilité de sa servante, c'est pour cela, et pour cela spécialement, que je serai béatifiée : Ecce enim ex hoc beatam me dicent; pour cela que le Tout-Puissant fera éclater en moi toute sa magnificence; que Celui qui abaisse l'orgueil des superbes prendra plaisir à m'exalter : et je veux bien le publier et le faire connaître, afin que toutes les âmes justes, profitant de cette confession, sachent qu'il n'y a que l'humilité qui puisse prétendre à la véritable gloire. Qu'est-ce donc, à proprement parler, que l'assomption de Marie? Ne nous contentons plus de dire que c'est le jour de son couronnement et de son triomphe : disons que c'est le couronnement et le triomphe de son humilité ; par là nous exprimerons mieux l'intérieur du mystère que nous célébrons, et par là nous répondrons mieux à la question qu'auraient pu nous faire aujourd'hui, non-seulement les hommes grossiers et terrestres, mais les esprits mêmes célestes, à qui l'assomption de Marie fut un sujet de surprise et d'admiration. Car les anges mêmes, disait saint Bernard , furent dans une espèce de ravissement, en voyant Marie monter au ciel avec tant de pompe; et charmés de la nouveauté de ce spectacle, ils eurent lieu de s'écrier, aussi bien que les compagnes de l'Epouse : Quœ est ista quœ ascendit de deserto deliciis affluens? Qui est celle-ci qui s'élève de la terre avec cette affluence de délices et cet éclat de gloire qui l'environne? Mais on eût bien pu leur répondre ce que saint Paul répondait dans un sujet pareil, en parlant de l'ascension du Fils de Dieu : Quod autem ascendit, quid est, nisi quia et descendit primum (1) ? Vous êtes en peine de savoir qui elle est, et pourquoi elle monte; mais souvenez-vous que c'est elle qui, étant la plus sainte et la plus parfaite de toutes les créatures, ne s'est jamais considérée que comme la dernière des servantes de Dieu ; et

 

1 Ephes., IV, 9.

 

sachez qu'elle ne s'élève au-dessus de tous les êtres, que parce qu'elle est descendue par son humilité profonde jusque dans le centre de son néant : Quod autem ascendit, quid est, nisi quia et descendit? N'en cherchez point d'autre raison que celle-là. Cette humilité héroïque , qui a été la vertu prédominante de Marie; ce détachement d'elle-même, sur lequel elle a fondé tout l'édifice de sa sainteté ; ce renoncement à toutes les vanités du siècle, dont elle a fait, dès ses plus tendres années, une si solennelle profession ; cette vie cachée, dans laquelle elle a su se renfermer ; cette horreur sincère qu'elle a eue des louanges même les plus véritables; ce trouble dont elle fut saisie, en entendant celles que lui donnait un ange de la part de Dieu : cette disposition si admirable qu'elle a témoignée à rechercher en toutes choses son propre abaissement ; à vouloir bien paraître pécheresse, quoiqu'elle lût toute sainte; à vivre dans les rigueurs de la pénitence, quoiqu'elle n'eût jamais perdu l'innocence ; à se purifier comme les autres femmes, quoiqu'elle fût la pureté même; à se soumettre à la loi quoiqu'elle fût au-dessus de toute loi : cette vue de son néant, qui, dans les hautes communications qu'elle avait avec Dieu, était comme le contre-poids des faveurs qu'elle recevait de lui; ce soin de glorifier le Seigneur à mesure que le Seigneur opérait en elle de plus grandes merveilles; cette humilité enfin, qui n'avait jamais été vue sur la terre, et dont Marie était l'unique exemple, c'est-à-dire cette humilité jointe à la plénitude de la grâce, jointe à la plénitude du mérite, jointe à la plénitude des honneurs, voilà ce que Dieu a estimé, et ce qui l'a déterminé à placer Marie dans un rang sublime : Quia respexit humilitatem ancillœ suœ; ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes.

Mais encore, me direz-vous, le Sauveur du monde, qui, comme parle l'Evangile, avait reçu de son Père le pouvoir de juger, et par conséquent de récompenser, en béatifiant et en couronnant Marie, ne considéra-t-il en aucune sorte qu'elle était sa mère ? ne donna-t-il rien à la tendresse qu'il avait eue, et qu'il conserva toujours pour elle? Non, répondent les Pères ; et la raison qu'ils en apportent est convaincante : parce qu'il est certain que le Sauveur du monde, en béatifiant et en couronnant Marie, n'agissait pas en Fils ni en homme, mais en Dieu et en juge souverain. Or, en tout ce qui était immédiatement de la juridiction et du

 

235

 

ressort de la divinité, le grand principe de cet Homme-Dieu fut de n'avoir jamais d'égard à la Chair et au sang. De là vient que quand Marie la pria de faire un miracle aux noces de Cana , bien loin de marquer qu'il eût en cela pour elle de la déférence, il parut la traiter avec une espèce de rigueur, en lui répondant que, pour ces sortes d'actions absolument et essentiellement divines, comme celle-là, il n'y avait rien de commun entre lui et elle : Quid mihi et tibi est, mulier (1) ? De là vient qu'à l'âge de douze ans, s'étant séparé d'elle dans le temple où elle le retrouva trois jours après, au milieu des docteurs, bien loin de se montrer sensible à la douleur qu'elle avait eue de cette séparation, il la reprit en quelque sorte du reproche qu'elle lui en faisait, et sembla même s'en offenser, parce qu'elle devait savoir, lui dit-il, qu'il était alors occupé à ce qui était du service de son l'ère : Quid est quod me quœrebatis ? nesciebatis quia in his quœ Patris mei sunt, oportet me esse (2). De là vient que Marie elle-même tétant un jour présentée pour lui parler, pendant qu'il annonçait au peuple le royaume de Dieu, et un des assistants lui ayant dit : Voilà votre mère, il déclara qu'il ne reconnaissait pour mère et pour frères que ceux qui faisaient la volonté de son Père céleste : Quœ est mater mea, et qui snnt fratres mei ? Quicumque fecerit voluntatem Patris mei qui in cœlis est, ipse meus frater et mater est (4). De là vient que, sur la croix où, comme souverain pontife, il Offrait à Dieu le sacrifice de la rédemption des hommes, voulant recommander à Marie un de ses disciples, il ne l'honora pas du nom de mère; mais il l'appela simplement femme : Mulier, ecce filius tuus (4). Or, s'il en usa de la sorte même durant sa vie mortelle, et pendant qu'il était encore soumis à Marie; beaucoup plus, reprend saint Chrysostome , en dut-il ainsi user lorsque, assis à la droite de son Père, il rendit justice à Marie, et la mit en possession de la gloire qui lui était réservée. Car ce fut là, je le répète, qu'il décida en souverain et en Dieu, et non pas en homme, et lui-même il fêtait expliqué que comme homme il ne pouvait rien à ce tribunal en faveur des siens : Sedere autem ad dexteram meam vel sinistram, non est meum dare vobis (5). Il eut donc encore égard aux mérites que Marie avait acquis, et non pas aux titres d'honneur qu'elle avait possédés; et jusque dans la sentence qu'il prononça à cette reine des vierges,  au

 

1 Joan., II, 4. — 2 Luc, II, 49. — 3 Matth., XII, 50. — 1 Joan., XIX, 26. — 5 Matth., XX, 23.

 

moment qu'il la couronna, il soutint le glorieux caractère que l'Ecriture lui attribue , de n'avoir fait acception de personne, mais de rendre à chacun selon ses œuvres : Non est personarum acceptor Deus (1). Tel est le raisonnement de saint Chrysostome, fondé sur les maximes éternelles de la prédestination de Dieu.

Mais voici du reste, mes chers auditeurs, ce qui l'adoucit, et ce qui servira en même temps à confirmer la vérité que je vous prêche. Car j'ajoute que , sans déroger aux lois de cette justice rigoureuse, le Fils de Dieu, agissant comme souverain et comme Dieu a néanmoins, dans un autre sens, traité Marie avec toute la distinction qu'elle pouvait attendre de lui en qualité de mère; et je dis que, sans préjudice des divins décrets auxquels la prédestination de l'homme est attachée, l'avantage qu'a eu Marie d'être mère de cet Homme-Dieu n'a pas laissé de contribuer à sa béatitude. Je m'explique. En quoi le Fils de Dieu, agissant comme souverain et comme Dieu , a-t-il considéré Marie , et l'a-t-il distinguée comme sa mère? en ce qu'il lui a préparé dans cette vue des grâces spéciales, des grâces extraordinaires et abondantes, dont elle a rempli la mesure par sa fidélité, et qui lui ont fait acquérir tant de mérites dont elle a reçu la récompense. Et en quoi l'avantage qu'a eu Marie d'être la mère de Dieu a-t-il contribué à sa béatitude? en ce que sa maternité a rehaussé le prix de son humilité, et que son humilité devait être le fondement de son élévation. Cependant la proposition que j'ai avancée subsiste toujours, savoir, que la cause prochaine de la béatitude de Marie n'a point été précisément sa qualité de mère de Dieu, mais sa fidélité d'une part, et son humilité de l'autre. Vérité si constante (permettez-moi, Vierge sainte, de faire ici une supposition qui ne peut tourner qu'à votre gloire, puisqu'elle marquera encore mieux et la souveraine équité du jugement de Dieu, en vous plaçant sur le trône au moment de votre assomption, et le mérite inestimable de votre parfaite coopération à la grâce), vérité si constante, que si Marie, après avoir conçu le Verbe de Dieu, n'eût pas été obéissante à sa parole, et se fût oubliée jusqu'à se complaire en elle-même et à présumer d'elle-même, quoique mère de Dieu, elle ne jouirait pas de la félicité et de la gloire où elle est parvenue : pourquoi ? parce qu'avec cette auguste maternité, Dieu n'eût pas trouvé dans elle le caractère de ses élus, qui est la justice

 

1 Act., X, 34,

 

236

 

et la sainteté. Comme au contraire , si Marie, sans avoir conçu le Verbe de Dieu, eût été ou eût pu être aussi obéissante et aussi humble qu'elle le fut, aussi sainte et aussi fidèle, aussi consommée en vertu et aussi pleine de mérites, j'ose dire que, sans être mère de Dieu, elle serait aussi élevée qu'elle l'est dans la gloire, et aussi proche du trône de Dieu.

Or voilà, Chrétiens, ce que j'appelle le motif et l'attrait de notre espérance. Car, si Marie n'était dans la gloire que parce qu'elle a été la mère du Rédempteur, ce serait pour nous une raison de l'honorer, de la révérer, et de célébrer avec des sentiments de respect et de religion le jour solennel de son triomphe ; mais en tout cela il n'y aurait rien par où notre espérance pût être excitée. Quelque admiration que nous eussions pour cette vierge, la voyant monter au ciel, il ne nous serait pas permis de prétendre y monter après elle; et les désirs mêmes que nous en formerions seraient aussi chimériques et aussi vains que téméraires et présomptueux. Mais quand je considère qu'elle n'y monte que par un chemin qui m'est ouvert aussi bien qu'à elle ; quand je fais réflexion que les mêmes voies qui l'ont conduite à ce souverain bonheur, sont celles que Dieu m'a marquées pour y arriver; quand je me représente que Marie n'est entrée dans la joie de son Seigneur qu'en vertu de cette parole, qui ne me regarde pas moins qu'elle : Courage, bon et fidèle serviteur : Euge, serve bone et fidelis, intra in gaudium Domini tui (1) ; quand je pense que la loi selon laquelle Dieu, faisant justice à Marie, a relevé les abaissements volontaires de son humilité, n'a point été une loi particulière pour cette vierge, mais une loi universelle pour tous les hommes. Quiconque s'humilie sera exalté : Omnis qui se humiliat, exaltabitur (2); quand je me dis à moi-même que tous les droits qu'eut Marie à cette gloire dont elle est comblée peuvent, par proportion, et doivent me convenir, si je veux profiter de son exemple : ah ! Chrétiens , je sens alors mon cœur s'élever au-dessus des choses terrestres , et je commence à découvrir, mais d'une manière sensible, non-seulement la vanité de toute la gloire du monde, non-seulement l'inutilité des vertus purement humaines, qui font le mérite et la perfection des sages du monde, mais (ce qu'il m'importait bien plus de savoir) l'insuffisance même de certains dons, quoique d'un ordre surnaturel, dont je pourrais peut-être me flatter devant Dieu, et sur

 

1 Matth., XXV, 21. — 2 Luc, XIV, 11.

 

lesquels j'établirais une fausse confiance en Dieu. Or, en découvrant de la sorte mon aveuglement et mes erreurs, dans un mystère où toutes les lumières de la foi se présentent pour m'éclairer, je m'instruis moi-même, je me redresse moi-même, je m'encourage moi-même, je me reproche mes tiédeurs, je déplore mes relâchements, je renonce à mon orgueil, je m'attache à l'humilité, qui est la vertu des âmes prédestinées; tout cela par le mouvement de cette espérance chrétienne que m'inspire la solennité de ce jour ; et voilà les fruits de bénédiction et de sanctification que l'Esprit de Dieu y a renfermés pour nous. Oui, mes chers auditeurs, animé de cette espérance dont le juste vit, et qui est la ressource du pécheur, j'oublie , selon la maxime de l'Apôtre, les choses delà terre, pour chercher uniquement les choses du ciel, où la reine des vierges est assise, non pas comme Jésus-Christ à la droite de Dieu, mais immédiatement au-dessous de Dieu, et absolument au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu. Animé de cette espérance, je goûte les biens éternels, je les désire, je soupire après eux ; et, piqué d'une sainte émulation, je redouble mes efforts pour suivre les traces de Marie, et pour atteindre au même terme. Car voici les leçons que je me fais, en me la proposant comme le modèle sur lequel je me dois former : Je puis, selon la mesure des grâces que je reçois, être fidèle à mon Dieu comme l'a été Marie; je puis, selon l'étendue des desseins que Dieu a sur moi, accomplir ses ordres comme les a accomplis Marie; je puis écouter la parole de Dieu qui m'est annoncée, avec le même esprit et la même docilité que l'a écoutée Marie : je puis obéir à la voix intérieure qui me parle, avec la même promptitude que Marie. Quoique je ne sois pas destiné à de si grandes choses que Marie, je puis, en l'imitant, sanctifier mes actions, mes occupations, mes affections, en sorte que j'aie droit comme elle de dire au moment de la mort : Bonum certamen certavi (1) ; J'ai combattu, j'ai rempli ma course, j'ai gardé la foi, et il ne me reste plus que d'attendre la couronne de justice qui m'est réservée : In reliquo reposita est mihi corona justitiœ (2). Dieu ne m'a pas confié autant de talents qu'à Marie ; mais il m'a assuré, dans son Evangile, qu'il me suffirait d'avoir été fidèle en peu de choses , pour recevoir beaucoup : Quia super pauca fuisti fidelis, super multa te constituam (3). Je ne puis égaler Marie, ni être aussi riche en mérites, mais je puis m'humilier

 

1 2 Tim., IV, 7. — 2 Ibid., 8. — 3 Matth., XXV, 23.

 

237

 

comme elle ; et, même en me comparant à elle, mon indignité peut et doit être en moi le fonds d'une plus grande humilité. Je suis pécheur, mais je puis réparer, par la pénitence, les pertes que j'ai faites en perdant l'innocence. Si je ne suis rien dans le monde, je puis aimer, comme Marie, une vie obscure et tachée en Dieu ; et si j'ai dans le monde quelque avantage, je puis , à l'exemple de Marie, ne m'en servir que pour en faire hommage à Dieu : voilà, dis-je, ce qui soutient mon espérance ; mais ce n'est pas tout.

Car cette même gloire de Marie, fondée sur son humilité et sur sa fidélité à la grâce de Jésus-Christ, m'apprend, par une règle toute contraire, ce que je dois penser et espérer de tout le reste. Et en effet, c'est par là que je conçois un saint mépris pour tout ce qui s'appelle distinction, élévation selon le monde : fausse grandeur que Dieu réprouve, et qu'il confond tous les jours, parce qu'elle est presque toujours ou le fruit, ou la cause de l'iniquité ; au lieu que celle de Marie a été purement et uniquement là récompense de la sainteté. C'est par là que je reconnais le faible, ou plutôt le néant de je ne sais combien de vertus mondaines dont les enfants du siècle se glorifient, et qui font la matière de leurs éloges, mais qui ne seront jamais de nul prix pour le salut éternel. C'est par là même que je me détrompe de cette erreur si pernicieuse et si commune, de croire que Dieu, dans le discernement et le jugement qu'il fait de ses élus, ait égard à certaines grâces, qui semblent néanmoins d'ailleurs nous devoir être favorables; par exemple, à l'honneur que j'ai d'être chrétien, et en qualité de chrétien, d'être enfant de Dieu. Car, comme raisonne saint Chrysostome, si Dieu, pour glorifier Marie, n'a point considéré qu'elle était la mère de son Fils, quel fonds dois-je faire sur ce qu'il est mon Père par adoption, et que je suis du nombre de ses enfants? Ce caractère d'enfant de Dieu que j'ai reçu dans le baptême, s'il n'est accompagné et soutenu d'une sainte vie, engagera-t-il Dieu à se relâcher en ma faveur des droits de sa justice, après même que le caractère vénérable de mère de Dieu n'a pas eu ce pouvoir? et le bonheur que j'ai, comme chrétien, de recevoir Jésus-Christ dans les sacrés mystères, sera-t-il un titre sur pour lui demander qu'il me donne part à sa gloire, après que l'avantage singulier et le privilège qu'a eu Marie de le recevoir comme mère dans ses chastes entrailles, n'a pu suffire pour la mettre au rang des prédestinés?

Non, non, mes Frères, dit saint Chrysostome, Dieu n'aura nul égard à tout cela, car tout cela, ce sont des faveurs divines dont il nous demandera compte ; tout cela, ce sont des dons et des grâces dont il nous reprochera le mauvais usage ; tout cela, ce sont des fonds d'obligation que nous avons à remplir : mais tout cela précisément, ce ne sont point devant Dieu des mérites dont nous devions nous promettre une récompense. La fidélité et l'humilité, voilà ce qui doit être mis dans la balance où nous serons un jour pesés : et il était juste, ô mon Dieu, que cela fût ainsi ; il était juste que nous ne fussions heureux qu'à proportion que nous vous sommes fidèles, et que nous ne fussions grands devant vous qu'autant que nous sommes humbles. Depuis que vous avez établi deux trônes dans le ciel, l'un pour l'humilité d'un Homme-Dieu, l'autre pour l'humilité d'une vierge mère de Dieu, il était de l'ordre que tous les autres trônes où doivent être assis vos prédestinés eussent le même fondement, et qu'il n'y en eût aucun dont la base principale ne fût une solide, une profonde, une sincère humilité de cœur. Je suis chrétien, doit dire aujourd'hui un homme du monde, persuadé et touché de cette sainte morale : je suis chrétien; mais c'est pour cela même que Dieu me jugera plus exactement, qu'il me condamnera plus sévèrement, qu'il me punira plus rigoureusement, si déshonorant ma profession et le nom que je porte, je suis un indigne chrétien. Je suis l'épouse de Jésus-Christ, doit dire une âme religieuse ; mais je ne dois point compter pour cela de régner un jour avec celui que j'ai choisi pour mon époux, si je ne joins à cette qualité d'épouse celle d'humble et de fidèle servante : Domine, quis habitabit in tabernaculo tuo, aut quis requiescet m monte sancto tuo (1)? Seigneur, disait le Prophète royal, quel est celui qui demeurera dans votre maison, et qui reposera dans votre sanctuaire? Qui ingreditur sine macula, et operatur justitiam  (2)? Ce sera le juste dont la vie est pure et sans tache ; le juste qui, soumis à votre loi, est irrépréhensible dans sa conduite ; le juste qui, détaché du monde, marche dans la voie de vos commandements ; le juste qui, fidèle à votre grâce, s'acquitte constamment de ses devoirs et accomplit toute justice. Nulle exception à cette règle. Nous avons vu quel a été le principe de la béatitude de Marie ; voyons maintenant quel

 

1 Psalm., XIV, 1. — 2 Ibid., 2.

 

238

 

est le pouvoir que Dieu lui adonné pour nous secourir : c'est le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Il est certain que Marie, entre tous les élus, a reçu une grâce suréminente, en vertu de laquelle elle peut intercéder pour nous auprès de Dieu ; et, par une conséquence nécessaire, il est certain que nous pouvons saintement et utilement recourir à elle, et implorer dans nos besoins le secours de sa protection. Cette vérité, qui nous est plus que suffisamment révélée de Dieu, et dont toute la tradition est un authentique témoignage, se trouve d'ailleurs si conforme à tous les principes du bon sens et de la raison, que cela seul suffirait pour confondre l'obstination de l'hérésie, qui la rejette et qui la combat. Car si les anges bienheureux, qui sont devant le trône de Dieu, offrent continuellement nos prières à Dieu comme nous l'apprenons du texte sacré, pourquoi Marie, la reine des anges, ne serait-elle pas en état de nous rendre encore avec plus d'effet et plus de dignité le même office? Et si Marie elle-même, lorsqu'elle était sur la terre, pouvait être invoquée, c'est-à-dire si l'on pouvait s'adresser à elle, employer sa médiation auprès de Jésus-Christ, la prier de demander à cet Homme-Dieu des grâces, maintenant qu'elle est dans le ciel, pourquoi le pourrait-on moins ? est-ce qu'elle ne voudrait plus désormais s'intéresser pour nous? est-ce qu'elle n'en aurait plus le pouvoir? est-ce qu'elle ne connaîtrait plus nos besoins? est-ce que son invocation blesserait le culte suprême qui n'est dû qu'à Dieu seul et à Jésus-Christ? quatre points auxquels se réduisent toutes les préventions et tous les prétextes de l'hérésie. Ecoutez-moi, et je vais les détruire en quatre mots.

Que Marie, dans l'état de sa gloire , ne voulût plus s'intéresser pour nous, la seule pensée nous en peut-elle venir à l'esprit? Car pourquoi sa charité , qui dans le ciel est beaucoup plus parfaite, et par conséquent beaucoup plus ardente, se serait-elle refroidie? et pourquoi cette vierge, qui, pour les intérêts de Dieu, n'a jamais rien eu plus à cœur que le salut des hommes, y serait-elle devenue insensible : depuis, si je l'ose dire, que, transformée en Dieu, et intimement unie à l'essence de Dieu, elle voit encore plus clairement combien ce salut des hommes est précieux à Dieu ? Non, non, disait saint Cyprien, parlant en général des saints glorifiés (et ce qu'il disait des saints en général, je le dis en  particulier de Marie), ils n'ont jamais eu tant de zèle qu'ils en ont à présent pour nous. Autant qu'ils sont sûrs de leur propre bonheur, autant désirent-ils notre salut : Quantum de sua felicitate securi, tantum de nostra salute solliciti ; et ce serait, ajoute saint Bernard, méconnaître Marie, que de se persuader que celle qui, à l'exemple de Dieu même, a aimé les hommes jusqu'à donner pour eux son propre fils, depuis qu'elle est en possession de sa béatitude , les eut oubliés et absolument délaissés. Que, malgré toute sa charité, Marie n'eût plus le pouvoir de nous secourir, autre sentiment encore moins soutenable. Car, pourquoi serait-elle moins puissante dans ce royaume céleste, où elle tient après Dieu un si haut rang, que lorsqu'elle était parmi nous dans ce lieu d'exil ? Elle pouvait bien alors engager son fils à faire des miracles; elle obtenait bien de lui qu'il changeât les lois de la nature, qu'il forçât en quelque sorte celles de la Providence, qu'il convertît l'eau en vin : depuis qu'elle a reçu la couronne de l'immortalité, serait-elle déchue de son crédit, et le pouvoir dont elle usait aurait-il cessé? Qu'elle n'entendît plus nos prières, et qu'elle ne sût plus ni quand, ni pourquoi nous l'invoquons, c'est ce que l'hérésie a prétendu, mais ce qu'elle ne persuadera qu'à des esprits ou entêtés ou peu éclairés. Car pourquoi nos besoins ne seraient-ils pas connus de cette vierge! les anges les connaissent bien : Dieu, qui leur a confié le soin de nos personnes, leur révèle bien nos dispositions intérieures : chargés de veiller sur notre conduite, ils savent bien ce qui se passe dans le secret de nos cœurs ; ils se réjouissent bien de notre conversion; ils font bien, selon l'Evangile, une fête dans le ciel, quand un pécheur touché de Dieu fait pénitence sur la terre. Pourquoi donc Marie, plus élevée qu'eux dans le séjour de la gloire, ne verrait-elle pas en Dieu ce qu'ils y voient? Enfin , que l'usage de l'invoquer blessât le culte souverain qui n'est dû qu'à Dieu seul et à Jésus-Christ : erreur pitoyable, et qui se détruit par elle-même. Car, disent les théologiens, nous n'invoquons pas Marie comme celle de qui dépend la grâce, ni comme celle qui en est l'arbitre, ni comme celle à qui il appartient de nous la donner ; mais comme celle qui peut la demander pour nous, et l'obtenir. Nous ne l'invoquons pas même afin qu'elle nous obtienne cette grâce par ses propres mérites, mais par les mérites du Sauveur. Instruits de la parole du Fils de Dieu, qui nous a dit,

 

239

 

Venez à moi, nous n'allons pas elle comme à lui ; mais nous allons à lui par elle, comme par elle la foi nous apprend qu'il est venu à nous : nous allons à lui comme à l'unique médiateur; mais nous allons à elle comme à la première et la plus accréditée de tous nos intercesseurs.

Or cette intercession de Marie, ce droit que nous avons d'invoquer Marie, cette possession ,où nous sommes de recourir à Marie, c'est ce que l'Eglise veut que nous envisagions comme un des soutiens et des plus solides appuis de notre espérance. Car dites-moi, Chrétiens, quelles sont les deux choses qui affaiblissent communément et qui ébranlent notre espérance? La crainte des jugements de Dieu, et la vue de nos péchés. Or, que trouvons-nous aujourd'hui dans la personne de Marie? une avocate toute-puissante auprès de notre Juge, et une mère de miséricorde pour les pécheurs. Soutirez que pour votre édification , aussi bien que pour votre consolation, je vous fasse goûter ces pensées. Oui, mes Frères, disait saint Bernard, nous avons Marie dans le ciel pour avocate auprès du Fils, comme nous avons Jésus-Christ pour avocat auprès du Père; et qui doute que Marie, étant la mère de Celui qui, comme juge, doit prononcer des arrêts de vie et de mort, je dis une mère bien-aimée, une mère sainte, une mère couronnée de gloire, elle ne soit écoutée favorablement? qui doute que, plaidant la cause des hommes, elle ne soit exaucée pour le respect de sa maternité? Il ne s'en suit pas de là que nous relevions au-dessus de son fils, comme si sa maternité lui donnait droit d'exiger de lui qu'il nous accordât le pardon de nos crimes. A Dieu ne plaise que nous le concevions de la sorte! Quand, par un excès de confiance, il nous échapperait certains termes moins justes; et quand nous dirions (ce que je n'ai garde d'avancer), que Jésus-Christ, exauçant Marie, se plaît à lui rendre encore dans le ciel une espèce d'obéissance, se regardant toujours comme son fils, et l'honorant toujours comme sa mère, quand, dis-je, nous parlerions ainsi, les partisans de l'hérésie ne devraient pas plus s'en scandaliser, que d'autres expressions toutes semblables dont se sert l'Ecriture, lorsqu'elle dit que Dieu arrêtant le cours du soleil, voulut bien obéir à la voix d'un homme : Obediente Domino voci hominis (1) ; et lorsqu'elle ajoute que Dieu s'est engagé, tout Dieu qu'il est, à taire la volonté de ceux qui le craignent : Voluntatem timentium

 

1 Josue., X, 14.

 

se faciet (1). Mais nous n'avons pas même besoin de cette défense, puisque les termes dont nous usons en parlant du pouvoir de Marie, portent avec eux leur justification, et sont à l'épreuve de toute censure. Car nous disons que Marie prie Jésus-Christ, et non point qu'elle commande à Jésus-Christ; mais du reste, nous ajoutons que Jésus-Christ, après avoir autrefois obéi à Marie l'écoute encore présentement avec tous les égards qu'il a conservés et qu'il conservera éternellement pour elle ; égards de distinction, fondés sur la prééminence de sa dignité et sur le mérite de sa personne. Or il n'y a, encore une fois, que des esprits obstinés dans leur erreur qui puissent contredire cette vérité. Car si Dieu, dans l'Ecriture, disait aux amis de Job : Allez à mon serviteur Job, et il priera pour vous, en sorte que votre iniquité ne vous sera point imputée : Ite ad servum meum Job, et ipse orabit pro vobis (2); si Moïse, par son intercession, pouvait suspendre les foudres de la colère de Dieu, prêts à éclater sur les Israélites: Dimitte me ut irascatur furor meus (3); si Dieu, dans le chapitre quinzième de Jérémie, parlait de Moïse et de Samuel comme de deux puissants intercesseurs auprès de lui ; et si Judas Machabée vit le grand prêtre Onias, plusieurs années après sa mort, apaisant le ciel par ses prières en faveur de toute la nation des Juifs, pouvons-nous douter que la médiation de Marie ne soit un titre solide pour approcher avec confiance du trône de la grâce et de la miséricorde de notre Dieu? Mes crimes m'en éloignent, dites-vous ; et parce que je suis pécheur, je ne puis y avoir accès, et je n'ose l'espérer. Mais ne savons-nous pas, répond saint Bernard, que la grande qualité de Marie est d'être singulièrement la mère des pécheurs? ne savons-nous pas que c'est aux pécheurs qu'elle est en quelque manière redevable de toute sa gloire, puisqu'il est vrai que s'il n'y avait eu des pécheurs, elle n'eût jamais été mère de Dieu ? qu'ainsi tout le bonheur de sa destinée, ou, pour mieux dire, de sa prédestination éternelle, a roulé sur le malheur des hommes comme pécheurs, et que, par une reconnaissance digne d'elle, et qui n'a rien dans sa personne que de saint, puisqu'elle l'accorde parfaitement avec la haine et l'horreur du péché, elle se tient comme obligée à secourir les pécheurs, à être le refuge des pécheurs, à employer son crédit pour la conversion des plus indignes et des plus endurcis pécheurs, parce qu'elle sait bien que, tout pécheurs, et tout endurcis qu'ils sont, c'est,

 

1 Psal., CXLIV, 19. — 2 Job, XLII, 8.— 3 Exod., XXXII, 10.

 

240

 

pour eux, et pour eux spécialement que Dieu l'a faite ce qu'elle est, et qu'en cela même elle se conforme aux inclinations de son Fils, qui, sans confondre l'ordre des choses, a toujours aimé les pécheurs, quoiqu'il fût venu pour détruire et pour abolir le péché.

Voilà ce que j'appelle notre espérance; mais en voulez-vous voir l'abus? c'est ici, mes chers auditeurs, que j'ai besoin de toute votre application, en finissant ce discours. L'abus de celte invocation de Marie, et ce qui nous rend tous les jours son crédit inutile auprès de Dieu , c'est qu'au lieu d'envisager Marie comme la médiatrice qui peut, par son intercession, nous procurer les véritables grâces du salut, je veux dire les grâces réelles et possibles, les grâces solides et nécessaires, les grâces réglées et mesurées selon l'ordre de Dieu, les grâces victorieuses qui doivent combattre en nous nos passions, et triompher de la chair et du monde; par de secrètes et de funestes erreurs qui nous trompent, nous nous formons de Marie une fausse idée, jusqu'à nous promettre de sa protection des grâces chimériques et impossibles ; des grâces selon notre goût, et selon les désirs corrompus de notre cœur : des grâces, s'il y en avait de telles, incapables de nous sanctifier, et beaucoup plus capables de nous pervertir; des grâces miraculeuses, et sur lesquelles notre présomption seule peut faire fond. Je m'explique : nous invoquons Marie ; mais par une confiance aveugle, nous reposant sur elle de notre salut, nous en négligeons et nous en abandonnons tout le soin; comme si Marie, par son crédit auprès de Dieu, devait nous garantir ce salut sans conversion, ce salut sans changement de vie, ce salut sans renoncement à nous-mêmes, ce salut sans fruits de pénitence et sans mortification des sens ; comme si, par la faveur de Marie, il devait y avoir pour nous des victoires sans combat, des récompenses sans mérite, des mérites sans travail, des vertus dont la pratique ne nous coûtât rien : grâces chimériques et impossibles. Nous invoquons Marie ; mais, par une témérité qui, bien loin de l'honorer, lui est injurieuse, nous espérons obtenir par elle une bonne mort après une vie toute mondaine, une heureuse fin après un continuel oubli de Dieu, une sainte et finale persévérance après une opiniâtre résistance à toutes les lumières du ciel, un port assuré après une suite infinie d'égarements et de naufrages volontaires : grâces possibles, mais miraculeuses. Nous invoquons Marie ; mais, par une ignorance grossière de ce qu'elle peut, persuadés

qu'elle peut tout, nous nous flattons de trouver en Dieu, par sa médiation, une patience sans bornes, pour nous supporter, une disposition sans mesure à nous pardonner, une miséricorde inépuisable qui sera toujours en notre pouvoir, une protection sûre et immanquable, malgré nos délais criminels et nos retardements affectés : grâces, s'il y en avait de telles, incapables de nous sanctifier, et beaucoup plus capables de nous pervertir. Nous invoquons Marie ; mais, par une damnable sécurité, fondée sur son pouvoir, nous nous assurons que, sans sortir de l'occasion du péché, elle nous préservera du péché ; qu'au milieu des flammes elle nous conservera aussi purs et aussi sains que les trois enfants de la fournaise de Babylone : grâces selon notre goût et selon notre sens réprouvé, mais grâces que par cette raison-là même nous ne pouvons attendre de Marie, cl qui, bien loin d'être l'objet de l'espérance chrétienne, en ont été de tout temps le malheureux écueil. Car Marie n'a point le crédit qui la rend si puissante auprès de Dieu, pour porter nos intérêts contre les intérêts de Dieu ; elle n'est point, comme reine du ciel, placée sur le trône pour faire régner dans nous le péché ; elle n'est point notre avocate, pour nous entretenir dans l'impénitence : elle est toute-puissante auprès de son fils; mais elle l'est, disent les Pères, dans l'ordre des divins décrets, dans l'étendue des saintes lois que la sagesse de Dieu a établies, sans préjudice des maximes évangéliques et de leur inflexible sévérité : c'est-à-dire, elle est toute-puissante pour nous attirer à Dieu et pour rapprocher Dieu de nous, toute-puissante pour disposer Dieu à être touché de nos larmes, toute-puissante pour lui faire agréer nos vœux, nos satisfactions, nos sacrifices; mais non pas toute-puissante pour anéantir l'obligation de tout cela, ni pour faire que Dieu, oubliant ses plus essentiels attributs, devienne, si j'ose ainsi parler, prévaricateur de sa sainteté et fauteur de notre iniquité.

Nous vous invoquons aujourd'hui, Vierge sainte, mais c'est dans des dispositions plus conformes à nos devoirs , plus conformes aux règles que la religion nous prescrit, plus conformes au mystère même de votre glorieuse assomption. Mieux instruits de nos intérêts et des desseins de Dieu sur nous, nous n'attendons point de vous ces grâces purement temporelles, qui ne nous donneraient que de vaines joies, ni ces prospérités du monde qui ne serviraient qu'à entretenir notre orgueil et à satisfaire

 

241

 

notre amour-propre. Si nous avons recours à vous, c'est pour des besoins plus pressants et plus importants ; c'est pour des biens plus nécessaires, quoique peut-être moins de notre goût ; c'est dans des vues plus relevées el plus convenables au christianisme que nous professons. Accablés sous le poids de nos misères, et persuadés que vous pouvez nous secourir, nous vous réclamons dans cette auguste solennité ; mais voici le sujet de nos demandes : obtenez-nous par votre toute-puissante inter^ cession ces grâces du premier ordre, à quoi notre salut et notre perfection sont attachés ; obtenez-nous une haine efficace du péché, une crainte respectueuse des jugements de Dieu, une soumission sans réserve à sa sainte loi ; obtenez-nous cette force chrétienne, si nécessaire pour nous préserver de la corruption du monde, pour ne nous laisser pas emporter au torrent de la coutume, pour résister au scandale du mauvais exemple, pour nous mettre au-dessus du respect humain, pour nous affranchir de la tyrannie de nos passions, pour renoncer à l'ambition, pour n'être pas esclaves de l'avarice, pour surmonter la concupiscence de la chair, et pour la tenir soumise à l'esprit : obtenez-nous ces excellentes vertus qui vous ont distinguée entre tous les justes; cette foi héroïque qui vous a rendue si heureuse, en vous faisant croire ce qui vous était révélé ; cette profonde humilité qui vous a élevée si haut et qui engagea le Verbe de Dieu à s'abaisser jusqu'à vous ; cette pureté angélique qui vous fut si chère, et que vous préférâtes à toutes les grandeurs qu'on vous promettait ; cette obéissance que Jésus-Christ trouva plus digne de ses éloges, et plus recommandable en vous que votre maternité même ; ce zèle pour les intérêts de Dieu et pour le salut des hommes, qui, malgré la tendresse de votre cœur, vous fit consentir au sacrifice et à la mort de votre fils, quand vous le présentâtes dans le temple comme la victime qui devait être immolée pour nos péchés. Sans prétendre au degré sublime où vous avez possédé ces vertus, obtenez-les-nous au moins dans le degré convenable à nos obligations : c'est-à-dire, obtenez-nous une foi vive qui nous fasse agir, et qui, pour la cause de Dieu, nous détermine à tout souffrir ; une confiance en Dieu inébranlable, qui ne soit jamais confondue ; un amour de Dieu que toutes les eaux des tribulations et des adversités de cette vie ne puissent éteindre ; une charité envers le prochain qui nous tienne tous étroitement et saintement unis en Jésus-Christ : obtenez-nous une victoire entière sur le monde, un détachement parfait de nous-mêmes, un esprit humble et un cœur pur. Voilà les grâces, ô Vierge sainte, que nous vous demandons, et pour lesquelles nous ne craignons pas que vous nous refusiez votre intercession. Nous vous saluons avec l'Eglise en qualité de reine : Salve, regina ; mais à Dieu ne plaise que nous présumions d'entrer dans la gloire par une autre voie que par celle de vos vertus ! Comme reine, nous vous réclamons : Ad te clamamus; mais nous n'implorons votre secours que pour pouvoir marcher sur vos pas en imitant vos exemples : comme reine, nous vous prenons pour notre protectrice, et nous vous faisons entendre nos gémissements : Ad te suspiramus; mais nous ne nous mettons sous votre protection que pour obtenir par vous la grâce de notre conversion. Sans craindre d'être du nombre de vos dévots indiscrets, nous vous appelons mère de miséricorde, source de vie, consolation de nos âmes : Mater misericordiœ, vita, dulcedo; mais nous ne prétendons point que ces titres nous autorisent dans nos faiblesses , ni qu'ils nous rassurent dans nos désordres. Malgré les critiques censeurs de votre culte, nous nous confions en vous ; mais notre confiance ne nous fait point oublier que, pour être récompensé comme vous, il faut, par proportion, le mériter comme vous, et que jamais nous ne parviendrons autrement à ce royaume éternel, où nous conduise, etc.

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante