THÉRÈSE

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LE XV OCTOBRE. SAINTE THÉRÈSE, VIERGE.

 

Encore que l'Eglise qui règne au ciel et celle qui gémit sur la terre semblent être entièrement séparées, dit pour cette fête l'Evêque de Meaux, il y a néanmoins un lien sacré par lequel elles sont unies. Ce lien, c'est la charité, qui se trouve dans ce lieu d'exil aussi bien que dans la céleste patrie ; qui réjouit les saints qui triomphent, et anime ceux qui combattent ; qui se répandant du ciel en terre, et des anges sur les mortels, fait que la terre devient un ciel, et que les hommes deviennent des anges. Car, ô sainte Jérusalem, heureuse Eglise des premiers nés, dont les noms sont écrits au ciel, quoique l'Eglise votre chère sœur, qui vit et combat sur la terre, n'ose pas se comparer à vous, elle ne laisse pas d'assurer qu'un saint amour vous unit ensemble. Il est vrai qu'elle cherche, et que vous possédez; qu'elle travaille, et que vous vous reposez ; qu'elle espère, et que vous jouissez. Mais parmi tant de différences, par lesquelles vous êtes si fort éloignées, il y a du moins ceci de commun, que ce qu'aiment les esprits bienheureux, c'est ce qu'aiment aussi les hommes mortels. Jésus est leur vie, Jésus est la nôtre ; et parmi leurs chants d'allégresse et nos tristes gémissements, on entend résonner partout ces paroles du sacré Psalmiste : Mon bien est de m'unir à Dieu (1). »

 

1. Bossuet, Panégyrique de sainte Thérèse.

 

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Or, ce bien suprême de l'Eglise de la terre comme de l'Eglise des cieux, Thérèse, en un temps de ruines, eut mission de le rappeler au monde, des hauteurs du Carmel rendu par elle à sa première beauté. Au sortir de la glaciale nuit des siècles XIV° et XV° une puissance d'irrésistible attrait se dégage des exemples de sa vie, pour lui survivre en ses écrits, entraînant à sa suite les prédestinés sur les pas de l'Epoux.

Ni l'Esprit-Saint pourtant n'ouvrait en Thérèse des voies inconnues ; ni Thérèse surtout, l'humble Thérèse, n'innovait en ses livres. Bien avant elle, l'Apôtre avait dit des chrétiens que leur conversation est dans les cieux (1) ; et l'Aréopagite nous livrait sur ce point, lors de son récent passage au Cycle sacré, jusqu'aux formules de l'enseignement du premier âge. Faut-il citer après lui les Ambroise, les Augustin, les Grégoire le Grand, les Grégoire de Nazianze, tant d'autres témoins de toutes les Eglises? On l'a dit et prouvé mieux que nous ne saurions faire : « Aucun état ne fut mieux reconnu par les Pères que celui de l'union parfaite qui s'achève au sommet de la contemplation ; enlisant leurs écrits, on ne peut s'empêcher de remarquer la simplicité avec laquelle ils en traitent ; ils paraissent le regarder comme fréquent, et n'y voient qu'un développement du christianisme dans sa plénitude (2). »

En cela comme en tout le reste, la scolastique recueillit leurs données. Elle affirma la doctrine concernant ces sommetsde lavie chrétienne, dans les jours mêmes où l'affaiblissement de la foi des peuples ne laissait plus guère à la divine charité son plein essor qu'au fond de quelques cloîtres

 

1. Philip., III, 20. — 2. La Vie spirituelle et l'oraison d'après la sainte Écrit et la tradit. monast. (Solesmes), ch. XIX.

 

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ignorés. Sous sa forme spéciale, l'enseignement de l'Ecole n'était malheureusement plus accessible à tous; et, par ailleurs, le caractère anormal de cette époque si étrangement troublée se reflétait jusque chez les mystiques qu'elle possédait encore.

Alors parut, au royaume catholique, la Vierge d'Avila. Admirablement douée par la grâce et par la nature, elle connut les résistances de celle-ci comme les appels de Dieu, les délais purifiants, les triomphes progressifs de l'amour ; l'Esprit, qui la voulait maîtresse en l'Eglise, la conduisait par le chemin classique, si l'on peut dire ainsi, des faveurs qu'il réserve aux parfaits. Arrivée donc à la montagne de Dieu, elle fit le relevé des étapes de la route qu'elle avait parcourue, sans autre prétention que d'obéir à qui lui commandait au nom du Seigneur (1) ; d'une plume exquise de limpidité, d'abandon, elle raconta les œuvres accomplies pour l'Epoux (2) ; avec non moins de charmes, elle consigna pour ses filles les leçons de son expérience (3), décrivit les multiples demeures de ce château de l'âme humaine au centre duquel, pour qui sait l'y trouver, réside en un ciel anticipé la Trinité sainte (4). Il n'en fallait pas plus : soustraite aux abstractions spéculatives, rendue à sa sublime simplicité, la Mystique chrétienne attirait de nouveau toute intelligence ; la lumière réveillait l'amour ; et les plus suaves parfums s'exhalaient de toutes parts au jardin de la sainte Eglise, assainissant la terre, refoulant les miasmes sous lesquels l'hérésie d'alors et sa réforme prétendue menaçaient d'étouffer le monde.

 

1. Vie de la Sainte écrite par elle-même. — 2. Livre des Fondations. — 3. Le chemin de la perfection. — 4. Le château intérieur.

 

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Thérèse sans doute ne conviait personne à tenter de forcer, aussi présomptueusement qu'inutilement, l'entrée des voies non communes. Mais si l'union passive et infuse reste entièrement dépendante du bon plaisir de Dieu, l'union de conformité effective et active au vouloir divin, sans laquelle la première ne serait qu'illusion, s'offre avec l'aide de la grâce ordinaire à tout homme de bonne volonté. Ceux qui la possèdent « ont obtenu ce qu'ils peuvent souhaiter, dit la Sainte. C'est là l'union que j'ai désirée toute ma vie, que j'ai toujours demandée à Notre-Seigneur; c'est aussi la plus facile à connaître et la plus assurée (1). »

Néanmoins elle ajoutait : « Gardez-vous de ces réserves excessives qu'on voit en certaines personnes, et qu'elles prennent pour de l'humilité. Si le roi daignait vous accorder quelque faveur, l'humilité consisterait-elle à l'accueillir par un refus? Et lorsque le souverain Maître du ciel et de la terre daigne honorer mon âme de sa visite, qu'il vient pour me combler de ses grâces et se réjouir avec moi, ce serait me montrer humble que de ne vouloir ni lui répondre, ni lui tenir compagnie, ni accepter ses dons, mais de m'enfuir de sa présence et de le laisser là tout seul ? Envérité, la plaisante humilité que celle-là ! Voyez dans Jésus-Christ un père, un frère, un maître, un époux, et traitez avec lui selon ces diverses qualités ; lui-même vous apprendra quelle est celle qui peut le satisfaire davantage, et qu'il vous convient de choisir. Ne soyez pas si simples alors que de n'eu pas faire usage (2). »

Mais, répète-t-on de toutes parts, « cette voie

 

1. Château intér. V° demeure, ch. III ; édition Bolix. — 2. Chemin de la perfect. Ch.  XXIX.

 

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est toute semée d'écueils : une telle s'y est perdue; celle-ci s'y est égarée ; cette autre qui ne cessait de prier, n'a pu éviter de tomber... — Admirez ici l'inconcevable aveuglement du monde. Il ne s'inquiète point de ces milliers de malheureux qui, entièrement étrangers à la vie d'oraison, vivent dans les plus horribles débordements ; et s'il arrive, par un malheur déplorable sans doute, mais très rare, que les artifices du tentateur séduisent une âme qui fait oraison, on en tire avantage pour inspirer aux autres les plus grandes terreurs et pour les éloigner des pratiques saintes de la vertu. N'est-ce pas être victime de la plus funeste erreur que de croire qu'il faille, pour se garantir du mal, éviter de faire le bien ? Elevez-vous au-dessus de toutes ces craintes. Efforcez-vous de conserver votre conscience toujours pure ; fortifiez-vous dans l'humilité ; foulez aux pieds toutes les choses de la terre ; soyez inébranlables dans la foi de la sainte Eglise notre mère, et ne doutez pas après cela que vous ne soyez dans le bon chemin (1). »

Il est trop vrai : « lorsqu'une âme ne trouve pas en elle cette foi vigoureuse et que ses transports de dévotion ne contribuent pas à augmenter son attachement pour la sainte Eglise, elle est dans une voie pleine de périls. L'Esprit de Dieu n'inspire jamais que des choses conformes aux saintes Ecritures, et, s'il y avait la plus légère divergence, cette divergence suffirait à elle seule pour prouver d'une manière si évidente l'action du mauvais esprit que, le monde entier m'assurât-il que c'est l'Esprit divin, je ne le croirais pas (2). »

Mais l'âme évite un tel  péril, en interrogeant

 

1. Chemin de la perfect. ch. XXII. — 2 Vie, ch. XXV (traduction prise de la filiale et si vivante Histoire de sainte Thérèse, publiée chez les éditeurs Retaux-Bray)

 

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ceux qui peuvent l'éclairer. « Tout chrétien doit, quand il le peut, rechercher un guide instruit, et le plus éclairé sera le meilleur. Un tel secours est encore plus nécessaire aux personnes d'oraison, et c'est dans les états les plus élevés qu'elles peuvent le moins s'en passer. J'ai toujours aimé les hommes éminents en doctrine. Quelques-uns, j'en conviens, n'auront pas une connaissance expérimentale des voies spirituelles ; mais ils n'en ont point aversion, ils ne les ignorent pas, et à l'aide de l'Ecriture sainte, dont ils font une étude constante, ils reconnaissent toujours les véritables marques du bon Esprit. L'esprit de ténèbres redoute singulièrement la science humble et vertueuse ; il sait qu'il sera découvert par elle, et qu'ainsi ses stratagèmes tourneront à sa perte... Seigneur, moi ignorante et inutile, je vous bénis pour ces ministres fidèles qui nous donnent la lumière (1). Je n'ai pas plus de science que de vertu ; je n'écris qu'à la dérobée, et encore avec peine : cela m'empêche de filer, et je suis dans une maison pauvre où les occupations ne me manquent pas. Il me suffit d'être femme, et femme si imparfaite, pour que la plume m'échappe des mains (2).  »

A votre gré, ô Thérèse : délivrez votre âme ; passant plus outre, au souvenir de ce que vous appelez vos infidélités, avec Madeleine arrosez de vos larmes les pieds du Seigneur (3), reconnaissez-vous dans les Confessions d'Augustin (4) ! Oui ; dans ces relations de jadis qu'approuvait, il est vrai, l'obéissance, dans ces entretiens où tout n'était qu'honneur et vertu, c'était pourtant une faute à vous, conviée plus haut, de disputer à Dieu tant d'heures qu'il vous sollicitait intimement

 

1. Vie, ch. XIII.— 2 Ibid. X. — 3. Ibid.  IX. —4. Ibid.

 

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de garder pour lui seul ; et qui sait où les froissements prolongés de l'Epoux eussent en effet conduit votre âme ? Mais nous dont la froide casuistique ne saurait découvrir en vos grands péchés par eux-mêmes que ce qui serait la perfection pour tant d'autres (1), c'est notre droit d'apprécier comme l'Eglise et votre vie et vos ouvrages, disant avec elle : Exaucez-nous, ô Dieu sauveur; en ce jour de joie, en cette fête de votre bienheureuse vierge Thérèse, nourrissez-nous de sa céleste doctrine, infusez-nous son amour (2).

Selon la parole du divin Cantique, pour introduire Thérèse en ses réserves les plus excellentes, l'Epoux avait dû ordonner l'amour en son âme et y régler la charité (3). Ayant donc revendiqué, comme il était juste, ses droits souverains, il ne tardait pas à la rendre au prochain lui-même plus dévouée, plus aimante que jamais. Le dard du Séraphin ne dessécha ni ne déforma son cœur. Au point culminant de la perfection qu'elle devait atteindre, l'année même de sa bienheureuse mort: « Si vous m'aimez beaucoup, écrivait-elle, je vous le rends, je vous assure, et j'aime que vous me le disiez. Oh ! qu'il est vrai que notre nature nous porte à vouloir être payées de retour ! Cela ne doit point être mauvais, puisque Notre-Seigneur même l'exige de nous. C'est un avantage pour nous de lui ressembler en quelque chose, ne fût-ce qu'en celle-là (4). » Et ailleurs, parlant de ses voyages sans fin au service de l'Epoux : « La peine des peines, c'était lorsque je devais quitter mes filles et mes sœurs. Elles sont

 

1. Bolland. in Theres. 133. — 2. Collecte du jour. — 3. Cant. II, 4. — 4. A Marie de Saint-Joseph, Prieure de Séville, 8 novembre 1581.

 

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détachées de tout en ce monde, mais Dieu ne leur a pas accordé de l'être de moi ; il l’a peut-être permis pour que ce me fût un plus grand tourment,car je ne suis pas non plus détachée d'elles (1). »

Non ; la grâce ne déprécie pas la nature, œuvre elle aussi du Créateur. En la consacrant, elle l'assainit, la fortifie, l'harmonise ; elle fait du plein épanouissement de ses facultés le premier, le plus tangible hommage rendu par l'homme régénéré, sous l'oeil de ses semblables, au Dieu rédempteur. Qu'on lise ce chef-d'œuvre littéraire qu'est le livre des Fondations, ou tout aussi bien les innombrables lettres disputées par la séraphique Mère à sa vie dévorante; et l'on reconnaîtra si l'héroïsme de la foi et de toutes les vertus, si la sainteté à sa plus haute expression mystique, nuisit un instant chez Thérèse, nous ne dirons pas à la constance, au dévouement, à l'énergie, mais à cette intelligence que rien ne déconcerte, alerte et vive jusqu'à l'enjouement, à ce caractère toujours égal, répandant de sa plénitude sérénité et paix sur tout ce qui l'entoure, à la délicate sollicitude, à la mesure, au tact exquis, au savoir-vivre aimable, enfin au génie pratique, à l'incomparable bon sens de cette contemplative dont le cœur transpercé ne battait plus que par miracle, dont  la devise était :  Souffrir ou mourir !

Au bienfaiteur d'une fondation projetée : « Ne croyez pas, Monsieur, a/oir à donner seulement ce que vous pensez, écrit-elle ; je vous en préviens. Ce n'est rien de donner de l'argent, cela ne fait pas grand mal. Mais quand nous nous verrons au moment d'être lapidés, vous, monsieur votre gendre, et tous tant que nous sommes qui nous

 

1. Fondations, ch. XXVII

 

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mêlons de cette affaire, comme il faillit nous arriver lors de la fondation de Saint-Joseph d'Avila, oh ! c'est alors qu'il y fera bon (1). »

C'est à cette même fondation de Tolède, en effet fort mouvementée, que se rapporte le mot de l'aimable Sainte : « Thérèse et trois ducats, ce n'est rien ; mais Dieu, Thérèse et trois ducats, c'est tout.  »

Thérèse éprouva mieux que les dénûments humains : un jour, Dieu même sembla lui manquer. Comme avant elle Philippe Benizi, comme après elle Joseph Calasanz et Alphonse de Liguori, elle connut l'épreuve de se voir condamnée, rejetée, elle, et ses filles, et ses fils, au nom et par l'autorité du Vicaire de l'Epoux. C'était un de ces jours, prédits dès longtemps, où il est donné à la bête de faire la guerre aux saints et de les vaincre (2). L'espace nous manque pour raconter ces incidents douloureux (3); et à quoi bon ? La bête alors n'a qu'un procédé, qu'elle répète au XVI° siècle, au XVII°, au XVIII°, et toujours ; comme, en le permettant, Dieu n'a qu'un but: d'amener les siens à ce haut sommet de l'union crucifiante où Celui qui voulut le premier savourer l'amertume de cette lie, put dire à plus douloureux titre qu'aucun : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez vous abandonné (4) ?

1. A Alphonse Ramirez, 19 février 1569. — 2. Apoc. XIII, 7. — 3. Voir les lettres de la Sainte : au Prieur des Chartreux de Séville, 31 janvier 1579 ; etc.— 4. Matth. XXVII, 46.

 

L'Eglise résume ainsi qu'il suit la vie de la réformatrice du Carmel.

 

La vierge Thérèse naquit à  Avila en Espagne, de  parents illustres par leur piété comme par leur  noblesse. Nourrie par eux du lait de  la  crainte  du Seigneur, elle fournit  dès  le plus jeune âge un indice admirable de sa sainteté future. Comme, en effet, elle lisait  les actes  des saints Martyrs, le feu  du Saint-Esprit embrasa son âme au point que, s'étant échappée de la maison  paternelle, elle voulait gagner l'Afrique afin d'y donner sa vie pour la gloire de Jésus-Christ et le salut des âmes. Ramenée par  un de  ses oncles,  elle chercha dans l'exercice de l'aumône et  autres œuvres pies une compensation à son désir ardent du martyre ; mais ses larmes ne cessaient plus, de s'être vu enlever la meilleure part. A la mort de sa  mère, la bienheureuse Vierge,  suppliée par  Thérèse de lui en  tenir lieu, exauça le désir de son cœur; toujours dès lors elle éprouva comme sa vraie fille  la protection  de  la  Mère de Dieu. Elle entra, dans sa vingtième année, chez  les religieuses de Sainte-Marie du Mont Carmel; dix-huit années durant, sous le faix de graves maladies et d'épreuves  de toutes sortes, elle y soutint dans la foi les combats de la pénitence, sans  ressentir  le  réconfort d'aucune de ces  consolations  du  ciel dont l'abondance  est,  sur terre même, l'habituel partage de la  sainteté.

 

Ses vertus étaient angéliques; le zèle de sa charité la poussait, à travailler au salut, non d'elle seule, mais de tous. Ce fut ainsi que, sous l'inspiration de Dieu et avec l'approbation de Pie IV, elle entreprit de ramener la règle du Carmel à sa sévérité première, en s'adressant d abord aux femmes, aux hommes ensuite. Entreprise sur laquelle resplendit la bénédiction toute-puissante du Dieu de bonté ; car, dans sa pauvreté, dénuée de tout secours humain, bien plus, presque toujours malgré l'hostilité des puissants , l'humble vierge put édifier jusqu'à trente-deux monastères. Ses larmes coulaient sans trêve à la pensée des ténèbres où infidèles et hérétiques étaient plongés; et dans le but d'apaiser la divine colère qu'ils avaient encourue, elle offrait à Dieu pour leur salut les tortures qu'elle s'imposait dans sa chair. Tel était l'incendie d'amour divin dont brûlait son cœur, qu'elle mérita de voir un Ange transpercer ce cœur en sa poitrine d'un dard enflammé, et qu'elle entendit le Christ, prenant sa main droite en la sienne, lui adresser ces mots : C'est à titre d'épouse que désormais tu prendras soin de mon honneur. Par son conseil, elle émit le difficile vœu de faire toujours ce qui lui semblerait le plus parfait. Elle a laissé beaucoup d'ouvrages remplis d'une sagesse céleste ; en les lisant, l'âme fidèle se sent grandement excitée au désir de l'éternelle patrie.

 

Tandis qu'elle ne donnait que des exemples de vertus, telle était l'ardeur du désir qui la pressait de châtier son corps, qu'en dépit des maladies dont elle se voyait affligée, elle joignait à l'usage du cilice et des chaînes de fer celui de se flageller souvent avec des orties ou de dures disciplines, quelquefois de se rouler parmi les épines. Sa parole habituelle était : Seigneur, ou souffrir, ou mourir; car cette vie qui prolongeait son exil loin de la patrie éternelle et de la vie sans fin, lui paraissait la pire des morts. Elle possédait le don de prophétie ; et si grande était la prodigalité du Seigneur à l'enrichir de ses dons gratuits, que souvent elle le suppliait à grands cris de modérer ses bienfaits, de ne point perdre de vue si promptement la mémoire de ses fautes. Aussi fût-ce moins de maladie que de l'irrésistible ardeur de son amour pour Dieu qu'elle mourut a Albe, au jour prédit par elle, munie des sacrements de l'Eglise, et après avoir exhorté ses disciples à la paix, à la charité, à l'observance régulière. Ce fut sous la forme d'une colombe qu'elle rendit son âme très pure à Dieu, âgée de soixante-sept ans, l'an mil cinq cent quatre-vingt-deux , aux ides d'octobre selon le calendrier romain réformé (1). On vit Jésus-Christ assister, entouré des phalanges angéliques, à cette mort; un arbre desséché, voisin de la cellule mortuaire, se couvrit de fleurs au moment même qu'elle arriva. Le corps de Thérèse, demeuré jusqu'à ce jour sans corruption et imprégné d'une liqueur parfumée, est l'objet de la vénération des fidèles. Les miracles qu'elle opérait durant sa vie continuèrent après sa mort, et Grégoire XV la mit au nombre des Saints.

 

Vous le trouviez déjà dans la souffrance de cette vie, ô Thérèse, le Bien-Aimé qui se révèle à vous dans la mort. « Si quelque chose pouvait vous ramener sur la terre, ce serait le désir d'y souffrir encore plus (2). » — « Je ne m'étonne pas, dit en cette fête à votre honneur le prince des orateurs sacrés, je ne m'étonne pas que Jésus ait voulu mourir : il devait ce sacrifice à son Père. Mais qu'était-il nécessaire qu'il passât ses jours, et ensuite qu'il les finît parmi

 

1. Grégoire XIII avait arrêté que, pour opérer cette réforme, on supprimerait dix jours de l'année 1582, et que le lendemain du 4 octobre s'appellerait le 15 du même mois; ce fut dans cette nuit historique du 4 au 15 que mourut sainte Thérèse. — 2. Apparition au P. Gratien.

 

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tant de maux ? C'est pour la raison qu'étant l'homme de douleurs, comme l'appelait le Prophète (1), il n'a voulu vivre que pour endurer ; ou, pour le dire plus fortement par un beau mot de Tertullien, il a voulu se rassasier, avant que de mourir, par la volupté de la patience : Saginari voluptate patientiœ discessurus volebat (2). Voilà une étrange façon de parler. Ne diriez-vous pas que, selon le sentiment de ce Père, toute la vie du Sauveur était un festin, dont tous les mets étaient des tourments ? Festin étrange, selon le siècle, mais que Jésus a jugé digne de son goût. Sa mort suffisait pour notre salut ; mais sa mort ne suffisait pas à ce merveilleux appétit qu'il avait de souffrir pour nous. Il a fallu y joindre les fouets, et cette sanglante couronne qui perce sa tête, et tout ce cruel appareil de supplices épouvantables; et cela pour quelle raison ? C'est que ne vivant que pour endurer, il voulait se rassasier, avant que de mourir, de la volupté de souffrir pour nous (3). » Jusque-là que, sur sa croix, « voyant dans les décrets éternels qu'il n'y a plus rien à souffrir pour lui : Ah ! dit-il, c'en est fait, tout est consommé (4) : sortons, il n'y a plus rien à faire en ce monde ; et aussitôt il rendit son âme à son Père (5). »

Or, si tel est l'esprit du Sauveur Jésus, ne faut-il pas qu'il soit celui de Thérèse de Jésus, son épouse ? « Elle veut aussi souffrir ou mourir ; et son amour ne peut endurer qu'aucune cause retarde sa mort sinon celle qui a différé la mort du Sauveur (6). » A nous d'échauffer nos cœurs par la vue de ce grand exemple. « Si nous sommes de vrais

 

1. Isai. LIII, 3. — 2. Tertull. De Patientia, 3. — 3. Bossuet, Panegyr. de sainte Thérèse. — 4. JOHAN. XIX, 3o. — 5. Bossuet, Ibid. 6. Ibid.

 

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chrétiens, nous devons désirer d'être toujours avec Jésus-Christ. Or, où le trouve-t-on, cet aimable Sauveur de nos âmes? En quel lieu peut-on l'embrasser? On ne le trouve qu'en ces deux lieux : dans sa gloire ou dans ses supplices, sur son trône ou bien sur sa croix. Nous devons donc, pour être avec lui, ou bien l'embrasser dans son trône, et c'est ce que nous donne la mort, ou bien nous unir à sa croix, et c'est ce que nous avons par les souffrances ; tellement qu'il faut souffrir .ou mourir, afin de ne quitter jamais le Sauveur. Souffrons donc, souffrons, chrétiens, ce qu'il plaît à Dieu de nous envoyer : les afflictions et les maladies, les misères et la pauvreté, les injures et les calomnies ; tâchons de porter d'un courage ferme telle partie de sa croix dont il lui plaira de nous honorer (1). »

Vous que l'Eglise présente comme maîtresse et mère à ses fils dans les sentiers de la vie spirituelle, enseignez-nous ce fort et vrai christianisme. La perfection sans doute ne s'acquiert pas en un jour ; et, vous le disiez, « nous serions bien à plaindre, si nous ne pouvions chercher et trouver Dieu qu'après être morts au monde : Dieu nous délivre de ces gens si spirituels qui veulent, sans examen et sans choix, ramener tout à la contemplation parfaite (2) ! » Mais Dieu nous délivre aussi de ces dévotions mal entendues, puériles ou niaises, comme vous les appeliez, et qui répugnaient tant à la droiture, à la dignité de votre âme généreuse (3) ! Vous ne désiriez d'autre oraison que celle qui vous ferait croître en vertus ; persuadez-nous, en  effet, du grand  principe en ces

 

1. Bossuet, Ibid. — 2. A  l'évêque d'Avila, mars  1577, une des plus gracieuses lettres de la Sainte. — 3. Vie, XIII.

 

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matières, à savoir que « l'oraison la mieux faite et la plus agréable à Dieu est celle qui laisse après elle de meilleurs effets s'annonçant par les œuvres, et non pas ces goûts qui n'aboutissent qu'à notre propre satisfaction (1). » Celui-là seul sera sauvé qui aura observé les commandements, accompli la loi ; et le ciel, votre ciel, ô Thérèse, est la récompense des vertus que vous avez pratiquées, non des révélations ni des extases qui vous furent accordées (2).

De ce séjour où votre amour s'alimente au bonheur infini comme il se rassasiait ici-bas de souffrances, faites que l'Espagne, où vous naquîtes, garde chèrement en nos temps amoindris son beau titre de catholique. N'oubliez point la si large part que la France, menacée dans sa foi, eut à votre détermination de rappeler le Carmel à son austérité primitive (3). Puisse la bénédiction du nombre favoriser vos fils, non moins que celle du mérite et de la sainteté. Sous toutes les latitudes où l'Esprit a multiplié vos filles, puissent leurs asiles bénis rappeler toujours « ces premiers colombiers de la Vierge où l'Epoux se plaisait à faire éclater les miracles de sa grâce (4). » Vous fîtes du triomphe de la foi, du soutien de ses défenseurs, le but de leurs oraisons et de leurs jeûnes (5) : quel champ immense ouvert à leur zèle en nos tristes jours ! Avec elles, avec vous, nous demandons à Dieu « deux choses : la première, que parmi tant d'hommes et de religieux, il s'en rencontre qui aient les qualités nécessaires pour servir utilement la cause de l'Eglise, attendu qu'un seul homme parfait rendra plus de services qu'un

 

1. Au Père Gratien, 23 octobre 1377. — 2. Apparition à la Prieure de Véas. — 3. Chemin de la perfect. I. — 4. Fondations, IV. — 5. Chemin de la perfect. I, III.

 

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grand nombre qui ne le seraient pas ; la seconde que dans la mêlée Notre-Seigneur les soutienne de sa main, pour qu'ils échappent aux périls et ferment l'oreille aux chants des sirènes... O Dieu ayez pitié de tant d'âmes qui se perdent, arrêtez le cours de tant de maux qui affligent la chrétienté et, sans plus tarder, faites briller votre lumière au milieu de ces ténèbres (1). »

 

1. Chemin de la perfection, I, III.

 

 

 

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