PAUL de la Croix

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
FRANCOIS DE PAULE
ISIDORE
VINCENT FERRIER
LÉON
HERMENÉGILDE
JUSTIN
TIBURCE
ANICET
ANSELME
SOTER ET CAÏUS
GEORGE
FIDÈLE
MARC
CLET ET MARCELLIN
PAUL de la Croix
VITAL
PIERRE MARTYR
CATHERINE DE SIENNE
PHILIPPE ET JACQUES
ATHANASE
Inv. Ste CROIX
ALEXANDRE
MONIQUE
PIE V
JEAN
STANISLAS
MICHEL
NÉRÉE ET ACHILLE
PANCRACE
BONIFACE
UBALDE
JEAN NÉPOMUCÈNE
PASCAL BAYLON
VENANT
CÉLESTIN V
PUDENTIENNE
YVES

LE XXVIII AVRIL.

SAINT PAUL DE LA CROIX, CONFESSEUR.

 

Resplendissant du signe sacré de la Passion, Paul de la Croix fait aujourd'hui cortège au vainqueur de la mort. « Il fallait que le Christ souffrît, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (1). » Il faut que le Chrétien, membre du Christ, suive son Chef à la souffrance, pour raccompagner au triomphe. Paul, dès son enfance, a sondé l'ineffable mystère des souffrances d'un Dieu ; il s'est épris pour la Croix d'un immense amour, il s'est élancé à pas de géant dans cette voie royale; et c'est ainsi qu'à la suite du Chef il a traversé le torrent, et qu'enseveli avec lui dans la mort, il est devenu participant des gloires de sa Résurrection (2).

La diminution des vérités par les enfants des hommes semblait avoir tari la source des Saints (3), quand l'Italie, toujours féconde dans sa foi toujours vive, donna naissance au héros chrétien qui devait projeter sur la froide nuit du XVIII° siècle le rayonnement de la sainteté d'un autre âge. Dieu ne manque jamais à son Eglise. Au siècle de révolte et de sensualisme qui couvre du nom de philosophie ses tristes aberrations, il opposera la Croix de son Fils. Rappelant par son nom et ses œuvres le grand Apôtre des Gentils, un nouveau

 

1. LUC. XXIV, 26. — 2. Rom. VI, 3-5. — 3. Psalm. XI, 2.

 

410

 

Paul surgira de cette génération enivrée de mensonge et d'orgueil, pour qui la Croix est redevenue scandale et folie. Faible, pauvre, méconnu longtemps, seul contre tous, mais le cœur débordant d'abnégation, de dévouement et d'amour, il ira, cet apôtre, avec la prétention de confondre, lui aussi, la sagesse des sages et la prudence des prudents ; dans la grossièreté d'un habit étrange pour la mollesse du siècle, nu-pieds, la tête couronnée d'épines, les épaules chargées d'une lourde croix, il parcourra les villes, il se présentera devant les puissants et les faibles, estimant ne savoir autre chose que Jésus et Jésus crucifié. Et la Croix dans ses mains, fécondant son zèle, apparaîtra comme la force et la sagesse de Dieu (1). Qu'ils triomphent, ceux qui prétendent avoir banni le miracle de l'histoire et le surnaturel de la vie des peuples ; ils ne savent pas qu'à cette heure même, d'étonnants prodiges, des miracles sans nombre, soumettent des populations entières à la voix de cet homme, qui, par la destruction complète du péché dans sa personne, a reconquis le primitif empire d'Adam sur la nature et semble jouir déjà, dans sa chair mortelle, des qualités des corps ressuscites.

Mais l'apostolat de la Croix ne doit pas finir avec Paul. A la vieillesse d'un monde décrépit ne suffisent plus les ressources anciennes. Nous sommes loin des temps où la délicatesse exquise du sentiment chrétien était surabondamment touchée par le spectacle de la Croix sous les fleurs, telle que la peignait aux Catacombes un suave et respectueux amour. L'humanité a besoin qu'à ses sens émoussés par tant d'émotions malsaines,

 

1. I Cor. I, 11.

 

411

 

quelqu'un soit maintenant chargé d'offrir sans cesse, comme réactif suprême, les larmes, le sang, les plaies béantes du divin Rédempteur. Paul de la Croix a reçu d'en haut la mission de répondre à ce besoin des derniers temps; au prix d'indicibles souffrances, il devient le père d'une nouvelle famille religieuse qui ajoute aux trois vœux ordinaires celui de propager la dévotion à la Passion du Sauveur, et dont chaque membre en porte ostensiblement le signe sacré sur la poitrine.

N'oublions pas toutefois qu'elle-même la Passion du Sauveur n'est que la préparation pour l'âme chrétienne au grand mystère delà Pique, terme radieux des manifestations du Verbe, but suprême des élus, sans l'intelligence et l'amour duquel la piété reste incomplète et découronnée. L'Esprit-Saint, qui conduit l'Eglise dans l'admirable progression de son Année liturgique, n'a pas d'autre direction pour les âmes qui s'abandonnent pleinement à la divine liberté de son action sanctificatrice. Du sommet sanglant du Calvaire où il voudrait clouer tout son être, Paul de la Croix est emporté maintes fois dans les hauteurs divines où il entend ces paroles mystérieuses qu'une bouche humaine ne saurait dire (1) ; il assiste au triomphe de ce Fils de l'homme qui, après avoir vécu de la vie mortelle et passé par la mort, vit aujourd'hui dans les siècles des siècles (2) ; il voit sur le trône de Dieu l'Agneau immolé, devenu le foyer des splendeurs des cieux (3) ; et de cette vue sublime des célestes réalités il rapporte sur terre l'enthousiasme divin, l'enivrement d'amour qui, au milieu des plus effrayantes austérités, donne à toute sa personne un charme

 

1. II Cor. XII, 4. — 2 Apoc. I, 18. — 3. lbid. XXI, 23.

 

412

 

incomparable. « Ne craignez pas, dit-il à ses enfants terrifiés par les attaques furieuses des démons ; n'ayez pas peur, et dites bien haut : Alleluia ! Le diable a peur de l’Alleluia ; c'est une parole venue du Paradis. » Au spectacle de la nature renaissant avec son Seigneur en ces jours du printemps, au chant harmonieux des oiseaux célébrant sa victoire, à la vue des rieurs naissant sous les pas du divin Ressuscité, il n'y tient plus; suffoquant de poésie et d'amour, et ne pouvant modérer ses transports, il gourmande les fleurs, il les touche de son bâton, en disant : « Taisez-vous ! Taisez-vous ! » — « A qui appartiennent ces campagnes ? dit-il un jour à son compagnon de route... A qui appartiennent ces campagnes? vous dis-je. Ah ! vous ne comprenez pas ?... Elles appartiennent à notre grand Dieu ! » Et, transporté d'amour, raconte son biographe, il vole en l'air jusqu'à une certaine distance. « Mes frères, aimez Dieu! répète-t-il à tous ceux qu'il rencontre, aimez Dieu qui mérite tant d'être aime ! N'entendez-vous pas les feuilles mêmes des arbres qui vous disent d'aimer Dieu ? O amour de Dieu ! ô amour de Dieu ! »

Nous nous laissons aller aux charmes d'une sainteté si suave et si forte à la fois ; attrait divin que n'inspirèrent jamais les disciples d'une spiritualité faussée, trop en vogue dans le dernier siècle auprès des meilleurs. Sous prétexte de dompter la nature mauvaise et d'éviter des écarts possibles, on vit les nouveaux docteurs, alliés inconscients du jansénisme, enserrer l'âme dans les liens d'une régularité contrainte, abattre son essor, la discipliner, la refaire à leur façon dans un moule uniforme, et, par des règles savamment déduites, déterminer avec précision les contours de la

 

413

 

sphère où tous enfin marcheraient d'un pas égal, et, sous une direction logique, atteindraient sûrement la perfection de la sainteté. Mais c'est le divin Esprit, l'Esprit de sainteté qui seul fait les Saints, et cet Esprit d'amour est libre par essence. Il s'accommode peu du moule et des méthodes humaines : il souffle où il veut et quand il veut ; mais on ne sait d'où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de celui qui est né de l'Esprit, nous dit le Seigneur  (1). L'Esprit a élu Paul dès sa première enfance ; il le saisit dans toute l'expansion de sa riche nature, ne détruit rien, sanctifie tout, et par la grâce décuplant son essor, il le produit sur les modèles antiques, toujours ardent, toujours aimable, et saint plus que personne, en face des chétifs produits d'une école dont les procédés corrects ont pour résultat le plus ordinaire d'user péniblement l'âme sur elle-même, dans les stériles efforts d'une ascèse impuissante.

 

1. JOHAN. III, 8.

 

Mais l'espace nous manque pour développer ces considérations, et nous ne devons donner ici que le récit abrégé consacré par l'Eglise à Paul de la Croix dans sa Liturgie.

 

Paul de la Croix, originaire d'une noble famille de Castellazzo, près Alexandrie, naquit à Ovada en Ligurie. On put présager quelle serait sa sainteté, à la splendeur merveilleuse qui remplit la chambre de sa mère dans la nuit de sa naissance, et à la protection insigne de l'auguste Reine du ciel qui l'arracha dans son enfance aux eaux d'un fleuve où il allait s'engloutir. Dès les premières lueurs de sa raison, embrasé d'amour pour Jésus-Christ crucifié, il s'adonna à la contemplation de ce mystère, matant sa chair innocente par les veilles, les disciplines, les jeûnes, les traitements les plus durs, et, le vendredi, mélangeant sa boisson de fiel et de vinaigre. N'aspirant qu'au martyre, il s'enrôla dans l'armée qui s'assemblait à Venise contre les Turcs ; mais, ayant connu la volonté de Dieu dans la prière, il laissa les armes pour entreprendre une milice plus excellente qui eût pour but de défendre l'Eglise et de procurer par tous les moyens le salut des âmes. De retour dans sa patrie, il refusa une alliance honorable et l'héritage d'un oncle, et s'élançant dans la voie la plus étroite, il voulut être revêtu par son évêque d'une tunique grossière. Quoiqu'il ne tut pas clerc encore, celui-ci, considérant l'éminente sainteté de sa vie et sa science des choses divines, le chargea, au grand profit des âmes, de cultiver le champ du Seigneur par la prédication de la divine parole.

 

Il se rendit à Rome où,  après s'être pénétré de la science théologique, il reçut par obéissance l'ordination sacerdotale des mains du Souverain Pontife Benoît XIII. Avant obtenu du même Pontife la permission de réunir des compagnons, il se retira dans la solitude du mont Argentaro où l'avait appelé depuis longtemps la Bienheureuse Vierge, en lui montrant un vêtement de couleur noire, orné des insignes de la Passion de son fils; ce fut là qu'il jeta les fondements delà nouvelle Congrégation. Après de nombreuses fatigues, il la vit bientôt se recruter de sujets d'élite et prendre avec la bénédiction divine de grands accroissements ; elle fut confirmée plus d'une fois par le Siège Apostolique, avec les Règles qu'il avait reçues de Dieu dans la prière, et le quatrième vœu de propager le souvenir béni de la Passion du Seigneur. Il fonda aussi des Religieuses consacrées à méditer l'excès d'amour de l'Epoux divin. Au milieu de ces soins, un zèle insatiable des âmes l'empêchait d'interrompre jamais le cours de ses prédications ; des multitudes presque innombrables, des âmes perdues ou tombées dans l'hérésie furent amenées par lui dans la voie du salut. C'était surtout dans le récit de la Passion que la force merveilleuse de sa parole, noyée dans ses larmes et arrachant aussi les pleurs des assistants, brisait les cœurs endurcis des pécheurs.

 

La flamme d'amour divin qu'il nourrissait dans sa poitrine était telle que la partie de son vêtement la plus voisine du cœur parut souvent comme brûlée par le feu, et que deux de ses côtes se soulevèrent. Il ne pouvait arrêter ses larmes, surtout à l'autel; on le voyait dans de fréquentes extases, le corps parfois merveilleusement élevé de terre, et le visage rayonnant d'une lumière surnaturelle. Plus d'une fois dans ses prédications, on entendit une voix du ciel lui suggérer les paroles, ou son discours retentir comme un tonnerre à plusieurs milles. Il fut illustré du don des langues, de prophétie, de pénétration des cœurs ; il eut puissance sur les dénions, les maladies, les cléments. Chéri et vénéré des Papes eux-mêmes, il se regardait comme un serviteur inutile, le dernier des pécheurs, digne d'être foule aux pieds par les démons. Enfin ayant fidèlement cardé jusqu'à une longue vieillesse l'austérité la plus grande, il fit à ses enfants d'admirables exhortations comme pour leur transmettre son esprit en héritage, reçut les sacrements de l’Eglise, et, réconforté par une vision céleste, il passa de la terre au ciel, à Rome, l'an mil sept cent soixante-quinze, au jour qu'il avait prédit. Le Souverain Pontife Pie IX l'inscrivit au nombre des Bienheureux, et, par suite de nouveaux miracles, au nombre des Saints.

 

Vous n'avez eu qu'une pensée, ô Paul : retiré dans les trous de la pierre (1), qui sont les plaies sacrées du Sauveur, vous eussiez voulu amener tous les hommes à ces sources divines où s'abreuve le vrai peuple élu dans le désert de la vie (2). Heureux ceux qui purent entendre votre parole toujours victorieuse, et la mettant à profit, se sauver par la Croix du milieu d'une génération perverse ! Mais en dépit de votre zèle d'apôtre, elle ne pouvait, cette parole, retentir à la fois sur tous les rivages ; et là où vous n'étiez pas, le mal débordait sur le monde. Préparé de longue main par la fausse science et la fausse piété, la défiance contre Rome et la corruption des grands, le siècle où devait sombrer la vieille société chrétienne s'abandonnait aux docteurs de mensonge, et avançait toujours plus vers son terme fatal. Votre œil, éclairé d'en haut, pénétrait l'avenir et voyait le gouffre où, pris de vertige, peuples et rois s'abîmaient ensemble. Battu par la tempête, le successeur de Pierre, le pilote du monde, impuissant à prévenir l'orage, cherchait par quels efforts, au prix de quel sacrifice il contiendrait au moins un temps les flots déchaînés. O vous, l'ami des Pontifes et leur soutien dans ces tristes jours, témoin

 

1. Cant. II, 14. — 2. I Cor. X, 4.

 

418

   €t xtrmpg pascal.

et confident des amertumes du Christ en son vicaire, de quelles angoisses suprêmes votre cœur n'eut-il pas le mortel secret ? Et quelles n'étaient pas vos pensées, en léguant, près de mourir, l'image vénérée de la Vierge des douleurs à celui des Pontifes qui devait boire jusqu'à la lie le calice d'amertume et mourir captif dans une terre étrangère ? Vous promîtes alors de reporter sur l'Eglise, du haut du ciel, cette compassion tendre et effective qui vous identifiait sur la terre à son Epoux souffrant. Tenez votre promesse, ô Paul de la Croix! En ce siècle de désagrégation sociale, qui n'a pas su réparer les crimes du précédent, ni s'instruire aux leçons du malheur, voyez l'Eglise opprimée de toutes parts, la force aux mains des persécuteurs, le vicaire du Christ prisonnier dans son palais, vivant d'aumônes. L'Epouse n'a d'autre lit que la croix de l'Epoux ; elle vit du souvenir de ses souffrances. L'Esprit-Saint qui la garde et la prépare à l'appel suprême, vous a suscité, ô Paul, pour raviver sans cesse désormais ce souvenir qui doit la fortifier dans les angoisses des derniers jours.

Vos enfants continuent votre œuvre ici-bas ; répandus par le monde, ils gardent fidèlement l'esprit de leur père. Ils ont pris pied sur le sol d'Angleterre où les voyait d'avance votre esprit prophétique ; et ce royaume pour lequel vous avez tant prié se dégage peu à peu, sous leur douce influence, des liens du schisme et de l'hérésie. Bénissez leur apostolat ; qu'ils croissent et se multiplient dans la proportion toujours croissante des besoins de ces temps malheureux; que jamais leur zèle ne fasse défaut à l'Eglise, la sainteté de leur vie à la gloire de leur père.

Pour vous, ô Paul, fidèle au divin Crucifié dans ses abaissements, vous l'avez trouvé fidèle aussi dans sa Résurrection triomphante ; caché dans les enfoncements du rocher mystérieux au temps de son obscurité volontaire, quelle splendeur est la vôtre, aujourd'hui que du sommet des collines éternelles, cette pierre divine, qui est le Christ, illumine de ses rayons vainqueurs la terre entière et l'étendue des deux (1)! Eclairez-nous, protégez-nous du sein de cette gloire. Nous rendons grâces à Dieu pour vos triomphes. Faites en retour que nous aussi soyons fidèles à l'étendard de la Croix, afin de resplendir comme vous dans sa lumière, quand paraîtra au ciel ce signe du Fils de l'homme, au jour où il viendra juger les nations (2). Apôtre de la Croix, initiez-nous en ces jours au mystère de la Pâque si intimement uni au mystère sanglant du Calvaire: celui-là seul comprend la victoire qui fut au combat ; seul il partage le triomphe.

 

1. Psalm. LXXV, 5, — 2. MATTH. XXIV, 3o.

 

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante