JUSTIN

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
FRANCOIS DE PAULE
ISIDORE
VINCENT FERRIER
LÉON
HERMENÉGILDE
JUSTIN
TIBURCE
ANICET
ANSELME
SOTER ET CAÏUS
GEORGE
FIDÈLE
MARC
CLET ET MARCELLIN
PAUL de la Croix
VITAL
PIERRE MARTYR
CATHERINE DE SIENNE
PHILIPPE ET JACQUES
ATHANASE
Inv. Ste CROIX
ALEXANDRE
MONIQUE
PIE V
JEAN
STANISLAS
MICHEL
NÉRÉE ET ACHILLE
PANCRACE
BONIFACE
UBALDE
JEAN NÉPOMUCÈNE
PASCAL BAYLON
VENANT
CÉLESTIN V
PUDENTIENNE
YVES

LE XIV AVRIL.

SAINT JUSTIN, MARTYR.

 

L’Ibérie députait hier un de ses princes à la cour du vainqueur de la mort. Avec non moins d'honneur, le Christ admet aujourd'hui dans le cortège de son triomphe un représentant de la science mise au service des intérêts surnaturels. Le manteau des philosophes égale en éclat, sur les épaules de Justin, la pourpre d'Herménégilde ; car tous deux, philosophe et prince, ont teint de leur sang, mêlé à celui de l'Agneau, les vêtements devenus l'insigne de la gloire dont ils jouissent près de lui pour jamais.

Mais ce n'est pas seulement au ciel qu'il nous faut contempler le résultat du combat de ces témoins du Christ ; la propriété du sang des martyrs est de féconder la terre même. Contre le gré de l'hérésie, du sang royal d'Herménégilde est née la catholique Espagne ; le paganisme, en immolant Justin à sa haine, raviva dans le sol Romain la vigueur de la féconde semence que Pierre et Paul y avaient déposée. Nous en avons la preuve en ce jour même, où le Cycle sacré ramène également la mémoire des saints Valérien, Tiburce et Maxime : triumvirat glorieux, conquis au Christ par l'immortelle Cécile qui fut, en ces temps, la plus noble expression de la foi romaine défendue par Justin avec tant de science et d'amour ! Quand Cécile naquit, les conférences

 

339

 

publiques de Justin avec les adversaires du christianisme remplissaient Rome du bruit de leurs réfutations victorieuses ; ses écrits, qu'il faisait parvenir intrépidement jusqu'au trône impérial, portaient la lumière là même où sa parole n'atteignait pas. Bientôt la hache du licteur, en s'abattant sur la tète de l'apologiste, donna plus de force encore à ses démonstrations que n'avait fait sa logique puissante, lorsqu'une première fois, il avait arrêté la persécution furieuse et dompté l'enfer.

Le monde, en effet, sollicité en sens contraire dans mille écoles célèbres qui semblent prendre à tâche, par leurs contradictions, de rendre la découverte du vrai impossible, le monde, du moins, est en mesure maintenant de savoir où se trouve la sincérité. Marc-Aurèle, qui vient de succéder à Antonin le Pieux, prétend établir la philosophie avec lui sur le trône; plaçant l'idéal de toute perfection dans la satisfaction de soi et le dédain pour autrui, il part du scepticisme dogmatique pour établir la loi morale, et livre ses Pensées à l'admiration de quelques courtisans, sans se soucier de réformer les mœurs mêmes de son entourage. Justin, dès son adolescence, a cherché le vrai pour trouver la justice ; sans se laisser décourager par l'inutilité de ses premiers efforts, il n'a point pris prétexte, pour nier la lumière, de ce qu'elle tardait à se montrer ; lorsqu'à l'heure marquée par Dieu la nuit tombe, il dévoue sa vie à la sagesse enfin rencontrée, brûlant de Ja communiquer à tous, petits et grands, ne comptant pour rien les travaux, les supplices même, qui lui permettront de l'affirmer solennellement à la face de l'univers. Entre le héros chrétien et le sophiste couronné qui l'envoie à la mort, quel homme de bonne foi pourrait hésiter ? Qui, comme Cécile

 

340

 

dans son admirable confession, ne déverserait le mépris sur les prétentions de ces faux philosophes devenus les maîtres du monde, et ne donnant d'autre preuve de leur amour pour la sagesse que le parti-pris d'étouffer la voix de ceux qui la prêchent ?

La philosophie, baptisée dans le sang du converti de Naplouse, est chrétienne pour jamais. Sa désolante stérilité cesse en ce grand jour. Le témoignage du martyre que, servante fidèle enfin, elle rend à la vérité, redresse d'un seul coup les écarts monstrueux de ses premiers âges. Sans se confondre avec la foi, elle sera désormais la noble auxiliaire de cette fille des cieux. La raison humaine verra ses forces décuplées par cette alliance illustre, et produira maintenant des fruits assurés. Malheur à elle toutefois, si, oubliant la consécration sublime qui la voue au Christ, elle en vient un jour à ne plus tenir compte de la divine Incarnation, et prétend se suffire avec les enseignements de la seule nature sur l'origine de l'homme, la fin de toutes choses et la règle des mœurs ! Cette lumière naturelle qui éclaire tout homme venant en ce monde est, elle aussi, sans doute, un rayonnement du Verbe (1) ; et c'est là sa grandeur. Mais depuis que ce Verbe divin, dépassant l'honneur fait à la seule raison, a gratifié l'humanité d'une manifestation de lui-même plus directe et plus haute, il n'entend pas que l'homme fasse deux parts en ses dons, qu'il laisse de côté la foi préparant la vision même, et se contente de la lointaine lueur qui eût suffi à la pure nature. Le Verbe est un, comme l'homme même, à qui il se manifeste en même temps, quoique si diversement,

 

1  JOHAN. I, 9.

 

341

 

par la raison et la foi; quand l'humanité voudra se soustraire à l'illumination surnaturelle, sa punition trop méritée sera de voir le Verbe divin retirer à lui par degrés cette lumière même de nature qu'elle s'assurait posséder en propre, et laisser le monde s'abîmer dans la déraison.

 

Lisons le récit destiné par l'Eglise à retracer la vie du philosophe martyr, et rendons hommage au divin Ressuscité dont toutes les gloires humaines viennent ainsi, en se consacrant à son service, rehausser le triomphe.

 

Justin, de race grecque et fils de Priscus, naquit à Naplouse en Palestine. Il passa son adolescence à l'étude de toutes les branches de la littérature. Devenu homme, il fut saisi d'un tel amour de la philosophie que, pour trouver la vérité, il donna son nom à toutes les sectes philosophiques d'alors et scruta toutes leurs règles. Il n'y avait trouvé qu'une sagesse trompeuse et des erreurs, lorsqu'éclairé de la science d'en haut par un vénérable vieillard resté inconnu, il embrassa la philosophie de la vraie foi chrétienne. Depuis lors, ayant en main nuit et jour les livres de la sainte Ecriture, leur méditation embrasa tellement son âme du feu divin, que sa puissante intelligence acquit dans un degré éminent la science de Jésus-Christ, et qu'il écrivit de nombreux ouvrages pour l'exposition et la propagation toujours plus grande de la foi chrétienne.

 

Entre les plus remarquables œuvres de Justin tiennent le premier rang les deux Apologies de la foi chrétienne qu'il présenta, en même temps qu'au Sénat, aux empereurs Antonin le Pieux et ses fils, ainsi qu'à Marc Antonin Verus et Lucius Aurelius Commodus, qui persécutaient cruellement les disciples du Christ. Par là et par les conférences qu'il soutenait vaillamment pour cette même foi, il obtint qu'un édit public des Princes arrêtât le massacre des chrétiens. Cependant Justin ne fut pas épargné. Accusé par la perfidie de Crescent le Cynique, dont il avait dénoncé la vie et les mœurs criminelles, il fut pris par les soldats. On l'amena au Préfet de Rome Rusticus, qui lui demanda quelles étaient les règles des chrétiens, et il fit celte belle confession en présence de nombreux témoins : L'exacte croyance que nous chrétiens gardons avec amour, est celle-ci : nous reconnaissons un Dieu unique, auteur et créateur de toutes choses, tant les visibles, que celles qui ne se voient pas des yeux du corps; et nous confessons le Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu,annoncé autrefois par les Prophètes, et qui doit venir comme juge du genre humain.

 

Comme Justin, pour repousser les calomnies des païens , avait exposé clairement,dans sa première Apologie, la manière dont les chrétiens se rassemblaient pour célébrer leur culte, et quels étaient les mystères de ces saintes assemblées, le Préfet s'enquit près de lui du lieu où les autres fidèles de la ville et lui-même se réunissaient. Mais Justin, gardant le silence sur les lieux d'assemblées pour ne pas livrer aux chiens les choses saintes et les frères, indiqua seulement le domicile où il avait coutume de demeurer et de former ses disciples, à savoir au célèbre titre du Pasteur établi dans la maison de Pudens. Le Préfet enfin lui donna le choix ou de sacrifier aux dieux, ou d'être déchiré à coups de fouet par tout le corps. Mais l'invincible vengeur de la foi assurait qu'il avait toujours eu pour objet de ses vœux de souffrir les tourments pour le Seigneur Jésus-Christ, dont il espérait recevoir dans le ciel une grande récompense, et le Préfet prononça contre lui une sentence capitale. Ainsi donc, après avoir subi les fouets, l'admirable Philosophe , louant Dieu, répandit son sang pour le Christ et fut couronné d'un glorieux martyre. Quelques fidèles enlevèrent son corps secrètement et l'ensevelirent dans un lieu convenable. Le Souverain Pontife Léon XIII a ordonné que son Office lut célébré par toute l'Eglise.

 

 

Nous saluons en vous, ô Justin, l'une des plus nobles conquêtes de notre divin Ressuscité sur l'empire de la mort. Né dans la région des ténèbres, vous avez cherché de bonne heure à briser les liens du mensonge qui vous enserraient comme tant d'autres. La Sagesse, que vous aimiez sans la connaître encore, vous avait, elle aussi, choisi entre tous (1). Or elle n'entre point dans une âme fausse, elle n'habite point dans un corps soumis au péché (2). Bien différent des hommes chez qui le beau nom de la philosophie ne recouvrait que l'amour d'eux-mêmes et la prétention de justifier tous les vices, la recherche de la science partait chez vous d'un cœur désireux de savoir, uniquement pour aimer la vérité connue et observer ses lois. Cette pureté de l'intelligence et du cœur vous rapprochait de Dieu; elle vous rendait digne de rencontrer sur le chemin la Sagesse vivante, qui se donne maintenant à vous pour jamais dans la pleine lumière (3). L'Eglise tout à l'heure, ô Justin, vous décorait à bon droit du nom de philosophe admirable ; car, le premier, vous avez compris que la philosophie vraiment

 

1 Eccli. IV, 18. — 2. Sap. I. 4. — 3 Ibid. VI, 17-21.

 

345

digne de ce nom, le véritable amour de la sagesse, ne pouvait arrêter ses poursuites au domaine abstrait de la simple raison, depuis que la raison n'est plus qu'une introductrice aux régions supérieures où la Sagesse se révèle en personne à l'amour qui la cherche sans feinte.

Il est écrit de ceux qui vous ressemblent: La multitude des sages est le salut du monde (1). Mais qu'ils sont rares aujourd'hui les vrais philosophes, ceux qui, comme vous, comprennent que le but du sage est d'arriver jusqu'à la vue de Dieu (2) par la voie de l'obéissance à ce Dieu très saint (3) ! L'indépendance de la raison est le seul dogme sur lequel s'accordent les sophistes du jour ; le procédé dont ils font le cachet de leur secte est un faux éclectisme, qu'ils entendent comme la faculté laissée à tous de se faire un système : à chacun de choisir ce qui, dans les affirmations des diverses écoles, des religions elles-mêmes, peut sourire davantage. Ainsi proclament-ils que cette raison qu'ils prétendent souveraine n'a pu jusqu'à eux rien produire d'assuré ; et, pour eux-mêmes, le doute sur tout, le scepticisme, comme l'avouent leurs chefs, est le dernier mot de la science. Vraiment, après cela, sont-ils mal venus pour reprocher à l'Eglise d'abaisser la raison, elle qui naguère encore, au concile du Vatican, exaltait le secours mutuel que se rendent la raison et la foi pour conduire l'homme à Dieu leur commun auteur ! elle qui rejette de son sein ceux qui dénient à la raison humaine le pouvoir de donner par elle-même la certitude sur l'existence de ce Dieu Créateur et Seigneur (4) ! Et pour définir ainsi

 

1. Sap. VI, 26. — 2. Eccli. VI, 23; Dialog. cumTryph. 3.— 3. Eccli. IV, 15. — 4. Sess. III ; cap. 4; can. 10.

 

346

 

dans nos temps la valeur respective de la raison et de la foi, sans les séparer et encore moins les confondre, l'Eglise n'a eu qu'à écouter le témoignage de tous les siècles chrétiens, en remontant jusqu'à vous dont les ouvrages, complétés l'un par l'autre, n'expriment pas une autre doctrine.

Vous avez été un témoin fidèle autant que courageux, vaillant martyr. lui des jours où les besoins de la lutte contre l'hérésie n'avaient point encore suggéré à l'Eglise les termes nouveaux dont la précision allait bientôt devenir indispensable, vos écrits nous montrent combien alors pourtant la doctrine était la même sous l'infirmité du langage. Béni soyez-vous par tous les enfants de la sainte Eglise, ô Justin, pour cette démonstration précieuse de l'identité de notre croyance avec la foi du second siècle ! Béni soyez-vous d'avoir, à cette fin, distingué scrupuleusement entre ce qui pour tous alors était le dogme même, et les opinions privées auxquelles l'Eglise, comme elle l'a toujours fait, laissait la liberté sur des points de moindre importance!

Ne faites pas défaut à la confiance que met en vous la Mère commune. Si loin déjà du temps où vous vécûtes, elle veut que ses fils vous honorent plus qu'ils n'avaient fait dans les siècles antérieurs. C'est qu'en effet, après avoir été reconnue comme la reine des nations, la situation pour elle est redevenue la même qu'à l'époque où vous la défendiez contre les assauts d'un pouvoir hostile. Suscitez-lui des apologistes nouveaux. Apprenez-leur comment parfois, à force de zèle, de fermeté, d'éloquence, on arrive à faire reculer l'enfer. Mais que surtout ils aient garde de se méprendre sur la nature de la lutte confiée par l'Eglise à leur honneur ! C'est une reine qu'ils

 

347

 

ont à défendre ; l'Epouse du Fils de Dieu ne saurait consentir à laisser quémander pour elle la protection qu'on donne à une esclave. La vérité a des droits par elle seule ; ou, plutôt, seule elle mérite la liberté. Comme vous donc, ô Justin, ils s'appliqueront sans doute à faire rougir le pouvoir civil de ne pas même reconnaître à l'Eglise les facultés qu'il accorde à toute secte ; mais l'argumentation d'un chrétien ne saurait s'arrêter à réclamer une tolérance commune à Satan et au Christ; comme vous encore, et jusque sous la menace d'un redoublement de violences, ils devront ajouter : Notre cause est juste, parce que nous, et nous seuls, disons la vérité (1).

 

1. Apolog. Ia, 23.

 

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante