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EXHORTATION SUR LE CRUCIFIEMENT ET LA MORT DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. Quand ils furent arrivés au lieu appelé Calvaire, on y crucifia Jésus.

 

C'est sur la croix et dans la personne de Jésus-Christ que s'est accomplie cette parole du Prophète : La justice et la miséricorde ont fait ensemble une alliance étroite.

 

Division. Jésus-Christ mourant sur la croix comme victime de la justice de Dieu : première partie; Jésus-Christ mourant sur la croix comme victime de la miséricorde de Dieu : deuxième partie.

 

Première partie. Jésus-Christ mourant sur la croix comme victime de la justice de Dieu. Après le péché de l'homme, il fallait que la justice de Dieu fût satisfaite. Nul autre qu'un Dieu ne pouvait satisfaire à un Dieu. Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme est donc venu, et s'est offert comme victime. Ce n'est pas pour ses péchés, mais pour les nôtres, qu'il a satisfait. Car il s'en était é, et voilà pourquoi la justice divine le regarde au Calvaire comme un objet digne de ses vengeances.

C'est donc cette redoutable justice qui préside au dernier supplice de ce Fils de Dieu couvert des péchés de tous les hommes. C'est elle qui veut qu'on le dépouille encore une fois de ses habits, qu'on l'étende sur la croix, qu'il obéisse à d'infâmes bourreaux, qu'il soit placé au milieu de deux voleurs, qu'on le comble de nouveaux opprobres, que dans sa soif on ne lui donne à boire que du vinaigre et du Bel, enfin qu'il meure comme abandonné même de son Père.

De là apprenons combien il est terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant, et de sa justice. Car s'il n'a pas épargné son propre Fils, que fera-t-il de nous et contre nous? Nous devons ici reconnaître toute la puissance de cette suprême justice, toute ta sainteté, toute sa sévérité, toute sa droiture et son inflexible équité.

Quelles vérités! et de quelle frayeur doivent-elles saisir un pécheur qui vit dans l'impénitence? Mais surtout de quelle frayeur i-il saisi à la mort, en considérant même le crucifix qu'on lui présentera pour sa consolation?

Première partie. Jésus-Christ mourant sur la croix comme victime de la miséricorde de Dieu. Il est vrai qu'il devait souffrir et qu'il devait mourir; mais comment le devait-il? Dans cette supposition toute gratuite de sa part, savoir : qu'il voulût sauver  le monde; car il pouvait ne le pas vouloir et nous abandonner. C'est donc par un effet de sa miséricorde qu'il a pris sur lui nos dettes, et qu'il s'est engagé à les acquitter en souffrant et en mourant. Solide théologie de l'apôtre saint Paul.

De là ne nous étonnons point des témoignages particuliers, ou plutôt des prodiges d'amour et de miséricorde qu'il fait paraître

 

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sur sa croix. Il prie, et c'est une prière de miséricorde; il promet, et c'est une promesse de miséricorde; il donne, et c'est un don de miséricorde : il témoigne sa soif, et cette soif qu'il souffre, quelque pressante qu'elle puisse être, n'est que l'image d'une soif mille fois encore plus ardente qui achève de le consumer, et qui est un sentiment de miséricorde.

Ainsi nous devons regarder la croix comme le siège delà grâce et le trône de la miséricorde divine. Ayons-y souvent recours. Solide dévotion dans le christianisme, que la dévotion au crucifix. Où sera notre ressource à la mort, où sera notre consolation? Dans le crucifix.

 

Postquam venerunt in locum qui vocatur Calvaria; ibi crucifixerunt eum.                                                                                  

 

Quand ils furent arrivés au lieu appelé Calvaire, on y crucifia Jésus. (Saint Luc, chap. XXIII, 33.)

 

Quel souvenir, chrétiens auditeurs nous rappellent ces paroles de mon texte! et si les historiens sacrés n'avaient pris soin de perpétuer dans le monde la mémoire d’un tel événement; si la religion que nous professons ne nous l'enseignait d'une manière à ne permettre pas le moindre doute, qui jamais eut pu se persuader que le Messie, le Saint des saints dût mourir sur le Calvaire, c'est-à-dire dans un lieu destiné au supplice des criminels; et qu'un Homme-Dieu dut terminer sa vie mortelle par le tourment et l'opprobre de la croix? Voilà toutefois ce que l'Evangile nous représente ; et sans m'arrêter à de terribles lamentations, si j'ose d'abord pénétrer dans ce profond mystère, il me semble que c est la que se fait cette merveilleuse alliance dont avait parle le Prophète royal, quand il disait que la justice et la miséricorde s'étaient réunies , et que par un heureux accord elles se trouvaient l’une et l'autre pleinement satisfaites : Justitia et pax osculatœ sunt (1). Du moment que l’homme en violant le commandement de Dieu, s était rendu pécheur, il y avait entre cette justice et cette miséricorde divine une espèce de combat. L'une était armée contre nous, et se disposait, par notre perte éternelle, à venger les intérêts du Seigneur et à réparer sa gloire ; mais l’autre sans oublier ni la gloire, ni les intérêts du Dieu tout-puissant, sensible néanmoins à notre malheur, retenait le glaive suspendu sur nos têtes, et arrêtait le coup dont nous étions menacés. Le moyen de les concilier? 0 secret inconnu à toute la prudence humaine! ô abîme de la sagesse et des conseils du Trè-Haut! le voici, mes Frères, ce grand moyen, ce moyen prévu de toute éternité et accompli dans la plénitude des siècles; c'est que Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de l'homme, vrai Dieu et vrai homme lui-même, verse son sang, donne s vie ; qu’il meure, et que par sa mort il soit tout ensemble sacrifié et à la justice du Dieu des vengeances  et à la miséricorde du Dieu de la paix. En deux mots, Jésus-Christ

 

1 Psal., LXXXIV, 11.

 

mourant sur la croix comme victime de la justice de Dieu, ce sera la première partie: comme victime de la miséricorde de Dieu, ce sera la seconde. Je ne puis mieux finir le cours de ces exhortations que j'avais à vous faire pendant ce saint temps. Puissiez-vous encore remporter de celle-ci tout le fruit que je m'en promets, avec le secours de la grâce, pour votre instruction et votre édification !

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Oui, Chrétiens, c'était depuis la naissance du monde, où l'homme rebelle et criminel osa se révolter contre Tordre de son créateur et de son Dieu ; c'était, dis-je, depuis ce premier péché que la justice du ciel attendait une victime capable de l'apaiser, et demandait un sacrifice digne de la majesté du Seigneur violée et outragée. Ce n'est pas que dans le cours de tant de siècles écoulés depuis cette chute fatale à toute la nature humaine, les hommes n'eussent offert à Dieu des hosties, et qu'ils ne lui eussent présenté divers sacrifices pour reconnaître sa souveraine grandeur et pour l'honorer ; mais ces hosties n'étaient ou que des fruits de la terre, ou que de vils animaux; et de tels sacrifices ne pouvaient être proportionnés à la dignité du Maître dont il s'agissait de réparer l'honneur et de venger les intérêts. Il n'y avait donc qu'une personne divine. il n'y avait que le sang d'un Dieu qui put effacer pleinement et laver l'offense faite à un Dieu. Or, voilà ce qui s'accomplit au Calvaire, et c'est là que cette justice si rigoureuse et si inflexible dans la défense de ses droits, trouve enfin toute la satisfaction qu'elle avait si longtemps exigée sans la recevoir, et qui lui était due par tant de titres.

Car quelle victime lui est immolée sur l'autel de la croix ? Un Homme-Dieu , le Fils éternel de Dieu , égal à son Père , et possédant comme lui toute la plénitude de la divinité : In ipso inhabitat omnis plenitudo divinitatis (1). Dès le moment de son incarnation, il avait déjà commencé ce grand sacrifice, puisqu'il n'était descendu sur la terre qu'en qualité de victime, et qu'il ne s'était revêtu d'un corps mortel que pour en faire hommage au Créateur de l'univers,

 

1 Coloss., II, 9.

 

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et pour le lui offrir en holocauste. Dans le temple de Jérusalem , il avait continué et comme perfectionné ce même sacrifice , lorsqu'il voulut être porté solennellement entre li s liras de Siméon , et présenté par les mains de Marie. Mais tout cela n'était encore que le sacrifice du matin, et nous voici présentement au sacrifice du soir; à ce sacrifice où la victime doit être consumée tout entière ; à ce sacrifice où tendaient depuis trente-trois ans toutes les mus , toutes les démarches, toutes les actions du Rédempteur des hommes ; à ce sacrifice par où toute la gloire du Seigneur devait être réparée, et tous les droits de sa justice rétablis.

Mais que dis-je , et quelle dette le soumettait a cette inexorable justice, cet agneau de Dieu, cet agneau sans tache ? de quelle offense pouvait-il être coupable, et qu'avait-il fait qui lui attirât la colère d'en-haut, et qui l'exposât à un tel opprobre et à une telle mort ? Ah ! chrétiens auditeurs, c'est un mystère que vous ne pouvez, ignorer, et c'est sur ce fondement qu'est établie et que roule toute la religion. Vous savez que de lui-même et de sa nature , ce Sauveur du monde est la sainteté par excellence ; que dans le céleste séjour et dans les splendeurs éternelles, il reçoit les adorations de tous les esprits bienheureux, et en fait tonte la félicité ; que même dans cette terre d'exil où il a paru , et que dans cette vallée de larmes où il a voulu converser avec nous, il ne connut jamais le mal que pour le combattre et pour le détruire ; enfin , que c'est à lui que fut rendu plus d'une fois cet éclatant témoignage qui retentit le long du Jourdain , et qui se fit entendre sur le Thabor : Voilà mon Fils bien aimé, l'objet de mes complaisances : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui (1). Vous en êtes instruits, et ce sont autant d'articles de votre créance. Mais ce que vous enseigne aussi la même foi que vous professez, c'est que, pour l'expiation du péché, ce Sauveur, si saint en lui-même, a pris toutefois la forme du pécheur ; c'est que n'ayant jamais commis de péché et étant incapable d'en commettre, il a néanmoins voulu porter sur son corps tous nos péchés : Qui peccata nostra ipse pertulit in corpore suo (2) ; que son Père l'en a chargé , et qu'il en a été tout couvert : Posuit in eo iniquitatem omnium nostrum (3). Tellement que nous le pourrions comparer à cette nuée qui conduisait les Israélites dans le désert, et qui, toute lumineuse d'une part, était

 

1 Matth., XVII, 5. — 2 1 Petr., II, 24. — 3 Isa , LIII, 6.

 

de l'autre toute ténébreuse. Or, c'est justement sous cet aspect si difforme et si affreux, que le ciel aujourd'hui le considère, et c'est sous cette lèpre du péché que la justice de Dieu l'envisage comme un objet digne de toutes ses vengeances. Voilà pourquoi elle s'arme contre lui, pourquoi elle le poursuit le glaive à la main, pourquoi elle prononce l'arrêt de sa mort.

Comment donc , afin de vous tracer encore de tout ceci une figure plus naturelle et plus propre, comment paraît-il au Calvaire? Représentez-vous, mes chers auditeurs, cette malheureuse victime dont parlait saint Paul aux Hébreux, sur laquelle on mettait toutes les iniquités du peuple pour les expier, et qu'on jetait hors du camp pour la brûler. Ainsi Dieu l'avait ordonné dans l'ancienne loi : et qu'était-ce là , dit l'Apôtre , qu'une image sensible de ce qui devait s'accomplir dans la personne de Jésus-Christ? On le conduit hors de la ville, on le fait monter au Calvaire : c'est le dernier théâtre où il va paraître, et c'est là que l'attend la divine justice à qui il s'est rendu responsable, et qu'elle vient ordonner de son supplice et l'exécuter par les mains des bourreaux qu'elle a choisis pour ses ministres. Car souffrez, mes Frères, que je vous fasse part d'une pensée qui me touche, et qui doit vous remplir comme moi d'une horreur toute religieuse. Quand Dieu chassa le premier homme du paradis terrestre où il avait péché, l'ange du Seigneur se fit voir armé de l'épée, et ferma pour jamais l'entrée de ce jardin de délices. Ce fut encore par le ministère de l'ange exterminateur que Dieu frappa l'armée de Sennachérib, et que pour le salut de son peuple il fit éclater contre ce prince orgueilleux toute sa puissance. Mais quand pour le salut du monde entier il est question de consommer le sacrifice de ce divin médiateur, sur qui sont tombés tous les péchés des hommes et qui les doit effacer de son sang, je m'imagine que la suprême et souveraine justice descend elle-même, et que, sans se montrer, elle préside à tout ce qui se passe dans cette sanglante et terrible exécution.

Non, chrétiens, ne croyons pas que ce soit seulement ici la fureur des Juifs qui agisse, ni la cruauté des soldats : c'est la justice de Dieu. C'est elle, prenez garde, c'est elle qui veut que ce Dieu-Homme soit encore une fois dépouillé de ses habits, et qu'il ne lui reste pas même une robe qui le couvre : pourquoi? afin que, par ce dépouillement total et cette extrême pauvreté,

 

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il porte la peine de toutes les injustices où nous a engagés et où nous engage tous les jours une envie démesurée d'avoir, et un attachement excessif aux biens de la vie. C'est elle qui veut qu'on l'étende sur la croix, et qu'en l'y étendant on lui disloque tous les membres ; que pour l'y attacher, on se serve, non de liens, mais de clous ; qu'on lui en perce les pieds et les mains, et qu'on les y enfonce avec violence: pourquoi? afin que dans sa chair il expie tous les dérèglements de la nôtre, tant de sensualités, tant de commerces criminels, tant de sales plaisirs, tant d'excès et d'abominations. C'est elle qui veut qu'il obéisse à d'infâmes bourreaux, que sans résister un moment ni prononcer une parole, livré à leur pouvoir et soumis à leurs ordres, il se laisse remuer, traîner, tourmenter, selon qu'il leur plaît : pourquoi? afin que par une telle soumission il répare cette fatale désobéissance de nos premiers parents, qui nous a tous perdus, et que ce soit encore le châtiment de tant de transgressions de la loi du Seigneur, qui nous sont particulières et personnelles, de tant de résistances à ses adorables volontés, de tant de révoltes intérieures dans les afflictions qu'il nous envoie, et de tant de murmures et de plaintes. C'est elle qui veut qu'il soit placé au milieu de deux voleurs, et crucifié avec eux ; que dans cet état on l'élève, on le fasse voir, on l'expose aux yeux de Jérusalem, et que le ciel et la terre soient témoins de sa honte : pourquoi? afin que cette ignominie publique soit la juste punition de toutes les enflures de notre cœur, de toutes ses complaisances et ses vanités, de tous ses projets ambitieux et de tout son orgueil.

N'est-ce pas assez, justice de mon Dieu, et n'êtes-vous pas enfin satisfaite ? Sur quelle partie de ce corps sacré frapperez-vous encore, qui ne soit déjà toute couverte de plaies? Voyez et considérez : voyez ces yeux tout éteints, cette bouche toute livide, ce visage tout meurtri, ce sein tout déchiré et tout ouvert par le nombre des blessures qu'il a reçues : voyez ces pieds, ces mains, changées en des sources de sang. Quels nouveaux opprobres a-t-il à essuyer? Le voilà comme abîmé, comme anéanti dans la confusion : il en est rassasié, selon l'expression de votre prophète, et si je l'ose dire, il en est comme enivré. Il n'importe : cette implacable justice a néanmoins toujours le bras levé, et ne le retirera point que sa victime n'ait été détruite : Sed adhuc manus ejus extenta (1).

C'est donc elle, suivez-moi, c'est elle qui

 

1 Isa., V, 25.

 

veut qu'on s'assemble autour de ce Dieu souffrant, et que, bien loin de le plaindre, on vienne insulter à ses souffrances; qu'on lui reproche qu'il ne peut se sauver lui-même, après avoir sauvé les autres; qu'on le traite de profanateur et de destructeur du temple ; qu'on blasphème son saint nom, et qu'on profère contre lui mille anathèmes : pourquoi? parce que c'est à lui d'acquitter par là tant de discours injurieux, tant de railleries malignes et piquantes, tant de paroles outrageantes, de paroles licencieuses et dissolues, de paroles impies et scandaleuses, que nous met dans la bouche, et contre le prochain et contre Dieu même, ou la médisance, ou l'animosité et la colère, ou le libertinage et l'irréligion : Sed adhuc manus ejus extenta. C'est elle qui veut que dans la soif qui le presse, et que lui cause l'extrémité de sa faiblesse et le dernier épuisement où il est réduit, on ne lui présente à boire que du vinaigre et du fiel: pourquoi? parce que c'est dans l'aigreur et l'amertume de ce breuvage que doivent être lavées, si je puis m'exprimer de la sorte, les grossières débauches et les intempérances de tant de mondains, leur avidité insatiable, leurs délicatesses infinies à flatter leur goût et à contenter tous leurs appétits : Sed adhuc manus ejus extenta. C'est elle qui veut que dans un accablement si général toute ressource lui manque, même de la part de son Père; qu'il en soit comme abandonné; qu'il n'en reçoive nul secours, nul appui sensible ; que plus rigoureusement traité qu'il ne le fut au jardin, où le ciel au moins parut s'intéresser en sa faveur, et prit soin, par le ministère d'un ange, de le conforter, il soit désormais destitué de tout soutien ; c'est-à-dire que son humanité soit délaissée de sa divinité, et que livrée à elle-même, elle tombe dans la plus profonde et la plus mortelle désolation : pourquoi? parce qu'il ne peut mieux satisfaire que par cet abandonnement, pour toutes les fausses joies du monde dont nous sommes si enchantés, pour toutes les vaines consolations que nous cherchons dans les créatures, pour la confiance trompeuse que nous y avons, pour l'indigne préférence que nous leur donnons, et le prodigieux oubli de Dieu où nous vivons. Que puis-je encore ajouter ? Sed adhuc manus ejus extenta; c'est elle qui, sans se relâcher jusques au dernier souffle de vie qui lui reste, veut enfin qu'il expire entre les bras de la croix, et qu'avec ce grand cri qu'il pousse vers le ciel, il achève de rendre l'âme, et mette le sceau à l'œuvre de notre

 

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rédemption : pourquoi? parce que c'est par cette mort temporelle d'un Dieu que nous devons cire délivrés d'une mort éternelle : Jesus autem, emissa voce magna, expiravit (1).

Quelle terreur, Chrétiens, et quelle consternation ! la seule frayeur de ce lugubre spectacle et d'un tel acte de justice sur une personne divine, ne dut-elle pas suffire pour ébranler toute la nature et la déconcerter? aussi la terre en trembla, le voile du temple se déchira, le soleil s'éclipsa, les pierres se fendirent, et les tombeaux en furent ouverts. Or, si cet effroi a pu se communiquer aux êtres même inanimés, et agir sur eux, comment doit il se faire sentir a nous, et quels effets doit-il produire dans nos cœurs?

Car quoique le plus essentiel et le premier de tous les motifs qui doive nous attacher à Dieu et à  la pratique de nos obligations soit la reconnaissance et l'amour, toutefois une crainte chrétienne de la justice de Dieu, des vengeances de Dieu et de ses redoutables châtiments, n'a rien que de louable, rien que de saint et de salutaire. Jésus-Christ lui-même, dans son Evangile, en a fait la matière de ses plus fortes instructions, et il y a employé les Impressions les plus vives et les menaces les plue effrayantes. Ce n'était pas seulement au peuple qu'il les faisait entendre, ni aux pécheurs engagés dans le monde, mais à ses disciples et apôtres, parce que cette crainte des jugements du Seigneur convient à tous les états du christianisme  et à tous les degrés de perfection.

Je ne puis donc rien faire de plus important pour votre salut, que de la réveiller dans vos âmes, et de vous apprendre à tirer de la croix du Sauveur et de sa mort que nous méditons et que nous pleurons, une des conséquences les plus naturelles et les plus solides, quoique la moins ordinaire et la moins connue, savoir, que c'est une chose souverainement à craindre, de tomber dans les mains du Dieu vivant : Horrendum est incidere in manus Dei viventis (2). Je dis conséquence la moins ordinaire et la moins connue. En effet, nous sommes accoutumes à ne considérer le mystère d'un Dieu crucifié que par ce qu'il a de consolant pour nous, et nous n'en tirons presque jamais d'autre conclusion que de nous confier en Dieu et dans l'efficace de ses mérites. Confiance, mes chers auditeurs, trop bien fondée, pour entreprendre de l'affaiblir, et espérance que je suis bien éloigné de condamner, puisque je prétends

 

1 Marc, XV, 31. —  2 Hebr., X, 31.

 

au contraire vous l'inspirer dans la suite de ce discours, et vous y affermir. Mais ce que je voudrais d'abord vous faire comprendre, et ce qui demande toute l'attention de vos esprits, c'est que ce mystère de grâce est en même temps un mystère de justice, et de la justice la plus formidable ; c'est que, s'il a de quoi nous encourager et nous rassurer, il n'en a pas moins de quoi nous intimider et nous consterner : comment cela? faites-en avec moi la réflexion, et entrez dans ma pensée.

Quand le prince des apôtres, saint Pierre, écrivant aux premiers fidèles, voulait leur donner une idée de la justice de Dieu qui les retînt dans le devoir, ou qui les engageât promptement à s'y remettre, si le péché les en avait écartés, il leur proposait l'exemple des anges rebelles et leur condamnation. Craignez, mes Frères, disait-il, et n'oubliez jamais à quel Dieu vous avez affaire : on ne s'attaque point à lui impunément, et l'on n'échappe point au bras de sa justice et à ses coups. Il n'a pas même pardonné à ces esprits qu'il avait créés dans le ciel et enrichis des dons les plus excellents; mais dès qu'ils se sont révoltés, et dès le premier péché qu'ils ont commis, il les a liés avec les chaînes de l'enfer, il les a chassés de son royaume et précipités dans l'abîme, pour y être éternellement tourmentés : Deus angelis peccantibus non pepercit, sed rudentibus inferni detractos in tartarum tradidit cruciandos (1). Or, que devons-nous donc attendre de sa colère, si nous l'irritons contre nous? et puisque des anges bien supérieurs à nous, et en force et en puissance, ne peuvent néanmoins soutenir la rigueur du jugement qu'il a porté contre eux, et qui les a rendus autant de sujets d'exécration, que deviendrons-nous, fragiles créatures, qui ne sommes devant lui que de faibles roseaux qu'il peut renverser et briser du moindre souffle? Angeli fortitudine et virtute cum sint majores, non portant adversum se execrabile judicium (2). Tel était le raisonnement du saint apôtre ; mais sans oublier eu aucune sorte le respect que je dois a une si grande autorité, je ne fais point difficulté de dire que nous avons dans la mort de notre divin Maître une preuve mille lois encore plus touchante et un exemple plus convaincant. Car ce ne sont plus seulement des anges que Dieu, comme souverain juge, n'a pas épargnés, mais son propre Fils : Proprio Filio suo non pepercit (3). D'où nous devons connaître toute la puissance de cette adorable justice, toute sa sainteté

 

1 2 Petr., II, 4. — 2 Ibid., 11. — 3 Rom., VIII, 32.

 

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toute sa sévérité, toute sa droiture et son inflexible équité. Remarquez, je vous prie, tous ces traits : il n'y en a pas un qui ne soit capable de nous faire trembler, pour peu que nous soyons susceptibles d'une crainte raisonnable et sensibles à l'intérêt de notre salut.

Je dis toute la puissance de cette justice de Dieu, puisqu'elle a étendu son pouvoir jusque sur un Homme-Dieu. Apres cela, qui pourra nous arracher d'entre ses mains? qui pourra lui faire violence et l'arrêter? que lui opposerons-nous, et qui sera en état de prendre contre elle notre défense et de nous sauver? Je dis toute la sainteté de cette justice de Dieu, puisqu'elle n'a pu voir le péché sans le poursuivre, même dans un Homme-Dieu. Ce n'était dans cet Homme-Dieu que les péchés d'autrui ; ce n'était que des péchés dont il avait contracté la dette, sans être coupable de l'offense : comment en poursuivra-t-elle les auteurs, et à quel jugement doivent-ils être réservés? Je dis toute la sévérité de cette justice de Dieu, puisqu'il a fallu, pour l'apaiser, le sang et la mort d'un Homme-Dieu. Hommes vils et criminels, quoi qu'elle exerce sur vous de rigoureux, sera-ce assez pour elle? et quand elle décharge sur le juste ses plus rudes fléaux, que prépare-t-elle aux pécheurs, et peuvent-ils se promettre d'être ménagés? Je dis toute la droiture de cette justice de Dieu et son inflexible équité, puisqu'elle n'a point eu même égard à la dignité d'un Homme-Dieu. Qui que nous soyons et quelque intercesseur que nous ayons auprès d'elle, en vain compterons-nous de la fléchir sans une satisfaction convenable, et espérerons - nous qu'elle se relâche jamais sur cela de ses prétentions.

Ah! mes Frères, quelles vérités! et quand un pécheur, j'entends un de ces pécheurs obstinés qui vieillissent dans leurs désordres, et que toute l'ardeur de notre zèle, que toutes nos remontrances et toutes nos sollicitations ne peuvent ramener de leurs voies corrompues; quand, dis-je, à la vue du crucifix, un pécheur de ce caractère vient à se retracer toutes ces idées, de quel tremblement et de quelle épouvante doit-il être saisi ? car il me semble que je puis bien lui appliquer ce que saint Léon pape a dit des Juifs, et que la comparaison n'est que trop juste. Il nous invite à contempler Jésus-Christ sur la croix : mais du reste, mes Frères, poursuit ce saint docteur, à Dieu ne plaise que nous le considérions comme les impies figurés par ces anciens Juifs à qui Moïse disait dans le désert, et au sujet du serpent d'airain : Vous aurez sans cesse votre vie suspendue devant vos yeux ; vous la verrez, et bien loin que cet objet, si consolant pour les autres, anime votre confiance et dissipe vos craintes, vous serez toujours, en la voyant, dans le même trouble, parce que vous ne croirez pas y devoir trouver votre salut : Et erit vita tua quasi pendens ante, te : timebis die et nocte, et non credes vitœ tuœ (1).  Voilà, continue le  même saint Léon, comment dans la suite des siècles les Juifs incrédules et déicides  ont dû encore envisager le Messie  qu'ils avaient crucifié. Ils n'apercevaient en lui, et dans sa croix, que leur crime ; et demeurant toujours dans leur infidélité, cette vue d'un Dieu livré à la mort devait les remplir non point de la crainte salutaire qui part d'une vraie foi, et qui sert à nous justifier par la foi, mais de la crainte servile et désespérante dont  est agitée et  cruellement tourmenté   une   mauvaise   conscience  : Isti enim nihil in crucifixo Domino prœter facinus suum cogitare potuerunt, habentes timorem, non quo fides vera justificatur, sed quo conscientia iniqua torquetur.

Triste image du pécheur ! Qu'est-ce à ses yeux que la croix de son Sauveur et de son Dieu ? Un monument visible, mais terrible, de la justice du ciel ; c'est-à-dire d'une justice dont il dépend mille fois plus encore que ce Dieu-Homme, à qui néanmoins elle a fait sentir son pouvoir d'une manière si éclatante et par un arrêt si absolu ; d'une justice dont il aura en personne à subir lui-même le jugement, et à recevoir sa condamnation; d'une justice qui n'oubliera rien,qui ne passera rien, qui ne lui pardonnera rien ; d'une justice qu'il se rend tous les jours plus ennemie, en accumulant péchés sur péchés, et négligeant tous les moyens de les effacer ; d'une justice devant laquelle tout ce que Jésus-Christ a fait et tout ce qu'il a souffert pour lui ne lui sera de nul profit, de nul avantage, de nul usage, et ne doit même servir qu'a sa réprobation , puisqu'il ne s'en sert pas pour sa sanctification; par conséquent, d'une justice dont il n'a rien de moins à craindre que la plus affreuse sentence et qu'un tourment éternel : Terribilis quœdam expectatio judicii (2). Si toute la religion n'est pas encore éteinte dans son cœur, peut-il n'être pas effrayé de ces réflexions; et pour n'en être point ému, ne faut-il pas qu’il soit tombé dans le plus mortel endurcissement?

Tout cela, dites-vous, ne l'inquiète guère,

 

1 Deut., XXVIII, 66. — 2 Hebr., X, 27.

 

parce qu'il n'y pense point. Il est Occupé de ses Maires, entêté de sa fortune, possédé de son plaisir, il bannit tout le reste de son esprit, et il sait bien éloigner dos pensées si sérieuses, et s'en délivrer. Oui, mes Frères, il le sait bien, et il ne le sait même que trop ; mais voilà justement ce que je déplore, et ce que je regarde comme le plus grand de tous les malheurs : car voilà ce qui l'entretient dans son impénitente, ce qui lui fait amasser contre lui un trésor décolère, ce qui le lui fait grossir chaque jour, jusqu'à ce qu'il en ait comblé la mesure, et que cette justice, dont il ne tenait nul compte, et qui l'attendait au jour marqué, agisse enfin , ouvre elle-même le trésor de ses vengeances, et le fasse fondre sur lui pour l'accabler.

Je dis plus, Chrétiens ; et s'il n'y pense point Maintenant, il y pensera à la mort. Etrange renversement! A cette dernière heure où tout l'abandonnera, où tous les secours humains lui Manqueront, du moins lui deviendront inutiles; où ces prétendues divinités qu'il adorait seront incapables de le soutenir, et où ces faux biens dont il jouissait sur la terre lui seront enlevés, et lui échapperont, c'était la croix de Jésus-Christ, ou plutôt c'était Jésus-Christ lui-même attaché à la croix et y mourant, qui levait être sa ressource, son refuge, sa force, et ce sera le sujet de ses plus vives frayeurs et le comble de sa désolation. Le prêtre, pour le toucher, pour l'encourager, pour le consoler, et pour satisfaire au devoir de son ministère, lui présentera le crucifix; il le fera souvenir que c'est son Dieu, l'auteur de son salut, qui lui tend les bras;  il l'exhortera à se tourner vers lui, et a se confier en lui : mais tandis que la parole, du ministre lui frappera au dehors l'oreille sans pénétrer jusqu'au coeur, que lui dira intérieurement sa conscience? Que lui reprochera-t-elle? Sous quel aspect lui montrera-t-elle ce Rédempteur immole a la même justice, qui le cite actuellement à son tribunal, et dont il ne peut se promettre d'être plus épargné que ne l'a été un Dieu? Quelle peinture lui tracera-t-elle de ses désordres passés? et malgré toute  la vertu   et  toute  l'efficace d'un sang divin, quelle espérance lui donnera-t-elle  pour l'avenir? Que fais je, après tout, mes chers auditeurs? est-ce que je prétends diminuer votre confiance dans la croix du Sauveur et dans sa grâce? à Dieu ne plaise ! mais je voudrais que ce lut une confiance solide, une confiance soutenue de vos œuvres et de votre correspondance; car il n’y a en a point d'autre que celle-là qui vous puisse sauver, ni sur laquelle il y ait quelque fond à faire. Aussi est-ce pour vous l'inspirer que je vais présentement vous proposer Jésus-Christ crucifié, comme victime, non plus de la justice, mais de la miséricorde de Dieu. Ce sera la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

C'est le caractère des œuvres de Dieu et de tous les desseins qu'il forme sur nous, d'être toujours accompagnés de sa miséricorde, et de tendre au salut de l'homme et à son éternelle prédestination :  Universœ viœ Domini, misericordia (1) ;  tellement, remarque le Prophète, qu'il n'oublie point cette infinie miséricorde jusque dans sa plus grande colère et dans les plus sévères châtiments de sa justice : Cum iratus fueris, misericordiœ recordaberis (2). Il n'y a que l'enfer d'où cette bonté divine se tienne éloignée, et où elle ne fasse point couler ses grâces, parce qu'elle n'y trouverait point de sujet en état de les recevoir et d'en profiter. Mais partout ailleurs, il lui est si naturel de se communiquer, que dans tous les ouvrages du Seigneur elle a toujours la meilleure part, et qu'à bien examiner même les plus rigoureux jugements de Dieu, ce sont moins des jugements de justice que de miséricorde ? Superexaltat misericordia judictum (3). Or, si jamais elle a paru , cette miséricorde souveraine et sans bornes, et si jamais elle a répandu ses richesses avec abondance, il est évident et incontestable que c'est dans ce mystère de Jésus-Christ crucifié et mort pour la rédemption du monde. Découvrez-en, mes Frères, autant que la faiblesse de nos esprits peut le permettre, et admirons-en l'ineffable et adorable conduite. Il fallait une victime à la justice de Dieu, et   mu: réparation authentique  du  péché de l’homme ; je l'ai dit, et c'est ce que nous avons déjà médité. L'homme de lui-même et de son fonds n'avait rien, ni n'était capable de rien qui put en aucune sorte égaler l'injure faite à la majesté du Très Haut, et par conséquent il ne pouvait de son fonds ni de lui-même la réparer; c'est encore ce que j'ai tâché de vous faire comprendre. De là s'ensuivait, par une conséquence non  moins nécessaire,  que sans les mérites d'un Homme-Dieu, l'homme était immanquablement perdu, et qu'il ne pouvait être sauvé que par les souffrances et par la croix de   ce   puissant   médiateur.  Voilà   pourquoi Jésus-Christ est venu, voilà quelle a été la fin de sa mission et le fruit de sa mort. Tout cela

 

1 Psal., XXIV, 10. — 2 Habac., VIII, 1. — 3 Jac., II, 13.

 

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est vrai, Chrétiens ; mais tout cela ne nous apprend point que Jésus-Christ, absolument et indispensablement ait dû souffrir, qu'il ait dû mourir. Parlons autrement, et mettons la chose dans un jour qui vous fasse mieux entendre ce point de religion.

Il devait venir ce Verbe de Dieu, et prendre une chair semblable à la nôtre. Dans cette chair passible et mortelle, il devait souffrir, il devait mourir : mais comment le devait-il ? concevez-le. Il devait, dis-je, souffrir, et il devait mourir : mais dans cette supposition toute gratuite de sa part, et toute de son choix, savoir, qu'il voulût sauver le monde. Car c'est de quoi il était pleinement le maître , et à quoi nulle obligation ne l'engageait. Il pouvait laisser l'homme dans l'abîme où il s'était précipité; il pouvait le livrer à son propre malheur, et par là s'épargner toutes les douleurs et toutes les ignominies de la croix. Oui, mes Frères, il le pouvait, selon toutes les lois de sa justice ; mais c'est ce que sa miséricorde n'a pu voir sans s'y opposer. Toutes ses entrailles en ont été émues, ces entrailles de charité et de compassion : Viscera misericordiae (1). Il en a suivi les mouvements, et il n'a pu, si je l'ose dire, résister à des sentiments si tendres et si affectueux. Ainsi, de deux partis qu'il avait à choisir, ou d'abandonner le salut de l'homme, ou de s'abandonner lui-même à toute l'infamie d'un supplice aussi cruel et aussi honteux que la croix, il a mieux aimé nous racheter à ce prix, au prix de son sang, au prix de sa vie, que de consentir à notre perte éternelle. Or, de là même n'ai-je pas droit de conclure qu'il s'est donc sacrifié sur l'autel de la croix comme une victime de miséricorde ?

Solide théologie que l'Apôtre nous a si bien exprimée en deux courtes paroles dont il était vivement touché, et qui, dans leur simplicité et leur brièveté, sont pleines d'onction et de consolation : Dilexit me, et tradidit semetipsum pro me (2) : Il m'a aimé, ce Dieu essentiellement et souverainement miséricordieux, disait le maître des Gentils ; et parce qu'il m'a aimé, il s'est donné pour moi. Prenez garde, s'il vous plaît, à l'ordre qu'observe le grand Apôtre, et à la liaison qu'il met entre ces deux choses. Il ne sépare point l'une de l'autre, comme si l'une était indépendante de l'autre; mais il les unit ensemble comme la cause et l'effet. Il m'a aimé, voilà le principe ; et il s'est donné pour moi, voilà l'effet et la suite. De sorte que c'est avant tout, et par-dessus tout, son amour qui

 

1 Lu, I, 78. — 2 Galat., II, 20.

 

lui a fait accepter et boire le calice de sa passion : Dilexit me, et tradidit semeptisum pro me.

Aussi demandez au même saint Paul ce que faisait Jésus-Christ sur le Calvaire, où ses bourreaux l'avaient conduit, et où ils accomplissaient contre lui avec tant de barbarie les ordres qu'ils avaient reçus. Cette peinture est admirable, mes chers auditeurs, et voici sans doute des expressions dignes de l'Esprit de Dieu, dont le saint Apôtre était inspiré : écoutez-le. On l'attachait à la croix, ce médiateur des hommes, on l'y clouait : mais lui cependant, d'une main invisible et par un excès de miséricorde, il y attachait l'acte qui avait été écrit contre nous; l'arrêt qui nous condamnait comme pécheurs, il l'effaçait de son sang et il l'annulait : Delens quod adversus nos erat chirographum decreti et ipsum tulit de medio, affigens illud cruci (1). On lui donnait la mort; et lui, en mourant, il nous rendait la vie par la rémission et l'abolition de tous nos péchés : Et vos cum mortui essetis in delictis, convivificavit, donans vobis omnia delicta (2). Il succombait à la violence des coups qu'il avait reçus, et à la rigueur des tourments qu'il avait endurés; mais dans cette défaillance même, où la nature ne pouvait se soutenir, et était obligée de céder, plus fort néanmoins que toutes les principautés et toutes les puissances infernales, il défendait contre elles notre cause, il les combattait, il leur arrachait les dépouilles que ces esprits de ténèbres avaient enlevées et dont ils se glorifiaient ; il les confondait à la vue de tout l'univers, il les désarmait et il en triomphait, content de mourir dans ce combat, pourvu que sa victoire, qui lui coûtait si cher, fût auprès de son Père notre rançon et notre salut : Exspolians principalus et potestates, traduxit confidenter, palam triumphans illos in semetipso (3).

De là, Chrétiens, nous ne devons point nous étonner des témoignages particuliers, ou plutôt des prodiges d'amour et de miséricorde qu'il fait paraître à cette dernière heure, qui doit terminer sa course et consommer sa charité pour nous. Plus il avance vers la fin de sa carrière, plus son cœur s'attendrit. Il semble ne plus respirer que la miséricorde. Il prie, et c'est une prière de miséricorde ; il promet, et c'est une promesse de miséricorde ; il donne, et c'est un don de miséricorde ; il témoigne sa soif, et cette soif qu'il souffre, quelque pressante qu'elle puisse être, n'est après tout que

 

1 Coloss., II, 14. — 2 Ibid., 13. — 3 Ibid., 15.

 

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l'image d'une soif mille fois encore plus ardente, qui achève de le consumer, et qui est un sentiment de miséricorde. Appliquez-vous. Il prie, et c'est une prière de miséricorde, et de la plus grande miséricorde ; car il prie pour ses ennemis mêmes et ses propres  persécuteurs. Il prie pour les prêtres et les docteurs de la Synagogue qui ont conspiré contre lui, pour les soldats qui l'ont arrêté, pour le peuple qui l'a insulté,  pour les   faux témoins qui l'ont calomnié, pour Pilate qui l'a condamné, pour les bourreaux qui l'ont crucifié. Encore s'ils reconnaissaient leur crime, et s'ils en marquaient quelque  repentir : mais   les voilà tous au pied de la croix, qui le comblent de nouveaux outrages, qui secouent la tête en se moquant et le raillant, qui se le montrent les uns aux autres comme leur jouet et un objet de   mépris ;  qui,  par   mille impiétés et par les paroles les plus piquantes, l'attaquent dans sa puissance, dans sa sainteté, dans sa royauté, dans sa divinité. C'est au milieu de De bruit confus et de cette multitude animée, que tout à coup il rompt le silence qu'il avait jusque là gardé, et qu'il élève la voix. Il porte lis yeux au ciel : et que va-t-il lui demander? N'est-ce point pour en faire descendre la foudre ? ce serait   la juste vengeance de   tant d'inhumanités et d'attentats : mais ne craignez point, Juifs sacrilèges et parricides; c'est la miséricorde qui le fait parler. Il ne prononcera pas une parole que ne lui ait dicté l'amour le plus généreux et le  plus désintéressé. Mon Père, s'écrie-t-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Il ne dit pas mon Dieu, mais mon Père, parce que ce nom de Père est plus favorable pour se faire écouter et pour fléchir la colère divine : Pater (1). Il ne dit pas en détail : Pardonnez à celui-ci et à celui-là, moins coupables que les autres, et qui ont eu moins de part à cette conjuration formée contre moi; mais en général et sans distinction , il dit : Pardonnez-leur; ne voulant exclure personne de ce pardon, les y comprenant tous, même ceux qui l'ont accusé et jugé le plus injustement ;  même  ceux qui   l'ont frappé, meurtri,  traité   le  plus violemment;  même ceux qui lui ont enfoncé les épines dans la tète, les clous dans les pieds et dans les mains. Sa miséricorde, qui remplit toute la terre, est universelle. Pas un seul pour qui ses bras et son sein ne soient ouverts; pas un dont il ne soit l'avocat, et dont il ne se déclare l'intercesseur et le Sauveur: Dimitte illis. Il ne s'en

 

1 Luc, XXIII, 34.

 

tient pas à une simple prière, mais il tâche, autant qu'il lui est possible, de les justifier; et tout criminels qu'ils sont, sa charité lui fait trouver pour leur défense et en leur faveur une raison et un sujet d'excuse. Pardonnez-leur, parce qu'ils sont aveugles, et qu'ils ne connaissent pas toute l'énormité de l'offense qu'ils commettent: Pater, dimitte illis; non enim sciunt quid faciunt (1).

Il promet, et c'est une promesse de miséricorde. En effet, Chrétiens, admirons le pouvoir et la vertu de sa prière. Rien de plus efficace, et le premier miracle qu'elle opère, c'est la conversion d'un insigne voleur. C'était un scélérat, peut-être encore pire que Barabbas, puisqu'on ne l'avait pas même proposé à la fête solennelle pour obtenir sa délivrance. C'était un blasphémateur et un furieux, qui d'abord s'était tourné lui-même contre Jésus-Christ, puisque selon l'Evangile de saint Matthieu et celui de saint Marc, les voleurs qui furent crucifiés avec lui l'outrageaient de paroles et le chargeaient d'injures : Et qui cum eo crucifixi erant, conviciabantur ei (2). Mais au bout de quelques moments, et par une secrète merveille de la grâce, voilà ce blasphémateur, ce voleur, changé dans un humble pénitent, qui rend gloire à Dieu, qui confesse hautement ses péchés et se reconnaît digne de la mort; qui publie l'innocence de ce juste contre lequel il s'était élevé, qui s'adresse à lui comme à son Seigneur, comme à son roi, qui se range au nombre de ses sujets, et lui demande une place dans son royaume : enfin, qui reçoit de la bouche même du Fils de Dieu cette assurance si douce et si consolante : Je vous dis, en vérité, que dès ce jour vous serez avec moi dans le ciel, pour y jouir de la souveraine béatitude : Amen dico tibi : Hodie mecum eris in paradiso (3).

Il donne, et c'est un don de miséricorde. Car dans cette extrémité, voulez-vous savoir quel est, si je puis m'exprimer de la sorte, son testament de mort? Sont-ce des héritages temporels? hélas! que posséda jamais sur la terre ce Dieu pauvre, qui dans tout le cours de sa vie n'eut pas même où se retirer, ni où reposer sa tête? Qu'est-ce donc? Ah! mes Frères, du haut de sa croix, il baisse la vue : et qu'aperçoit-il devant ses yeux? Marie, sa mère, et Jean, son disciple. Voilà son trésor, voilà sa plus précieuse succession. A ce double aspect, tout épuisé qu'il est, il sent encore toute la tendresse de son cœur s'exciter et se réveiller.

 

1 Luc, XXIII, 34. — 2 Marc, XV, 32, — 3 Luc, XXIII, 43.

 

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Dans l'état d'accablement où il se trouve, et que chaque moment augmente, il n'est pas néanmoins encore tellement occupé de ses extrêmes douleurs, qu'il ne pense à l'une et à l'autre. Il ne les veut pas quitter sans leur donner une dernière preuve et leur laisser un gage authentique de son amour. Femme, dit-il à Marie, lui présentant son bien-aimé disciple : voici votre fils : Mulier, ecce filius tuus (1). Mon fils, dit-il à Jean, lui présentant sa sainte mère, voici votre mère : Ecce mater tua (2). Il sait qu'il ne peut mieux confier l'une qu'au plus fidèle de ses disciples; et il sait qu'il ne peut mieux disposer de l'autre qu'en le remettant dans les mains de la plus tendre de toutes les mères. Que dis-je, mes chers auditeurs? dans ce don mutuel, dans ce riche don, tout est mystérieux. Ce n'est précisément, ni sa mère, ni son disciple, que ce Dieu des miséricordes envisage. Ses vues s'étendent bien plus loin, et ses faveurs n'ont point de bornes. Il veut que Marie, dans la personne de Jean, adopte généralement tous les hommes pour ses enfants, qu'elle en soit la mère, la protectrice, la médiatrice ; et il veut que tous les hommes, en l'acceptant comme Jean, en l'honorant et s'y confiant, aient dans elle une source abondante de toutes les grâces du salut, un asile toujours ouvert, et des secours toujours assurés et présents : Et ex illa hora accepit eam discipulus in sua (3).

Enfin il témoigne sa soif; et cette soif qu'il soutire n'est que l'image d'une autre soif bien plus pressante, qui est le désir de notre salut et le sentiment de sa miséricorde. Quand autrefois ses apôtres, voyant qu'après une pénible marche, et depuis un long espace de temps, il n'avait pris encore nulle nourriture, et qu'il devait ressentir la faim, l'invitèrent à se reposer et à manger : Il y a bien une autre viande, leur répondit-il, que cette viande matérielle dont j'ai besoin, et dont je me nourris. L'aliment que je désire, et que je cherche en tout, c'est d'accomplir la volonté du Père qui ma envoyé, et de donner à l'ouvrage pour lequel je suis descendu toute la perfection qu'il demande. Telle était alors sa faim, et telle est présentement sa soif. Cette soif, c'est son amour, que toutes les eaux de sa passion n'ont pu éteindre ; cette soif, c'est le zèle des âmes, de ces âmes que l'enfer tenait captives, et qu'il est venu racheter; cette soif, c'est une sainte impatience de consommer le chef-d'oeuvre de sa miséricorde en consommant le

 

1 Joan., XIX, 26. — 2 Ibid., 27. — 3 Ibid.

 

sacrifice de sa vie : Sitio (1). Plus l'heure approche, plus le feu croît, ce feu sacré dont est dévoré cette divine hostie. Malgré tout l'opprobre et tout le tourment delà croix, il ne regrette point la vie qu'il va perdre, parce qu'il voit par avance le fruit de sa mort. Il ne peut se refuser le témoignage qu'il se rend à lui-même, qu'il a exécuté de point en point tout ce qui lui était prescrit, et qu'il a rempli toute sa mission : Consummatum est (2). Il ne lui reste plus que de porter son âme entre les bras de son Père, pour recevoir la récompense de tant de travaux : Pater, in manus tuas commendo spiritum meum (3). Il ne lui faut pour cela qu'un soupir : et ce dernier soupir, en terminant sa carrière , couronne ses combats et dans le sein de la mort même commence son triomphe : Et hœc dicens, expiravit (4)

Sur cela, mes chers auditeurs, qu'ai-je à vous dire, et quels sentiments doit vous inspirer cette mort d'un Dieu ? viens-je encore vous la représenter comme un objet de terreur? Il est vrai, toute la terre en fut comme ensevelie dans les ténèbres, et ce fut un deuil universel. Mais après avoir payé d'abord à cet Homme-Dieu , mort pour nous, le juste tribut de notre reconnaissance et de nos larmes, il nous permet, jusque dans ce triste mystère, de reprendre le même cantique que nous avons chanté avec la milice céleste, dans le mystère de sa bienheureuse nativité, et de nous écrier: Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus : Gloire à Dieu au plus haut des deux, et paix aux hommes sur la terre ! Et en effet c'est sur la croix qu'est ratifiée cette nouvelle alliance que Dieu a voulu faire avec les hommes; c'est là que du sang du médiateur, notre réconciliation et notre paix est signée. Paix glorieuse au souverain Seigneur, puisqu'il y reçoit toute la satisfaction que pouvait exiger sa grandeur violée, et que la réparation même est au-dessus de l'offense. Paix générale et commune à tous les hommes, puisque c'est la paix de tout le genre humain, et que sans distinction ni de juste, ni de pécheur, ni de Juif, ni de Gentil, ni de fidèle, ni d'idolâtre! il n'y a pas un seul homme qui n'y soit compris. Paix salutaire, où l'homme rentre dans tous ses droits auprès de Dieu; où d'esclave qu'il était de l'enfer et du péché, il devient tout de nouveau enfant de Dieu, et héritier du royaume de Dieu; où toutes les grâces de Dieu recommencent à couler sur lui avec plus d'abondance que jamais, puisque la miséricorde

 

1. Joan., XIX, 28.— 2 Ibid., 30.— 3 Luc.,XXIII,48.— 4 Ibid., 16.

 

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du libérateur qui l'a sauvé est infinie, il que cette rédemption divine n'es! pas seulement une rédemption abondante, mais surabondante : Quia apud Dominum misericordia, et copiosa apud eum redemptio (1).

Qu'est-ce donc proprement que la croix de Jésus-Christ? le siège de la grâce et le trône de la miséricorde. Et quelle  leçon plus importante ai-je là-dessus à vous faire, que celle de l’Apôtre, par où je conclus : Habentes ergo Pontificem magnum, Jesum Filium Dei, teneamus confessionem (2).  Ainsi,  mes Frères, ayant un aussi grand pontife que le Seigneur Jésus, Fils de Dieu , lequel s'est immolé pour nous, et qui dans ce sacrifice a voulu être tout ensemble et le prêtre et la victime, attachons-nous à cet article capital de notre foi; et sans nous contenter de le croire , méditons-le sans cesse et rappelons-en le souvenir, pour nous instruire, pour nous exciter, et surtout pour nous animer d'une sainte confiance en la miséricorde de notre Dieu. Quelles que soient nos misères,  ne craignons point d'être rejetés: pourquoi? en voici la raison sensible et naturelle : Non enim habemus pontificem qui non possit compati infirmitatibus nostris ; tentatum autem  per  omnia pro similitudine, absque peccato (3) : C'est que nous n'avons pas un pontife qui soit incapable de compatir à nos infirmités, tante de les connaître, ou qui ne les connaisse qu'en spéculation, et qui par là soit moins en état d'en être touché. N'a-t-il pas lui-même passé par toutes les épreuves; et hors le péché, qu'y a-t-il en quoi il ne se soit rendu semblable à nous? Encore a-t-il voulu porter l'image du péché, et mourir sous la figure de pécheur. Adeamus ergo cum fiducia ad thronum gratiœ, ni misericordiam consequamur, et  gratiam inveniamus in auxilio opportuno (4) : Allons donc, Chrétiens, allons à la croix dans tous nos besoins, et comptons que nous y serons toujours secourus à propos et selon nos nécessités présentes.

Solide dévotion que je voudrais renouveler dans le christianisme, ou du moins parmi tous, mes chers auditeurs : la dévotion au crucifix. C'est là que nous trouverons des grâces de toutes les sortes, puisque Dieu les y a toutes renfermées. Ce n'est pas sans mystère qu'un Dieu mourant, ou qu'un Dieu mort, y parait les bras étendus et le côté percé d'une lance. Il veut, en nous tendant les bras, nous embrasser tous ; et dans la plaie de son sacré cote il veut, connue dans un asile certain, nous

 

1 Psal., CXXlX, 7.  — 2 Hebr., IX, 11.— 3 Ibid., 15.— 4 Ibid., 16.

 

recueillir tous. Je dis tous, et c'est ce que je ne puis trop vous redire, afin que nul ne l'ignore : car malheur à moi, si par une erreur insoutenable, et contre tous les témoignages des divines Ecritures, j'entreprenais de prescrire des bornes aux mérites et à la miséricorde de mon Sauveur ! Sommes-nous dans l'état du péché, séparés actuellement de Dieu et depuis longtemps par le péché; c'est au pied du crucifix que nous recevrons des grâces de pénitence et de conversion, qui nous ouvriront les yeux de l'âme pour voir la grièveté de nos désordres, et qui nous amolliront le cœur pour les détester et les pleurer. Quelque éloignés que nous soyons du salut, nous ne pouvons l'être plus que les Juifs et que les bourreaux de Jésus-Christ : or, combien néanmoins de ces Juifs si endurcis, et de ces bourreaux si intraitables et si barbares, conçurent auprès de la croix des sentiments de repentir, et ne se retirèrent qu'en se frappant la poitrine 1 Sommes-nous dans l'heureux état de la justice chrétienne, fidèles à la loi de Dieu, et par là même amis de Dieu ; c'est au pied du crucifix que nous recevrons des grâces de persévérance et de sanctification, qui nous affermiront dans la pratique de nos devoirs, et qui nous élèveront aux plus sublimes vertus. Les saints nourrissaient là leur piété, y allumaient leur ferveur, y amortissaient le feu de leurs passions, y puisaient des forces contre toutes les attaques de leurs ennemis invisibles, et contre toutes leurs tentations. Si l'affliction nous abat, et que les peines, soit intérieures, soit extérieures, nous rendent la vie amère, et nous plongent dans la tristesse et dans l'accablement, c'est au pied du crucifix que nous recevrons des grâces de soutien et de consolation, qui nous relèveront, qui nous remettront dans la tranquillité et la paix, qui nous adouciront les douleurs les plus vives et les maux les plus cuisants. Une âme est étonnée d'un changement quelquefois si prompt et si subit. On avait apporté aux pieds de Jésus-Christ un cœur troublé, un cœur agité, un cœur serré, un cœur flétri et désolé; mais dans un moment tout se calme, tout s'éclaircit : ce cœur, à la présence de son Dieu crucifié, revient à lui-même, se reconnaît, se reproche sa faiblesse, reprend une vigueur toute nouvelle, et se rétablit dans un repos inaltérable.

De vouloir ici parcourir tous les antres avantages que nous procure ce recours fréquent et dévot au crucifix, ce serait m'engager dans un trop long détail. Heureux qui fait de la croix, ou plutôt de Jésus attaché à la croix, son confident,

 

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son conseil, son maître, son docteur, son pasteur, son guide, son directeur, son médecin, son tout! car Jésus-Christ seul lui sera tout; tout dans la vie, et tout à la mort. Pesez bien, Chrétiens, cette dernière : tout à la mort. Quand il sera venu, ce jour qui doit finir sur la terre toute la suite de vos jours; quand on vous aura fait entendre cet arrêt, dont tout homme, quelque saint qu'il soit, est effrayé : Vous mourrez; ou sans qu'on prenne soin de vous l'annoncer, quand une défaillance entière de la nature vous le fera malgré vous sentir, quand aux approches de ce terrible moment, le passé, le présent, l'avenir, mille objets s'offriront à votre pensée pour vous affliger, pour vous inquiéter, pour vous consterner, ah ! mon cher Frère, où sera votre ressource alors, où sera votre réconfort? dans le crucifix. Où adresserez-vous vos regards et où porterez-vous vos soupirs? vers le crucifix. Qu'exposera-t-on à votre vue, que vous mettra-t-on dans les mains, que vous appliquera-t-on sur les lèvres? le crucifix. Quel nom vous fera-t-on prononcer? le nom de Jésus, et de Jésus crucifié. Ce sera là le fond de votre espérance, si dès maintenant vous en faites le sujet le plus ordinaire de vos pieux exercices, de vos entretiens les plus intimes, et de vos plus affectueuses considérations. Plaise au ciel que vous vous disposiez de cette sorte, à passer des bras de Jésus-Christ mourant en croix, entre les bras de Jésus-Christ vivant et triomphant dans la gloire, où nous conduise, etc.

 

FIN   DES  EXHORTATIONS.

 

 

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