EXHORTATION CHARITÉ II

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DEUXIÈME EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES.

ANALYSE.

 

Sujet. Le bon grain, c'est la parole de Dieu.

 

Ce bon grain, cette parole de Dieu se dispense encore à certains jours dans les assemblées de .charité, et dans les exhortations que les prédicateurs, figurés par le laboureur de l'Evangile, y font en faveur des pauvres. Mais d'où vient qu'on en retire si peu de fruit? c'est ce qu'il faut présentement examiner.

 

Division. Dans les différentes qualités de la bonne ou de la mauvaise terre où le grain est jeté, nous pourrons reconnaître les divers caractères des personnes qui assistent aux assemblées de charité et aux exhortations qu'on y fait; et de là nous apprendrons pourquoi les pauvres retirent si peu d'avantage de tant de discours. Point d'autre partage de cet entretien.

I Le laboureur alla semer son grain. Celait de bon grain; mais d'abord une partie de cette semence tomba près du chemin : les passants la foulèrent aux pieds, et les oiseaux la mangèrent. Qu'est-ce que ce grand chemin ouvert à tout le monde? Ce sont ces âmes volages et dissipées, qui apportent aux assemblées de charité un esprit distrait et sans arrêt. Tout ce qu'on leur dit en faveur des pauvres ne fait nulle impression sur leur cœur. Elles n'en profilent, ni pour la réformation de leur vie, ni pour le soulagement des pauvres.

A cette dissipation, que doivent-elles opposer? Le remède d'une sérieuse réflexion.

II.  Une autre partie du grain tomba sur les pierres. Image de ces âmes dures que rien ne peut émouvoir. On a beau leur représenter les besoins des pauvres, elles y sont insensibles. S'agit-il d'elles-mêmes, elles sont délicates jusqu'à l'excès. S'agit-il d'autrui, elles n'y prennent aucune part.

Caractère de dureté, dont nous avons un exemple dans le mauvais riche, et que Dieu punit très-sévèrement.

III.  Il y eut encore du grain qui tomba au milieu des épines. Ces épines, selon l'explication même de Jésus-Christ, ce sont les passions du siècle ; et ces passions, suivant la pensée du même Sauveur, se réduisent à trois espèces, savoir : l'inquiétude des soins temporels, la cupidité ou le désir empressé d'amasser les biens de la terre, et l'attachement aux plaisirs de la vie. Trois obstacles qui énervent toute la force de la parole de Dieu, trois sortes d'épines qui étouffent la charité dans les cœurs.

Sur cela trois avis : 1° Point de soin plus essentiel que celui de satisfaire aux devoirs de la charité; 2° la charité est récompensée par les trésors du ciel, et même par les biens de ce monde; 3° de tous les plaisirs, le plus doux doit être de soulager les affligés.

IV.  Il y eut une bonne terre où le grain tomba et où il profita; et il y a des âmes où la parole de Dieu opère et produit des œuvres de charité, mais avec cette différence marquée dans la parabole de l'Evangile, qui est qu'elles rendent, les unes trente, les autres soixante, et d'autres cent pour un. C'est-à-dire que les unes se bornent précisément au précepte de l'aumône; que les autres ajoutent aux aumônes d'obligation des aumônes de subrogation, et que d'autres enfin vont jusqu'à une espèce de profusion.

Or, de quel nombre sommes-nous? c'est ce que nous devons sérieusement examiner devant Dieu, qui lui-même nous en fera rendre un compte très-exact.

 

Semen est verbum Dei.

Le bon grain, c'est la parole de Dieu. (Saint Luc, chap. VIII, 11.)

 

Dans l'engagement où je suis de contribuer par mon ministère à ce qui doit toujours être la fin de cette assemblée, je veux dire au soulagement des pauvres, j'ai cru, Mesdames, ne pouvoir rien faire de mieux que de m'attacher à l'Evangile de cette semaine ; j'y trouve un fonds d'instruction dont j'espère que vous serez édifiées, et qui m'a paru très-naturel pour vous inspirer le zèle de la charité envers ceux que vous devez considérer comme vos frères et comme les domestiques de la foi.

C'est la parabole du bon grain, dont Jésus-Christ s'est servi pour expliquer au peuple qui l'écoutait un des plus excellents mystères du royaume de Dieu, et une des vérités les plus solides de notre religion. Celui qui sème, disait ce Sauveur adorable, est sorti pour aller semer son grain : et une partie de  cette semence est tombée le long du chemin, où les passants l'ont foulée aux pieds, et où les oiseaux du ciel l'ont enlevée. Une autre partie est tombée sur des pierres, où, manquant de suc et d'humidité, elle s'est tout à coup desséchée; une autre au milieu des épines, et les épines l'ont empêchée décroître; la dernière, dans une bonne terre : elle y a pris racine, elle y a germé, elle y a produit une ample moisson et rapporté au centuple. Or Jésus-Christ, parlant de la sorte, criait à haute voix : Que celui-là entende, qui .a des oreilles pour entendre : Qui habet mires audiendi, audiat. Expression dont usait communément ce divin Maître, venant de déclarer quelqu'une de ces maximes importantes qui demandaient un cœur docile et un esprit attentif pour les comprendre et pour en profiter.

Ouvrons   donc,   Mesdames,   ouvrons   nos cœurs, et recueillons toute l'attention de  nos

 

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esprit?, pour bien entrer dans le sens de cette figure, et pour nous appliquer les salutaires enseignements qui y sont renfermés. Qu'est-ce que ce bon grain? Vous savez que, selon l'interprétation même de Jésus-Christ, c'est la parole de Dieu : Semen est verbum Dei. Et en effet, la parole de Dieu est une précieuse et divine semence, dont la vertu n'a point de bornes si nous ne l'arrêtons, et dont la fécondité est infinie lorsqu'elle trouve des âmes préparées à la recevoir, et à la laisser agir dans toute sa force. Mais cette semence, toute divine et toute précieuse qu'elle est, devient tous les jours dans le christianisme la plus infructueuse et la plus stérile : pourquoi ? parce qu'il y a bien peu de chrétiens où elle rencontre les dispositions nécessaires pour y opérer ces fruits merveilleux de grâces qui lui sont propres, et qui ont autrefois enrichi le champ de l'Eglise. Juste sujet des plaintes et de la douleur des ministres évangéliques ; désordres qu'ils ne cessent point de déplorer, et que nous pouvons regarder comme le principe de la corruption des mœurs du siècle. Je ne m'en tiens pas là néanmoins, Mesdames; cette morale est trop commune et trop vague : mais voici le point particulier qui vous concerne, et dont j'ai à vous entretenir. C'est un usage saintement établi, que chaque mois on emploie la parole de Dieu à exciter votre charité pour les pauvres. Vous assistez à nos exhortations, et cependant nous ne voyons pas que les aumônes augmentent, ni que les pauvres en soient plus secourus. D'où vient cela ? d'où vient, dis-je, que cette parole de charité qui vous est si souvent annoncée n'a pas dans la pratique toute l'efficace qu'elle peut avoir et qu'elle doit avoir? c'est ce que je veux examiner avec vous : je suivrai par ordre mon évangile. Dans les différentes qualités de la bonne et de la mauvaise terre où le grain est jeté, je vous représenterai les divers caractères des personnes qui s'assemblent ici avec une assiduité dont nous pourrions tout attendre, si l'expérience ne nous avait appris que les effets n'y répondent pas. De là vous connaîtrez quelle est la source du mal, c'est-à-dire pourquoi les pauvres retirent si peu d'avantage de tant de discours qu'on vous l'ait en leur faveur; et, par une bénédiction toute nouvelle que Dieu donnera à sa parole, j'ose espérer que vous travaillerez avec plus d'ardeur que jamais à soulager les misères publiques. Voilà, sans autre partage, tout mon dessein.

I. Le laboureur alla semer son grain. C'était de bon grain, c'était une semence capable de fournir au père de famille une abondante récolte, et de remplir ses greniers : mais d'abord une partie de cette semence tomba près du chemin ; les passants la foulèrent aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent. Qu'est-ce, Mesdames, que ce chemin ouvert à tout le monde ? Vous le voyez : ce sont ces âmes volages et dissipées, qui donnent à tout sans réflexion, et qui apportent à ces assemblées un esprit distrait et sans arrêt. Soit que cette dissipation leur soit naturelle, et qu'elles soient nées avec ce caractère de légèreté ; soit qu'il faille l'attribuer à une disposition et à une mauvaise habitude qu'elles aient contractées ; quoi que ce puisse être, elles ne s'intéressent guère aux bonnes œuvres dont on leur prêche l'obligation et l'indispensable nécessité. Je m'explique.

Elles viennent aux assemblées de charité ; elles entendent ce qu'on leur dit des besoins extrêmes des pauvres, elles en sont même touchées, ou elles le paraissent. Mais ces impressions passagères s'effacent bientôt. Dans un moment elles les ont reçues, et dans un moment elles les perdent. Le démon, ce lion rugissant qui tourne sans cesse autour de nous pour nous surprendre, leur enlève du cœur la sainte parole qu'elles devaient remporter avec elles, et dont elles devaient faire la matière de leurs méditations : Venit diabolis, et tollit verbum de corde eorum, ne credentes salvi fiant (1). Car il ne prévoit que trop, ce dangereux ennemi des âmes, quelles pourraient être, pour leur salut, les suites heureuses et les conséquences de cette parole bien repassée, bien considérée, bien appliquée. Il ne sait que trop qu'elle pourrait devenir ainsi le principe de leur conversion et de leur sanctification : Ne credentes salvi fiant.

En effet, si, lorsqu'elles ont entendu le ministre de l'Eglise, elles sortaient bien persuadées que c'est Dieu même qui leur a parlé, et qu'il ne leur reste plus que de mettre en pratique ce qu'on a pris soin de leur enseigner et de leur remontrer; si, comprenant un de leurs devoirs les plus essentiels, elles pensaient sérieusement à procurer aux pauvres toute l'assistance qu'elles sont en état de leur donner; si, respectant et envisageant Jésus-Christ dans la personne de ces pauvres, elles s'affectionnaient à les prévenir, à les chercher, à les visiter; si, non contentes d'une vue superficielle et d'une connaissance générale, elles entraient dans le détail de ce

 

1 Luc, III, 12.

 

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qu'ils ont à souffrir, et qu'elles se fissent une dévotion d'y remédier autant qu'il leur est possible, et de n'y rien épargner de tout ce que leurs facultés leur permettent : ab ! Mesdames, ce serait là le commencement d'un retour sincère et parfait à Dieu. Chaque pas qu'elles feraient pour les pauvres, serait compté par le père et le tuteur des pauvres. Dieu, mille fois plus libéral qu'elles ne peuvent l'être, répandrait sur elles ses grâces, à mesure qu'elles répandraient sur les membres de Jésus-Christ leurs largesses ; et avec ces grâces, de quels égarements ne reviendraient-elles pas ? quelles difficultés ne surmonteraient-elles pas? J'oserais alors répondre d'une réformation entière de leur vie ; et j'en aurais pour garants tant de promesses si expresses, si solennelles, et si souvent réitérées dans l'Ecriture ; j'en aurais pour garants tant de pécheurs qui n'ont point eu d'autre ressource, et qui, du plus profond abîme où ils étaient plongés, sont parvenus, avec le secours de l'aumône et parles pratiques d'une solide pénitence , à la plus sublime perfection. Or voilà à quoi elles ne font nulle attention, parce que l'esprit séducteur, cet esprit de ténèbres, les aveugle , et qu'il leur ôte toutes ces pensées si utiles pour elles, mais si contraires à ces entreprises : Et tollit verbum de corde eorum, ne credentes salvi fiant.

Je dis plus, Mesdames ; et sans que le démon s'en mêle ( car combien de choses lui imputons-nous que nous ne devons imputer qu'à nous-mêmes?), sans, dis-je, que le démon y ait part, le monde, par tous les objets qu'il leur présente et où elles se portent, les détourne des saints exercices de la charité chrétienne. Comme leur cœur est dans un perpétuel épanchement, et qu'il s'attache à tout ce qui leur frappe les yeux, ce qu'on leur a dit du triste état où sont réduits les pauvres, des maux qu'ils endurent et qu'ils auront encore à endurer, des soulagements qu'ils attendent, et qu'elles ne peuvent, sans crime, leur refuser ; tout cela s'échappe en un moment pour faire place à d'autres idées, à d'autres entretiens , à de vaines occupations et aux plus frivoles amusements. Ce qu'il y a de plus déplorable , c'est que, par l'habitude qu'elles se sont faite de ne rentrer jamais en elles-mêmes, et de mener une vie tout extérieure, elles n'en ont pas le moindre scrupule, et qu'elles ne se reprochent pas une fois devant Dieu cette dissipation. S'en accusent-elles au saint tribunal? mettent-elles au nombre de leurs péchés d'avoir par là rendu inutiles tant d'instructions, et par là même d'avoir si longtemps vécu dans l'indifférence à l'égard des pauvres? elles seraient étonnées qu'un confesseur leur fit sur cela quelque peine, et elles ne s'accommoderaient pas d'une morale qui leur paraîtrait si étroite, et peut-être si peu pensée.

Voilà, Mesdames , le premier abus que vous avez à corriger. Abus dont les pauvres se ressentent par le délaissement où ils se trouvent; car, après bien des assemblées, après bien des conférences et des exhortations , après que les prédicateurs ont mis en œuvre tout leur zèle et tout ce qu'ils ont reçu de talents, la charité demeure toujours également languissante, et chaque jour même elle se refroidit davantage. Si donc la Providence a conduit ici de ces femmes mondaines dont je viens de vous faire la peinture, je m'adresse à elles en concluant cet article, et voici ce que j'ai à leur dire. C'est d'opposer au désordre de leur dissipation le remède d'une sérieuse réflexion ; c'est de se persuader que cette assemblée n'est point une pure cérémonie, ni cette exhortation un simple discours, mais une instruction nécessaire , mais une instruction dont Dieu leur demandera compte, et sur laquelle il les jugera; c'est de s'examiner elles-mêmes là-dessus, et de s'examiner solidement, de voir comment elles ont jusqu'à présent satisfait au précepte de la charité envers les pauvres, de reconnaître leurs négligences passées, et de s'en confondre ; c'est de faire surtout cette recherche et cet examen dans le temps qu'elles consacrent à la prière : car, toutes dissipées qu'elles sont, elles ne laissent pas d'avoir des temps de prière ; et, par un assemblage assez étrange, plusieurs ont trouvé ou cru trouver le secret d'accorder ensemble Dieu et le monde. Mais en général, concevez bien, Mesdames, que ce que j'appelle ici dissipation, est la cause la plus universelle et la plus commune des dérèglements du siècle. Pourquoi voyons-nous tant de corruption dans le christianisme? pourquoi, dans les états même les plus chrétiens en apparence, est-on si peu chrétien ? et pourquoi parmi les personnes dévotes de profession, y a-t-il si peu de vraie dévotion ? Le Prophète nous l'apprend : Desolatione desolata est terra, quia nullus est qui recogitet corde (1) : Toute la terre est dans une affreuse désolation; tout est défiguré dans l'Eglise de Jésus-Christ ; quoiqu'elle subsiste toujours, et qu'elle soit toujours sainte et sans tache, tout y est renversé, parce qu'il n'y a plus de

 

1 Jerem., XII, 11.

 

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recueillement ni de retour du cœur sur soi-même. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore certains dehors de piété; mais, sous ces dehors, il n'y a plus ou presque plus d'esprit intérieur. Ce sont des dehors spécieux ; on prononce des paroles, on récite des offices, on lit de bons livres, on fait même l'oraison ou l'on se flatte de la faire, on en sait toutes les méthodes ; mais, dans le fond, il n'y a rien là qui parte du cœur. C'est un cœur évaporé qui ne peut se renfermer un moment en lui-même ; un cœur qui se répand continuellement, et qui laisse évanouir tout ce que Dieu, ou ceux qui tiennent la place de Dieu, lui communiquent. Ainsi, Mesdames, voulez-vous être chrétiennes, ne sortez jamais hors de vous-mêmes. C'est là que vous trouverez Dieu ; car c'est dans le cœur que Dieu habite, et qu'il veut habiter. L'action est louable, elle nous est même ordonnée ; mais il faut que la méditation la précède, qu'elle l'accompagne, qu'elle l'anime : sans la méditation, elle ne peut longtemps se soutenir. Mais reprenons notre parabole et poursuivons la comparaison que j'ai commencée.

II Une autre partie du grain tomba sur des pierres. Quelle image, Mesdames, et quel caractère! des âmes dures comme des pierres, des âmes insensibles et que rien ne peut émouvoir, des âmes sans pitié, sans humanité. Que ne leur dit-on pas pour les toucher de compassion? On leur dit qu'il y a des pauvres accablés de maladies, qui ne peuvent s'aider eux-mêmes, parce que la faiblesse les tient misérablement étendus sur la paille, et qui périssent dans leur infirmité, parce qu'ils n'ont pas de quoi reprendre leurs forces, ni le travail dont ils liraient leur subsistance. On leur dit qu'il y a de pauvres pères et de pauvres mères chargés d'enfants, qu'ils voient presque mourir de faim entre leurs bras, et qu'ils sont contraints d'abandonner nus à toute la rigueur du froid, pour leur ménager un peu de pain. On leur dit qu'il y a de pauvres artisans sans emploi, de pauvres ouvriers sans ouvrage, et par conséquent sans nourriture et sans soutien. On leur dit qu'il y a de pauvres filles exposées aux derniers malheurs, et dont elles pourraient sauver la vertu, en leur fournissant de quoi conserver leur vie. On leur dit tout cela, et bien d'autres choses; mais elles écoutent tout tranquillement, et il semble que ce soient des fictions, des contes qu'on leur débite pour les amuser.

Que dis-je, et est-il donc possible qu'il y ait des âmes de cette trempe? Oui, Mesdames, il y en a; et malgré la sainteté de la foi chrétienne, on en voit dans le sein même de la religion qui, sur ce point, sont plus infidèles que les païens mêmes. Qu'il soit question de leurs personnes , que de soins ! que de ménagements ! que de précautions ! elles sont délicates jusqu'à la mollesse. Mais qu'il s'agisse des pauvres (oserai-je parler delà sorte?), elles vont jusqu'à une espèce de barbarie et de cruauté.

Que leur demande-t-on ? Ce qui leur coûterait peu, ce qui souvent ne leur coûterait rien, ce qui ne leur est nullement nécessaire, ce qui quelquefois leur est nuisible et toujours absolument inutile. Car il ne faudrait rien de plus pour subvenir à tant de calamités dont nous sommes témoins. Avec cela les pauvres vivraient, ou plutôt il n'y aurait plus de pauvres. Mais elles aiment mieux qu'il y en ait, et qu'il y en ait une si nombreuse multitude ; elles aiment mieux que tant de familles tombent en ruine et demeurent sans ressource ; elles aiment mieux les laisser languir, pâtir, se tourmenter et se désespérer dans leur indigence, que de se dessaisir de quoique ce soit,quelque vil et quelque superflu qu'il puisse être. Voilà ce que j'appelle dureté.

Combien une femme idolâtre de son corps, et tout occupée de ses ajustements et de ses parures pourrait-elle vêtir de pauvres qui font horreur sous l'affreuse figure où ils sont forcés de se montrer, si du moins elle voulait consacrer à cette œuvre de miséricorde, non pas tout ce qu'elle donne, mais quelque chose de ce qu'elle donne à sa vanité? Combien de pauvres nourrirait-on de l'excès de certaines tables, je dis de l'excès énorme et d'une prodigalité aussi scandaleuse qu'elle est visible ? Combien y aurait-il à retrancher de telles et telles dépenses pour un jeu , pour des spectacles , pour un train , pour un équipage, pour des ameublements , pour de pures curiosités ; et combien ce retranchement profiterait-il aux pauvres , et leur épargnerait-il de chagrins et de douleurs? Vous le pouvez mieux savoir que moi, Mesdames, et en vain descendrais-je à des, particularités dont vous êtes mieux instruites que je ne le suis, et que je ne le veux être. Soyez vous-mêmes vos juges, mais des juges équitables, mais des juges sévères pour vous et compatissants pour le prochain : vous connaîtrez aisément ce qu'il y a à faire; et si vous ne le faites pas, que répondrez-vous au témoignage de votre conscience, et comment vous défendrez-vous du juste reproche d'une dureté

 

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également condamnable , et devant Dieu et devant les hommes?

Caractère de dureté dont nous avons un exemple bien mémorable et bien terrible dans le mauvais riche. Il y avait à sa porte un pauvre, c'était Lazare. Ce pauvre était tout couvert d'ulcères, et non-seulement n'avait pas de quoi guérir ses plaies, mais de quoi manger. H ne demandait que les miettes qui tombaient de la table du riche; et qui croirait qu'un si faible secours lui put être refusé? L'Evangile néanmoins nous marque qu'il ne put même obtenir cette grâce, et qu'il mourut enfin de misère. Ah ! Mesdames , au seul récit d'une pareille dureté, je m'imagine que vos cœurs se soulèvent; et quand ensuite on vous représente ce riche impitoyable au milieu des flammes, brûlé d'une soif ardente, et priant en vain qu'on lui accorde une goutte d'eau pour rafraîchir sa langue, vous ne voyez rien dans son supplice qu'il n'ait mérité, et qui excède la grièveté de son crime; mais en souscrivant à son arrêt, n'est-ce pas souscrire à celui d'une infinité de riches dont le monde est rempli ? n'est-ce pas peut-être souscrire à celui de bien des personnes qui m'écoutent? Car, il faut l'avouer, on trouve partout, mais spécialement dans les conditions riches et opulentes du siècle, de ces âmes de bronze que rien n'amollit. Les cris des pauvres frappent leurs oreilles, mais ils ne peuvent pénétrer dans leurs cœurs. On ne le comprend pas, on ne se le persuaderait pas si l'on n'en était témoin : on en est indigné, et l'on ne peut s'en taire; on en parle hautement, mais ce sont des paroles qu'elles laissent passer. Ce qui met le comble à leur dureté, c'est que ces misérables dont elles tiennent si peu de compte ne sont quelquefois devenus pauvres que pour elles, que dans leurs maisons et à leur service. Ce sont de pauvres domestiques; ce sont de pauvres manœuvres, ce sont de pauvres marchands à qui elles doivent, et qu'elles n'ont jamais payés qu'en promesses; différant toujours, éludant toujours les instances qu'on leur fait, et se rendant tout à la fois coupables d'un double attentat, l'un contre la charité, et l'autre contre la plus étroite justice. Or, si la naissance , si le rang, si l'autorité les met présentement à couvert de tout, qui pourra les garantir de la formidable menace du Saint-Esprit ? L'avez-vous jamais entendue,  Mesdames? c'est une grande matière à vos réflexions : Cor durum habebit male in novissimo (1). La mort viendra , et c'est alors que les

 

1 Eccli., III. 27.

 

cœurs durs porteront la peine qui leur est due. Autant qu'ils se seront endurcis aux malheurs des pauvres, autant Dieu les laissera-t-il s'endurcir à leur propre malheur. Car voilà souvent ce qui leur arrive par une malédiction particulière du ciel. Nul sentiment de piété, à cette heure où toute la piété de l'âme chrétienne doit se réveiller. On dirait que c'est un abandonnement entier de Dieu, qui, dès cette vie, les réprouve. Mais sans qu'il les réprouve dès cette vie, à quelle réprobation les destine-t-il dans l'autre ? Je vais trop loin , Mesdames, et il semble que dans une assemblée comme celle-ci je ne devrais promettre que des récompenses. Mais entre les âmes charitables qui la composent, et dont je ne puis assez louer le zèle, il peut s'en trouver à qui la menace que je vous fais entendre soit nécessaire. Dieu le sait, et il les connaît. Puissent-elles se bien connaître elles-mêmes ! Cependant, aux deux caractères que je vous ai tracés, ajoutons-en un troisième.

III. Il y eut encore du grain qui tomba au milieu des épines. Ne cherchons point, Mesdames, d'autre explication que celle même du Sauveur du monde : ces épines, ce sont les passions du siècle; passions aveugles et turbulentes, qui troublent une âme, qui l'agitent de telle sorte, qu'elles étouffent toute la divine semence, et qu'elles émoussent tous les traits de la parole de Dieu. Or, selon la pensée de Jésus-Christ, ces passions se réduisent surtout à trois espèces ; l'inquiétude des soins temporels, la cupidité ou le désir empressé d'amasser les biens delà terre, et l'attachement aux plaisirs de la vie : trois obstacles qui énervent toute la force de la parole de Dieu ; trois sortes d'épines qui éteignent la charité dans les cœurs. C'est ce que l'expérience nous fait voir sensiblement; c'est ce que vous avez reconnu vous-mêmes en mille occasions, ou ce qu'il ne tenait qu'à vous de reconnaître.

Car comment vient-on à ces assemblées de charité, et qu'y apporte-t-on ? On y vient avec un esprit tout rempli des affaires du monde, dont on est uniquement occupé, et dont on se plaint même d'être accablé ; on les apporte toutes avec soi, et l'on s'en laisse tellement obséder, qu'on est incapable d'aucune autre réflexion. Nous parlons pour l'intérêt des pauvres, nous exposons leurs pressantes nécessités, nous élevons la voix, nous conjurons, nous exhortons ; mais s'attache-t-on à nous suivre ? Au lieu de prendre avec nous des mesures pour les pauvres, on en prend intérieurement avec

 

15

 

soi-même : et pour qui? pour soi-même. Dans un silence profond, il paraît qu'on s'applique à nos instructions : mais l'esprit est bien loin de nous ; il s'entretient d'un projet qu'on a formé, d'une entreprise où l'on s'est engagé, d'un ménage qu'on a à conduire, de toutes les choses   humaines qui touchent personnellement , et sur quoi l'on doit veiller. Encore si l'on se bornait à ses affaires propres , qui sont de l'ordre de Dieu ; mais, par je ne sais quelle démangeaison de se mêler de tout, on s'ingère en mille intérêts et en mille intrigues qui regardent celui-ci ou celle-là, sans que de soi-même on ait rien à y voir, ni rien à y prétendre. Encore si l'on s'en tenait aux devoirs de son état ; mais, par une envie démesurée de décider, de dominer, de se rendre important et nécessaire, on se livre à tout ce qui se présente, souvent même à ce qui ne se présente pas , et où l'on n'est point appelé. Après cela, l'on s'excuse du soin des pauvres, et l'on n'a pas , dit-on, le loisir d'y vaquer. On ne l'a pas, j'en conviens ; mais pourquoi ne l'a-t-on pas? Parce qu'on ne veut pas l'avoir; parce qu'on se surcharge volontairement   d'occupations   inutiles ;   parce qu'on dérobe aux pauvres le temps qu'on leur doit, pour le prodiguer ailleurs où on ne le doit pas, et pour en faire un usage criminel, dès qu'il leur est si préjudiciable. Voilà ce qu'on n'a jamais bien compris et ce que jamais on ne comprendra, tant qu'on ne nous écoutera point d'un sens plus rassis, et avec plus de tranquillité.

Car comment vient-on à ces assemblées de charité, et qu'y apporte-t-on ? On y vient avec un cœur possédé de l'amour des biens périssables, et l'on y apporte une insatiable convoitise ; ce ne sont que désirs ardents et sans régie, que vues secrètes de gagner, d'accumuler, de s'enrichir. De là, on n'entend guère volontiers parler de l'aumône , et l'on n'est guère disposé à seconder les bonnes intentions du prédicateur sur cette matière. Si des personnes zélées, sages et fidèles, après avoir parcouru dans un quartier tout ce qu'il y a de pauvres maisons, disons mieux, de pauvres cabanes et de tristes réduits où l'indigence demeure cachée, rapportent exactement ce qu'elles ont vu, et témoignent sur cela leurs sentiments, on se figure qu'elles exagèrent, et l'on se met en garde contre leurs sollicitations ; on voudrait pouvoir s'absenter de toutes ces conférences, et telle y assiste par respect humain, et parce qu'elle y est invitée, qui souhaiterait  d'avoir des prétextes pour n'y paraître jamais : pourquoi ? C'est qu'elle n'aime pas à donner, et qu'elle ne peut néanmoins honnêtement s'en défendre; c'est qu'elle regrette tout ce qui sort de ses mains, et qu'elle serait charmée de l'y retenir et d'en grossir ses épargnes ; c'est qu'elle regarde ce qu'on lui demande comme une contribution onéreuse , comme un impôt, comme une taxe ; c'est que, prenant ici place parmi les autres, elle a beaucoup moins en vue d'y répandre les dons de sa charité, que de garder certaines bienséances, et de sauver du reste tout ce que l'honneur lui permettra de ménager.

Enfin, comment vient-on à ces assemblées de charité, et qu'y apporte-t-on ? On y vient avec une âme toute sensuelle, et l'on y apporte toutes les dispositions d'une mondanité voluptueuse : je ne dis pas voluptueuse jusqu'aux excès grossiers ; mais voluptueuse dans l'attachement aux aises et aux commodités de la vie, aux plaisirs du siècle et à ses divertissements, mais voluptueuse dans la recherche de ce qui peut causer de la joie, de ce qui peut faire passer le temps sans ennui et avec agrément; mais voluptueuse dans la bonne chère, dans les visites, dans les conversations, dans les promenades. Accoutumé à n'avoir dans l'esprit que des idées qui réjouissent, à n'entendre que des entretiens qui plaisent, on se dégoûte d'abord de ces discours, où il n'est question que de pauvreté, que d'adversités, que de souffrances : ce sont des sujets trop sérieux, ce sont des images qui attristent ; on en craint les impressions, et l'on ne cherche qu'à les effacer promptement de son souvenir.

Or sur tout cela, Mesdames, voici trois avis que je vous prie de n'oublier jamais. Sont-ce les soins temporels qui vous inquiètent et qui vous détournent? Je prétends qu'il n'y en a point de plus indispensables pour vous, que celui de satisfaire à l'un des commandements de Dieu les plus formels et les plus exprès, qui est de fournir à Jésus-Christ même dans ses frères, dans ses membres, dans son corps mystique, ce qui lui manque. D'où je tire, et vous devez tirer avec moi cette première règle, que si le soin des pauvres ne peut compatir avec les autres soins, il faut qu'une femme chrétienne retranche des autres soins tout ce qu'il y a d'excessif, tout ce qu'il y a de moins nécessaire et de moins utile, tout ce qu'il y a d'étranger à sa condition et d'accessoire, afin de ne pas abandonner le soin des pauvres. Prenez cette mesure, et, selon ce principe, arrangez toutes les occupations de votre vie, vous

 

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trouverez pour les pauvres tout le temps qui leur convient. Sont-ce les biens de la terre et des vues d'intérêt qui vous resserrent à l'égard des pauvres? Là-dessus je vous dis deux choses, fondées l'une et l'autre sur la parole du Saint-Esprit : premièrement, qu'il y a dans le ciel des trésors infinis et mille fois plus précieux promis aux âmes secourables, comme leur récompense éternelle ; et qu'en ce sens, donner aux pauvres, c'est acquérir, c'est s'assurer un profit immense et un fonds inépuisable de richesses : secondement, que rien, même par rapport aux affaires présentes et à leur succès, n'attire plus de bénédiction que l'aumône ; et que souvent Dieu, dès ce monde, rend au double ce qu'il a reçu par le ministère des pauvres. Sont-ce les plaisirs du siècle qui vous touchent et qui vous attachent? Hé! Mesdames, est-il pour des âmes bien nées un plaisir plus doux que de consoler des affligés, que d'essuyer leurs larmes, que de leur rendre le calme, la paix, la santé, la vie ; que d'être, après Dieu, leur espérance, leur refuge, leur bonheur ? Servez ici de témoins, vous qui l'avez goûté ce plaisir si pur, ce plaisir si digne d'un cœur chrétien ; dites-nous ce que vous avez senti, lorsque, entrant dans de pauvres retraites, et y paraissant l'aumône à la main, vous avez vu la sérénité se répandre sur tous les visages ; que vous avez vu pères, mères, enfants, rassemblés autour de vous, vous accueillir comme des anges envoyés du ciel ; que vous avez vu des malades reprendre leurs forces, et revoir le jour qu'ils semblaient avoir déjà perdu. En arrêtant le cours de tant de pleurs qu'arrachaient la tristesse et les douleurs les plus amères, avez-vous pu retenir les vôtres, qu'une onction toute sainte et toute divine faisait couler? C'est à vous à nous l'apprendre ; et qui ne vous en croira pas n'a, pour se convaincre, qu'à se mettre en état d'en faire la même épreuve que vous. Achevons.

IV. Tout le grain ne demeura pas sans fruit. Il y eut une bonne terre où il tomba, où il leva, où il profita ; et il y a des âmes où la parole de Dieu, favorablement écoutée et soigneusement conservée, produit des œuvres de charité dont l'Eglise tire autant d'édification, que les pauvres d'assistance et de consolation. Oui, Mesdames, il y en a dans cette assemblée, et à Dieu ne plaise que je leur refuse les justes éloges que je leur dois comme ministre du Seigneur, et comme prédicateur de la miséricorde ! Mais entre ces âmes même éclairées de la foi, et en qui la foi opère par la charité, nous pouvons encore distinguer différents degrés : car, pour ne rien omettre de toutes les leçons contenues dans la parabole de notre Evangile, prenez garde que le grain ne rapporta pas également dans toute la bonne terre où il fut jeté. Là, dit notre adorable Maître, il ne rendit que trente pour un : Aliud trigesimuni ; ailleurs il donna soixante pour un : Aliud sexagesimum ; mais en quelques endroits la récolte alla jusqu'à cent pour un : Aliud vero centesimum ; tout ceci est mystérieux, et trois mots en vont développer tout le mystère.

Une âme touchée de l'exhortation qu'elle est venue entendre, et persuadée du précepte de l'aumône, veut l'accomplir à la lettre, parce qu'elle comprend que, sans la charité, il n'y a point de salut ; mais du reste, contente d'observer la loi, elle se borne précisément à l'obligation, elle examine ses forces, et elle y proportionne ses charités. En cela que fait-elle ? elle ne produit que trente pour un : Aliud trigesimum ; c'est toujours beaucoup, mais ce n'est point assez ; et, plus libérale encore , une âme ajoute à ces aumônes d'obligation des aumônes de surérogation. Soit qu'elle craigne de se tromper en se tenant à l'étroite mesure du précepte, et de n'en pas remplir toute l'étendue; soit que le feu de sa charité lui dilate le cœur, et la porte à donner plus que moins, parce que le plus qu'elle donnera ne répondra jamais à la charité de Jésus-Christ pour elle; quoi que ce soit, elle ne compte, ni avec Dieu, ni avec les pauvres ; elle répand ses dons abondamment, elle les multiplie, et en cela que fait elle? elle rend soixante pour un : Aliud sexagesimum. N'est-ce pas tout? non, Mesdames, et la charité, quand une fois elle est bien allumée, et qu'elle se laisse emporter à l'ardeur qui l'anime, ne 'connaît plus, pour ainsi dire, de règle, et n'en suit plus. Autant la cupidité est avide pour attirer tout à soi et pour ne rien relâcher , autant cette charité évangélique, cette charité vive et enflammée , est-elle toujours prête à se défaire de tout et à tout quitter. Une telle âme ne possède rien, ou ne pense pas posséder rien en propre ; elle n'a rien qui n'appartienne aux pauvres , ou qu'elle ne croie leur appartenir. Parlez-lui de précaution , de prévoyance pour elle-même, c'est un langage qu'elle ne conçoit pas ; mais proposez-lui quelque pratique de charité, c'est là qu'elle vole, et qu'elle devient saintement prodigue. Or, en cela, que fait-elle? elle rapporte jusqu'à cent pour un : Aliud vero centesimum. On en a vu de ce caractère, Mesdames;

 

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et si ce sont des exemples rares, ce ne sont point des exemples imaginaires ni supposés ; on a vu de ces filles, de ces femmes de miséricorde, suivant l'expression de la Sagesse, dont les charités, ou plutôt, dont les saintes prodigalités n'ont jamais manqué : dans une fortune médiocre, et bien au-dessous de leur naissance, elles ont toujours trouvé des misères à soulager ; et, par un miracle du ciel, avec un pouvoir en lui-même très-limité, elles pouvaient tout, elles ont tout entrepris et tout exécuté ; leur mémoire encore récente est en vénération parmi nous, et leurs noms, consacrés par l'aumône, seront éternellement écrits dans le livre de vie.

Voilà, Mesdames, de grands modèles pour vous; mais sans qu'il soit absolument nécessaire d'atteindre à cette souveraine perfection de la charité, du moins devez-vous voir de quel nombre vous êtes, et ce qui peut vous convenir dans toute cette application de la parabole du bon grain; du moins devez-vous, en vous examinant devant Dieu, dans l'esprit d'une véritable et solide religion, rentrer en vous-mêmes, et tâcher de découvrir vos dispositions intérieures, soit pour les corriger, soit pour les perfectionner. Il ne dépend pas du laboureur qui sème le grain que la terre soit bonne ou,mauvaise ; toute son habileté est à rechercher la bonne, dont il peut lui revenir du profit, et à laisser la mauvaise, dont il n'aurait rien à espérer. Mais il n'en est pas ainsi de nous. Dans l'obligation où nous sommes de porter des fruits tels que Dieu les demande, c'est à nous, dit saint Grégoire , d'y préparer nos cœurs, afin que nos cœurs soient des sujets propres à recevoir la précieuse semence de la parole de Dieu ; c'est à nous, avec le secours de la grâce, à les disposer et à les former. Si donc, Mesdames, vous étiez, ou de ces âmes dissipées, ou de ces âmes dures, ou de ces âmes volontairement esclaves de la cupidité et de la volupté, c'est à vous d'en répondre à Dieu ; c'est à vous que Dieu s'en prendra, et par conséquent c'est à vous de vous réformer là-dessus, et d'y apporter le remède : car, de toutes les excuses que vous pourriez alléguer pour vous justifier devant Dieu du peu de fruit que sa parole aurait produit en vous , surtout au regard des pauvres, il n'en est point de plus frivole que de lui dire : Seigneur, je n'y faisais pas assez de réflexion, et je n'y pensais pas ; Seigneur, je n'étais pas naturellement tendre ni compatissante ; Seigneur, j'avais d'autres soins, d'autres affaires dans le monde ; j'aimais mon plaisir, et il m'entraînait. C'est en cela même, vous répliquerait-il, qu'a consisté votre désordre ; en ce que vous ne vous êtes jamais fait nulle violence pour fixer la légèreté de votre esprit, et pour en arrêter les continuelles évagations ; en ce que vous n'avez jamais combattu la dureté de votre cœur, ni fait nul effort pour le fléchir ; en ce que vous vous êtes chargées de mille soins qui ne vous regardaient pas, et abîmées dans des affaires que vous pouviez prendre avec plus de modération ; en ce que votre plaisir vous a dominées et que vous ne vous êtes point mises en peine des maux d'autrui, pourvu que vous n'eussiez rien à souffrir vous-mêmes, et que vous puissiez toujours vivre commodément ; c'est là encore une fois, votre crime : or prétendez-vous qu'un désordre soit la justification d'un autre désordre?

Ce serait une erreur, Mesdames, et une erreur d'autant plus pernicieuse , qu'en vous trompant elle ne vous garantirait pas des jugements de Dieu. Mais ce qui vous en préservera, c'est un renouvellement de ferveur, qui vous applique encore avec plus de vigilance et plus de constance à vos charitables exercices. Ainsi, la parole de Dieu que je vous ai annoncée, cette exhortation vous sera également utile, et aux pauvres. Les pauvres en profiteront pour cette vie passagère et mortelle, et vous en profiterez pour une vie durable et immortelle ; elle sera salutaire aux pauvres selon le corps, et elle vous sera salutaire selon l'âme ; les pauvres en retireront quelque soutien dans le temps, et elle vous fera acquérir une gloire infinie dans l'éternité, où nous conduise, etc.

 

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