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PREMIÈRE EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS UN SÉMINAIRE.

 

ANALYSE

 

Sujet. Marie-Madeleine prit une livre d'huile de senteur, d'un nard excellent et de grand prix, et elle en arrosa les pieds de Jésus.

 

Ce que fit Madeleine pour Jésus-Christ, c'est ce que nous devons faire pour ses ministres assemblés dans cette maison, en répandant sur eux nos charités.

 

Division. Notre charité aura ces trois avantages, qu'elle sera d'un plus grand mérite auprès de Jésus-Christ que l'action même de Madeleine : première partie ; qu'elle sera d'une utilité si évidente, qu'il n'y aura point d'esprits assez critiques pour ne la pas approuver : deuxième partie ; que le fruit s'en répandra dans toute l'Eglise : troisième partie.

Première partie. Charité d'un plus grand mérite auprès de Jésus-Christ que l'action même de Madeleine. L'action de Madeleine ne fut que l'ombre, que la figure de l'aumône et de la charité chrétienne. Or, la seule ligure ayant été d'un si grand mérite auprès du Sauveur des hommes, combien plus est-il glorifié de la vérité même et de l'effet?

Madeleine ne se contenta pas de répandre ce parfum sur les pieds de Jésus-Christ : clic le répandit encore sur sa tète. Image de ce que nous faisons en assistant les ministres de l'Eglise. Les autres pauvres sont comme les pieds de Jésus-Christ; mais ceux-ci en sont comme la tète. On a du zèle pour l'ornement des autels : les tabernacles et les autels vivants du Dieu de gloire, ce sont les prêtres.

 

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Deuxième partie. Charité d'une utilité si évidente, qu'il ne peut y avoir d'esprits assez critiques pour ne la pas approuver. On jupe de l'utilité d'une entreprise par la fin et par les moyens. Or, la fin qu'on se propose ici, c'est la sanctification de l'Eglise ; et les moyens qu'on y veut employer, c'est de former de dignes ministres et d'habiles ouvriers dans la vigne du Seigneur.

Il y en a assez d'autres : mais d'habiles, de zélés, de laborieux, il y en a peu; et, c'est pour en élever qu'on travaille à l'établissement de ce séminaire, qui ne peut être fondé que sur les libéralités des fidèles.

Troisième partie. Charité dont le fruit se répandra partout. De cette maison sortiront des troupes entières de prédicateurs, de directeurs, de docteurs vertueux et savants, qui se distribueront dans toute la France, et y porteront la parole du salut et la bonne odeur de Jésus-Christ.

Il ne faut point dire qu'on a d'autres pauvres à assister : si l'on veut bien mesurer ses charités, on trouvera de quoi pourvoir aux uns et aux autres.

Il ne faut point ajouter qu'il y a d'autres séminaires dans tous les diocèses : ce sont des séminaires particuliers, mais celui-ci est comme un séminaire général. Si notre foi nous est chère, nous ne manquerons aucune occasion de l'étendre et de lui soumettre les cœurs.

 

Maria ergo accepit libram unguenti nardi pistici, pretiosi, et unxit pedes Jesu.

Marie-Madeleine prit une livre d'huile de senteur, d'un nard excellent et de grand prix, et elle en arrosa les pieds de Jésus. (Saint Jean, chap. XII, 3.)

 

C'est le témoignage que Madeleine, l'une des plus illustres pénitentes de l'Eglise de Dieu, et, si j'ose user de cette expression, l'une des plus saintes amantes de Jésus-Christ, donne à ce divin Maître des sentiments de son cœur, et de rattachement le plus pur et le plus sacré. Le parfum le plus précieux ne l'est point encore assez pour satisfaire son zèle, et il n'y a rien qu'elle voulût épargner, dès qu'il s'agît de ce Sauveur adorable dont elle a embrassé la loi, et à qui elle s'est dévouée sans réserve. Beau modèle que vous propose, Mesdames, l’Evangile de ce jour, et qui m'a paru convenir admirablement à ce que vous venez faire dans cette assemblée. C'est la charité qui vous y amène, et une charité d'autant plus relevée et plus parfaite, qu'elle regarde les prêtres du Seigneur et ses ministres. Je puis donc la comparer avec l'amour de Madeleine, et avec tout ce qu'il lui inspire aujourd'hui pour honorer le l'ils de Dieu et pour lui marquer son inviolable fidélité. Je dis plus, et je prétends même que votre charité a des avantages qui la distinguent, et voici dans une comparaison suivie tout le fonds et tout le partage de cet entretien. Jésus-Christ témoigna que l'action de Madeleine lui était agréable : Sinite illam (1) ; mais votre charité doit être encore devant lui d'un plus grand mérite : c'est la première partie. Judas et la plupart des apôtres traitèrent de prodigalité l'action de Madeleine,et en murmurèrent: Ut quid  perditio hœc (2)? mais votre charité doit être d'une utilité si évidente, qu'il ne peut y avoir d'esprits assez critiques pour ne la pas approuver : c'est la seconde partie. Enfin, toute la maison fut remplie de l'odeur du parfum que Madeleine versa sur les pieds du Sauveur du monde : Et domus impleta est ex odore

 

1 Joan., XII, 7. — 2 Matth., XXVI, 8.

 

unguenti (1) ; et le fruit de votre charité se répandra dans toute l'Eglise : c'est la dernière partie. Donnez-moi, s'il vous plaît, votre attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

C'est une témérité de vouloir faire comparaison du mérite des saints ; et saint Jérôme traite d'indiscrets et d'esprits peu sensés ceux qui entreprendraient d'examiner si de deux saints, l'un est plus grand devant Dieu que l'autre, et s'il le surpasse dans l'état de la gloire : Qui sanctorum merita stulte comparant. Mais on peut, sans imprudence, et même avec sagesse,  faire comparaison des bonnes œuvres et des actions des saints, en jugeant les unes   plus méritoires,   plus  louables,   plus agréables à Dieu que les autres, parce que Dieu nous a donné dans l'Ecriture des règles pour les discerner de la sorte, et les connaître. Il ne nous a pas révélé lequel des bienheureux dans le ciel est plus élevé et plus glorieux ; mais il nous a révélé, par exemple, que l'obéissance vaut mieux que le sacrifice, et qu'il faut quitter l'autel pour aller se réconcilier avec son frère. Il m'est donc ici permis de comparer la charité que vous exercez envers les prêtres de Jésus- Christ, avec l'action que fait Madeleine en répandant un parfum précieux sur les pieds du  même Sauveur ; et je ne crois point manquer au respect dû à cette sainte pénitente, ni diminuer sa gloire, quand je dis que de contribuer par vos aumônes à la subsistance des ministres de l'Eglise, c'est quelque chose encore de plus excellent dans l'estime de Dieu,  et dont il se tient infiniment plus honoré. Jésus-Christ disait bien, en parlant de sa propre personne, que celui qui croirait en lui, ferait de plus grands miracles que lui-même : Qui credit in me, opera quœ ego facio et ipse faciet, et majora horum facieti. Pourquoi  ne pourrions-nous pas dire, sans rien

 

1 Joan., XII, 3. — 2 Ibid., XIV, 12.

 

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perdre de l’humilité  chrétienne, qu'avec la grâce de Dieu, et par la grâce de Dieu nous sommes capables d'être employés à une œuvre plus importante en elle-même et plus relevée que celle de Madeleine convertie ? Non, Mesdames, ni Jésus-Christ, ni Madeleine n'en seront point offensés, pourvu que cette comparaison serve à exciter votre zèle pour la charité la plus parfaite que vous puissiez pratiquer. Or c'est là que je rapporte tout le parallèle que je vais faire de Madeleine et de vous, ou plutôt de l'action de Madeleine et de la vôtre : appliquez-vous. Jésus-Christ était dans la   maison de Marthe, et Madeleine, prenant un vase plein de parfum, le vint répandre sur les pieds de son adorable Maître ; elle les baigna de ses larmes et les essuya de ses cheveux. Tout cela, disent les Pères, était la figure de l'aumône, qui, selon toutes les Ecritures, est le précieux parfum que la charité répand sur le corps mystique de Jésus-Christ, et sur ses membres, qui sont les pauvres. Ces cheveux, dont les pieds du Fils de Dieu furent essuyés, nous représentent, dans la pensée de saint Augustin, les biens superflus qui servent ou qui doivent servir à l'entretien des pauvres. Si donc ce qui n'était encore que l'ombre, que la figure, fut néanmoins d'un tel mérite auprès du Sauveur des hommes, combien plus est-il glorifié de la vérité même et de l'effet?

Je vais plus avant, et j'ajoute que Jésus-Christ n'agréa l'action de Madeleine, que parce que c'était la figure de l'aumône et de la charité chrétienne. Car, dans le fond, cette action n'avait rien par elle-même qui dût lui plaire, ni qui répondît aux inclinations de son cœur. Il put être sensible à la piété de Madeleine, et au zèle qu'elle eut de lui en donner quelque marque : mais cette marque, de répandre sur lui des parfums, ne convenait nullement à la morale et à l'esprit de ce divin législateur, puisqu'il était venu prêcher le renoncement aux délices de la vie, et enseigner, soit par sa doctrine, soit par son exemple, l'austérité et la mortification. Pourquoi donc loua-t-il non-seulement l'intention, mais l'action de Madeleine? Parce  que l'action de Madeleine devait être pour  nous  non-seulement   la  figure,   mais l'exemplaire et le modèle d'une des plus essentielles vertus du christianisme. Or jugez par là de quel œil et avec quels sentiments cet Homme-Dieu vous voit accomplir aujourd'hui, dans un exercice réel et véritable, ce qui, de la part de Madeleine, n'était qu'une image et qu'une disposition. Jugez si vous devez envier le service qu'elle eut le bonheur de rendre à Jésus-Christ. Que dis-je? jugez si vous n'avez pas de quoi vous féliciter devant Dieu, de quoi le bénir et le remercier, de quoi lui témoigner la plus vive reconnaissance, lorsqu'il vous met en pouvoir et qu'il vous fournit les moyens et l'occasion d'agir plus selon ses affections et son gré. que cette femme si vantée toutefois dans l'Evangile, et dont l'amour fut si promptement et si abondamment récompensé par l'entière rémission de ses péchés.

Prenez garde, je vous prie : Madeleine ne se contenta pas de répandre ce parfum sur les pieds de Jésus-Christ, elle le répandit encore sur la tête de ce divin Sauveur : Et super caput ipsius recumbentis (1). Circonstance que l'évangéliste a remarquée, circonstance qui ne fut pas sans un mystère particulier, et bien propre à redoubler votre ardeur pour l'œuvre sainte à laquelle je ne puis trop fortement vous exhorter ; car entre les pauvres, qui sont les membres de Jésus-Christ, et qui composent son corps mystique,  il y en a de différents ordres. Les uns, dit saint Augustin, en sont comme les pieds, et les autres comme la tête. Ceux-là, ce sont les pauvres ordinaires, qui, quoique chers à Jésus-Christ, ne tiennent après tout dans son Eglise que le dernier rang. Mais ceux-ci, ce sont les ministres du Seigneur, ses prêtres, par qui l'Eglise est gouvernée, est conduite, est dirigée, et dont la pauvreté n'avilit ni le caractère, ni la dignité. Que fit donc Madeleine quand elle versa ce parfum sur la tête du Fils de Dieu ? Elle nous donna la première idée du devoir de charité dont vous venez vous acquitter; elle nous traça le premier plan de cet établissement que nous voyons enfin commencer, et qui ne peut être achevé que par votre secours et par vos soins; elle vous apprit à honorer et à soulager, non-seulement les pieds, mais la tête de ce grand et sacré corps, où nous sommes tous attachés en qualité de chrétiens.

Ainsi j'ai droit de vous dire en vous la montrant : Inspice, et fac secundum exemplar (2). Considérez, Mesdames, examinez, et formez-vous sur ce que l'Evangile vous met devant les yeux. Voilà votre règle, voilà votre instruction, voilà le sujet de votre imitation, et le digne sujet. Ce parfum que Madeleine répand sur les pieds de Jésus-Christ, vous fait connaître à quel usage vous devez destiner tous ces agréments de la vanité humaine, dont le sexe est si curieux, et dont le prix, quelquefois

 

1 Matth., XXVI, 7. — 2 Exod., XXV, 40.

 

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excessif, serait bien mieux employé en faveur des pauvres. Ces larmes que Madeleine verse sur les pieds de Jésus-Christ, vous apprennent i compatir aux maux du prochain, et de quels sentiments vous devez être touchées en voyant les misères des pauvres. Ces cheveux avec lesquels Madeleine essuie les pieds de Jésus-Christ, vous donnent à entendre où doit aller tout le superflu de vos biens, et qu'au lieu de se dissiper en d'inutiles dépenses, il ne doit sortir de vos mains que pour passer dans celles des pauvres.

Leçons générales; mais en voici une particulière : Inspice, et fac secundum exemplar. Madeleine ne s'en tient pas aux pieds de Jésus-Christ; et parmi les pauvres, il y en a qui sont comme les chefs du peuple de Dieu. Ce sont les pauvres, mais des pauvres respectables par leur ministère, mais des pauvres tout apostoliques , mais des pauvres spécialement chéris de Mien, qui les a établis pour être les gardiens des âmes et les pasteurs de son troupeau. C'est de ceux-là qu'il disait par le prophète Zacharie : Quiconque s'attaque à vous et vous blesse, s'attaque à moi-même, et me blesse dans la prunelle de l'œil : Qui tetigerit vos, tangit pupillam oculi mei (1). Expression qui nous marque qu'après les avoir honorés de son sacerdoce, il les honore d'une protection toute singulière ; que sa providence veille particulièrement sur eux, et que c'est surtout pour eux et pour leur subsistance qu'il vous ordonne de vous intéresser.

Ne doutez donc point, Mesdames, que votre charité envers ces oints du Seigneur, pour parler le langage de l'Ecriture : Christos meos (2) ; ne doutez point, dis-je, que votre empressement a les secourir et à les seconder ne soit une des oeuvres les plus glorieuses à Jésus-Christ, et que Jésus-Christ ne vous en tienne un compte exact. C'est répandre, non plus sur ses pieds, mais sur sa tête, le parfum le plus exquis ; car s'il a dit à ses prêtres : Celui qui vous méprise, me méprise : Qui vos spernit, me spernit (3) ; n'était-ce pas aussi leur dire conséquemment : Celui qui vous respecte, me respecte; celui qui prend soin de vous, prend loin de moi; et tout ce que vous en recevez d'assistance, je le reçois comme si j'en profitais moi-même. Ainsi, pour ne plus parler en figure, et pour vous taire comprendre plus simplement vos obligations, ainsi en usèrent cet saintes femmes qui, dans le cours de ses voyages, lui fournissaient et a ses apôtres les

 

1 Zach., II, 8. — 2 Psal., CIV, 15. — 3 Luc, X, 16.

 

choses nécessaires, et y consacraient leurs revenus : Quœ ministrabant ei de facultatibus suis (1). Madeleine était de ce nombre , et cette troupe dévote suivait pour cela ce divin maître. Maintenant qu'il est monté au ciel, et qu'il n'est plus visible sur la terre, c'est dans la personne de ses ministres que vous pouvez et que vous devez lui rendre les mêmes devoirs. Il n'est pas besoin de les suivre et de les accompagner dans leurs travaux évangéliques : il ne faut point les chercher loin de vous, puisqu'ils sont au milieu de vous et auprès de vous. Quand vous contribuerez, non pas à les entretenir dans une abondance sensuelle, mais à leur procurer une nourriture frugale et mesurée; non pas à leur bâtir de superbes et de vastes édifices, mais à les loger modestement et dans une demeure convenable à leurs fonctions ; non pas à les vêtir, à les meubler en ecclésiastiques mondains (car il y en a de mondains et de très-mondains), mais en ecclésiastiques sages, humbles, retenus, ennemis d'une propreté affectée, et ne voulant que la pure décence de leur état : quand vous leur assurerez, non pas d'amples héritages plus propres à les relâcher qu'à les aider dans les exercices de leur ministère, mais assez de fonds pour n'être pas détournés par les inquiétudes et les embarras de la vie ; alors vous imiterez ces âmes pieuses dont saint Luc a fait l'éloge, et vous aurez le même mérite de servir chacune Jésus-Christ selon l'étendue de vos facultés : Ministrabant ei de facultatibus suis.

Ah ! Mesdames, on a quelquefois du zèle pour l'ornement des autels ; on met sa piété à embellir et à parer les tabernacles où repose le corps de Jésus-Christ, on n'y épargne rien de tout ce que l'art peut imaginer de plus riche et de plus grand. Veux-je condamner une dévotion si solide, si ancienne, et si digne de l'esprit chrétien ? à Dieu ne plaise ! dès qu'il est question du temple de Dieu, du sanctuaire de Dieu, de la demeure de Dieu, rien ne doit coûter à des hommes formés de sa main et comblés de ses dons, rien ne doit coûter à des enfants de Dieu. Mais ces tabernacles, après tout, ces autels, ne sont que des autels, que des tabernacles inanimés : et pouvez-vous ignorer que les prêtres sont les tabernacles et les autels vivants de ce Dieu de gloire ; que c'est dans leurs mains qu'il s'incarne tout de nouveau ; dans leurs mains qu'il s'immole et se sacrifie tout de nouveau; que c'est dans leur sein qu'il habile réellement, corporellement, substantiellement,

 

1 Luc, VIII, 3.

 

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et dans leur cœur qu'il a posé son trône ? 0 excellence du sacerdoce, s'écrie là-dessus saint Augustin, dans un sentiment d'admiration ! O veneranda sacerdotam dignitas ! Quelle honte serait-ce donc, quelle indignité, que des ministres revêtus de ce sacerdoce si vénérable fussent négligés et abandonnés ! Avançons : tout agréable qu'était à Jésus-Christ l'action de Madeleine, les apôtres en murmurèrent, et la traitèrent de profusion : et l'œuvre sainte que je viens vous recommander est d'une utilité si évidente, qu'il n'y a personne qui puisse lui refuser son suffrage et se défendre de l'approuver. Vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

C'est par la fin et par la convenance ou le rapport des moyens qu'on emploie pour y parvenir, qu'il faut juger de l'utilité d'une entreprise. Car de travailler pour une fin peu importante, ou de n'user pas des moyens qui y sont propres, c'est un zèle mal entendu, et que la charité même ne peut justifier. Or, suivant ce principe, je prétends que, de toutes les œuvres qui se pratiquent dans le christianisme, une des plus utiles et des plus nécessaires est celle dont j'ai présentement à vous faire connaître les avantages. Quelle en est la fin, et quels en sont les moyens ? voilà ce qui demande une attention toute nouvelle.

La fin, Mesdames, c'est la sanctification de l'Eglise, et cette sanctification de l'Eglise consiste à en arrêter les désordres, à en retrancher les scandales, à en réformer les mœurs, à en faire observer les lois, à en rétablir la discipline. La fin est de remédier à la perte d'une infinité d’âmes, qui périssent tous les jours, soit par l'ignorance des vérités de la foi et l'oubli de leurs devoirs, soit par la contagion des vices qui se répandent avec plus d'impunité que jamais, et portent partout avec eux la licence et la corruption : dommage infini et perte inestimable. 0 abîme des conseils et des jugements de Dieu ) pouvons-nous être témoins de tant de chutes et de tant de malheurs, et n'en pas sécher de douleur comme le Prophète : Tabescere me fecit zelus meus (1). La fin est de taire cesser la profanation des choses saintes, l'abus des sacrements, les relâchements de la pénitence, les sacrilèges dans l'usage de la communion. La fin est de relever le culte du Seigneur, d'inspirer aux peuples du respect pour nos redoutables mystères, de les rendre plus assidus à nos prédications, à nos instructions,

 

1 Psal., CXVIII, 139.

 

à nos offices, à nos cérémonies ; de rallumer l'ardeur de leur dévotion presque entièrement éteinte, et de renouveler ainsi tout le troupeau de Jésus-Christ. En un mot, Mesdames, imaginez-vous tout ce qu'il y a dans le ministère apostolique, de plus parfait et de plus divin, c'est ce qu'ont eu en vue des hommes de Dieu, de fervents zélateurs de sa gloire, et de dignes ministres de sa parole.

C'eût été peu néanmoins qu'une fin si noble, s'ils n'eussent sagement pensé aux moyens. Ils ont donc cru que le moyen le plus court, le moyen le plus efficace, le plus infaillible, était de former de bons prêtres, qui, comme le sel de la terre, selon la figure de Jésus-Christ, et comme la lumière du monde, éclairassent l'Eglise et en conservassent la pureté. Ils ont considéré que ce sel de la terre étant une fois corrompu, et cette lumière du monde obscurcie, c'était une conséquence immanquable que les esprits devaient tomber dans les plus épaisses ténèbres, et les cœurs se pervertir; que la désolation du christianisme était venue, dans tous les temps, beaucoup moins des peuples que de ceux qui les devaient conduire ; et que, pour aller à la source du mal, il fallait avoir des prêtres savants, des prêtres vigilants, des prêtres laborieux et appliqués, des prêtres d'une vie régulière et sans reproche, d'habiles prédicateurs, de sages confesseurs, de fidèles et de zélés pasteurs : qu'il était pour cela nécessaire qu'il y eût des maisons où ils fussent élevés et perfectionnés, des maisons qui servissent aux ecclésiastisques de noviciat, comme il y en a pour les religieux ; et que de même que les ordres religieux ne se sont maintenus dans l'esprit de leur institut que parce qu'ils ont eu de ces maisons d'épreuve où l'on instruisait et l'on disposait des sujets, en leur faisant pratiquer toutes les observances de leur état, aussi l'on ne pouvait se promettre que jamais le clergé fût florissant, je dis florissant en vertu, si de bonne heure dans des séminaires l'on ne préparait à la vie cléricale ceux qui se proposaient de l'embrasser, et qui s'y sentaient appelés de Dieu : que ces séminaires, au reste, devaient bien être d'une autre conséquence par rapport aux ecclésiastiques qu'aux simples religieux, parce que les simples religieux, en se relâchant, ne nuisent qu'à eux-mêmes, au lieu que le dérèglement des ecclésiastiques et des prêtres est préjudiciable à tout le monde chrétien, dont ils doivent être les guides et les conducteurs : que l'on n'eût pas vu si souvent le clergé réduit dans la plus déplorable décadence, s'il y avait

 

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eu de ces séminaires, et si l'on n'eût pas admis aux fonctions les plus sacrées des hommes sans capacité, sans régularité, et même sans piété ; des hommes qui ne connaissaient ni la sainteté de leur vocation, ni la grandeur de leurs obligations ; qui ne savaient ni ce que Dieu demandait d'eux, ni comment ils le devaient accomplir; des hommes qui  prenaient aveuglément des fardeaux qu'ils ne pouvaient porter, et sous  lesquels   ils étaient obligés  de succomber; des hommes qui, sans nulle préparation et nul examen, commençaient par ce qu'il y a de plus difficile et de plus terrible; des hommes que la nécessité, que la cupidité, que L'ambition, que des vues tout humaines et toutes profanes faisaient entrer dans l'Eglise contre les desseins de Dieu, et pour de sordides intérêts : qu'afin de tirer plus d'avantagé de ces séminaires, il convenait d'y recevoir les pauvres gratuitement, et de  ne rien exiger d'eux, parce qu'autrement les meilleurs sujets se trouveraient exclus ; parce que les pauvres ont communément plus d'application et plus de talent; parce qu'il n'était pas juste que de la dépendît un aussi grand bien que celui qu'on attendait de leur éducation. Voilà, dis-je, Mesdames, les réflexions qu'ils ont faites, et le plan qu'ils se sont tracé. Mais peuvent-ils l'exécuter, si vous n'y coopérez? Or c'est pourquoi ils ont recours à vous. C'est par ma bouche qu'ils vous parlent, et qu'ils vous exposent leurs saintes intentions et leurs pressants besoins. C'est en leur nom et de leur part que je vous dis, selon les règles et les belles maximes du grand Apôtre, que votre abondance doit suppléer a leur indigence : Vestra abundantia illorum inopiam suppleat (1); que travaillant à tous communiquer les biens spirituels, il est raisonnable qu'ils recueillent quelque chose de vos Mens temporels : Si nos vobis spiritualia seminavimus, magnum est si nos carnalia vestra metamus (2).

Mais que fais-je, et pourquoi vous citer l'Apôtre, lorsque le Maître s'est expliqué? Car il s'agit d'obéir à l'ordre de Dieu, qui vous dit aujourd'hui ce que le Sauveur du monde disait autrefois à ses disciples : Messis quidem multa, operarii autem paucis ; Levez les yeux, et voyez; la moisson est abondante, mais il y a peu d'ouvriers pour faire la récolte. Adressez-vous donc au maître de la moisson ; priez-le d'appeler des ouvriers et d'en envoyer : Rogate ergo Dominum messis, ut mittat operarios (4).

 

1 2 Cor., VIII, 14. — 2 1 Cor., IX. 11. — 3 Luc, X, 2. — 4 Ibid.

 

Il y est déjà disposé; mais c'est de vous qu'il veut se servir pour les envoyer. Vous me direz que jamais il n'y eut tant de ministres de l'Eglise qu'il y en a présentement ; et moi je vous réponds deux choses : premièrement, que plus il y en a, plus il faut de fonds pour les entretenir ; secondement, que s'il y a plus d'ouvriers que jamais, c'est ce qui vous montre évidemment l'importance et l'utilité des séminaires. Car voilà ce qu'ils ont produit. Avant qu'ils fussent érigés, il n'y avait qu'un petit nombre de prêtres, la plupart ignorants et méprisés du public : l'hérésie en triomphait, le libertinage s'en prévalait. Mais dans la suite, la face des choses a bien changé, et cela par les séminaires. Si l'on voit encore quelques prêtres scandaleux qui déshonorent leur caractère, du moins y en a-t-il d'autres qui les confondent par leur conduite, et qui nous édifient par leurs exemples.

Cependant, Mesdames, nous en pouvons toujours revenir à la parole de Jésus-Christ : Messis multa, operarii pauci ; Grande moisson, et peu d'ouvriers ; ou, si vous voulez, beaucoup d'ouvriers, mais peu par rapport à l'ouvrage et aux soins qu'il demande. Beaucoup d'ouvriers ; mais peu qui réunissent dans leurs personnes toutes les qualités requises : la doctrine, la piété, le zèle , la discrétion, la patience, l'amour du travail. Beaucoup d'ouvriers, mais peu qui, pourvus de tous les dons nécessaires, veuillent soutenir les fatigues du sacerdoce, y consumer leur vie, s'y dévouer et s'y sacrifier. Beaucoup d'ouvriers pour remplir certaines places, pour posséder certaines dignités, pour en avoir l'honneur, les privilèges, les revenus, mais peu pour en porter la charge et le fardeau. Beaucoup d'ouvriers pour les ministères éclatants, mais peu pour les emplois obscurs ; beaucoup pour les villes, mais peu pour les campagnes; beaucoup pour Paris, mais peu pour les provinces. Et je ne m'en étonne pas ; car, pour se confiner dans les provinces, surtout pour travailler dans les campagnes, il faut se résoudre à tout ce qu'il y a de plus pénible, de plus mortifiant, de plus ennuyeux et de plus rebutant : il faut être préparé à la plus triste solitude, vivre avec des hommes qui n'ont presque de l'homme que la figure, se familiariser avec eux, s'accommoder à leurs manières barbares, essuyer leurs grossièretés, leur répéter cent fois les mêmes instructions pour les leur faire comprendre, et s'épuiser de voix et de forces pour leur donner quelque teinture de la religion.

Or l'établissement de ce séminaire regarde

 

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aussi bien les campagnes que les villes, aussi bien   les provinces que Paris, aussi bien les emplois obscurs que les ministères les plus éclatants. On n'y envisage que la gloire de Dieu et le salut du prochain. Partout où l'un et l'autre peut se rencontrer, on est résolu de l'y chercher sans distinction de lieux et d'états. Tels sont les sentiments qu'on inspire à de jeunes ecclésiastiques, et qu'ils remportent de cette maison après s'y être quelque temps exercés. A quoi leur zèle ne les porte-t-il point? je l'ai vu, Mesdames, et j'en puis rendre témoignage. Honoré des ordres de notre incomparable monarque, et envoyé pour annoncer l'Evangile à des peuples éloignés, j'ai vu sur ma route de ces missionnaires et de ces dignes pasteurs du troupeau de Jésus-Christ. Mais avec quelle consolation les ai-je vus ! avec quelle admiration ! J'en ai encore le souvenir vivement imprimé dans la mémoire, et je ne le perdrai jamais. J'ai vu des hommes toujours prêts dès qu'il s'agissait de l'avancement des âmes ; des hommes occupés sans relâche à cultiver des terres sèches et arides, je veux dire à ramener des esprils égarés, à détromper des esprits prévenus, à gagner des esprits opiniâtres, à éclairer des esprits plongés dans le plus profond aveuglement, à se les concilier pour les réconcilier avec l'Eglise. Je les ai vus, et j'ai béni mille fois la maison d'où ils sont sortis, comme les apôtres sortirent du cénacle : c'est celle-ci. J'ai souhaité mille fois qu'ils pussent assez se multiplier, pour faire part de leurs travaux à toute notre France. Quelle réforme suivrait de là, et dans le clergé, et dans tout le corps des fidèles ! Si donc, Mesdames, vous n'êtes pas tout à fait insensibles à l'honneur de Dieu et au bien spirituel de vos frères ; si vous n'êtes pas insensibles à vos propres intérêts, et si vous voulez pleinement et solidement réparer tous les scandales que peut-être vous avez donnés, les uns avec connaissance, et les autres sans le remarquer ni le savoir, est-il rien que vous deviez ménager, et rien que vous puissiez refuser pour maintenir un séminaire où se forment de tels ministres ? Combien d'âmes gagnerez-vous à Jésus-Christ par vos aumônes, en leur procurant de si habiles maîtres et de si zélés prédicateurs? Toute la maison où était Madeleine fut remplie de la bonne odeur du  parfum qu'elle versa sur les pieds de Jésus-Christ; et pour achever le parallèle que j'ai commencé, le fruit de votre charité se répandra dans toute l'Eglise : c'est la troisième partie.

 

TROISIÈME   PARTIE.

 

Quelque grâce qu'eût reçue saint Paul pour reprendre, pour menacer, pour presser et pour exhorter ; pour reprendre les pécheurs, pour menacer les endurcis, pour presser les lâches, pour exhorter les tièdes et les négligents : Argue, obsecra,increpa in omni potientia et doctrina (1) il ne laissait pas de mêler, parmi ses menaces et ses réprimandes, des consolations et même des louanges, pour encourager les fidèles. Après leur avoir fortement représenté leurs devoirs, il les félicitait quelquefois de leurs bonnes œuvres, il s'en réjouissait avec eux, il en rendait grâces au ciel, étant persuadé que cela servait beaucoup à exciter leur zèle, et que rien n'était plus capable d'augmenter la ferveur de leur charité, que de leur mettre devant les yeux les fruits qu'elle produisait actuellement dans l'Eglise de Dieu.

Ainsi, Mesdames, écrivant aux chrétiens de Thessalonique, leur témoignait-il sa joie de ce que, par leur moyen, la parole divine s'était fait écouter et respecter, non-seulement dans la Macédoine et l'Achaïe, mais dans tous les lieux du monde où la foi était devenue célèbre: A vobis diffamatus est sermo (2). Sur quoi je vous prie d'observer que cette foi des Thessaloniciens ne s'était pas moins étendue dans toute l'Asie par les effets d'une charité bienfaisante, que par l'édification et le bon exemple. Car tel était leur esprit, tel était leur caractère. Une Eglise particulière faisait ressentir à toutes les autres le zèle qui l'animait, et n'aspirait qu'à leur communiquer les dons célestes et les grâces dont elle avait été favorisée.

Ainsi le même apôtre, sans prétendre enfler les Corinthiens d'un vain orgueil, leur inspirait-il une sainte confiance, fondée d'un côté sur le succès, et de l'autre sur l'ardeur du zèle dont ils étaient remplis. Je ne puis assez louer Dieu, mes Frères, leur disait-il, ni assez le remercier de ce qu'il répand par vous, en tous lieux, l'odeur et la gloire de son nom : Deo autem gratias, qui odorem notitiœ suœ manifestat per nos in omni loco (3). Car nous sommes, leur ajoutait-il, la bonne odeur de Jésus-Christ, soit à l'égard de ceux qui se sauvent, soit à l'égard de ceux qui se perdent : à l'égard de ceux qui se sauvent, parce que c'est nous qui, par nos soins, leur procurons les secours du salut; à l'égard de ceux qui se perdent, parce que, s'ils abusent de ces moyens et de ces secours, nous servirons un jour de témoins contre eux, et nous justifierons la Providence, dont ils ne

 

1 2 Tim., IV 2. — 2 Thessal., I, 8. — 3 2 Cor., II, 14.

 

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pourront se plaindre : Quia Christi bonus odor sumus Deo, in iis qui salvi fiunt et in eis qui pereunt (1). C'est ainsi, dis-je, que ce Docteur des nations consolait les fidèles, et que, piqués d'une émulation toute chrétienne, ils faisaient chaque joui de nouveaux efforts pour la propagation de la foi, et pour y contribuer par leurs aumônes. Voilà comment le christianisme a commencé.

Or il ne tient qu'avons, Mesdames, que je puisse aujourd'hui vous donner la même consolation et la partager avec vous. Il n'est pas juste que je sois continuellement employé à faire la censure de vos actions et de vos mœurs. Il n'est pas juste que vous n'entendiez jamais de moi que des reproches. Vous pouvez me mettre dans  l'heureuse obligation de vous faire les mêmes conjouissances que saint Paul faisait à ceux de Thessalonique ; car c'est par vous que la parole du Seigneur peut être prêchée, par vous que la grâce de ses sacrements. peut être sagement et utilement dispensée, par nous que les peuples peuvent être instruits, convertis, sanctifiés, non-seulement dans ce diocèse, mais dans tous les diocèses du royaume, mais, si je l'ose dire, dans tout l'univers. Et c'est ce qui arrivera, quand vous aiderez de vos soins et de vos largesses ce séminaire institue pour fournir à toutes les Eglises des docteurs de la vérité et des directeurs dans les voies de Dieu : A vobis diffamatus est sermo. Partout où iront et agiront ces ministres évangéliques, il y sera parlé de votre foi et de votre charité : Sed et in omni loco fides vestra, quœ est ad Deum, profecta est (2). Ils publieront l'une et l'autre, ils les exalteront, et, de toutes les personnes ici présentes dont ils auront en quelque sorte reçu leur mission, il n'y en aura pas une dont il ne soit vrai, par proportion, comme de Madeleine, que dans toutes les contrées et chez tous les peuples où l'Evangile sera annoncé, on annoncera ce qu'elle a fait pour ceux qui en étaient les prédicateurs : Ubicumque prœdicatum fuerit Evangelium istud in universo mundo, et quod fecit hœc narrabitur in memoriam ejus (3).

Il ne tient qu'à vous que la connaissance de Dieu ne soit répandue aussi loin, et même plus loin qu'elle ne se répandit par la charité des chrétiens de Corinthe. Car vous devez être comme eux la bonne odeur de Jésus-Christ, selon l'expression de l'Apôtre; et malheur à vous, si vous ne pouviez pas dire dans le même sens qu'eux: Christus bonus odor sumus in omni

 

1 2 Cor., II, 45. —2 1 Thessal., I, 8. — 3 Marc, XIV, 9.

 

loco. Or le propre de l'odeur est de s'étendre, et de remplir toute la capacité du lieu où elle est contenue. Combien de pays, je ne dis pas parmi les idolâtres et les sauvages, mais jusque dans la chrétienté, où Dieu n'est point encore connu, du moins n'est connu que très-obscurément et très-imparfaitement? combien de villages en France où l'on n'a presque nulle idée des articles les plus essentiels de la religion? Quel bonheur pour moi si je pouvais rendre ici par avance à Dieu d'humbles actions de grâces, et le bénir de ce que vous y allez pourvoir, et de ce que l'odeur de votre charité pénétrera dans ces régions incultes et abandonnées ! Deo autem gratias qui odorem notitiœ suœ manifestat per nos in omni loco (1). Vous imiterez en cela le zèle des premiers chrétiens, dont vous devez professer la foi. Comme les apôtres étaient chargés de parcourir le monde et d'instruire toutes les nations, les fidèles se croyaient obligés de penser à leurs besoins, tandis qu'ils travaillaient à l'accroissement de l'Eglise. Lisez les Epîtres de saint Paul ; vous y verrez comment on recueillait pour cela tous les jours les aumônes, et avec quelle ardeur chacun s'intéressait à l'établissement du christianisme.

Vous me direz : J'ai des pauvres dans mes terres, que j'assiste. Il est vrai, Mesdames, et à Dieu ne plaise que je blâme cette charité ! elle est solide, elle est nécessaire, et j'avoue même que c'est par là que vous devez commencer : Operemur bonum ad omnes, maxime autem ad domesticos fidei (2) : Faisons du bien à tous, mais surtout aux domestiques de la foi, à ceux dont la conduite nous a été spécialement confiée, et qui nous appartiennent de plus près. Rien de plus raisonnable ni rien de plus juste que cette règle. Suivez-la , j'y consens ; mais suivez-la tout entière, et ne vous contentez pas d'en prendre une partie et de laisser l'autre. Car elle renferme deux points : l'un particulier, c'est de soulager d'abord les nécessités de ceux qui relèvent de vous et qui vous sont soumis : Maxime ad domesticos; l'autre général, et c'est d'être charitables et bienfaisants envers tout le monde : Operemur bonum ad omnes. Si donc de ces deux devoirs vous vous en tenez au second, et vous abandonnez le premier, vous n'accomplissez qu'à demi la loi ; et pécher dans un article de la loi, c'est, selon la parole du Saint-Esprit, violer la loi.

Et qui êtes-vous, pour prescrire ainsi des bornes à la providence du Seigneur et à sa

 

1  2 Cor., II, 14.— 2 Gal.,  VI, 10.

 

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miséricorde ? Et qui estis, vos qui tentatis Dominum (1) ? Je dis à sa providence et à sa miséricorde, qui doivent être le modèle de notre charité, et qui, étant infinies, exigent de nous une charité sans limites. Ce n'est pas que j'ignore qu'elle peut être resserrée dans ses effets par la médiocrité de la fortune et des biens : mais hors de là, c'est-à-dire dans la disposition du cœur, elle doit être immense et embrasser tout. Car c'est en ce sens que nous sommes catholiques, et il ne suffit pas d'en porter le nom, si nous n'en remplissons la signification. Je m'explique, et observez cette pensée. Il ne suffit pas que ce nom de catholique convienne à notre foi, il faut encore qu'il convienne à notre charité. Je veux dire que, comme notre foi est la foi de tous les temps, de tous les pays, de toutes les nations du monde, et que c'est pour cela qu'elle est appelée catholique ou universelle : aussi notre charité, du moins dans le désir et la préparation de l'âme, ne doit avoir ni terme, ni mesure. Or, Mesdames, quand ce désir est bien allumé et bien sincère, il passe à la pratique autant qu'il le peut et selon qu'il le peut; et en vérité, ne pouvez-vous pas, sans rien retrancher des aumônes que vous distribuez dans tous les lieux de votre dépendance, trouver encore de quoi soutenir ce séminaire, et de quoi rétablir par là tant d'églises désolées?

Peut-être ajouterez-vous qu'il y a d'autres séminaires dans tous les diocèses du royaume, ou presque dans tous, je le sais; mais là-dessus voici ce que j'ai à répondre. Car premièrement , c'est de là même que je tire la preuve de ce que j'ai avancé. Et en effet, d'où sont venus tant de séminaires institués depuis quelques années à la gloire de Dieu et à l'avantage du public? n'est-ce pas sur le modèle de celui-ci qu'ils ont été formés, et celui-ci n'en a-t-il pas été l'origine? ne sont-ce pas les fruits qu'on en a retirés qui ont excité la vigilance et le zèle des prélats, pour procurer à leurs Eglises le même bien? la plupart ne s'en sont-ils pas expliqués de la sorte? ne l'ont-ils pas reconnu, et ne le reconnaissent-ils pas? Vous voyez donc comment la bonne odeur de cette maison et de la piété de toutes les personnes qui se sont intéressées en sa faveur s'est déjà fait sentir jusqu'aux extrémités de la France, et quelles bénédictions elle y a portées : Et domus impleta est ex odore (2). Mais, en second lieu, je soutiens que les séminaires particuliers n'empêchent pas que celui-ci ne soit nécessaire,

 

1 Judith., VIII, 11. — 2 1 Joan., XII, 3.

 

et qu'ils ont besoin que celui-ci subsiste comme le séminaire universel : pourquoi ? afin d'entretenir l'uniformité d'esprit dans toutes les Eglises, en y entretenant l'uniformité de doctrine, de discipline, de cérémonies et de culte, d'observance et de lois. Car puisque ce séminaire est la règle des autres, et qu'il l'a été jusqu'à présent, le même esprit qui règne en celui-ci doit régner dans tous les autres, et voilà le sûr moyen de maintenir partout l'unité de la foi.

Si cette foi vous est chère , Mesdames, comme elle le doit être, vous ne manquerez aucune occasion d'en étendre l'empire et de lui soumettre les cœurs. Tant d'ennemis en attaquent la pureté et en profanent la sainteté ! verrez-vous d'un œil tranquille les atteintes mortelles qu'elle reçoit tous les jours, et la laisserez-vous en proie à l'erreur qui la détruit et au péché qui la corrompt? Il lui faut des défenseurs, des propagateurs, et c'est ce qu'elle vous demande. Prenez garde : elle ne vous demande pas que vous entrepreniez vous-mêmes de combattre ; elle se contente que vous y soyez disposées quand la nécessité le requiert. Elle ne demande pas que vous quittiez vos familles , et que vous alliez travailler vous-mêmes à l'établir dans des terres éloignées : elle a d'autres ministres que vous qu'elle y appelle ; mais ces ministres ne peuvent rien sans vous. Quelle excuse vous justifierait un jour devant Dieu, lorsque dans son jugement il vous reprocherait votre indifférence pour l'honneur et le progrès d'une foi qui vous devait être plus précieuse que la vie ; de cette foi que vous deviez défendre, non-seulement au péril de tous vos biens, mais au prix de votre sang ? Vous vous plaignez quelquefois qu'elle s'affaiblit dans le christianisme, et cette plainte n'est que trop juste et que trop véritable : mais que ne servez-vous donc, autant qu'il vous est possible et qu'on vous en présente les moyens, à la réveiller et à la fortifier? Vous vous plaignez même de temps en temps qu'elle est bien languissante dans vos cœurs, et qu'il vous semble, à certains moments, qu'elle y est morte; mais que ne travaillez-vous donc à la ressusciter dans vous-mêmes, en contribuant à la ressusciter dans les autres ? Car, selon que vous donnerez, on vous donnera; c'est-à-dire que, plus vous contribuerez à répandre au dehors ce don de la foi, plus Dieu le fera croître en vous. Telle sera dès cette vie la récompense de votre zèle, jusqu'à ce que vous receviez dans le séjour des bienheureux une gloire éternelle et la souveraine félicité, que je vous souhaite, etc.

 

 

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