HUITIÈME JOUR

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HUITIÈME JOUR

 

HUITIÈME JOUR.

HUITIÈME JOUR.

PREMIÈRE MÉDITATION.

DE  LA  VIE  NOUVELLE  DE  JÉSUS-CHRIST  DANS SA  RÉSURRECTION.

DEUXIEME MEDITATION.

DU  RETOUR  DE JÉSUS-CHRIST  AU  CIEL  DANS  SON  ASCENSION.

TROISIÈME MEDITATION.

DE LA  DESCENTE DU  SAINT-ESPRIT,  OU  DE  L'AMOUR  DE DIEU.

CONSIDÉRATION

SUR L'USAGE ET LA FREQUENTATION DES SACREMENTS.

 

PREMIÈRE MÉDITATION.

DE  LA  VIE  NOUVELLE  DE  JÉSUS-CHRIST  DANS SA  RÉSURRECTION.

 

Quomodo Christus surrexit a mortuis, ita et nos in novitate vitœ ambulemus.

Comme Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, il faut aussi que nous marchions dans une vie nouvelle. (Rom., chap. VI, 4.)

 

PREMIER POINT. — Jésus-Christ n'était pas descendu dans le tombeau pour y demeurer ; et s'il avait subi la loi de la mort, c'était pour triompher ensuite de la mort même, et pour la soumettre à son empire. Or ce qu'il y a d'abord de bien remarquable dans la résurrection de cet Homme-Dieu, c'est que ce fut lui-même qui se ressuscita.

Le Prophète avait dit de lui qu'il serait libre entre les morts  (1); c'est-à-dire qu'il mourrait quand il voudrait, et comme il voudrait; mais qu'il saurait aussi se dégager des liens de la mort au moment qu'il avait marqué, et qu'il ne serait pas moins puissant pour se ressusciter lui-même qu'il l'aurait été pour ressusciter

 

Psal., LXXXVII, 6.

 

les autres. Voilà ce qui s'accomplit dès le troisième jour depuis sa passion. Sans nul secours que cette vertu divine et toute miraculeuse qu'il avait exercée sur tant de sujets et fait éclater en tant d'occasions, l'heure venue, et dès le grand matin, il ouvre le sépulcre où son corps était enfermé ; il le ranime, et le tire du sein de la terre ; il paraît au milieu des soldats qui le gardaient, et il les saisit d'une telle épouvante, qu'aucun d'eux n'ose faire le moindre effort pour lui résister et pour l'arrêter. O mort, où est ta victoire ? ô mort, où est ton aiguillon ! Je serai moi-même ta mort (1); et après avoir étendu ta domination et porté tes coups jusque sur moi, ainsi que je l'ai permis, il faut à présent que tu cèdes malgré toi à mon souverain pouvoir. Paroles du prophète Osée et de l'apôtre saint Paul, que l'Eglise applique à ce Dieu vainqueur de la

 

1 2 Cor., XV, 55.

 

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mort, et qui nous font connaître par quelle vertu il opéra ce grand miracle de sa propre résurrection.

Ce serait dans moi la plus grossière de toutes les erreurs et une présomption insoutenable , si je prétendais être en état moi-même de me ressusciter selon l'esprit et selon Dieu. Aussi faible que je le suis, comment oserais-je me flatter de pouvoir, sans la grâce de mon Dieu , vaincre mes mauvaises habitudes et me défaire de toutes mes imperfections ? L'exemple de Jésus-Christ ne doit donc point en cela me servir de règle, et là-dessus il n'y a nulle comparaison à faire. Mais cette grâce de Dieu supposée, comme un principe nécessaire et absolument requis ; cette grâce sur laquelle je puis compter par la miséricorde du Seigneur, et qui, bien loin de se refuser à moi, vient au contraire de redoubler auprès de moi ses sollicitations, et s'est fait sentir dans ces saints jours plus fortement que jamais : il est certain du reste que je dois agir avec elle, que j'y dois coopérer, et qu'en ce sens c'est de moi qu'il dépend de consommer l'ouvrage de ma résurrection spirituelle et de ma sanctification.

La résurrection de Jésus-Christ fut pour lui une victoire : voudrais-je que la mienne n'en fût pas une pour moi ? De même que le corps du Sauveur était lié dans le tombeau, j'ai mes liens qu'il faut briser : ce sont mes inclinations naturelles et mes passions. De même que ce corps était couvert d'une grosse pierre, j'ai une pierre pesante à lever : c'est le penchant de mon cœur, et la lâcheté où j'ai si longtemps vécu et qui m'est devenue habituelle. Autour de ce corps il y avait une garde ennemie, qui veillait sans cesse pour empêcher qu'on ne l'enlevât : et outre les ennemis invisibles de mon salut et de ma perfection, qui n'ont que trop d'attention et de vigilance pour me retenir, combien d'autres ennemis ai-je encore à craindre? Certaines considérations humaines, certains exemples, certaines railleries et certains discours, certaines amitiés et certaines liaisons, certaines coutumes, certaines occasions fréquentes et engageantes dont il m'est si difficile de me défendre; en un mot, tout ce qui m'a servi jusques à présent d'obstacle, et que je n'ai pas eu la force de surmonter. Mais malgré toutes les difficultés et tous les obstacles, le Fils de Dieu ne tarda pas à exécuter la parole qu'il avait donnée à ses apôtres de ressusciter et de se faire voir encore à eux : et sans aller plus loin, pendant cette retraite que je vais finir, j'ai tant l'ait de promesses à Dieu, je lui ai donné tant de paroles, je lui ai tant protesté de fois que, par un changement réel et véritable, je voulais vivre dans la suite comme une âme ressuscitée ! or voici le temps de lui montrer que je suis fidèle, et c'est dès ce jour qu'il faut mettre en pratique tout ce que j'ai résolu et tout ce que j'ai promis. Y suis-je bien déterminé? J'en jugerai par l'effet. Ah ! Seigneur, mon courage m'abandonnera-t-il, lorsqu'il est question de le faire paraître ! Vous ne me manquerez pas, mon Dieu : malheur à moi si je venais à vous manquer?

 

SECOND POINT. — Jésus-Christ, en se ressuscitant, reprit une vie toute nouvelle : car ce fut désormais une vie glorieuse, et toute différente de celle qu'il avait menée jusque-là sur la terre. Ce Dieu Sauveur, sujet auparavant à toutes les misères d'une vie obscure et pauvre, et à toutes les ignominies et toutes les douleurs de la plus cruelle passion, parut tout brillant de lumière : tellement que la gloire de son corps surpassa la plus vive splendeur du soleil. C'était dans sa première vie un corps faible, sensible, capable de toutes les infirmités humaines; mais dans cette seconde vie il est revêtu d'une force qui le met hors d'atteinte à toutes les faiblesses de notre nature, et qui Je rend invulnérable à tous les traits de ses persécuteurs. Sa clarté éblouit les yeux, son agilité le transporte dans un moment d'un lieu à un autre; et avec ce don de subtilité, qui en fait comme un corps spirituel, rien ne l'arrête. Il passe au travers des murailles, et il pénètre partout. Ainsi peut-on dire que ce mystère fut pour Jésus-Christ une espèce de transfiguration, mille fois encore plus éclatante que celle du Thabor.

Si je veux que ma résurrection soit véritable et aussi parfaite qu'elle le doit être, il faut qu'elle me transforme de la même sorte, et qu'elle produise en moi les mêmes changements. Et qu'y a-t-il en effet dans toute ma vie qui n'ait besoin d'être réformé et renouvelé? Saint renouvellement, soit intérieur, soit extérieur ! Renouvellement intérieur et dans l'esprit : c'est ce qu'il y a de plus important et de plus difficile. Car il me serait aisé, après une retraite, de garder certains dehors, et de prendre un air plus composé et des manières en apparence plus religieuses; mais tout cela, que serait-ce, si le cœur n'y répondait pas,et s'il demeurait toujours le même? Il faut donc que je règle ses désirs, que je purifie ses sentiments, que je rectifie ses vues et ses intentions, que je

 

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rabaisse ses enflures et ses hauteurs, que je ranime ses lenteurs et ses lâchetés. I) faut que je le détrompe de tant de fausses idées et de tant d'erreurs dont il se laisse prévenir; que je le dégage de mille petites attaches qui, tout innocentes qu'elles paraissent, ne sont ni de Dieu, ni selon Dieu ; que je le déprenne de cet amour-propre qui le domine, et dont il est si esclave ; en un mot, il faut que j'en fasse un cœur tout nouveau.

De ce renouvellement du cœur, suivra le renouvellement extérieur. Je m'attacherai de point en point ta ma règle, et je m'acquitterai avec fidélité de tous mes exercices. Autant que ma conduite a pu mal édifier la communauté et y causer de scandale, autant y donnerai-je d'édification, lorsqu'on me verra agir avec tout une autre exactitude et tout une autre ardeur. Je me soumettrai à tout, je passerai par-dessus tout. Que dis-je, mon Dieu, et en sera-t-il ainsi? Hélas ! ces sentiments coûtent peu au pied d'un oratoire, et dans une méditation où votre grâce me touche ; mais dans la pratique, ce n'est pas là l'ouvrage d'une simple méditation, ni même d'une seule retraite. Du moins cette retraite en sera le fondement, et je sortirai de ma solitude en de si saintes résolutions. Ce sera beaucoup de les avoir bien imprimées dans mon cœur. Je les renouvellerai de jour en jour, et de jour en jour elles contribueront à me renouveler moi-même.

 

TROISIÈME POINT. — La résurrection de Jésus-Christ eût été beaucoup moins parfaite, s'il n'eut pas repris, avec une vie glorieuse et nouvelle, une vie enfin immortelle. Mais Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus (1). Oracle de l'Apôtre, qui s'est déjà vérifié depuis tant de siècles, et qui se vérifiera dans tous les siècles des siècles. Les morts qui sortirent de leurs sépulcres au moment que ce Dieu-Homme expira sur la croix , ne ressuscitèrent que pour quelque temps , et demeurèrent encore sujets à la mort; mais ce premier-né d'entre les morts, quittant une fois le tombeau, n'y devait plus rentrer, et en effet n'y rentrera jamais.

Bienheureuse immortalité, qui me représente une des vertus les plus nécessaires, mais en même temps les plus difficiles et les plus rares, qui est la persévérance. Il yen a bien peu qui pour quelques jours, et même pour quelques semaines, ne profitent de la retraite. On en sort tout renouvelé, et comme ressuscité.

 

1 Rom., VI, 9.

 

Ce qu'on a promis à Dieu , on l'observe; et sans se borner, ni à des paroles, ni à des sentiments, on en vient aux œuvres. Mais que cette résurrection, que cette conversion est sujette a de prompts retours ! N'est-ce pas ce que j'ai tant de fois éprouvé ; et sans juger des autres, n'en ai-je pas eu dans moi de fréquents exemples? Quel fruit ai-je retiré de tant de retraites, et quelle différence y a-t-il de ce que je suis maintenant à ce que j'étais dans les années précédentes? Peut-être même serait-il à souhaiter que je fusse au moins tel présentement que j'ai été en d'autres temps de ma vie : car au lien d'avancer et de m'élever, peut-être n'ai-je fait que déchoir d'année en année, et que me relâcher davantage.

Quoi qu'il en soit, d'où vient que j'ai si peu profité d'un moyen si saint, et dont l'usage m'a été si ordinaire? Ce n'est pas que, dans chaque retraite, je n'aie été éclairé et touché de Dieu. Combien de fois, dans la sincérité de mon repentir et l'ardeur de ma prière, lui ai-je dit intérieurement comme David : C'est maintenant, mon Dieu, que je vais commencer (1)? Hélas! je l'ai dit, et j'ai en effet commencé; mais je n'ai pas achevé. Le poids de la nature m'a rentraîné dans mes premières voies, et fait retomber dans la même langueur. En sera-t-il donc de même encore de cette retraite? Il me semble que je suis actuellement en d'assez bonnes dispositions; mais combien dureront-elles? Quelle espérance puis-je avoir d'y être constant, et de m'y maintenir? Ou plutôt pourquoi ne l'espérerais-je pas? Malgré les vicissitudes de ma vie, le bras de Dieu n'est point raccourci, ni la source de ses grâces n'est point épuisée. Si ma volonté est changeante, il y a des moyens pour la fixer, et c'est à quoi je dois appliquer désormais tous mes soins. Pour peu que je veuille examiner quels ont été les principes de mes rechutes, je les découvrirai aisément : or c'est à cela qu'il faut mettre ordre. J'y trouverai des difficultés; mais Dieu m'aidera. Si dans le passé j'avais eu plus de courage à les vaincre, je jouirais maintenant de mes travaux et du fruit de mes combat N'est-il pas temps de me déterminer tout de bon et de prendre un parti ferme? Les années s'en vont, et peut-être suis-je plus près du terme que je ne pense. Est-ce trop de donner à Dieu ce qui me reste encore jusque-là? Il n'y aura d'élus que ceux qui auront persévéré jusques à la fin.

 

1 Psal., LXVI, 11.

 

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CONCLUSION. —Mettez, Seigneur, le comble à votre victoire. Employez à tirer mon âme de l'état de tiédeur où je languis , la même puissance qui a tiré votre corps du tombeau où la mort l'avait réduit. Ne puis-je pas dire que l'un est un aussi grand miracle que l'autre? Votre seule vertu , sans qu'aucun y concourût avec vous, vous a ressuscité selon la chair; mais afin que votre grâce me ressuscite selon l'esprit, vous voulez qu'il m'en coûte, et que je la seconde. Il est bien juste, mon Dieu, que je fasse pour cela quelque effort, et que je contribue, autant qu'il est en moi, à une résurrection qui m'est si nécessaire et si avantageuse. Elle m'engagera à une vie toute nouvelle : mais n'est-ce pas par ma faute que ce sera pour moi une nouvelle vie ? Car combien y a-t-il d'années que je devrais m'y être accoutumé et m'en être fait une sainte habitude !

Grâces à votre miséricorde, il est encore temps, Seigneur, de l'embrasser, et la résolution en est prise. Oui, mon Dieu, il faut désormais que tout revive et que tout se renouvelle dans moi : mon esprit, mon cœur, toute ma conduite. Il faut que ce soit une résurrection, une information entière. Point de composition, ni de milieu. Je n'envisage plus l'avenir. Je n'examine plus si je serai toujours ce que je suis à cette heure ; si j'aurai toujours les mêmes sentiments, et si je les suivrai toujours. Quand j'y fais attention, ma faiblesse naturelle m'étonne ; et comment aurai-je toujours la force de la surmonter? Vous y pourvoirez, Seigneur ; et si je me défie de moi-même, ce ne doit être que pour redoubler ma confiance en vous et en votre secours tout-puissant. Vous ne me le refuserez point dès que j'aurai recours à vous, et que je vous le demanderai. Or avec votre secours, de quoi ne viendrai-je point à bout? Non, ne pensons point tant à ce qui arrivera dans la suite ; mais pensons bien au présent, parce que le présent me servira de préparation pour toute la suite, et qu'il me disposera à la sanctifier.

 

DEUXIEME MEDITATION.

DU  RETOUR  DE JÉSUS-CHRIST  AU  CIEL  DANS  SON  ASCENSION.

 

Quae sursum sunt quœrite, ubi Christus est in dextera Dei sedens; quœ sursum sunt sapite, non quœ super terrant.

Cherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses du ciel, et non point celles de la terre. (Coloss., chap. III, 2.)

 

PREMIER POINT. — J'ai commencé ma retraite par la méditation de la fin dernière pour laquelle j'ai été créé, et l'ascension de Jésus-Christ me donne lieu de méditer encore aujourd'hui le même sujet. Car dans cette ascension glorieuse, ce que le Fils de Dieu nous fait d'abord connaître, c'est le terme où nous devons aspirer, qui est le ciel. Depuis sa résurrection il ne s'était fait voir à ses disciples que de temps en temps; tantôt aux uns, tantôt aux autres. Mais en ce dernier jour, où il avait enfin résolu de quitter la terre, il les assembla tous, et il voulut qu'ils le vissent tous sortir de ce monde et remonter à son Père. Que prétendait-il leur faire entendre par là? Sa principale vue fut de les convaincre sensiblement de cette grande vérité, qu'après avoir passé dans cette vie mortelle un certain nombre d'années, c'est au ciel qui; doit se terminer notre course, et que dès le temps présent nous y devons tourner toutes nos pensées et toutes nos espérances.

Il leur avait fait là-dessus de fréquentes leçons; mais ils n'en paraissaient néanmoins encore que faiblement persuadés. Il leur fallait donc une dernière leçon plus courte, plus persuasive que tous les discours, et ce fut de les rendre eux-mêmes témoins de son ascension, et de s'élever en leur présence à cette demeure céleste où il les appelait. A ce spectacle, tous leurs doutes s'évanouirent. Tout ce qu'il leur avait dit du royaume de Dieu se retraça vivement dans leur souvenir, savoir: que ce royaume était leur véritable patrie ; qu'il y avait des places pour chacun d'eux, et qu'il les allait préparer; qu'il devait les précéder comme leur chef, et qu'étant ses membres, ils devaient un jour le suivre : par conséquent, qu'il ne les laissait sur la terre que comme dans un lieu de passage, et qu'ils ne devaient s'y regarder que comme des étrangers et des voyageurs. Toutes ces pensées se réveillèrent, et les touchèrent de telle sorte, qu'ils en conçurent un parlait mépris du monde, et n'eurent

 

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plus désormais de prétentions ni de vues que pour cette autre vie , dont ils avaient dans la personne de leur maître un gage si assuré.

Or tout cela ne m'est pas moins propre qu'à eux, et toutes les assurances que leur donna Jésus-Christ, il me les donna dès lors à moi-même. Il est donc vrai que le ciel doit être toute mon attente, et que je n'ai point d'autre terme à me proposer. Je le crois, car c'est un point de foi ; mais comment est-ce que je le crois ? En ai-je une certaine conviction qui se fait sentir à l'âme, qui la saisit et la possède tout entière? Si je suis bien attaché à ce grand principe de religion, et si j'en suis bien prévenu, pourquoi est-ce que j'en tire si peu de conséquences, lorsqu'il a des conséquences qui s'étendent si loin ?

Car la vérité de ce principe une fois reconnue, je ne dois plus tendre que vers le ciel; je ne dois plus en toutes choses, et par préférence à toutes choses , envisager que le ciel, je ne dois pins, aussi bien que l'Apôtre, avoir de conversation que dans le ciel (1). Tout ce qui se fait sur la terre et qui n'a de rapport qu'à la terre, quelque part d'ailleurs que j'y puisse avoir, me doit être indifférent, ou plutôt ne doit rien être pour moi. Et en effet, dès que la terre n'est qu'un passage, quel intérêt dois-je prendre à tout ce que j'y aperçois ? J'y vois bien des mouvements; j'y vois des grandeurs et des pompes humaines, des fortunes et des prospérités dont l'éclat éblouit les yeux. Dans mon état même et dans la profession religieuse, je vois des degrés, des places, des distinctions , une diversité d'emplois, qui, tout obscurs qu'ils sont selon le monde, ne laissent pas quelquefois d'exciter des sentiments tout mondains et de former divers intérêts tout naturels. Mais là-dessus qu'ai-je à dire que ce que disait un grand saint : Tout cela n’est point mon Dieu; tout cela n'est point le ciel, ni mon ternie ? Ainsi je dois être insensible à tout cela, je n'en dois tenir nul compte. En quelle innocence et en quel dégagement de cœur m'entretiendrait une telle disposition ! Je vivrais en vrai religieux, parce que je vivrais en homme vraiment mort au monde, et comme ces solitaires de l'ancienne loi, dont le monde n'était pas digne (1). Quelle était leur continuelle occupation ? de considérer le ciel et d'y adresser tous leurs vieux. Voila ce qu'ils faisaient dans leurs déserts et dans leurs cavernes : qu'ai-je à faire autre chose dans ma solitude et dans la maison de Dieu ?

 

1 Philip , III, 20. — 2 Hebr., XI, 38.

 

SECOND POINT. — Ce ne serait point assez que le ciel fût notre terme, si le bonheur qui nous y est promis n'avait pas de quoi combler Ions nos désirs. Mais c'est un bonheur parfait, puisqu'il consiste dans la possession même du souverain bien, qui est Dieu. Aussi quel empressement témoigna le Sauveur du monde, et quelle ardeur de retourner dans son royaume ! Quelles idées en donnait-il à ses apôtres, en les disposant à son départ, et les consolant de la perte qu'ils allaient faire de sa présence visible ? Il leur représentait cette béatitude céleste comme un repos inaltérable, où ils seraient exempts de tous les troubles et de tous les maux de cette vie ; comme une gloire éternelle, que nul événement ni nul changement ne leur pourrait jamais enlever; comme l'assemblage de tous les biens, où rien ne leur manquerait et où ils seraient pleinement rassasiés. Il y a lieu de croire que le jour même qu'il se sépara d'eux, il leur retraça toutes ces pensées et leur confirma ces grandes promesses. De sorte qu'après qu'une nuée l'eût dérobé à leur vue, ils ne laissèrent pas de rester sur la montagne, ne pouvant plus retirer du ciel leurs regards, ni les abaisser vers la terre, tant ils étaient épris des beautés de ce bienheureux séjour, qu'ils ne voyaient pas encore, mais dont ils avaient néanmoins l'esprit tout rempli, et qui seul leur semblait digne de leur attention.

C'est le même royaume qui m'est destine. c'est la même gloire. Je n'en puis avoir maintenant qu'une connaissance imparfaite, car nul homme en ce monde n'a vu, ni entendu, ni compris ce que Dieu prépare à ses élus. Mais la foi m'en apprend assez. Cette seule vue même de la foi, et ces hautes espérances quelle me donne, ont eu déjà assez de vertu sur moi, pour me faire renoncer au monde et à tous ses biens. J'ai cédé aux mondains tous les héritages temporels dans l'attente de l'héritage éternel, et en cela j’ai choisi la meilleure part (1) comme Madeleine. Mais après un tel choix, qui m'a coûté tout ce que je possédais sur la terre, ou tout ce que j'y pouvais un jour posséder. ne suis-je pas bien à plaindre, si, ne m'étant réservé que le ciel, je m'occupe de quelque autre chose, et si je suis sensible à quelque autre chose?

Or voilà toutefois ce que je suis dans la pratique, et ce que je fais : car, en vérité, n'ai-je pas encore l'esprit et le cœur tout terrestre? Où se portent plus  communément mes

 

1 Luc, X, 42.

 

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réflexions, mes affections, toutes mes prétentions ? Les anges reprochèrent aux apôtres qu'ils s'arrêtaient trop à contempler le ciel ; et il fallut qu'ils leur fissent une espèce de violence pour les tirer de cette profonde contemplation où ils demeuraient. Hélas ! j'ai bien un autre reproche à me faire, et je puis bien me dire tout au contraire : pourquoi tant d'attention à de vains objets indignes de m'attacher, comme ils sont incapables de me contenter? Il faut à mon âme un bonheur solide et un plein repos : mais où est-il ? où l'ai-je cherché jusques à présent ? l'y ai-je trouvé? puis-je compter de l'y trouver jamais? Toute ma vie se passe donc et se passera, si je n'y prends garde, en de frivoles amusements ; car puis-je autrement appeler tout ce qu'on regarde, surtout dans la religion, comme de petites fortunes et de prétendus avantages ? Encore si ce n'étaient que de simples amusements; mais n'a-ce pas été souvent pour moi, et n'est-ce pas pour bien d'autres, par les inquiétudes et les embarras que tout cela cause, de vrais tourments? Qu'heureuse dès ce monde est l'âme qui, détachée de tout bonheur humain et présent, ne soupire qu'après le bonheur à venir, et se met ainsi en état d'en goûter par avance la divine onction et les saintes douceurs?

 

TROISIÈME POINT. — Après nous avoir donné à connaître, et le terme où nous sommes appelés, et le bonheur qui nous y est proposé, il restait ,de nous apprendre à quelle condition cette souveraine félicité nous est promise, et par quelle voie nous y pouvons parvenir. Or c'est enfin ce que nous enseigne le Fils de Dieu dans ce mystère. Il monte au ciel, et il y entre comme dans une place de conquête. Pour l'emporter, il a fallu qu'il versât son sang et qu'il donnât sa vie. Vérité que nous déclarent bien sensiblement les cicatrices de ses plaies, qu'il conserve toujours sur son sacré corps, tout glorieux qu'il est, et au milieu même de son triomphe. En nous les montrant il nous dit : Voilà le prix que m'a coûté le royaume que je vais posséder, et voilà comment vous devez l'acheter et à quel titre vous devez le posséder vous-mêmes ; car vous ne l'aurez point autrement que moi.

Qui peut se plaindre d'une loi si raisonnable, et qui peut aspirer à la même couronne que Jésus-Christ, sans vouloir la mériter comme lui? Cependant que fais-je pour cette éternité bienheureuse? Ce n'est pas que je ne mène une vie assez contraire aux sens et assez dure ; car toute vie religieuse est par elle-même une croix. Mais si ce n'est pas purement pour Dieu, ni en vue de la récompense qu'il m'a préparée, que je porte celle croix, quoi que j'aie à souffrir, c'est, par rapport au ciel, comme si je ne souffrais rien ; et quoi que je fasse, c'est comme si je ne faisais rien. Je ne marche point proprement après Jésus-Christ, et la malédiction de saint Bernard tombe sur moi : Malheur à l’âme qui porte la croix de Jésus-Christ , et qui néanmoins ne suit pas Jésus-Christ! Or, dans tous mes devoirs et dans les exercices de mon état quel esprit me fait agir? Est-ce un vrai dessein d'accomplir les volontés de Dieu et d'obtenir sa gloire? Sans cela il serait bien à craindre que la vie religieuse ne fût point pour moi la voie du ciel.

Mais pour qui i'est-elle ? pour une âme fervente , plus religieuse encore d'esprit et de cœur que d'habit et de nom. C'est pour la vie éternelle qu'elle a embrassé la pauvreté de Jésus-Christ, son obéissance, ses humiliations, sa mortification; et cette espérance, qu'elle n'oublie jamais, lui fait soutenir avec constance toute l'austérité et toute la sainteté de sa profession. Et est-il en effet une pensée plus touchante et plus capable de l'animer que celle-ci : Je tiens la même route que Jésus-Christ pour arriver au même terme? Autant d'observances que je pratique religieusement et constamment, ce sont autant de pas pour m'avancer vers ce saint héritage, et autant de degrès pour m'y élever. Dans cette vue, à quoi ne se résout-on pas; et que trouve-t-on dans la religion de trop rigoureux et de trop pénible? Quelle estime conçoit-on pour un état qu'on regarde comme la porte du royaume de Dieu ? Serais-je moi-même si tiède et si négligent, si j'avais toujours cette réflexion bien imprimée dans le souvenir? 0 quel comble de consolation pour un religieux, quand , après s'être revêtu des livrées de son Sauveur pauvre et souffrant, il entrera en partage de la même béatitude et de la même immortalité que son Sauveur glorieux et triomphant !

 

CONCLUSION. — Qu'est-ce que l'homme, Seigneur, et qui suis-je pour avoir part à votre gloire, et pour régner éternellement avec vous dans l'assemblée de vos élus? Vous êtes un Dieu vraiment magnifique dans vos dons, et non moins fidèle dans toutes vos paroles. Ce n'est pas seulement pour vous-même que vous êtes rentré dans le sein de votre Père ; c'est pour moi, et pour m'y recevoir au temps et au

 

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jour marqué par votre providence. Vous me l'avez ainsi annoncé, et c'est sur votre promesse si authentique et si infaillible que j'attends ce suprême bonheur. Mais, dans une telle attente, comment puis-je, Seigneur, rester sur la terre? Qu'y a-t-il dans le monde qui puisse me retenir? Ou si, jusques à la fin de ma course, je demeure encore nécessairement selon le corps dans cette vie mortelle, tout mon cœur n'est-il pas déjà avec vous dans le ciel, et n'y doit-il pas être?

Ah ! mon Dieu, voilà ma confusion et ma condamnation. Malgré les divines espérances que vous me donnez, mon cœur est encore tout humain : car ce n'est pas seulement aux gens du monde, dissipés par le bruit du monde et enivrés de ses douceurs, mais c'est à moi-même que convient le reproche de votre prophète lorsqu'en votre nom, et inspiré de votre Esprit, il s'écriait : Enfants des hommes, jusques à quand votre cœur sera-t-il dans un si profond appesantissement? Jusques à quand vous attacherez-vous à la vanité quipasse et au mensonge qui vous séduit (1) ? Je ne puis trop le reconnaître, ni trop m'en humilier : l'état religieux, quoique saint d'ailleurs, et très-saint, n'est pas néanmoins exempt de vanités et d'illusions à quoi l'on se laisse surprendre. Vous m'en détromperez, Seigneur, et vous m'en détacherez : je vous le demande. Vous me ferez comprendre ces trois points essentiels, qui ne doivent jamais partir de mon esprit : l'un, qu'il n'y a que le bonheur du ciel que je puisse compter pour un bonheur véritable ; l'autre. que ce bonheur ne doit point être seulement un don de votre miséricorde, mais la récompense de mes œuvres ; enfin, que ce n'est point précisément le mériter que d'être religieux, mais d'agir en religieux. Suivant ces maximes je réglerai toute ma conduite, et je trouverai bien à y changer.

 

1 Psal., IV, 3.

 

TROISIÈME MEDITATION.

DE LA  DESCENTE DU  SAINT-ESPRIT,  OU  DE  L'AMOUR  DE DIEU.

 

 

Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanction qui datus est nobis.

La charité de Dieu s'est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné. ( Rom., chap. V, 5.)

 

PREMIER POINT. — Toutes les créatures nous annonçaient les perfections de Dieu, et toutes les créatures étaient à notre, égard autant de bienfaits de Dieu, dont nous étions, comme nous le sommes encore, redevables à sa providence, et dont il ne cessait point de nous combler. Ainsi elles nous excitaient toutes à l'amour de Dieu. Mais, après tout, cette voix des créatures ne touchait point encore assez nos cœurs, et rien, à ce qu'il semble , n'était capable de les émouvoir et de les engager. Quel est donc le moyen le plus excellent que Dieu a pris pour inspirer aux hommes son amour? c'a été de nous envoyer le Saint-Esprit, qui est lui-même personnellement et substantiellement l'amour de Dieu. Aussi comment est-ce que descendit ce divin Esprit? en forme de feu, pour nous donner à connaître qu'il était tout amour par son ardeur, et qu'il venait embraser de cette même ardeur toutes les âmes.

Or ce n'est pas pour cette fois seulement qu'il s'est communiqué sur la terre.  Il s'y communique tous les jours, et il y a même des temps particuliers où il se fait sentir, et où ce feu céleste agit dans une âme avec plus de force. Tel est le temps de la retraite. Ce fut à la lin de la retraite que firent les apôtres dans le cénacle, que cet esprit d'amour leur fut envoyé ; et, si je me suis bien acquitté de celle que je viens de faire, j'ai lieu de penser que je l'ai reçu tout de nouveau. Mais en veux-je un témoignage solide? je le connaîtrai par mon amour pour Dieu ; car recevoir le Saint-Esprit et aimer Dieu, c'est une même chose ; et il faut que j'aime Dieu à mesure que j'aurai reçu l'Esprit de Dieu.

Que dis-je et pourquoi parler de mesure où il n'y en doit point avoir ? C'est sans mesure que Dieu nous donne son Esprit : c'est donc sans mesure que nous devons aimer Dieu. Non, mon Dieu, point de bornes dans mon amour pour vous, puisqu'il n'y en a point dans tout ce qui vous rend si aimable pour moi. Vous êtes un Dieu infini ; ma charité doit donc être, en sa manière, une charité infinie. Quelque étendue qu'elle puisse avoir, elle n'ira jamais au-delà de ce que vous méritez; et c'est ce que votre Esprit, si j'en suis animé, me représente continuellement au fond de mon âme. Il

 

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me retrace toutes vos grandeurs, toutes vos vertus, toutes vos perfections; et de là il me fait bientôt conclure qu'à quelque degré d'amour que je me porte, je ne puis excéder en vous aimant. Dans tout le reste il peut y avoir de l'excès. Je puis user dans les rencontres de trop de circonspection et de prudence, je puis prendre garde aux choses avec trop d'attention et trop de vigilance ; je puis même aller trop loin dans la pratique de la mortification et de la pénitence : mais je ne puis trop, Seigneur, vous aimer. Sur ce point, l'Esprit de charité est insatiable, et ne dit jamais : C'est assez.

Hélas ! je ne le dis, moi, que trop et qu'en trop d'occasions. Au moindre acte d'amour que je forme, ou que je crois former pour Dieu dans un bon moment où le Saint-Esprit me fait goûter l'attrait de sa grâce et la douceur de sa divine onction, je m'imagine déjà être ravi au troisième ciel, et avoir marqué à Dieu l'attachement le plus parfait. Mais cette étincelle n'est pas longtemps à s'éteindre. Ah ! un cœur perd-il si aisément le souvenir de ce qu'il aime, et y pense-t-il si rarement? Tout homme sur cela est inexcusable ; mais entre tous les autres hommes, un religieux est sur cela même encore plus coupable : car, dans la religion, il y a beaucoup moins d'objets qui me détournent de Dieu ; et m'étant séparé du monde, que me reste-t-il autre chose que Dieu? Heureux partage que je ne puis assez estimer ! Si je n'en suis pas content, que faut-il pour me satisfaire, et que trouverai-je qui puisse mécontenter? Bien avare est une âme à qui Dieu ne suffit pas (1) ! mais en même temps bien malheureuse et bien criminelle est cette âme, qui n'a que Dieu et qui ne s'attache pas à Dieu !

 

SECOND POINT. — C'est dans le cœur que l'Esprit d'amour vient d'abord se répandre: c'est là qu'il établit sa demeure, et là même aussi qu'il commence à faire sentir ses plus merveilleuses opérations; car l'amour, avant toutes choses, consiste dans l'affection. Que n'inspire-t-il point à l'âme? de quoi ne la dégage-t-il point ? à quoi ne l'élève-t-il point ? On le vit dans les apôtres. Le premier effet de la descente du Saint-Esprit sur eux fut de purifier leurs cœurs ; de sorte qu'il n'y resta plus la moindre attache qui ne vint immédiatement de Dieu, et qui ne les portât directement et uniquement à Dieu ; car ils comprirent des lors ce qu'a dit depuis un grand saint: Qu’un cœur aime d’autant moins Dieu, qu'il

 

1 Aug.

 

aime quelque chose avec Dieu, s'il ne l'aime pas pour Dieu (1).

De là s'ensuivit le second effet de la présence de ce même Esprit d'amour dont les apôtres furent remplis. Plus un cœur est pur et libre de tout attachement aux objets visibles, plus le divin amour le touche intérieurement, l'excite, l'embrase. Dès qu'un feu n'a plus d'obstacle qui l'arrête, quel incendie ne cause-t-il pas ? Et comment aussi les apôtres sortirent-ils du cénacle? comme des hommes transportés ; jusque-là qu'on les croyait pris de vin, tant ils parurent animés et hors d'eux-mêmes. Voilà ce qu'ont éprouvé tant de saints. Tout ce que l'amour profane a de plus vif et de plus pénétrant n'est point comparable aux mouvements affectueux qui les ravissaient. Ils en tombaient en de saintes défaillances, et ils en perdaient jusqu'à l'usage de leurs sens. Si vous rencontrez mon bien-aimé, disait cette fidèle épouse des Cantiques, faites-lui connaître l'état où je suis, et la langueur où me réduit mon amour (2).

C'est ainsi qu'ils étaient disposés. Or n'ai-je pas comme eux un cœur capable d'aimer Dieu ? D'où vient donc que ce cœur, qu'il n'a fait que pour lui, est néanmoins toujours à son égard si froid et si peu sensible? De tout ce qui a rapport à Dieu, rien ne l'affectionne, rien ne l'émeut ; ni oraisons, ni offices divins, ni sacrements, ni entretiens spirituels, ni lectures de piété. On a beau me dire que dans l'amour de Dieu la sensibilité n'est point nécessaire; cela est vrai ; mais il n'est pas moins vrai que si mon cœur était bien vide des choses humaines et bien solidement à Dieu, je me trouverais en de tout autres dispositions, et j'aurais de tout autres sentiments. Ah ! j'ai tant de vivacité, et quelquefois je me laisse si aisément attendrir sur de vains sujets ! n'y aura-t-il que Dieu pour qui je serai tout de glace? ne lui suis-je pas assez redevable ? ne m'a-t-il pas fait assez de grâces, et ne m'en fait-il pas assez chaque jour! n'a-t-il pas pour moi des caractères assez touchants? Ces titres qu'il porte de père, de créateur, de conservateur, de rédempteur, mille autres, sont-ils trop peu engageants pour m'attirer? Toutes ces idées ne me sont-elles pas assez présentes; et que vois-je autour de moi qui ne m'annonce incessamment les miséricordes infinies de mon Dieu? Elles sont incompréhensibles : mais, Seigneur, plus elles sont au-dessus de tout ce que j'en puis penser,  plus  l'indifférence de

 

1 Aug.— 2 Cant., V, 8.

 

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mon cœur me devient par là même inconcevable, et plus je dois me la reprocher devant vous et m'en confondre.

 

TROISIÈME POINT. — Mais encore qu'est-ce qu'aimer Dieu, et tout mon amour doit-il se borner à des affections et à des sentiments ? Afin de m'instruire là-dessus, il me suffit de considérer ce que Dieu fait pour nous dans ce mystère. Il nous aime, et, pour nous témoigner son amour, il ne se contente pas de nous avoir donné son Fils, il fait encore descendre sur nous son Esprit. Il nous le donne, et en nous le donnant il se donne lui-même à nous. Voilà le caractère de l'amour de mon Dieu pour une aussi vile créature que je le suis. Rien ne lui coûte dès qu'il s'agit de mes intérêts, et il n'a rien de si grand et de si divin, dont il ne me fasse part.

Faut-il bien des raisonnements pour apprendre de quel retour je dois user envers lui, et comment je le dois aimer? 11 ne m'a pas seulement aimé de cœur, mais en œuvres : ou plutôt , parce qu'il m'a aimé véritablement et de cœur, son amour n'a point été oisif, mais il s'est fait connaître par les effets les plus merveilleux et les plus éclatants. Si donc je l'aime, y a-t-il rien que je lui puisse refuser ; rien, dès qu'il est question de le servir et de lui plaire, que je doive épargner ? Car sans cela , sans cette pleine fidélité à suivre ses divines volontés et à pratiquer généralement et ponctuellement tout ce qu'il demande de moi , comme il le demande de moi, autant qu'il le demande de moi, en vain je dis que je l'aime : ce ne sont que des paroles, et rien de plus.

Aussi l'amour de Dieu est-il l’accomplissement de toute la loi. Accomplissement de toute la loi, parce qu'il n'y a pas un point dans la loi, ni si petit, que l'amour de Dieu nous laisse négliger, ni si relevé, dont l'amour de Dieu ne nous fasse soutenir la pratique. Que n'ai-je bien commencé à aimer Dieu 1 ! Dès là toutes les difficultés qui m'arrêtent depuis longtemps, et tous les obstacles, seraient tout à coup levés. Je m'étonne de ce que les saints ont entrepris pour Dieu , et de ce qu'ils ont soutenu jusques au dernier jour de leur vie. Mais il n'y a rien là qui me doive surprendre, quand je pense qu'ils aimaient Dieu. Je vois encore, dans le même ordre et sous la même règle que moi, de saintes âmes vivre dans une régularité et agir en tout avec un zèle et une persévérance que j'aurais peine à croire , si je n'en étais témoin. D'où leur vient cette ferveur sans relâche et cette fermeté inébranlable? de l'amour de Dieu. Au lieu de la surprise où je suis en leur voyant faire ce qu'ils font, je devrais bien plus m'étonner qu'ils aimassent Dieu et qu'ils ne fissent pas tout cela. De là même je dois voir si j'ai lieu de me flatter en quelque sorte d'avoir jusques à présent aimé Dieu. Peut-être lui ai-je assez protesté que je l'aimais ; mais, à juger de mes paroles par mes œuvres, puis-je compter sur toutes mes protestations? Réflexion bien humiliante et bien terrible ! car je ne puis être aimé de Dieu , si je ne l'aime. Ah ! mon Dieu, que ce soit du moins aujourd'hui et pour jamais que ce saint amour s'allume dans mon cœur!

 

CONCLUSION. — Divin Esprit, charité essentielle et toujours subsistante, source intarissable de ce sacré feu qui brûle les anges bienheureux et tous les élus de Dieu, descendez, ouvrez mon âme, et venez vous-même l'embraser. Si elle se tient encore fermée, faites-lui une salutaire violence. Vous pénétrez partout, et il ne vous faut qu'un trait pour enflammer tout un cœur et le consumer. C'est donc par vous que je puis sortir de ma retraite, comme les apôtres sortirent du cénacle ; avec le même amour, et par conséquent avec la même résolution , la même activité, la même force. Dans toute la suite de leurs années, rien désormais ne les put séparer de la charité de Jésus-Christ et de la charité de Dieu. Qui m'en séparera moi-même? Car c'est maintenant,ô Esprit d'amour, que je me livre tout entier à vous, pour m'attacher à mon Dieu d'un lien indissoluble et d'un amour éternel. Que voudrais-je encore lui dérober de ma vie; et ce que je lui déroberais, à qui le donnerais-je?

Hélas! Seigneur, je n'ai jusques à présent que trop partagé mon cœur entre vous et d'autres objets ; mais n'étant pas à vous uniquement, il n'y était point du tout. Car vous êtes un Dieu jaloux, et vous voulez un amour sans réserve. Vous le méritez bien, ô mon Dieu ! et je suis bien indigne de vos grâces, si tant de grâces que j'ai reçues de votre main libérale et paternelle ne suffisent pas pour m'apprendra à vous aimer. Eh ! Seigneur, l'ai-je su jusques à ce jour ? Mais que devais-je néanmoins savoir autre chose? Avec cela seul, j'aurais su tout le reste ; c'est-à-dire que j'aurais su remplir tous les devoirs de mon état et en pratiquer toutes les vertus. C'est ce que votre Esprit m'enseignera. Plaise au ciel qu'il m'inspire

 

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toujours ; et plaise surtout au ciel que j'en suive toujours les divines inspirations, et que jamais je n'en éteigne dans mon âme les saintes  ardeurs!

 

 

CONSIDÉRATION

SUR L'USAGE ET LA FREQUENTATION DES SACREMENTS.

 

PREMIER POINT. — Entre les sacrements, il y en a deux dont l'usage nous peut être plus fréquent et plus commun , savoir : celui de la pénitence par la confession , et celui de la divine Eucharistie par la communion. Aussi est-ce de l'un et de l'autre qu'on entend parler, quand on exhorte les âmes chrétiennes et religieuses à la fréquentation des sacrements. Jésus-Christ lésa établis dans son Eglise, comme deux sources abondantes de toutes les grâces ; et c'est à nous d'en retirer tout le fruit qu'il s'est proposé en les instituant pour notre sanctification.

Ils ont chacun leur vertu propre. Le sacrement de pénitence est comme un baptême, qui nous purifie et nous lave de toutes les taches de nos péchés. Le sacrement de l'Eucharistie est comme une manne et un pain, qui nourrit notre âme ; qui l'engraisse, selon le terme de l'Ecriture ; qui la fait croître et l'entretient dans une étroite union avec Dieu. Or le Saint-Esprit nous témoigne que le juste même tombe et pèche jusques à sept fois le jour : d'où il s'ensuit que nous avons donc sans cesse besoin d'être purifiés, et par conséquent que nous devons souvent recourir à la pénitence et à son sacrement. De plus, nous ne pouvons ignorer quelle est toujours notre faiblesse, malgré toutes les résolutions que nous avons formées au saint tribunal et dans le sacrement de pénitence. D'où suit encore cette autre maxime, qu'il nous faut un aliment solide pour nous soutenir dans le chemin de la perfection, et pour nous aider à y faire continuellement de nouveaux progrès. Cet aliment, c'est l'adorable Eucharistie, et de là nous devons juger combien il nous importe de ne nous en tenir pas longtemps éloignés, mais d'en approcher autant qu'il nous est permis, et d'y participer.

Voilà pourquoi les maîtres de la vie spirituelle ont tant recommandé la fréquente confession et la fréquente communion. Ils recommandent l'une et l'autre aux fidèles en général; mais en particulier, et à bien plus forte raison, aux personnes religieuses. La fréquente confession est un moyen très-efficace, non-seulement pour obtenir la rémission des fautes actuelles dont nous nous rendons coupables, et pour nous maintenir par là dans l'innocence et la pureté du cœur, mais pour nous faire acquérir la connaissance de nous-mêmes; pour nous faire prévoir les occasions dangereuses et personnelles que nous avons à éviter, et pour nous apprendre à les prévenir ; pour empêcher que nos imperfections, par une malheureuse prescription, ne se tournent en habitude, et qu'elles ne s'enracinent. Car tout cela, et bien d'autres avantages, c'est ce que produit la grâce du sacrement dans les âmes qui y sont plus assidues, surtout quand la fréquente communion s'y trouve jointe. Par cet usage ordinaire et fréquent de l'Eucharistie, l'âme est comme transformée en Jésus-Christ. A chaque communion, elle reçoit de nouvelles lumières pour connaître ses devoirs; elle sent de nouvelles pointes qui sont autant de remords de ses relâchements et de ses infidélités ; et elle prend de nouvelles forces pour se relever, et pour redoubler le pas dans la voie sainte où Dieu l'appelle.

De tout ceci je dois tirer par rapport à moi une conséquence particulière, et qui m'est d'une grande importance. C'est que le fréquent usage de la confession et de la communion est un des plus sûrs préservatifs contre les attié-dissements et les rechutes où ma fragilité, qui est extrême, m'a si souvent entraîné, et où j'ai infiniment à craindre qu'elle ne m'entraîne encore après cette retraite. Tant que je conserverai un certain zèle pour fréquenter les sacrements, et que j'y aurai un certain attrait, ce sera un des meilleurs signes à quoi je pourrai voir la bonne disposition de mon âme; de même qu'un bon appétit est communément une des marques les plus certaines de la bonne santé du corps. Si quelquefois la tentation me presse avec plus de péril, et que je me sente moins ferme que je n'étais, cette fréquentation des sacrements sera un frein pour me retenir. Ou s'il m'arrive enfin de déchoir en quelque

 

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chose et de m'échapper, ce sera une prompte ressource pour me ramener de mon égarement et pour me remettre dans l'ordre.

Mais tout au contraire, dès que je viendrai à négliger les sacrements, et que je les fréquenterai moins, peu à peu je dégénérerai et je m'éloignerai de Dieu. Car c'est par là, dans la religion comme dans le monde, que l'on commence à se déranger. Une personne, outre ses confessions ordinaires, faisait de temps en temps des revues. Elle avait dans le mois, dans la semaine, certain nombre de communions réglées par un sage conseil. Mais dans la suite elle se relâche. De manquer une confession , une communion, ce n'est plus pour elle une peine. Elle se fait même de son relâchement un prétexte pour se tenir plus éloignée des saints mystères. Sa piété se refroidit, et dans peu son état est tel qu'il était avant sa retraite, et même plus mauvais. Dieu veuille que je ne l'éprouve pas moi-même tout de nouveau, après l'avoir déjà peut-être tant de fois éprouvé !

 

SECOND POINT. — L'usage des sacrements ne peut être utile qu'autant qu'il est saint ; et il n'est saint qu'autant qu'on y apporte les dispositions convenables. On les connaît assez, surtout parmi les personnes religieuses; maison n'y est pas toujours aussi attentif qu'on le devrait; et pour descendre à quelques points particuliers, il y a dans l'usage du sacrement de pénitence deux extrémités à éviter.

L'une est une timidité trop scrupuleuse et une crainte excessive d'y venir sans la préparation absolument requise. Car il faut convenir qu'il y a quelques âmes timorées, qui portent là-dessus trop loin la vigilance et la précaution. Elles ne peuvent presque jamais se persuader qu'elles soient suffisamment disposées, soit à l'égard de l'examen qu'elles doivent faire de leurs fautes, soit à l'égard de la douleur qu'elles en doivent concevoir. D'où il arrive que, pour une confession de peu de jours, elles consument un temps infini à rechercher tous les sujets d'accusation qu'elles s'imaginent avoir, et à les arranger dans leur mémoire. En sont-elles venues à bout, il faut ensuite former l'acte de contrition, et c'est pour elles un autre embarras. Elles la veulent sentir, cette contrition, et pour cela elles mettent leur esprit à la torture, et se dessèchent la tête. Enfin, après bien des efforts et bien des tourments, croient-elles pouvoir procéder à la déclaration de leurs péchés: nouvelle peine. Dès qu'il est question de parler, le trouble les saisit, et elles ne savent plus guère ce qu'elles disent. Longs discours sur des points où un mot suffirait, répétitions perpétuelles, circonstances inutiles. Encore, après être sorties du tribunal, y reviennent-elles bientôt, parce qu'elles ont peur de ne s'être pas assez expliquées, et d'avoir omis plusieurs choses. De sorte que la confession leur devient un fardeau des plus pesants, et un travail qui les fatigue, qui les dégoûte, et leur ôte toute dévotion. Le remède serait de leur faire comprendre que la prudence chrétienne et les soins raisonnables qu'exige de nous l'Eglise ne vont point jusqu'à de pareilles in-. quiétudes : mais parce que souvent elles ne sont pas même en état d'entendre là-dessus raison, le plus court et le meilleur conseil qu'elles aient à suivre est de s'en rapporter au directeur en qui elles ont mis leur confiance, et de faire ponctuellement ce qu'il leur prescrit.

Outre cet excès d'une préparation trop scrupuleuse, il y en a un autre tout opposé, et beaucoup plus dangereux : c'est celui d'une préparation trop superficielle et trop légère. Car il est vrai que les personnes même religieuses, qui approchent souvent du sacrement de pénitence,  doivent prendre extrêmement garde à ne s'y pas tellement habituer, qu'elles ne  donnent pas à chaque confession tout le temps et toute l'attention nécessaires. Il n'y va pas moins que d'un sacrilège ; et ce serait un étrange renversement, que, bien loin de se purifier au saint tribunal, elles s'exposassent à en sortir plus criminelles devant Dieu, qu'elles n'y étaient venues. Les fautes qu'elles viennent confesser peuvent n'être que vénielles : et par la miséricorde de Dieu, ce ne sont point en effet communément des fautes grièves : mais du reste, toutes vénielles que sont ces fautes, il y a une obligation étroite et sous peine de péché mortel,  en  les confessant, d'en avoir une vraie douleur, et d'être dans une vraie résolution de les éviter. Sans  cela, confession nulle, et abus du sacrement.  Désordre où l'on peut dire dans un sens qu'une âme religieuse peut plus aisément tomber que les plus grands pécheurs. Car ces fautes, par leur légèreté, n'étant pas ordinairement d'une nature à faire beaucoup d'impression sur l'esprit et sur le cœur, elle a plus de sujet en quelque sorte de se défier de ses sentiments et de ses dispositions. C'est pourquoi plusieurs personnes vertueuses ont cette coutume très-sage et très-solidement fondée, de joindre toujours, ou en général ou en particulier, aux fautes présentes dont elles s'accusent, quelques-uns des péchés passés,

 

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qui peuvent exciter davantage leur repentir et l'assurer. Quoi qu'il en soit de cette pratique, qui n'est après tout que de surérogation et de conseil, il est certain que la fréquente confession, si louable d'ailleurs et si avantageuse, a néanmoins ses dangers, et qu'il s'y peut quelquefois glisser des défauts très-essentiels. C'est à moi de voir quelle conduite sur cela j'ai tenue jusques à présent, et d'y remédier, si j'ai lieu de craindre qu'elle n'ait pas été telle qu'il convient.

 

TROISIÈME POINT. La bonne confession dispose à la bonne communion ; et je n'ignore pas quelles sont, outre cette première préparation, les autres dispositions requises pour paraître dignement à la table de Jésus-Christ. Ce que j'ai donc surtout à examiner, c'est la manière dont je m'acquitte d'une action si importante ; et de quoi je dois rougir en la présence de Dieu, c'est d'avancer si peu, quoique je mange si souvent le pain des anges et une viande toute divine. Une communion bien faite est plus que suffisante pour sanctifier une âme : et cependant après tant de communions je ne remarque en moi nul progrès, et je n'y vois au contraire qu'imperfections et qu'infidélités. D'où vient cela? Ce ne peut être que de ma négligence et de ma tiédeur. Car il faut convenir, non pas à la honte de l'état religieux, lequel condamne toutes mes lâchetés, mais à ma propre confusion et à celle de bien d'autres comme moi, que dans la religion même il n'y a que trop de communions très-imparfaites et dès là très-infructueuses.

Je communie ; mais combien de fois l'ai-je fait peut-être par un respect tout humain, ne voulant pas me séparer du reste de la communauté, ni parla me distinguer; regardant la communion comme une gêne, et n'y allant que par une espèce de contrainte?

Je communie; mais avec quelle réflexion, soit avant la communion, soit dans la communion même, soit dans l'action de grâces qui la doit suivre? La cloche m'appelle, et je marche sans avoir peut-être un moment pensé où je vais. Au milieu de la communauté assemblée, j'assiste au sacrifice de la messe avec un esprit distrait et sans dévotion. L'heure vient de se présenter à la sainte table : je m'y range à mon tour, après avoir précipitamment et confusément formé quelques actes. Enfin je reviens à ma place, et là je retombe tout à coup dans ma première indifférence, ne disant rien ou presque rien à Dieu. Le temps ordinaire est-il passé, je ne tarde guère à sortir, et de toute la journée je ne fais nulle attention à l'avantage que j'ai eu de participer au sacré mystère.

Je communie ; mais avec quelle vue particulière et quel dessein? Au lieu de me proposer dans chaque communion une fin, selon l'avis qu'en donnent les plus habiles directeurs : par exemple, au lieu de me proposer, dans ma communion et par ma communion, d'obtenir de Dieu la grâce, tantôt de mieux pratiquer telle vertu , tantôt de mieux supporter telle peine, tantôt de me corriger de telle habitude , tantôt de me fortifier contre telle faiblesse, tantôt de me ranimer dans l'exercice de la prière, tantôt de m'entretenir ou dans une régularité plus fervente, ou dans un esprit plus intérieur, ou dans une union plus intime avec Jésus-Christ, ainsi du reste ; au lieu, dis-je, de tout cela, je n'ai dans toutes mes communions qu'une idée vague sans terme ; et ne les rapportant à rien, il arrive aussi que je n'en remporte rien.

La source du mal, c'est que je ne sais pas faire du don de Dieu toute l'estime qui lui est due : et c'est d'ailleurs que je m'intéresse bien peu à mon avancement spirituel, et que j'ai peu de zèle pour la perfection de mon âme. Car si je m'appliquais sérieusement à considérer la souveraine grandeur du maître qui vient à moi, sa bonté ineffable qui l'engage à se donner lui-même à moi, les richesses inépuisables qu'il apporte avec lui et qu'il veut répandre sur moi, comment irais-je le recevoir? avec quel respect et quelle sainte frayeur ? avec quel bas sentiment de moi-même et quelle humilité? avec quelle reconnaissance ? avec quel amour ? Et si j'avais un vrai désir de me perfectionner et de m'élever, qu'oublierais-je de tout ce qui me peut rendre plus profitable un si riche trésor de grâces et un sacrement si salutaire ? Voilà sur quoi j'ai à me réformer ; et en me réformant là-dessus, je prendrai l'un des plus puissants moyens de me réformer sur tout le reste de ma vie. Car ce sont deux choses incompatibles, que de bien communier et de ne pas bien vivre selon toute ma règle et tout l'esprit de ma vocation.

 

FIN DU QUATRIEME ET DERNIER VOLUME.

 

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