EXHORTATIONS CHARITÉ IV

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EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES ORPHELINS.

ANALYSE

 

Sujet. La religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre Père est de visiter les orphelins dans leur affliction.

 

Point de paroles plus propres à exciter tout notre zèle en faveur des pauvres orphelins.

 

Division. Toute cette exhortation ne doit être, sans autre partage, qu'une exposition suivie de ces paroles de saint Jacques.

I.  La religion. La charité commune envers les pauvres est sans contredit une partie essentielle de la religion, puisque c'est un devoir que la religion nous recommande, et sur lequel nous serons jugés de Dieu : mais cela est surtout vrai de la charité particulière envers les pauvres orphelins, puisqu'il n'y a qu'un esprit de religion qui nous porte à en prendre soin.

II.  La religion pure et sans tache. Car la vraie religion doit glorifier Dieu et édifier le prochain. Or, est-ce glorifier Dieu que d'abandonner ces pauvres enfants? n'est-ce pas renverser l'ordre de sa providence? Et de quelle édification peuvent être pour le prochain toutes les œuvres de piété que nous pratiquons d'ailleurs, si nous manquons à ce devoir important?

III.  La religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre Père. Dieu est le père des pauvres, et spécialement des orphelins : donc la vraie religion doit engager toute âme chrétienne à aimer singulièrement les orphelins, et à les secourir.

IV.  La religion pure et sans tache est de visiter les orphelins. Pourquoi les orphelins? Parce que l'orphelin est de tous les pauvres le plus destitué de secours et de moyens. Aussi Dieu avait-il ordonné, dans l'ancienne loi, que chaque famille adoptât un orphelin, et qu'il fût traité comme les autres enfants. Il voulait de plus qu'une partie des dîmes fut affectée aux orphelins, et que les juges leur rendissent la justice préférablement à tous les autres.

V.  La religion est de visiter les orphelins dans leur affliction. En quel état se trouve cette maison destinée à les recueillir, et que n'y souffrent-ils point? leur sang demandera justice à Dieu contre ceux qui les auront délaissés.

 

Religio munda et immaculata apud Deum et patrem hœc est, visitare pupillos in tribulatione eorum.

 

La religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre père, est de visiter les orphelins dans leur affliction. (Epitre de Saint Jacques, chap. 1, 27.)

 

Voilà, Mesdames, la plus haute idée que vous puissiez concevoir et que je puisse vous donner du devoir de charité pour lequel vous êtes assemblées. Ce n'est pas moi qui vous la propose, c'est le Saint-Esprit ; et jamais l'Ecriture n'a rien décidé en des termes plus exprès que ce que vous venez d'entendre. Aussi dans toute l'Ecriture ne pouvais-je choisir un texte plus propre que celui-ci pour satisfaire à ce que vous attendez de moi, et à l'engagement où je suis d'exciter votre compassion envers les orphelins. L'Ecriture ne  dit pas qu'une partie de la religion consiste à les visiter et à les secourir : elle dit absolument qu'en cela consiste la religion, et la religion pure et sans tache, la religion parfaite : Religio munda et  immaculata. Or on ne peut douter que ce passage ne convienne  particulièrement à ceux dont je dois vous entretenir, puisqu'il est évident que dans le monde chrétien il n'y a point ;    d'orphelins, si j'ose ainsi dire, plus orphelins, ni par conséquent plus dignes de votre zèle. Il

 

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fallait toute l'autorité de la parole de Dieu pour vous persuader de cette importante vérité, que la religion est particulièrement attachée au soin de ces enfants qui réclament votre assistance : mais je puis vous assurer, Mesdames, que si vous comprenez bien le sens de l'Apôtre, cette vérité vous paraîtra non-seulement très-raisonnable, mais très-naturelle, très-conforme à tous les principes du christianisme ; et c'est de quoi j'entreprends ici de vous convaincre. Le lieu où je parle est spécialement destiné, disons mieux, spécialement consacré à la subsistance et à l'éducation de ces orphelins, qui, par l'iniquité des hommes, se trouvent tous les jours exposés au danger de périr et de se perdre, si la Providence et la charité publique ne venaient à leur secours. Oeuvre de Dieu dont vous ne pouvez ignorer l'utilité et la nécessité; œuvre de Dieu dont on me charge de vous représenter l'état, en vous faisant au même temps connaître l'obligation que vous avez d'y contribuer, et le mérite que vous aurez d'y participer. Pour cela, Mesdames, tout mon dessein est de vous développer, dans une exposition simple et suivie, les paroles de mon texte. Il ne m'en échappera pas une, parce qu'il n'y en a pas une qui ne demande une réflexion particulière. Appliquez-vous, s'il vous plaît, et commençons.

I. On conçoit assez que le zèle d'assister les pauvres, surtout les orphelins, qui de tous les pauvres sont les plus abandonnés, est une partie essentielle de la religion, puisque c'est un des devoirs que la religion nous recommande plus expressément, et qu'elle nous en fait un point capital : Religio ; car il semble que de là dépende toute la prédestination des hommes, et que le jugement de Dieu doive uniquement rouler sur ce précepte. Venez, dira le Sauveur du monde à ses élus, venez, vous qui êtes bénis de mon Père, parce que j'ai eu faim et que vous m'avez donné à manger, parce que j'étais nu et que vous avez pris soin de me vêtir, parce que je manquais de tout et que vous avez pourvu à mes besoins. On conçoit encore que l'aumône faite au pauvre et à l'orphelin est non-seulement une dépendance et une suite du culte de Dieu, mais un exercice actuel du culte de Dieu, puisque dans la personne de l'orphelin et du pauvre on rend hommage à Dieu même. Honorez, dit le Sage, au livre des Proverbes (1), honorez le Seigneur de vos biens. On convient même, pour la consolation de ceux qui contribuent à cette

 

1 Prov., III.

 

sainte œuvre dont il s'agit ici, et à laquelle je vous exhorte, on convient que la charité qui se pratique envers les orphelins est une espèce de sacrifice, ou un vrai sacrifice que l'on offre à Dieu ; d'où il s'ensuit que c'est donc un des premiers et des plus excellents actes de la religion. N'oubliez pas la charité, disait saint Paul aux Hébreux (1), et faites part de ce que vous avez, parce que c'est par de telles hosties qu'on se rend Dieu favorable.

Tout cela est certain ; mais pourquoi saint Jacques nous marque-t-il si absolument que la religion est d'assister les orphelins et de les visiter; et pourquoi paraît-il la réduire à ce seul point? voici, selon saint Augustin, sur quoi est fondée sa proposition. C'est qu'en effet toute la religion se réduit à la charité, se rapporte à la charité ; qu'elle a la charité pour principe, la charité pour fin, la charité pour objet. Ce qui faisait conclure au maître des Gentils que la charité est la plénitude de la loi : Plenitudo ergo legis est dilectio (2), entendant par ce terme dilectio, l'amour du prochain ; car voilà pourquoi il ajoutait : Qui diligit proximam, legem implevit (3) ; Celui qui aime son prochain accomplit toute la loi. Or quiconque a le zèle d'assister les orphelins et de les visiter, doit conséquemment avoir dans le cœur cet amour du prochain : je dis cet amour surnaturel, cet amour chrétien , amour pur , qui, dégagé de tous les intérêts du monde, regarde le prochain dans Dieu, et le soulage pour Dieu. Quel autre motif nous y porterait, et qui pourrait sans cela nous faire penser à des misérables dont l'unique titre pour s'attirer cet amour est d'être les créatures de Dieu? Je puis donc dire, et il est vrai, que celui qui s'affectionne à ces malheureux, et qui, connaissant leurs nécessités, s'empresse de leur procurer tous les soulagements qu'il est en état de leur fournir, a dans l'âme, non-seulement de la religion, mais le fond de la religion, mais l'abrégé de toute la religion ; c'est-à-dire qu'il est dès là préparé et déterminé à remplir sans réserve tous les autres devoirs de la religion ; et comme devant Dieu la préparation du cœur, quand elle est sincère, est réputée pour l'effet même, par ce seul acte de religion il a déjà en quelque manière tout le mérite de la religion ; il en a déjà tout l'esprit : Religio hœc est. Quel avantage, Mesdames, et quel bonheur pour une âme chrétienne de pouvoir, avec vérité et toujours avec humilité, se rendre à soi-même ce témoignage de sa religion! On dit tous les jours qu'il

 

1 Hebr., XIII. — 2 Rom., XIII, 10. — 3 Ibid.

 

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n'y a plus de foi dans le monde ; c'est une plainte ordinaire, et une plainte qui, dans un sens, ne se vérifie que trop ; mais en quelque sens qu'on puisse l'entendre, il y aura de la foi parmi nous tant qu'il y aura des âmes charitables, puisqu'elles ne peuvent être vraiment et solidement charitables que par la foi, et que le degré de leur foi répond à l'abondance et à la mesure de leur charité : Religio hœc est.

II. De là, Mesdames, par une règle toute contraire, se flatter d'avoir de la religion, et n'avoir pas ce zèle de compassion, de tendresse, de miséricorde, pour des sujets aussi délaissés que le sont ceux en faveur de qui je vous sollicite, c'est une religion chimérique et imaginaire, une religion vaine et apparente, une religion dont Dieu n'est point honoré, et dont les hommes ne sont nullement édifiés. Voilà néanmoins la religion de notre siècle, et Dieu veuille que ce ne soit pas la vôtre! On voit des femmes qui se piquent d'être chrétiennes et de pratiquer la dévotion , mais qui, toutes pieuses et toutes dévotes qu'elles paraissent, n'ont que de l'indifférence pour les pauvres, sont insensibles à leur misère, les laissent souffrir, sans être touchées de leurs maux, ni se mettre en peine de les adoucir. Elles ont, si vous voulez, de la piété, mais une piété stérile , une piété dont les pauvres ne profitent point, une piété qui dès lors ne peut être cette piété pure et sans tache que l'Apôtre nous recommande : Religio munda et immaculata.

Il faut que la piété, pour être pure et sans tache, glorifie Dieu. Or est-ce le glorifier, que de violer un de ses préceptes les plus étroits, qui est celui de la charité? Est-ce le glorifier, que de renverser l'ordre de sa providence, qui n'a point donné d'autres fonds aux pauvres que ce qu'ils peuvent et ce qu'ils doivent recevoir de la charité? Est-ce le glorifier, que d'oublier ses images vivantes, ses substituts, ses enfants, qu'il a commis aux soins des fidèles et à leur charité? Il faut que la piété, pour être pure et sans tache, soit édifiante, soit exemplaire, soit exempte devant les hommes de tout reproche, et à l'épreuve de toute censure : et le reproche le plus honteux qu'on puisse faire à une chrétienne qui fait profession de vertu, n'est-ce pas de ne s'occuper que d'elle-même, et de n'avoir nulle pitié des pauvres ! Moins de prières, pourrait-on lui dire, moins de pratiques et d'exercices d'oraison, et un peu plus de bonnes œuvres ; moins de confessions et de communions, et un peu plus d'attention et de vigilance pour vos frères et les membres de Jésus-Christ :

ou plutôt, sans rien retrancher de vos prières, ni diminuer le nombre de vos communions, montrez-en l'utilité et le fruit, par le zèle qu'elles vous inspireront pour des chrétiens comme vous, et pour subvenir à leur indigence. Autrement, ou vous n'avez que les dehors de la religion, ou la religion que vous professez , et dont vous prétendez vous prévaloir, n'est pas la religion sans tache que je vous prêche : Religio munda et immaculata.

III. Religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre père : Apud Deum et patrem. Car Dieu est le père des pauvres, et en particulier le père des orphelins ; par conséquent la vraie religion doit porter toute âme chrétienne à aimer singulièrement les orphelins, et à leur en donner des marques solides : pourquoi ? parce que la vraie religion, répond saint Augustin , est d'entrer dans les vues de Dieu et dans les inclinations de Dieu : or Dieu se plaît à être le père des orphelins, il s'en fait honneur; et quand il se glorifie de cette qualité, il veut être en cela notre modèle : Tibi derelictus est pauper : orphano tu eris adjutor (1) ; Oui, Seigneur, c'est à vos soins paternels que le pauvre est confié, est c'est vous qui êtes le protecteur de l'orphelin. Que faites-vous donc, Mesdames, quand vous vous appliquez à faire subsister ces pauvres enfants qui sont aujourd'hui l'objet de votre charité? je ne vous dis pas que vous déchargez Dieu du soin de pourvoir à leur subsistance ; il est trop bon pour cesser jamais de penser à eux : mais je dis que vous êtes par là les ministres de sa miséricorde, que vous en êtes les coopératrices et les coadjutrices ; je dis que vous acquittez en quelque sorte sa providence à l'égard de ces enfants, afin qu'ils n'aient jamais lieu de se plaindre qu'il leur ait manqué. Il est leur père ; et quand vous entrez dans leurs besoins par une charité bienfaisante, vous leur tenez lieu de mères en Jésus-Christ. Je dis plus encore : et c'est ainsi que vous devenez, dans un sens aussi véritable qu'il est honorable, comme les mères de Jésus-Christ même. Ne croyez pas qu'il y ait là de l'exagération, puisque c'est le Sauveur lui-même, ce divin Sauveur, qui vous le témoigne : car, dans son Evangile, il a déclaré que sa vraie mère selon l'esprit, c'était quiconque fait la volonté de son Père céleste : Quicumque fecerit voluntatem Patris mei, ipse meus frater et mater est (2). Or pouvez-vous mieux accomplir la volonté du Père céleste qu'en vous employant auprès de ceux dont il

 

1 Psal., IX, 14. — 2 Matth., XII, 50.

 

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vous a particulièrement chargées, qui sont les orphelins? Religio munda et immaculata apud Deum et patrem hœc est.

IV. Mais pourquoi les orphelins? Visitare pupillos. Ne le voyez-vous pas, Mesdames ? parce que l'orphelin est, de tous les pauvres, le plus destitué de secours et de moyens, parce que c'est à l'orphelin que la protection de Dieu est plus nécessaire ; parce que c'est l'orphelin qui a plus droit de recourir à Dieu comme à son unique refuge, et de dire comme David : Mon père et ma mère m'ont quitté, il sont perdus pour moi ; mais le Seigneur m'a pris en sa garde : Quoniam pater meus et mater mea dereliquerunt me ; Dominus autem assumpsit me (1). Ce n'est pas assez; mais j'ajoute qu'entre les orphelins il n'y en a point à qui ces paroles conviennent si naturellement qu'à ceux que la charité a retirés dans cette maison où vous venez les visiter: les autres quoique orphelins, au défaut de leurs pères et de leurs mères, peuvent encore avoir des appuis ; ils trouvent dans leurs familles des parents, des proches, qui les reconnaissent et qui les élèvent; ils ont des tuteurs qui ménagent leur bien et qui font valoir leurs deniers : ceux-ci n'ont ni tuteurs , ni parents, dont ils puissent implorer l'assistance ; désavoués de tout le monde, ils n'ont personne dans tout le monde à qui s'adresser. Les autres, quoique sans père et sans mère, sont souvent dans un âge où ils peuvent s'aider eux-mêmes : ceux-ci, dès le moment de leur naissance, sont exposés au danger prochain de périr, et périraient en effet, si le Créateur qui les a formés ne leur avait ménagé une ressource dans la providence des hommes. Il est donc incontestable que ce sont là les orphelins les plus abandonnés de leurs pères et de leurs mères ; que ce sont ceux sur qui Dieu est plus engagé à veiller, ceux dans qui la religion pure et sans tache se pratique plus à la lettre : Visitare pupillos. C'est entre les bras de Dieu seul que ces pauvres enfants sont déposés; et c'est dans vos mains, Mesdames, qu'il les remet, pour les retirer de la mort, et leur conserver une vie dont vous aurez à lui répondre.

Quel soin, dans l'ancienne loi, quel zèle Dieu n'a-t-il pas fait paraître pour les orphelins? ceci mérite votre attention, et vous apprendra votre religion. Qu'était-ce, dans l'ancienne loi, que les orphelins? Des personnes sacrées, des personnes privilégiées, des personnes spécialement protégées de Dieu, et comme telles

 

1 Psal.,  XXVI, 10.

 

respectées. Rien de plus authentique ni de plus formel que ce que nous lisons sur cela dans le Deutéronome. Dieu voulait que les orphelins fussent considérés des Israélites comme leurs frères ; que chaque famille en adoptât un, et que cet orphelin ainsi adopté mangeât à la table , eût part à tous les biens, fût traité comme les autres enfants de la maison; il voulait que dans chaque famille il y eût une partie des dîmes affectée aux orphelins, et que lorsqu'on faisait la récolte des fruits de la terre, on en réservât une portion pour l'orphelin, afin qu'il eût de quoi vivre ; il voulait que les juges établis pour administrer la justice la rendissent à l'orphelin, préférablement à tout autre : voilà ce que Dieu avait ordonné dès la loi de Moïse. Dans la loi nouvelle, qui est une loi d'amour et de miséricorde, au lieu de tout cela, Dieu s'en repose sur votre charité ; il ne vous oblige, ni à recueillir ces orphelins dans vos maisons, ni à les faire manger à vos tables ; mais il se contente que votre charité pourvoie d'une manière efficace à leur établissement. Sans exiger de vous d'autres dîmes, il veut que votre charité soit pour eux la dîme assurée de vos biens, et qu'ainsi vous soyez à leur égard encore plus secourables par le principe de la charité, que ne l'étaient les Israélites par l'obligation de la loi.

V. Vous y êtes d'autant plus indispensablement engagées, Mesdames, que ces orphelins se trouvent ici dans un état plus déplorable : In tribulatione eorum. Leur affliction est extrême : je veux dire que leur indigence est aussi grande que vous pouvez l'imaginer, et j'ai bien sujet de m'écrier avec saint Paul : Os nostrum patet ad vos (1) : Je suis député pour vous parler, et pour vous parler fortement : Cor nostrum dilatatum est (2): Je sens mon cœur qui se dilate, qui s'étend par le zèle de la charité, et même de la religion, qui est là-dessus inséparable de la charité ; Non angustiamini in nobis (3) : Mes entrailles ne sont point resserrées pour vous et pour votre sanctification; Angustiamini autem in visceribus vestris (4) : Mais que je crains que vos âmes ne se tiennent fermées, ou qu'elles ne s'ouvrent pas autant qu'elles devraient et qu'il est à souhaiter ! Voilà des enfants dont Dieu nous charge aujourd'hui, vous et moi; il m'ordonne de vous représenter leurs besoins, de plaider auprès de vous leur cause, et d'y faire servir tout ce qu'il m'a donné de connaissances et de forces; c'est là mon ministère, et je tâche à m'en

 

 

1 2 Cor., VI, 11. — 2 Ibid. — 3 Ibid., 12. — 4 Ibid.

 

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quitter : mais quel est le vôtre ? de contribuer à l'éducation de ces enfants et à leur salut, de répandre sur eux libéralement et saintement vos dons : libéralement, afin qu'ils en reçoivent une solide assistance ; saintement, afin que vous en ayez devant Dieu le mérite, et que vous en obteniez la récompense : ce sera la même pour nous. Or, puisque vous espérez à la même gloire que moi, que vos cœurs s'élargissent comme le mien : Eamdem antem habentes remunerationem, dilatamini et vos (1).

A Dieu ne plaise que je veuille exagérer les misères de cette maison ! Je suis le prédicateur de la vérité, et je ne voudrais pas m'en départir une fois, ni d'un seul point, pour exciter votre charité. On vous a dit qu'un grand nombre de ces enfants sont morts, faute de nourriture et des choses les plus nécessaires: je n'examine point si peut-être on vous en a trop dit ; vous avez pu vous en instruire, et même vous l'avez dû, car votre ignorance en cela ne serait pas une légitime excuse. On vous a dit que la multitude de ces enfants croît tous les jours, et que vos charités devraient croître à proportion. Quoi qu'il en .soit, Mesdames, je sais que ces enfants sont dans la souffrance, qu'ils sont dans l'extrémité de l'indigence, et ce ne sera point amplifier si je conclus qu'ils sont donc dans l'état où la religion vous oblige à faire des efforts extraordinaires pour les soutenir : Visitare pupillos in tribulatione eorum.

Si vous y manquiez, le sang de ces innocents demanderait à Dieu justice; car leur sang, aussi bien que celui d'Abel, a une voix qui se fait entendre de Dieu, et qui crie de la terre jusqu'au ciel. Il est pour vous, Mesdames, du dernier intérêt que la voix de ce sang ne crie jamais contre vous. Il est pour vous d'une conséquence infinie que vous écoutiez cette voix, et que, sur le témoignage que je vous rends, vous preniez de justes mesures, et vous régliez vos aumônes. Sans cela, qui pourrait vous préserver de la malédiction dont Dieu menaçait les Israélites par ces paroles du Psaume: Turbabuntur a facie ejus,patris orphanorum et judicis viduarum (2) ; Ils seront troublés et saisis de frayeur à son aspect, parce qu'il est le père des orphelins, et qu'il sera un jour leur juge ? c'est-à-dire qu'il leur rendra justice aux dépens de ceux et de celles qui les auront négligés, et qui, témoins de leur extrême disette, ne se seront pas mis en devoir de les soulager.

Mais que dis-je, Mesdames ? j'aime mieux vous exhortera ce saint exercice par l'espérance

 

1 2 Cor., VI, 13. — 2 Psal., LXVII, 15.

 

des bénédictions éternelles que Dieu vous promet. C'est l'amour, je dis l'amour de votre Dieu, qui vous doit animer, plutôt que la crainte de ses châtiments. Il s'agit de seconder une entreprise des plus importantes à sa gloire. Il s'agit de sauver des âmes que Jésus-Christ a rachetées, et qui, n'ayant dans le monde nul asile, s'y perdraient immanquablement, si votre zèle n'y remédiait. Il s'agit de dresser des enfants qui, sans vous, n'ayant nulle instruction, par une conséquence inévitable n'auraient nulle religion. Il s'agit de les retirer, non-seulement de la pauvreté, mais du vice, mais du libertinage, où la fainéantise, par une triste fatalité, les entraînerait avec tant d'autres. Il s'agit de former dans leur personne de bons sujets, pour être employés partout où la Providence les destinera.

C'est votre ouvrage, Mesdames, et vous y êtes intéressées : car vous êtes comme les fondatrices de cet hôpital. C'est à vous que Dieu en a premièrement inspiré le dessein, et c'est vous qui avez eu le courage de l'entreprendre. Quand je dis vous , j'entends ces illustres dames dont toutes les assemblées des saints publient et publieront sans cesse les charités. Vous les avez connues , et je ne vous en rappelle le souvenir que pour vous porter à les imiter. Vous leur avez succédé, et cet établissement qu'elles ont commencé ne peut être ni maintenu, ni conduit à sa perfection que par vous. Une grande princesse dont je respecte la présence, et dont l'humble modestie m'oblige à me taire sur ses éminentes qualités, n'a pas cru pouvoir mieux honorer Dieu, ni mieux reconnaître tout ce qu'elle en a reçu, qu'en se mettant à la tête de cette œuvre de piété. Sa foi l'y a engagée, et son exemple doit vous y attirer. Faites-vous un devoir et un mérite de vous conformer à ses pieuses intentions. Et vous, troupe infortunée, enfants que le crime a fait naître sans vous rendre criminels, bénissez dans votre malheur même le Dieu souverain, le Père des miséricordes : Laudate, pueri, Dominum (1) . Si vous êtes le rebut du monde, il y a dans le ciel un Créateur qui s'intéresse à votre conservation, et à qui vous êtes aussi chers que le reste des hommes. Il est au plus haut point de la gloire, mais de ce haut point de gloire il ne dédaigne pas d'abaisser ses regards sur votre misère : Qui in altis habitat et humilia respicit (2). C'est lui qui apprend aux grands du siècle, et aux plus grands, à descendre eux-mêmes jusqu'à vous, lui qui

 

1 Psal., CXII, 1. — 2 Ibid., 5.

 

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les fait sortir de leurs palais, de leurs riches et magnifiques appartements, pour se ranger auprès de vous : Suscitans de terra inopem, ut sedeat cum principibus, cum principibus populi sui (1). Levez vers lui vos voix, pour lui payer le juste tribut de vos louanges. C'est la louange des enfants, et des enfants à la mamelle , qui lui plaît par-dessus toutes les autres : Ex ore infantium et lactantium perfecisti laudem (2). Levez avec vos voix vos mains encore pures, et servez à toute cette assemblée d'intercesseurs. Vous n'en pouvez avoir de plus puissants , Mesdames , pour vous ouvrir le trésor des grâces divines, et pour vous obtenir l'éternité bienheureuse, que je vous souhaite, etc.

 

1 Psal., CXII, 7.

2 Psal., VIII, 3.

 

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