EXHORTATION CHARITÉ VII

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DEUXIÈME EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS UN SÉMINAIRE.

ANALYSE.

 

Sujet. Le zèle de votre maison me dévore.

 

Nous pouvons regarder ce séminaire comme la maison de Dieu, et nous devons être là-dessus animés du même zèle que le Prophète.

 

Division. Dans cette maison de Dieu nous avons deux choses à considérer : qui sont ceux que nous devons assister : première partie; et pourquoi nous les devons assister : deuxième partie.

 

Première partie. Qui sont ceux que nous devons assister? Ce sont de véritables pauvres, ce sont de saints pauvres, ce sont des pauvres qui ont choisi Jésus-Christ, en embrassant l'état ecclésiastique, et que Jésus-Christ a choisis en les y appelant.

Ce sont de pauvres étrangers, bannis de leur patrie en haine de leur religion. Ce sont des pauvres envers qui nous pratiquerons tout a la fois l'aumône corporelle, en contribuant a leur subsistance; et l'aumône spirituelle, en les affermissant dans leur attachement à la vraie foi, et en leur associant de zélés ouvriers qui les secondent.

Enta, ce sont des pauvres qui, par leurs prières, nous rendront au centuple ce qu'ils auront reçu de nous. En est-il donc qui méritent plus nos soins et notre assistance?

Deuxième partie. Pourquoi particulièrement les devons-nous assister? Parce qu'ils sont destinés à combattre l'erreur et à maintenir, autant qu'il leur sera possible, la religion dans des royaumes hérétiques, où l'Eglise est persécutée et opprimée. Avant que d'agir, il faut qu'ils se disposent et qu'ils se forment. Voilà pourquoi on les retire dans ce séminaire, établi selon l'idée du concile de Trente : mais de quoi y seront-ils entretenus, si les chantés viennent à leur manquer? C'est donc à nous qu'ils s’adressent, comme l'ange de la Macédoine s'adressa à saint Paul.

La charité, dit-on, ne peut fournir à tout. Faux prétexte : on trouve bien de quoi fournir à tant de dépenses inutiles. Ayons plus de foi et plus de confiance en Dieu. Mais, ajoute-t-on, il faudrait pour cela se retrancher bien des choses : hé bien! peut-on se les retrancher pour une œuvre plus importante?

 

Zelus domus tuœ comedit me.

Le zèle de votre maison me dévore. (Psaume LXVIII, 10.)

 

C'est un prophète qui parle, Mesdames; et sans être inspirées comme lui de l'esprit prophétique, j'ose dire que vous devez être animées du même zèle. C'était l'honneur de la maison de Dieu qui le touchait; et à quoi devez-vous être plus sensibles qu'aux besoins de ce séminaire, où Dieu habite d'une façon d'autant plus particulière, que c'est la demeure de ses ministres, et leur refuge dans la tribulation dont ils ont été affligés? Ils n'en ressentent encore que trop les effets; et si la charité ne s'intéresse pour eux et pour leur soulagement, ils ne doivent s'attendre désormais qu'à une ruine totale et à une entière désolation. La laisserez-vous tomber, cette maison de Dieu ? Faudra-t-il qu'une œuvre si saintement entreprise soit tout à coup arrêtée par défaut de secours, lorsqu'il ne tient qu'à vous de la soutenir, de l'avancer, de la consommer? Non, Mesdames, vous ne l'abandonnerez point. Le zèle dont le Prophète était consumé s'allumera dans vos cœurs, ou s'y réveillera ; et c'est pour l'exciter que je veux vous faire voir deux choses : qui sont ceux que vous devez ici assister : ce sera la première partie ; pourquoi vous les devez assister : ce sera la seconde. Fasse le ciel que vous sortiez de cette assemblée aussi ardentes pour la maison du Seigneur , que l'était ce saint roi, qui s'écriait dans le transport de son âme : Zelus domus tuœ comedit me ! Fasse le ciel que, sans vous borner ni à des désirs, ni à des paroles, vous en prouviez la sincérité et la solidité par une prompte et constante pratique ! Voilà tout le sujet et tout le fruit de cette exhortation.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Il est vrai, Mesdames, et c'est une maxime de l'Apôtre, dont vous êtes pleinement instruites : la charité , pour être chrétienne, doit être universelle, et faire , autant qu'il lui est possible, du bien à tout le monde. Mais sans déroger en aucune sorte à ce grand principe, ni l'affaiblir , il faut après tout reconnaître qu'il y a des pauvres plus dignes de nos soins les uns que les autres, et que vous êtes par là même plus fortement engagées à les soulager : or tels sont les pauvres dont je parle ; car qui sont-ils? apprenez, s'il vous plaît, à les connaître et suivez-moi.

Ce sont de véritables pauvres, associés en cette qualité de pauvres, et réunis dans une communauté spécialement formée pour les pauvres ; qui n'y sont admis qu'après un examen de leurs personnes, de leur état, et surtout de leur pauvreté; par conséquent qui n'imposent

 

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point par des misères feintes et apparentes, et dans le discernement desquels vous ne pouvez être trompées.

Je sais que la charité n'est point défiante ni soupçonneuse ; je sais même qu'elle doit être, au contraire , facile à croire. Omnia credit (1) ; qu'elle doit plutôt courir le hasard de se tromper en assistant le prochain , que de manquer au moindre de ses devoirs : mais, du reste, elle a des mesures à garder et des extrémités à éviter; elle doit être éclairée, sage, circonspecte, pour préférer les vrais pauvres à ceux qui ne le sont pas , les plus pauvres à ceux qui le sont moins, les pauvres certains et déclarés aux pauvres suspects et douteux. Une crédulité trop prompte pourrait dégénérer en imprudence, comme aussi une défiance extrême et trop vigilante serait souvent inhumanité et dureté. Mais de ces deux écueils, vous n'avez à craindre, Mesdames, ni l'un ni l'autre, dans la charité que vous exercerez à l'égard de cette maison. Vous y trouverez des pauvres de bonne foi, des pauvres éprouvés; tout ce qu'ils recevront de vous et tout ce que vous leur mettrez dans les mains sera sûrement employé, parce qu'il sera employé avec connaissance. Je pourrais donc en demeurer là, et m'en tenir précisément à la raison générale du précepte de l'aumône ,  et de l'indispensable commandement que Dieu vous a fait de prêter secours à l'indigent dans sa nécessité : commandement d'autant plus absolu et moins sujet aux excuses et aux prétextes , que cette indigence vous est plus connue , et que vous en avez de plus évidents témoignages.

Mais il y a quelque chose ici, Mesdames, de plus particulier et de plus touchant encore pour vous. Car ce ne sont pas seulement de véritables pauvres ; ce sont de saints pauvres, des pauvres qui vivent dans l'ordre, qui servent Dieu , qui édifient le public, qui ne scandalisent point par une pauvreté déréglée, à qui la licence et le libertinage ne tiennent point lieu de richesses ; des pauvres qui observent une discipline exacte, qui joignent à la disette où les réduit leur condition l'assujettissement de l'esprit, l'obéissance à leur supérieur, la pureté des mœurs et une parfaite régularité ; des pauvres qui pratiquent la vie la plus austère, et toute la mortification, toute la perfection du christianisme : tellement que ce séminaire peut passer pour le modèle d'une pauvreté évangélique, d'une pauvreté contente du pur nécessaire, d'une pauvreté ennemie par

 

1 1 Cor., XIII, 5.

 

profession de tout ce qui peut flatter les sens, et tant soit peu fomenter la mollesse et la délicatesse du corps. Or par là c'est une pauvreté plus conforme à celle du Sauveur, plus spirituelle , plus intérieure , plus du caractère de cette pauvreté que Jésus-Christ a érigée en béatitude, et à qui le royaume du ciel appartient : Beati pauperes spiritu.

Il y a des pauvres en qui la pauvreté n'est nullement une vertu, parce qu'elle n'est pas dans leur cœur, et qu'au contraire la cupidité y règne, l'avarice, l'injustice, un désir presque insatiable d'amasser,  par quelque voie et à quelque prix que ce soit. Mais celle-ci, bornée à une simple subsistance , et ne voulant rien de plus, n'a ni vues, ni desseins, ni intrigues, ni sentiments qui puissent la corrompre en aucune sorte et en altérer l'innocence. De là même , pauvreté respectable. La pauvreté par elle-même inspire la compassion sans inspirer le respect ; bien loin de relever les sujets sur qui elle tombe, et qu'elle afflige de ces calamités temporelles , elle les rabaisse , elle les avilit, elle les dégrade dans l'estime des hommes :  mais la pauvreté qui se présente ici à vos yeux , tout obscure et toute dépouillée qu'elle est, doit attirer le respect et non la compassion. Si nous sommes chrétiens, nous devons plutôt lui porter envie, ou du moins nous ne pouvons lui refuser l'honneur qui lui est du et les éloges qu'elle mérite;   mais encore moins pouvons-nous l'oublier et la délaisser. Ce sont des pauvres qui ont choisi Jésus-Christ , et  que Jésus-Christ a  choisis.   Car quoique Dieu , à parler en général, ait choisi les pauvres pour les enrichir des dons de sa grâce, et pour les faire héritiers de son royaume céleste : Nonne Deus elegit pauperes in hoc mundo , divites in fide et hœredes regni (1) ? il ne les a pas  néanmoins tous choisis également, et tous ne l'ont pas également choisi. Il y en a qu'il rejette et qu'il réprouve, parce qu'ils sont criminels ; il y en a sur qui il n'a nulle vue particulière, et qu'il ne destine à rien autre chose dans le monde qu'à y tenir le dernier rang que sa providence leur a marqué : mais il n'en est pas de même de ceux-ci. Ce sont des pauvres dont Dieu a fait un choix spécial, des pauvres qu'il a distingués entre les pauvres, en les appelant à lui, et les prédestinant pour son service par une vocation qui leur est propre ; des pauvres qui, répondant à cette vocation, ont eux-mêmes fait choix de Dieu, ont embrassé pour cela l'état ecclésiastique,

 

1 Jac., II, 7.

 

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et ont ainsi consacré leur pauvreté même et leur personne au ministère des autels. Il n'y a point de pauvre dans la vie qui n'ait droit de dire comme le Prophète : Dominus pars hœreditatis meœ (1); Le Seigneur est ma portion et mon héritage : mais qui le peut dire avec un titre mieux établi que ces pauvres, qui là-dessus ont rengagement le plus solennel?

C'est donc à vous, Mesdames, de prendre garde que ce titre ne leur manque pas; car Dieu vous en commet le soin, et vous ne pouvez, sans contrevenir à ses ordres, le négliger. Dans l'ancienne loi il y avait des terres, des villes même, assignées aux lévites: mais ces lévites de la loi de grâce, si je puis ainsi les nommer, Dieu veut qu'ils n'aient pour entretien et pour appui que votre charité. D'autres ont des bénéfices, ont des pensions, ont des revenus: ceux-ci n'ont de revenus, n'ont de pensions, n'ont de bénéfices que vos libéralités, dont ils n'abuseront jamais. Si ces aumônes et ces libéralités, si ces sources tiennent à tarir pour eux, que feront-ils? à qui s'adresseront-ils? et ne pourront-ils pas se plaindre à Dieu qu'il les abandonne; qu'il les avait choisis pour leur tenir lieu de tout, et pour ne les attacher qu'à lui; que dans cette vue ils ont renoncé à toutes les affaires humaines, et n'ont voulu s'occuper que de lui; qu'ils se sont séparés du monde et retirés dans ce séminaire, comptant sur sa providence et se confiant en lui; mais que cette providence ne leur fournit rien, et qu'ils demeurent les mains vides, sans fonds et sans assistance? plaintes qui retomberaient sur vous, Mesdames, et dont vous vous exposeriez à porter un jour toute la peine.

Que dirai-je encore? Ah ! voici, ce me semble, ce qui doit faire sur vos cœurs une impression toute nouvelle et plus sensible: ce sont des pauvres étrangers, bannis de leur patrie, en haine de leur religion et de leur foi; des pauvres persécutés, qui souffrent pour la cause de Dieu; des pauvres à qui le lieu de leur naissance n'est interdit que parce qu'ils sont prêtres, ou qu'ils se disposent à l'être, que parce qu'ils sont catholiques et qu'ils défendent les intérêts de l'Eglise. Dans les premiers siècles du christianisme, on les eût mis au nombre des martyrs et des confesseurs de Jésus-Christ; car, dans le temps des persécutions, c'était une espèce de martyre d'être exilé pour la foi, d'être prisonnier et captif pour la foi. Or voilà l'état et la situation de ces pauvres. La foi qu'ils

 

1 Psal., XV, 5.

 

professent leur a suscité autant d'ennemis que l'erreur a formé d'hérétiques parmi des peuples indociles et rebelles à la lumière. Ils ont enduré pour cette foi les traitements les plus rigoureux: Angustiati, afflicti (1). Ils ont été proscrits, poursuivis, emprisonnés : Insuper et vincida et carceres. Ils ont été obligés de se cacher dans des déserts et dans des cavernes ; et ce n'est qu'après avoir essuyé mille périls, qu'ils ont pu parvenir jusqu'à nous, et chercher en ce royaume un asile : In solitudinibus errantes, in montibus et cavernis terrœ (2).

Mais quel asile y trouvent-ils, s'ils n'y peuvent subsister? et que leur sert d'être échappés aux traits de leurs persécuteurs et aux attentats de l'hérésie, si nous les laissons languir dans la misère au milieu de la catholicité? Comprenez, Mesdames, comprenez bien qu'il ne s'agit point seulement ici de la charité et de la miséricorde chrétienne, qui vous oblige à secourir les pauvres ; mais qu'il s'agit de votre religion, laquelle vous engage, par un devoir encore plus inviolable, à secourir des pauvres qui ne sont pauvres que parce que leur constance à soutenir sa gloire les a réduits dans cette pauvreté. Quand les martyrs autrefois étaient arrêtés dans les fers, tout le corps des fidèles s'employait à leur soulagement. On les allait trouver dans les prisons; on imaginait mille moyens de leur adoucir leur captivité et leurs peines; on s'exposait pour cela soi-même au martyre : tant on les honorait, et tant on prenait de part à tous leurs besoins. Il n'y a plus présentement le même danger : ces ministres du Dieu vivant, ces généreux confesseurs de la foi, vous pouvez sans obstacle les aider; et s'il vous reste quelque zèle pour cette Eglise dont vous êtes comme eux les membres et les enfants, combien vous doivent être chers et vénérables des hommes préparés à lui faire le sacrifice de leur sang, après lui avoir déjà sacrifié toutes leurs espérances temporelles et leur repos?

Ce sont des pauvres envers qui vous pratiquerez tout à la fois et l'aumône corporelle et l'aumône spirituelle, c'est-à-dire envers qui vous pratiquerez toute la perfection de la charité. Car prenez garde, je vous prie : la charité, qui est la reine des vertus, ne se rend pas seulement attentive aux besoins corporels du prochain ; et je puis dire même que ces besoins qui regardent la vie présente sont les moindres sujets de sa vigilance et de ses soins. Contribuer à l'instruction, à l'éducation, à

 

1 Hebr., XI, 37. — 2 Ibid., 38.

 

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la sanctification du prochain; lui procurer les secours du salut, et non-seulement de son salut, mais du salut d'autrui, auquel il peut travailler : voilà l'objet principal de la charité. A l'égard des pauvres vagabonds, on n'exerce que cette charité commune qui soulage le corps. Il est vrai que Dieu l'ordonne et qu'il la récompense; mais ce n'est du reste qu'une charité du dernier ordre, et bien inférieure à celle qui va jusqu'à l'âme, puisque l'âme est infiniment plus noble que le corps. Dans les hôpitaux on joint l'un et l'autre, et l'on ajoute au soulagement du corps la conduite de l'âme; mais, après tout, la fin immédiate et directe de ces maisons de charité, et, si j'ose ainsi m'exprimer, de ces infirmeries publiques, c'est la santé du corps. Tout ce qui concerne l'âme n'en est que l'accessoire; au lieu que l'aumône corporelle ne se fait ici qu'en vue de l'aumône spirituelle ; qu'en vue d'affermir des hommes apostoliques dans leur attachement à la vraie créance, et de leur associer de zélés ouvriers qui puissent les seconder dans leurs saintes entreprises.

Enfin, Mesdames, ce sont des pauvres qui, par leurs prières, vous rendront au centuple ce qu'ils auront reçu de vous; et qui sans cesse feront monter en votre faveur, vers le trône de Dieu, les vœux les plus ardents et les plus puissants. Deux choses qu'il ne faut point séparer, et que vous devez bien remarquer : les vœux les plus sincères et les plus ardents, et les vœux auprès de Dieu les plus efficaces et les plus puissants. Car ce ne sont point de ces pauvres grossiers et mal nés, tels que nous en voyons dans le monde, qui ne pensent qu'à leurs personnes, et dont vous ne pouvez attendre aucun retour. Ce ne sont point de ces pauvres tout matériels qui ne sentent que leurs misères, sans être touchés de leurs obligations envers les riches, et sans en avoir aucun sentiment. Ce ne sont point de ces pauvres libertins qui souvent n'ont aucun usage des exercices de la religion, et ne prient presque jamais pour eux-mêmes , bien loin de prier pour ceux qui les assistent. Ce sont des pauvres reconnaissants, des pauvres sensibles aux bienfaits, des pauvres qui, par christianisme et par piété, encore plus que par une gratitude naturelle, se tiendront obligés de lever pour vous les mains au ciel et de lui offrir leurs sacrifices.

Oui, Mesdames, pendant que vous êtes dans le tumulte et l'agitation du monde, recueillis devant Dieu, ils imploreront pour vous sa miséricorde, et lui représenteront, pour la fléchir, vos aumônes et vos charités. Pendant que vous êtes au milieu de mille dangers , et dans des occasions si fréquentes de tomber et de vous perdre, prosternés au pied des autels, ils demanderont à Dieu pour vous des grâces de salut, et les grâces les plus fortes et les plus précieuses. Pendant que vous êtes peut-être hors des voies de Dieu et dans le désordre du péché , humiliés en la présence du Seigneur, ils solliciteront auprès de lui votre conversion, ils arrêteront les coups de sa justice, et l'engageront à jeter sur vous un regard favorable. Car, si leurs vœux sont sincères et ardents, ils ne seront pas moins efficaces ni moins puissants.

Nous savons de quel poids sont les prières des pauvres; nous savons, et l'Ecriture nous apprend que Dieu exauce jusqu'à leurs simples désirs : Desiderium pauperum exaudivit Dominus (1); mais il y a des pauvres néanmoins plus en état d'obtenir, et cela par leur mérite personnel et par leur sainteté. Quand le pauvre prie, dit saint Augustin, si c'est un pécheur, ce n'est pas lui que Dieu écoute en faveur du riche, mais c'est l'aumône même du riche, qui, mise comme un dépôt dans le sein de ce pauvre, se fait entendre, et a son langage pour s'exprimer : au lieu que si c'est un juste, si c'est un homme de Dieu, agréable à Dieu et uni avec Dieu, ce n'est plus seulement l'aumône qui touche le cœur de Dieu, mais le pauvre et L'aumône tout ensemble ; de sorte que Dieu se trouve doublement engagé à ouvrir ses trésors et à les répandre. Que ne devez-vous donc pas attendre de la médiation et des prières de ces pauvres, qui vous exposent aujourd'hui leurs besoins? Par le commerce de l'aumône, vous entrerez en société de tous les biens spirituels qu'ils acquièrent dans la retraite, comme ils entreront en société des biens temporels que vous possédez dans la vie. Ce sont de fidèles serviteurs de Dieu, qui, selon l'expresse doctrine de saint Paul, suppléeront à votre pauvreté, comme vous suppléerez à leur indigence. Il faut, disait ce grand apôtre écrivant aux Corinthiens et leur recommandant la miséricorde et la charité, il faut que votre abondance soit le supplément de l'indigence de vos frères, afin que dans votre pauvreté vous soyez vous-mêmes soulagés par leur abondance. Ce maître des nations supposait que les pauvres étaient riches devant Dieu en mérites et en vertus ; c'est pourquoi cette règle ne peut pas être appliquée à tous les pauvres, mais seulement à ceux qui

 

1 Psal., IX, 17.

 

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se sanctifient par la pauvreté, à ceux qui sont pauvres de cœur et d'esprit, à ceux qui vivent dans un détachement parfait des biens de la terre ; et ce même docteur des Gentils supposait au contraire que les riches sont communément très-pauvres en bonnes œuvres et en sainteté; d'où il concluait que, par une communication mutuelle et utile aux uns et aux autres, ils devaient se prêter secours et s'entr'aider.

Or voilà, Mesdames, la condition avantageuse que Dieu vous offre, ou que je vous offre moi-même de sa part. Autant que ces pauvres pour qui je m'emploie auprès de vous sont pauvres selon le monde, autant sont-ils riches selon Dieu, et autant peuvent-ils vous enrichir, non pas de biens passagers et périssables, mais de biens éternels et incorruptibles. Voilà les amis que vous devez vous faire suivant la parole de l'Evangile, et que vous devez, pour user de cette expression, acheter au poids de l'or : Facite vobis amicos de mammona iniquitatis (1) ; des amis agréables à Dieu, chéris de Dieu, spécialement élus de Dieu, des amis qui, dans leurs longues oraisons , dans leurs austérités et leurs mortifications, dans leurs saints exercices, se souviendront de vous, et ne cesseront point d'intercéder pour vous ; des amis qui, comme les anges de la terre, se présenteront devant le trône du Très-Haut; je dis plus, qui, revêtus du plus sacré caractère, et célébrant chaque jour le redoutable mystère de nos autels, immoleront pour le salut de vos âmes l'Agneau sans tache et la victime de propitiation. Ah! Mesdames, quand, au sang de ce divin Agneau , ils joindront vos aumônes et leurs humbles demandes, le ciel se tiendra-t-il formel et que faudra-t-il davantage pour vous mettre a couvert de tous ses foudres, et pour attirer sur vous toutes ses bénédictions ? De là nous voyez qui sont ceux que vous devez assister, et je vais encore vous faire voir plus particulièrement pourquoi vous les devez assister. C’est la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Il est difficile, Mesdames , que vous ignoriez l'état déplorable où se trouve réduit un royaume jusqu'à présent si fidèle à l'Eglise, et si catholique. L'erreur a prévalu , non par la force de la persuasion , mais par la violence des armes. L'hérésie, après avoir désolé l'Angleterre et l'Ecosse, pour comble de ses prétendus triomphes , a pénétré dans l'Irlande , et y a porté ses

 

1 Luc, XVI, 9.

 

ravages. Il n'est permis à nul prêtre d'y entrer ; tous les évoques en sont chassés, tous les missionnaires exilés. Si on y tolère encore quelques pasteurs, c'est seulement jusqu'à leur mort, et sans espérance de succession. Voilà donc le troupeau de Jésus-Christ abandonné ; voilà son héritage détruit ; voilà dans cette terre si longtemps éclairée des plus pures lumières de la foi, et si fertile en saints, la religion éteinte, à moins que Dieu , par son aimable providence, ne daigne y pourvoir. Or il y pourvoit par l'établissement de ce séminaire, à quoi vous devez contribuer.

Car, dans cet établissement, qu'est-ce qu'on se propose ? D'élever des sujets qui puissent un jour servir cette Eglise affligée, et en réparer les ruines ; qui, malgré l'injustice des lois et la rigueur des arrêts, aillent remplacer les pasteurs qu'elle aura perdus, et dont elle est sur le point de se voir entièrement destituée ; qui osent hasarder pour cela leur liberté , leur vie, et que nul péril, que nulle crainte ne soit capable d'arrêter ; des sujets qui consolent, qui rassurent, qui maintiennent le troupeau , non pas encore absolument dispersé, mais à la veille de l'être; qui confirment les faibles dans la foi, qui ramènent ceux que l'orage aurait entraînés; qui inspirent un courage tout nouveau à ceux que la persécution n'aura pu ébranler. Car, du moment qu'ils manqueront de ce soutien , que doit-on se promettre d'eux, et quels fonds y a-t-il à faire sur des peuples intimidés, troublés, déconcertés? Tel est, dis-je, le dessein que ce sont tracé les zélés instituteurs de cette maison. Ils ont eu en vue d'établir un séminaire conçu et formé selon l'idée du concile de Trente, c'est-à-dire de celui de tous les conciles qui s'est appliqué avec plus de soin à la réformation du clergé, qui nous a donné là-dessus de plus solides et de plus saintes règles, et en particulier celle qui regarde l'érection des séminaires : dessein qui n'a pu être que l'œuvre de Dieu, et de cet Esprit de vérité, lequel dispose tout avec autant d'efficace que de douceur et de sagesse.

Animés d'un vrai zèle pour la gloire du Seigneur, de vertueux ministres ont entrepris d'accomplir à la lettre tout ce que les Pères du concile ont prescrit, et de le suivre de point en point. Ils l'ont entrepris, et c'est ce qui s'exécute heureusement en cette sainte communauté. C'est là qu'on cultive des jeunes gens, comme de jeunes plantes dans la maison de Dieu; de jeunes hommes qui déjà ont assez de raison pour connaître leur état et ses devoirs,

 

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mais qui n'ont point encore assez d'usage, ni assez d'expérience pour en exercer les fonctions. C'est là qu'on dresse de jeunes clercs, dont on éprouve le mérite, dont on démêle les bonnes et les mauvaises qualités, les unes pour les faire croître, et les autres pour les retrancher et les corriger ; dont on étudie le naturel, le génie, les forces, les talents, afin de les appliquer chacun à ce qui leur convient, et de leur partager utilement leurs emplois. C'est là qu'on forme de jeunes ecclésiastiques à servir l'Eglise dans l'esprit d'humilité , de pauvreté, de patience, de renoncement à soi-même. Les gens de qualité entrent dans l'Eglise pour s'y agrandir, pour s'y enrichir, pour en posséder les honneurs, pour en percevoir les revenus ; et selon la fausse opinion du monde, dont ils ne se laissent que trop prévenir, ce serait une honte pour eux d'être ecclésiastiques, et de n'avoir nul autre titre qui les distinguât. Mais on fait entendre à ceux-ci que le plus grand honneur où ils puissent prétendre, est de rendre à l'Eglise les services qu'elle leur demande ; qu'ils  ne   doivent avoir,  en la servant,  ni d'autres vues, ni d'autre ambition; qu'ils la doivent servir pour les fruits qu'elle en peut retirer, et non pour les avantages temporels qu'ils en peuvent espérer; et que, bien loin de vouloir profiter de ses dépouilles,  ils doivent eux-mêmes se dépouiller de toutes choses, ou du moins consentir à en être dépouillés. C'est là que, dans un certain cours d'études, on leur fait acquérir toutes les connaissances nécessaires : sciences humaines, sciences divines , rien n'est omis, et rien n'échappe à leur application ; car le zèle doit être éclairé, et, sans les lumières de la doctrine, il ne peut se conduire lui-même, ni conduire les autres. C'est là que, par une pratique ordinaire et journalière de l'oraison, ils s'instruisent des voies de Dieu et des plus secrets mystères de la vie intérieure; qu'ils se nourrissent d'utiles lectures, qu'ils y puisent de salutaires enseignements, et qu'ils se disposent à être un jour d'habiles directeurs des âmes. Enfin, c'est là que, par avance et en des exercices particuliers, ils font une espèce d'apprentissage des différents ministères où dans la suite ils doivent être employés, qu'ils s'accoutument à chanter l'office divin, à en observer toutes les cérémonies, à enseigner, à catéchiser, à exhorter, à prêcher. Quelle ressource pour cette Eglise où ils sont destinés !  et sans cette ressource,  en quelle décadence va-t-elle tomber ,  et que pourra-t-on  recueillir de tant d'ouailles livrées  au pouvoir et à la fureur du   loup ravissant?

Or le moyen, Mesdames, de leur procurer ce secours, et de l'entretenir, si la charité n'y contribue ? Comment cette maison subsistera-t-elle sans fonds? et quel autre fonds a-t-elle présentement que la Providence, et que les aumônes des fidèles? C'est donc à vous que s'adresse toute une Eglise autrefois si florissante, mais maintenant plongée dans l'amertume, et accablée sous l'oppression de ses ennemis. C'est vers vous qu'un nombre infini de catholiques tendent les bras, et c'est sur vous qu'ils appuient toute leur espérance. Il est rapporté aux Actes des Apôtres que saint Paul vit en songe un homme de Macédoine (c'était l'ange tutélaire de cette province), qui l'invitait à y venir annoncer l'Evangile : Transiens in Macedoniam, adjuva nos (1) ; Aidez-nous, lui disait-il, et pensez à nous. Après cette vision, ajoute l'historien sacré, Paul ne tarda pas à partir : Nous nous mîmes promptement en chemin, assurés que Dieu nous appelait pour instruire les Macédoniens : Ut autem visum vidit, statim quœsivimus proficisci in Macedoniam, certi facti quod vocasset nos Deus evangelizare eis (2). Ce n'est point l'ange protecteur de l'Irlande qui vous parle ici, Mesdames; mais c'est le ministre du Seigneur envoyé de sa part, et chargé de vous recommander une des plus chères portions  de  son   troupeau.  Ce n'est point pour des idolâtres et des infidèles que je viens intercéder; ce n'est point pour des schismatiques et des hérétiques ; c'est pour des enfants de la même Eglise que vous, c'est pour vos frères. Je ne vous demande point que vous couriez après ces brebis errantes, ni que vous alliez les chercher sur leurs montagnes. Je ne vous dis point en leur nom : Transiens adjuva nos : Passez les mers, hâtez-vous de nous apporter vous-mêmes la consolation que nous attendons. Quand je vous le dirais, le même zèle qui brûlait le Maître des Gentils, et qui le pressait si vivement, devrait vous disposer à entreprendre les plus pénibles voyages ; et, retenues par de justes considérations , par des raisons de bienséance, de convenance d'état, du moins dans le sentiment du cœur, et par le désir, devriez-vous être préparées à surmonter, s'il le fallait, tous les obstacles, et à soutenir, malgré votre faiblesse, toutes les fatigues qu'il y aurait à supporter. Mais on en exige pas tant de vous, et voici précisément où l'on se borne : Adjuva nos; c'est que vous fassiez par d'autres ce que vous ne pouvez faire par

 

1 Act., XVI, 9. — 2 Ibid., 10.

 

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vous-mêmes. Or vous le ferez, en fournissant par vos largesses de quoi assembler de dignes ministres, de quoi les nourrir, de quoi les vêtir, de quoi les envoyer comme une sainte milice qui combatte pour l'Eglise , et qui achevé, par l'efficace de la parole de Dieu, ce que vous aurez commencé par l'abondance de vos charités.

Mais on ne peut pas fournir à tout : vous le dites, Mesdames, et c'est un langage spécieux dont on se prévaut dans le monde : mais écoulez ce que j'ai à y opposer. Car je soutiens d'abord qu'il n'y a communément rien à quoi la charité chrétienne ne puisse satisfaire, lorsqu'elle agit par l'esprit de la foi, et qu'elle est secondée la confiance en Dieu. Cette foi et cette confiance en Dieu rendent tout possible. Avec, l'une et l'autre on est capable défaire des miracles ; et c'est ce qui se vérifie tous les juins, surtout an sujet de l'aumône. Confiez-vous en Dieu, et il n'y aura point d'occasion d'exercer la charité, que vous n'embrassiez : ce que vous croyez aujourd'hui ne pas pouvoir vous deviendra praticable, et peut-être facile. Mais je vais plus loin, et je prétends que celles qui s'autorisent de cette excuse sont justement celles qui devraient moins l'alléguer : pourquoi? parce que ce sont ordinairement celles qui pratiquent moins les œuvres de miséricorde , celles qui donnent moins aux pauvres, celles qui, possédées du monde et remplies des maximes du monde ont moins d'attention et moins de zèle pour le soulagement du prochain ; et par conséquent qui , bien loin d'être justifiées par l'impossibilité imaginaire de fournir à tout, devraient rougir et se confondre devant Dieu de ne contribuer et de ne fournir à rien. Je prétends que cette excuse cesserait, s'il était question de toute autre chose que de la charité et de l'aumône, s'il s'agissait de fournira vos divertissements, de fournir à votre jeu, de fournir à votre luxe et a votre faste.

Mais pour cela on se retrancherait d'ailleurs : oui, Mesdames, on se retrancherait pour cela; et que ne se retranche-t-on aussi pour une des œuvres les plus importantes, qui est celle que je vous propose? Vous savez ce qui se passa parmi les Israélites, lorsque, Moïse étant sur la montagne où il s'entretenait avec Dieu, il leur vint dans la pensée de construire un veau d'or et de l'adorer. Quel empressement, quelle ardeur de tout le peuple ! il n'y en eut pas un qui ne s'employât à l'exécution de ce détestable dessein ; et toutes les femmes, pour y concourir, se défirent de leurs plus précieux ornements. Voilà ce que leur inspira l'esprit d'idolâtrie; et que ne doit pas à plus juste titre vous inspirer l'esprit de religion ? Ne remontons pas si haut, ne nous éloignons point des temps où nous vivons, et des affaires présentes : vous savez par quelle triste révolution trois couronnes ont été enlevées à l'un des plus saints et des plus déclarés protecteurs de l'Eglise. Providence de mon Dieu, vous l'avez permis par un de ces conseils impénétrables que toute la raison de l'homme ne peut approfondir! Quoi qu'il en soit, vous savez, Mesdames, qu'elles ont été, je ne dirai pas les contributions, mais les profusions du parti hérétique pour susciter une guerre où la justice a succombé, où tous les droits ont été violés, où l'usurpateur a détrôné le prince légitime, et où l'Eglise, par la chute de ce prince, a perdu de si belles espérances. Hé quoi ! à cet exemple , si toutefois c'est proprement un exemple , et non pas un sujet d'horreur ; à cette vue ne vous sentez-vous point piquées d'une pieuse et généreuse émulation ? Quoi ! l'hérésie n'aura rien épargné contre la foi que vous professez, elle aura travaillé de tout son pouvoir à en arrêter les progrès et à la détruire ; et vous, pour la rétablir, pour en sauver au moins les débris, vous ne prendrez rien sur vous : tout vous coûtera, tout vous paraîtra excéder vos forces ! Sur cela je vous renvoie au témoignage de cette foi même, qui vit encore assez dans votre cœur pour se faire entendre. Rendez-vous attentives ta sa voix, à ses cris , à ses reproches. Que dis-je , Mesdames ? Soyez toujours de plus en plus sensibles à ses intérêts, comme je dois croire que vous l'avez été jusqu'à présent, et que vous l'êtes. Agissez pour sa cause et pour sa gloire en ce monde, et elle agira pour votre défense devant le tribunal de Dieu, et vous élèvera dans l'éternité à une gloire immortelle, que je vous souhaite, etc.

 

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