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SERMON POUR LE LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE.
SUR LE RETARDEMENT DE LA PÉNITENCE.

 

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ANALYSE.

 

Sujet. Marie-Madeleine prit donc une livre d'huile de parfum qui était d'un grand prix, la répandit sur les pieds de Jésus, et les essuya de ses cheveux.                                                                                                                       

 

Je vous ai déjà proposé Madeleine comme un modèle de pénitence : mais peut-être n'y a-t-il eu que trop de pécheurs que cet exemple n'a pas convertis. Mille obstacles les arrêtent; non pas qu'ils renoncent absolument à la pénitence, mais ils la différent Or, je veux vous faire voir les suites malheureuses de ce retardement, et l'affreux danger où il vous expose.

 

Division. Trois choses sont d'une nécessité absolue pour se convertir à Dieu : le temps, la grâce et la volonté Or le pécheur qui diffère sa conversion ne peut se répondre dans l'avenir, ni du temps de la pénitence, première partie: ni de la grâce de la pénitence, seconde partie; ni de la volonté de faire pénitence, troisième partie.

Première partie. Témérité du pécheur qui diffère sa conversion et qui s'assure pour cela du temps, et du temps de la pénitence. Rien n'est moins dans la disposition de l'homme que le temps futur. S'assurer donc de ce qui n'est nullement en notre pouvoir, n'est-ce pas une folie? Des trois différences qui partagent le temps, c'est-à-dire du passé, du présent et de l'avenir il n'y a proprement que le présent qui soit à nous, et sur quoi nous puissions compter. Il n'y a donc aussi que le présent où nous puissions nous promettre de nous convertir. C'était la belle et importante leçon que faisait l'Apôtre aux Hébreux en leur disant : Mes Frères, exhortez-vous les uns les autres, tandis que dure ce temps que l'Ecriture appelle aujourd'hui, parce que vous devez être persuadés que ce qui s'appelle aujourd'hui est pour vous le temps des miséricordes du Seigneur : Donec hodie cognominatur.

Ainsi le pécheur qui remet sa conversion, outre l'injure qu'il fait à Dieu, trahit ses propres intérêts et se contredit lui-même puisqu'il ne veut pas se convertir dans le temps où il le peut, qui est l'heure présente, et qu'il le veut pour un temps où il ne sait s'il le pourra : car, tout est incertain dans le futur. Incertain s'il sera; incertain combien il durera; incertain quelle issue il aura funeste ou heureuse, subite ou prévue. Eh! mon Frère, conclut saint Jérôme, que vous prenez mal vos mesures, de vouloir faire dans un temps incertain une pénitence certaine! Vous me répondrez, dit saint Augustin, que Dieu a promis au pécheur pénitent la rémission de son péché, j'en conviens. Mais a-t-il promis, au pécheur qui diffère, le lendemain pour faire pénitence? Dans quel prophète trouvez-vous que, parce que c'est un Dieu de miséricorde, il doive prolonger votre vie? Il a considéré dans le monde deux sortes de pécheurs : les uns faibles et pusillanimes, et les autres vains et téméraires. Il a dit aux premiers : Ne craignez point ; car, quelques crimes que vous ayez commis, au moment que vous les pleurerez, je les oublierai; mais il a dit aux seconds : Tremblez; car, quelque authentique que soit ma promesse, elle ne s'étend point jusqu'à vous répondre de l'avenir.

Il n'y a donc rien de certain dans le futur, que son incertitude même : il n'y a rien de certain, sinon que nous y serons surpris. Le Sauveur du monde nous l'a dit en termes formels : Qua hora non putatis. Après une parole si positive, ajouterai-je au désordre de mon péché le désordre de la plus criminelle et de la plus insensée témérité? Combien l'espérance de ce lendemain que j'attends a-t-elle perdu d'âmes? Et quand je l'aurais, sera-ce un temps de pénitence et de conversion? Car tout temps n'est pas un temps de pénitence : autrement le Prophète, et Dieu lui-même, ne nous dirait pas : Cherchez le Seigneur pendant que vous le pouvez trouver; voici le temps favorable, voici le jour de salut.

Si nous sommes attaqués d'une maladie, nous ne remettons pas à faire demain pour notre guérison ce que nous pouvons faire aujourd'hui : mais s'agit-il de notre âme? J'y mettrai ordre, disons-nous, et j'aurai du temps. Souvenons-nous qu'il y a des temps et des moments que le Père céleste s'est réservés, et dont il ne nous appartient pas de disposer. Souvenons-nous que, comme il ne lui a pas plu d'envoyer en tout temps un Rédempteur et un Messie pour le salut du monde, il ne lui plait pas de convertir en particulier chaque pécheur dans tous les temps. Souvenons-nous de ce que dit le Sauveur des hommes en pleurant sur Jérusalem : Parce que tu n'as pas connu la visite du Seigneur, parce que lu n'as pas profité de ce jour marqué pour toi, in hoc die tua tri seras abandonnée. Or, nous le connaissons, Chrétiens, ce temps de la visite de notre Dieu, et c'est celui-ci. Mais qu'arrivera-t-il si vous écoutez l'esprit du monde? Vous sortirez de cette prédication avec quelques bons désirs, mais désirs vagues et sans conséquence : et si votre conscience vous presse, après vous être défendu par mille prétextes, vous renverrez à un autre temps ce irai doit avoir la préférence dans tous les temps, je veux dire votre conversion.

Deuxième partie. Témérité du pécheur qui diffère sa conversion, parce qu'Use répond de la grâce. Dieu est fidèle; et parce qu'il est fidèle, nous pouvons compter sur lui et sur sa grâce. Mais il ne s'ensuit pas que nous puissions compter sur lui et nous assurer de sa grâce à son préjudice même. Or, se promettre cette grâce pour se maintenir dans l'habitude du péché, 1° c'est vouloir que Dieu soit fidèle à celui qui le méprise; 2° c'est vouloir qu'il soit fidèle aux dépens de tous ses intérêts, et le combattre parle plus aimable de ses attributs, qui est sa miséricorde; 3° c'est vouloir que sa fidélité le rende, tout Dieu qu'il est, prévaricateur et fauteur de notre iniquité.

1° C'est vouloir que Dieu soit fidèle à celui qui le méprise. Car n'est-ce pas le mépriser que de résister actuellement à sa grâce? Mais malheur à vous qui méprisez, dit le Seigneur, parce que vous serez méprisé! Nous voulons nous convertir quand nous serons rebutes du monde , ou que le monde sera rebuté de nous. Nous voulons nous convertir quand la nécessité et une crainte servile nous y forcera. Est-ce traiter Dieu en Dieu, et se contentera-t-il que nous lui donnions les restes du monde, et un cœur infecté de vices et de passions? Non, sans doute; et, pour l'honneur de sa grâce dont il est jaloux, il saura bien punir nos mépris. Il nous rejettera, il nous dira comme à ces Juifs dont il est parlé au premier chapitre d'Isaïe : Retirez-vous; je ne vous connais plus, et vos sacrifices me sont à charge.

2° C'est combattre Dieu par ses propres armes, et se servir du plus aimable de ses attributs, qui est sa miséricorde, contre lui-même.

 

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Car, si le pécheur ne comptait pas sur la miséricorde de Dieu, s'il savait que Dieu fut un maître aussi prompt que terrible dans ses vengeances, il ne tarderait pas à se convertir. D'où vient donc qu'il remet? c'est qu'il se repose sur l'idée d'un Dieu patient, et toujours prêt à donner sa grâce. Ah! Seigneur, s'écrie là-dessus saint Ambroise, que n'éclatez-vous, et que ne prenez-vous votre cause en main ? Vous seriez alors servi comme vous devez l'être. Mais que dis je? ajoute le même Père; je parle en homme, Seigneur, et vous agissez en Dieu. Selon mes pensées, il vous serait plus avantageux de perdre des rebelles; mais selon les vôtres, il vous est plus glorieux de suspendre vos coups, et d'arrêter votre justice. Vous cependant, pécheur, concluait ce saint évêque, n'êtes-vous pas bien coupable de vouloir moins faire pour un Dieu bon que pour un Dieu inflexible?

3° C'est vouloir rendre Dieu prévaricateur et fauteur de notre iniquité. Car il le serait évidemment s'il supportait les pécheurs avec cette patience qui tient de l'insensibilité, et si, malgré leur rébellion, sa grâce leur était toujours promise. Et voilà sur quoi Tertullien se fondait pour appuyer ses sentiments, quoique erronés, touchant la pénitence. Or, tout cela ne doit-il pas engager Dieu à refuser sa grâce au pécheur, qui d'une année à l'autre use toujours de nouveaux délais pour retarder sa conversion?

Troisième partie. Témérité du pécheur qui diffère sa conversion, parce qu'il se répond de sa volonté. De toutes les choses du monde, celle dont nous pouvons le moins nous répondre, c'est notre volonté propre. S'il fallait risquer le saint, disait saint Bernard, je croirais bien moins hasarder du côté de la grâce de Dieu, qui ne dépend pas de moi, que du côté de ma volonté, qui en dépend. Mais si ma volonté dépend de moi, n'en puis-je pas disposer? Oui, reprend saint Bernard, et c'est justement pour cela même que je dois craindre : car si Dieu m'avait ôté ce pouvoir, et qu'il se fût absolument rendu maître de ma volonté, je serais en assurance ; mais comme il a voulu que cette volonté dépendit de moi, qui suis la fragilité et l'inconstance même, voilà ce qui me fait trembler.

Le pécheur se flatte qu'après quelques années il aura assez d'empire sur son cœur pour le dégager de l'esclavage du péché, et il reconnaît que dès maintenant il lui est presque impossible d'en sortir : contradiction évidente. Si vous êtes trop faible maintenant pour rompre vos engagements criminels, comment les romprez-vous quand vous vous serez toujours affaibli davantage?

Ce qui nous donne encore plus lieu de nous défier de cette pénitence de l'avenir, c'est que ces pécheurs qui durèrent remettent communément cette conversion jusqu'à la fin de la vie, et souvent jusqu'au jour même de la mort. Or, est-on en état alors de faire une bonne pénitence ? A-t-on assez de présence d'esprit pour y bien penser ? Est-on assez maître de soi-même pour changer tout à coup de sentiments, et pour devenir ce qu'on n'a jamais été?

Attachons-nous plutôt au salutaire conseil de l'Apôtre, et au commandement qu'il nous fait de ne pas recevoir en vain le don de Dieu, qui nous est aujourd'hui présenté. Le temps est favorable, la grâce abondante, la disposition même de nos esprits et de nos cœurs avantageuse. Allons donc, et ménageons des moments si précieux. Disons à Dieu comme David : Dixi nunc coepi. C'est, Seigneur, un dessein formé ; je veux être à vous, et sans retardement je vais me mettre en devoir d'exécuter la sainte résolution que vous m'inspirez.

 

Moria vero accipit libram unguenti pretiosi, et unxit pedes Jesus, et extersit pedes ejus capilis suis.

 

Marie-Madeleine prit donc une livre d'huile de parfum qui était d'un grand prix, la répandit sur les pieds de Jésus, et les essuya de ses cheveux. (Saint Jean, chap. XII, 3.)

 

C'est pour la seconde fois que, durant le cours de ce carême, l'Evangile nous représente Marie-Madeleine prosternée en la présence de Jésus-Christ, répandant un parfum de très-grand prix sur les pieds de ce divin Maître, les essuyant elle-même de ses cheveux, et renouvelant dans son cœur tous les sentiments de sa pénitence et de son amour. Modèle que je vous ai proposé, Chrétiens, selon les intentions de l'Eglise, pour vous engager a rentrer comme cette sainte pénitente dans le devoir, à sortir comme elle de votre péché, et à vous réconcilier avec Dieu par une sincère et une prompte conversion. Mais peut-être n'y a-t-il eu que trop de pécheurs que cet exemple a touchés, et qu'il n'a pas néanmoins convertis; qui se sont contentés de l'admirer sans le suivre, et qui, s'en tenant à de vains désirs, auraient souhaité d'être ce qu'était Madeleine contrite et humiliée devant le Sauveur du monde, mais dans la pratique ont toujours été et sont encore tout ce qu'ils étaient. Mille obstacles les arrêtent, mille engagements les tiennent liés; ils gémissent dans leurs fers, et, sans avoir la force de les rompre, ils les traînent avec eux, et demeurent dans le plus dur et le plus honteux esclavage. Or, il n'est plus question de délibérer, mes Frères, il faut agir; il faut, par une salutaire violence, vous tirer, ou plutôt vous arracher de cette triste servitude; et je viens aujourd'hui vous dire ce que l'Ange dit à saint Pierre dans la prison : Surge velociter (1); levez-vous, et ne tardez pas. Je sais quelle illusion vous séduit, et par quels prétextes la passion vous trompe et vous joue. Pour calmer les remords intérieurs de votre âme, vous ne renoncez pas absolument à la pénitence, mais vous la différez; vous ne dites pas : Je ne me convertirai jamais: ce désespoir fait horreur; mais vous dites : Je ne me convertirai pas encore si tôt; et moi, je veux vous faire voir les suites malheureuses de ce retardement, et l'affreux danger où il vous expose. C'est ici, mon Dieu, que j'ai besoin de votre grâce toute-puissante, et que je la demande par l'intercession de Marie, l'asile et l'espérance des pécheurs. Ave, Maria.

 

Trois choses, disent les théologiens, sont d'une nécessité indispensable, ou, selon le terme de l'école, d'une nécessité de moyen, pour se convertir à Dieu : le temps, la grâce et la volonté : le temps, comme une condition sans laquelle hors de Dieu rien n'est possible; la

 

1 Act., XII, 7.

 

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grâce, comme le principe d'où dépend essentiellement la conversion du pécheur : et la volonté du pécheur, comme le sujet même de cette conversion. Or, cela présupposé, voici d'abord en trois mots tout mon dessein, et ce que j'entreprends d'établir. Je veux vous montrer combien la conduite d'un pécheur qui diffère sa conversion est téméraire : pourquoi? parce qu'en remettant il s'assure de trois choses sur lesquelles il doit le moins compter, el dont il a plus lieu de se défier ; savoir, du temps de la pénitence, de la grâce de la pénitence, et de la volonté de taire pénitence. Témérité, lorsqu'il se promet d'avoir un jour le temps de se convertir à Dieu, c'est la première partie. Témérité , lorsqu'il présume que la grâce ne lui manquera pas pour se convertir à Dieu, c'est la seconde. Témérité, lorsqu'il se répond de lui-même en se flattant qu'il aura la volonté de se convertir à Dieu, c'est la troisième. Ces pensées sont communes; mais pour être communes, elles n'en sont pas moins solides, ni moins propres à faire impression sur vos cœurs.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Je parle donc ici d'un homme du monde qui vit dans le désordre du péché, mais qui n'a pas néanmoins renoncé à l'espérance de son salut; qui demeure habituellement dans la disgrâce et dans la haine de Dieu, mais qui toutefois est bien résolu de n'y pas persévérer jusques à la mort; qui  prétend enfin se convertir, mais qui ne le veut pas encore si tôt. Cela ne se peut, direz-vous, et, à prendre les choses moralement, ces deux volontés paraissent incompatibles. Peut-être,  Chrétiens, pourrait-on dire qu'elles  le   sont   en   effet ;  mais supposons qu'elles ne le soient pas, et, pour la conviction entière des pécheurs, donnons-leur cet avantage, que ces deux volontés puissent s'accorder. Que fait un homme de ce caractère ? voici le premier fondement sur lequel il bâtit. Il s'assure du temps, et du temps de faire pénitence : deux choses bien   différentes , comme vous verrez. Je dis qu'il s'assure de l'un et de l'autre; car, s'il avait le moindre doute, ou qu'à l'instant que je parle il dût mourir, ou que dans ce qui lui reste de vie il ne dût jamais trouver un moment favorable pour sa conversion, dès-là ou il tomberait absolument dans le désespoir, ou il conclurait qu'il doit sans retardement quitter son péché, et se remettre en grâce avec Dieu. Il faut donc, pour concilier ensemble et la volonté de se convertir et le délai de la conversion, qu'il se promette non-seulement un temps à venir, mais un temps propre à la pénitence. Or, je vous demande s'il y eut jamais une témérité comparable à celle-là, et s'il en faudrait davantage pour comprendre d'abord la vérité de cette parole de l'Ecriture : savoir qu'il y a une espèce d'enchantement, disons mieux, d'ensorcellement dans les esprits des hommes sur ce qui regarde les biens éternels. Ecoutez-moi, s'il vous plaît, ou plutôt écoutez saint Augustin raisonnant sur cette matière.

De tout ce qui a rapport à l'homme, et de tout ce qui lui peut être nécessaire pour l'accomplissement des desseins qu'il forme, il n'est rien, dit saint Augustin, qui dépende moins de lui ni qui soit moins dans sa disposition que le temps futur : principe évident et incontestable ; d'où il s'ensuit que c'est donc un aveuglement extrême de se le promettre, et une présomption de s'en répondre. La conséquence est infaillible; car enfin, s'assurer de ce qui n'est nullement en notre pouvoir, et sur cette assurance chimérique fonder ses prétentions , c'est ce qu'on traite dans le monde et ce qu'on doit traiter de folie. Il n'y a que l'affaire du salut où nous en voulons autrement juger. Mais c'est justement dans l'affaire du salut que celle maxime générale, qui ne souffre nulle exception, doit être particulièrement reçue, puisqu'il est vrai que ce qui passe dans le monde pour folie, le salut s'y trouvant mêlé, n'est plus une simple folie, mais l'excès et le comble de la folie. Or, prenez garde, mes Frères, ajoute saint Augustin, ceci mérite votre attention : des trois différences qui partagent Je temps , c'est-à-dire du passé, du présent et de l'avenir, il n'y a proprement que le présent qui soit à nous, et sur quoi nous puissions compter. Et quand je dis le présent, je dis la plus petite partie du temps, quoiqu'elle soit la plus importante: carie passé a une vaste étendue, le futur est infini; mais le présent n'est qu'un instant, qui cesse d'être aussitôt que je l'ai conçu, et qui s'écoule plus vite que je ne puis même l'exprimer. Et néanmoins c'est cet instant seul que j'ai pour ainsi dire en mon pouvoir, dont il m'est libre de faire un bon ou mauvais usage, et duquel par conséquent je puis être certain. Le passé ne dépend pas de moi ; car il n'est plus, et il est impossible qu'il soit jamais. Le futur est hors de mon ressort ; car il n'est pas encore, et peut-être ne sera-t-il jamais. Il n'y a que le présent qui subsiste dans sa manière de subsister, et que j'aie droit de mettre au nombre des choses qui m'appartiennent. Donc il n'y a que celui-

 

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où je puisse me promettre, si je suis pécheur, de changer de vie et de me convertir ; et, ce qui est plus remarquable, c'est qu'il n'y a que celui-là où je me convertirai, si jamais je me convertis : pourquoi ? parce qu'il est constant, poursuit saint Augustin, que tout ce qui se fait hors de Dieu se fait dans le temps présent. C'est dans le présent que je vous parle, et c'est dans le présent que vous m'écoutez. Il y a pour chacune de nos actions un certain moment présent auquel leur être est borné, et sans lequel elles ne seraient rien. Cette pensée de saint Augustin est subtile, mais solide. Si donc je dois un jour me convertir, ma conversion, toute surnaturelle qu'elle est, étant du nombre et de la nature des actions humaines, il faut par nécessité qu'elle s'accomplisse dans le temps présent, et qu'il soit vrai de dire une fois, non plus : Je renoncerai à mon péché , et j'y renonce; non plus : Je penserai à mon salut, mais j'y pense ; non plus : J'obéirai à Dieu et je me soumettrai à sa loi, mais : Je m'y soumets et je lui obéis.

C'est pour cela même que le grand Apôtre , après avoir représenté aux Hébreux la déplorable et aveugle conduite de ceux qui temporisent avec Dieu ; après leur avoir fait peser cette divine parole : Hodie si vocem ejus audieritis, nolite obdurare corda vestra (1) ; Si vous entendez aujourd'hui la voix du Seigneur, n'endurcissez pas vos cœurs ; après leur avoir mis devant les yeux l'exemple de leurs pères, qui, par leur obstination, s'étaient rendus indignes d'entrer dans la terre que Dieu leur avait promise ; après, dis-je, les avoir pressés sur ce point avec tout le zèle que sa charité lui inspirait, conclut par cet excellent avis, auquel je doute que vous ayez jamais fait réflexion : Videte ergo, Fratres, ne forte sit in aliquo vestrum cor malum incredulitalis discedendi a Deo vivo; sed adhortamini vosmetipsos per singulos dies, donec hodie cognominatur (2); Craignez donc, mes Frères, qu'il n'y ait en quelqu'un de vous un fonds ou d'incrédulité ou de malignité, qui l'éloigné du Dieu vivant ; mais exhortez-vous sans cesse les uns les autres, tandis que dure ce temps que l'Ecriture appelle aujourd'hui , parce que vous devez être persuadés que ce qui s'appelle aujourd'hui est pour vous le temps des miséricordes du Seigneur : Donec hodie coqnominatur. Voyez, reprend saint Chrysostome, l'admirable théologie de saint Paul : il n'exhorte pas les Hébreux à se convertir demain, ni à suivre les lumières de la grâce quand ils

 

1 Psalm., XCIV, 8. — 2 Heb., III, 12, 13.

 

seront libres de certains embarras du siècle, ni à revenir de leurs erreurs dans un certain terme qu'il aurait pu leur marquer: pourquoi? parce que son exhortation eût été vaine et même trompeuse; car, en leur disant : Convertissez-vous demain, il eût supposé que ce lendemain était assuré pour eux, et qu'ils en étaient maîtres ; surtout que ce lendemain était propre à l'exécution des ordres de Dieu qu'il leur signifiait. Or, c'eût été une supposition fausse dans toutes ses parties ; et bien loin de les instruire utilement, il leur eût dressé un piège. Mais que leur dit-il? Ah! mes Frères, exhortez-vous les uns les autres, pendant que vous êtes en possession de ce jour présent, parce que ce jour présent vaut mieux pour vous que tous les siècles compris dans la durée infinie de Dieu; parce que ce jour présent est le seul point de l'éternité auquel vous ayez droit ; en un mot, parce qu'il n'y a que ce jour présent où vous puissiez sûrement et infailliblement opérer votre salut : Sed adhortamini vosmetipsos, donec hodie cognominatur. Que fait donc le pécheur qui diffère , et qui ne se détermine jamais à prendre pour sa conversion ce jour si important ; qui, dans l'indispensable nécessité où il est de réformer sa vie, se repose toujours sur le lendemain; qui voulant, en quelque sorte, composer avec Dieu, par le partage le plus injuste., donne toujours à Dieu le temps à venir, et use du présent poursoi? c'est-à-dire donne toujours à Dieu ce qu'il n'a pas et ce qu'il ne lui peut donner, et ne lui donne jamais ce qu'il a, et le temps dont il pourrait disposer pour lui en faire un sacrifice agréable; qui, dans l'intérieur de son âme, semble ainsi s'expliquer à lui : Seigneur, ne me demandez pas encore cette année, dont je veux jouir tranquillement, et je vous en promets d'autres auxquelles je ne sais si je parviendrai jamais. Que fait-il, encore une fois, ce pécheur? Il raisonne, répond saint Grégoire de Nazianze, et il parle en insensé ; puisque , outre l'injustice qu'il commet envers Dieu, il trahit ses propres intérêts et se contredit lui-même. Comment cela? parce qu'il ne veut jamais se convertir dans le temps où il le peut toujours, qui est l'heure présente ; et qu'il le veut toujours pour le temps où il ne le peut jamais, qui est le lendemain : car le lendemain, selon l'ingénieuse remarque de saint Augustin, dont je vous ai déjà fait part, ne doit ni ne peut être le temps de sa conversion.

Mais encore pourquoi n'y est-il pas propre, et quelle qualité a-t-il si contraire à l'ouvrage

 

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du salut ? Il n'en faut point d'autre que l'affreuse incertitude de son être et de toutes ses circonstances : car c'est une chose que nous devons bien observer, poursuit excellemment saint Augustin , que quoique toutes les parties du temps soient de même espèce, le passé et le futur ont néanmoins, par rapport à nous, une opposition infinie ; et qu'autant qu'il est vrai qu'à notre égard tout est déterminé dans le passé, autant sommes - nous convaincus que tout est incertain dans le futur. Incertain s'il sera, qui le peut garantir? incertain combien il durera, à qui Dieu l'a-t-il révélé? incertain quelle issue il aura, funeste ou heureuse, subite ou prévue : c'est un abîme d'obscurité. Je vous demande donc, Chrétiens, un temps de cette nature est-il propre à la décision de la plus essentielle de toutes les affaires, qui est le retour à Dieu ? Hé ! mon Frère, concluait saint Jérôme, que vous prenez mal vos mesures, de vouloir, dans un temps incertain, faire une pénitence certaine ! car il faut, ajoutait-il, que vous soyez également persuadé de ces deux vérités : la première, qu'étant certainement pécheur, vous ne pouvez être sauvé que par une pénitence certaine ; et la seconde, qu'une pénitence certaine ne se peut faire que dans un temps certain. N'est-il donc pas bien étonnant que vous vous proposiez dans le futur, qui est l'incertitude même, une conversion telle que doit être absolument celle qui nous sauve, et dont dépend notre bonheur? Vous me répondrez (ceci est encore de saint Augustin) que Dieu, par le plus solennel de tous les serments, a promis à la pénitence la rémission et le pardon du péché, et il est vrai : mais en promettant la rémission et le pardon à votre pénitence, a-t-il promis à votre négligence et à vos continuels retardements le lendemain que vous vous promettez à vous-même ? Verum dicis, quod Deus pœnitentiœ tuœ indulgentiam promisit ; sed dilationi tuœ numquid crastinum promisit? Car ce sont deux diverses grâces , et qui n'ont même rien de commun, de pardonner à l'homme qui déteste son péché, et de lui donner le temps de le détester; et quand Dieu s'est obligé à l'un, il ne s'est point engagé à l'autre. Vous me citez les prophètes pour montrer que ce Dieu de miséricorde ne méprise jamais un cœur contrit et humilié; et ce n'est pas de quoi il s'agit, puisqu'on en demeure d'accord : mais dans quel prophète trouvez-vous que parce que c'est un Dieu de miséricorde, il doive prolonger votre vie, afin que vous ayez le loisir de prendre un jour ces sentiments de contrition : Sed in quo propheta legis, qui promisit cor recto gratiam, promisit et tibi longam vitam? Non, non, ne vous prévenez pas d'une si dangereuse erreur ; car, pour vous en détromper, voici la conduite pleine de sagesse qu'il a plu à Dieu de tenir. Il a considéré dans le monde deux sortes de pécheurs : les uns faibles et pusillanimes, qui n'espéraient pas assez ; et les autres vains et téméraires, qui espéraient trop : pour les pusillanimes et les faibles, qu'il voulait consoler, il a établi la pénitence, comme un port salutaire qui leur est ouvert ; et pour les téméraires et les présomptueux, qu'il voulait contenir dans le devoir, il a ordonné que le jour de la mort fût incertain : Propter eos qui desperatione periclitantur, proposait pœnitentiœ portum ; et propter eos qui dilutionibus illuduntur, fecit diem mortis incertum. Celui-là, troublé de la vue de ses crimes, tombait aussi bien que Caïn dans un secret abattement de cœur. Dieu lui a dit par Ezéchiel : Non, ne perds point la confiance que tu as en moi ; car quelques crimes que tu aies commis, au moment que tu les pleureras, je les oublierai. Celui-ci, au contraire, fortifié d'une promesse si authentique, ou plutôt l'interprétant mal, péchait avec sécurité, et conservait en péchant une fausse paix. Dieu lui a dit au même endroit : Crains, malheureux, et défie-toi de ton espérance même; car, quelque authentique que soit ma promesse, elle ne s'étend point jusqu'à te répondre de l'avenir. Ainsi Dieu, reprend saint Augustin, a mis les choses dans un juste tempérament; et, par l'incertitude de l'avenir, il a tellement permis à l'homme d'espérer toujours, qu'il le réduit à la nécessité de ne différer jamais.

Il n'y a donc rien de certain, mes Frères, dans le futur, que son incertitude même. Il n'y a rien de certain, sinon que nous y serons surpris. Car le Sauveur du monde nous l'a dit en termes formels : Qua hora non putatis (1). Après une parole si positive, mais si terrible, ajouterai-je encore au désordre de mon péché le désordre de la plus criminelle et de la plus insensée témérité, remettant toujours ma conversion , demandant toujours trêve jusqu'au jour suivant : Inducias usque mane? Et pourquoi cette trêve qui ne peut être, si je l'obtiens, qu'une continuation affectée de mon iniquité ; et si je ne l'obtiens pas, que la cause de mon impénitence finale? Pourquoi cet appel opiniâtre au lendemain, contre l'oracle de la

 

1 Luc, XII, 40.

 

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sagesse qui me le défend : Ne glorieris in crastinum (1) ? Puis-je ignorer que ce lendemain a perdu des âmes sans nombre, et que l'enfer est plein de réprouvés qu'il a engagés dans le dernier malheur? lisse flattaient d'un lendemain, et il n'y en avait point pour eux; ils avaient fait un pacte avec la mort, selon l'expression du texte sacré, et la mort ne le gardait pas. Est-il croyable qu'elle changera de nature pour moi, et qu'étant si infidèle pour le reste des hommes, j'aurai seul droit de pouvoir m'y fier? Quand même je l'aurais, ce lendemain, sera-ce un temps de pénitence et de conversion? Toute sorte de temps n'est point le temps de la pénitence ; et c'est un abus insupportable dans l'homme, de croire que parce qu'il aura le temps peut-être d'exécuter les frivoles desseins que lui suggère son avarice ou son ambition, il aura celui de travailler efficacement à son salut. Si cela était, en vain, selon le raisonnement de saint Augustin, les prophètes nous auraient recommandé de chercher Dieu tandis qu'on le peut trouver, et de l'invoquer pendant qu'il est proche de nous : Quœrite Dominum dum inveniri potest,et invocate eum dum prope est (2). En vain Dieu lui-même nous aurait-il dit : C'est au temps favorable que je vous ai exaucé, et c'est au jour du salut que je vous ai aidé : In tempore accepto exaudivi te, et in die salutis adjuvi te (3). En vain Jésus-Christ aurait-il menacé les Juifs des dernières calamités qu'il leur annonçait, s'ils n'usaient bien du temps qu'il leur donnait. Car, si tous les temps sont également des temps de conversion, ces propositions et ces menaces étaient mal fondées. Mais, si elles étaient justes et vraies, comme nous n'en doutons pas, il est donc vrai qu'il y a un temps de pénitence, choisi spécialement de la part de Dieu, et qui doit être ménagé avec vigilance de la part de l'homme ; et c'est celui qu'a voulu définir saint Paul, quand il disait : Ecce nunc tempus acceptabile (4). Il est donc vrai qu'il y a des jours de salut plus heureux que les autres jours, et, comme tels, marqués dans l'ordre de la prédestination divine : Ecce nunc dies salutis (5). Il est donc vrai qu'il y a un temps particulier pour trouver Dieu, hors duquel on le cherche inutilement : Quœretis me, et non invenietis (6). Nous disons bien, dans le langage même du monde, que toute sorte de temps ne convient pas à toutes sortes d'affaires; et, comme parle Salomon, que toute affaire veut être traitée et négociée dans

 

1 Prov., XXVII, 1. — 2 Isa., LV, 6. — 3 2 Cor., VI, 2. —  4 Ibid. —  5 Ibid. — 6 Joan., VII, 34.

 

son temps : n'y aurait-il que l'affaire du salut qui lut exceptée de cette règle?

Ah ! mes chers auditeurs, voilà le grand scandale du christianisme. Si nous sommes attaqués d'une maladie, nous étudions tous les temps, nous les observons avec exactitude, nous ne remettons point à demain ce qui se peut faire aujourd'hui, et tout notre soin est de bien profiter, dans le cours du mal, de certains moments critiques et décisifs : ainsi en usons-nous pour le salut du corps. Mais s'agit-il de notre âme frappée de la maladie la plus mortelle, qui est le péché, et infectée de la contagion d'une habitude vicieuse dont il la faut guérir, nous vivons tranquilles et sans inquiétude : J'y mettrai ordre, disons-nous, mais rien ne me presse ; je ne suis pas encore en état, et je trouverai toujours le temps d'y penser. Vous le trouverez, Chrétiens? mais qui vous l'a dit ? Je veux qu'il vous reste encore des années, et même plusieurs années de vie : qui sait si dans ces années qui vous restent, il y aura pour vous un jour de salut? Souvenons-nous, mes Frères, conclut saint Bernard, ramassant en deux mots tout le fond de cette première partie, souvenons-nous, qu'il y a des temps et des moments que le Père céleste s'est réservés, et qu'il ne nous appartient pas même de connaître, bien loin que nous en puissions disposer : Tempora et momenta quœ Pater posuit in sua potestate (1). Or, ces moments , dans la doctrine de tous les Pères, sont ceux de la conversion et du salut. Souvenons-nous que, comme il n'a pas plu à Dieu d'envoyer en toute sorte de temps un Rédempteur et un Messie pour le salut général du monde; que comme il ne lui a pas plu de répandre sur les royaumes et sur les nations la lumière de l'Evangile dans tous les temps, aussi ne lui plaît-il pas de convertir en particulier chaque pécheur dans tous les moments. Souvenons-nous et comprenons bien qu'il veut nous sauver plus spécialement dans un temps que dans un autre; et qu'ayant pour cela des moments de choix, le plus grand de tous les malheurs est que ces moments nous échappent et que nous les négligions. N'oublions jamais les étonnantes paroles du Sauveur lorsqu'il pleure sur Jérusalem, ou plutôt, comme je vous le disais hier, sur les pécheurs dont cette ville infortunée était la figure. Il la regarda avec compassion, non point parce qu'elle devait être détruite par les Romains, non point parce qu'elle était à la veille de la ruine la plus

 

1 Act., I, 7.

 

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entière, non point parce que ses enfants allaient être, comme Caïn , exterminés de la terre ; le dirai-je ? non point même parce que le Saint des saints devait bientôt y être condamné à la mort, et à la mort la plus honteuse et la plus cruelle ; mais parce qu'elle n'avait pas connu le jour du salut qui lui était donné, et où le Seigneur lui apportait la paix : Quia si cognovisses et tu, et quidem in hac die tua, quœ ad pacem tibi (1). Voilà ce qui fit verser des larmes au Fils de Dieu. Il n'imputa point la réprobation des Juifs au déicide abominable qu'ils allaient commettre dans sa personne, mais à l'aveuglement volontaire qui les empêchait de connaître le temps de la visite du Seigneur : Eo quod non cognoveris tempus visitationis tuœ (2). Or, nous le connaissons, Chrétiens, ce temps de la visite de notre Dieu, ce jour qui nous est accordé : In hac die tua. Nous le connaissons; et peut-être à l'instant que je vous parle, Dieu vous dit-il secrètement : Voici, pécheur, votre jour, voici le temps que j'ai destiné pour vous ; c'est aujourd'hui qu'il faut quitter cette vie libertine ; car je ne veux plus de retardement : Ecce nunc tempus acceptabile (3). Mais que vous arrivera-t-il, mon cher auditeur, si vous consultez l'esprit du monde au lieu de vous rendre attentif et docile à la voix de Dieu? vous sortirez de cette prédication avec quelques bons désirs, mais désirs vagues et sans conséquence. Vous sentirez bien que Dieu vous aura visité; mais sa visite, par l'endurcissement de votre cœur, n'aura pas l'effet qu'il prétendait. On ne dira pas de vous que vous ne l'aviez pas connue; mais on pourra dire que, la connaissant, vous en aurez abusé. Enfin, si votre conscience vous presse, après avoir cherché de vaines raisons pour colorer votre lâcheté; après avoir allégué tout ce que peut inventer la prudence charnelle, après vous être défendu par mille prétextes d'affaires qui vous occupent, et d'engagements que vous ne croyez pas encore pouvoir surmonter, vous renverrez à un autre temps ce qui doit avoir la préférence dans tous les temps, savoir, votre conversion. Et parce que pour l'accomplir il faut un jour de salut, et que dans les principes de la théologie il n'y a qu'une grâce, je dis une grâce privilégiée, qui puisse faire ce jour de salut, en vous assurant de ce jour vous vous assurerez de cette grâce ; et c'est ce que j'ai à combattre dans la seconde partie.

 

1 Luc, XIX, 42. — 2 Ibid. — 3 2 Cor., VI, 2.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Dieu est fidèle, dit le grand Apôtre : Fidelis Deus (1) ; et parce qu'il est fidèle pour nous, nous pouvons porter notre confiance jusqu'à nous assurer de lui. Mais il ne s'ensuit pas de là que nous ayons droit de compter sur lui à son préjudice même, ni que sa fidélité puisse jamais servir de fondement à notre témérité. Or, c'est néanmoins le faux principe sur lequel agit un pécheur du siècle quand il diffère sa conversion , parce qu'il se flatte d'avoir un jour la grâce de la pénitence. Car, se promettre cette grâce pour se maintenir dans l'habitude de son péché, prenez garde, s'il vous plaît, c'est vouloir que Dieu soit fidèle à celui qui le méprise ; c'est vouloir qu'il soit fidèle aux dépens de tous ses intérêts ; et tournant contre lui ses propres armes, c'est l'attaquer et le combattre par le plus aimable de tous ses attributs, qui est sa miséricorde : enfin, c'est vouloir que sa fidélité le rende, tout Dieu qu'il est, prévaricateur et fauteur de notre iniquité. Est-il une espérance plus vaine et une présomption plus criminelle?

C'est vouloir que Dieu soit fidèle à celui qui le méprise ; et Dieu s'est déclaré au contraire, que quiconque le méprise sera méprisé : Vae qui spernis; nonne et ipse sperneris (2) ! Malheur à vous qui méprisez la grâce de votre Dieu, parce que votre Dieu vous méprisera à son tour ! Or, vous la méprisez, pécheur, cette grâce, lorsque résistant à ses inspirations secrètes, et ne voulant pas encore vous soumettre à elle, vous ne laissez pas de compter sur son secours comme si elle vous était due. Mais Dieu vous méprisera à son tour, lorsqu'après avoir longtemps frappé à la porte de votre cœur, lassé de vos refus, il vous abandonnera enfin à vous-même, et il se retirera. Car, c'est à vous que s'adressent ces admirables paroles de saint Paul : An divitias bonitatis ejus et patientiœ et longanimitatis contemnis (3) ? Est-ce ainsi, mon Frère, que, rebelle à votre Dieu, vous méprisez les richesses de sa bonté et de son infinie patience ? Ignoras quoniam benignitas Dei ad pœnitentian te adducit (4) ? Ignorez-vous que c'est cette charité de Dieu qui vous sollicite, qui vous invite, mais inutilement et sans effet, à une prompte conversion ? voilà le mépris que le pécheur fait de la grâce. Mais doutez-vous aussi, ajoute l'Apôtre, que par votre dureté et votre impénitence vous

 

1 2 Thess., III, 3. — 2 Isa., XXXIII, 1. — 4 Rom., II, 4. — 5 Ibid

 

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n'amassiez contre vous un trésor de colère, pour le jour des vengeances et de la manifestation du jugement de Dieu? Secundum autem duritiam tuam et impœnitens cor, thesaurizas tibi iram in die irœ et revelationis justi judicii Dei (1) ; voilà le mépris que Dieu fait du pécheur. Appliquons-nous ceci, mes chers auditeurs ; l'un et l'autre ne nous convient que trop. Car nous voulons nous convertir dans un temps ou imaginaire ou réel , que chacun de nous se propose : réel, si nous y parvenons; imaginaire si nous n'y parvenons pas. Mais, quoi qu'il en soit, rien de plus injurieux ni de plus outrageant pour Dieu, que ce dessein prétendu de conversion.

En effet, nous voulons nous convertir quand nous serons rebutés du monde , ou plutôt quand le monde sera rebuté de nous; quand nous ne serons plus en état de goûter ses plaisirs ni d'aspirer à ses honneurs. Nous voulons nous convertir quand les revers de la fortune et les disgrâces de la vie nous y forceront, quand l'hypocrisie même du siècle nous y portera, quand elle nous en fera un intérêt, quand il n'y aura plus rien de meilleur pour nous, je dis de meilleur dans les vues mêmes de l'amour-propre. Vous en particulier, femmes mondaines, vous voulez vous convertir quand vous aurez cessé de plaire à ces sacrilèges adorateurs qui vous idolâtrent ; quand l'âge aura effacé ce qui vous les attachait ; quand le dégoût de vos personnes vengera Dieu, pour ainsi dire, du sacrilège encens qu'on vous aura prodigué, et que vous aurez reçu avec tant de complaisance. Enfin, mes Frères, nous voulons nous convertir quand nous ne pourrons plus nous en défendre, quand le glaive de Dieu nous poursuivra, quand une violente maladie nous aura conduits aux portes de la mort, quand par le nombre des années nous ne serons plus maîtres de réparer le passé et de travailler au présent, quand la faiblesse de la nature servira de prétexte à nos lâchetés et de voile à notre impénitence, quand nous n'aurons plus rien à offrir à Dieu, et que nous serons presque dans une impuissance absolue de faire quelque chose pour lui ; car, ne sont-ce pas là les projets de la prudence humaine ? Et sans rien dire ici des risques terribles que nous courons par là, n'ayons égard qu'au seul intérêt de Dieu, et au mépris que nous faisons de sa grâce. En vérité, mes chers auditeurs, ces projets de conversion conviennent-ils à une créature qui n'a pas tout à fait perdu l'idée de Dieu? Est-ce

 

1 Rom., II, 5.

 

traiter Dieu en Dieu? Se contentera-t-il que nous lui donnions les restes du monde ? qu'après nous être lassés dans la voie d'un libertinage opiniâtre, nous venions à lui présenter un cœur infecté de vices et de passions, un corps usé de débauches, un esprit corrompu de fausses maximes? Non sans doute ; et pour l'honneur de sa grâce dont il est jaloux, il saura punir ce mépris; et comment? apprenez-le. Car, si nous l'en croyons lui-même, après que nous l'aurons ainsi outragé, il nous rejettera; nous le chercherons, et nous ne le trouverons plus; nous voudrons être à lui, et il ne voudra plus être à nous ; ou plutôt, nous ne pourrons plus même le vouloir, parce que nous ne l'aurons pas voulu quand il nous était facile de le pouvoir. Nous ne laisserons pas d'être persuadés plus que jamais qu'il faut enfin nous déterminer, qu'il n'est plus temps de remettre cette conversion , dont nous verrons malgré nous que le terme expire : mais qui sait si Dieu se tournant contre nous, ne nous dira point alors comme à ces Juifs dont il est parlé au premier chapitre d'Isaïe : Retirez-vous, et ne paraissez point devant mes autels pour me faire une offrande indigne de moi ; je ne vous connais plus, et vos sacrifices me sont à charge. Comme roi des siècles et monarque éternel, je voulais les prémices de vos années; je voulais ces années de prospérité, qui furent pour vous des années de dissolution ; je voulais ces années de santé, que vous avez consumées dans le repos oisif d'une vie molle et paresseuse; je voulais cette jeunesse , dont vous avez fait le scandale de tant d'âmes ; je voulais cet âge mûr, qui s'est passé dans les intrigues de votre ambition démesurée : vous avez sacrifié tout cela au monde , et vous l'avez fait dans l'assurance que ce serait assez de m'en offrir quelques débris ; et moi je vous dis que ces oblations me sont odieuses, et qu'il est de ma gloire de les réprouver : Solemnitates vestras odivit anima mea : facta sunt mihi molesta; laboravi sustinens (1). Ainsi parlait le Seigneur, et ainsi se comporte-t-il tous les jours à l'égard de certains pécheurs, après les délais criminels qu'ils ont apportés à leur conversion.

J'ai dit de plus que s'assurer de la grâce en différant sa conversion, c'était combattre Dieu par ses propres armes, et se servir de sa fidélité et de sa miséricorde contre lui-même. Pourquoi cela? Ne le voyez-vous pas, Chrétiens? Pécher contre Dieu , parce que Dieu est bon ; ne cesser point de l'outrager, parce qu'il ne se

 

1 Isa., I, 14.

 

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lasse point de nous supporter ; dire : Je ne veux pas encore changer de vie, parce que la miséricorde de Dieu n'est pas encore épuisée, et je veux continuer dans mon désordre, parce qu'il est toujours dans la volonté de me sauver, n'est-ce pas employer contre lui ses attributs, et abuser, pour l'offenser, de sa grâce même ? Car enfin, dit saint Chrysostome , si Dieu usait de ses droits, et s'il était à notre égard ce qu'il pourrait être avec justice, un Dieu sévère , un Dieu inflexible, qui fit immédiatement succéder la peine au péché ; s'il nous traitait comme ce créancier impitoyable de l'Evangile traita son débiteur, et que, sans nous accorder aucun délai, il nous pressât de lui rendre ce que nous lui devons : Redde quod debes (1); que ferions-nous? Nous obéirions sur l'heure même à un commandement si rigoureux. Il n'y aurait point parmi nous de pécheur qui ne pliât d'abord sous le joug de la loi de Dieu. On verrait ces prétendus esprits forts recourir les premiers au tribunal de la pénitence, non plus par cérémonie , mais en effet ; non plus après des années entières de délibération, mais dès que leur conscience, par un remords salutaire, les avertirait du danger de leur état ; tous les hommes seraient dans le devoir : pourquoi? parce qu'ils auraient affaire à un Dieu également prompt et terrible dans ses vengeances. D'où vient donc qu'on remet, et qu'on ne veut se convertir qu'à l'extrémité? C'est qu'on se repose sur l'idée qu'on a d'un Dieu patient, et toujours prêt à donner sa grâce. Mais, Seigneur, s'écriait saint Ambroise, permettez-moi de m'en plaindre à vous pour vous-même. C'est cette patience qui semble autoriser contre vous les pécheurs de la terre. Sans elle vous seriez mieux servi ; sans elle on vous reconnaîtrait tel que vous êtes. Que ne vous déclarez-vous? que ne prenez-vous votre cause en main? que ne vous élevez-vous, dans l'ardeur de votre colère, pour dompter ces âmes fières et indociles, en les réduisant au choix, ou d'une prochaine conversion, ou d'une inévitable damnation? Mais que dis-je, ô mon Dieu? poursuivait ce saint docteur. Pardonnez-moi si je m'ingère à examiner votre conduite, et si je parais vouloir prescrire des bornes à votre miséricorde, moi qui dois tout à cette miséricorde sans bornes, puisqu'il y a longtemps que je serais la victime des flammes éternelles, si elle ne m'avait pas attendu. Je parle en homme, Seigneur; et vous agissez en Dieu. Selon mes pensées, il vous serait plus avantageux de perdre des rebelles; mais, selon les

 

1 Matth., XVIII, 28.

 

vôtres, il vous est plus glorieux de suspendre vos coups et d'arrêter votre justice. Ainsi ce Père expliquait-il à Dieu ses sentiments. Mais d'ailleurs, s'adressant au pécheur : Vous, mon Frère, lui disait-il, n'êtes-vous pas bien coupable de vouloir moins faire pour un Dieu bon que pour un Dieu inflexible? Car tel est votre procédé. Pour un Dieu inflexible, vous renonceriez dès maintenant à votre péché ; et pour un Dieu bon, vous vous contentez de former de vains projets , et d'y vouloir un jour renoncer. Pour un Dieu sans rémission, vous produiriez des fruits de pénitence ; et pour un Dieu patient, vous ne donnez que des paroles. Or, je prétends , Chrétiens , que, dans cette disposition , se répondre de Dieu et de sa grâce, c'est le dernier excès de l'aveuglement.

Enfin j'ai dit que de compter ainsi sur la grâce , c'est vouloir que Dieu se rende fauteur et complice de nos désordres : car il le serait évidemment s'il supportait les pécheurs avec cette patience qui tient de l'insensibilité, et si, malgré leur rébellion , sa grâce leur était toujours promise. Et voilà sur quoi Tertullien se fondait pour appuyer ses sentiments erronés touchant la pénitence. J'avoue, Chrétiens, et je vous l'ai déjà fait remarquer dans un autre discours, que Tertullien, sur cette matière, porta trop loin son zèle : mais ne craignons-nous point de tomber dans une autre erreur, par les fausses et présomptueuses idées que nous nous formons de la bonté de Dieu, et par l'abus que nous en faisons pour nous entretenir dans le crime et pour fomenter notre iniquité? Bien loin que nous puissions alors faire fond sur la grâce, je prétends, avec saint Ambroise, que notre présomption serait pour Dieu une espèce d'engagement à nous abandonner : pourquoi? afin de justifier sa providence, et de mettre sa sainteté à couvert de tout reproche. Affreux engagement, qui intéresserait Dieu à notre éternelle réprobation! Sur quoi donc enfin comptera le pécheur? sur sa volonté ? Faisons-lui voir que cette espérance n'est pas moins trompeuse que les autres, et concluons par cette troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

C'est un effet du péché, Chrétiens, et Dieu l'a ainsi permis, que l'homme en soit réduit à cet état de misère, de ne pouvoir pas même s'assurer de sa volonté propre. De toutes les choses du monde, c'est celle qui naturellement devrait plus être en son pouvoir; et néanmoins, de toutes les choses du monde, c'est celle dont

 

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il a plus lieu de se défier. S'il fallait risquer le salut, disait saint Bernard, je croirais bien moins hasarder du côté de la grâce de Dieu, qui ne dépend pas de moi, que du côté de ma volonté, qui en dépend. Et voici la raison qu'il en apportait : parce que le secours de Dieu, disait-il, vient d'un principe qui  de soi est éternel et immuable, au lieu que ma volonté est l'inconstance et la fragilité  même. Dieu veut parfaitement ce qu'il veut, et moi souvent à peine sais-je bien ce que je veux et ce que je ne veux pas. Mais ne puis-je pas disposer de ma volonté ? Il est vrai, reprend saint Bernard ; et c'est justement pour cela même que je dois craindre. Si Dieu m'avait ôté ce pouvoir, et qu'il se fût rendu absolument et uniquement maître de ma volonté, je serais en assurance; mais il a voulu que cette volonté dépendît encore de moi, et qu'elle fût sujette à mes légèretés, à mes irrésolutions, à mes caprices, et voilà ce qui me fait trembler. Or, si saint Bernard parlait de la sorte, que doit penser un homme du monde, qui ne veut pas actuellement se convertir, dans la vue qu'il se convertira un jour, et dans l'espérance de changer quand il voudra de sentiments et de conduite? Voyez comment il raisonne, et comment il se contredit lui-même. Il se  promet  qu'il fera dans  quelque  temps  un effort   pour   sortir de son péché, et il avoue que dès maintenant il se sent trop faible pour y réussir. Il se flatte qu'après quelques années il aura assez d'empire sur son cœur pour le dégager de cette passion, et il reconnaît que cette passion le domine déjà tellement, qu'il lui est presque impossible de la vaincre : contradiction évidente. Quoi ! mon Frère, lui répond saint Augustin, vous êtes dès à présent trop faible pour vous soutenir, et vous vous relèverez après que vous vous serez toujours affaibli  davantage? A mesure  que vous avancez dans le chemin du vice,  les forces de votre âme, je dis les forces même naturelles, diminuent, et l'expérience ne nous l'apprend que trop. Autrefois vous résistiez ; et cet heureux tempérament que Dieu vous avait donné, soutenu de la grâce, surmontait sans peine la violence du mal; mais le mal, j'entends l'habitude du péché, a tellement prévalu, qu'elle ne trouve presque plus de résistance : vous succombez aisément, fréquemment; et pour excuser vos chutes continuelles, vous les attribuez à votre faiblesse. Que sera-ce donc quand vous aurez encore langui plus longtemps dans l'état de votre infirmité? Dire que vous serez capable alors de vous relever, n'est-ce pas vous méconnaître, et prendre plaisir à vous tromper vous-même?

D'autant plus, ajoute saint Grégoire, pape, que ces pécheurs qui diffèrent leur conversion la remettent enfin jusques à un temps où il leur est en  quelque manière impossible de changer sincèrement de volonté. Quel est-il, ce temps? la fin de la vie, et souvent le jour même de la mort. Car dites-moi, mes chers auditeurs, si nous pouvons prétendre avec raison qu'à ces derniers moments nous agirons par les vues de Dieu ? Toutefois, ôtez ces vues de Dieu, toutes les volontés et tous les désirs imaginables ne suffisent pas pour vous sauver. Or, je vous demande : Est-il aisé d'agir par de semblables motifs, quand on est réduit à la plus extrême et à la plus pressante nécessité, qui est celle delà mort? Quitter le péché quand on ne le peut plus commettre, renoncer aux occasions quand on n'est plus maître de les rechercher, mourir au monde quand le monde est déjà mort pour nous, est-ce là cette pénitence surnaturelle, si puissante sur le cœur de Dieu, et qui le fléchit immanquablement? Je ne dis point les obstacles infinis dont la volonté du pécheur est combattue : ses forces épuisées, ses sens assoupis, son esprit égaré, sa mémoire troublée, la douleur qui le saisit; en sorte que l'âme, occupée tout entière du mal présent, est incapable de réfléchir sur le passé et de délibérer sur l'avenir. Mais je veux qu'elle ait toute l'attention et tout le discernement nécessaire, encore une fois est-il facile à un homme de devenir à la mort   ce  qu'il n'a jamais été pendant la vie; de prendre des inclinations toutes nouvelles, de commencer à haïr ce qu'il a toujours aimé, de commencer à aimer ce qu'il a toujours haï? Ne serait-ce pas un prodige? Voilà néanmoins sur quoi l'espérance de tous les pécheurs est fondée. Ils sont convaincus que ce miracle se fera en eux; ils se connaissent bien, disent-ils; et dès qu'ils le voudront, ou qu'ils penseront à le vouloir, rien ne leur résistera : quelque mondaine, quelque déréglée qu'ait été leur vie , ils se transformeront tout à coup en d'autres hommes. Jugez si vous devez les en croire, et s'il y a pour vous de la sûreté dans une pareille conduite.

Ah ! Chrétiens, attachons-nous plutôt au conseil que nous donne le grand Apôtre, et au commandement qu'il nous fait de ne pas recevoir en vain le don de Dieu qui nous est aujourd'hui présenté. Le temps est favorable, la grâce abondante, la disposition même de nos esprits et de nos cœurs avantageuse. Qu'attendons-nous,

 

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et que nous reste-t-il, sinon de profiter de ces heureuses conjonctures? Le temps favorable : car c'est un temps de renouvellement pour tous les chrétiens; un temps qui réveille les plus assoupis, qui ranime les plus languissants et les plus froids : un temps où les plus endurcis auraient honte de ne pas donner des marques de leur religion, où la piété publique triomphe du respect humain, et où le libertinage, confondu devient scandaleux et odieux; un temps où les âmes timides peuvent avec honneur se déclarer, et où le monde même ne s'étonne point des conversions qui paraissent dans le christianisme. Pour combien de pécheurs ce saint temps n'a-t-il pas été l'occasion d'une pénitence parfaite? Pour combien d'âmes qui semblaient désespérées n'a-t-il pas été, si je puis parler de la sorte, un temps de crise? temps de crise, où la foi presque éteinte et à demi morte ressuscite, revit, et opère les plus grandes merveilles. Mais, ô profondeur et abîme des conseils de Dieu, temps de crise qui décide souvent ou de la vie ou de la mort, ou du salut ou de la damnation. Qui sait si cette pâque ne sera pas la dernière pour vous; ou qui sait si Dieu voudra faire en votre faveur à une autre pâque les mêmes avances? La grâce abondante: car l'Eglise nous ouvre tous ses trésors; elle veut nous appliquer tous les mérites de Jésus-Christ; elle nous appelle à son tribunal pour délier nos consciences, elle inspire à ses ministres un zèle tout nouveau, elle s'intéresse pour nous auprès de Dieu; et Dieu écoutant encore sa miséricorde et ne dédaignant pas de nous prévenir, nous offre ses secours les plus puissants. La disposition de nos esprits et de nos cœurs plus avantageuse. J'ose dire qu'il n'y a point de pécheur si obstiné qui, dans ces jours de bénédiction et spécialement sanctifiés par la piété des fidèles, ne fasse malgré lui certaines réflexions, et ne sente renaître au fond de son âme certains remords, certains désirs qui le ramèneraient à Dieu, s'il voulait faire quelque effort pour les suivre.

Allons donc, mes chers auditeurs, et ménageons des moments si précieux. Disons à Dieu comme David : Dixi, nunc cœpi (1) ; C'est, Seigneur, un dessein formé, et dès aujourd'hui je me mettrai en devoir de l'exécuter. Disons-lui comme saint Augustin : Sero te amavi; Ah ! Seigneur, je commence bien tard à vous aimer, et que serait-ce si je différais encore? est-ce trop que de vous donner au moins quelques années qui me restent peut-être à vivre sur la terre, pour mériter de vivre éternellement avec vous dans la gloire, où nous conduise, etc.

 

1 Psalm., LXXVI, 11.

 

 

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