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SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. L'ange leur dit : Ne craignez point ; car je viens vous annoncer une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie ; c'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est Jésus-Christ.

L'ange parlait à des pasteurs, c'est-à-dire à des hommes simples et pauvres. Qu'auraient-ils pu craindre dans t;n mystère où le teneur du monde venait honorer leur condition, par le choix qu'il faisait de leur pauvreté? Mais moi je parle au milieu de la cour, et à des auditeurs pour qui je ne sais si cette naissance doit être un sujet de consolation. Leur dirai-je : Ne craignez point ? leur dirai-je : Craignez? Je leur dirai l'un et l'autre dans ce discours, parce que la nouvelle que je leur annonce est tout à la fois pour eux un sujet de crainte et un sujet de joie.

Division. Jésus-Christ a paru dans le monde, pour être et la ruine des uns, et la résurrection des autres. Sa naissance doit donc tire aussi tout à la fois, et un sujet de crainte, et un sujet de joie. Crainte et joie, deux sentiments exprimés dans ces paroles du Prophète : Servez le Seigneur, et réjouissez-vous en lui avec tremblement. Etes-vous de ces mondains qui, aveuglés par le dieu du siècle, quittent la voie du salut pour suivre la voie du monde; craignez, parce que ce mystère va vous découvrir des vérités bien affligeantes : 1ère partie. Etes-vous de ces chrétiens fidèles qui cherchent Dieu en esprit et en vérité; consolez-vous, parce que ce mystère vous découvrira des trésors infinis de grâce et de miséricorde : 2e partie.

Première partie. Mystère de crainte : pourquoi? parce que ce Sauveur qui vous est né n'est peut-être pour vous rien moins qu'un Sauveur, et cela par les fausses idées que vous vous en formez, et par l'abus que vous faites de sa miséricorde. 1° Vous Muiez qu'il vous sauve, mais vous vous mettez peu en peine qu'il vous délivre de vos péchés. 2° Vous voulez qu'il vous sauve, mais vous prétendez qu'il ne vous en coûte rien. 3° Vous voulez qu'il vous sauve, mais vous ne voulez pas que ce soit par les moyens qu'il a choisis. Trois contradictions qui portent avec elles leur condamnation, et qui doivent bien vous faire trembler.

1° Vous voulez que ce Dieu-Homme vous sauve, mais vous ne voulez pas qu'il vous délivre de vos péchés, première contradiction. Car il n'est Sauveur que pour vous affranchir de la servitude du péché, selon la parole de l'ange à Joseph : Vous l'appellerez Jésus parce qu'il délivrera son peuple de ses péchés. L'ange ne dit pas : Il délivrera son peuple des calamités temporelles qui l’affligent; mais, de ses péchés, c'est-à-dire des vices, des passions, des habitudes dont il est esclave.

Or est-ce ainsi que vous l'entendez? de quelle passion, de quelle inclination vicieuse ce Sauveur vous a-t-il délivrés, et avez-vous voulu qu'il vous délivrât? Il n'est donc pas plus votre Sauveur que s'il n'était pas né pour vous.

Nous plaignons les Juifs de ce que, le Sauveur étant né au milieu d'eux, ils ont néanmoins perdu tout le fruit de ce bienfait inestimable. Et pourquoi l'ont-ils perdu? parce qu'ils se sont ligure un autre Sauveur que celui qui leur était promis. Sans penser qu'il devait être le libérateur de leurs âmes, ils ne l'ont regardé que comme le restaurateur du royaume d'Israël : et par là, dit saint Augustin, ils ont été frustrés, et des biens éternels qu'ils ne cherchaient pas, et des biens temporels qu'ils attendaient. Tel est notre malheur.

Nous invoquons Jésus-Christ comme Sauveur, mais nous l'invoquons dans le même esprit que le Juif réprouvé l'invoquerait. Nous l’invoquons pour les biens de cette vie, mais avec une indifférence entière pour les biens de l'autre. Sommes-nous dans l'adversité ; c'est alors que nous avons recours à lui. Mais sommes-nous dans l'état du péché ; nous ne nous souvenons plus qu'il y ait un Sauveur tout-puissant pour nous en faire sortir.

2° Notre aveuglement va encore plus loin. Nous voulons que ce Dieu-Homme nous sauve, mais sans qu'il nous en coûte rien : Seconde contradiction. Car il n'est notre Sauveur qu'à condition que nous nous sauverons nous-mêmes avec lui et par lui. Comme Sauveur, il a souffert, il a prié, il s'est livré pour nous, mais sans préjudice de ce que nous devons faire nous-mêmes et pour nous-mêmes ; en sorte que, tout Sauveur qu'il est, il consent que nous périssions, plutôt que de nous sauver de cette rédemption gratuite telle que nous l'imaginons.

Il faut donc que nous accomplissions, comme l'Apôtre, dans notre chair, ce qui a manqué aux souffrances de la chair innocente et virginale de Jésus-Christ. Mais c'est ce que vous ne voulez pas. Vous voulez le salut, mais sans l'acheter ; et tant que vous vous en tenez là, Dieu m'ordonne de vous déclarer que ce salut n'est point pour vous.

3° Enfin, vous voulez que ce Dieu-Homme vous sauve, mais par d'autres moyens que ceux qu'il a choisis : troisième contradiction.

 

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Haine du monde, détachement du monde, renoncement au monde, voila les moyens qu'il nous a marqués : mais vous en voudriez do plus conformes à vos idées et à votre goût. Or, ces moyens conformes à votre goût et à vos idées ne vous sauveront jamais : et c'est ce qui vous doit saisir de frayeur.

Pour mieux sentir ce terrible mystère, faisons une supposition. Si Dieu vous avait envoyé un Sauveur né dans l'opulence et dans la grandeur, et qui vous eût apporté un Evangile favorable à la cupidité et aux sens, qu'auriez-vous à changer dans vos sentiments et dans votre conduite pour vous y accommoder ? Ne pourrais-je pas vous dire alors : Ne craignez point ; car je vous annonce une heureuse nouvelle? et quoi! c'est qu'il vous est né un Sauveur selon vos désirs. Mais puisque ce Sauveur envoyé de Dieu vous est venu prêcher un Evangile directement opposé, n'ai-je donc pas droit aussi de vous dire, par une règle toute contraire : Tremblez ?

Deuxième partie. Mystère de consolation. Quoique Dieu ne fasse acception de personne, il est néanmoins vrai que la prédilection de Dieu dans l'ordre de la grâce a toujours paru être pour les pauvres et pour les petits. Ce fut d'abord à des bergers qu'il se fit connaître ; et c'est ce qui devrait affliger et désoler les riches et les grands du monde, si ce même mystère ne nous découvrait pas d'ailleurs pour les grands et pour les riches trois sujets de consolation. 1° Quelque éloignés que vous paraissiez être du royaume de Dieu, riches et grands, Jésus-Christ ne vous rebute point. 2° Sans cesser d'être ce que vous êtes, il ne tient qu'à vous d'avoir avec lui une sainte ressemblance. 3° Vous pouvez vous servir de votre opulence même et de vos richesses comme d'autant de moyens pour l'honorer.

1° Ce Dieu, naissant dans la bassesse et l'humiliation, ne rejette point toutefois la grandeur : premier sujet de consolation Exemple des mages qu'il appelle à son berceau. En quoi il a plus fait encore, ce semble, pour les grands que pour les petits; car selon la remarque de saint Chrysostome, pour attirer à lui des grands et des sages du siècle, il fallait une grâce et une vocation beaucoup plus forte.

Après cela, ne vous plaignez plus, grands du monde, que votre Dieu réprouve votre condition. Il en réprouve les abus, mais sans la réprouver elle-même.

2° Sans cesser d'être ce que vous êtes, il ne tient qu'à vous de vous rendre semblables à Jésus-Christ naissant : second sujet de consolation, Car vous pouvez être grands et humbles de cœur, riches et pauvres de cœur. Par là même vous avez encore l'avantage de pouvoir être plus conformes que les autres à ce modèle des prédestinés. Et en effet, le caractère de ce Sauveur n'est pas précisément d'être pauvre et humble, mais d'être grand et humble, riche et pauvre tout à la fois : et voilà ce qu'il n'appartient qu'aux grands et aux riches de pouvoir parfaitement imiter.

Aussi quels sont ces mages qu'il attire à sa crèche? des grands qui semblent n'être grands que pour faire paraître dans leur conduite une humilité plus profonde et une obéissance plus exacte ; des riches qui se font un mérite de renoncer à leurs trésors, et de les apporter à ses pieds.

3° Enfin, vous pouvez vous servir de votre grandeur même et de vos richesses comme d'autant de moyens pour rendre à ce Dieu naissant le double tribut qu'il attend de vous : troisième sujet de consolation. 1° En qualité de Dieu humble, il veut être glorifié. 2° En qualité de Dieu pauvre, il veut être assisté. Or rien ne l'honore plus que les hommages des grands; et plus vous êtes riches, plus vous êtes en état de l'assister, non plus dans lui-même, mais dans ses membres, qui sont les pauvres. Dès là votre grandeur et votre abondance sanctifiées, bien loin d'être des obstacles à votre salut, en deviendront le gage et le prix.

Compliment au roi.

 

Dixit illis angelus : Nolite timere : ecce enim evangelizo vobis gaudium magnum, quod erit omni populo : quia natus est vobis hodie Salvator, qui est Christus Dominus, in civitate David.

L'ange leur dit : Ne craignez point : car je viens vous annoncer une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie : c'est qu'aujourd'hui dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est Jésus-Christ. (Saint Luc, chap. II, 11.)

Sire,

 

Ainsi parla l'ange du Seigneur; mais il parlait à des bergers, c'est-à-dire à des hommes simples, qui, éloignés du monde, et veillant à la garde de leur troupeau , menaient une vie aussi innocente qu'elle était pauvre et obscure. Il leur annonçait un Sauveur, qui, né dans une étable, venait honorer leur condition par le choix qu'il faisait de leur pauvreté, et qui, se dépouillant pour les sauver, de la majesté d'un Dieu, paraissait dans une crèche, revêtu non-seulement de la forme d'un homme, mais d'un homme inconnu comme eux , souffrant comme eux, et, à l'exception du péché, parfaitement semblable à eux. Je ne m'étonne donc pas s'il leur disait : Nolite timere ; ne craignez point. Car qu'auraient-ils pu craindre, demande saint Chrysostome, dans un mystère où tout les consolait, dans un mystère où ils ne trouvaient que des sujets de bénir Dieu et de le glorifier, dans un mystère qui leur faisait connaître le bonheur de leur condition, et qui par là leur rendait leurs misères non-seulement supportables, mais désirables, mais aimables? Je ne m'étonne pas, dis-je, si l'ange député de Dieu leur tenait ce langage : Ecce evangelizo vobis gaudium magnum : Je vous apporte une grande nouvelle , une nouvelle qui vous comblera de joie, savoir, qu'il vous est né un Sauveur : Quia natus est vobis hodie Salvator.

Mais, Chrétiens, dans l'obligation où je suis d'accomplir aujourd'hui mon ministère, et ayant l'honneur de prêcher l'Evangile de Jésus-Christ dans la cour du plus grand des rois, il s'en faut bien que j'aie le même avantage que l'ange du Seigneur. J'annonce aussi bien que lui la naissance du Sauveur du monde, mais je l'annonce à des auditeurs à qui je ne sais si elle doit être un sujet de consolation. J'annonce un Sauveur humble et pauvre , mais je l'annonce aux grands du monde et aux riches du monde; je l'annonce à des hommes qui, pour être chrétiens de profession, ne laissent pas d'être remplis des idées du monde. Que leur dirai-je donc, Seigneur,

 

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et de quels termes me servirai-je pour leur proposer le mystère de votre humilité et de votre pauvreté? Leur dirai-je : Ne craignez point? dans l'état où je les suppose, ce serait les tromper. Leur dirai-je : Craignez ? je m'éloignerais de l'esprit du mystère même que nous célébrons, et des pensées consolantes qu'il inspire et qu'il doit inspirer aux plus grands pécheurs. Leur dirai-je : Affligez-vous, pendant que tout le monde chrétien est dans la joie? Leur dirai-je •. Consolez-vous, pendant qu'à la vue d'un Sauveur qui condamne toutes leurs maximes, ils ont tant de raisons de s'affliger? Je leur dirai, ô mon Dieu, l'un et l'autre, et par là je satisferai au devoir que vous m'imposez. Je leur dirai : Affligez-vous, et consolez-vous; car je vous annonce une nouvelle qui est tout à la fois pour vous un sujet de crainte et un sujet de joie. Ces deux sentiments si contraires en apparence, mais également fondés sur le mystère de Jésus-Christ naissant, sont déjà le précis et l'abrégé de tout ce que j'ai à leur dire dans ce discours, après que nous aurons imploré le secours du ciel par l'intercession de la plus sainte et de la plus heureuse des mères. Ave, Maria.

 

C'était la destinée de Jésus-Christ de paraître dans le monde comme un objet de contradiction, et, par un secret impénétrable de la Providence, d'y être tout à la fois et la ruine des uns, et la résurrection des autres : Ecce positus est hic in ruinam et in resurrectionem multorum (1). Toute la vie de cet Homme-Dieu n'a été que l'accomplissement et la suite de cette prédiction. Ce n'est donc pas sans raison que je vous ai proposé d'abord sa sainte naissance comme un sujet de crainte et de joie : de crainte, en le considérant, tout Sauveur qu'il est, comme la ruine des impies et des réprouvés; et de joie, en le regardant comme la résurrection des pécheurs qui se convertissent, et qui deviennent les élus de Dieu.

Appliquons-nous, Chrétiens, cette vérité. Je puis dire que toute l'affaire du salut consiste à bien ménager, par rapport à Dieu, ces deux sentiments opposés de joie et de crainte; et c'est pour cela que David , instruisant les grands de la terre, à qui Dieu lui faisait connaître que cette leçon était particulièrement nécessaire, leur disait, par une manière de parler aussi surprenante qu'elle est judicieuse et sensée : Servite Domino in timore, et exultate

 

1 Luc, II, 34.

 

ei cum tremore (1) : Servez le Seigneur et réjouissez-vous en lui avec tremblement. Pourquoi trembler, dit saint Chrysostome, si je dois me réjouir en lui ; et pourquoi me réjouir en lui, si je dois trembler? C'est, répond ce saint docteur, qu'à l'égard de Dieu et en matière de salut, l'homme, soit juste, soit pécheur, ne doit point avoir de joie qui ne soit mêlée d'une crainte respectueuse; ni de crainte quoique respectueuse, qui ne soit accompagnée d'une sainte joie. Car, selon les règles les plus exactes de la religion, il ne nous est point permis de craindre Dieu sans nous confier en lui, ni de nous confier en lui sans le craindre.

Or, je prétends, et voici mon dessein ; je prétends que le mystère de la naissance de Jésus-Christ, bien conçu et bien médité, est, de tous les mystères du christianisme, le plus propre à exciter en nous, et cette crainte salutaire, et cette joie solide et intérieure. Je prétends que la vue de ce Sauveur né dans une crèche nous fournit de puissants motifs de l'une et de l'autre : motifs de crainte, si vous êtes de ces mondains qui, aveuglés par le dieu du siècle, quittent la voie du salut pour suivre la voie du monde ; motifs de joie, si vous ouvrez aujourd'hui les yeux, et si vous voulez être de ces chrétiens fidèles qui cherchent Dieu en esprit et en vérité ; motifs de crainte, si, comprenant bien pourquoi Jésus-Christ est venu au monde et de quelle manière il y est venu, vous reconnaissez l'opposition qu'il y a entre lui et vous ; motifs de joie, si, persuadés et confus de l'opposition qui se rencontre entre Jésus-Christ et vous, vous prenez enfin la résolution de vous conformer à lui, et de profiter des avantages que vous donne pour cela même la condition où Dieu vous a fait naître. Selon la différence de ces deux états et de ces deux caractères, ou craignez, ou consolez-vous. Etes-vous du nombre des mondains? craignez; parce que ce mystère va vous découvrir des vérités bien affligeantes : vous le verrez dans la première partie. Etes-vous ou voulez-vous être du nombre des chrétiens fidèles ? consolez-vous ; parce que ce mystère vous découvrira des trésors infinis de grâce et de miséricorde : vous le verrez dans la seconde partie. Voilà les véritables dispositions avec lesquelles vous devez vous présenter devant la crèche de votre Dieu. Rendez-vous dociles à sa parole, afin que je puisse aujourd'hui les imprimer bien avant dans vos cœurs, et donnez-moi toute votre attention.

 

1 Psalm., II, 11

 

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PREMIÈRE   PARTIE.

 

C'est par la crainte du Seigneur que doit commencer le salut de l'homme ; et la charité même la plus parfaite ne serait ni solide, ni assurée, si la crainte des jugements de Dieu ne lui servait de fondement et de base. C'est donc avec sujet qu'en vous annonçant aujourd'hui le grand mystère du salut, qui est la naissance de Jésus-Christ notre Sauveur, je vous y fais remarquer d'abord ce qui doit exciter en vous cette crainte salutaire, dont voici les puissants motifs. Craignez, hommes du monde, c'est-à-dire vous qui, remplis de l'esprit du monde, vivez selon ses lois et ses maximes ; craignez, parce que le Sauveur qui vous est né, dans les idées pratiques, mais chimériques que vous vous en formez, et dans l'usage ou plutôt dans l'abus que vous faites de sa miséricorde envers vous, tout Sauveur qu'il est, n'est peut-être pour vous rien moins qu'un Sauveur ; craignez, parce que c'est un Sauveur, mais qui peut-être n'est venu que pour votre confusion et pour votre condamnation ; craignez, parce que ce Sauveur ne pouvant vous être indifférent, du moment qu'il ne vous sauve pas, doit nécessairement vous perdre. Pensées terribles pour les mondains, mais qu'il ne tient qu'à vous, mes chers auditeurs, de vous rendre utiles et profitables, en les méditant dans l'esprit d'une humble et d'une véritable componction.

C'est, dis-je, un Sauveur qui nous est né, mais qui, dans les fausses idées dont vous êtes prévenus , n'est rien moins qu'un Sauveur pour vous. Comprenez ma pensée, et vous conviendrez malgré vous-mêmes de cette triste vérité. Car vous voulez qu'il vous sauve, mais vous vous mettez peu en peine qu'il vous délivre de vos péchés ; vous voulez qu'il vous sauve, mais vous prétendez qu'il ne vous en coûte rien ; vous voulez qu'il vous sauve, mais vous ne voulez pas que ce soit par les moyens qu'il a choisis pour vous sauver. Or, tout cela, ce sont autant de contradictions ; et pour peu qu'il vous reste de religion, ces contradictions énormes sont les justes sujets qui doivent aujourd'hui vous faire trembler. N'appréhendez pas que je les grossisse, pour vous donner de vaines frayeurs ; mais craignez plutôt que mes expressions ne soient trop faibles pour vous les faire concevoir dans toute leur étendue et dans toute leur force.

Vous voulez que ce Dieu naissant soit pour vous un Dieu Sauveur; mais au même temps , par une opposition de sentiments et de conduite dont peut-être vous ne vous apercevez pas, vous êtes peu en peine qu'il vous délivre de vos péchés. C'est pour cela néanmoins, et pour cela uniquement qu'il est Sauveur; et cette qualité par rapport à vous, ne lui appartient ni ne peut lui appartenir qu'autant qu'il vous dégage des passions, des vices, des habitudes qui sont les sources, de vos péchés, et dont vous êtes les malheureux esclaves. S'il ne vous en délivre pas, et si bien loin de souhaiter d'en être délivrés, vous en aimez l'esclavage et la servitude, raisonnez comme il vous plaira; ce Dieu, quoique Sauveur par excellence, n'est pour vous Sauveur que de nom, et tout le culte que vous lui rendez en ce jour n'est qu'illusion ou hypocrisie.

Il n'y eut jamais de conséquence plus immédiate que celle-là dans les principes et dans les règles du christianisme que vous professez. Vous l'appellerez Jésus, dit l'ange à Joseph: et pourquoi? parce qu'il délivrera son peupla des iniquités et des péchés qui l'accablent : Vocabis nomen ejus Jesum : ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum (1). Prenez garde, mes frères ; c'est la remarque de saint Chrysostome ; il ne dit pas : Vous l'appellerez Jésus, parce qu'il délivrera son peuple des calamités humaines sous le poids desquelles il gémit. Cela était bon pour ces anciens sauveurs, qui ne furent que la figure de celui-ci, et que Dieu envoyait au peuple juif comme à un peuple grossier et charnel. Ce Jésus dont nous célébrons la naissance était destiné pour une plus haute et une plus sainte mission; il s'agissait pour nous d'une rédemption plus essentielle et beaucoup plus parfaite. Ces maux dont nous devions être guéris étaient bien plus dangereux et plus mortels que ceux qui, dans l'Egypte, avaient affligé le peuple de Dieu ; et c'est pour ceux-là, dit saint Chrysostome, qu'il nous fallait un Sauveur. Le voilà venu, non pas, encore une fois, pour nous sauver des adversités et des disgrâces de cette vie; nous sommes indignes de la profession et de la qualité de chrétiens si nous mesurons par là sa grâce, et si c'est de là que nous faisons dépendre le pouvoir qu'il a de nous sauver : il ne nous a point été promis de la sorte. Mais le voilà venu pour nous délivrer de la corruption du monde, des désordres du monde, des erreurs du monde; le voilà venu pour nous affranchir du joug de nos passions honteuses, delà tyrannie du péché à quoi nous nous sommes assujettis de la concupiscence de la chair qui nous domine,

 

1 Matth., I, 21

 

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de l'esprit d'orgueil dont nous sommes possédés, de nos attachements criminels, de nos haines, de nos aversions, de nos malignes jalousies ; Bar ce sont là nos vrais ennemis; il n'y avait qu'un Dieu Sauveur qui nous pût tirer d'une si funeste captivité : aussi est-ce pour cela qu'il a voulu naître : Ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum.

Or, dites moi, Chrétiens, est-ce ainsi que vous l'avez entendu et que vous l'entendez encore? Que chacun s'examine devant Dieu : où est l'ambitieux parmi vous qui, regardant son ambition comme la plaie de son âme, en souhaite de bonne foi la guérison? est l'impudique et le voluptueux qui, réellement affligé de l'être, désire, mais efficacement et comme son souverain bien, de ne l'être plus ? est ['homme avare et intéressé qui, honteux de ses injustices et de ses usures, déteste sincèrement son avarice ? où est la femme mondaine qui, écoulant sa religion, ait horreur de sa vanité, et pense à détruire son amour-propre ? de quelle passion, de quelle inclination vicieuse et dominante ce Sauveur vous a-t-il délivrés jusqu'à présent? A quoi donc le reconnaissez-vous comme Sauveur? et, s'il est Sauveur, par où montrez-vous qu'il est le vôtre? quelle fonction en a-t-il faite, et lui avez-vous donné lieu d'en faire à votre égard ? Or, quand je vous vois si mal disposés, ne serais-je pas prévaricateur, si je vous annonçais sa venue comme un sujet de joie? et, pour vous parler en ministre fidèle de son Evangile, ne dois-je pas, au contraire, vous dire, et je vous le dis en effet : Détrompez-vous, et pleurez sur vous : pourquoi? car lundis que, possédés du monde, vous demeurez en de si criminelles dispositions, encore que le Sauveur soit né, ce n'est point proprement pour vous qu'il est né ; disons mieux : encore que le Sauveur soit né, vous ne profitez pas plus de sa naissance que s'il n'était pas né pour vous.

Ah ! Chrétiens, permettez-moi de faire ici une réflexion bien douloureuse, et pour vous, et pour moi ; mais qui vous paraîtra bien touchante et bien édifiante. Nous déplorons le sort des Juifs, qui, malgré l'avantage d'avoir vu naître Jésus-Christ au milieu d'eux et pour eux, ont eu néanmoins le malheur de perdre tout le fruit de ce bienfait inestimable, et d'être ceux même qui, de tous les peuples de la terre, ont moins profité de cette heureuse naissance. Nous les plaignons, et en les plaignant nous les condamnons ; mais nous ne prenons pas §arde qu'en cela même leur condition, ou plutôt leur misère et la nôtre sont à peu près égales. Car, en quoi a consisté la réprobation des Juifs? En ce qu'au lieu du vrai Messie que Dieu leur avait destiné, et qui leur était si nécessaire , ils s'en sont figuré un autre selon leurs grossières idées, et selon les désirs de leur cœur: en ce qu'ils n'ont compté pour rien celui qui devait être le libérateur de leurs âmes, et qu'ils n'ont pensé, qu'à celui dont ils se promettaient le rétablissement imaginaire de leurs biens et de leurs fortunes ; en ce que, ayant confondu ces deux genres de salut, ou, pour parler plus juste, en ce que, ayant rejeté l'un, et s'étant inutilement flattés de la vaine espérance de l'autre, ils ont tout à la fois été frustrés et de l'un et de l'autre, et qu'il n'y a eu pour eux nulle rédemption. Voilà, dit saint Augustin, quelle fut la source de leur perte : Temporalia amittere metuerunt, et œterna non cogitaverunt, ac sic utrumque amiserunt. Or, cela même, mes chers auditeurs, n'est-ce pas ce qui nous perd encore tous les jours? Car, quoique nous n'attendions plus comme les Juifs un autre Messie ; quoique nous nous en tenions à celui que le ciel nous a envoyé, n'est-il pas vrai (confessons-le et rougissons-en), qu'à en juger par notre conduite, nous sommes, à l'égard de ce Sauveur envoyé de Dieu, dans le même aveuglement où furent les Juifs, et où nous les voyons encore à l'égard du Messie qu'ils attendent, et en qui ils espèrent? Je m'explique.

Nous invoquons Jésus-Christ comme Sauveur, mais nous l'invoquons dans le même esprit que le Juif réprouvé l'invoquerait, c'est-à-dire nous l'invoquons pour des biens temporels, mais avec une indifférence entière poulies éternels : Temporalia amittere metuerunt, et œterna non cogitaverunt. En effet, sommes-nous dans l'adversité, s'élève-t-il contre nous une persécution, s'agit-il ou de la fortune ou de l'honneur; c'est alors que nous recourons à ce Dieu qui nous a sauvés, et que nous voulons encore qu'il nous sauve : mais de quoi? d'une affaire qu'on nous suscite, d'une maladie qui nous afflige, d'une disgrâce qui nous humilie. Voilà les maux qui réveillent notre ferveur, qui nous rendent assidus à la prière, dont nous demandons non-seulement avec instance, mais avec impatience, d'être ou préservés, ou délivrés : Temporalia amittere metuerunt. Mais sommes-nous dans l'état et dans le désordre d'un péché habituel qui cause la mort à notre âme; à peine nous souvenons-nous qu'il y a un Sauveur tout-puissant

 

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pour nous en faire sortir; à peine, pour l'y engager, nous adressons-nous une fois à lui, et lui disons-nous au moins avec le Prophète : Hâtez-vous, Seigneur ! tirez-moi du profond abîme où je suis plongé. Insensibles au besoin pressant où nous nous trouvons, nous y demeurons tranquilles et sans alarmes : Et œterna non cogitaverunt. Que dis-je? bien loin de courir au remède, peut-être le craignons-nous, peut-être le fuyons-nous, peut-être sommes-nous assez pervertis pour nous faire de notre péché même une félicité secrète, pour nous en applaudir au fond de l'âme, pour nous en glorifier. Nous sommes donc alors, quoique chrétiens, aussi Juifs d'esprit et de cœur que les Juifs mêmes; et dans la comparaison de leur infidélité et de la nôtre, la nôtre est d'autant plus condamnable, que nous méprisons un Sauveur en qui nous croyons, au lieu que les Juifs n'ont péché contre lui que parce qu'ils ne le connaissaient point; et c'est ce qui doit nous faire trembler.

Notre aveuglement va encore plus loin. Nous voulons que ce Dieu fait chair nous sauve; mais nous prétendons qu'il ne nous en coûte rien : autre contradiction, et autre sujet de notre crainte. Car il n'est Sauveur pour nous qu'à une condition, et cette condition, c'est que nous nous sauverons nous-mêmes avec lui et par lui. Il nous a créés sans nous (ce sont les paroles de saint Augustin, que l'on vous a dites cent fois, et dont je voudrais aujourd'hui vous faire pénétrer toute la conséquence), il nous a créés sans nous; mais il ne lui a pas plu, et jamais il ne lui plaira de nous sauver sans nous. Il veut que l'ouvrage de notre salut, ou plutôt l'accomplissement de ce grand ouvrage dépende de nous, et que sans nous en attribuer la gloire, nous en partagions avec lui le travail. Comme Sauveur, il est venu faire pénitence pour nous; mais sans préjudice de celle que nous devons faire nous-mêmes, et pour nous-mêmes. Comme Sauveur, il a prié, il a pleuré, il a mérité pour nous; mais il veut que nos prières jointes à ses prières, que nos larmes mêlées avec ses larmes, que nos œuvres sanctifiées par ses œuvres, achèvent en nous cette rédemption dont il est l'auteur, et dont sans nous il ne serait pas le consommateur. Comme Sauveur, il s'est fait dans la crèche notre victime, et il a commencé dès lors à s'immoler pour nous; mais il veut que nous soyons prêts à nous immoler avec lui; et il le veut tellement, il a tellement fait dépendre de là l'efficace et la vertu de son sacrifice par rapport à notre salut, que, tout Sauveur qu'il est (remarquez ceci), c'est-à-dire que tout disposé qu'il est en notre faveur, que quoiqu'il nous ait aimés jusqu'à se faire homme pour nous, malgré tout son amour, malgré tout ce qu'il lui en coûte pour naître parmi nous et comme nous, il consent néanmoins, plutôt que nous périssions, plutôt que nous nous damnions, plutôt que nous soyons éternellement exclus du nombre de ses prédestinés, que de nous sauver de cette rédemption gratuite telle que nous l'entendons; parce que sous ombre d'honorer sa grâce, en lui attribuant noire salut, nous ne la ferions servir qu'à fomenter nos désordres.

Il faut donc, et il le faut nécessairement, que pour être sauvés, il nous en coûte, comme il lui en a coûté. C'est la loi qu'il a établie, loi que saint Paul observait avec tant de fidélité, quand il disait : Adimpleo ea quœ desunt passionum Christi in carne mea (1) : J'accomplis dans ma chair ce qui a manqué aux souffrance! de la chair innocente et virginale de Jésus-Christ; loi générale et absolue, dont jamais Dieu n'a dispensé, ni ne dispensera. Cependant, hommes du siècle, vous voulez être exempts de cette loi ; elle vous paraît trop dure et trop onéreuse, et vous cherchez à en secouer le joug. Vous voulez le salut; mais vous le voulez sans condition et sans charge. Vous le voulez, pourvu qu'on n'exige de vous ni assujettissement, ni contrainte, ni effort, ni victoire sur vous-mêmes. Vous le voulez; mais sans l'acheter, et sans y rien mettre du vôtre. Car, en effet, que vous en coûte-t-il, et en quoi oserez-vous me dire que vous y coopérez? que sacrifiez-vous pour cela à Dieu? quelles violences vous faites-vous à vous-mêmes? Mais aussi Dieu m'oblige-t-il à vous déclarer de sa part que tandis que vous vous en tenez là, ce salut que Jésus-Christ est venu apporter au monde n'est point pour vous, et que vous n'y devez rien prétendre. Or, de là concluez si la naissance de ce Dieu-Homme a de quoi vous rassurer et vous consoler.

Enfin, vous voulez qu'il vous sauve; mais, par une troisième contradiction qui ne me semble pas moins étonnante, vous ne voulez pas que ce soit par les moyens qu'il a choisis pour vous sauver. Quoique ces moyens aient été concertés et résolus dans le conseil de sa sagesse éternelle, ils ne vous plaisent pas; quoiqu'ils soient consacrés dans sa personne et autorisés par son exemple, vous ne les pouvez

 

1 Coloss., I, 24.

 

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goûter. Et quels sont-ils? la haine du monde et de vous-mêmes, le détachement du monde et de ses biens, le renoncement au monde, à ses plaisirs et à ses honneurs ; la pauvreté de cœur, l'humilité de cœur, la mortification des Sens et l'austérité de la vie. Tout cela vous choque, et vous fait horreur. Vous voudriez des moyens plus proportionnés à vos idées, et plus conformes à vos inclinations : et moi je vous dis que c'est pour cela que vous devez trembler : pourquoi? parce qu'indépendamment de vos idées et de vos inclinations, il est certain, d'une part, que ce Dieu naissant ne vous sauvera jamais par d'autres moyens que ceux qu'il a marqués ; et qu'il est évident, de l'autre, que jamais ces moyens qu'il a marqués pour vous sauver ne vous sauveront, tandis que vous voudrez suivre vos inclinations et vos idées. Vous voulez qu'il vous sauve selon votre goût, qui vous perd, et qui vous a perdus. Voilà le triste mystère que j'avais d'abord à vous annoncer, d'autant plus triste pour vous, si vous l'entendez et si vous n'en profitez pas.

Mais je veux vous le rendre encore plus sensible par une supposition que je vais faire. Peut-être vous surprendra-t-elle ; et fasse le ciel qu'elle vous surprenne assez pour vous forcer à reconnaître votre infidélité secrète, et a prendre des sentiments plus chrétiens! Dites-moi, mes chers auditeurs, si Dieu vous avait envoyé un Jésus-Christ tout différent de celui que nous croyons, c'est-à-dire s'il vous était venu du ciel un Sauveur aussi favorable à la cupidité des hommes, que celui que nous adorons y est contraire ; si, au lieu de vous annoncer, comme l'ange, que ce Messie est un Sauveur pauvre et humble, né dans l'obscurité d'une étable, je vous assurais aujourd'hui que cela n'est pas, qu'on vous a trompés, que c'est un Sauveur d'un caractère tout opposé; qu'il est né dans l'éclat et dans la pompe, dans la fortune, dans l'abondance, dans les aises et les plaisirs de la vie, et que ce sont là les moyens à quoi il a attaché votre salut, et sur quoi il a entrepris de fonder sa religion ; si, I ai un renversement qui ne peut être, mais que nous pouvons nous figurer, la chose se trouvait ainsi, et que ce que j'appelle supposition lui une vérité, marquez-moi ce que vous auriez a corriger dans vos sentiments, et à réformer dans votre conduite, pour vous accommoder à ce nouvel Evangile. Changeant de créance, seriez-vous obligés de changer de moeurs? Faudrait-il renoncer à ce que vous êtes, pour être dans l'état de perfection où ce Sauveur vous voudrait alors? ou plutôt, sans rien changer à ce que vous êtes, ne vous trouveriez-vous pas alors de parfaits chrétiens, et n'auriez-vous pas de quoi vous féliciter d'un système de religion d'où dépendrait votre salut, et qui se rapporterait si bien à votre goût, à vos maximes, et à toutes les règles de vie que le monde vous prescrit? N'est-ce pas alors que je devrais vous dire : Ne craignez point ; car voici au contraire un grand sujet de joie pour vous : Evangelizo vobis gaudium  magnum (1).  Eh quoi? c'est qu'il vous est né un Sauveur, mais un Sauveur à votre gré et selon vos désirs, un Sauveur commode, un Sauveur suivant les principes duquel il vous sera permis de satisfaire vos passions;  un Sauveur qui, bien loin de les contredire, les approuvera , les autorisera : or, voyant un tel Sauveur, consolez-vous. Ne scrais-je pas, dis-je, bien fondé à vous parler de la sorte, et en m'écoutant ne  vous diriez-vous pas à vous-mêmes, remplis d'une joie secrète : Voilà le Sauveur et le Dieu qu'il me fallait? Ah! Chrétiens, je le confesse, dans ce nouveau système de religion vous auriez droit de vous réjouir : mais vous êtes trop éclairés pour ne pas conclure de là, que ce qui ferait alors votre consolation doit aujourd'hui vous saisir de frayeur. Car puisque, supposé cet Evangile prétendu, je pourrais vous dire que je vous apporte une heureuse nouvelle; en vous prêchant un Evangile directement contraire à celui-là, je suis obligé de vous tenir tout un autre langage. Je dois, au hasard de troubler la joie de l'Eglise, qui est une joie sainte, troubler la vôtre , qui, dans l'aveuglement où vous vivez, n'est qu'une joie fausse et présomptueuse. Je dois vous dire : Tremblez ; pourquoi? c'est qu'il vous est né un Sauveur,  mais un  Sauveur  qui  semble n'être venu au monde que pour votre confusion et pour votre condamnation ; un Sauveur opposé à toutes vos inclinations, un Sauveur ennemi du monde et de tous ses biens, un Sauveur pauvre, humilié, souffrant. Vérités affligeantes! et pour qui? pour vous, mondains, c'est-à-dire pour vous, riches du monde, possédés de vos richesses et enivrés de votre fortune;  pour vous,  ambitieux du monde, éblouis d'un vain éclat, et adorateurs des pompes humaines; pour vous, sensuels et voluptueux du monde, idolâtres de vous-mêmes et tout occupés de vos plaisirs. Cependant, après avoir considéré ce mystère de crainte, ce mystère

 

1 Luc, II, 10.

 

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de douleur que je découvre d'abord dans la naissance d'un Dieu-Homme, voyons, Chrétiens, le mystère de consolation qu'elle renferme, et quelle part vous y pouvez avoir : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Quelque vaine que soit devant Dieu la différence des conditions, et quelque honneur que Dieu se fasse, dans l'Ecriture, d'être un Dieu égal à tous, qui n'a égard ni aux qualités ni aux rangs , qui ne fait acception de personne, Non est personarum accepter Deus(1) ; il est néanmoins vrai, Chrétiens, que, dans l'ordre de la grâce, la prédilection de Dieu, si j'ose me servir de ce terme, a toujours paru être pour les pauvres et pour les petits, préférablement aux grands et aux riches. N'en cherchons point la raison, et contentons-nous d'adorer en ceci les conseils de Dieu , qui, selon l'Apôtre , fait miséricorde à qui il lui plaît, et justice à qui il lui plaît. Prédilection de Dieu, que tout l'Evangile nous prêche, mais qui nous est marquée visiblement et authentiquement dans l'auguste mystère que nous célébrons. Car qui sont ceux que Dieu choisit les premiers pour leur révéler la naissance de son Fils? des bergers, c'est-à-dire des pauvres attachés à leur travail, des hommes inconnus au monde, et contents de leur obscurité et de la simplicité de leur état. Ce sont là ceux, dit excellemment saint Ambroise, dont Jésus-Christ fait les premiers élus , ceux qu'il appelle les premiers à sa connaissance, ceux dont il veut recevoir les premiers hommages, ceux qui paraissent comme les premiers domestiques de ce Dieu naissant, et qui environnent son berceau, pendant que les grands de la Judée, que les riches de Jérusalem , que les savants et les esprits forts de la Synagogue, abandonnés, pour ainsi parler, et livrés à eux-mêmes, demeurent dans les ténèbres de leur infidélité, et semblent n'avoir nulle part à la naissance du Sauveur.

Oui, mes Frères, disait saint Paul aux Corinthiens, voilà les prémices de votre vocation : des faibles choisis pour confondre les puissants , des simples pour confondre les sages , des sujets vils et méprisables selon le monde, pour confondre dans le monde ce qu'il y a de plus éclatant et de plus élevé. C'est par où le christianisme a commencé : telle fut l'origine de l'Eglise , qui, selon la remarque de saint Chrysostome, était alors toute renfermée dans l'étable de Rethléem, puisque hors de là

 

1 Act., X, 34.

 

Jésus-Christ n'était point connu. Et c'est, grands du monde qui m'écoutez, ce qui devrait aujourd'hui vous affliger, ou même vous désoler, si Dieu , par son aimable providence, n'avait pris soin d'y pourvoir. Mais rassurez-vous, et convaincus comme vous l'allez être de l'immensité de ses miséricordes, malgré les malheureux engagements de vos conditions, confiez-vous en lui. Car voici trois grands sujets de consolation , que je tire du mystère même dont nous faisons la solennité. Rendez-vous-y attentifs, et, après l'avoir médité, cet ineffable mystère, avec tremblement et avec crainte, goûtez-en maintenant toute la douceur : Ecce enim evangelizo vobis gaudium magnum.

En effet, quelque exposés que vous soyez à la corruption du siècle, et quelque éloignés que vous paraissiez du royaume de Dieu, Jésus-Christ ne vous rebute point; et, bien loin de vous rejeter, il ne vient au monde que pour vous attirer à lui : grâce inestimable, à laquelle vous devez répondre. Quelque apparente contrariété qu'il y ait entre votre état et l'état de Jésus-Christ naissant, sans cesser d'être ce que vous êtes, il ne tient qu'à vous d'avoir avec lui une sainte ressemblance : secret important de votre prédestination que vous ne devez pas ignorer. Quelque danger qu'il y ait dans la grandeur humaine, et de quelque malédiction qu'aient été frappées les richesses du monde, vous pouvez vous en servir comme d'autant de moyens propres pour honorer Jésus-Christ, et pour lui rendre le culte particulier qu'il attend de vous : avantage infini dont vous devez profiter, et qui doit être comme le fond de vos espérances. Encore un moment de réflexion pour des vérités si touchantes.

Non, mes chers auditeurs, quoique Jésus-Christ, par un choix spécial et divin, ait voulu naître dans la bassesse et dans l'humiliation, il n'a point rejeté pour cela la grandeur du monde ; et je ne crains point de vous scandaliser, en disant que dès sa naissance, bien loin de la dédaigner, il a eu des égards pour elle, jusqu'à la rechercher même et à se l'attirer. L'Evangile qu'on vous a lu en est une preuve bien évidente. Car, en même temps que ce Dieu sauveur appelle des bergers et des pauvres à son berceau , il y appelle aussi des mages, des hommes puissants et opulents, des rois, si nous en croyons la tradition. En même temps qu'il députe un ange à ceux-là, il fait luire une étoile pour ceux-ci. En même temps que ceux-là, pour venir le reconnaître et l'adorer,

 

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quittent leurs troupeaux, ceux-ci abandonnent leur pays, leurs biens, leurs Etats. De savoir qui des uns et des autres l'honorent le pins, ou lui sont plus chers, c'est ce que je n'entreprends pas encore de décider. Mais, sans en faire la comparaison, au moins est-il vrai que les uns et les autres sont reçus dans l'étable de ce Dieu-Homme ; au moins est-il vrai que ce Dieu, caché sous le voile de l'enfance, se manifeste aux uns et aux autres, et que la préférence qu'il donne aux petits n'est point une exclusion pour les grands.

Or cette pensée seule, hommes du monde, ne doit-elle pas ranimer toute votre confiance , et n'est-elle pas plus que suffisante pour vous fortifier et pour vous encourager? Mais de là même il s'ensuit encore quelque chose de plus consolant pour vous. Et quoi? c'est qu'il est donc constant que Jésus-Christ, dans le mystère de sa naissance, indépendamment de la prédilection qu'il peut avoir pour les uns, préférablement aux autres, a bien plus fait au fond pour les grands que pour les petits, et que, dans un sens, les grands qu'il a appelés lui sont beaucoup plus redevables : comment cela? C'est, dit saint Chrysostome, qu'il a fallu une vocation plus forte pour attirer à Jésus-Christ des grands, des puissants du siècle, tels qu'étaient les mages, que pour y attirer des pasteurs, dont l'ignorance et la faiblesse semblaient être déjà comme des dispositions naturelles à l'humilité de la foi. Dans ceux-ci, rien ne résistait à Dieu; mais dans ceux-là, la grâce de Jésus-Christ eut tout à combattre et à vaincre; c'est-à-dire le monde, avec toutes ses concupiscences, Cependant, c'est le miracle qu'elle a opéré ; et voilà l'insigne victoire que la foi de Jésus-Christ naissant a remportée sur le monde : Hœc est victoria quœ vincit mundum, fides nostra (1). Foi triomphante et victorieuse, qui, malgré l'orgueil du monde, a eu assez de pouvoir sur leurs esprits pour leur faire adorer dans un enfant le Verbe de Dieu et sa sagesse ; qui, malgré le libertinage du monde, a fait assez d'impression sur leurs cœurs pour en arracher les passions les plus enracinées, a été assez efficace pour les captiver sous le joug de la religion chrétienne.

Après cela, qui que vous soyez, et quelque rang que vous teniez dans le monde, plaignez-vous que votre Dieu réprouve votre condition, ou (pie votre condition vous éloigne de Dieu. Non, chrétiens, elle ne vous en éloigne point, ni votre Dieu ne la réprouve point. Elle ne

 

1 1 Joan., V, 20.

 

vous en éloigne point, puisque vous voyez que lui-même il la prévient des grâces les plus abondantes; et il ne la réprouve point, puisqu'un de ses premiers soins, en venant au monde, est de la sanctifier dans les mages et de la réformer en vous. Il réprouve les abus et les désordres de votre condition; il en réprouve le faste, il en réprouve le luxe, il en réprouve la mollesse, il en réprouve la dureté et l'impiété; mais sans la réprouver elle-même, puisque c'est pour elle et pour vous-mêmes qu'il ouvre aujourd'hui le trésor de ses miséricordes les plus efficaces et les plus particulières. Comme il est le Dieu de toutes les conditions, et qu'il vient pour sauver tous les hommes sans nul discernement de conditions, il veut que dès son berceau, où il commence déjà à faire l'office de Sauveur, on voie à sa suite et des grands et des petits, et des riches et des pauvres, et des maîtres et des sujets. Approchons, et approchons tous; allons à sa crèche, et allons-y tous. C'est de sa crèche qu'il nous appelle, de sa crèche qu'il nous tend les bras, de sa crèche qu'il veut répandre sur nous et sur nous tous les mêmes bénédictions.

Mais, après tout, quel rapport peut-il y avoir entre sa pauvreté et l'opulence, entre ses abaissements et sa grandeur, entre sa misère et les aises de la vie? A cela je réponds par une seconde proposition que j'ai avancée, et que je reprends. Je dis qu'il ne tient qu'à vous, sans cesser d'être ce que vous êtes, de vous rendre semblables à Jésus-Christ naissant, et, malgré toute la contrariété qui paraît entre votre état et le sien, d'avoir avec lui cette conformité parfaite sur laquelle est fondée, selon saint Paul, la prédestination de l'homme. Il faut, pour être reconnu de Dieu, et pour avoir part à sa gloire, porter le caractère de cet enfant qui vient de naître, et lui ressembler ; et c'est de lui, et de lui seul à la lettre, qu'on peut bien nous dire : Nisi efficiamini sicut parvulus iste, non intrabitis in regnum cœlorum (1). Il y a d'abord de quoi vous troubler, de quoi même vous effrayer : mais écoutez ce que j'ajoute; car je prétends qu'il ne vous est ni impossible, ni même difficile, en demeurant dans votre condition, de parvenir à cette divine ressemblance : pourquoi? parce que, comme chrétiens, vous pouvez être grands et humbles de cœur, riches et pauvres de cœur, puissants et modestes ou circoncis de cœur : or, du moment que vous joignez l'humilité à la grandeur, la modestie à la puissance, le détachement

 

1 Matth., XVIII, 3.

 

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des richesses aux richesses mêmes, dès là il n'y a plus d'opposition entre l'état de Jésus-Christ et le vôtre; au contraire, c'est justement par là que vous avez l'avantage d'être plus conformes à ce modèle des prédestinés; c'est par là que vous en êtes dans le monde des copies plus achevées; car le caractère de ce Sauveur n'est pas précisément d'être pauvre et humble, mais d'être grand et humble tout à la fois, ou plutôt humble et la grandeur même, puisque son humilité ne l'empêche point d'être Fils du Très-Haut. Or voilà, mes chers auditeurs, ce qu'il n'appartient qu'à vous, dans le rang où Dieu vous a placés, de pouvoir parfaitement imiter. Ceux que l'obscurité de leur naissance ou la médiocrité de leur fortune confond parmi la multitude ne peuvent, ce semble, arriver là; à quelque degré de sainteté qu'ils s'élèvent, leur humilité ne représente point ni n'exprime point celle d'un Dieu anéanti; il faut pour cela de la dignité et de la distinction selon le monde. Un grand, qui sans rien perdre de tous les avantages de sa condition, sait pratiquer toute l'humilité de sa religion; un grand, petit à ses yeux, et qui, sans oublier jamais qu'il est pécheur et mortel, se tient devant Dieu dans le respect et dans la crainte; un grand qui peut dire à Dieu, comme David : Seigneur, mon cœur ne s'est point enflé, et mes yeux ne se sont point élevés : Domine, non est exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei (1) ; je ne me suis point ébloui de l'éclat du monde qui m'environne, et jamais l'orgueil ne m'a porté à des entreprises ou au-dessus de moi, ou contraires à la charité et à la justice : Neque ambulavi in magnis, nec in mirabilibus super me (2) ; un grand, rempli de ces sentiments, est le parfait imitateur de Dieu dont nous célébrons aujourd'hui les anéantissements adorables; un grand, dans ces dispositions, est ce vrai chrétien qui s'humilie comme le divin Enfant que nous présente l'étable de Bethléem : Qui se humiliaverit sicut parvulus iste (3); et c'est à lui, c'est à ce grand, que j'ose encore appliquer les paroles suivantes : Hic major est in regno cœlorum. Un grand sur la terre, sanctifié de la sorte, est non-seulement grand, mais le plus grand, dans le royaume du ciel.

C'est donc ainsi que le Sauveur du monde attire à son berceau des grands et des riches, aussi bien que des pauvres et des petits : et quels sont-ils, encore une fois, ces grands, ces riches, ou quels doivent-ils être? Jugeons-en

 

1 Psalm., CXXX, 1. — 2 Ibid., 2. — 3 Matth., XVIII, 4.

 

toujours par l'exemple des mages, si propre au lieu où je parle, et dont le rapport est si étroit avec le mystère que je prêche. Ah ! Chrétiens, ce sont des grands qui semblent n'être grands que pour faire paraître dans leur conduite une humilité plus profonde, une obéissance plus prompte, une soumission aux ordres du ciel plus entière, en suivant l'étoile du Dieu humilié qui les appelle à lui; et voilà les grands à qui le Dieu des humbles se fait connaître aussi bien qu'aux petits ; parce qu'ils lui ressemblent aussi bien et même encore plus que les petits ; ce sont des riches qui, bien loin de mettre leur cœur dans leurs richesses, mettent leurs richesses aux pieds de l'Agneau, et se font un mérite d'y renoncer ; et voilà les riches que le Dieu des pauvres ne dédaigne pas, parce que souvent, jusqu'au milieu de leurs richesses, il les trouve plus pauvres de cœur que les pauvres mêmes. Or, n'est-ce pas de quoi vous devez bénir mille fois le ciel : je dis vous, qui, dans votre élévation, dans votre fortune, pouvez avoir part aux mêmes avantages: et si vous prenez bien l'esprit de votre religion, n'avez-vous pas de quoi rendre à Dieu d'éternelles actions de grâces, lorsqu'il vous donne tant de facilité à vous sanctifier jusque dans les conditions qui par elles-mêmes semblent les plus opposées à la sainteté?

Je vais encore plus loin ; car, quelque dangereuse que soit la grandeur du monde, quelque réprouvées que soient les richesses du monde, j'avance une troisième proposition non moins incontestable : savoir, qu'il ne tient qu'à vous de vous en servir pour rendre à Jésus-Christ naissant l'hommage et le culte particulier qu'il attend de vous ; et voici de quelle manière j'entends la chose. C'est qu'en qualité de Dieu humble, il veut être honoré et glorifié ; et qu'en qualité de Dieu pauvre, il veut être assisté et soulagé : voilà le double tribut qu'il exige de vous, et ce qui fait la bénédiction de votre état: pouvoir consacrer à Jésus-Christ ce qui était autrement la cause fatale de votre damnation et de votre perte. Quels trésors de grâces pour vous, si vous les savez recueillir ! Je m'explique.

Comme Dieu humble, il veut être honoré et glorifié : c'est pour cela qu'au milieu de la gentilité, il va chercher des adorateurs ; et quels adorateurs? des hommes distingués par leurs dignités, qui, prosternés devant sa crèche et anéantis en sa présence, lui font plus d'honneur et lui procurent plus de gloire que les bergers de la Judée avec toute leur ferveur et tout leur zèle. En effet, rien ne l'honore plus,

 

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ni ne lui doit être plus glorieux, que les hommages des grands : or, de quel autre que de vous-mêmes dépend-il de lui donner cette gloire dont il est jaloux ? Pourquoi dans le monde avez-vous de l'autorité ? pourquoi Dieu vous a-t-il fait ce que vous êtes? que ne pouvez-vous pas pour lui ? et en comparaison de ce que vous pouvez, que fait le reste du monde? c'est par vous que la religion de ce Dieu-Homme devient vénérable ; c'est par vous que son culte s'établit plus promptement, plus solidement, plus universellement, et c'est votre exemple qui l'autorise. Quel usage pouvez-vous faire de votre puissance, plus digne ou aussi digne de vous que celui-là? et que vous en coûte-t-il pour le faire, sinon de le vouloir? C'est par là que vous devez estimer vos conditions ; c'est dans cette vue seule qu'il vous est permis de les aimer et de vous y plaire ; hors de là, elles vous doivent faire gémir : mais votre consolation doit être de penser que, par elles, il vous est aisé de relever la grandeur, et de porter plus bâillement que les autres les intérêts d'un Dieu qui s'est tant abaissé.

Achevons. Comme Dieu pauvre, il veut être soulagé et assisté, non plus dans lui-même, mais dans ses membres, qui sont les pauvres ; car je ne m'acquitterais pas pleinement de mon ministère, si j'oubliais aujourd'hui des membres de Jésus-Christ. Pour peu que vous soyez chrétiens, vous portez une sainte envie à ces bienheureux mages qui, venus des extrémités de l'Orient, ne parurent point les mains vides devant ce Sauveur, mais lui offrirent des présents qu'il accepta et qu'il agréa. Et moi, je vous dis qu'il veut recevoir de votre main les mêmes offrandes ; je vous dis que, sans le chercher si loin, vous le trouvez au milieu devons, parce qu'il y est en effet, et qu'il y est dans des lieux, dans des états où il n'a pas moins à souffrir et où il n'est pas moins abandonné que dans l'étable de Bethléem : je vous dis que ces pauvres qui vous environnent et que vous voyez, mais encore bien plus ceux que vous ne voyez pas et qui ne peuvent vous approcher, sont à votre égard ce Jésus-Christ même à qui les mages, à qui les bergers présentèrent, les uns de l'or et de l'encens, et les autres des fruits de leurs campagnes; qu'il est de la foi que ce que vous donnez aux pauvres, vous le donnez à Jésus-Christ, et j'ose dire avec plus de mérite , lorsqu'il passe par les mains des pauvres, que si vous le portiez immédiatement vous-mêmes dans les mains de Jésus-Christ. Dès là, et quel fonds de confiance ! dès là, dis-je, vos richesses, obstacles si dangereux pour le salut, dans l'ordre même du salut n'ont plus rien que d'innocent, que de salutaire pour vous ; dès là elles n'ont plus ce caractère de réprobation que l'Ecriture leur attribue ; dès là elles ne choquent plus la pauvreté de Jésus-Christ, puisqu'elles sont au contraire le supplément et le soutien de la pauvreté que Jésus-Christ a choisie, puisque Jésus-Christ entre dans une sainte communauté avec vous, et qu'il s'enrichit de vos biens, comme il vous fait participer à ses mérites; dès là, sanctifiées parce partage, elles changent pour ainsi dire de nature , et de trésors d'iniquité qu'elles étaient, elles deviennent la précieuse matière de la plus excellente des vertus, qui est la charité ; dès là , ces terribles anathèmes que le Fils de Dieu, dans l'Evangile, fulminait contre les riches , ne tombent plus sur vous : pourquoi? parce que Jésus-Christ, dit saint Chrysostome, est trop juste et trop fidèle pour donner sa malédiction à des richesses qui lui sont consacrées, et qu'il vous demande lui-même. Heureux, s'écriait le Prophète royal, celui qui comprend le mystère de l'indigent et du pauvre ! et je le dis avec plus de sujet que lui ; car c'est surtout pour un chrétien que le pauvre est un mystère de foi. Mais, remontant au principe, j'ajoute : Heureux celui qui comprend le mystère d'un Dieu pauvre et d'un Dieu humilié ! Beatus qui intelligit (1) !

Parce qu'il s'est humilié, dit saint Paul, Dieu a voulu, pour l'élever, qu'à son seul nom toute la terre fléchît le genou ; et c'est dans les cours des princes que la prédiction de saint Paul se vérifie plus authentiquement, puisque les puissances du monde que nous y révérons ont une grâce particulière pour honorer cet Homme-Dieu, qui s'est anéanti pour nous. C'est par là que ce Dieu Sauveur, comme dit saint Chrysostome, est dédommagé des humiliations de sa naissance. Je sais , et il est vrai que, dès sa naissance même, il nous est représenté dans l'Evangile, persécuté par Hérode et obéissant à Auguste : voilà par où notre religion a commencé. Mais, grâce à la Providence, le monde a bien changé de face : car, pour ma consolation, je vois aujourd'hui le plus grand des rois obéissant à Jésus-Christ, et employant tout son pouvoir à faire régner Jésus-Christ ; et voilà ce que j'appelle, non pas le progrès, mais le couronnement de la gloire de notre religion.

 

1 Psalm., XL, 1.

 

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Pour cela, Sire, il fallait un monarque aussi puissant et aussi absolu que vous. Comme jamais prince n'a eu l'avantage d'être si bien obéi ni si bien servi que Votre Majesté, aussi jamais prince n'a-t-il reçu du ciel tant de talents et tant de grâces pour faire servir et obéir Dieu dans son Etat. Votre bonheur, Sire, est de ne l'avoir jamais entrepris qu'avec des succès visibles ; et le mien , dans la place que j'occupe depuis si longtemps, est d'avoir toujours eu de nouveaux sujets pour vous en féliciter. C'est ce qui a attiré sur votre personne sacrée ces bénédictions abondantes, que nous regardons comme les prodiges de notre siècle. On nous vante le règne d'Auguste, sous lequel Jésus-Christ est né, comme un règne florissant : et moi, dans le parallèle qu'il me serait aisé d'en faire ici, je ne trouve rien que je puisse comparer au règne de Votre Majesté. On attribue les prospérités dont Dieu vous a comblé aux vertus royales et aux qualités héroïques qui vous ont si hautement distingué entre tous les monarques de l'Europe ; et moi, portant plus loin mes vues, je regarde ces prospérités comme les récompenses éclatantes du zèle de Votre Majesté pour la vraie religion; de son application constante à maintenir l'intégrité et la pureté de la foi; de sa fermeté et de sa force à réprimer l'hérésie, à exterminer l'erreur, à abolir le schisme , à rétablir l'unité du culte de Dieu. Pouviez-vous, Sire, nous en convaincre, et en convaincre toute l'Europe par une plus illustre preuve, que par le plus solennel de tous les traités, glorieux monument de votre piété? Pour donner la paix au monde chrétien, Votre Majesté a sacrifié sans peine ses intérêts ; mais a-t-elle sacrifié les intérêts de Dieu? Touché en faveur de son peuple , elle a bien voulu , pour terminer une guerre qui n'était pour elle qu'une suite de conquêtes, se relâcher de ses droits ; mais a-t-on pu obtenir d'elle qu'elle se relâchât en rien de ce que son zèle pour Dieu lui avait fait aussi saintement entreprendre que généreusement exécuter? Malgré les négociations infinies de tant de nations assemblées, malgré tous les efforts de la politique mondaine , votre zélé , Sire, pour la foi catholique, a triomphé ; votre grand ouvrage de l'extinction et de l'abolition du schisme a subsisté, ou plutôt il est affermi. A cette condition, Votre Majesté, sur toute autre chose, s'est rendue facile et traitable : mais sur le point de la religion, elle s'est montrée inflexible; et par là l'hérésie a désespéré de trouver jamais grâce devant ses yeux. Or, c'est pour cela, Seigneur, puis-je dire à Dieu, que vous ajouterez jour sur jour à la vie de ce grand roi : Dies super dies regis adjicies (1), et que vous prolongerez ses années de génération en génération : Et annos ejus usque in diem generationis et generationis (2).

Mais je n'en suis pas réduit, Sire, à tonner là-dessus de simples vœux. Dès maintenant mes vœux sont accomplis, et la prière que j'en ai faite cent fois à Dieu, sans préjudice de l'avenir, me paraît déjà exaucée. Car, depuis l'établissement de la monarchie, aucun de nos rois a-t-il régné, et si longtemps, et si heureusement, et si glorieusement que Votre Majesté? Et pour le bonheur de la France, non-seulement Votre Majesté règne encore, mais nous avons des gages solides, et presque des assurances, qu'elle régnera jusqu'à l'accomplissement le plus parfait qu'ait eu jamais pour un roi cette sainte prière : Dies super dies regis adjicies. Depuis l'établissement de la monarchie, aucun de nos rois a-t-il vu dans son auguste famille autant de degrés de générations et d'alliances, que Votre Majesté en voit aujourd'hui dans la sienne ? Et sans être ni oracle, ni prophète, j'ose prédire avec confiance à Votre Majesté, du moins j'ose espérer pour elle, qu'elle n'en demeurera pas là; mais qu'un jour elle verra les fruits de cet heureux mariage qu'elle vient de faire, et qui étendra ses années à une nouvelle génération : Et annos ejus usque in diem generationis et generationis. Après tant de glorieux travaux, voilà, Sire, les bénédictions de douceur dont vous allez désormais jouir, et que Dieu vous préparait : une profonde paix dans votre Etat, un peuple fidèle et dévoué à toutes vos volontés, une cour tranquille et soumise, attentive à vous rendre ses hommages et à mériter vos grâces; la famille royale dans une union qui n'a peut-être point d'exemple, et que rien n'est capable d'altérer ; un fils, digne héritier de votre trône, et qui n'eut jamais d'autre passion que de vous plaire ; un petit-fils formé par vous , et déjà établi par vous ; une princesse, son épouse, votre consolation et votre joie; de jeunes princes dont vous devez tout vous promettre, et qui déjà répondent parfaitement aux espérances que vous en avez conçues. Voilà, dis-je, les dons de Dieu qui vous étaient réservés : Ecce sic benedicetur homo qui timet Dominum (3); c'est ainsi, concluait David, que sera béni l'homme qui craint le

 

1 Psalm., LX, 7. — 2 Ibid. — 3 Psalm., CXXVII, 4.

 

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Seigneur; et c'est ainsi qu'est bénie Votre Majesté.

Mais encore une fois, ô mon Dieu, c'est pour cela même que vous multiplierez les jours de cet auguste monarque, et que vous le conserverez , non-seulement pour nous, mais pour vous-même ; car, avec une âme aussi grande, avec une religion aussi pure, avec une sagesse aussi éclairée, avec une autorité aussi absolue que la sienne, que ne fera-t-il pas pour vous, après ce que vous avez fait pour lui ; et par quels retours ne reconnaîtra-t-il pas les grâces immenses que vous avez versées, et que vous versez encore tous les jours sur lui ? Qu'il me soit donc permis, Seigneur , de finir ici en le félicitant de votre protection divine, et en lui disant à lui-même ce qu'un de vos prophètes dit à un prince bien moins digne d'un tel souhait : Rex, in aeternum vive (1) : Vivez, Sire, vivez sous cette main de Dieu bienfaisante et toute-puissante , qui ne vous a jamais manqué, et qui ne vous manquera jamais. Vivez pour la consolation de vos sujets, et pour mettre le comble à votre gloire : ou plutôt, puisque vous êtes l'homme de la droite de Dieu, vivez, Sire, pour la gloire et pour les intérêts de Dieu. Vivez pour faire connaître , adorer et servir Dieu ; vivez pour consommer ce grand dessein de la réunion de l'Eglise de Dieu ; vivez pour la destruction de l'iniquité , de l'erreur, du libertinage, qui sont les ennemis de Dieu ; vivez en roi chrétien, et vous mériterez par là le salut éternel qu'un Dieu Sauveur vient annoncer au monde, et qui est la récompense des élus, que je vous souhaite, etc.  

 

Dan., III, 9.

 

FIN  DE  L’AVENT.

 

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