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SERMON POUR LE VENDREDI DE LA PREMIÈRE  SEMAINE.
SUR LA PRÉDESTINATION.

ANALYSE.

 

Sujet. Or il y avait là un homme malade depuis trente-huit ans : Jésus l'ayant vu couché par terre, et sachant depuis combien de temps il était dans cet état, lui dit : Voulez-vous être guéri ?

On ne pouvait douter que ce malade ne voulût être guéri de son infirmité corporelle ; mais, dit saint Augustin, comme il était la figure des pécheurs, et que lui-même, en qualité de pécheur, il ne pouvait être guéri sans être converti, selon la pratique du Sauveur des hommes, de sanctifier les âmes en guérissant les corps, ce paralytique pouvait être disposé à sa guérison, sans l'être également à sa conversion. Quoi qu'il en soit, c'est à nous-mêmes, comme malades, je veux dire comme pécheurs, que Dieu fait la même demande que fit Jésus-Christ au paralytique de notre évangile : Vis sanus fieri? Est-ce de bonne foi que vous voulez être guéri, et que vous voulez entrer dans la voie du salut ? Et ceci me donne lieu de vous entretenir d'une matière importante, puisqu'il s'agit des desseins de Dieu sur nous par rapport au salut, et de la manière dont nous y devons coopérer : en quoi consiste le grand mystère de la prédestination.

Division. Nous donnons, sur le sujet do la prédestination, dans deux écueils : présomption et défiance. Présomption dans les uns, qui se reposent uniquement sur Dieu du soin de leur salut. Défiance dans les autres, qui désespèrent de leur salut. Deux désordres que j'entreprends de combattre, en vous faisant voir que la prédestination de Dieu ne favorise ni l'un ni l'autre, et que nous sommes inexcusables, lorsqu'on conséquence de ce mystère, nous nous abandonnons, ou à la présomption qui nous fait oublier le soin du salut, première partie ; ou au désespoir qui nous fait renoncer au salut, deuxième partie.

Première partie. Présomption qui nous fait oublier le soin du salut, premier écueil dont nous avons à nous garantir. Se confier en Dieu, c'est un sentiment que la religion nous inspire. Mais en demeurer absolument là, et se reposer uniquement sur Dieu du soin de son salut, c'est une présomption : 1° dont le principe est ruineux ; 2° dont les effets sont très-pernicieux,

1° Présomption dont le principe est ruineux ; car de quelque manière que Dieu nous ait prédestinés, il est de la foi qu'il ne nous sauvera jamais sans notre coopération. Il n'en est pas ainsi des autres ouvrages de Dieu. Jésus-Christ, par exemple, pouvait guérir ce malade de l'Evangile indépendamment de lui : mais dans l'ouvrage de notre conversion, il faut que nous agissions nous-mêmes, il faut que nous le voulions : Vis ? Il est vrai que c'est la grâce qui opère en nous cette volonté ; mais elle ne l'opère pas toute seule, car cet acte de ma volonté par où je me convertis étant un acte libre, il doit venir de moi-même, aidé de la grâce.

Mais si je suis prédestiné, dites-vous, je n'ai rien à craindre : et moi je réponds que vous devez dire : Si je suis prédestiné, cela m'engage a être plus attentif et à voilier continuellement sur moi-même ; car si je suis prédestiné, je ne le suis que dépendamment des moyens à quoi Dieu a voulu attacher ma prédestination. Or, la foi m'apprend qu'un de ces moyens les plus essentiels est le soin que je prendrai moi-même de mon salut.

2° Présomption dont les effets sont très-pernicieux ; car à quoi va-t-elle? à éteindre absolument dans l'homme tout le zèle des bonnes œuvres, et à nourrir son libertinage.

Luther et Calvin, en disant que la prédestination de Dieu impose à l'homme une absolue nécessité d'agir, et qu'en conséquence du décret que Dieu a formé , nous n'avons plus le pouvoir de nous déterminer au bien, ni de nous détourner du mal : l'un on l'autre, dis-je , après avoir établi ce principe, n'aurait-il pas eu bonne grâce de pousser un point de morale sur la pratique des devoirs de la piété chrétienne?

Vous me direz que cette doctrine est plus capable d'humilier l'homme : erreur. Car en quoi consiste la vraie humiliation de l'homme? n'est-ce pas, dit saint Bernard, en ce qu'il ait à se reprocher les péchés qu'il commet? Or, comment se les reprochera-t-il, s'il est persuadé qu'il ne les a pu éviter? De plus, il ne suffit pas qu'une doctrine, humilie l'homme; il faut tout ensemble qu'elle le rende humble et fervent, et c'est ce que fait la doctrine catholique, en nous enseignant que le salut dépend de Dieu, mais qu'il dépend aussi de nous-mêmes.

Sans cette persuasion, non-seulement nous nous relâchons dans la pratique des bonnes œuvres, mais nous nous portons aux derniers désordres du libertinage. Car sur ce principe que quand Dieu voudra et qu'il l'aura prévu, on se convertira, et que jusque-là il serait inutile d'y penser, on s'abandonne à tout.

Mais ce libre arbitre dont nous nous flattons et cette coopération de l'homme nous donnent lieu de nous glorifier. Eh bien! répond saint Augustin, si nous sommes justes et enfants de Dieu, ne devons-nous pas, comme saint Paul, avoir de quoi nous glorifier en lui? n'est-ce pas ainsi que les Saints se sont glorifiés, et en particulier David?

Espérons donc tout de Dieu, mais au même temps faisons tout l'effort nécessaire pour correspondre aux desseins de Dieu.

 

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Autrement, nous tombons dans une présomption criminelle. Et par où Dieu surtout la condamnera-t-il? par nous-mêmes; car dans les autres affaires, tout persuadés que nous sommes de la providence et de la prédestination de Dieu, nous ne négligeons rien de notre part.

Deuxième partie. Défiance ou désespoir qui nous fait renoncer au salut, second écueil dont nous avons à nous préserver. Il y a dans la prédestination de Dieu quelque chose d'incertain, et quelque chose de certain. Ce qu'il y a de certain, c'est que notre l'un est un Dieu de miséricorde ; et que si jamais il nous réprouve, ce ne sera que parce que nous aurons librement et volontairement abusé des moyens qu'il nous aura fournis pour nous sauver. Ce qu'il y a d'incertain, c'est la manière dont Dieu a prédestiné 1rs hommes. L'un doit nous fortifier et nous animer ; mais l'autre nous trouble. Or, n'entreprenons point inutilement d'examiner ce que Dieu nous a caché, et attachons-nous à ce qu'il nous a révélé. Nous y trouverons de quoi nous relever de ce découragement où notre lâcheté nous plonge, pour nous entretenir dans l'impénitence.

Car voici comment doit raisonner tout homme chrétien : Je ne sais pas les voies sociétés que Dieu a tenues dans la disposition démon salut; mais ce que je sais, c'est que Dieu est bon et qu'il m'aime : cela me suffit.

Il y a plus. Ce mystère de la prédestination a positivement de quoi nous consoler : c'est un abîme, mais un abîme de richesses. Il est vrai que notre salut est entre les mains de Dieu : et n'est-ce pas ce qui doit nous rassurer ? Car où peut-il être mieux qu'entre les mains d'un père si sage, si vigilant et si tendre ?

Cependant les Saints mêmes ont tremblé en considérant ce mystère de la prédestination. J'en conviens; mais pourquoi ont-ils tremblé? parce qu'ils se défiaient, non pas de Dieu, mais d'eux-mêmes, et qu'ils envisageaient leur liberté comme la source de tous les dérèglements.

Le mal est que nous ne voulons pas bien le salut ; que nous le voulons seulement d'une volonté générale et indéterminée, d'une volonté lâche et faible, d'une volonté inefficace et sans action, d'une volonté étroite et bornée. Est-ce ainsi, nous dira Dieu, que vous vouliez tout le reste ?

De quelque manière que nous en puissions penser, la vie présente est toujours la voie, et par conséquent il n'y a point d'état dans la vie où nous devions désespérer. Le désespoir est dans un pécheur un nouveau crime qu'il ajoute aux autres. Non pas que tous les pécheurs se perdent par là : mais ce qui fait la damnation des uns, c'est un excès d'espérance ; et la damnation des autres, un défaut d'espérance.

 

Erat autem quidam homo ibi, triginta et octo annos habens in infirmitate sua. Hunc cum vidisset Jesus jacentem, et cognovisset quia jam multum tempus haberet, dicit ei : Vis sanus fieri ?

Or il y avait un homme malade depuis trente-huit ans. Jésus l'ayant vu couché par terre, et sachant depuis combien de temps il était dans cet état, lui dit : Voulez-vous être guéri ? (Saint Jean, chap. V, 5,6.)

 

SIRE,

 

A en juger par les apparences, fut-il jamais une demande moins nécessaire que celle du Fils de Dieu à ce paralytique de notre évangile? C'était un malade de trente-huit ans, expose comme les autres sur le bord de la piscine miraculeuse. Il attendait avec impatience qu'on l'y jetât, au moment que l'eau serait remuée par l'ange du Seigneur : il cherchait un homme charitable pour lui rendre ce bon office ; il était affligé et il se plaignait même de n'en avoir encore pu trouver; enfin il  ne désirait rien plus ardemment que sa guérison, et il n'avait point d'autre pensée ni d'autre soin qui l'occupât : pourquoi donc lui demander s'il veut être guéri, Vis sanus fieri ? Mais ce n'est pas sans raison, répond saint Augustin. Ce paralytique était la figure des pécheurs ; et lui-même, comme pécheur,  il ne pouvait être guéri sans être converti, selon la pratique du Sauveur des hommes, de ne guérir jamais les corps qu'au même temps il ne sanctifiât les âmes. Or, quelque disposé que fût ce malade à la guérison, peut-être ne l'était-il pas également à sa conversion ; et c'est pour cela que Jésus-Christ, qui savait que l'un dépendait de l'autre , et qui ne voulait pas lui accorder l'un s’il ne consentait à l'autre, lui demande avant toutes choses : Vis sanus fieri ? voulez-vous être guéri ?

Tel est, Chrétiens, notre état en qualité de pécheurs : il y a peut-être longtemps que nous languissons, et que nous sommes sans action et sans mouvement dans la voie de Dieu, ou plutôt hors de la voie de Dieu. Peut-être Dieu voit-il parmi nous des paralytiques de plusieurs années, c'est-à-dire des hommes endurcis dans leurs habitudes criminelles ; et plaise au ciel qu'entre ceux à qui je parle, il n'y en ait pas dont on puisse dire : Erat autem quidam triginta et octo annos habens in infirmitate sua : ce pécheur est depuis trente-huit ans dans son désordre. Nous avions besoin d'un homme pour nous affranchir de la servitude du péché. Cet homme est venu, et c'est Jésus-Christ. Il nous a jetés dans la piscine ; je veux dire dans les eaux salutaires du baptême, où nous avons été régénérés. Au lieu de nous maintenir dans la possession de cette grâce, nous en sommes déchus ; et il est encore prêt à nous faire entrer dans une seconde piscine, qui est celle des larmes et de la pénitence. Mais auparavant il nous demande à tous en général et h chacun en particulier : Vis sanus fieri? est-ce de bonne foi que vous voulez être guéri ? C'est à quoi il faut que nous répondions, et ce qui me donne lieu de vous entretenir d'une matière importante, puisqu'il s'agit des desseins de Dieu sur nous par rapport au salut, et de la manière dont nous y devons coopérer. C'est en cela même aussi que consiste le grand mystère de la prédestination. Mystère profond et adorable; mystère

 

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sur lequel on a formé et l'on forme encore dans le christianisme tant de questions : mystère dont je veux vous parler aujourd'hui, pour vous apprendre l'usage que vous en devez faire ; les égarements, les écueils qu'il y faut éviter. Saluons d'abord Marie et disons-lui : Ave, Maria.

C'est le malheur de l'homme d'abuser de tout, et de corrompre soit par la malice de son cœur, soit par les erreurs de son esprit, jusques aux dons de Dieu, jusques aux attributs de Dieu, jusques aux mystères de Dieu. Vérité que saint Augustin a voulu nous faire entendre, lorsque, se servant d'une expression bien hardie, il a dit que Dieu, qui est la sainteté, la pureté par excellence, n'est pour les impies et pour les pécheurs, ni saint, ni pur; puisque les pécheurs et les impies se font tous les jours de Dieu même comme un sujet de profanation : Immundis, ne Deus quidem ipse mundus est. Or, ce que saint Augustin disait de Dieu, est encore plus vrai de la prédestination de Dieu. Car cette prédestination est un mystère de grâce ; et par l'abus qu'en font les hommes, elle leur devient une matière de scandale. Ils s'en servent comme d'un prétexte, les uns pour vivre dans une vaine confiance qui leur fait négliger le salut, et les autres pour s'entretenir dans des défiances criminelles qui ruinent en eux l'espérance du salut. Ceux-ci s'en prévalent pour présumer trop de Dieu, et ceux-là en sont troublés jusqu'à désespérer des bontés de Dieu : les premiers par un excès de témérité, et comptant sur la prédestination de Dieu, concluent que leur salut est en assurance, sans qu'ils se mettent en peine d'y travailler; et les seconds, par une pusillanimité de cœur et dans un sentiment tout contraire, se persuadent qu'il n'y a plus de salut pour eux, et que ce serait en vain qu'ils y travailleraient. Deux grands désordres auxquels nous sommes exposés à l'égard de la prédestination ; deux écueils dont nous avons à nous préserver, la présomption et le désespoir. Ce sont aussi, Chrétiens, ces deux désordres que j'entreprends de combattre dans ce discours, en vous faisant voir que la prédestination de Dieu ne favorise ni l'un ni l'autre; et que nous sommes inexcusables, lorsqu'on conséquence de ce mystère, nous nous abandonnons, ou à la présomption qui nous fait oublier le soin du salut, ce sera le premier point ; ou au désespoir qui nous fait renoncer au salut, ce sera le second. Il ne me faudrait point d'autre règle, ni d'autre preuve, que la parole de Jésus-Christ : Vis sanus fieri ? voulez-vous être guéri? Car, puisque sur le salut on nous demande, aussi bien qu'au paralytique de l'Evangile, si nous le voulons, il faut donc en effet le vouloir et y travailler, et voilà le remède à notre présomption : et puisqu'on nous fait au même temps connaître qu'il ne s'agit que de le vouloir, nous ne devons donc pas nous troubler ni désespérer, et voilà le remède à notre défiance. Deux vérités fondamentales de notre religion, sur lesquelles je vais vous découvrir mes pensées, et qui peuvent beaucoup servir à la réformation de vos mœurs.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Se confier en Dieu, et mettre en lui toute son espérance; le regarder comme l'auteur, ou, selon le langage de l'Ecriture, comme le Dieu de son salut: Deus mlutis meae (1) ; faire fond sur les mérites de Jésus-Christ, et compter sur le bienfait de la rédemption ; dire : Je puis tout en celui qui me fortifie ; et tout ce que je serai jamais devant Dieu, c'est par la grâce que je le serai : je l'avoue, Chrétiens, ce sont des sentiments de piété que la religion nous inspire, que nous devons avoir dans le cœur, et qui s'accordent parfaitement avec toutes les règles de la foi. Mais en demeurer absolument là, et se reposer du soin de son salut sur cette Providence générale qui en conduit les ressorts, et qui en ordonne les moyens ; dire : J'attends l'heure et le moment qu'il plaira à Dieu de me toucher, et cependant vivre en paix et sans inquiétude dans son péché ; regarder sa conversion comme une affaire que Dieu ait prise entièrement sur lui, et dont il ne nous rendra pas responsables; c'est une présomption, mes chers auditeurs, aussi mal fondée dans son principe, qu'elle est pernicieuse dans ses effets. Prenez bien garde à ces deux choses : présomption dont le principe est ruineux, et présomption dont les effets sont très-pernicieux. Je vais vous en convaincre, si vous voulez me suivre avec attention.

Je dis que cette présomption est mal fondée dans son principe : en voici la raison, qui est évidente. Parce que, de quelque manière que Dieu nous ait prédestinés, il est de la foi qu'il ne nous sauvera jamais sans notre coopération, Or, s'il est vrai que je dois, pour être sauvé, y coopérer avec Dieu, il ne m'est donc plus permis de m'assurer tellement de Dieu, que j'abandonne le soin de mon salut, et que je m'en décharge entièrement sur lui. J'ai droit d'espérer

 

1 Psalm., XVII, 47.

 

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en Dieu ; mais au même temps j'ai une obligation indispensable de travailler avec Dieu, d'agir avec Dieu ; et si je sépare cette confiance de ce travail, de cette action, je me perds, et je renverse l'ordre de Dieu. En effet, quel est l'ordre de Dieu dans la disposition du salut des hommes? Le voici exprimé dans ces deux paroles de saint Augustin que vous avez cent fois entendues : Qui fecit te sine te, non salvabit te sine te. Ce Dieu plein de sagesse et tout-puissant qui vous a créé sans vous, n'a pas voulu vous sauver sans vous; et à prendre même le salut dans cette étendue que lui donne la théologie, c'est-à-dire en tant qu'il présuppose ou qu'il renferme notre conversion, il n'est pas, en quelque sorte, au pouvoir de Dieu de nous sauver sans nous: pourquoi? parce que, dit saint Thomas, c'est dans nous-mêmes , je veux dire dans notre volonté, préparée, élevée et fortifiée par la grâce, que tout le mystère de notre conversion doit consister.

Il n'en est pas ainsi de tous les autres ouvrages de Dieu ; et en particulier il n'en était pas de même du miracle rapporté dans notre évangile. Quand le Fils de Dieu demanda à ce paralytique s'il voulait être guéri : Vis? ce n'était pas, remarque saint Ambroise, qu'il eût besoin, pour le guérir, de son consentement; car il le pouvait guérir d'une pleine autorité, sans que ce malade le voulût et même quoiqu'il ne le voulût pas: mais quand Dieu entreprend de nous convertir, et qu'il nous demande intérieurement si nous le voulons, c'est par une espèce d'engagement auquel, tout Dieu qu'il est, sa sagesse et sa providence se trouvent comme assujetties. Car quoi que Dieu fasse de son côté, il est infaillible que nous ne serons jamais convertis si nous ne le voulons être; et il y aurait même de la contradiction que nous le fussions et que nous De le voulussions pas, puisque, selon la maxime de tous les Pères, être converti n'est rien autre chose que le vouloir, et le vouloir efficacement.

Je sais que la grâce est le grand principe et la première cause qui opère en nous cette volonté : mais je sais aussi qu'elle ne l'opère pas toute seule; et quelque victorieuse, quelque puissante que je la conçoive, c'est toujours sans préjudice de ce que la foi m'enseigne, que cet acte de la volonté qui fait notre conversion, est un acte libre : or, du moment qu'il doit être libre, nous ne pouvons plus nous en reposer sur un autre; mais c'est à nous-mêmes à l'exiger de nous-mêmes, à nous en   demander compte à nous-mêmes, pour en pouvoir un jour rendre compte à Dieu.

C'est pour cela que le même esprit qui nous fait dire à Dieu dans l'Ecriture : Converte nos, Domine  (1), Seigneur convertissez-nous, met aussi dans la bouche de Dieu ces autres paroles : Convertimini ad me (2), convertissez-vous à moi. Or, reprend saint Augustin, comment accorder ces deux textes ensemble? Si c'est Dieu qui nous convertit, pourquoi nous ordonne-t-il de nous convertir? et si c'est nous-mêmes qui nous convertissons, pourquoi demandons-nous à Dieu qu'il nous convertisse ? Ah ! mes Frères, répond ce saint docteur, voilà justement le secret de cette prédestination adorable, sur quoi sont fondés tous les devoirs de la vie chrétienne. C'est qu'autant qu'il serait injurieux à Dieu que nous eussions jamais sans lui la pensée de nous convertir, autant nous est-il inutile de nous flatter que Dieu seul nous convertira ; c'est que, pour nous sauver selon les lois établies par la divine Providence , deux conversions sont nécessaires, la conversion de Dieu et la nôtre, la conversion de Dieu à nous et notre conversion à Dieu. Il faut que Dieu se convertisse à nous, en nous prévenant par sa grâce ; et il faut que nous nous convertissions à Dieu, en suivant avec fidélité le mouvement de sa grâce. Voilà toute la théologie d'un chrétien. Il est vrai que Dieu s'est chargé de la première de ces deux conversions, et qu'elle est uniquement de son ressort ; mais il n'est pas moins vrai qu'il a prétendu que nous fussions chargés de l'autre, comme d'une condition dont nous devons personnellement lui répondre. Je dois donc, si je raisonne bien, jeter tellement, comme parle l'Apôtre, dans le sein de Dieu toutes mes inquiétudes : Omnem sollicitudinem vestram projicientes in eum (3), que je m'en réserve néanmoins une partie ; ou plutôt, je dois tellement les jeter toutes en Dieu, qu'elles demeurent encore toutes en moi. Pourquoi cela? parce que mon salut dépendant tout à la fois et de Dieu et de moi, comme je suis obligé, en tant qu'il dépend de Dieu, de l'abandonner à sa sagesse et à sa miséricorde ; aussi, en tant qu'il dépend de moi, suis-je obligé de m'y appliquer avec tout le zèle et toute la ferveur dont je suis capable. Je dois, selon le précepte de Jésus-Christ, m'attacher inviolablement à ces deux termes, et en faire comme les deux points fixes sur quoi roule toute ma prédestination et toute ma conduite : Vigilate et orate (4), veillez et priez. Je dois prier, parce que je ne puis rien sans la grâce ; et je dois veiller,

 

1 Thren., V, 21. — 2 Isa., XLV, 22. — 3 1 Petr , V, 7. — « Matth., XXVI, 41.

 

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parce que la grâce, toute puissante qu'elle est, ne l'ait rien sans moi. Si je veille sans prier, c'est par orgueil, si je prie sans veiller, c'est illusion.  La vigilance détachée de la prière, me fait oublier ma dépendance ; et la prière détachée de la vigilance, me fait oublier le soin que je dois avoir de moi-même. L'une et l'autre, jointes ensemble, font ce juste tempérament en quoi consiste de notre part la prédestination divine; et par là je sauve tout, et ne risque rien.

Mais si je suis prédestiné, direz-vous, je n'ai rien à craindre ; et si je ne le suis pas, tous mes soins et toutes mes craintes ne me peuvent sauver. Ecoutez-moi, Chrétiens; voilà le faux raisonnement dont le libertinage a de tout temps prétendu se prévaloir. Si je suis prédestiné, je n'ai rien à craindre  : quelle conséquence! et moi je réponds que vous devez conclure tout au contraire, et dire : Si je suis prédestiné, je dois travailler à mon salut avec crainte et avec tremblement; si je suis prédestiné, cela m'engage à être attentif et à veiller continuellement sur moi-même. On dirait d'abord que cette proposition a quelque chose de paradoxe. Nullement, Chrétiens : elle est fondée sur les principes, non-seulement les plus solides, mais les plus naturels et les plus simples de la raison. Car si je suis prédestiné, il est évident que je ne le suis, et que je ne le puis être que dépendamment des moyens à quoi Dieu a voulu attacher ma prédestination ; ou, pour parler plus juste, que dépendamment des moyens qui sont renfermés dans ma prédestination. Or, la foi m'apprend qu'un des moyens les plus essentiels est le soin de mon salut, est la crainte des jugements de Dieu, est une défiance salutaire de ma propre fragilité, est une vigilance exacte qui me serve de frein, et qui m'empêche de me livrer à mes passions et de tomber dans le relâchement. S'il y a une prédestination  pour nous, il est certain qu'elle comprend et qu'elle embrasse tout cela. Que l'ais-je donc quand je viens à me négliger, sous ce vain prétexte de prédestination dont j'abuse? Admirez , Chrétiens, la faiblesse de l'esprit de l'homme dans ses égarements : ce que je fais? je détruis moi-même le fondement sur lequel je bâtis, c'est-à-dire je détruis ma prédestination au même temps que je la suppose ; et pourquoi? parce que j'en sépare ce qui en est inséparable, ce qui s'y trouve essentiellement lié, et sans quoi elle ne peut subsister dans le dessein de Dieu. Ainsi en voulant faire Je théologien , je raisonne en homme sans principes et sans connaissances.

En effet, mes Frères, disait saint Prosper, Dieu ne nous a pas prédestinés selon nos idées, ni de telle sorte que notre prédestination puisse jamais fomenter nos dérèglements ; il nous a prédestinés comme des créatures raisonnables, libres, capables de mériter, et qui doivent gagner le ciel par titre de conquête ou de récompense. C'est ce que nous enseignent toutes les Ecritures. Il est donc vrai que le bon usage de notre raison, que la soumission de notre volonté, que nos mérites acquis, j'entends acquis par la grâce et avec le secours de Dieu, que nos bonnes œuvres, que nos vertus, que nos actions, que notre attachement au bien, que notre application à fuir le mal, que tout cela doit nécessairement entrer dans notre prédestination éternelle, si nous sommes du nombre des prédestinés et des élus. Et l'on peut dire que c'est en cela même que paraît la sagesse de notre Dieu, de nous avoir prédestinés par sa grâce d'une manière si conforme et si proportionnée à notre nature. D'où il s'ensuit que cette confiance présomptueuse qui nous fait abandonner à Dieu notre salut, sans prétendre y donner nous-mêmes nos soins, est dans la conduite de la vie une contradiction manifeste, où l'homme, en quittant les voies droites que Dieu lui a marquées, s'égare, se confond ; et pour me servir de l'expression du Prophète royal, se dément dans son iniquité : Et mentita est iniquitas sibi (1). En faudrait-il davantage pour nous préserver d'une erreur si grossière et si sensible?

Mais si cette erreur est mal fondée dans son principe, elle n'est pas moins funeste dans ses effets, et c'est ici que je vous demande toute votre réflexion. Car à quoi va cette pernicieuse maxime, de se reposer du soin de son salut sur ce que Dieu en a déterminé? à deux choses également dangereuses et inévitables ; savoir, à éteindre absolument dans l'homme le zèle des bonnes œuvres, et à nourrir son libertinage. Je dis que cette présomption éteint dans l'homme le zèle des bonnes œuvres; c'est sa première propriété: preuve infaillible qu'elle ne vient pas de Dieu. Car enfin, en quelque sens que nous prenions la chose, et de quelque manière que nous envisagions la prédestination dans Dieu, il en faut toujours revenir à cette règle, dont il ne nous est pas permis de nous départir; savoir, que si l'idée que nous nous formons de cette prédestination va à diminuer en nous la ferveur chrétienne et à nous faire négliger nos devoirs, quelque spécieuse qu'elle

 

1 Psalm., XXVI, 12.

 

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nous paraisse, c'est une idée fausse. Nous semblât-elle appuyée sur le témoignage de tous les Pères de l'Eglise, nous nous trompons, et nous l'entendons mal : pourquoi ? parce que nous n'entendons pas comme l'Apôtre, qui en était mieux instruit que nous, et qui rapportait tout ce qu'il en savait à cette excellente conclusion : Quapropter, Fratres, magis satagite, ut per bona opera certam vestram vocationem et electionem faciatis (1) : C'est pourquoi, mes Frères, efforcez-vous d'autant plus à assurée votre vocation et votre élection, par votre persévérance dans les bonnes œuvres. Comme s'il eût dit: Au lieu de philosopher, de contester, de subtiliser sur le choix que Dieu a fait de vous (recherche qui sera toujours inutile et même pernicieuse pour vous), appliquez-vous plutôt : Magis satagite; à quoi ? à vous rendre ce choix favorable par tout le bien que vous pouvez faire, et que vous ne faites pas, tandis que vous perdez le temps à raisonner et à disputer : Quapropter magis satagite, ut per bona opera certam vestram vocationem et electionem faciatis.

Et voilà, disent les théologiens, la marque essentielle pour discerner dans ces matières importantes, mais pour discerner sûrement, ce qu'il y a de solide et ce qui ne l'est pas. Je m'explique. Telle doctrine touchant la prédestination de Dieu est-elle saine et orthodoxe? ne l'est-elle pas? c'est de quoi vous doutez; et soit pour l'intérêt de votre salut, soit pour obéir au commandement de saint Paul, vous voulez en faire l'épreuve : Omnia autem probate (2); et moi je dis, Chrétiens, que voici par où il en faut juger. Est-ce une doctrine qui me dispose à travailler pour Dieu, qui m'y engage, qui m'y excite, qui m'en fasse naître le désir, qui me soutienne et qui m'anime dans les résolutions que j'en ai formées? dès là je dois m'en défier. Mais ne fait-elle rien de tout cela ? je dois la tenir pour suspecte; et quelque couleur de vérité qu'elle ait d'ailleurs, je dois m'en éloigner comme d'un accueil. Car ce fut ainsi que l'Eglise, dans le dernier concile, jugea des opinions de Luther et de Calvin : elle les censura, elle les réprouva, pourquoi? parce que, sous prétexte d'exalter le mystère impénétrable de la prédestination divine, elles inspiraient un mépris secret des œuvres du salut.

Aussi, Chrétiens, l'un ou l'autre de ces fameux hérésiarques n'aurait-il  pas eu bonne grâce, en s'attachant aux principes de sa secte, de pousser un point de morale sur les devoirs

 

1 2 Petr., I, 10. — 2 1 Thess., V, 21.

 

de la piété chrétienne? Après avoir fait entendre à ses auditeurs que la prédestination de Dieu impose à l'homme une absolue nécessité d'agir; que toutes nos actions, bonnes et mauvaises, roulent sur ce décret que Dieu a formé de toute éternité ; que soumis à ce décret, nous n'avons plus le pouvoir de nous déterminer au bien, ni de nous détourner du mal ; que nous avons perdu notre libre arbitre, et par conséquent que les préceptes de la loi, à ceux qui ne les observent pas, sont impossibles : l'un ou l'autre, dis-je, après avoir établi ces fondements, n'aurait-il pas été bien reçu à faire le prédicateur, et à nous dire, en nous prêchant la pénitence : Faites un effort, mes Frères; rompez vos liens, affranchissez-vous de l'esclavage où vous êtes, sortez de l'occasion, renoncez à votre péché? Mais comment l'entendez -vous? aurait pu lui répliquer un pécheur. Si mon péché est arrêté dans cet ordre immuable des décrets de Dieu, le moyen que j'y renonce, et le moyen au contraire que je n'y renonce pas, si mon salut est résolu? Si je ne suis pas prédestiné, comment puis-je me convertir; et si je le suis, comment puis-je ne me convertir pas? pourquoi donc me presser de la sorte, puisque, selon vous, je suis nécessité à l'un ou à l'autre? Vous dites que c'est Dieu seul qui me détermine à faire le bien : pourquoi donc employer votre zèle à m'y déterminer et à m'y résoudre? Par une telle réponse, l'homme le plus endurci n'aurait-il pas justifié son impénitence contre les maximes les plus sévères de cette prétendue réforme?

De là vient que ceux qui la prêchaient (c'est la réflexion d'un savant cardinal, l'ornement de notre siècle, et le défenseur de l'Eglise), de là vient que les prédicateurs de cette réforme, ou plutôt les ministres de cette hérésie, ne s'attachaient presque jamais à l'exhortation quand ils étaient obligés d'instruire les peuples. Ils parlaient sans cesse à leurs auditeurs de cette profondeur et de cet abîme des jugements de Dieu ; ils leur en inspiraient de l'horreur ; ils leur faisaient admirer cette adorable inégalité, qui fait des uns des vases de colère et de perdition, et des autres des vases de miséricorde : mais à peine s'engageaient-ils, ou à les presser sur les obligations de leur état, ou à les confondre sur le désordre de leurs mœurs. S'ils le faisaient quelquefois, c'était faiblement et avec une secrète répugnance; comme s'ils eussent bien senti qu'ils se contredisaient eux-mêmes, et qu'ils eussent reconnu que ces grands et ces énergiques mouvements d'indignation, de

 

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reproches, de menaces, d'invectives contre les pécheurs, qui sont si propres de la parole de Dieu, et où les prophètes ont fait paraître toute la force et toute la grâce de l'Esprit-Saint qui les animait : que tout cela, dis-je, ne leur convenait pas. Pourquoi ? parce que tout cela supposait une liberté qu'ils avaient entrepris d'abolir, et dont ils ne retenaient que le nom. Jusque-là que pour parler conséquemment, et pour soutenir leur erreur par une autre erreur, ils en vinrent enfin à publier que les bonnes œuvres n'avaient nulle part au salut ; et que toute l'affaire de la justification se réduisait à un seul point, je veux dire à une simple imputation des mérites de Jésus-Christ, sans qu'il en dût coûter autre chose, pour être sauvé , que de croire , et de s'assurer soi-même, par l'esprit intérieur de la foi, qu'on était en effet justifié et prédestiné. Secret admirable pour aplanir le chemin du ciel, et pour y faire marcher à l'aise , non-seulement les âmes lâches, mais même les plus chargées de crimes. Or, je vous demande si cela seul ne suffisait pas pour les convaincre de fausseté ?

Vous me direz que cette doctrine, en rapportant tout à la prédestination de Dieu, et ne laissant rien à la liberté de l'homme est bien plus capable d'humilier l'homme et de réprimer son orgueil : et moi, Chrétiens, je ne conçois pas comment on peut se laisser séduire par une difficulté aussi vaine que celle-là. Car en quoi consiste la vraie humiliation de l'homme? n'est-ce pas, dit saint Bernard, en ce que l'homme ait quelque chose à se reprocher, en ce qu'il soit obligé à se repentir, à s'accuser, à se condamner soi-même, en ce qu'il envisage toujours son péché comme un sujet de honte, comme une malice punissable, comme une infidélité criminelle; en ce qu'il ne puisse pas se défendre de porter contre lui-même ce témoignage, qu'en péchant il est allé contre les desseins de Dieu, et qu'il a manqué à sa grâce? Voilà, selon toutes les Ecritures, ce qui peut et ce qui doit humilier le pécheur. Or, comment entrera-t-il dans aucun de ces sentiments, s'il est imbu de l'erreur que je combats ? et s'il est prévenu de cette pensée, qu'il n'a pu éviter le mal, comment se le reprochera-t-il? s'il est dans cette opinion, que son péché n'a été qu'une suite fatale et nécessaire d'une destinée dont il n'était pas le maître, comment s'en accusera-t-il? que ne pourra-t-il point alléguer à Dieu, pour se justifier du blâme de l'avoir commis? Il n'en va pas de même dans la créance commune, cl dans les principes de la doctrine catholique, Car nous disons à Dieu : Seigneur, il est vrai, j'ai été rebelle à vos ordres ; vous m'avez appelé, et j'ai refusé de vous obéir : je suis un ingrat et un perfide ; et ce qui fait ma confusion, c'est que je ne le suis que parce que je l'ai voulu, et qu'étant aidé comme je l'étais de votre secours, je pouvais ne le pas vouloir. En parlant de la sorte, nous nous humilions : mais quiconque s'écarte de cette voie simple de la foi , tient un langage tout différent. Au lieu de s'accuser, il accuse Dieu, il fait Dieu auteur de ses désordres , il s'en prend à Dieu de ce qu'il est vicieux et emporté : ainsi, bien loin qu'on lui inspire l'humilité en lui ôtant l'exercice de sa liberté, c'est au contraire par là qu'on lui apprend à s'élever contre Dieu même.

De plus, il ne suffit pas, pour être saine, qu'une doctrine serve à nous humilier ; il faut qu'elle nous rende tout à la fois humbles et fervents; et si l'humilité qu'elle produit en nous n'est suivie de cette ferveur, c'est une humilité trompeuse, qui nous séduit et qui nous perd. Or, il n'y a que la créance catholique qui puisse bien concilier ces deux choses, la ferveur et l'humilité, parce que c'est la seule où l'on trouve cette alliance parfaite de la prédestination et de la liberté. Car le pélagianisme, attribuant des forces à l'homme pour agir indépendamment de Dieu, semblait rendre l'homme fervent, mais il lui donnait de quoi s'enorgueillir. Le calvinisme d'ailleurs, pour élever la prédestination de Dieu, anéantissant le libre arbitre de l'homme, humiliait l'homme en apparence, mais il lui était en effet toute la pratique des bonnes œuvres. Que fait l'Eglise? elle tient le milieu entre ces deux extrémités; et, conduite par l'Esprit de vérité qui la gouverne , elle nous enseigne une voie qui nous maintient dans l'humilité chrétienne, sans préjudice de la ferveur, et qui excite en nous la ferveur, sans intéresser l'humilité chrétienne. Et cette voie , c'est la doctrine que je vous prêche; savoir, que pour l'accomplissement de la prédestination de Dieu, nous devons coopérer et travailler avec Dieu.

Sans cela , non-seulement nous nous relâchons dans les devoirs du christianisme, mais nous tombons, par une suite nécessaire, dans les derniers désordres. Car, sur ce principe que quand Dieu le voudra et l'aura prévu,on ne manquera pas de se convertir, et que jusque-là il serait inutile d'y penser, on

 

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s'abandonne à tout, on se laisse emporter à la violence de ses désirs, on contente ses appétits les plus sensuels, on ne se modère en rien. Et de là vient que les libertins du siècle, par une politique et un intérêt qu'il est aisé de comprendre, ont toujours appuyé et paru goûter ces opinions dures de la prédestination : pourquoi? parce que, dans la dureté même de ces opinions, ils trouvaient de quoi se consoler, en justifiant à eux-mêmes le dérèglement de leur conduite et leurs plus scandaleux débordements. Car ils étaient heureux que ce mystère de la prédestination divine leur fut proposé d'une manière qui les rendît plus dignes de compassion que de répréhension ; qui leur épargnât la honte de leurs crimes, qui leur fournît des expressions pour s'en accuser sans peine,en disant : C'est Dieu qui m'a manqué; qui les autorisât, pour ainsi parler, à être violents, médisants,  lascifs, impudiques,  sans qu'on eût droit de leur en faire d'autre reproche, sinon qu'ils s'étaient rendus coupables de tout cela dans la personne du premier homme, en commettant avec lui, ou plutôt par lui, ce in entier péché qui nous a tous perdus : ce qu’ils n'avaient nulle peine à reconnaître, et ce qu'ils confessaient volontiers, parce que ce reproche leur était commun avec le reste des hommes. Au lieu que la doctrine de l'Eglise leur était une source de remords, parce qu'elle leur opposait toujours ce mauvais usage de leur liberté, sur quoi ils ne pouvaient se défendre. Celle-ci les rappelait à l'ordre, les reprenait, les convainquait, les condamnait, et par là même les importunait : mais l'autre n'exigeant d'eux rien autre chose que de déplorer leur misère, et de s'humilier sous la puissante main de Dieu, s'accommodait parfaitement à leur goût. Car ils voulaient  bien   s'humilier  devant Dieu, pourvu qu'ils en fussent quittes pour cela, et qu'on ne leur demandât rien davantage.

De là vient encore que, dans les temps où la corruption des mœurs a été plus générale, ces matières de la prédestination et du libre arbitre sont devenues plus communes, et, si j'ose dire, plus à la mode. Chacun en a prétendu discourir, jusqu'à ceux mêmes et jusqu'à celles qui lient moins en parler. Elles ont affecté cette raine science que saint Paul leur défendait si expressément; elles se sont rendues éloquentes sur la faiblesse de l'homme, et sur sa dépendance infinie de Dieu; elles se sont fait une dévotion d'en raisonner, et elles ont enfin réduit toute leur piété à cette spéculation et à ce langage d'humilité. Or, j'avoue, Chrétiens, que bien loin d'être touché de ce langage, j'ai toujours eu de la peine à ne m'en pas délier; car on ne sait que trop jusqu'où peut aller l'abus de cette prétendue   faiblesse;  et les conséquences qu'en tire le libertinage. Qu'une âme vertueuse et attachée à ses devoirs gémisse de la faiblesse extrême où nous sommes tombés par le péché, j'en suis édifié : pourquoi? parce que sa vie m'est un témoignage qu'elle prend la chose dans le bon sens et dans le véritable esprit de la foi. Mais qu'une âme mondaine s'en explique sans cesse, et en revienne toujours à ce mystère de la prédestination de Dieu et de l'impuissance de la créature, c'est un scandale pour moi. Car, sans entreprendre de juger ce qu'elle conclut de là, je ne puis m'empêcher de voir ce qu'elle en peut conclure. Or, à quoi n'irait pas cette conclusion ? Encore une fois, l'âme simple et bien intentionnée ne fait point tant la théologienne et la savante. Elle sait ce que Dieu lui commande, et elle met en lui sa confiance. Voilà à quoi elle s'en tient. Mais supposé ce commandement et cette confiance, elle sait que c'est à elle du reste à se conduire, à répondre de ses actions, et à se garantir par là non-seulement de la censure des hommes, mais du jugement de Dieu. Ainsi, sans philosopher, elle trouve le point de la vraie philosophie chrétienne, qui est de se tenir dans Je devoir et de bien vivre.

Et certes, où en serions-nous, si cette règle venait à être abolie? S'il fallait que le gouvernement du monde roulât sur ce principe, que les hommes, conséquemment à la prédestination de Dieu, ne sont plus maîtres de leur volonté, où en serait, je ne dis pas Je christianisme et la religion, mais même la police qui maintient tous les états? Quelle probité y aurait-il dans le commerce, quelle fidélité dans les mariages, quelle soumission dans les inférieurs, quelle modération dans les supérieurs? L'un dirait : La colère m'emporte, et je ne puis me retenir; l'autre : La domination me révolte, et je ne suis pas né pour obéir. Celui-ci : Je ne me sens pas encore assez efficacement inspiré dépaver mes dettes; celle-là : J'attends que Dieu me touche pour garder la foi conjugale. Et de là quel renversement dans l'univers, quelle dépravation de mœurs ! Vous le voyez, Chrétiens, et plaise au ciel que cette maladie dont notre siècle n'est que trop infecté, n'achève point enfin de le corrompre, et qu'elle n'en fasse pas le siècle de l'iniquité consommée! Au moins est-il vrai que les païens mêmes en ont prévu les affreuses conséquences. Car c'est pour

 

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cela, dit saint Augustin, que Cicéron n'ayant pas assez de lumière pour accommoder la liberté de l'homme avec la prescience de Dieu, et se croyant obligé de nier l'une ou l'autre, aima mieux douter de la prescience de Dieu, que delà liberté de l'homme : pourquoi? parce qu'en conservant la liberté de l'homme, il sauvait le fondement des mœurs, des vertus, des devoirs. Mais pour nous, ajoute saint Augustin, nous embrassons L'un et l'autre ensemble : la prescience, pour croire ce que nous devons croire de Dieu; et la liberté, pour faire ce que Dieu demande de nous. Nos autem utramque complectimur : illam, ut bene credamus ; istam, ut bene vivamus. Or, ce qu'il disait de la prescience, je le dis, et encore avec plus de sujet de la prédestination.

Mais peut-être me direz-vous que le libre arbitre et cette coopération de l'homme nous donne lieu de nous glorifier. Eh bien ! mes Frères, reprend saint Augustin, si nous sommes justes et enfants de Dieu, ne devons-nous pas, aussi bien que saint Paul, avoir de quoi nous glorifier en lui et par lui? Qui gloriatur, in Domino glorietur (1). N'est-ce pas ainsi que les saints se sont glorifiés, et en particulier David, quand il s'écriait : In Deo laudabo sermones meos (2) : Je me glorifierai en Dieu de mes œuvres : de mes œuvres, parce que je les ai faites pour Dieu; et en Dieu, parce que c'est de lui que j'ai reçu le pouvoir de les faire : Et in Deo, et meos ; in Deo, quia, ab ipso ; meos, quia accepi ? N'est-ce pas pour cela, dit le même Père, que nos bonnes œuvres, qui sont des bienfaits et des grâces de la part de Dieu, sont aussi des mérites de notre part; et que quand Dieu nous récompense, il couronne en nous ses propres dons : Coronat in nobis dona sua? Non, non, mes Frères, conclut ce saint docteur, il ne nous est point défendu de nous glorifier dans notre Dieu, puisqu'il est vrai, au contraire, que si nous n'avons de quoi nous glorifier dans le Seigneur, il nous réprouve. Malheur à nous, disait saint Bernard, si nous paraissons devant Dieu présomptueux et superbes! mais aussi malheur à nous-mêmes, si nous paraissons devant lui sans mérites et sans œuvres! Heureuse l'Epouse de Jésus-Christ, c'est-à-dire l'Eglise, parce qu'elle a des mérites solides sans présomption et une sainte présomption sans de vains mérites! Felix Ecclesia, cui nec merita sine prœsumptione, nec praesumptio sine meritis deest! Elle a de quoi présumer, mais non pas de ses mérites propres.

 

1 I Cor., I, 31. — 2 Psalm., LV, 5.

 

Elle a des mérites acquis par la grâce, mais non pas pour présumer d'elle-même : Habet unde prœsumat, sed non merita; habet merita, sed non ad prœsumendum. D'où il s'ensuit, par un secret divin, que sa présomption même la sanctifie, parce qu'elle est uniquement fondée sur Jésus-Christ; et que ses mérites la glorifient devant Dieu, parce qu'ils procèdent d'une liberté parfaitement soumise à Dieu.

C'est ainsi, mes chers auditeurs, que tout homme chrétien doit raisonner. Confiance en Dieu, mais au même temps vigilance sur soi-même et attention à son salut, pour correspondre aux desseins de Dieu : sans cela l'on tombe dans une présomption criminelle. Et savez-vous, Chrétiens, par où Dieu nous confondra sur cette présomption ? par nous-mêmes, par nos propres sentiments, et aussi bien que le serviteur de l'Evangile, par notre propre confession : Ex ore tuo. Car, dans les autres affaires, tout persuadés que nous sommes de la providence et de la prédestination de Dieu, nous ne négligeons rien de notre part, et nous ne prenons même que trop de moyens et trop de mesures. S'agit-il d'une entreprise où notre fortune, où notre honneur est intéressé, quoique nous sachions que Dieu a prévu ce qui en doit réussir, et que le succès en est déjà marqué dans l'ordre de sa prédestination, nous ne laissons pas d'y apporter tous nos soins, d'y employer tout notre crédit, d'en prévenir toutes les suites, d'en éloigner tous les obstacles; et nous nous faisons même de notre zèle là-dessus et de notre activité une sagesse et une vertu. Dieu sait, disons-nous, ce qui en arrivera ; mais il veut néanmoins que je m'aide : car il n'est pas obligé à faire des miracles pour moi ; et sa prédestination même m'engage à me servir des moyens qu'il me présente, pour parvenir à la fin que je me propose. C'est ainsi que nous raisonnons, et en cela nous raisonnons bien. Il n'y a que l'affaire du salut où nous prenons d'autres idées, où nous voulons que Dieu fasse tout, où nous nous reposons de tout sur la Providence, tandis que nous demeurons tranquilles et sans action.

Or, voilà, Chrétiens, ce qui achèvera notre condamnation au jugement de Dieu, cette opposition de nous-mêmes à nous-mêmes, cette contradiction de nos sentiments, cet empressement, cette ardeur à l'égard des choses temporelles, et cette lâcheté, cette négligence à l'égard du salut ; voilà ce qui nous fermera la bouche, et à quoi nous ne répondrons jamais.

 

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Que faudrait-il faire? Ah! Mes chers auditeurs, la grande maxime (et que ne puis-je vous l'imprimer profondément dans le cœur!), comprenez-la bien. Nous nous appliquons aux affaires du monde, comme s'il n'y avait ni providence, ni prédestination divine, et que tout dépendît de nous; et nous traitons l'affaire du  salut comme si nous n'en étions pas chargés, et que tout dépendît  de  Dieu. Rectifions  l'un  par l'autre; servons-nous de l'excès de l'un pour suppléer au défaut de l'autre : c'est-à-dire travaillons aux affaires du monde avec un peu plus de cet abandon à la Providence que nous portons trop loin  dans l'affaire du salut;  et travaillons à l'affaire du salut avec plus de cet empressement et de cette inquiétude que nous avons trop dans les affaires du monde. Vaquons aux affaires du monde avec plus de confiance en Dieu, avec plus de soumission aux ordres de Dieu, reconnaissant que sans lui tous nos soins sont inutiles : et vaquons à l'affaire du salut avec plus de réflexion sur nous-mêmes, avec plus de défiance de nous-mêmes,   avec plus de zèle pour nous-mêmes, reconnaissant que, sans nous, Dieu ne veut pas accomplir l'œuvre de  notre  sanctification. Joindre ces deux choses ensemble et les allier dans la conduite de la vie, voilà de quoi nous rendre de parfaits chrétiens.

Mais surtout revenons-en toujours à cette demande du Sauveur, et à cette volonté dont nous devons être nous-mêmes garants : Vis sanus fieri? Eh bien ! ne veux-je donc pas guérir de cette maladie invétérée qui cause la mort à mon âme, de cette passion déréglée, de cet attachement criminel, de cette faiblesse honteuse? ne m'en relèverai-je jamais? ne veux-je pas enfin y mettre ordre ? car à force de nous le demander et d'en concevoir la nécessité, nous le voudrons ; et à force de le vouloir, celle volonté étant le commencement de notre guérison, ou plutôt de notre conversion même, nous y parviendrons. C'est ainsi qu'on évite la présomption, et vous allez voir comment on doit encore éviter la défiance et le désespoir : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

C'est une maxime fondée sur toutes les règles de la prudence, qu'en matière de délibération, il faut toujours commencer par ce qu'il y a de sûr et d'évident, pour se déterminer ensuite sur les points douteux et obscurs ; et mi des égarements de l'homme dans la recherche de la vérité est de s'attacher, comme il arrive quelquefois, à ce qu'il y a d'obscur et de douteux, pour s'en faire un sujet de peine, sur les points même les plus sensibles et les plus certains. Or, cet égarement, dont les conséquences d'ailleurs sont si pernicieuses, est celui même où nous tombons sur le sujet de la prédestination. Je m'explique : dans le mystère de la prédestination considéré par rapport à nous, il y a quelque chose d'incertain et quelque chose d'assuré, quelque chose d'évident et quelque chose de caché : ce qu'il y a d'évident et d'assuré, c'est que Dieu, de quelque manière qu'il prédestine les hommes, est un Dieu de miséricorde et de bonté ; et que si jamais il nous réprouve, ce ne sera que parce que nous n'aurons pas voulu coopérer à notre salut, et que nous aurons abusé des moyens et des secours qu'il nous avait fournis : principe indubitable dans la religion, et que nous comprenons sans peine. Mais ce qu'il y a d'incertain et de caché, c'est la manière dont Dieu a prédestiné les hommes, pourquoi il traite les uns plus favorablement que les autres, pourquoi il choisit ceux-ci préférablement à ceux-là, pourquoi il ne donne pas toujours tous les secours qu'il pourrait absolument donner : car ce sont là ces questions profondes dont parlait le pape Célestin Ier, sur lesquelles l'Ecriture ne s'est point expliquée suffisamment à nous, et que Dieu veut que nous regardions comme des secrets qui lui sont réservés. De là vient que l'Eglise elle-même n'a point porté jusque-là ses décisions, et qu'elle a mieux aimé nous laisser dans l'obscurité et dans le doute , que de pénétrer dans les conseils de Dieu ; et voilà encore une fois ce que nous ne comprenons pas. Or prenez garde, Chrétiens ; ce qui nous trouble dans ce mystère de la prédestination , c'est ce que nous n'y comprenons pas et dont nous doutons : mais au contraire, ce que nous y comprenons, et de quoi nous ne doutons pas, a une vertu admirable pour nous consoler, pour nous fortifier, pour dissiper tous les nuages qui s'élèvent dans nos esprits , et pour nous rassurer.

Si donc on agissait conformément aux desseins de Dieu, on corrigerait l'un par l'autre; et des vérités consolantes que Dieu nous a expressément révélées pour animer notre espérance et pour la soutenir, on se ferait des armes pour combattre ces pensées et ces défiances, qui ne sont tout au plus fondées que sur des incertitudes. Mais que faisons-nous ? tout le contraire : de ces incertitudes mal conçues, nous nous faisons des sujets de tentation, au

 

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préjudice des assurances que Dieu nous a positivement données ; je ne sais si vous m'entendez bien : et parce qu'il y a dans le mystère de la prédestination certains points qui sont au-dessus de nos connaissances, qui nous étonnent et qui nous effraient, nous nous en préoccupons jusqu'à douter si Dieu en effet nous a sincèrement aimés, jusqu'à croire qu'il n'a pas eu la volonté de nous sauver, jusqu'à nous abandonner à un désespoir qui presque toujours est suivi des derniers désordres : Desperantes, semetipsos tradiderunt impudicitiœ, in operationem immunditiœ omnis (1). Y a-t-il un égarement plus dangereux et plus funeste? Revenons-en, Chrétiens, aux deux grands principes que l'Evangile nous met aujourd'hui devant les yeux pour nous préserver d'un tel malheur, la bonté de Dieu d'une part, et notre liberté de l'autre : la bonté de Dieu, dans l'offre que le Sauveur du monde fait au paralytique de le guérir ; notre liberté, dans la condition qu'il y ajoute, en lui demandant s'il le veut : Vis sanus fieri ? la bonté de Dieu, qui nous répond de Dieu ; et notre liberté, qui nous fait imputer à nous-mêmes notre perte : toutes deux, qui doivent nous relever de ce découragement où notre lâcheté nous plonge, pour nous entretenir dans l'impénitence.

Car voici comment je résonne, et comment il me semble que tout homme chrétien doit raisonner. Je ne connais pas les voies secrètes que Dieu a tenues, ni les mesures qu'il a prises dans la disposition de mon salut, et il ne m'appartient pas de les examiner : mais je sais pardessus toutes choses que Dieu est bon, et que ce mystère de prédestination, qui me paraît d'abord si terrible, est souverainement le mystère de sa miséricorde. Je sais, et c'est ce qui doit faire ma plus solide consolation, qu'en conséquence de ce mystère, mon salut est entre les mains de Dieu : voilà ce que je sais, et dont je ne me départirai jamais. C'était le sentiment de l'Apôtre : Scio cui credidi (2) ; Je sais, disait-il, quel est celui à qui j'ai confié mon dépôt, et cette connaissance, sur laquelle je me fonde, me rend inébranlable dans ma confiance. Que Dieu soit bon, en puis-je douter , à moins que je ne doute de son être même, et, comme parle saint Augustin, que je ne lui dispute jusqu'à son essence ? Si donc en me parlant de Dieu, on m'en fait une image qui me le représente comme un Dieu cruel, comme un Dieu qui ne m'a créé que pour me perdre, comme un Dieu qui attache mon salut

 

1 Ephes., IV, 19. — 2 Tim., I, 12.

 

à des choses que je ne puis faire, et qu'il ne veut pas me donner le pouvoir de faire, déterminé toutefois à me punir si je ne les fais pas : en un mot, comme un Dieu qui dispose tellement de ses créatures, qu'il n'y a point de père pour peu équitable et pour peu sensible qu'il soit, qui n'eût honte d'en user de même à l'égard de ses enfants (car c'est l'idée qu'en donnait Calvin, et la prédestination, dans les maximes de sa secte, renfermait tout cela) ; si, dis-je, on me figure un Dieu de la sorte, je ne dois point m'alarmer, beaucoup moins désespérer. Car j'ai de quoi m'inscrire en faux contre cette idée chimérique, et injurieuse à Dieu; j'ai de quoi la détruire, en disant : Non, ce n'est point là le Dieu qui m'a fait ce que je suis. S'il était tel, je ne pourrais plus l'aimer; et si je ne pouvais plus l'aimer, il ne serait plus mon Dieu, ni je ne serais plus sa créature. Ce n'est point là le Dieu que l'Ecriture m'apprend à réclamer comme le Dieu de mon salut : Deus salutis meœ. Etant de ce caractère, il serait plutôt le Dieu de ma damnation. Il est vrai que c'est un Dieu terrible dans ses conseils; mais il n'est pas moins vrai que ses conseils sont des conseils d'un Dieu souverainement aimable, et que sa miséricorde au moins dans cette vie l'emporte toujours sur sa justice. Or, dans cette idée, non-seulement sa justice surpasserait sa miséricorde, mais elle l'anéantirait; et Dieu, si j'ose parler ainsi, dépouillé du plus divin de ses attributs, ne serait plus à mon égard qu'une partie de lui-même. Je le craindrais, mais de la crainte des démons. Je croirais en lui, mais d'une espèce de foi qui ne produirait que l'aversion et la haine. Or, en quelque sens que je prenne les choses, la première règle que me donne le Saint-Esprit, c'est d'avoir toujours des sentiments avantageux de la bonté de mon Dieu : Sentite de Domino in bonitate (1) ; et si l'idée que je me forme de la prédestination ne s'accorde pas avec ces sentiments, je dois conclure que c'est une idée fausse, et qu'il ne m'est plus permis de m'y arrêter.

Je dis plus, et je prétends que ce mystère de la prédestination de Dieu, bien loin d'avoir de quoi nous troubler, doit positivement nous consoler; et pour en être persuadé, il me suffit de me souvenir que c'est le mystère de cette charité éternelle dont Dieu nous a aimés : In charitate perpetua dilexi te (2). Je puis donc bien l'admirer cet incompréhensible mystère! je puis m'écrier avec l'Apôtre : O altitudo (3) !

 

1 Sap., I, 1. — 2 Jerem., XXXI, 3. — 3 Rom., XI, 33.

 

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ô profondeur! ô abîme! mais le terme qui suit ne fait bien connaître que cette profondeur et cet abîme n'a rien qui doive me décourager, puisque l'Apôtre me dit que c'est un abîme de trésors et de richesses : O altitudo divitiarum! Or, un abîme de richesses peut me causer de la surprise, mais non pas me jeter dans l'abattement et dans la défiance.

C'était aussi   sur ce fondement que saint Pierre apprenait aux fidèles à établir la paix de leurs âmes :  Omnem sollicitudinem vestram projicientes in eum, quoniam ipsi est cura de vobis (1). Déchargez-vous, leur disait-il, mes Frères, de toutes ces inquiétudes et de ces anxiétés qui pourraient vous accabler : et sur qui vous en déchargerez-vous ? sur votre Dieu, qui vous aime en père, et qui veut toujours prendre soin de vous. J'avoue que notre salut est entre ses mains, et qu'il dépend même bien plus de lui que de nous. Mais n'est-ce pas ce qui doit faire le comble de notre joie, de pouvoir dire à Dieu, comme David : In manibus tuis sortes meaœ (2) : c'est entre vos mains, Seigneur, qu'est ma destinée; je ne  dis pas seulement ma fortune temporelle, mais mon éternité. Quand il serait en mon pouvoir de mettre mon sort ailleurs, où pourrais-je le placer plus sûrement qu'entre les mains de ce Dieu également puissant, bon et fidèle? S'il était entre les miennes, où en serais-je? et aussi léger, aussi fragile que je le suis, sur quoi compterais-je,  et où serait ma  confiance et mon appui ? Quelle pensée plus douce pour un chrétien, que de considérer Dieu comme le gardien et le dépositaire de son salut? et pour le pécheur le plus invétéré dans ses désordres, quel fonds d'espérance que cette réflexion qu'il il faire : Mon salut est encore dans les mains de Dieu! Dieu pourrait-il le punir plus sévèrement que de lui abandonner la conduite de cette grande affaire, en l'abandonnant à lui-même? et quand Dieu veut en effet exercer toute la rigueur de sa justice sur une âme libertine, n'est-ce pas ainsi qu'il en use ? N'éprouvons-nous pas, quand  nous sortons de l'état du péché, que le premier mouvement de notre conversion est d'aller trouver en Dieu ce salut que nous avions perdu dans le commerce du monde? Et si les impies veulent nous rendre témoignage de ce qui se passe dans eux, ne seront-ils pas obligés de reconnaître et de confesser que le dernier pas qui les conduit à l'endurcissement, est cette damnable conclusion qu'ils tirent, que désormais il n'y a plus pour

 

1 Petr., V, 7. — 2 Psalm., XXX, 16.

 

eux en Dieu de salut, et qu'il leur serait inutile de l'y vouloir chercher? Il est donc de notre intérêt que le salut dépende de Dieu, et que ce soit lui qui en dispose le premier, par cette préparation de grâces que saint Augustin appelle prédestination.

Mais enfin, dites-vous, les Saints ont tremblé, en considérant ce mystère; et si ce mystère a fait trembler les Saints, pourquoi ne pourra-t-il pas désespérer les pécheurs? Encore un mot pour votre édification : j'achève par la plus invincible de toutes les preuves. J'en conviens, les Saints ont tremblé dans la vue de ce mystère; mais bien loin que ce qui leur a causé tant de frayeur puisse autoriser notre désespoir, je soutiens que c'est ce qui le condamne ; et la raison en est sensible. Car ils n'ont tremblé que parce qu'ils savaient que ce mystère, outre la dépendance infinie qu'il a de Dieu, avait encore un enchaînement nécessaire avec leur liberté, et qu'ils ont envisagé leur liberté comme la source de tous les dérèglements. Or, cela même, c'est ce qui rend notre désespoir inexcusable par rapporta notre salut : pourquoi? parce que du moment que notre liberté y entre, il s'ensuit toujours que si nous nous perdons, ce n'est que parce que nous le voulons. Notre libertinage voudrait n'en pas convenir, et un de ses artifices est de nous faire croire, par exemple, qu'il est impossible de se sauver dans le monde, au moins dans certaines conditions du monde, pour avoir droit de se porter à tout, et pour se maintenir dans la possession de tout entreprendre et de tout faire. Mais Dieu, Chrétiens , renverse bien ce prétexte, par la menace foudroyante qu'il fait aux impies dans l'Ecriture : Vocavi, et renuistis : ego quoque in interitu vestro ridebo (1). Car il ne dit pas : Je vous ai appelés, et vous n'avez pu me suivre : paroles qui, tout Dieu qu'il est, le rendraient responsable de notre perte, et nous donneraient en quelque sorte gain de cause contre lui ; mais : Je vous ai appelés, et vous n'avez pas voulu venir à moi, c'est-à-dire, vous ne l'avez pas voulu efficacement, vous ne l'avez pas voulu absolument, vous ne l'avez pas voulu constamment, vous ne l'avez pas voulu de la manière dont vous aviez coutume de vouloir les choses, quand vous les vouliez de bonne foi. Or, supposez qu'il ait tenu à nous de le vouloir, quel sujet avions-nous donc, ou avons-nous encore de désespérer? Si pour devenir grands et riches nous n'avions qu'à le vouloir, qui désespérerait de l'être ? Voyez, mon Frère, dit saint

 

1 Prov., V, 7.


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Augustin, si vous pouvez vous plaindre dans un point où l'on n'exige rien de vous, sinon que vous le vouliez ? Vide si labor est, ubi velle satis est ? Le désespoir des damnes est de penser : Je le pouvais, et je ne l'ai pas voulu. Que dis-je ? leur désespoir ne vient pas seulement de là, il vient de penser : Je le pouvais alors, mais je ne l'ai pas voulu ; et maintenant que je le voudrais, je ne le puis plus. Or, notre condition dans cette vie n'est jamais telle, car nous ne pouvons jamais dire : Je le veux et ne le puis pas ; mais nous devons toujours dire avec certitude : Je le puis encore par la grâce de mon Dieu, et il ne s'agit pour moi que de le vouloir.

Voilà, mes chers auditeurs, par où Dieu confondra un jour nos désespoirs, ou plutôt ces honteux relâchements dont le désespoir que je combats est le principe. En vain nous retrancherons-nous sur les difficultés du salut : Vous le pouviez, nous répondra Dieu, mais vous ne l'avez pas voulu; et bien loin que ce prétexte d'une impossibilité prétendue de se sauver dans le monde nous rende moins coupables devant lui, ce sera, dit saint Chrysostome, le premier chef de notre condamnation. Car le premier de tous nos devoirs était de savoir, de croire, d'être bien persuadés que nous pouvions nous sauver dans le monde, et dans la condition du monde où Dieu nous avait engagés. De nous être donc figuré que nous ne le pouvions pas, et d'avoir par là ruiné toute l'espérance chrétienne, de nous être par là réduits nous-mêmes à un abandon criminel, c'est par où Dieu commencera notre jugement.

Nous voulons le salut : car où fut jamais l'insensé qui ne le voulût pas? mais nous le voulons d'une volonté générale et indéterminée : on s'en tient à des désirs vagues, sans descendre jamais aux moyens. Nous le voulons d'une volonté faible et lâche : le moindre obstacle nous arrête, et les plus légères difficultés nous rebutent. Nous le voulons d'une volonté inefficace et sans action : dès qu'il faut mettre la main à l'œuvre et travailler, nous assujettir à certains devoirs indispensables, à certaines pratiques, à certaines règles, le courage nous manque, et nous nous rendons. Nous le voulons d'une volonté étroite et bornée ; nous sommes prêts à prendre telle et telle voie, à faire telle et telle chose, mais rien au delà.

Est-ce ainsi , nous dira Dieu , que vous vouliez tout le reste ? Est-ce ainsi que vous vouliez la guérison d'une maladie mortelle? Est-ce ainsi que vous vouliez le gain d'un procès ? Combien de ces volontés stériles et sans effet Dieu ne réprouvera-t-il pas, en les rejetant comme de fausses volontés ? Pilate voulait sauver Jésus-Christ : en sera-t-il cru pour dire : Je le voulais ? Hérode voulait épargner Jean-Baptiste : osera-t-il dire qu'il le voulut comme il fallait le vouloir? Ce jeune homme de l'Evangile voulait être parfait; mais le voulait-il quand il s'en retourna triste el affligé après l'avis que lui donna le Sauveur du monde? Non, non, Chrétiens, ne nous flattons pas, en disant que nous voulons nous sauver ; c'est en imposer à Dieu et nous démentir nous-mêmes, puisqu'au même temps nous nous rendons malgré nous mille témoignages secrets que le salut est de toutes les choses du monde celle que nous voulons moins, et que nous nous efforçons moins de vouloir.

Et c'est ici qu'il faut encore vous découvrir une autre erreur que vous n'avez peut-être jamais remarquée, mais dont vous conviendrez sans peine, pour peu que vous vous appliquiez à la comprendre. Car que faisons-nous ? Excellente réflexion de saint Chrysostome, et qui vaut une prédication tout entière ! Que faisons-nous? le voici : Dieu nous déclare en mille endroits de l'Ecriture, et dans les termes les plus exprès, qu'il nous veut sauver : Qui vult omnes homines salvos fieri (1) ; et en mille endroits de l'Ecriture il nous reproche dans les mêmes termes que nous ne le voulons pas : Quoties volui congregare filios tuos, et noluisti (2) ? Mais nous, par une obstination bizarre, nous tâchons à nous persuader que nous le voulons, et nous prétendons que c'est Dieu qui ne le veut pas. Au lieu de douter de nous-mêmes, et de nous tenir sûrs de lui, nous nous défions de lui,et nous nous répondons de nous. Nous cherchons des subtilités pour nous prouver qu'il ne le veut pas, lorsqu'il le veut; et nous sommes ingénieux à nous faire accroire que nous le voulons, lorsqu'il est constant que nous ne le voulons pas. Mais à quoi se terminent l'un et l'autre? à une négligence totale et absolue de tout ce qui regarde le salut. Cependant il sera toujours vrai, quoi que nous fassions, que notre perte vient de nous , de nous, dis-je , librement et volontairement; que c'est nous qui avons péché, nous qui nous sommes égarés, nous qui nous sommes précipités dans l'abîme.

Ah! mes chers auditeurs, n'entrons point tant dans ces questions impénétrables de la grâce, et dans ce ténébreux mystère de la prédestination ; mais tenons-nous-en à ce qu'il a

 

1 1 Cor., IX, 22; 1 Tim., II, 4. — 2 Matth., XXIII, 37.

 

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plu à Dieu de nous révéler. C'est un mystère qui a servi de fonds aux hérésies, faisons-en pour nous un mystère de foi ; c'est un mystère où l'on a donné aisément dans l'erreur, attachons-nous aux décisions de l'Eglise ; c'est un mystère dont les libertins se sont prévalus pour demeurer dans leurs dérèglements, servons-nous-en pour nous exciter à la pratique des bonnes œuvres. Portons même encore, s'il le faut, la chose plus loin et à une extrémité tout opposée, et disons comme ce solitaire, attaqué d'une violente tentation de désespoir : Eh bien ! si je suis réprouvé, au moins je glorifierai Dieu dans cette vie. Mais pourquoi le penserais-je de la sorte, puisque Dieu me commande d'espérer en lui, puisqu'il m'a obligé de l'invoquer comme mon Sauveur, puisqu'il m'invite à la pénitence, puisqu'il me punit si je ne la fais pas, et que par là il m'apprend que je puis la faire si je le veux, et me sauver? Voilà ce que je ne puis ignorer, ce que je reconnais, et ce qu'il me suffit de connaître pour me soutenir, pour m'animer, pour m'encourager.

Il n'y a donc point d'état dans la vie où l'on doive désespérer de son salut; car la vie présente est la voie du salut ; et tandis que je suis dans la voie, je puis toujours arriver au terme, parce que j'ai toujours tous les moyens nécessaires pour y parvenir, que je puis toujours les prendre, et que je n'ai qu'à le vouloir, et à le bien vouloir. Autrement, pourquoi Dieu me demanderait-il si je veux être guéri : Vis sanus fieri (1) ? David devient tout à la fois coupable et d'un meurtre et d'un adultère; cependant tout coupable qu'il est, il ne perd pas pour cela toute espérance. Que dis-je? au lieu qu'avant péché il appelait Dieu seulement son souverain et son roi : Rex meus et Deus meus (2), après son péché , comme remarque saint Augustin, il lui parle d'une manière plus tendre : Mon Dieu et ma miséricorde : Deus meus, misericordia mea (3). Sur quoi ce Père s'écrie : O nom de consolation et de confiance ! ô nom qui ne me permet pas de me défier jamais de mon Dieu ! O nomen sub quo nemini fas est desperare !

Ce qui lit le malheur de Judas, et ce qui le damna, ce ne fut pas précisément sa trahison, mais son désespoir. Il pouvait être un apostat, mi sacrilège, un traître, et devenir ensuite un prédestiné ; comme saint Pierre , de déserteur et de blasphémateur , devint le prince des apôtres et le chef de l'Eglise. Ce qui mit entre 1

 

1 Joan., V, 6. — 2 Psalm., V, 3. — 3 Ibid., LVIII, 18.

 

ces deux pécheurs une différence si essentielle, ce ne fut pas le péché , mais la vraie pénitence de l'un et la fausse pénitence de l'autre , mais la confiance de l'un et la défiance de l'autre. Si Judas eût espéré comme saint Pierre, ce serait actuellement un saint comme lui ; et si saint Pierre eût désespéré comme Judas, ce serait actuellement comme lui un réprouvé. L'un crut qu'il y avait encore pour lui un fonds de miséricorde, et voilà le commencement de sa prédestination ; mais l'autre crut qu'il n'y avait plus de pardon pour lui, et voilà sa condamnation. Grande leçon pour vous-mêmes, Chrétiens; écoutez-là. Bien loin qu'il vous soit permis de désespérer des bontés de Dieu, ce désespoir est un nouveau crime que vous ajoutez aux autres. Car, dans quelque abîme que vous vous soyez plongés, il y a toujours un précepte qui vous oblige à vous confier en Dieu. Plus même vous êtes pécheurs, plus devez-vous redoubler votre confiance, et dire avec David : Ah! Seigneur, usez envers moi de miséricorde, et de votre grande miséricorde : Secundum magnam misericordiam tuam (1). Ce qui a perdu Judas, c'est ce qui perd encore tous les jours certains pécheurs du siècle. Je dis certains pécheurs, et non pas tous les pécheurs ; car les pécheurs ordinaires se perdent par un excès d'espérance, mais les insignes pécheurs, les libertins et les impies se perdent par un défaut d'espérance. Et tel est l'artifice du démon : il ôte aux uns la vraie confiance, et aux autres la vraie crainte; et à la place de cette vraie crainte, de cette vraie confiance, il donne à ceux-là une fausse confiance, et à ceux-ci une fausse crainte.

Apprenez-moi donc, ô mon Dieu, à bien ménager ces deux sentiments, la confiance et la crainte : la confiance sans la crainte m'emportera au-dessus de moi, et me rendra présomptueux; et la crainte sans la confiance m'éloignera de vous, et me rendra pusillanime. Apprenez-moi comment je dois craindre en espérant, et espérer en craignant: craindre votre justice, mais au même temps espérer en votre miséricorde ; espérer en votre miséricorde , mais au même temps craindre votre justice. Le Seigneur n'a parlé qu'une fois, disait le Prophète royal : il n'a prononcé qu'une parole, et j'en ai entendu deux; savoir, qu'il est tout-puissant et plein de miséricorde : Semel locutus est Deus, duo hœc audivi : quia potestas tibi est et misericordia (2). Que veut dire cela, demande

 

1 Psalm., L, 3. — 2 Ibid., LXI, 13.

 

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saint Augustin ? Il est vrai, répond ce Père, que nous Dieu n'a jamais produit qu'une parole au-dedans de lui-même , qui est son Verbe , mais ce Verbe, cette parole sortie de Dieu nous a fait entendre deux voix, celle de la miséricorde et celle de la justice : Misericordiam, qua plena est terra; et justitiam, qua reddet unicuique secundum opera sua. La voix de la justice menace, et la voix de la miséricorde nous rassure. L'une et l'autre, par cet admirable tempérament de confiance et de crainte, nous conduit dans le chemin de l'éternité bienheureuse que je vous souhaite, etc.

 

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