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SERMON POUR LE DIMANCHE DE LÀ CINQUIÈME SEMAINE.
SUR LA PAROLE DE DIEU.

 

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ANALYSE.

 

Sujet. Celui qui est de Dieu entend la parole de Dieu.

 

Il n'est rien de plus efficace et de plus fort que la parole de Dieu. Mais puisque c'est par elle que Dieu a opéré tant de miracles dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce, d'où vient qu'elle est aujourd'hui si stérile dans le christianisme! d'où vient même qu'au lieu de nous être salutaire, elle a tous les jours un effet tout opposé, et que souvent elle est le sujet de notre condamnation? Voilà ce que nous avons à examiner dans ce discours.

Division. Si la parole de Dieu ne produit plus présentement les mêmes fruits qu'elle produisait autrefois, ce n'est ni à celle sainte parole qu'il faut s'en prendre, ni aux prédicateurs qui la débitent, mais aux chrétiens qui l'écoutent. Ce n'est point à la parole de Dieu, puisqu'elle est toujours la même. Ce n'est point aux prédicateurs qui la débitent, puisque son efficace n'est attachée ni à leurs talents, ni à leur sainteté. Par conséquent, c'est aux chrétiens qui l'écoutent et qui lui opposent trois obstacles bien ordinaires, savoir : le dégoût de la parole de Dieu, l'abus de la parole de Dieu, et une résistance volontaire à la parole de Dieu. Sur quoi je fais trois propositions, et je dis : que le dégoût de la parole de Dieu est un des plus terribles châtiments que doive craindre un chrétien : première partie ; que l'abus de la parole de Dieu est un des désordres les plus essentiels que puisse commettre un chrétien : deuxième partie ; enfin, que la résistance à la parole de Dieu est une des plus prochaines dispositions a l'endurcissement et à la réprobation d'un chrétien : troisième partie.

Première partie. Le dégoût de la parole de Dieu est un des plus terribles châtiments que doive craindre un chrétien. C'est par sa parole que Dieu a sanctifié le monde, et c'est par sa parole encore qu'il le veut sanctifier. Ce que saint Paul a dit de la foi, qu'elle n'est venue que de ce qu'on a entendu, et qu'on n'a entendu que parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée, nous pouvons le dire de la pénitence à l'égard des pécheurs, et de la persévérance à l'égard des justes. On ne se convertit, ou l'on ne persévère dans une vie chrétienne, que parce qu'on se sent touché des vérités éternelles ; et ces vérités sont la parole de Dieu que l'on entend. D'où il s'ensuit qu'un des plus grands malheurs pour nous est de tomber dans le dégoût de cette divine parole.

Ceci suffirait pour établir ma première proposition ; mais je vais plus loin. Si je voulais examiner les principes de ce dégoût, je vous ferais aisément reconnaître qu'il vient dans les uns d'un orgueil secret, dans les autres d'un fonds de libertinage, dans ceux-ci d'un attachement honteux aux plaisirs des sens, dans ceux-là d'une insatiable cupidité des biens temporels. Mais contentons-nous d'en voir les malheureuses conséquences. Car que fait ce dégoût de la sainte parole? 1° Il nous en éloigne ; 2° il nous rend incapables d'en profiter. Double châtiment de Dieu.

1° Ce dégoût nous éloigne de la parole de Dieu, premier châtiment. Figure des Juifs qui se dégoûtèrent de la manne, et qui ne la recueillaient plus qu'avec dédain : effet de la vengeance du Seigneur, selon la remarque d'Origène et de saint Jérôme. Ainsi la parole de Dieu est la vraie manne ; et quand autrefois nous étions dans l'ordre, nous la goûtions, nous la cherchions : mais maintenant que nous avons engagé Dieu à se tourner contre nous, nous la négligeons et nous refusons de l'entendre.

2° Ce dégoût nous rend incapables de profiter de la parole de Dieu, autre châtiment. Car pour bien profiter d'une viande, il faut l'aimer et la goûter. Surtout, pour profiter de la parole de Dieu, il faut que Dieu y ajoute l'onction de sa grâce; et quand Dieu voit le mépris que nous faisons de sa parole, il nous laisse dans notre indifférence, sans se faire sentir intérieurement à nous.

Vous me direz que ce dégoût n'est point précisément un dégoût de la parole de Dieu, mais de la parole de Dieu mal annoncée. Et moi je réponds : S'il était vrai, comme vous le prétendez, qu'il n'y eût plus de prédicateurs capables de vous bien annoncer la parole de Dieu, cela même ne serait-il pas une punition visible du ciel ? Cependant nous n'en sommes pas là; et j'ajoute que le châtiment ne consiste pas en ce qu'il n'y ait point de prédicateurs, mais en ce qu'il n'y en ait point selon votre goût dépravé; car c'est à votre égard comme s'il n'y en avait point du tout. Le comble du malheur est que vous ne comprenez pas là-dessus votre malheur. Vous regardez ce défaut de prédicateurs, tels que vous les demandez, comme une preuve de la finesse et de la justesse de votre esprit ; mais Dieu sait bien confondre cette prétendue finesse et cette fausse justesse par elle-même, en permettant qu'elle serve d'obstacle à un nombre infini de grâces dont votre salut dépend. Heureux, mon Dieu, ces cœurs dociles qui goûtent votre parole, et qui l'écoutent et se mettent en état d'en profiter, parce qu'ils la goûtent!

Deuxième partie. L'abus de la parole de Dieu est un des désordres les plus essentiels que puisse commettre un chrétien. A quoi l'apôtre saint Paul réduisait-il l'abus de la communion ? à ne pas faire un juste discernement du corps de Jésus-Christ, et à manger cette viande céleste comme une viande commune : Non dijudicans corpus Domini. J'applique ceci à mon sujet. Nous commettons mille abus dans l'usage de la parole de Dieu ; mais l'abus capital est que nous ne faisons pas le discernement nécessaire de cette adorable parole ; c'est-à-dire que nous ne l'écoutons pas comme parole de Dieu, mais comme parole des hommes; et voilà ce que j'appelle un désordre : 1° désordre par rapport à Dieu ; 2° désordre par rapport à nous-mêmes.

1° Désordre par rapport à Dieu. Quand vous ne faites pas un juste discernement du corps de Jésus-Christ, vous le profanez; et, par la même règle, je dis que vous profanez la parole de Dieu, quand vous ne savez pas la discerner de la parole de l'homme. Ecoulez sur cela saint Augustin. La parole de Dieu, dit ce Père, n'est rien à notre égard de moins précieux que le corps de Jésus-Christ. D'où il tire cette conclusion, que celui-là donc n'est pas dans un sens moins criminel envers Dieu, qui abuse de cette parole et qui la profane, que s'il profanait le corps du Sauveur. C'est néanmoins ce qui arrive tous les jours. Si l'on entendait la parole de Dieu comme parole de Dieu, on l'entendrait avec recueillement, avec respect, avec humilité, avec attention, avec un esprit et un cœur docile : au lieu qu'on l'entend avec des dispositions toutes contraires.

2° Désordre par rapport à nous-mêmes. Comment? c'est qu'en abusant de la parole de Dieu et en la profanant, nous nous la rendons inutile. Car la parole de Dieu, reçue comme parole de l'homme,  ne peut produire que des effets proportionnés à la

 

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vertu de la parole de l'homme. Or, la parole de l'homme n'est d'elle-même pour le salut qu'un vain instrument. C'est pourquoi saint Paul félicitait les Thessaloniciens de ce qu'ils avaient reçu la parole de Dieu, non comme parole d'un homme, mais comme parole de Dieu. Voilà, leur disait-il, la source des bénédictions que Dieu a répandues sur votre Eglise. Au contraire, dans cette ville de Lycaonie, où saint Barnabé et saint Paul furent écoutés avec tant d'applaudissement qu'on voulait leur offrir de l'encens, leurs prédications ne firent aucun fruit : pourquoi ? parce qu'on écoutait ces deux apôtres et qu'on les admirait comme hommes. Ainsi tant de mondains admirent quelquefois le prédicateur, mais ne se convertissent pas. C'est ce que faisaient les Juifs lorsque le prophète Ezéchiel leur annonçait les calamités dont Dieu devait bientôt les affliger. Ils couraient en foule l'entendre, ils lui applaudissaient ; mais ils ne pratiquaient rien de ce qu'il leur enseignait : Audiunt verba tua, et non faciunt ea.

Aussi est-il de l'honneur de Dieu que la conversion des âmes, qui est le grand ouvrage de sa grâce, ne soit pas attribuée à la parole des hommes, ni même à la sienne, confondue avec celle des hommes. Pour vous punir, il ne vous laissera de sa parole que ce qu'elle a de spécieux et d'agréable : mais ce qu'elle a de solide et d'avantageux, il le donnera à ces âmes choisies qui ne cherchent dans sa parole que sa parole même. Et qui sommes-nous, mes Frères, pour mériter que vous vous occupiez de nous ? Ce n'est pas que vous ne puissiez choisir tel prédicateur préférablement à l'autre. Mais sur cela voici deux avis importants que vous devez suivre : 1° entre les ministres de Jésus-Christ, ne préférez pas tellement l'un que vous méprisiez les antres, car ils sont tous envoyés de Dieu ; 2° n'ayez égard, dans le choix que vous faites, qu'à votre avancement spirituel et à voire perfection.

Troisième partie. La résistance à la parole de Dieu est une des plus prochaines dispositions à l'endurcissement et à la réprobation d'un chrétien. Il y a des choses qui ne peuvent être inutiles sans devenir préjudiciables, et telle est la parole de Dieu. Le Saint-Esprit l'appelle tout à la fois une viande et une épée : une viande, selon la remarque de saint Bernard, pour ceux qui en profilent; et une épée dont les coups sont mortels, pour ceux qui n'en profitent pas. C'est ainsi que cette parole a toujours son effet, ou effet de miséricorde, ou effet de justice : Non revertetur ad me vacuum. Or, quels sont ces effets de justice attachés pour nous à la parole de Dieu, quand nous lui résistons? 1° Endurcissement du pécheur; 2° condamnation du pécheur.

1° Endurcissement du pécheur. Exemple de Pharaon : il résista à la parole de Dieu, en résistant à la parole de Moïse; et Dieu lui endurcit le cœur, ou plutôt il s'endurcit lui-même le cœur, par son opiniâtre résistance.

2° Condamnation du pécheur. Car plus le talent qu'on lui avait mis dans les mains était précieux, plus est-il criminel de n'en avoir fait nul usage. Dieu lui en demandera compte dans son jugement dernier, et deux sortes de personnes s'élèveront contre lui : auditeurs qui auront honoré la divine parole, et prédicateurs qui la lui auront annoncée. Ah ! Seigneur, serai-je donc employé à ce triste ministère ? Après avoir été le prédicateur de cet auditoire chrétien, en serai-je l'accusateur ? Non, mon Dieu; mais dès maintenant j'aurai recours, et pour eux et pour moi, au tribunal de votre miséricorde. Je vous supplierai de répandre sur nous l'abondance de vos grâces, afin que, par la vertu de votre grâce, votre parole nous soit une parole de sanctification.

 

Qui ex Deo est, verba Dei audit.

 

Celui qui est de Dieu, entend la parole de Dieu. (Saint Jean, chap. VIII, 47.)

 

Sire,

 

Il n'est rien de plus efficace et de plus fort que la parole de Dieu. Je ne dis pas seulement cette parole conçue dans Dieu même, et par laquelle Dieu se parle à lui-même, qui est le Verbe incréé ; mais celle que Dieu produit au dehors, et qu'il fait entendre à ses créatures, soit qu'il la leur adresse immédiatement, ou qu'il se serve pour cela du ministère des hommes qui en sont les organes et les interprètes. C'est cette parole que Salomon, dans le livre de la Sagesse, a appelée toute-puissante : Omnipotens sermo tuus (1). Et en effet, à voir ce qu'elle a opéré, soit dans l'ordre de la nature ou dans celui de la grâce, rien ne lui convient mieux que ce caractère de toute-puissance. Car c'est elle, dit l'Ecriture, qui, par un pouvoir souverain, a tiré tous les êtres du néant; quia affermi les cieux, qui a donné à la terre sa consistance et sa fécondité. C'est elle, selon l'expression de saint Paul, qui appelle les choses qui ne sont pas et qui n'ont jamais été, comme si elles étaient ; qui en ressuscitant les morts, fera sentir un jour sa vertu à celles qui

 

1 Sap., XVIII, 15.

 

ne sont plus, et qui, sans aucune résistance, leur fait prendre, tandis qu'elles sont, tous les mouvements qu'il plaît à Dieu, leur créateur, de leur imprimer; en sorte qu'il n'y en a pas une, ajoute saint Augustin, qui, par quelque prodige extraordinaire, n'ait rendu hommage à cette adorable parole.

A peine fut-elle sortie de la bouche de Josué, que le soleil arrêta sa course. Moïse ne l'eut pas plutôt prononcée, que les eaux devinrent immobiles. Le ciel s'ouvrit et se ferma, à mesure qu'elle fut employée par Elie ; on vit la mer s'humilier et les tempêtes se calmer, au moment que Jésus-Christ parla. Voilà ce que peut dans la nature la parole de Dieu. Mais ce n'est rien encore, j'ose le dire, en comparaison des miracles éclatants qu'elle a faits dans l'ordre de la grâce. Car, c'est cette même parole qui a converti et sanctifié le monde, qui a triomphé de l'idolâtrie, qui a dompté le vice et l'impiété, qui a brisé les cèdres du Liban, et abattu l'orgueil des puissances de la terre : Vox Domini confringentis cedros (1). C'est elle qui, annoncée par douze pêcheurs, s'est fait entendre par tout l'univers ; qui, sans nul artifice et sans nul secours de l'éloquence humaine, a persuadé les philosophes, a confondu les libertins, a

 

1 Psalm., XXVIII, 5.

 

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convaincu les athées ; en un mot, qui, par la seule force de la vérité, a engendré, pour m'ex-primer avec l'apôtre saint Jacques, des millions de fidèles à Jésus-Christ : Voluntarie enim genuit nos verbo veritatis (1) . D'où vient donc, demande saint Chrysostome, que cette parole, toute féconde et toute divine qu'elle est, paraît aujourd'hui si faible et si stérile dans le christianisme? D'où vient que le saint ministère de la prédication, qui, dans le cours naturel de la Providence, devrait produire des fruits si abondants, par une malheureuse fatalité, est devenu à notre confusion un des emplois, ce semble, les plus inutiles ? D'où vient même que la parole du Seigneur, bien loin d'être salutaire pour nous, a tous les jours un effet tout opposé ; et qu'au lieu d'être le principe de notre conversion, elle devient, par un jugement de Dieu bien redoutable, le sujet de notre condamnation? C'est ce que j'entreprends d'examiner dans ce discours. Je veux vous découvrir la source d'où procède un mal si pernicieux, et en vous la faisant connaître, vous mettre en état d'y apporter les remèdes nécessaires. Il s'agit, ô Esprit saint! de justifier votre parole. Répandez sur moi vos lumières, afin qu'à la faveur de vos lumières je puisse pénétrer dans les cœurs, et y graver profondément les grandes vérités que cette matière m'engage à traiter. C'est la grâce que je vous demande par l'intercession de Marie. Ave, Maria.

 

Il est constant, Chrétiens, que jamais la parole de Dieu n'a été plus souvent annoncée dans le christianisme qu'elle l'est de nos jours ; mais il est également vrai que ce bon grain semé dans le champ de l'Eglise n'y fut jamais plus stérile, et que jamais les chrétiens n'en ont tiré moins de fruit. Il n'est point maintenant de prédicateurs de l'Evangile qui ne puissent se plaindre à Dieu, et lui dire avec Isaïe : Domine, quis credidit auditui nostro (2) ? Seigneur, c'est votre parole que nous avons prêchée ; nous avons paru dans le monde comme vos ambassadeurs ; on nous a reçus, et reçus même avec honneur ; mais s'est-il trouvé quelqu'un qui nous ait donné créance? Après nous être épuisés pour représenter de votre part les vérités éternelles, quel en a été le succès ? Nous avons pu quelquefois remuer les consciences, exciter dans les cœurs la crainte de vos jugements ; mais, du reste, quel changement avons-nous vu dans les mœurs, et à quoi avons-nous pu connaître l'effet de votre sainte parole ?

 

1 Jac, 1,18. — 2 Isa., LIII, 1.

 

Voilà, mes chers auditeurs, ce qui faisait autrefois l'étonnement des prophètes, et ce qui fait encore le mien. Je demande d'où peut venir cette inutilité de la parole de Dieu, et à qui elle doit être imputée ? Est-ce à la parole même de Dieu ? est-ce aux prédicateurs qui la débitent ? est-ce aux chrétiens qui l'écoutent? car il faut par nécessité que ce soit à l'un de ces trois principes. Or, de vouloir en accuser la parole de Dieu même, ce serait une injustice ; car elle n'est pas moins puissante aujourd'hui qu'elle l'a été du temps des apôtres. De dire qu'elle s'est altérée dans la succession des siècles, ce serait tomber dans l'erreur de nos hérétiques. L'Eglise, dit Cassiodore, a toujours conservé et conservera jusqu'à la consommation des temps la parole de Dieu aussi pure que la foi. Nous prêchons le même Evangile que saint Pierre prêchait, lorsque dans un seul discours il convertit trois mille auditeurs; et quand le Saint-Esprit descendit visiblement sur les fidèles qui entendaient la parole de Dieu, comme il est rapporté par saint Luc, ce n'était pas une autre parole que celle dont nous vous faisons part tous les jours, et que vous écoutez dans nos temples. Quoi donc ! sont-ce les prédicateurs qui causent ce désordre? J'avoue, Chrétiens, que tous ne la dispensent pas avec les mêmes dispositions ni la même édification. J'avoue qu'il s'en est trouvé, comme dit l'Apôtre, qui l'ont retenue captive; qu'il s'en trouve encore qui la rendent mercenaire, et qui, par une espèce de simonie, en trafiquent pour acheter je ne sais quel crédit et une vainc réputation dans le momie. J'avoue même que quelques-uns ont déshonoré le saint ministère par le dérèglement de leurs mœurs ; semblables à ces pharisiens qui enseignaient, mais qui ne pratiquaient pas : Dicunt, et non faciunt.

Mais, après tout, ce n'est ni au mérite ni à la sainteté des prédicateurs que l'efficace de la parole de Dieu est attachée ; elle opère par sa propre vertu ; et elle a même cet avantage sur les sacrements, qu'elle ne dépend point de l'intention de ses ministres. S'ils la profanent, ils se pervertissent eux-mêmes; mais, eu se pervertissant , ils ne laissent pas de sanctifier les autres ; et l'on peut dire de cette divine parole ce que saint Augustin disait du baptême conféré par les schismatiques : il est nuisible à ceux qui le donnent mal, et il est profitable à ceux qui le reçoivent bien : Nocet indigne tractantibus, sed prodest digne suscipientibus. Si donc, mes Frères, la parole de

 

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Dieu fructifie si peu parmi vous, c'est à vous-mêmes que vous devez vous en prendre ; et pour en venir à mou dessein, je trouve dans la plupart des chrétiens trois obstacles bien ordinaires à la prédication de l'Evangile : savoir, le dégoût de la parole de Dieu, l'abus de la parole de Dieu, enfin une résistance volontaire à la parole de Dieu ; et ce sont ces trois obstacles que j'entreprends ou de lever, ou du moins de combattre dans ce discours. Le dégoût de la parole de Dieu, qui se rencontre particulièrement dans les âmes lâches ; l'abus de la parole de Dieu, où tombent communément les anus vaincs ; la résistance à la parole de Dieu, qui est le caractère des pécheurs. Or, suivant l'ordre et le partage de ces obstacles ainsi distingués, j'avance trois propositions qui renferment un grand fonds d'instruction et de morale. Car je dis que le dégoût de la parole de Dieu est une des plus terribles punitions que doive craindre un chrétien; c'est la première partie. Je dis que l'abus de la parole de Dieu est un des désordres les plus essentiels que puisse commettre un chrétien ; c'est la seconde. Je dis que la résistance à la parole de Dieu est une des plus prochaines dispositions à l'endurcissement et à la réprobation d'un chrétien ; c'est la troisième. Les premiers ne l'écoulent point, parce qu'ils s'en dégoûtent; les seconds l'écoutent, mais non point comme parole de Dieu, et en cela ils en abusent. Les derniers l'écoutent, et l'écoutent même comme parole de Dieu, mais ne la veulent point pratiquer, et c'est ainsi qu'ils y résistent. De là, par une règle toute contraire, je veux conclure avec Jésus-Christ : Beati qui audiunt verbum Dei, et custodiunt illud (1); Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la pratiquent! En trois mots : dégoût de la parole de Dieu, opposé à la béatitude de ceux qui l'écoutent : Beati qui audiunt. Abus de la parole de Dieu, opposé au bonheur de ceux qui l'écoutent comme parole de Dieu : Beati qui audiunt verbum Dei. Résistance à la parole de Dieu, opposée au mérite et à l'avantage de ceux qui l'écoutent comme parole de Dieu et qui la pratiquent : Beati qui audiunt verbum Dei, et custodiunt illud. C'est tout le sujet de votre attention. Commençons.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Je vous l'ai dit, Chrétiens, et il est vrai, c'est par la parole de Dieu qu'il a plu à la Providence de sanctifier le monde. Voilà le moyen

 

1 Luc, XI, 28.

 

que Dieu a choisi, et l'instrument dont il s'est servi pour la conversion des âmes. Il pouvait y en employer d'autres ; mais, dans le cours ordinaire et même naturel de sa sagesse, il s'est en quelque sorte borné à celui-là. En effet, dit le grand Apôtre, la foi n'est venue que de ce qu'on a entendu; et l'on n'a entendu que parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée : Fides ex auditu, auditus autem per verbum Christi (1) Or, ce qu'il disait alors de la loi à l'égard des infidèles, je puis le dire de la pénitence à l'égard des pécheurs, et de la persévérance à l'égard des justes : on ne se convertit et l'on ne change de vie que parce qu'on se sent touché des vérités éternelles; et ces vérités sont la parole de Dieu que l'on entend ; parole qui, publiée et légitimement annoncée par les ministres de l'Evangile, frappe d'abord nos oreilles; mais pénètre ensuite jusque dans nos cœurs, et en remue les plus secrets ressorts ; parole, ajoute excellemment saint Augustin , qui sert de disposition et comme de véhicule à toutes les inspirations et à toutes les grâces intérieures que Dieu veut répandre sur nous ; parole qu'il nous fait distribuer comme un de ses dons les plus précieux, et qui, par une espèce d'enchaînement, attire encore tous les autres dons à quoi la prédestination de l'homme est attachée. N'est-ce pas ainsi que Dieu en a toujours usé ; et en consultant les oracles de l'Ecriture, ou plutôt l'expérience de tous les siècles, trouve-t-on que les hommes soient jamais sortis des ténèbres du péché, et parvenus à la lumière de la grâce, par une autre voie que par celle de la parole qu'ils avaient entendue? D'où je conclus qu'un des plus grands malheurs que l'homme chrétien ait à craindre, disons mieux, qu'une des punitions de Dieu les plus visibles dont l'homme chrétien doive se préserver, est de tomber dans le dégoût de cette sainte parole. Car, quel malheur pour moi que de concevoir du dégoût pour ce qui doit me convertir, pour ce qui doit me sauver, pour ce qui doit m'affectionner à mes devoirs, pour ce qui doit guérir mes faiblesses, pour ce qui doit corriger mes erreurs, pour ce qui doit me ranimer si je suis tiède, pour ce qui doit m'éclairer si je suis aveugle, pour ce qui doit me nourrir si je suis vivant, pour ce qui doit me ressusciter si je suis dans un état de mort ! et ne sont-ce pas là les effets de la parole de Dieu ?

Ceci, Chrétiens, suffirait pour établir ma première proposition. Mais parce que vous

 

1 Rom., X, 17.

 

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attendez que je vous en donne une intelligence plus parfaite, appliquez-vous à ce que je vais vous dire. Je n'examine point ici les sources d'où peut procéder ce dégoût si commun dans le christianisme, et si pernicieux. Si j'en voulais rechercher le principe, je vous ferais aisément reconnaître qu'il vient dans les uns d'un orgueil secret, dans les autres d'un fonds de libertinage ; dans ceux-ci d'un attachement honteux aux plaisirs des sens, dans ceux-là d'une insatiable cupidité des biens temporels. Car le moyen, dit saint Chrysostome, de goûter une parole qui ne prêche que l'humilité, que l'austérité, que la pauvreté évangélique, tandis qu'on est ambitieux, sensuel, intéressé? Comment goûter ce qui remet sans cesse devant les yeux l'obligation indispensable de haïr et de fuir le monde, tandis qu'on a l'esprit et le cœur préoccupés de l'amour du monde? Voilà, dis-je, de quoi je vous ferais convenir, et par où vous verriez que ce dégoût de la parole de Dieu est de la nature de ces choses qui, selon la doctrine des Pères, sont tout à la fois dans nous péché et peine de péché, c'est-à-dire de ces choses pour lesquelles Dieu nous punit, et par lesquelles il nous punit. Réflexion qui confondrait au moins notre infidélité , lorsque nous prétendons sur ce point nous justifier aux dépens de Dieu, puisqu'il est évident que tous les principes d'où naît le dégoût de sa parole sont, par rapport à nous, autant de principes volontaires, et par là même autant de sujets de condamnation. Cependant, sans entreprendre de les approfondir, contentons-nous d'en voir les malheureuses conséquences. Car que fait ce dégoût de la divine parole? il nous en éloigne, et il nous rend incapables d'en profiter. Or, l'un et l'autre est également à craindre, parce que l'un et l'autre est un des plus rigoureux châtiments que Dieu exerce sur un pécheur, quand il le livre dès cette vie à la sévérité de sa justice.

Savez-vous, Chrétiens (ceci mérite votre attention, et sous une figure sensible va vous découvrir un des plus importants secrets de la prédestination et de la réprobation des hommes), savez-vous par où la colère de Dieu commença à éclater sur les Israélites, et par où ces esprits rebelles commencèrent eux-mêmes à s'apercevoir qu'ils avaient irrité contre eux le Seigneur? L'Ecriture nous l'apprend : ce fut par le dégoût qu'ils conçurent pour la manne. Je m'explique. Cette manne tombait du ciel, et c'était l'aliment dont Dieu les avait pourvus dans le désert, et qu'il prenait soin lui-même de leur distribuer chaque jour à proportion de leurs besoins. Nourriture qui les maintenait tous dans une santé parfaite ; en sorte, dit le texte sacré, qu'on ne voyait point dans leurs tribus de malades : Et non erat in tribubus eorum infirmas (1). Nourriture qui, toute simple qu'elle était, avait néanmoins les qualités les plus rares ; qui, par une merveille bien surprenante, s'accommodait à tous les goûts, et qui, sans nul autre assaisonnement, leur tenait lieu des mets les plus exquis. Mais qu'arrive-t-il ? A peine ont-ils secoué le joug du Dieu d'Israël, et par là obligé le Dieu d'Israël à se retirer d'eux, qu'il leur prend un dégoût de cette viande. Quoiqu'elle soit en substance toujours la même, elle commence à n'avoir plus pour eux le même attrait : ils ne vont plus la recueillir qu'avec dédain, et dans l'usage qu'ils en font ils n'y trouvent plus rien que d'insipide. Etonnés de ce changement, que se disent-ils les uns aux autres? Anima nostra jam nauseat super cibo isto levissimo (2) : Quel prodige ! cette manne autrefois si délicieuse nous est maintenant insupportable. Ils soupirent après des viandes plus matérielles et plus grossières ; et l'Ecriture ajoute qu'au même temps la colère de Dieu s'éleva contre eux : Et ira Dei accendit super eos (3). Comme si la dépravation de leur goût, selon la belle réflexion d'Origène et de saint Jérôme, eût été le premier effet de la vengeance du Seigneur. Or, tout cela, reprend l'Apôtre, n'était que l'ombre de ce qui devait s'accomplir en nous. Car voici, mes chers auditeurs, ce qui se passe tous les jours en je ne sais combien de chrétiens du siècle, et plaise au ciel qu'une funeste expérience ne vous l'ait pas fait connaître ! La parole de Dieu, dit saint Augustin, est la vraie manne, c'est-à-dire la nourriture spirituelle que Dieu nous a préparée, et qui doit être pour nos âmes, suivant le dessein de la Providence, tout ce que la manne du désert était pour les corps. Et en effet, quand autrefois nous étions dans l'ordre et que nous marchions dans les voies de Dieu, cette parole nous soutenait, cette parole nous consolait, cette parole se proportionnait à nos besoins et à nos goûts : nous l'écoutions avec plaisir, nous la recevions avec avidité, nous en sentions la vertu secrète et toute miraculeuse. Mais maintenant que par notre infidélité nous avons engagé Dieu à se tourner contre nous, nous n'éprouvons plus rien de tout cela. Cette parole, toute divine qu'elle est, ne fait plus ni sur nos cœurs ni sur nos esprits nulle impression.

 

1 Psalm., CIV, 37.— 2 Num., XXI, 5.— 3 Psal., LXXVII, 21.

 

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Il ne nous en reste qu'un triste dégoût, qui nous l'ait dire comme les Juifs : Nauseat anima nostra super cibo isto levissimo (1). De là Tient que nous la négligeons et que nous refusons de l'entendre , que nous préférons à ce devoir les plus vains amusements, que tout nous sert de prétexte pour nous en dispenser, que nous regardons ce saint temps du carême comme un temps de fatigue. De là vient, si quelquefois nous y assistons, ou forcés par une certaine bienséance, ou entraînés par l'exemple, que nous n'en profitons plus; pourquoi? Parce que pour profiter d'une viande, il faut l'aimer et la goûter ; et que ce qui est vrai des aliments du corps l'est encore  plus des aliments spirituels. Aussi Dieu s'est-il déclaré lui-même qu'il remplira de biens les âmes affamées : Animam esurientem satiabit bonis (2) : c'est-à-dire qu'à mesure que nous entretiendrons dans nous un saint désir de sa parole, celle parole entrera dans nos âmes avec la plénitude des grâces qui la suivent immédiatement: comme, au contraire, il menace ailleurs de renvoyer ces âmes dédaigneuses qui ne savent pas estimer un de ces dons les plus précieux, et de les priver de tous les avantages qui y sont attachés : Esurientes implevit bonis, et iimtcs dimisit inanes ; un autre texte porte : Fastidiosos dimint inanes (3).

Ainsi voyons-nous tant de mondains n'entendre la parole de Dieu qu'avec indifférence, et n'en remporter qu'un vide affreux de toutes les pensées du ciel, et de tout ce qui pourrait les exciter à chercher le royaume de Dieu et sa justice. Ainsi les voyons-nous sortir des prédications les plus touchantes sans en être émus, souvent rebutés des choses mêmes dont les autres sont pénétrés; et par leur insensibilité montrant bien qu'ils sont de ces délicats que Dieu rejette : Fastidiosos dimisit inanes. Mais, dites-vous, ce dégoût que nous condamnons et que nous vous reprochons n'est point précisément un dégoût de la parole de Dieu, mais de la parole de Dieu mal annoncée : car si je trouvais, ajoutez-vous, des hommes solides et judicieux; des hommes, comme les prophètes, animés de l'Esprit de Dieu, et capables de me représenter avec force les obligations de mon état ; si je trouvais des prédicateurs de l'Evangile, tels que les désirait saint Paul, qui joignissent le zèle à la science, et qui sussent, en éclairant l'esprit, remuer le cœur, je les écouterais, et je les écouterais avec plaisir. C'est ainsi qu'un lâche auditeur voudrait encore se justifier aux

 

1 Num., XXI, 5.— 2 Psalm., CVI,9. — 3 Luc, I, 32.

 

dépens de la Providence, et qu'il prononce lui-même son jugement. Car, s'il était vrai, Chrétiens, qu'il n'y eût plus de ces hommes évangéliques propres à émouvoir et à instruire, quelle  marque  plus   sensible   pourriez-vous avoir de la colère de Dieu? Ne serait-ce pas l'accomplissement de cette menace que Dieu faisait à son peuple : Je leur ôterai les prédicateurs de ma parole ; et ceux qui en porteront encore le nom et qui en feront l'office ne seront plus que des hommes vains, semblables à un airain sonnant et à une cymbale retentissante. Voilà, disait le Seigneur, par où je les punirai. Je  ne  susciterai  plus de prophètes qu'ils écoutent, il n'y en aura plus qui aient le don de les toucher et de les convertir; ils demeureront sans maître et sans docteur qui leur enseigne ma loi : Absque sacerdote, doctore, et absque lege (1). Ne commenceriez-vous pas, dis-je, à ressentir l'effet de cette malédiction ; et, saisis d'une frayeur salutaire, à quel autre qu'à vous-mêmes pourriez-vous imputer cette triste disette? Mais,   malgré  l'iniquité du monde, nous n'en sommes pas là. Rendons grâces au Seigneur : il y a encore dans l'Eglise des hommes éclairés et fervents, des successeurs de Jean-Baptiste, qui, comme des lampes ardentes et luisantes, découvrent la vérité, et la prêchent saintement, fortement, utilement. Mais vous en voulez qui la prêchent poliment et agréablement, rien davantage ; je dis poliment selon vos idées, et agréablement par rapport à votre goût; et parce que ceux que vous entendez, quelque zèle qu'ils puissent avoir d'ailleurs, n'ont pas néanmoins le don de vous plaire, c'est assez pour vous en éloigner. Or, en cela même consiste la misère spirituelle de votre âme, et le châtiment de Dieu ; je veux dire en ce qu'il n'y a plus d'hommes assez parfaits pour satisfaire votre goût et pour répondre à votre délicatesse. Voilà  par où  Dieu commence à vous réprouver. Car la réprobation de Dieu s'accomplit aussi bien à votre égard quand il n'y a plus de prédicateurs qui vous plaisent, que s'il n'y en avait plus absolument pour vous instruire; et peut-être vaudrait-il mieux pour vous qu'il n'y en eût plus absolument, que de n'en plus trouver qui s'attirent votre attention et votre estime. Etat déplorable, mais état ordinaire des gens du monde, et particulièrement de ceux qui vivent à la cour; il n'y a plus pour eux de parole de Dieu, parce qu'il n'y a plus de sujets qui aient ces qualités requises pour la leur rendre supportable. S'ils raisonnaient

 

1 2 Paral., XV, 3.

 

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bien, ils concluraient de là que Dieu donc est irrité contre eux; qu'il y a donc en eux quelque principe de religion ou corrompu ou altéré; que ce raffinement de goût dont ils se piquent est, pour m'exprimer de la sorte, un des indices les plus certains de la mauvaise constitution de leur foi ; que de là, s'ils n'y prennent garde, s'ensuit la ruine évidente de leur salut. Car enfin Dieu, tout sage et tout bon qu'il est, ne fera pas pour eux d'autres lois de providence que celles qu'il a établies. Or, il a sanctifié le monde parla prédication de l'Evangile, et il n'est pas croyable qu'il les convertisse par un autre moyen que celui-là.

Je sais que le fonds de ses grâces n'est point épuisé, et qu'il pourrait pour les sauver, au lieu de sa parole, employer les prodiges et les miracles ; mais pour peu qu'ils se fissent justice, ils reconnaîtraient qu'exiger de Dieu ces miracles, après avoir rejeté sa parole, c'est une présomption criminelle. Ainsi, dis-je, raisonneraient-ils. Mais le comble du malheur pour eux est de ne rien comprendre de tout cela, et, par un aveuglement dont ils se savent encore bon gré, de s'en tenir à des vues purement humaines, comme si le défaut de prédicateurs, tels qu'ils les demandent, n'était qu'une preuve et de la finesse et de la justesse de leur esprit; comme si Dieu ne devait pas confondre cette prétendue finesse et cette fausse justesse d'esprit par elle-même, en permettant qu'elle serve d'obstacle à un nombre infini de grâces à quoi leur salut était attaché , et qui dépendaient de la docilité d'un esprit humble. Je ne dis point par quelle injustice, ou plutôt par quelle bizarrerie, ce qu'il y a de plus vénérable et de plus saint dans la parole de Dieu a cessé d'être du goût du siècle ; et surtout du goût de la cour. Autrefois les mystères de la religion , expliqués et développés, étaient les grands sujets de la chaire. Maintenant, parce que la foi des hommes est languissante, on ne trouve plus dans ces grands sujets que de la sécheresse ; et ceux qui les doivent traiter, forcés en quelque sorte de condescendre au gré de leurs auditeurs, ou évitent d'y entrer, ou ne font en y entrant que les effleurer. Si les Pères de l'Eglise revenaient au monde , et qu'ils prêchassent dans cet auditoire ces éloquents discours qu'ils faisaient aux peuples, et que nous avons encore dans les mains , je ne sais s'ils seraient écoutés, et Dieu veuille qu'ils ne fussent pas abandonnés I Les éloges des saints, les merveilles que Dieu a opérées par ses élus, étaient des matières touchantes pour les fidèles : c'est de là que les ministres de l'Evangile liraient certains exemples éclatants et convaincants, qui animaient, qui encourageaient, qui servaient de modèles et de règles : comment aujourd'hui ces exemples seraient-ils reçus? On ne veut plus qu'une morale délicate, qu'une morale étudiée, qui fasse connaître le cœur de l'homme, et qui serve de miroir où chacun, non pas se regarde soi-même, mais contemple les vices d'autrui. Et qui sait si cette morale n'aura pas enfin le même sort, et si elle ne perdra pas bientôt cette pointe qui la soutient? Après cela que restera t-il à un prédicateur pour gagner les âmes ; disons mieux, que restera-t-il par où la grâce de Jésus-Christ, sans un miracle du ciel, puisse trouver entrée dans les cœurs ?

Ah! Chrétiens, où en sommes-nous, et à quelle extrémité notre foi est-elle réduite ? D'où peut venir un tel désordre, si ce n'est pas de l'abandon de Dieu, et à quoi peut-il aboutir qu'à notre perte éternelle ? ne goûtant plus la parole de vie, que devons-nous attendre que la mort? Voilà, mes chers auditeurs, où nous conduit l'esprit du siècle ; vous le savez, à ne chercher plus que l'agréable et à rejeter le sérieux et le solide ; à n'aimer que ce qui plaît et à mépriser ce qui instruit et ce qui corrige, à faire perdre aux plus saintes vérités toute leur vertu, et, si je l'ose dire, à les anéantir ; Quoniam diminutœ sunt veritates a filiis hominum (1). Heureux donc, mon Dieu, ces chrétiens dociles et fidèles qui goûtent votre parole, et qui l'écoutent parce qu'ils la goûtent : Beati qui audiunt. Leurs cœurs, comme une terre bien cultivée, reçoivent ce bon grain, et ce bon grain y prend racine, et y fructifie au centuple. Sont-ils dans les ténèbres? c'est une lumière qui les dirige. Sont-ils dans la langueur? c'est une grâce qui les ranime. Excitez en nous, Seigneur, un désir ardent et un goût salutaire de cette parole de vérité, de cette parole de sainteté, de cette parole de salut ; mais en nous la faisant aimer, faites, ô mon Dieu, que nous l'aimions comme votre parole ! afin d'en éviter l'abus ! C'est le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Saint Paul, instruisant les premiers fidèles sur l'Eucharistie, qui de nos mystères est le plus auguste, se servait d'une expression bien remarquable pour leur donner à entendre l'abus qui se faisait dès lors, et qui se fait encore

 

1 Psalm., XI, 2.

 

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tous les jours dans le christianisme, de cet adorable sacrement : Qui enim manducat indigne, judicium sibi manducat ; non dijudicans corpus Domini (1). Quiconque, leur disait-il , mes Frères, mange indignement ce pain de vie, doit savoir qu'il mange sa propre condamnation ; et pourquoi ? parce qu'il ne fait pas le discernement qu'il doit faire du corps du Seigneur. Prenez garde , s'il vous plaît : l'Apôtre réduisait l'abus de la communion à ce seul point, de recevoir le corps de Jésus-Christ sans distinguer que c'est le corps de Jésus-Christ ; d'user de cette viande céleste, qui est immolée sur l'autel, comme on userait d'une viande commune; de ne la pas prendre avec ce sentiment respectueux que demande la chair d'un Dieu ; de la confondre avec les aliments les plus vils, ne mettant nulle différence entre manger et communier, entre participer à la sainte table et être admis à une table profane. Abus qui, dans ces premiers siècles de l'Eglise, pouvait venir de l'ignorance des Gentils, ou de l'ignorance même des Juifs nouvellement convertis à la foi ; mais abus qui, par notre infidélité et par la corruption de nos mœurs, est devenu bien plus fréquent et plus criminel, parce, qu'il n'est rien de plus ordinaire ni rien de plus déplorable que de voir encore aujourd'hui des chrétiens qui communient sans discerner la nourriture sacrée qui leur est offerte, c'est-à-dire sans qu'il paraisse que c'est une viande divine et la chair même du Rédempteur qu'ils croient recevoir : Non dijudicans corpus Domini.

Or, j'applique ceci à mon sujet, et sans prétendre que la comparaison soit entière, elle me servira néanmoins et me tiendra lieu de preuve pour établir ma seconde proposition. Nous commettons tous les jours mille abus dans l'usage de la parole de Dieu ; et malheur à nous si, les commettant, ou nous ne les connaissons pas, ou nous ne les ressentons pas ! Mais, Chrétiens, l'abus capital, celui que nous devons sans cesse nous reprocher et d'où suivent tous les autres, c'est que, dans la pratique, nous ne faisons pas le discernement nécessaire de cette adorable parole, je veux dire que nous ne l'écoutons pas comme parole de Dieu, niais comme parole des hommes ; qu'au moment qu'elle nous est annoncée , au lieu de nous élever au-dessus de nous-mêmes, pour la recevoir avec cette préparation d'esprit qui nous la rendrait également vénérable et profitable, en nous souvenant que c'est la parole

 

1 1 Cor., XI, 29.

 

du Seigneur, nous nous en formons des idées tout humaines ; que nous ne la déshonorons pas moins, selon la remarque de saint Chrysostome, en l'approuvant qu'en la méprisant, puisque dans nos éloges et dans nos mépris nous en jugeons comme si c'était l'homme et non pas le Dieu tout-puissant qui nous parlât. Voilà ce que l'expérience m'a appris, ce qu'elle vous apprend à vous-mêmes, et de quoi je voudrais vous faire sentir toute l'indignité.

En effet, convenez avec moi, mes chers auditeurs , que cet abus est un des désordres les plus essentiels où nous puissions tomber; désordre , reprend saint Augustin , par rapport à Dieu, qui, selon l'Ecriture, étant un Dieu jaloux, l'est singulièrement de l'honneur de sa parole; désordre par rapporta nous-mêmes, qui par là détruisons et anéantissons toute la vertu que Dieu, comme auteur de la grâce, communique à cette sainte parole pour nous sanctifier : deux points d'une extrême importance. Ecoutez-moi. Quand vous ne faites pas un juste discernement du corps de Jésus-Christ, saint Paul prétend, et avec raison, que vous le profanez : Reus erit corporis et sanguinis Domini (1) ; et moi je soutiens, par la même règle, que vous profanez la parole de Dieu quand vous ne savez pas la discerner de la parole de l'homme, selon l'esprit de notre religion. Ne comparons point ici ces deux désordres, pour en mesurer l'excès et la grièveté. Vous avez horreur d'une communion sacrilège, et loin d'affaiblir et de diminuer en vous ce sentiment, je voudrais, s'il m'était possible, l'augmenter encore et le confirmer : mais ma douleur est qu'avec cette horreur d'une communion indigne, vous n'ayez nul remords de l'outrage que vous faites à Dieu en écoutant, si je puis m'exprimer de la sorte, sa parole indignement; et je voudrais que l'horreur de l'un, par une conséquence naturelle, servît à exciter en vous l'horreur de l'autre. Tremblez , vous dirais-je, quand vous mangez le pain des anges avec aussi peu de foi que vous mangeriez un pain terrestre et matériel : en user ainsi, c'est un crime que vous ne détesterez jamais assez. Mais tremblez encore, ajouterais-je, quand vous entendez la parole que l'on vous prêche, avec aussi peu de religion que si c'était un discours académique ; quand, dis-je, vous l'entendez sans mettre entre elle et celle des hommes la différence que Dieu y met et qu'il veut que vous y mettiez ; et comprenez bien qu'il y a dans l'abus de la prédication une espèce de

 

1 1 Cor., XI, 27.

 

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sacrilège que nous pouvons comparer à l'abus de la communion. Voici comment saint Augustin lui-même s'en est expliqué : Non minus est verbum Dei, quam corpus Christi. Non, mes Frères, disait-il, la parole de Dieu que nous entendons n'est rien à notre égard de moins précieux ni de moins sacré que le corps même de Jésus-Christ. Voilà le principe qu'il supposait comme incontestable; d'où il tirait cette conclusion, qui, toute sensée qu'elle est, avait toutefois besoin d'être appuyée de son autorité : Non minus ergo reus erit, qui verbum Dei perperam audierit, quam qui corpus Christi in terram cadere sua negligentia prœsumpserit. Celui-là donc, ajoutait-il, n'est pas en quelque sorte moins criminel ni moins sujet à l'anathème de saint Paul, qui abuse de cette sainte parole et qui la profane, que s'il profanait le corps du Sauveur en le laissant tomber par terre et le foulant aux pieds. Avouons-le néanmoins , mes chers auditeurs, c'est ce qui vous arrive tous les jours, et à quoi vous n'avez peut-être jamais pensé, pour en faire devant Dieu le sujet de votre confusion et de votre douleur ; car, si l'on venait entendre la parole de Dieu comme parole de Dieu, y viendrait-on par un esprit de curiosité pour l'examiner, par un esprit de malignité pour la censurer, par un esprit d'intérêt pour faire sa cour, par un esprit de mondanité pour voir et pour se faire voir; le dirai-je, et n'en serez-vous point scandalisés? par un esprit de sensualité pour contenter les désirs de son cœur, et pour trouver l'objet de sa passion ?

Ah! Chrétiens, ne rougirait-on pas de s'y présenter avec de telles dispositions? Cette pensée seule, c'est la parole de mon Dieu que je vais écouter, ne suffirait-elle pas pour nous saisir d'une salutaire frayeur? Occupé de cette pensée, n'y viendrait-on pas avec un esprit humble, avec une âme recueillie, avec un cœur touché et pénétré des plus vifs sentiments de la religion ; en un mot, comme l'on irait à un sacrement et au plus redoutable des sacrements, qui est celui de nos autels? Car voilà toujours la véritable et juste idée que nous devons avoir de la parole de Dieu : Non minus est verbum Dei, quam corpus Christi. Quand donc vous venez l'entendre avec des vues toutes contraires, il est évident que vous ne la regardez plus comme parole de Dieu, mais comme parole de l'homme; et tel est l'abus que je combats, et qu'on ne peut assez déplorer; car, dit saint Chrysostome, Dieu parlant en Dieu veut être écouté en Dieu ; et quand il parle par la bouche des prédicateurs, qui sont ses organes, il veut que ses organes soient écoutés comme lui-même : Qui vos audit, me audit; et qui vos spernit, me spernit (1). Mais vous, sans remonter si haut, vous voulez les écouter comme hommes, les contrôler comme hommes, les railler même souvent et les décréditer comme hommes ; et ce que vous ne feriez pas au moindre sujet qui vous annoncerait les ordres du prince et vous parlerait en son nom, vous le laites impunément et sans scrupule au ministre de votre Dieu. Après cela, étonnez-vous que j'en appelle à vous-mêmes, et que je vous accuse devant le tribunal de votre conscience, d'avoir été cent fois et d'être encore tous les jours les profanateurs du saint dépôt que Dieu nous a confié, et qu'il nous a confié pour vous, qui est le ministère de sa parole!

De là, par une conséquence immanquable, l'inutilité de ce divin ministère : car la parole de Dieu, reçue comme parole de l'homme, ne peut produire dans les cœurs que des effets proportionnés à la vertu de la parole de l'homme; et il est de la foi que la parole de l'homme, quelque touchante , quelque convaincante, quelque forte et quelque puissante qu'elle soit d'ailleurs, n'est d'elle-même pour le salut qu'un vain instrument. C'est ce que le grand Apôtre faisait entendre aux Thessaloniciens : Ideo et nos gratias agimus Deo sine intermissione; quoniam cum accepissetis a nobis verbum audilus Dei, accepistis illud, non ut verbum hominum, sed (sicut est vere) verbum Dei qui operatur in vobis (2). Votre bonheur, mes Frères, leur disait-il, et le sujet de ma consolation, c'est qu'ayant entendu la parole de Dieu que nous vous prêchons, vous l'avez reçue non comme parole des hommes, mais comme parole de Celui qui agit efficacement en vous. Voilà la source de toutes les bénédictions que Dieu a répandues sur votre Eglise, et ce qui fait que votre foi est devenue célèbre jusqu'à servir de modèle à toutes les Eglises d'Asie. Prenez garde, dit Théophylacte, c'était la parole de saint Paul qui opérait dans ces nouveaux fidèles, mais qui opérait comme parole de Dieu. Au contraire, voulez-vous voir la parole de Dieu, quoique annoncée par saint Paul, opérer comme parole de l'homme? En voici un exemple bien remarquable. Saint Paul entre dans une ville de Lycaonie pour y publier la loi de Dieu : on l'écoute, on est charmé de ses discours, on le suit en foule, on va jusqu'à lui offrir de l'encens, jusqu'à vouloir lui sacrifier

 

1 Luc, X, 16. — 2 1 Thessal., II, 13.

 

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comme à une divinité, jusqu'à le prendre pour Mercure et pour le dieu de la parole : Et vocabant Barnabam Jovem,, Pauhim vero Mercurium, quoniam ipse erat dux verbi (1). N'était-ce pas, ce semble, une disposition bien avantageuse pour l'Evangile? Ah! Chrétiens, disons plutôt que c'était un obstacle au progrès de l'Evangile. Ils écoutaient saint Paul comme homme; autrement ils n'auraient pas pensé à en faire un Dieu : sa parole agissait donc en eux comme la parole d'un homme. Et en effet, ces applaudissements, ces éloges, sont les fruits ordinaires de la parole des hommes, quand ils ont le don de s'énoncer avec éloquence ou avec agrément : mais n'attendez rien de plus. 0 profondeur des conseils de Dieu! de ce grand nombre d'admirateurs, saint Paul ne convertit pas un infidèle ; et de tous ces auditeurs charmés, il n'y en eut pas un qui renonça à ses erreurs pour embrasser la foi. Voilà ce qu'éprouvent maintenant encore tant de mondains ; ce sont des corrupteurs, ou, s'il m'est permis d'user de la figure du Saint-Esprit, ce sont des adultères de la parole de Dieu. Peu en peine de sa fécondité, ils n'en cherchent que le plaisir : Adulterantes verbum Dei (2). Que fera le prédicateur le plus zélé? Leur représentera-t-il l'horreur du péché, la sévérité des jugements de Dieu, les conséquences de la mort? ils s'arrêteront à la justesse de son dessein, à la force de son expression, à l'arrangement de ses preuves, à la beauté de ses remarques. Leur mettra-t-il devant les yeux l'importance du salut éternel et la vanité des biens de la vie? Ils conviendront qu'on ne peut rien dire de plus grand, que tout y est noble, sensé, suivi ; mais dans la pratique nulle conclusion. Ils admireront, mais ils ne se convertiront pas; déshonorant, dit saint Augustin, la parole de Dieu par les louanges mêmes qu'ils lui donnent, ou plutôt qu'ils lui ôtent, pour les donner à celui qui n'en est que le dispensateur.

C'est ce que faisaient les Juifs lorsque le prophète Ezéchiel leur annonçait les calamités dont Dieu, pour le juste châtiment de leurs crimes, devait bientôt les affliger. Car l'Ecriture nous apprend qu'ils étaient enchantés des discours de ce prophète, sans être émus de ses menaces; et Dieu lui-même lui en marquait la raison : Filii populi tui loquuntur de te juxta muros et in ostiis domorum (3). Eh bien ! prophète, lui disait le Seigneur, sais-tu l'effet des vérités étonnantes que tu prêches à mon peuple? c'est qu'ils parlent de toi par toute la

 

1 Act., XIV, 11. — 2 2 Cor., II, 17.— 5 Ezech., XXXIII,30

 

ville et dans toutes les compagnies. Au lieu de glorifier ma parole, ils te préconisent toi-même : Et dicunt unus ad alterum : Venite, et audiamus quid sit sermo egrediens a Domino (1). Quand tu dois les instruire, ils s'invitent les uns les autres : Allons, et voyons comment le prophète aujourd'hui réussira. Et veniunt ad te, quasi si ingrediatur populus  (2) ; et en effet, ils viennent t'entendre comme ils iraient à un spectacle : Et es eis quasi carnem musicum quod suavi dulcique sono canitur (3) ; Ils t'écoutent comme une agréable musique qui leur flatterait l'oreille. Mais prends garde, ajoutait le Dieu d'Israël, qu'ils se contentent d'écouter ce que tu leur enseignes, et du reste qu'ils se sont mis dans une malheureuse possession de n'en rien pratiquer : Et audiunt verba tua, et non faciunt ea (4). Pourquoi? parce que c'est ta parole qu'ils entendent, et non pas la mienne : Et audiunt verba tua. Or, ta parole peut bien avoir la grâce de leur plaire, mais elle n'aura jamais la force de les convertir.

Aussi, reprend saint Jérôme, y va-t-il de l'honneur de Dieu que la conversion des âmes, qui est le grand ouvrage de sa grâce, ne soit pas attribuée à la parole des hommes, ni même à la sienne, confondue avec celle des hommes. Vous voulez entendre ce prédicateur parce qu'il vous plaît, et Dieu ne veut pas que ce soit par ce qui vous plaît dans ce prédicateur que vous soyez convertis, mais par la simplicité de la foi. N'espérez pas qu'il change cet ordre, et qu'il fasse pour vous une loi particulière. Mais savez-vous comment il vous punira? Il se vengera de vous par vous-mêmes ; il vous laissera en partage la parole des hommes, puisque c'est celle que vous cherchez; et pour sa parole , il la révélera aux vrais fidèles qui la reçoivent avec une humble docilité; ou, pour mieux dire, de cette même parole il vous laissera tout ce qu'elle peut avoir de spécieux et d'inutile à quoi vous vous attachez; mais tout ce qu'elle a de solide et d'avantageux pour le salut, il le réservera à ces âmes choisies qui ne cherchent dans sa parole que sa parole même. Etrange et pernicieux abus ! On écoute les prédicateurs pour juger de leurs talents, pour faire comparaison de leur mérite, pour rabaisser celui-ci, pour donner la préférence à celui-là : et souvent on verra, dans une ville, dans une cour, touchant les ministres de la parole évangélique, le même partage d'esprits qu'on vit autrefois à Corinthe

 

1 Ezech., XXXIII,  30. — 2 Ibid., 31. — 3 Ibid., 32. — Ibid.

 

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touchant les ministres du baptême, quand l'un disait : Pour moi, je suis à Appollo ; et l'autre : Pour moi, je suis à Céphas. Ah ! mes Frères, reprenait saint Paul, pourquoi ces contestations et ces partialités ? Jésus-Christ est-il donc divisé ? Divisus est Christus (1) ? Est-ce Appollo qui a été crucifié pour vous? et avez-vous été baptisés au nom de Céphas? N'est-ce pas le même Dieu qui vous a sanctifiés par eux? A quoi j'ajoute, Chrétiens : N'est-ce pas le même Dieu qui vous parle et qui vous exhorte par notre bouche : Deo exhortante per nos (2) ? Qui sommes-nous, disait ailleurs saint Pierre en prêchant aux Juifs, pour mériter que vous vous occupiez de nous, et que vous fassiez distinction de nos personnes? Pourquoi nous regardez-vous, tandis que nous faisons l'office de simples ambassadeurs? Viri fratres, quid miramini in hoc, mit nos quid intuemini (3) ? Sans cette qualité d'ambassadeur de Jésus-Christ , moi qui parais aujourd'hui dans cette chaire après y avoir déjà tant de fois paru, oserais-je soutenir la présence du plus grand des rois, et la soutenir de si près, tandis que les nations entières tremblent devant lui, et qu'il répand si loin la terreur? Oserais-je élever la voix au milieu de la plus florissante cour du monde, si, tout indigne que je suis, je n'étais prévenu et vous ne l'étiez comme moi de cette pensée, que Dieu m'a confié sa parole, et que c'est en son nom que je vous l'annonce : Viri fratres, quid miramini in hoc, aut nos quid intuemini (4) ?

Cependant, quoiqu'il soit vrai que tout prédicateur de l'Evangile , en conséquence de sa mission, est l'ambassadeur et l'organe de Dieu, n'en peut-on pas faire le choix, et s'attacher à l'un plutôt qu'à l'autre? Oui, Chrétiens, ce choix peut être bon et utile ; mais il doit être réglé selon la prudence du salut. Ainsi le disciple Ananie fut-il choisi préférablement à tout autre, pour être le docteur et le maître de celui même qui devait l'être de toutes les nations. Ainsi Dieu même inspira-t-il à saint Augustin, encore pécheur, de se faire instruire par saint Ambroise et de l'écouter. Ainsi, mon cher auditeur, Dieu peut-être a-t-il résolu d'opérer votre conversion par le ministère de tel prédicateur, et lui a-t-il donné grâce pour cela ; car, c'est ce qui arrive tous les jours, et rien n'est plus ordinaire dans la conduite de la Providence. Mais voulez-vous que votre choix ne fasse rien perdre, ni à la parole de Dieu de l'honneur qui lui est dû , ni à vous-même du

 

4 1 Cor., I, 13. — 2 2 Cor., V, 20. — 3 Act., III, 12. — 4 Ibid.

 

profit que vous en pouvez retirer? voici deux avis importants que je vous donne, et que vous devez suivre. Premièrement, entre les ministres de l'Evangile, ne préférez pas tellement l'un que vous méprisiez les autres. Car, étant tous envoyés de Dieu, vous les devez tous honorer; et tel sur qui tomberaient vos mépris, est celui peut-être dont Dieu se servira pour convertir tout un peuple : or, il est de la Providence qu'il y ait des prédicateurs pour ce peuple aussi bien que pour vous. Secondement, n'ayez égard dans le choix que vous faites qu'à votre avancement spirituel et à votre perfection, c'est-à-dire ne vous attachez à un prédicateur que parce qu'il vous est plus utile pour le salut ; car il faut vouloir les choses pour la fin qui leur est propre; or, la parole de Dieu n'a point d'autre fin que notre sanctification. Quand, pour la santé du corps, j'ai à choisir un médecin, je n'examine point s'il est orateur ou philosophe, s'il s'exprime avec politesse, et s'il sait donner à ses pensées un tour ingénieux et délicat : mais je veux qu'il ait de l'expérience et qu'il soit versé dans sou art; je veux qu'il connaisse mon tempérament, et qu'il soit en état de me guérir : cela me suffit. Si donc je trouve un ministre de la divine parole qui m'édifie, qui fasse impression sur moi, qui ait le don de remuer mon cœur, qui me porte plus efficacement, plus fortement à Dieu, c'est là que je dois m'en tenir. Voilà l'homme que Dieu m'a député pour me faire connaître ses volontés, voilà pour moi son ambassadeur. Qu'il n'ait du reste nul avantage de la nature : il me touche, il me convertit, c'est assez. En l'écoutant, j'écoute Dieu même ; et mon bonheur en écoutant Dieu dans son ministre est d'attirer sur moi les grâces les plus puissantes, et de me préserver de cet endurcissement fatal et de cette réprobation où conduit une opiniâtre résistance à la parole de Dieu, comme nous l'allons voir dans la troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

Il y a des choses dont l'usage nous est tellement profitable, qu'elles peuvent sans conséquence et sans danger devenir inutiles. Mais il y en a d'autres qui, du moment qu'elles nous deviennent inutiles, par une malheureuse fatalité, nous deviennent préjudiciables. Les aliments et les remèdes sont de cette nature. Si je ne profite pas des aliments, ils se tournent pour moi en poison ; et la médecine me tue dès qu'elle n'opère pas pour me guérir. Or, il en est de même, Chrétiens, de la parole de Dieu :

 

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elle est dans l'ordre de la grâce, le principe de la vie ; mais quand elle ne donne pas la vie, elle cause nécessairement la mort. Ne vous étonnez pas, dit saint Bernard, que le Saint-Esprit nous la propose tout à la fois dans l'Ecriture et comme une viande et comme une épée : Non te moveat, quod idem verbum Dei et cibum dixerit et gladium. Car il est vrai que c'est une viande pour ceux qui se la rendent salutaire; mais il n'est pas moins vrai que c'est une épée dont les coups sont mortels pour ceux qui ne s'en nourrissent pas. Et en cela même, ajoute ce saint docteur, Dieu vérifie parfaitement ce qu'il avait dit par son Prophète, que sa parole ne serait jamais oisive, et que de quelque manière qu'on la reçût dans le monde, elle aurait toujours son effet : Sic erit verbum meum quod egreditur ex ore meo : non revertetur ad me vacuum, sed faciet omnia quœcumque volui  (1). Cette parole, disait le Seigneur, qui sort de ma bouche, et dont les prédicateurs ne sont que les organes, ne reviendra point à moi vide et sans fruit; et, malgré l'iniquité des hommes, elle fera toujours ce que je veux. Mais en quel sens pouvons-nous entendre que la parole de Dieu soit toujours suivie de l'exécution des ordres et des volontés de Dieu même? notre indocilité n'en arrête-t-elle pas tous les jours la vertu ? Non, répond l'ange de l'école, saint Thomas; car Dieu, dit-il, en nous faisant annoncer sa parole, a deux volontés différentes, dont l'une est tellement substituée à l'autre, que si la première vient à manquer, il faut, par une indispensable nécessité, que la seconde ait son accomplissement. Je m'explique. Dieu veut que sa parole opère en nous des effets de grâce et de salut, et c'est sa première volonté; mais, supposé qu'elle ne les opère pas, ces effets de salut et de grâce, il veut qu'elle en produise d'autres, qui sont des effets de justice et de colère ; voilà la seconde. Je puis bien empêcher que l'une ou l'autre de ces deux volontés ne s'exécute ; mais il ne dépend pas de moi d'arrêter toutes les deux ensemble, et de faire que ni l'une ni l'autre ne s'accomplisse. C'est-à-dire, il est bien en mon pouvoir que la parole de Dieu ne soit pas pour moi une parole de vie, parce que je puis l'écouter avec un esprit rebelle ; il dépend bien de moi qu'elle ne soit pas à mon égard une parole de mort, parce que je puis l'écouter avec un cœur docile; mais je ne saurais éviter qu'elle n'ait l'une ou l'autre de ces deux qualités; je veux dire qu'elle n'ait par rapport à moi ou ces

 

1 Isa., LV, 11.

 

effets de justice ou ces effets de miséricorde ; et c'est ainsi que Dieu dit toujours avec vérité : Non revertetur ad me vacuum, sed faciet quœcumque volui (1). Mais encore quels sont ces effets de justice attachés pour nous à la parole de Dieu quand nous lui résistons? Les voici, Chrétiens, expressément marqués dans l'Ecriture : l'endurcissement du pécheur, et sa condamnation devant le tribunal de Dieu; effets directement opposés aux desseins de Dieu, en nous faisant part de cette sainte parole. Car, dans les vues de Dieu, poursuit le docteur angélique, elle devait amollir et fléchir nos cœurs ; mais, par la résistance que nous y apportons, elle les endurcit. Dans les vues de Dieu elle devait nous justifier; mais à mesure que cette résistance croît, elle nous accuse et nous condamne, pour achever un jour de nous confondre devant le souverain Juge. Encore un moment d'attention.

Dieu, sans intéresser aucun de ses divins attributs, surtout sa sainteté, endurcit quelquefois les cœurs des hommes. C'est lui-même qui s'en déclare : Indurabo cor ejus (2) : J'endurcirai le cœur de Pharaon. De savoir comment il peut contribuer à cet endurcissement, lui qui est la charité même, et comment en effet il y contribue, c'est un mystère que nous devons révérer, et que je n'entreprends point ici d'examiner. Je m'en tiens à la foi ; et la même foi qui m'enseigne que Dieu fait miséricorde à qui il lui plaît, m'apprend encore qu'il endurcit qui il lui plaît : Ergo cujus vult miseretur; et quem vult indurat (3). Or, je prétends que rien ne conduit plus efficacement le mondain à ce funeste état que la parole de Dieu méprisée et rejetée, et j'en tire la preuve de l'exemple même de Pharaon. Comprenez-le, Chrétiens, et vous consultant ensuite vous-mêmes, reconnaissez que ce qui se passa d'une manière visible dans la personne de ce prince réprouvé de Dieu, se renouvelle tous les jours intérieurement dans ces pécheurs que saint Paul appelle des vaisseaux de colère et de damnation. Dieu remplit Moïse de son esprit; il lui met dans la bouche sa parole, et lui dit : Allez, c'est moi qui vous envoie. Vous parlerez à Pharaon, et vous lui signifierez mes ordres. Je sais qu'il n'y déférera pas ; mais au même temps j'endurcirai son cœur : Tu loqueris ad Pharaonem omnia quœ mando tibi, et non audiet te; sed ego indurabo cor ejus (4). L'effet répond à la menace : le saint législateur parle,

 

1 Isa., LV, 11. — 2 Exod., VIII, 3. — 3 Rom., IX, 12. — 4 Exod., VII, 2.

 

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il s'acquitte de la commission qu'il a reçue ; mais autant de fois qu'il parle au nom de son Dieu, le texte sacré ajoute que le cœur de Pharaon s'endurcissait : Et induratum est cor Pharaonis (1). C'est le Dieu d'Israël, disait Moïse, qui vous ordonne de mettre son peuple en liberté, et de le tirer de la servitude où vous le retenez si injustement et si longtemps : mais qui êtes-vous, répondait Pharaon, et qui est le Dieu dont vous vous autorisez? sont les preuves et les signes de votre mission? Vous en allez être témoin, répliquait l'envoyé de Dieu; et frappant de cette baguette mystérieuse qu'il tenait dans ses mains, il couvrait l'Egypte de ténèbres, et la remplissait de ces autres fléaux dont l'Ecriture nous fait une si affreuse peinture. N'était-il pas surprenant que Pharaon, malgré tant de prodiges, s'obstinât dans sa désobéissance? Non, Chrétiens, il n'en fallait point être surpris, puisque c'était par là même que Dieu vengeait l'outrage fait à sa parole, et qu'une résistance aussi outrée que celle de Pharaon ne devait pas être suivie d'un moindre châtiment. Ah ! Seigneur, ne nous punissez jamais de la sorte ; et plutôt que de nous livrer à un endurcissement si fatal, employez contre nous toutes vos autres vengeances ; envoyez-nous, comme à Pharaon, des adversités, des calamités, des humiliations ; pour peu que nous soyons chrétiens, nous nous y soumettrons sans peine : mais, mon Dieu, préservez-nous de cette dureté de cœur qui nous rendrait insensibles à tous les traits de votre grâce et à tous les intérêts de notre salut : Aufer a nobis cor lapideum. Voilà néanmoins, mes chers auditeurs, ce qui arrive. A force de résister à Dieu et à sa parole, ce cœur de pierre se forme peu à peu dans nous. Ne me demandez point, dit saint Bernard, quel est ce cœur dur; c'est le vôtre, répond ce Père, si vous ne tremblez pas : Si non expavisti, tuum est. Car il n'y a qu'un cœur endurci qui puisse n'avoir pas horreur de soi-même, parce qu'il ne se sent plus lui-même : Solum enim est cor durum, quod semetipsum non exhorruit, quia nec sentit. Aussi qu'un prédicateur tâche à l'intimider, à l'engager, à l'exciter, rien ne l'émeut, ni promesses, ni menaces, ni récompenses, ni châtiments.

De là cette même parole qui devait servir à justifier le pécheur, ne sert plus qu'à le condamner. Car, plus le talent qu'on lui avait mis dans les mains était précieux, plus est-il criminel de n'en avoir fait nul usage : plus la

 

1 Exod., VII, 13.

 

parole de Dieu par elle-même avait d'efficace pour le toucher et le convertir, plus est-il coupable d'en avoir anéanti toute la vertu. C'est pourquoi le Fils de Dieu fulminait de si terribles anathèmes contre les habitants de Bethsaïde et de Corosaïm : et certes, reprend Origène, il fallait bien que cette terre fût maudite, puisqu'une semence aussi féconde que la parole de Dieu n'avait pu rien y produire. C'est pour cela même que le Sauveur du monde ordonnait à ses apôtres de sortir des villes et des bourgades où ils ne seraient point écoutés, et de secouer en se retirant la poussière de leurs souliers, pour marquer à ces peuples infidèles que Dieu les rejetait. Enfin, c'est en ce même sens que saint Augustin explique cet important avis que nous donne Jésus-Christ dans l'Evangile : Esto consentiens adversario tuo cito, dum es in via cum eo (1) : Marchez toujours d'intelligence et accordez-vous avec votre ennemi.  Cet ennemi, dit ce saint docteur, c'est la parole de Dieu, que nous suscitons contre nous en lui résistant. Elle se déclare contre nos vices, contre nos habitudes, contre nos passions : Adversarium tuum fecisti sermonem Dei. Mais, suivant le conseil du Fils de Dieu, travaillons à nous la rendre favorable. Conformons nos mœurs à ses maximes, profitons de ses enseignements, écoutons-les, aimons-les, pratiquons-les : pourquoi ? Ne forte tradat te adversarius judici, et judex tradat te ministro (2) : De peur que ce formidable adversaire ne vous livre entre les mains de votre juge, et ne se lève contre vous pour vous accuser.

Oui, Chrétiens, elle s'élèvera contre vous, elle vous accusera, elle vous réprouvera, elle demandera justice à Dieu de tous les mépris et de tous les abus que vous en aurez faits ; et Dieu qui fut toujours fidèle à sa parole, et qui ne lui a jamais manqué, la lui rendra tout entière. Deux sortes de personnes interviendront à ce jugement, et se joindront à elle pour la seconder, auditeurs et prédicateurs. Auditeurs, qui l'auront honorée, et qu'elle aura sanctifiés ; prédicateurs, qui l'auront annoncée, et que Dieu avait remplis pour vous de son esprit. Les premiers, représentés par les Ninivites; et les seconds, par les apôtres. Car vous savez avec quelle promptitude les Ninivites obéirent à Jonas, qui leur prêchait la pénitence; et ce sera votre condamnation : Viri Ninivitœ surgent in judicio cum generatione ista, et condemnabunt eam : quia pœnitentiam egerunt

 

1 Matth., V, 25. — 2 Ibid.

 

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in prœdicatione Jonœ (1). Et vous n'ignorez pas que le Sauveur du monde a promis à ses apôtres, et dans la personne de ses apôtres aux ministres fidèles de sa parole, de les faire asseoir auprès de lui pour juger toutes les nations : Sedebitis et vos super sedes duodecim, judicantes duodecim tribus Israël (2).

Ah ! Seigneur, serai-je donc employé à ce triste ministère? Après avoir été le prédicateur de cet auditoire chrétien , en serai-je l'accusateur , en serai-je le juge? Prononcerai-je la sentence de réprobation contre ceux que je voudrais sauver au prix même de ma vie? Il est vrai, mon Dieu, ce serait un honneur pour moi d'avoir place auprès de vous sur le tribunal de votre justice. Mais cet honneur, je ne l'aurais qu'aux dépens de tant d'âmes qui vous ont coûté tout votre sang. Peut-être même en les condamnant me condamnerais-je moi-même , puisque je suis encore plus obligé qu'eux à pratiquer les saintes vérités que je leur prêche. J'aurai donc plutôt recours dès maintenant, et pour eux et pour moi, au tribunal de votre miséricorde : je vous supplierai de répandre sur nous l'abondance de vos grâces, afin que, par la vertu de votre grâce, votre parole nous soit une parole de sanctification et une parole de la vie éternelle, où nous conduise, etc.

 

1 Matth., V, 12. — 2 Ibid., XIX, 28.

 

 

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