DIMANCHE CAREME IV

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SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA QUATRIÈME SEMAINE.
SUR LA PROVIDENCE.

ANALYSE.

 

Sujet. Jésus-Christ levant les yeux, et voyant qu'une grande foule de peuple venait à lui, dit à Philippe : D'où pourrons-nous acheter assez de pain pour donner à manger à tout ce peuple ? Or, il disait ceci pour l'éprouver; car il savait bien ce qu'il allait faire.

 

Ce miracle de la multiplication des pains nous apprend qu'il y a une Providence qui gouverne le monde, et à laquelle nous devons nous soumettre. Vérité fondamentale de notre religion, qui fera la matière de ce discours.

Division. Le devoir et l'intérêt nous engagent à reconnaître une Providence et à nous y soumettre. Voyons donc et le désordre de l'homme, et son malheur, lorsqu'il refuse à Dieu cette soumission; le désordre de l'homme, par rapport à son devoir; le malheur de l'homme, par rapport à son intérêt. En deux mots, rien de plus criminel que l'homme du siècle, qui no veut pas se soumettre à la Providence : première partie. Rien de plus malheureux que l'homme du siècle, qui ne veut pas se conformer à b conduite de la Providence : deuxième partie.

Première partie. Rien de plus criminel que l'homme du siècle, qui ne veut pas se soumettre a la Providence. Car il renonce à celte divine Providence, 1° ou par un esprit d'infidélité, parce qu'il ne la reconnaît pas et qu'il ne la croit pas; 2° ou par une ample révolte de cœur, parce qu'en la reconnaissant même et en la croyant, il ne veut pas lui rendre la soumission qui lui est due.

1° Est-ce par un esprit d'infidélité, et parce qu'il ne croit pas la Providence ! Mais quel désordre ! car il ne connaît donc plus de Dieu (affreuse impiété), ou bien il se fait un Dieu monstrueux, qui n'a nul soin de ses créatures; qui n'est ni juste, ni bon, ni sage, puisqu'il ne peut rien être de tout cela sans Providence : autre supposition non moins impie, et qui réduit le mondain infidèle à être plus que païen, puisqu'à peine il s'est trouvé quelques sectes païennes qui aient nié la Providence. Ce n'est pas assez : il se rend incrédule et insensé contre sa raison même. Comment cela? le voici. Quand il voit un état bien réglé, il conclut qu'il y a un maître qui le gouverne, et il ne veut pas ainsi raisonner à l'égard du monde entier. Ajoutez qu'il n'y a point d'homme qui dans sa vie ne puisse remarquer certaines conjonctures où il s'est trouvé, certains périls d'où il est échappé, certains événements heureux ou malheureux, qui sont pour lui autant de preuves personnelles d'une Providence. Or, cela est vrai surtout de ceux qui font quelque ligure dans le monde, et qui entrent plus dans les intrigues du monde. Toutefois ce sont ceux-là mêmes qui ont moins de foi à la Providence, et qui semblent plus la méconnaître. Leur aveuglement va encore plus loin : car ils ne veulent pas rendre librement et chrétiennement à la Providence un aveu qu'ils lui rendent souvent par nécessité, ou plutôt par emportement de chagrin et de désespoir. Ce mondain qui oublie Dieu dans la prospérité, est le premier à murmurer contre la Providence, quand il lui

 

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survient une disgrâce. Voici quelque chose encore de plus surprenant : c'est que souvent le libertin veut douter de la Providence par les raisons mêmes qui prouvent invinciblement une Providence. Car il fonde ses doutes sur ce qu'il voit le monde rempli de désordres : mais pourquoi sont-ce des désordres, répond saint Chrysostome, sinon parce qu'ils sont contre l'ordre? et qu'est-ce que cet ordre auquel ils répugnent, sinon la Providence ? Désordres dont les hommes se scandalisent ; et de ce que les hommes s'en scandalisent, n'est-ce pas un témoignage authentique de la Providence, qui ne permet pas que ces choses soient autorisées,et qui veut pour cela que parmi les hommes elles aient toujours passé, et qu'elles passent toujours dans la suite, pour scandaleuses! Si les hommes ne se scandalisaient de rien, l'iniquité prévaudrait; et afin qu'elle ne prévale pas, la Providence fait qu'on se scandalise du vice et qu'on aime la vertu.

2° Est-ce par une simple révolte de cœur que le mondain s'élève contre la Providence : en sorte que la croyant même, il refuse de se soumettre a elle? autre désordre encore moins soutenable. Car quelle témérité! croire une Providence qui préside au gouvernement du monde, et ne vouloir pas se régler par elle et agir de concert avec elle ! Tel est néanmoins le désordre du monde. On croit une Providence, et l'on vit comme si l'on n'en croyait pas. En effet, si l'on se conduisait par la foi de la Providence, on ne serait ni passionné, ni emporté, ni vain, ni inquiet, ni fier, ni jaloux, ni ingrat envers Dieu, ni injuste envers les hommes. Et pourquoi est-on tout cela? parce qu'on se retire des voies de la Providence.

Mais en sortant des voies de cotte sage Providence, quelles voies prend-on ? Ou bien l'on ne vit plus qu'au hasard, et l'on suit en aveugle le cours de la fortune ; ou bien l'on entreprend de se gouverner selon les vues de la prudence humaine. Or, l'un et l'autre est également injurieux à Dieu. N'avoir plus d'autre principe de sa conduite que le cours de la fortune, c'est tomber dans l'idolâtrie des païens. Idolâtrie que les sages mêmes du paganisme condamnaient. Idolâtrie que Dieu reprochait aux Israélites. Idolâtrie si commune au milieu même du christianisme, surtout à la cour. D'ailleurs, entreprendre de se conduire par la prudence humaine, c'est orgueil, c'est compter sur soi-même, c'est ne vouloir dépendre que de soi-même ; et ce qui est d'une conséquence infinie, c'est se charger devant Dieu de toutes les suites fâcheuses qui peuvent arriver, et en prendre sur soi tout le crime. Mais quand j'ai recours à Dieu, et qu'après avoir mûrement délibéré selon l'esprit de ma religion, je viens à conclure, je puis alors avoir cette confiance, ou que je conclus sûrement, ou que si je manque, Dieu suppléera à mon défaut. Voila pourquoi le plus sage des hommes, Salomon, faisait à Dieu cette excellente prière : Donnez-moi, Seigneur, cette sagesse qui est assise avec vous sur votre trône, afin qu'elle travaille avec moi, et qu'elle me fasse connaître ce qui vous est agréable.

Deuxième partie. Rien de plus malheureux que l'homme du siècle, qui ne veut pas se conformer à la conduite de la Providence. Car alors, 1° il demeure sans conduite ; 2° en quittant Dieu, il oblige Dieu pareillement à le quitter ; 3° il se prive parla de la plus douce, ou plutôt de l'unique consolation qu'il peut avoir en certaines adversités ; 4° ne voulant pas dépendre de Pieu par une soumission libre et volontaire, il en dépend malgré lui par une soumission forcée.

1° Il demeure sans conduite, je dis sans une conduite sûre et droite. Car il ne lui reste que l'un de ces deux partis, ou de n'avoir pins d'autre ressource que lui-même, ou de mettre sou appui dans les hommes. Or, des deux côtés sa condition est ment déplorable. D'être réduit à n'avoir plus d'autre ressource que lui-même, qu'y a-t-il de plus terrible ? Si, dans une affaire capitale, où il s'agirait de ma vie, tout autre conseil que le mien me manquait, je me croirais perdu. Et quel fond l'homme peut-il faire sur lui-même, aussi aveugle, aussi inconstant qu'il est, aussi sujet à ses caprices et aussi esclave de ses passions? Je sais qu'il a une raison dont il peut s'aider ; mais cette raison-là même, bornée à ses faibles lumières, n'est-elle pas plus propre aie tourmenter par mille réflexions chagrinantes, qu'à le soutenir ?

Que fera-t-il donc? mettra-t-il sa confiance dans les hommes? Mais est-il un esclavage plus honteux et plus dur que de dépendre des hommes? A. quels dédains, à quels changements, à quels revers n'est-on pas exposé? n'est-ce pas ce qu'éprouvent sans cesse, auprès des princes de la terre, ces adorateurs de la faveur? y en a-t-il un seul qui ne convienne que sa condition a mille dégoûts, mille déboires, mille mortifications inévitables, et que c'est une perpétuelle captivité?

2° En quittant Dieu, le mondain oblige Dieu pareillement à le quitter. Car Dieu a son tour ; et quand il entend cet homme rebuté et désolé plaindre son sort, il lui répond avec ces paroles du Deutéronome : Ubi sunt dii eorum, in quibus habebant fiduciam ? Surgant et opitulentur vobis ! Où sont ces dieux dont vous vous teniez si sûrs ? qu'ils viennent maintenant vous secourir!

3° De là nulle consolation pour un homme ainsi abandonné de Dieu, après qu'il a lui-même abandonné Dieu. Il y a des afflictions dans la vie où l'on ne peut recevoir de la part du monde aucun soulagement. Or, un chrétien soumis à la Providence trouve alors dans sa soumission son soutien ; au lieu que l'impie, frappé du coup qui l'altère, fait en quelque sorte le personnage d'un réprouvé, blasphémant contre le ciel, trouvant tout odieux, se désespérant, et, dans son désespoir, goûtant toute l'amertume delà douleur.

4° Que dis-je ! et le mondain, tout rebelle qu'il est, n'est-il pas encore sous la domination de la Providence ? Oui, mais d'une Providence de justice et de rigueur, qui se fait sentir à lui par des vengeances, tantôt secrètes et tantôt éclatantes ; tantôt par des prospérités dont il est enivré, et tantôt par des adversités dont il est accablé. Ainsi Dieu a-t-il traité un Pharaon, un Nabuchodonosor, un Antiochus, et bien d'autres. Si donc nous avons quelque égard à notre devoir et à notre intérêt, soumettons-nous à notre Dieu et à sa providence. Demandons-lui que sa volonté s'accomplisse en nous, et sur la terre, et dans le ciel.

 

Cum sublevasset oculos Jésus, et vidisset quia multitudo maxima venit ad eum, dixit ad Philippum : Unde ememus panes, ut manducent hi ? Hoc autem dicebat tentans eum ; ipse entra sciebat quid esset facturus.

 

Jésus-Christ levant les yeux, et voyant qu'une grande foule de peuple venait à lui, dit à Philippe : D'où pourrons-nous acheter assez de pain pour donner à manger à tout ce peuple ? Or, il disait ceci pour l'éprouver ; car il savait bien ce qu'il allait faire. (Saint Jean, chap. VI, 5.)

 

Sire,

 

Si ce qu'a dit saint Augustin est vrai, que les miracles sont la voix de Dieu, et qu'autant de fois qu'il fait paraître ces signes visibles de sa toute-puissance, son intention est de nous parler, de nous instruire, et de nous découvrir quelque importante vérité, il est aisé de reconnaître ce que le Sauveur du monde a voulu nous faire entendre par ce grand miracle de la multiplication des pains. Car que voyons-nous dans ce miracle, et que nous représente notre évangile ? tout un peuple qui s'abandonne à la conduite de Jésus-Christ; des milliers d'hommes qui, sans provision, sans subsistance, quittent leurs maisons pour le suivre; un Dieu touché de compassion pour eux, un Dieu qui pourvoit lui-même à leurs besoins, un Dieu

 

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qui lui-même leur distribue ses dons libéralement, amplement, magnifiquement; et cette nombreuse multitude enfin nourrie et rassasiée au milieu d'une solitude : tout cela ne nous prêche-t-il pas hautement la providence divine, et l'obligation indispensable de nous reposer sur ses soins et de nous confier en elle? Interrogemus (ce sont les paroles de saint Augustin), ipsa Christi miracula : habent enim, si intelligantur, linguam suam : Interrogeons les miracles de Jésus-Christ, écoutons-les, et rendons-nous-y attentifs. Car, comme Jésus-Christ est substantiellement le Verbe de Dieu, il n'y a rien dans lui qui ne parle, et ses actions mômes ont pour nous leur langage et leur expression. Or, ce que nous dit en particulier le. miracle de ces pains si promptement et si abondamment multipliés, c'est qu'il y a une Providence qui gouverne le monde; une Providence à laquelle nous devons tous nous soumettre, non pas, comme le reste des créatures, par une soumission de nécessité, mais comme des créatures raisonnables, par un libre consentement de notre volonté. Voilà, mes Frères, la voix de Dieu et ce qu'elle nous apprend. Cependant, quelque intelligible et quelque éclatante que soit cette voix, il y a encore des hommes qui ne veulent pas l'entendre. Il y en a qui, pour l'avoir entendue, n'en sont pas plus dociles ni plus soumis. Et c'est pour cela que je joins à cette voix du miracle de Jésus-Christ, celle delà prédication, qui, fortifiée et soutenue par la grâce intérieure que le Saint-Esprit répandra dans nos cœurs, y produira, comme je l'espère, tout le fruit que j'attends de ce discours. Adressons-nous à Marie, et disons-lui : Ave, Maria.

 

Deux choses, selon saint Augustin, sont capables de toucher l'homme et de faire impression sur son cœur, le devoir et l'intérêt; le devoir, parce qu'il est raisonnable , et l'intérêt, parce qu'il s'aime lui-même. Voilà les deux ressorts qui le font communément agir. Mais il faut, ajoute saint Augustin, que ces deux ressorts soient remués tout à la fois, pour avoir dans le cœur de l'homme un plein effet. Car le devoir sans l'intérêt est faible et languissant, et l'intérêt sans le devoir est bas et honteux. L'un et l'autre, joints ensemble, ont une vertu presque infaillible, et une efficace à laquelle il est comme impossible de résister. J'entreprends aujourd'hui, Chrétiens, de vous inspirer une parfaite soumission à la providence de Dieu ; j'entreprends de vous représenter l'indispensable obligation que nous avons tous de nous attachera cette providence souveraine, de nous confier en elle, de nous conformer à ses ordres, et d'en faire la règle de notre vie. Or, pour vous y engager, je veux vous faire voir le désordre et le malheur de l'homme, lorsqu'il refuse à Dieu cette soumission : le désordre de l'homme par rapport à son devoir, et le malheur de l'homme par rapport à son intérêt : son désordre inséparable de son malheur, puisqu'il en est évidemment et infailliblement la source : son malheur inséparable de son désordre, puisque, selon les lois de Dieu, il en est, comme vous verrez, la juste punition. En deux mots, rien de plus criminel que l'homme du siècle qui ne veut pas se soumettre à la Providence ; c'est la première partie. Rien de plus malheureux que l'homme du siècle qui ne veut pas se conformer à la conduite de la Providence : c'est la seconde. Mais aussi par deux conséquences toutes contraires, rien de plus sage que l'homme chrétien qui prend pour règle de toutes ses actions la foi de la Providence : rien de plus heureux que l'homme chrétien, qui fait consister tout son appui dans la foi de la Providence. Deux vérités édifiantes et touchantes qui vont partager ce discours.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Pour corriger un désordre, il faut d'abord s'appliquer à le connaître ; et pour le connaître, il en faut chercher et découvrir le principe. Je parle ici, Chrétiens, d'un homme du monde qui vit dans un profond oubli de Dieu, qui semble avoir secoué le joug de Dieu, qui s'est fait comme une habitude et un état de se rendre indépendant de Dieu; enfin, qui, sans se déclarer néanmoins ouvertement, mais par la malheureuse possession où il s'est établi d'agir selon son gré et en libertin, est devenu, si j'ose m'exprimer ainsi, un déserteur, ou, si vous voulez, un apostat de la providence de Dieu : conduite la plus déplorable, mais effet le plus commun de la dépravation du siècle. Je veux vous en faire voir le dérèglement, et voici comment je le conçois. Quiconque renonce à la Providence, et veut se soustraire à l'empire de Dieu, ne le peut faire qu'en l'une ou en l'autre de ces deux manières, savoir: par un esprit d'infidélité, parce qu'il ne reconnaît pas cette Providence, et qu'il ne la croit pas; ou par une simple révolte de cœur, parce qu'en la croyant même, et en la supposant, il ne veut pas se soumettre à elle. Or, examinons ces

 

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deux principes, et voyons dans lequel des deux l'aveuglement de l'impie est plus grossier et plus criminel.

Si c'est par un esprit d'infidélité, et parce qu'il ne croit pas la Providence, je vous demande quel désordre est comparable à celui-là : de ne pas croire, ce qui est sans contestation la chose non-seulement la plus croyable, mais le fondement de toutes les choses croyables? de ne pas croire ce qu'ont cru les païens les plus sensés, par la seule lumière de la raison; de ne pas croire ce qu'indépendamment de la foi nous éprouvons nous-mêmes sans cesse, ce que nous sentons, ce que nous sommes forcés de confesser en mille rencontres, par un témoignage que nous arrachent les premiers mouvements de la nature ; mais surtout de ne pas croire la plus incontestable vérité, par les raisons mêmes qui l'établissent, et qui seules sont plus que suffisantes pour nous en convaincre. Or, tel est l'état du mondain qui ne veut pas reconnaître la Providence. Suivons ceci de point en point, et instruisons-nous.

Car le mondain s'aveugle, dit saint Chrysostome, dans la source même des lumières, qui est l'être de Dieu, puisque la première et la plus immédiate conséquence qui se tire de l'être de Dieu, ou de l'existence de Dieu, c'est qu'il y a une Providence. D'où il s'ensuit qu'en renonçant à cette Providence, ou bien il ne connaît plus de Dieu (affreuse impiété!), ou bien il se fait un dieu monstrueux, c'est-à-dire un dieu qui n'a nul soin de ses créatures : un dieu qui ne s'intéresse ni à leur conservation, ni à leur perfection; un dieu qui n'est ni juste, ni sage, ni bon, puisqu'il ne peut rien être de tout cela sans providence. De là il se réduit, ajoute saint Chrysostome, à être plus que païen dans le christianisme ; ou, tout chrétien qu'il est, à prendre parti avec ce qu'il y a eu dans le paganisme de plus vicieux et de plus corrompu. Car à peine s'est-il trouvé des sectes païennes qui aient nié la Providence, ou qui en aient douté, sinon celles qui, par leurs abominables maximes, portaient les hommes aux plus infâmes excès et aux plus sales voluptés; celles pour qui il était à souhaiter qu'il n'y eût dans le monde ni Dieu, ni loi, ni châtiment, ni récompense, ni providence, ni justice.

Ce n'est pas assez : comme le mérite de la foi est de nous faire espérer contre l'espérance même : Contra spem in spem (1), le crime du mondain sur le sujet de la Providence, est de se rendre incrédule et insensé contre sa raison

 

1 Rom., IV, 18.

 

même. Car enfin le mondain lui-même, suivant le seul instinct de sa raison, admet, sans l'apercevoir, une Providence à laquelle il ne pense pas. Comment cela? Je m'explique. Il croit qu'un état ne peut être bien gouverné que par la sagesse et le conseil d'un prince; il croit qu'une maison ne peut subsister sans la vigilance et l'économie d'un père de famille; il croit qu'un vaisseau ne peut être bien conduit sans l'attention et l'habileté d'un pilote : et quand il voit ce vaisseau voguer en pleine mer, cette famille bien réglée, ce royaume dans l'ordre et dans la paix, il conclut, sans hésiter, qu'il y a un esprit, une intelligence qui y préside. Mais il prétend raisonner tout autrement à l'égard du monde entier; et il veut que, sans providence, sans prudence, sans intelligence, par un pur effet du hasard, ce grand et vaste univers se maintienne dans l'ordre merveilleux où nous le voyons. N'est-ce pas aller contre ses propres lumières, et contredire sa raison? Ajoutez les preuves sensibles et personnelles que le mondain, sans sortir hors de lui-même, trouve dans lui-même; mais sur lesquelles son obstination l'aveugle et l'endurcit. Car il n'y a point d'homme qui, repassant dans son esprit les années de sa vie, et rappelant le souvenir de tout ce qui lui est arrivé, ne doive s'arrêter à certains points fixes, je veux dire à certaines conjonctures où il s'est trouvé, à certains périls d'où il est échappé, à certains événements heureux ou malheureux, mais extraordinaires et singuliers, qui l'ont surpris et frappé, et qui sont autant de signes visibles d'une Providence. Or, si cela est vrai de tous les hommes sans exception, beaucoup plus encore l'est-il de ceux qui font quelque figure dans le monde, de ceux qui ont part aux intrigues du monde, de ceux qui entrent plus avant dans le commerce et dans le secret du monde; et plus enfin de ceux qui vivent dans le centre du monde, qui est la cour. Car, qu'est-ce que le monde, disait Cassiodore, sinon le grand théâtre et la grande école de la Providence, où, pour peu qu'on fasse de réflexion, l'on apprend à tous moments qu'il y a dans l'univers une puissance et une sagesse supérieure à celle des hommes, qui se joue de leurs desseins, qui ordonne de leurs destinées, qui élève et qui abaisse, qui appauvrit et qui enrichit, qui mortifie et qui vivifie, qui dispose de tout, comme l'Arbitre suprême de toutes choses. Il n'y a donc point d'hommes dans le monde qui, selon les règles ordinaires, dussent croire d'une foi plus ferme la Providence,

 

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que ceux qui se piquent d'avoir la science du monde et d'être les sages du monde; mais, par un secret jugement de Dieu, il n'y en a point qui soient communément plus infidèles touchant la Providence, et qui semblent plus la méconnaître. Et comme il n'y aura jamais d'homme sur la terre, et qu'il n'y en a jamais eu à qui il eût été moins pardonnable de former quelque doute sur la Providence, qu'au patriarche Joseph, après les miracles éclatants que Dieu avait opérés dans sa personne ; aussi ces prétendus sages du monde sont-ils plus coupables, en rejetant la Providence, de refuser à Dieu l'hommage d'un attribut dans la connaissance duquel Dieu prend plaisir, pour ainsi dire, à les élever.

Leur aveuglement va encore plus loin , et il consiste en ce qu'ils ne veulent pas rendre librement et chrétiennement à la Providence un aveu qu'ils lui rendent souvent par nécessité, ou plutôt par emportement de chagrin et de désespoir. Car prenez garde, Chrétiens : ce mondain qui oublie Dieu et la Providence, tandis qu'il est dans la prospérité et que tout lui succède selon ses désirs, est le premier à murmurer contre cette même Providence et contre Dieu, quand il lui survient une disgrâce qu'il n'avait pas prévue ; comme si c'était un soulagement pour lui d'avoir à qui s'en prendre dans son malheur, il en accuse Dieu, et, par la plus étrange contradiction , il l'attribue à cette Providence même qu'il niait par une fière et orgueilleuse impiété. Or, qu'y a-t-il de plus bizarre que de ne vouloir pas reconnaître une Providence pour lui obéir et pour se conformer à elle; et d'en reconnaître une pour l'outrager? Voici quelque chose encore de plus surprenant : c'est que souvent le libertin veut douter de la Providence, par les raisons mêmes qui prouvent invinciblement la Providence, et qui seules devraient suffire pour la lui persuader. Car sur quoi fonde-t-il ses doutes touchant la providence d'un Dieu? sur ce qu'il voit le monde rempli de désordres. Et c'est pour cela même, dit saint Chrysostome, qu'il doit conclure nécessairement qu'il y a une Providence. En effet, pourquoi ces désordres dont le monde est plein sont-ils des désordres, et pourquoi lui paraissent-ils désordres, sinon parce qu'ils sont contre l'ordre et qu'ils répugnent à l'ordre? Or, qu'est-ce que cet ordre auquel ils répugnent, sinon la Providence? Il se fuit donc une difficulté de cela même qui résout la difficulté, et il devient infidèle par ce qui devait affermir sa foi. Mais s'il y avait, dit-il, une Providence, arriverait-il dans la société des hommes tant de choses dont les hommes eux-mêmes sont scandalisés? Et moi je réponds : Mais de ce que les hommes eux-mêmes en sont scandalisés , n'est-ce pas une preuve authentique de la Providence, qui ne permet pas que ces choses soient autorisées, et qui veut pour cela que parmi les hommes elles passent et qu'elles aient toujours passé pour scandaleuses? Si les hommes ne se scandalisaient plus de rien, c'est alors qu'on pourrait peut-être douter qu'il y eût une Providence, et que peut-être l'impie pourrait dire dans son cœur qu'il n'y a point de Dieu. Mais tandis qu'on se scandalise de l'insolence du vice, tandis que là censure même du monde condamne le libertinage, tandis qu'on abhorre l'impiété, tandis que la haine publique s'élève contre l'iniquité, la Providence est à couvert, et rien de tout cela ne prévaut contre elle. Or, on se scandalisera toujours de tout cela , parce qu'il y aura toujours un Dieu et une Providence. Il est vrai : on commettra dans le monde des crimes honteux, des perfidies noires, des trahisons lâches. Mais ces crimes ne seront honteux, que parce qu'il y a une Providence qui y attache un caractère de honte et qui nous le fait voir; ces perfidies ne seront détestées comme perfidies, que parce qu'il y a une Providence qui fait aimer la bonne foi; ces trahisons ne seront réputées lâches, que parce qu'il y a une Providence qui met en crédit l'honneur et la probité. On fera des actions dont on rougira, qu'on se reprochera, qu'on désavouera : mais ces désaveux, ces remords, cette confusion, seront dans ces actions-là mêmes autant d'arguments en faveur de la Providence. Au contraire, quel avantage contre elle l'impie ne tirerait-il pas, si l'on ne les désavouait plus, si l'on ne s'en cachait plus, si l'on n'en rougissait plus? Voilà le désordre de celui qui renonce à la Providence par un esprit d'incrédulité.

Mais supposons qu'il le fasse sans préjudice de sa foi, et par une simple révolte de cœur : autre désordre encore moins soutenable, de croire une Providence qui préside au gouvernement du monde, et de ne vouloir pas se soumettre à elle, de ne vouloir pas se régler par elle, ni agir de concert avec elle; d'être assez téméraire, ou plutôt assez insensé, non-seulement pour affecter de s'en rendre indépendant, mais pour prétendre arriver malgré elle aux fins qu'on se propose, et venir à bout de ses entreprises par d'autres moyens que ceux qu'elle a marqués. Tel est néanmoins

 

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le désordre où conduit insensiblement l'esprit du monde. En croyant même une Providence, on vit dans le monde comme si l'on ne la croyait pas. Car on croit une Providence (appliquez-vous, mon cher auditeur, et reconnaissez-vous ici), on croit une Providence, et toutefois on agit dans les affaires du monde avec les mêmes inquiétudes, avec les mômes empressements, avec les mômes impatiences, avec le même oubli de Dieu dans les succès, avec le même abattement dans les afflictions, avec la même présomption dans les entreprises , que si cette Providence était un nom vide , et qu'elle ne décidât de rien, ni n'eût part à rien. En effet, si la foi de la Providence entrait dans la conduite de notre vie autant qu'elle y devrait entrer , c'est-à-dire si nous ne perdions jamais cette Providence de vue, et si chacun de nous ne se regardait que comme un sujet né pour exécuter ses ordres, dès là il n'y aurait rien dans nous que de raisonnable : nous ne serions ni passionnés, ni emportés, ni vains, ni inquiets, ni fiers, ni jaloux, ni ingrats envers Dieu, ni injustes envers les hommes : soumis à cette Providence, nous aurions dans le monde des intérêts sans attachement, des prétentions sans ambition , des avantages sans orgueil ; nous n'abuserions ni des biens, ni des maux, et nous conserverions en toutes choses cette sainte modération de sentiments et de désirs, qui, selon la maxime de saint Paul, nous rendrait modestes dans la prospérité et patients dans l'adversité. Pourquoi ? parce que tout cela est essentiellement renfermé dans ce que j'appelle la subordination ou la soumission d'une âme fidèle à la Providence de Dieu. Mais parce que l'esprit du monde, qui prédomine en nous, nous fait abandonner cette Providence, par une suite inévitable nous tombons en mille désordres. Nous recevons de Dieu des bienfaits sans les reconnaître, et des châtiments sans en profiter. Ce qui devrait nous convertir, nous endurcit ; et ce qui devrait nous sanctifier, nous irrite et nous désespère. Nous nous élevons, où il faudrait nous humilier; et nous nous troublons, où il faudrait bénir Dieu et nous consoler. Des succès d'autrui nous nous faisons par envie de honteux chagrins, et des chagrins d'autrui de malignes joies. Il n'y a pas un mouvement de notre cœur qui ne soit, pour ainsi parler, hors de sa place ; et cela, parce que ce n'est plus du premier mobile, je veux dire de la foi d'une Providence, que nous recevons l'impression. Or, dès là, Seigneur, comment ne serions-nous pas de toutes vos créatures les plus criminelles, puisqu'en nous retirant d'une conduite aussi sainte et aussi droite que la vôtre, il ne nous reste plus que des voies trompeuses et détournées, où nous faisons autant de chutes que de pas ?

Prenez garde, Chrétiens, et pour bien comprendre la vérité que je vous prêche, remarquez que cet homme du siècle qui se détache de la Providence, pour ne plus dépendre d'elle, ne le fait, ou que pour vivre au hasard et pour suivre en aveugle le cours de la fortune, dont le torrent entraîne toutes les âmes faibles ; ou que pour se gouverner selon les vues de la prudence humaine, dont les sages du monde prennent le parti. Or, je soutiens que l'un et l'autre est pour Dieu l'outrage le plus sensible, et il n'y a personne de vous qui n'en doive convenir avec moi. Car, de n'avoir plus d'autre principe de sa conduite que la fortune, et d'en vouloir suivre le cours, n'est-ce pas tomber dans l'idolâtrie des païens , qui, comme l'observe saint Augustin, au lieu d'adorer les conseils de Dieu dans les événements du monde, aimèrent mieux se faire une divinité bizarre, qu'ils appelèrent Fortune, jusqu'à lui ériger des temples, jusqu'à l'invoquer dans leurs besoins, jusqu'à lui offrir des sacrifices pour l'apaiser, jusqu'à lui rendre des actions de grâces quand ils supposaient qu'elle leur était favorable ? Idolâtrie dont les sages mêmes du paganisme ne pouvaient supporter l'abus. Quelle indignité , disait un d'entre eux, de voir aujourd'hui la Fortune adorée partout, invoquée partout et, au mépris des dieux mêmes, révérée partout comme la divinité du monde! Quid enim est quod nunc toto orbe, locisque omnibus, Fortuna invocatur, una cogitatur, una nominatur, una colitur !

Et n'est-ce pas aussi, Chrétiens, ce que Dieu reprochait aux Israélites, quand il leur disait par la bouche d'Isaïe : Et vos qui dereliquistis Dominum, et obliti estis montem sanctum meum, qui ponitis Fortunes mensam, et libatis super eam; numerabo vos in gladio (1). Pour vous qui avez méprisé mon culte, vous qui dressez un autel à la fortune, et qui, par une apostasie secrète, lui faites dans le fond de vos cœurs des sacrifices, sachez que ma justice vengeresse ne vous épargnera pas. Or, ce sacrilège n'a pas seulement été le crime des Juifs et des païens : on le voit encore au milieu du christianisme, surtout à la cour; et c'en est un des plus grands scandales. Oui, mes chers auditeurs,

 

1 Isa., LXV, 11.

 

425

 

et vous le savez mieux que moi : l'idole de la cour, c'est la fortune; c'est à la cour qu'on l'adore ; c'est à la cour qu'on lui sacrifie toutes choses, son repos, sa santé, sa liberté, sa conscience même et son salut ; c'est à la cour qu'on règle par elle ses amitiés, ses respects, ses services, ses complaisances, jusques à ses devoirs. Qu'un homme soit dans la fortune, c'est une divinité pour nous; ses vices nous deviennent des vertus, ses paroles des oracles, ses volontés des lois. Oserai-je le dire? Qu'un démon sorti de l'enfer se trouvât dans un haut degré d'élévation et de faveur, on lui offrirait de l'encens. Mais que ce même homme qu'on idolâtrait vienne à déchoir, et qu'il ne se trouve plus en place, à peine le regarde-t-on. Tous ces faux adorateurs disparaissent, et sont les premiers à l'oublier : pourquoi? parce que cette idole de la fortune qu'on respectait en lui ne subsiste plus. Je sais qu'en tout cela l'on se regarde soi-même; mais c'est justement le désordre de se regarder et de se rechercher ailleurs soi-même qu'en Dieu et dans sa Providence. Il n'y a pas jusques aux gens de bien et aux spirituels qui ne se laissent surprendre à l'éclat d'une fortune mondaine, et qui n'aient quelque part à cette idolâtrie. Non pas, après tout, qu'il soit absolument défendu de se servir de ceux qui sont en crédit, pourvu qu'on les considère comme les ministres de la Providence : mais alors on ne s'appuie sur eux que selon les vues de Dieu ; et l'on ne les emploie pas, ainsi que nous le voyons tous les . jours, pour opprimer l'un , pour supplanter l'autre, pour soutenir l'injustice et pour faire triompher l'iniquité.

Il semble que le parti de ceux qui abandonnent la Providence pour se conduire selon la prudence humaine,  devrait être exposé à moins de désordres ; mais c'est en quoi nous nous trompons. Dans ces partisans de la fortune, il y a plus de témérité ; mais dans ces sages du monde, il y a plus d'orgueil. Or, rien n'offense plus Dieu que l'orgueil ; et n'est-ce pas ici qu'il paraît évidemment? Car, quel orgueil qu'un homme faisant fond sur soi-même, s'assurant de soi-même, ne comptant que sur soi-même, se croie suffisamment éclairé pour se gouverner soi-même, et pour avoir droit ensuite de s'applaudir à soi-même de ses avantages, jusques à dire intérieurement, comme ces impies dans l'Ecriture : Manus nostra excelsa, et non Domiuus, fecit hœc omnia (1) ; C'est moi qui me suis fait ce que je suis; c'est

 

1 Deuter., XXXII, 27.

 

par mon industrie et par mon travail que je suis parvenu là : l'établissement de ma maison, le succès de mes affaires, le rang que je tiens, tout cela est l'ouvrage de mes mains, et non de la main du Seigneur.  Quel orgueil, que n'ayant pas assez de lumières pour nous passer en mille conjonctures du conseil des hommes, nous pensions en avoir assez pour n'être pas obligés de consulter Dieu? Et afin de réduire cette vérité à quelque espèce particulière, quel désordre, par exemple, qu'un père, suivant les seules maximes de la sagesse mondaine, s'estime capable de disposer souverainement de ses enfants, de déterminer leurs vocations, de les engager en tels emplois, de leur procurer tels bénéfices, de leur faire prendre telle ou telle route, sans examiner si ce sont les voies de Dieu? A quoi s'expose-t-il par là, et quelles en sont pour lui, aussi bien que pour ses enfants, les affreuses conséquences ; puisque tout cela, et pour ses enfants et pour lui-même,  a de si  étroites liaisons avec le salut? Car enfin, du  moment que l'homme entreprend de se gouverner indépendamment de Dieu, il se charge devant Dieu de toutes les suites. Si elles sont malheureuses, il en prend sur lui le crime ; et comme la prudence humaine, même la plus raffinée,  est sujette à mille erreurs, qui peut dire combien de dettes il accumule les unes sur les autres, dont il faudra rendre compte un jour au souverain Juge? Quand j'ai recours à Dieu, c'est-à-dire quand, après avoir mûrement délibéré selon l'esprit de ma religion, et tâché de bonne foi à connaître l'ordre de Dieu, je viens à décider et à conclure, je puis alors avoir cette confiance, ou que je conclus sûrement, ou que si je manque, Dieu suppléera à mon défaut; que si je m'égare, Dieu aura d'autres voies pour me redresser, et qu'il ne m'imputera pas mon égarement : pourquoi? parce qu'autant qu'il était en moi, j'ai suivi les règles de la prudence chrétienne, en le priant de m'éclairer, et usant des moyens qu'il m'a donnés pour m'instruire de sa volonté. Mais quand je veux moi-même me conduire, je dois répondre de moi-même, et en répondre à un Dieu jaloux de ses droits, et qui, offensé de mon orgueil, n'est pas dans la disposition de me faire grâce. De là, en quels abîmes vais-je me précipiter? Car, pour demeurer toujours dans le même exemple, qu'un père dispose de ses enfants selon les idées de cette damnable politique du monde qui lui sert de règle,  qu'arrive-t-il ? vous le savez: pour en élever un, il sacrifie tous les autres.

 

426

 

Par prédilection pour ceux-ci, il ne fait à ceux-là nulle justice. Il destine à l'Eglise ceux qui pouvaient faire leur devoir dans le monde et il engage dans le monde ceux qui pouvaient utilement servir l'Eglise : et parce qu'il est néanmoins vrai que leur destinée temporelle a un enchaînement presque infaillible avec leur prédestination éternelle, en pensant les établir tous, il les damne tous, et lui-même se damne avec eux et pour eux. S'il s'était, en père chrétien, adressé à Dieu, il se fût préservé de tous ces désordres; mais il n'en a voulu croire que lui-même, et n'en croyant que lui-même, il s'est perdu, il a perdu ses enfants, et s'est rendu devant Dieu personnellement responsable de leur perte et de la sienne.

Voilà pourquoi le plus sage des hommes, Salomon, faisait à Dieu cette excellente prière : Da mihi sedium tuarum assistricem sapientiam, ut mecum sit, et mecum laboret, et sciam quid acception sit apud te (1). Donnez-moi, Seigneur, cette sagesse qui est assise avec vous sur votre trône, afin qu'elle travaille avec moi, et que, sans me tromper jamais, elle m'apprenne comment je dois agir, et ce qui vous est agréable. Prière, mes chers auditeurs, que nous devons faire, chacun dans notre condition, tous les jours de notre vie, prière que Dieu écoutera, parce que ce sera un hommage que nous rendrons à sa providence ; prière qui fera descendre sur nous les plus abondantes bénédictions du ciel parce qu'en honorant Dieu, elle engagera Dieu à s'intéresser pour nous. Sans cela, sans cette soumission à la providence de notre Dieu, nous ne serons pas seulement les plus criminels, mais les plus malheureux de tous les hommes. Vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

C'est un sentiment de saint Augustin qui ne peut être contesté, et qui me paraît aussi propre à nous imprimer une haute idée de Dieu, qu'à nous donner une connaissance parfaite de nous-mêmes ; savoir, que Dieu ne serait pas Dieu, si, hors de lui, nous pouvions trouver un bonheur solide; et que la preuve la plus convaincante et la plus sensible qu'il est notre dernière fin et notre souveraine béatitude, est qu'en nous éloignant de lui par le péché, nous devenons malheureux : Jussisti, Domine, et sic est, ut omnis animus inordinatus pœna sit ipsi sibi. Vous l'avez ordonné, Seigneur, disait ce grand

 

1 Sap., IX, 4.

 

homme faisant à Dieu l'humble confession de ses misères et les déplorant, vous l'avez ainsi ordonné, et l'arrêt s'exécute tous les jours, que tout esprit qui se dérègle, et qui veut sortir des bornes de la sujétion et de la dépendance en se séparant de vous, trouve sa peine dans lui-même. Or, c'est là justement, Chrétiens, la seconde proposition que j'ai avancée; et c'est assez de l'avoir conçue, pour en être persuadé : le plus grand malheur de l'homme est de se détacher de Dieu, et de vouloir se soustraire aux lois de sa providence : pourquoi cela? en voici les raisons. C'est qu'en renonçant à cette providence adorable, l'homme demeure, ou sans conduite, ou abandonné à sa propre conduite, source infaillible de tous les maux; c'est qu'en quittant Dieu, il oblige Dieu pareillement à le quitter, et à retirer de lui cette protection paternelle, qui fait, selon l'Ecriture, toute la félicité des justes sur la terre ; c'est qu'il se prive par là de la plus douce, ou plutôt de l'unique consolation qu'il peut avoir en certaines adversités, où la foi seule de la Providence le pourrait soutenir ; enfin, c'est que ne voulant pas dépendre de Dieu par une soumission libre et volontaire, il en dépend malgré lui par une soumission forcée, et que, refusant de se captiver sous une loi d'amour, il ne peut éviter d'être assujetti aux lois les plus dures d'une rigoureuse justice : quatre raisons qui demanderaient autant de discours pour être traitées dans toute leur étendue et toute leur force, mais dont l'exposition simple et courte suffira pour vous convaincre et pour vous toucher.

Imaginez-vous donc d'abord, disait saint Chrysostome, un vaisseau en pleine mer, battu des vents et des tempêtes, bien équipé néanmoins et bien pourvu de tout le reste, mais qui n'a ni pilote ni gouvernail : tel est l'homme dans le cours du monde, quand il n'a plus Dieu pour règle de sa conduite. Au défaut de la Providence, sur quoi peut-il faire fond, et à quoi peut-il s'attacher? S'il trouvait hors de cette Providence quelque chose de stable qui l'arrêtât et qui le fixât, son état peut-être serait moins à plaindre ; mais il faut qu'il convienne avec moi qu'en renonçant à la Providence, et en secouant le joug de Dieu, il ne lui reste que l'un ou l'autre de ces deux partis, je veux dire, ou de mettre son appui dans les hommes, ou d'être réduit à n'avoir plus d'autre ressource que lui-même. Or, des deux côtés, sa condition est également déplorable ; et quoi qu'il fasse, il est inévitablement et incontestablement malheureux. Car , d'être réduit à n'avoir plus d'autre

 

427

 

ressource que lui-même, qu'y a-t-il, à le bien prendre, de plus terrible? et pour peu que l'homme se connaisse, est-il rien qui soit plus capable de le désoler et de le consterner? Si je me trouvais seul et sans guide dans une solitude affreuse, exposé à tous les risques d'un égarement sans retour, je serais dans des frayeurs mortelles. Si, dans une pressante maladie, je me voyais abandonné, n'ayant que moi-même pour veiller sur moi, je n'oserais plus compter sur ma guérison. Si, dans une affaire capitale, où il s'agirait pour moi non-seulement de ma fortune, mais de ma vie, tout autre conseil que le mien me manquait, je me croirais perdu et sans espérance. Comment donc au milieu du monde, de tant d'écueils et de pièges qui m'environnent de tant de périls qui me menacent, de tant d'ennemis qui me poursuivent, de tant d'occasions où je puis périr, sans autre secours que moi-même, pourrai-je vivre en paix, et n'être pas dans de continuelles alarmes? Aussi, Chrétiens, ce qui fait tous les jours le malheur de l'homme, c'est l'homme même, obstiné à ne vouloir dépendre que de lui-même. Ce qui rend l'homme malheureux, ce n'est point ce qui est hors de lui, ni ce qui est au-dessus de lui, ni ce qui paraît même plus déclaré contre lui ; mais il est lui-même la source de ses peines, parce qu'il veut être lui-même la règle de ses actions. Et il faut par nécessité que cela soit ainsi; car comme, selon l'Ecriture, les pensées des hommes sont incertaines, confuses, timides, surtout à l'égard de ce qui les touche, Cogitationes mortalium timidœ (1) : si l'homme, réduit à lui-même, ne suit que ses propres vues, dès lors le voilà dans l'inquiétude, dans l'irrésolution, dans le trouble, ne pouvant plus s'assurer de rien, obligé à se défier de tout, livré à ses caprices, à ses inégalités, à ses inconstances, esclave d'une imagination qui le joue, sujet aux altérations d'un tempérament qui le domine. Comme il est rempli de passions, et de passions toutes contraires, il doit s'attendre à en être déchiré; et s'il se renferme dans lui-même, dès lors le voilà, selon les différentes situations, accablé de tristesse, saisi de crainte, envenimé de haine, infatué d'amour, dévoré d'une ambition démesurée, desséché des plus malignes envies, transporté de colère, outré de douleur, trouvant en lui-même non pas un supplice, mais un enfer.

Je sais, Chrétiens, qu'il a une raison supérieure à tout cela, dont il peut et dont il doit s'aider ; mais si d'une part elle lui est de

 

1 Sap., IX, 4.

 

quelque secours, que ne lui fait-elle pas souffrir de l'autre? A quoi lui sert, dit saint Augustin, cette raison non soumise à Dieu et bornée à ses faibles lumières, sinon à le rendre encore plus malheureux, à lui découvrir des biens auxquels il ne peut parvenir, à lui représenter des maux qu'il ne saurait éviter, à exciter en lui des désirs qu'il ne contente jamais, à lui causer des repentirs qui le tourmentent toujours, à lui donner du dégoût pour ce qu'il a, à lui faire sentir la privation de ce qu'il n'a pas, à lui faire apercevoir dans le monde mille injustices qui le désespèrent, et mille indignités qui le révoltent? Il raisonne sur tout, mais ses raisonnements l'affligent ; il prévoit tout, mais ses prévoyances le tuent ; il affecte d'être prudent et sage, mais n'est-ce pas de cette prudence même et de cette vaine sagesse que naissent ses amertumes et ses chagrins? S'il se laissait conduire à Dieu, la seule vue d'une Providence occupée à veiller sur lui fixerait ses pensées, bornerait sa cupidité, adoucirait ses passions, fortifierait sa raison, et dans ce calme de toutes les puissances de son âme il serait heureux : mais parce qu'il veut l'être sans Dieu et par lui-même, il ne trouve hors de Dieu et dans lui-même que misère et affliction d'esprit.

Que fera-t-il donc? convaincu de son insuffisance et ne voulant pas s'attacher à Dieu, mettra-t-il sa confiance dans les hommes ? Ah ! mes chers auditeurs, autre misère encore plus grande. Car, dit le Saint-Esprit, malheur à celui qui s'appuie sur l'homme et sur un bras de chair ! Maledictus qui confidit in homine, et ponit carnem brachium suum (1) ! Et en effet, sans parler du reste, à quelle servitude cet état n'engage-t-il pas? quelle bassesse, en secouant le joug de Dieu, de s'imposer le joug de l'homme; c'est-à-dire de ne plus vivre qu'au gré de l'homme, de ne plus subsister que par son crédit, de n'avoir plus d'autres volontés que les siennes, de ne plus faire que ce qui lui plaît, d'être obligé sans cesse à le prévenir, à le ménager, à le flatter; d'être toujours en peine si l'on est dans ses bonnes grâces ou si l'on n'y est pas, s'il est content ou s'il ne l'est pas ! est-il un esclavage plus ennuyeux et plus fatigant? Mais dépendre de Dieu, dont je suis sûr que la providence ne me peut manquer, voilà ce qui fait ma félicité, et ce qui faisait celle de saint Paul, quand il disait : Scio cui credidi (2). Je sais à qui j'ai confié mon dépôt. Au contraire, quand je pense qu'au défaut de Dieu, sur qui

 

1 Jerem., XVII, 5. — 2 2 Tim. I, 12.

 

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je ne veux pas me reposer, je confie ce dépôt, c'est-à-dire ma destinée et mon sort, à des hommes volages, à des hommes intéressés, à des hommes amateurs d'eux-mêmes, qui ne me considèrent que pour eux-mêmes, et qui compteront pour rien de m'abandonner dès que je commencerai de leur être à charge ou que je cesserai de leur être utile; ah! Chrétiens, pour peu que j'aie de sentiment, il faut que j'avoue qu'il n'est rien de comparable à mon malheur. Et certes, dit saint Chrysostome, si cette providence aimable d'un Dieu pouvait être suppléée à notre égard par la protection des hommes, ce serait surtout par celle des princes, que nous regardons comme les dieux de la terre, ou par celle de leurs ministres et de leurs favoris, qui nous semblent tout-puissants dans le monde. Or, ce sont justement là ceux sur qui l'Ecriture nous avertit de ne pas établir notre espérance à moins que nous ne voulions bâtir sur un fondement ruineux : Nolite confidere in principibus (1). Et afin que l'expérience nous rendît sensible ce point de foi, ce sont ceux dont la faveur opiniâtrement recherchée et inutilement entretenue, par une juste punition de Dieu, fait tous les jours plus de misérables, plus d'hommes trompés, délaissés, sacrifiés, et par conséquent plus de témoins de cette grande vérité, que dans les enfants des hommes, je dis même selon le monde, il n'y a point de salut : In filiis hominum, in quibus non est salus (2).

Cependant, Chrétiens, voici le comble de l'aveuglement du siècle. Quelque persuadé que l'on soit d'une vérité dont on a tant de preuves, et qu'il nous est si important de bien comprendre, on s'obstine à la combattre, et l'on aime mieux être malheureux en dépendant de la créature, que d'être heureux en s'assujettissant au Créateur. Malgré les rigoureuses épreuves qu'on fait tous les jours de l'indifférence, de la dureté, de l'insensibilité de ces fausses divinités de la terre, par une espèce d'enchantement on consent plutôt à souffrir et à gémir en comptant sur elles, qu'à jouir de la liberté par une sainte confiance en Dieu. Demandez à ces adorateurs de la faveur, à ces partisans et à ces esclaves du monde, ce qui se passe en eux ; et voyez s'il y en a un seul qui ne convienne que sa condition a mille dégoûts, mille déboires, mille mortifications inévitables, et que c'est une perpétuelle captivité. N'est-ce pas ainsi qu'ils en parlent dans le cours même de leurs prospérités? Mais quand,

 

1 Psalm., CXLV, 2. — 2 Ibid. 3.

 

après bien des intrigues, leur politique vient à échouer, et que, par une disgrâce imprévus qui les déconcerte et qui dérange tous leurs desseins, ils se voient oubliés, négligés, méprisés; ah! mes Frères, s'écrie saint Augustin, c'est alors qu'ils rendent un hommage solennel à cette Providence dont ils n'ont pas voulu dépendre. Et c'est alors même aussi que Dieu a son tour, et que, par une espèce d'insulte que lui permet sa justice, et qui ne blesse en rien sa miséricorde, il croit avoir droit de leur répondre, avec ces paroles du Deutéronome : Ubi sunt dii eorum in quibus habebant fiduciam? Surgant, et opitulentur vobis (1); Où sont ces dieux dont vous vous teniez sûrs, et qui devaient vous maintenir? ces dieux dont la protection vous rendait si fiers, où sont-ils? Surgant, et in necessitate vos protegant (2); Qu'ils paraissent maintenant, et qu'ils viennent vous secourir. C'étaient vos dieux, et vous faisiez plus de fond sur eux que sur moi : eh bien ! adressez-vous donc à eux dans l'extrémité où vous êtes ; et puisque vous les avez servis comme des divinités, qu'ils vous tirent de l'abîme, et qu'ils vous relèvent : Surgant, et opitulentur vobis.

De là, Chrétiens, quelle consolation pour un homme ainsi abandonné de Dieu, après qu'il a lui-même abandonné Dieu? quelle consolation, dis-je, surtout en certains états de la vie, où la foi seule d'une Providence nous peut soutenir? Car tandis que cette foi m'éclaire, et que je suis bien persuadé de ce principe qu'il y a un Dieu, dispensateur des biens et des maux, en sorte qu'il ne m'arrive rien que par son ordre, et que pour mon salut et pour sa gloire, j'ai dans moi un soutien contre tous les accidents; quelque indocile, quelque révolté même que je sois selon les sentiments naturels, je ne laisse pas au moins dans la partie supérieure de mon âme, et suivant les vues que me donne la foi, de me dire à moi-même : J'ai tort de murmurer et de me plaindre : Dieu l'a ainsi ordonné; et puisque c'est sa volonté, je dois m'y soumettre. Or, en me condamnant de la sorte, je me console, et cette pensée me fortifie : quoique je ne la goûte pas peut-être d'abord, il suffit que je l'approuve, et que j'y puisse revenir quand il me plaira, pour qu'elle me soit une ressource toujours présente dans ma douleur. Mais quand j'ai une fois effacé de mon esprit cette idée de la Providence, s'il me survient une affliction de la nature de celles où la raison de l'homme est à bout, et qui ne

 

1 Deut., XXXII, 37, 38. — 2 Ibid. 38.

 

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peuvent recevoir de la part du monde aucun soulagement, où en suis-je, et que me reste-t-il, sinon de boire tout le calice, et de le boire tout pur, comme les pécheurs, sans tempérament et sans mélange? Verumtamen fœx ejus non est exinanita : bibent omnes peccatores terrae (1). Or, dans le cours de la vie et des révolutions qui y sont si ordinaires, il n'est rien de plus commun que ces sortes d'états : et Dieu le permet, Chrétiens, pour nous convaincre encore plus sensiblement de la nécessité où nous sommes de nous attacher à sa providence ; et pour nous faire  voir la différence de ceux qui   se  confient   en   elle,   et  de  ceux  qui refusent de marcher dans ses voies. Car, de là vient qu'un juste affligé, persécuté, et, si vous voulez, opprimé, demeure tranquille, possède son âme dans la patience et dans une paix qui, selon l'Apôtre, surpasse tout sentiment humain, tire de ses propres maux sa consolation : pourquoi? parce qu'il envisage dans l'univers une Providence à qui il se fait un plaisir de se conformer. Dominus dedit, Dominus abstulit ; sicut Domino placuit, ita factura est (2) ; C'est le Seigneur qui m'avait donné ces biens, c'est lui-même qui m'en a dépouillé : que son nom soit à jamais béni I Au lieu que l'impie, frappé du coup qui l'atterre, fait, pour ainsi dire, le personnage d'un réprouvé, blasphémant contre le ciel, trouvant tout odieux sur la terre, accusant ses amis, plein de fureur contre ses ennemis, se désespérant,  et dans son désespoir n'ayant pas même, non plus que ce riche de l'enfer, une goutte d'eau, c'est-à-dire d'onction et de consolation : pourquoi? parce que c'était dans le sein de la Providence qu'il la pouvait puiser, et que cette source est tarie pour lui. Ce qui faisait dire à saint Chrysostome  que quiconque combat la Providence, combat son bonheur,   parce  que   le  grand  bonheur de l'homme est de croire une Providence dans le monde et de lui être soumis.

Que dis-je, Chrétiens, et le mondain, tout rebelle qu'il est, n'est-il pas encore sous le domaine de la Providence? Oui, il y est, et malgré lui il y sera; mais c'est cela même qui achève son malheur. Car de deux sortes de providences que Dieu exerce sur les hommes, l'une de sévérité et l'autre de bonté, l'une de justice et l'autre de miséricorde, au même temps qu'il se soustrait à cette providence favorable en qui il devait chercher son repos, il se trouve livré à cette providence rigoureuse qui le poursuit pour lui faire sentir son

 

1 Psalm., LXXIV, 9. — 2 Job, I, 21.

 

empire le plus dominant. Comme si Dieu lui disait : Tu n'as pas voulu te ranger sous celle-ci, tu souffriras de celle-là : car je les ai substituées l'une à l'autre par une loi éternelle et irrévocable; et dans l'étendue que je leur ai donnée, rien ne peut être hors de leur ressort. La providence de mon amour n'a pu t'engager, ce sera donc désormais la providence de ma justice qui te contiendra, qui te réprimera; qui, par des vengeances tantôt secrètes, tantôt éclatantes, se fera sentir à toi, qui, tantôt par des humiliations, tantôt par des afflictions, tantôt par des prospérités dont tu seras enivre, tantôt par des adversités dont tu seras accablé, tantôt par des douceurs qui t'empoisonneront le cœur, tantôt par des amertumes qui t'aigriront, qui te soulèveront et ne te corrigeront pas, te réduira malgré toi dans la dépendance. Et voilà comment Dieu tant de fois en a usé envers certains pécheurs de marque. Voilà comment il a traité un Pharaon, un Nabuchodonosor, un Antiochus, et bien d'autres. Ils n'ont pas voulu le reconnaître comme père; ils ont été forcés à le reconnaître comme juge. Ils n'ont pas voulu servir à glorifier sa providence aimable et bienfaisante ; ils ont servi à glorifier sa providence souveraine et toute-puissante. Ponam te in exemplum (1). Je ferai un exemple de toi, disait-il par son prophète à un libertin ; et c'est ce qu'il a fait et ce qu'il fait encore du peuple juif. Miracle subsistant de la providence d'un Dieu irrité; miracle qui seul peut convaincre les esprits les plus incrédules qu'il y a un premier maître et un Dieu dans le monde, devant lequel toute créature doit s'humilier, et à qui il est juste que tout homme mortel obéisse. Si donc, mes Frères, nous avons quelque égard à notre devoir ou à notre intérêt, soumettons-nous à lui et à sa providence. Soumettons-lui toutes nos entreprises; et sans négliger les moyens raisonnables qu'il nous permet d'employer pour les faire réussir, sans y épargner nos soins, du reste reposons-nous tranquillement et absolument sur lui du succès. Bénissons-le également, et dans les biens, et dans les maux : dans les biens, en les recevant avec reconnaissance; dans les maux, en les supportant avec patience. Demandons-lui sans cesse que sa volonté s'accomplisse en nous, qu'elle s'accomplisse sur la terre, et qu'elle s'accomplisse dans le ciel; sur la terre, où il veut nous sanctifier, et dans le ciel, où il veut nous couronner. C'est ce que je vous souhaite, etc.

 

1 Nahum, III, 6.

 

 

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