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SERMON POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE DE L'AVENT.
SUR   LE  SCANDALE.

ANALYSE.

 

Sujet. Jésus-Christ leur répondit : Allez dire à Jean ce que vous avez vu et entendu. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les morts ressuscitent ; et heureux celui qui ne sera point scandalisé de moi!

Après tant de miracles, n'est-il pas surprenant que Jésus-Christ ait été un sujet de scandale pour le monde ? Ce monde profana cl impie s'est scandalisé de sa personne., de sa doctrine, de sa loi, de sa croix, de sa mort. Cependant rendons gloire à Dieu : ce scandale enfin a cessé. Jésus-Christ a triomphé du monde, sa doctrine a été reçue, et son Evangile a prévalu. Mais si nous ne nous scandalisons plus de Jésus-Christ, nous scandalisons Jésus-Christ en scandalisant nos frères, qui sont ses membres ; et c'est de ce scandale qu'il est parlé dans ce discours.

Division. Jésus-Christ disait : Heureux celui qui ne sera point scandalisé de moi! et par une conséquence tout opposée, nous devons conclure que malheureux est celui qui scandalise Jésus-Christ en scandalisant le prochain. Malheureux celui qui cause le scandale; 1ère partie : mais doublement malheureux celui qui cause le scandale, quand il est spécialement obligé à donner l'exemple; 2e partie.

Première partie. Malheureux celui qui cause le scandale : pourquoi? 1° parce qu'il est homicide devant Dieu de toutes les aines qu'il scandalise; 2° parce qu'il se charge devant Dieu de tous les crimes de ceux qu'il scandalise.

 

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1° Quiconque est auteur du scandale, selon tous les principes de la religion, est homicide des âmes qu'il scandalise. Péché monstrueux, péché diabolique, péché contre le Saint-Esprit, péché essentiellement opposé à la rédemption de Jésus-Christ, péché dont nous aurons singulièrement à rendre compte à Dieu ; mais surtout péché d'autant plus dangereux que souvent on le commet sans avoir même intention de le commettre, et qu'il est attaché à des choses dont on ne se fait nul scrupule.

Péché monstrueux ; car quelle horreur de causer la mort à une âme ! Fût-ce le dernier des hommes que vous scandalisiez, c'est toujours une âme précieuse à Dieu, et une âme à qui vous ôtez une vie surnaturelle et divine.

Péché diabolique ; car, selon l'Evangile, le caractère particulier du démon est d'avoir été dès le commencement du monde homicide des âmes.

Péché contre le Saint-Esprit, parce qu'il attaque directement la charité, et que le Saint-Esprit est personnellement la charité même. S'il est contre la charité d'enlever à un homme son bien, sa réputation, son crédit, qu'est-ce que de lui faire perdre son salut éternel? Otez-lui tout le reste; mais du moins conservez son âme : Verum tamen animam illius servit.

Péché essentiellement opposé à la rédemption de Jésus-Christ, puisqu'il fait périr ce que Jésus-Christ est venu sauver. C'est ce que l'Apôtre représentait si fortement aux Corinthiens ; et ce qu'il leur disait, on peut bien vous le dire à vous-mêmes : Quoi! vous ferez périr votre frère, pour qui Jésus-Christ est mort!

Péché dont Dieu nous fera rendre un compte plus rigoureux à son jugement : Ipse impius in iniquitate sua morietur. Sanguinem autem ejus de manu tua requiram. C'est la menace que Dieu nous fait par son prophète. Cet homme, devenu impie et libertin, par le scandale que vous lui avez donné, mourra dans son iniquité, et en sera coupable. Mais vous qui l'aurez perdu, vous serez encore plus coupable devant moi, et vous me répondrez de son âme.

Péché que tous les jours on commet sans avoir même intention de le commettre. Il n'est pas nécessaire, pour me rendre criminel en ce point, que je me propose, d'un dessein formé de scandaliser mon frère ; il suffit que je fasse ce qui le scandalise, et que je m'en aperçoive. Une femme a beau dire : Je ne cherche clans ces conversations libres, dans ces parures immodestes, qu'à me distraire ou à satisfaire ma vanité, et non point à entretenir la passion de cet homme. Car, sans chercher à l'entretenir, elle l'entretient toutefois; et dès là le scandale qu'elle donne est un péché pour elle, et un péché grief.

C'est de là même que cet homicide des âmes est souvent attaché à des choses en apparence très-légères. Tout cela est innocent, dites-vous; mais appelez-vous innocent ce qui damne le prochain? Est-ce ainsi qu'a raisonné saint Paul ? Non, non, disait-il, si cette viande, qu'il m'est néanmoins permis de manger, est une occasion de chute pour mon frère, je n'en mangerai jamais.

2° Quiconque est auteur du scandale, se charge devant Dieu de tous les crimes de ceux qu'il scandalise. Quel abîme ! De combien de péchés, par exemple, un mauvais conseil n'est-il pas la source ? Or, en le donnant vous devenez responsable de toutes ses suites.

Mais les péchés sont personnels. Cela est vrai des autres péchés, et non du scandale, parce que l'homme scandaleux pèche tout à la fois et pour lui-même et pour autrui. Mais ces péchés ne m'ont pas même été connus. C'est assez que vous en ayez connu le principe, et que vous ayez eu sujet d'en craindre les funestes effets. Et voilà pourquoi David demandait à Dieu qu'il lui fit grâce sur deux sortes de péchés : sur les péchés cachés : Ab occultis meis munda me, et sur les péchés d'autrui, et ab alienis parce servo tuo.

Sainte prière que devraient faire surtout certaines femmes mondaines : prière qui serait déjà le commencement de leur conversion. La conversion d'une âme scandaleuse est un grand miracle; mais espérons tout de la grâce. Peut-être Dieu en voit-il quelqu'une qui profitera de ce discours; et quand ce discours n'en gagnerait qu'une seule à Dieu, le succès en serait toujours assez heureux.

Deuxième partie. Doublement malheureux celui qui cause le scandale, lorsqu'il est obligé à donner l'exemple, il n'y a point d'homme qui ne doive au prochain le bon exemple ; mais sur cela même il y a encore des engagements et des devoirs particuliers, selon les divers rapports que nous avons les uns avec les autres, dans la société humaine. Tels sont ceux 1° d'un père à l'égard de ses enfants; 2° d'un maître à l'égard de ses domestiques; 3° des prêtres et des ministres des autels, à l'égard du troupeau de Jésus-Christ; 4° des serviteurs de Dieu par profession, à l'égard du public; 5° des forts dans la foi, j'entends les catholiques, à l'égard des faibles, c'est-à-dire à l'égard de nos frères, ou séparés encore par le schisme, ou nouvellement réunis. Malheur donc spécialement à l'homme par qui le scandale vient, lorsqu'il a une obligation spéciale de donner l'exemple, parce que c'est alors que le scandale est plus contagieux, et que l'impiété en tire un plus grand avantage !

1° Quel est le crime d'un père qui scandalise lui-même et qui corrompt ses enfants? C'était à lui à les former au bien, et c'est lui qui les tourne au mal. Or à combien de pères ce caractère ne convient-il pas? Tel est, par la même raison, le désordre d'une mère mondaine à l'égard d'une fille à qui elle inspire tout l'esprit du monde par sa conduite, tandis qu'elle lui fait d'ailleurs dans ses discours de si belles, mais de si vaincs leçons de régularité et de vertu.

2° Quel est le crime d'un maître qui engage ses domestiques dans ses propres débauches, et qui les rend complices de ses iniquités? Saint Paul traitait un maître peu vigilant d'infidèle et d'apostat : qu'aurait-il dit d'un maître scandaleux? Votre maison, femme chrétienne, si toutefois vous êtes en effet chrétienne, devait être pour cette jeune personne qui vous sert, une école de sagesse ; et c'est là qu'elle apprend à déposer toute pudeur. Sans porter la chose si loin, que ne font point sur des domestiques vos seuls exemples, lors même que vous y pensez le moins et que vous le voulez le moins ? De croire que vous puissiez leur cacher vos dérèglements, abus. Autant de domestiques, autant de témoins et de censeurs qui vous éclairent, et qui vous rendent toute la justice que vous méritez.

3° Quel est le crime de ces ministres du Seigneur qui profanent les plus saintes fonctions, et font rejaillir le scandale de leur vie jusque sur leur ministère ? C'est ce qui excitait contre eux l'indignation de Dieu : Je vous avais établis pour édifier et pour conduire mon peuple; mais vous vous êtes égarés, et vous en avez égaré plusieurs avec vous. C'est pourquoi, concluait le Dieu d'Israël, je vous ai rendus vils et méprisables. Qu'y a-t-il aussi de plus méprisé qu'un prêtre scandaleux ? et n'est-ce pas de quoi le monde sait tant se prévaloir ? Cependant malheur au monde qui se fait un scandale, non plus absolument de Jésus-Christ, mais de Jésus-Christ dans la personne de ses ministres ! Car, 1° le Sauveur des hommes nous a prédit ce scandale, afin que nous n'en fussions point surpris; 2° il nous a dit de les écouter, et non de les imiter.

4° Que faut-il dire de ceux que nous appelons les forts dans la foi, parce qu'ils sont nés et qu'ils ont été élevés dans le sein de l'Eglise catholique ? Sont-ils excusables, lorsqu'au lieu de contribuer ou à ramener nos frères égarés, ou à confirmer nos frères réunis, ils ne servent, par leurs exemples, qu'à éloigner les uns davantage, et qu'à replonger les autres dans leur premier aveuglement? Car voilà ce que font nos scandales, et ce que naturellement ils doivent faire. Mais vivons bien, notre bonne vie sera plus efficace contre l'erreur que toutes nos paroles.

5° Que faut-il dire de ceux qui font profession de piété, lorsque dans leur piété ils laissent glisser et apercevoir des défauts qui décréditent la piété même ? Le monde est le premier à s'en scandaliser. C'est souvent une injustice, j'en conviens; et le monde, à l'égard des gens de bien, est un censeur trop sévère : mais plus il est sévère, plus nous devons être exacts et réguliers.

 

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Le fruit de ce discours est: 1° de nous préserver des scandales qu'on nous peut donner; 2° de n'en point donner nous-mêmes. Cet avis vous regarde, vous surtout que Dieu a élevés dans le monde, et dont les exemples font plus d'impression. Ah ! Seigneur, que ne puis-je faire ici ce que feront vos anges à la fin des siècles ! que ne puis-je, comme eux, ramasser et jeter hors de votre royaume tous les scandales !

 

Respondens Jesus, ait illis : Euntes, renuntiate Joanni quœ audistis et vidistis : Cœci vident, claudi ambulant, surdi audiunt, mortui resurgunt, et beatus est qui non fuerit scandalizatus in me!

 

Jésus-Christ leur répondit : Allez dire à Jean ce que vous avez vu et entendu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et heureux celui qui ne sera point scandalisé de moi ! (Saint Matthieu, chap. II, 14.)

 

Sire,

 

Après des miracles si éclatants, le Sauveur du monde avait droit de se promettre, non-seulement que les hommes ne se scandaliseraient point de son Evangile, mais qu'ils feraient gloire de l'embrasser et de le suivre. Tant de malades guéris, sourds, muets, aveugles, boiteux, des morts ressuscites, mille autres prodiges qui marquaient si visiblement la force et la vertu d'un Dieu, devaient sans doute lui attirer le respect et la vénération, que dis-je? l'adoration même et le culte de toute la terre. Cependant, ô profondeur et abîme des conseils de Dieu ! malgré ces miracles, Jésus-Christ est un sujet de scandale pour le monde, et ce scandale est devenu si général, que lui-même, dans l'Evangile, il déclare bienheureux quiconque saura s'en préserver : Et beatus qui non fuerit scandalizatus in me !

En effet, de quoi le monde, je dis le monde profane et impie, ne s'est-il pas scandalisé dans ce Dieu-Homme? II s'est scandalisé de sa personne, il s'est scandalisé de sa doctrine, il s'est scandalisé de sa loi, il s'est scandalisé de ses souffrances, il s'est scandalisé de sa mort, jusque-là que saint Paul, lorsqu'il parlait aux fidèles du mystère de la croix, ne l'appelait plus le mystère de la croix, mais le scandale de la croix : Ergo evacuatum est scandalum crucis (1) ! Eh! quoi donc, mes Frères, écrivait-il aux Calâtes, le scandale de la croix est-il anéanti? ce que les fidèles entendaient, et ce qui leur faisait comprendre que la croix, qui devait être pour les prédestinés un mystère de rédemption, serait pour les réprouvés un signe de contradiction, et que le grand scandale des hommes serait le Dieu même qui s'était fait homme pour les sauver.

Tel était alors le langage des apôtres ; mais rendons aujourd'hui gloire à Dieu, ce scandale enfin a cessé : Jésus-Christ a triomphé du monde, sa doctrine a été reçue, sa religion a prévalu: sa croix, comme dit saint Augustin,

 

1 Galat., V, 11.

 

est sur le front des souverains et des monarques. Mais à ce scandale dont Jésus-Christ était l'objet, il en a succédé un autre dont nous sommes les auteurs; un autre non moins funeste, et peut-être encore plus criminel. Je m'explique. Jésus-Christ n'est plus pour nous un sujet de scandale, mais nous sommes des sujets de scandale pour Jésus-Christ ; nous ne sommes plus scandalisés de lui, mais nous le scandalisons lui-même dans la personne de nos frères, comme il est écrit que saint Paul le persécutait en persécutant l'Eglise : Saule , Saule quid me persequeris (1) ? Saul, Saul, disait le Sauveur du monde, pourquoi me persécutez-vous? N'est-ce pas ainsi qu'il pourrait nous dire : Pourquoi me scandalisez-vous en scandalisant ceux qui m'appartiennent, et qui sont les membres de mon corps mystique? Or c'est de ce scandale causé au prochain que j'ai aujourd'hui à vous entretenir, après que nous aurons demandé le secours du ciel par l'intercession de Marie. Ave, Maria.

J'entre d'abord dans mon sujet, et m'arrêtant à la pensée du Fils de Dieu, sur laquelle roule toute la morale de notre évangile, et qui doit servir à notre instruction ; au lieu que le Sauveur du monde déclare heureux quiconque ne sera point scandalisé de lui : Et beatus qui non fuerit scandalizatus in me, par une conséquence tout opposée, je conclus que malheureux est celui qui scandalise Jésus-Christ même, en scandalisant le prochain. Voilà le point important que j'entreprends d'établir. Péché de scandale, que Dieu déteste et qu'il condamne si hautement en mille endroits de l'Ecriture. Péché qu'il reprochait si fortement à une âme infidèle, par ces paroles du psaume : Adversus filium matris tuœ ponebas scandalum (2) ; vous dressiez un piège à votre frère, pour le faire tomber; et, insensible à la douleur que l'Eglise, votre commune mère, ressentirait de sa perte, vous ne craigniez point d'être pour lui une occasion de scandale. Péché, dit Tertullien, qui forme les âmes au crime, comme le bon exemple les forme à la vertu. Scandalum exemplum rei malœ, œdificans ad delictum (3). Je veux aujourd'hui, Chrétiens, vous donner l'idée et la juste notion de ce péché ; je veux vous en inspirer l'horreur; je

 

1. Act., XXVI, 14. — 2. Psalm., 49. — 3 Tertull.

 

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veux, avec le secours de la parole de Dieu, vous apprendre à le craindre et à l'éviter.

Or, pour cela j'avance deux propositions : écoutez-les, parce qu'elles vont faire le partage de ce discours. Malheureux celui qui cause le scandale : c'est la première ; mais doublement malheureux celui qui le cause, quand il est spécialement obligé à donner l'exemple : c'est la seconde. Malheureux celui qui cause le scandale : voilà le genre du péché que je combats, et qui, regardé absolument, ne se trouve que trop répandu dans toutes les conditions. Mais doublement malheureux celui qui cause le scandale, quand il est spécialement obligé à donner l'exemple : voilà l'espèce particulière de ce péché, qui, pour être bornée à certains états, n'est encore néanmoins, comme vous le verrez, que d'une trop grande étendue. Malheureux l'homme, quel qu'il soit, qui devient à ses frères un sujet de scandale et de chute : la seule qualité de chrétien doit faire sa condamnation. Mais plus malheureux l'homme qui scandalise ses frères, lorsqu'outre la qualité commune de chrétien, il a encore un titre propre et personnel qui l'engage à les édifier. Dans la première partie, je vous donnerai sur cette importante matière des règles et des maximes générales, qui conviendront à tous. Dans la seconde, je tirerai de la différence de vos conditions des motifs particuliers, mais motifs pressants, pour vous inspirer à chacun sur ce même sujet, et selon votre état, tout le zèle et toute la vigilance nécessaire. L'un et l'autre comprend tout mon dessein. Commençons.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Il est nécessaire qu'il arrive des scandales : c'est Jésus-Christ qui l'a dit, et c'est un de ces profonds mystères où les jugements de Dieu nous doivent paraître plus impénétrables. Car sur quoi peut être fondée cette nécessité? N'en cherchons point d'autres raisons que l'iniquité du monde, dont Dieu sait bien tirer sa gloire quand il lui plaît, mais dont il ne lui plaît pas toujours d'arrêter le cours par les voies extraordinaires de son absolue puissance. Le monde, remarque fort bien saint Chrysostome expliquant ce passage, le monde étant aussi perverti qu'il est, et Dieu, par des raisons supérieures de sa providence, le laissant dans la corruption où nous le voyons, et ne voulant point faire de miracle pour l'en tirer, il est d'une conséquence nécessaire qu'il y ait des scandales : Necesse est ut veniant scandala (1).

 

1. Matth., XVIII, 7.

 

Mais quelque nécessaire et quelque infaillible que soit cette conséquence, malheur à l'homme par qui le scandale arrive ! C'est ce qu'ajoute le Fils de Dieu, et c'est le terrible anathème qu'il a prononcé contre les pécheurs scandaleux : Verumtamen vœ homini illi per quem scandalum venit (1). Anathème, dit saint Chrysostome, que les prédicateurs de l'Evangile ne sauraient, ni trop souvent répéter à leurs auditeurs, ni trop vivement leur faire appréhender. Appliquez-vous donc, Chrétiens, et souvenez-vous que voici peut-être le point de notre religion sur quoi il nous importe le plus d'être solidement instruits. Vœ homini illi ; malheur à celui qui cause le scandale ! Pourquoi ? parce qu'il est homicide devant Dieu de toutes les âmes qu'il scandalise,- et parce qu'il doit répondre à Dieu de tous les crimes de ceux qu'il scandalise. Deux raisons qu'en apporte saint Chrysostome, et qui sont capables de toucher les cœurs les plus endurcis , s'il leur reste encore une étincelle de foi. Donnez aujourd'hui, Seigneur, à mes paroles une force toute nouvelle : et vous, Chrétiens, rendez-vous plus attentifs que jamais, et ne perdez rien de tout ce qu'il plaira à Dieu de m'inspirer pour votre instruction.

Quiconque est auteur du scandale , selon tous les principes de la religion, devient homicide des âmes qu'il scandalise. Péché monstrueux, péché diabolique, péché contre le Saint-Esprit, péché essentiellement opposé à la rédemption de Jésus-Christ, péché dont nous aurons singulièrement à rendre compte devant le tribunal de Dieu ; mais, ce qui mérite encore plus vos réflexions, péché d'autant plus dangereux qu'il est plus ordinaire dans le monde ; que tous les jours on le commet sans avoir même intention de le commettre; que souvent il est attaché à des choses qui paraissent en elles-mêmes très-légères, et dont on ne se fait nul scrupule, mais qui, selon Dieu, sont d'une malice énorme, parce qu'elles servent de matière au scandale. Comprenez bien tout ceci, et voyons s'il n'y a rien en quoi je passe les bornes de la plus étroite vérité.

Péché monstrueux : car quelle horreur de causer la mort à une âme qui, juste et innocente, était agréable et précieuse à Dieu ! de lui ôter une vie surnaturelle et divine, et de lui faire perdre son droit au royaume de Dieu ! Or voilà, mes chers auditeurs, le péché que vous commettez, quand vous scandalisez votre prochain. Fût-ce le dernier des hommes pour qui

 

1. Ibid.

 

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vous êtes un sujet de chute, ou en le détournant du bien, ou en le portant au mal, ou en lui communiquant vos sentiments dépravés, ou en l'entraînant par vos exemples contagieux ; fût-ce, encore une fois, le dernier des hommes et le plus méprisable d'ailleurs, vous êtes toujours coupables ; et c'est ce que le Fils de Dieu a voulu nous marquer clairement et distinctement clans l'Evangile par ces paroles, dont le sens est si étendu : Qui autem scandalizaverit union de pusillis istis qui in me credunt (1). Que si quelqu'un scandalise un de ces petits qui croient en moi. Prenez garde, reprend saint Chrysostome, que Jésus-Christ ne dit pas: Si quelqu'un scandalise un grand de la terre. C'est encore un autre désordre plus criminel, et plus à déplorer dans le monde chrétien. Désordre toutefois si commun ! car combien de tout temps n'a-t-on pas vu, et combien tous les jours ne voit-on pas de ces esprits pernicieux qui, par un secret jugement de Dieu, semblent n'approcher les grands et n'avoir part à leur faveur que pour les corrompre par les détestables maximes qu'ils leur inspirent, et par les damnables conseils qu'ils sont en possession de leur donner ! Quoi qu'il en soit, la morale de Jésus-Christ, dans les paroles que j'ai rapportées , ne se borne pas à la condition des grands : il dit : Si quelqu'un scandalise un de ces petits : et par là, Chrétiens, il confond l'erreur où vous pourriez être, que la bassesse de la personne dût jamais vous tenir lieu d'excuse, et autoriser votre péché. Il est vrai, c'est une indigne créature, une créature de néant que vous pervertissez, c'est une âme vile selon le monde que vous faites servir à votre incontinence; mais cette âme, selon le monde si vile et si abjecte , ne laisse pas, dans l'idée de Dieu, d'être d'un prix infini ; et voilà pourquoi le Dieu même qui l'a créé, qui l'a rachetée, et qui sait la priser ce qu'elle vaut, vous déclare qu'autant de fois vous la scandalisez, il vaudrait mieux, non-seulement pour elle, mais pour vous, qu'on vous précipitât au fond de la mer : Expedit ei ut demergatur in profundum maris (2).

Péché diabolique : et la raison qu'en donne saint Chrysostome est bien évidente. Car, selon l'Evangile, le caractère particulier du démon est d'avoir été homicide dès le commencement du monde : Ille homicida erat ab initia (3); et il n'a été homicide, poursuit ce saint docteur, que parce que dès le commencement du monde il a l'ait périr des âmes en les séduisant, en les

 

1. Ibid., 6. — 2 Ibid. — 3 Joan., VIII, 44.

 

attirant dans le piège, en les faisant succomber à la tentation, en mettant des obstacles à leur conversion. Or que fait autre chose un libertin, un homme vicieux, un homme dominé par l'esprit impur, qui, dans l'emportement de ses débauches, cherche partout, si j'ose m'exprimer ainsi, une proie à sa sensualité? que fait-il autre chose, et à quoi sa vie scandaleuse est-elle occupée ? A tromper les âmes et à les damner : je veux dire, à se prévaloir de leur faiblesse, à abuser de leur simplicité, à profiter de leur imprudence, à tirer avantage de leur vanité, à ébranler leur religion, à triompher de leur pudeur, à dissiper leurs justes craintes, à arrêter leurs bons désirs, à les confirmer dans le péché, après les y avoir fait honteusement tomber en les subornant ; à les éloigner des voies de Dieu, lorsque, touchées de la grâce, elles commencent à se reconnaître, et qu'elles voudraient sincèrement se relever. Ne sont-ce pas là, mondain voluptueux et impudique, les œuvres de ténèbres à quoi se passe toute votre vie ? C'est donc l'office du démon que vous exercez ; et vous l'exercez d'autant plus dangereusement, qu'étant vous-même sur la terre un démon visible et revêtu de chair, ces âmes que vous scandalisez, accoutumées à se conduire par les sens, et charnelles comme vous, sont plus exposées à vos traits, et en reçoivent de plus mortelles impressions. Le démon, dès le commencement du monde, a été homicide par lui-même; mais il l'est maintenant par vous : c'est vous qui lui servez de suppôt, vous qui lui prêtez des armes, vous qui poursuivez son entreprise, vous qui devenez à sa place le tentateur; ou, pour user toujours de la même expression, le meurtrier des âmes, en sacrifiant ces malheureuses victimes à vos passions et à vos plaisirs. Ille homicida erat ab initio.

Péché contre le Saint-Esprit, parce qu'il attaque directement la charité, et que le Saint-Esprit est personnellement la charité même : je n'en dis point encore assez, et j'ajoute, parce qu'il blesse la charité dans le point le plus essentiel, et qu'à l'égard de cette vertu si nécessaire, et dont le Saint-Esprit est la source, il rend l'homme criminel, pour ainsi parler, au premier chef. Car, pour résonner avec saint Chrysostome, si le larcin qui dépouille le prochain d'un bien passager, si la calomnie qui lui ôte une vaine réputation, si un mauvais office qui lui fait perdre son crédit, et qui ne va pour lui qu'à la destruction d'une fortune périssable ; si ce sont là, dans toutes les règles de la religion, autant d'attentats contre la charité

 

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qui lui est due, qu'est-ce que le scandale qui tend à la ruine de son salut éternel? Non, non, concluait le disciple bien-aimé, un mal aussi grand que celui-là ne peut point être dans celui qui aime son frère : Qui diligit fratrem suum, scandalum in eo non est (1). En effet, il ne faut avoir envers son frère qu'une médiocre charité, pour prendre garde à ne lui pas causer un dommage infini en le scandalisant. Vengez-vous sur ses biens et sur sa personne, mais épargnez sa vie, dit Dieu à Satan, lorsqu'il lui permit de tenter Job : Verumtamen animam illius serva (2). Dieu par cet ordre, défendait seulement à Satan d'enlever au saint homme Job une vie naturelle et mortelle. Mais ne puis-je pas bien dire encore avec plus de sujet à un pécheur scandaleux : Si votre frère a eu le malheur d'encourir votre indignation, et de devenir l'objet de votre haine, faites-lui toute autre injustice qu'il vous plaira, mais ne portez pas la vengeance jusqu'à lui ravir une vie spirituelle et immortelle. Donnez-lui mille chagrins, suscitez-lui mille affaires, troublez son repos, soyez son persécuteur ; mais respectez au moins son âme, n'attentez point à sa conscience et à son salut : Verumtamen animam illius serva. Il s'ensuit donc que celui qui compte pour rien de scandaliser son frère, n'a pour lui nulle charité, et par conséquent qu'il est devant Dieu, non-seulement homicide de son frère, mais de la charité même  : Qui odit fratrem tuum homicida est (3). Or combien d'hommes de ce caractère, dans le siècle où nous vivons? c'est-à-dire combien d'hommes emportés dans leur libertinage, insensibles à la damnation de leurs frères, et qui, bien loin d'être touchés de la perte d'une âme, affectent d'y contribuer positivement, y travaillent de dessein formé, en cherchent les voies et les occasions, et se glorifient comme d'un succès d'y avoir réussi? Est-il un meurtre plus cruel? parlons plus simplement : est-il un crime plus outrageux au Saint-Esprit et à sa grâce ?

Je vais plus avant, et je dis : péché essentiellement opposé à la rédemption de Jésus-Christ ; car, au lieu que Jésus-Christ qui s'appelle et qui est par excellence le Fils de l'Homme, est venu en qualité de rédempteur pour chercher et pour sauver ce qui avait péri : Venit enim Filius Hominis quœrere et salvum facere quod perierat (4) le fils de perdition et d'iniquité, qui est, dans la pensée de Tertullien, l'homme scandaleux, vient, par un dessein tout contraire, pour damner et pour perdre ce qui a

 

1. 1 Joan , II,10.— 2. Job. II, 6.— 3. 1 Joan.,III, 15.— 4. Luc., XIX, 10.

 

été racheté. Et c'est en cela que le grand Apôtre a fait particulièrement consister la grièveté du scandale. C'est sur quoi était fondée cette remontrance si pathétique et si vive qu'il faisait aux Corinthiens, quand il les conjurait de renoncer à certains usages auxquels ils étaient attachés , mais dont quelques-uns de leurs frères , moins confirmés dans la foi, se scandalisaient. Il y a des faibles parmi vous, leur disait-il, et les libertés que vous vous donnez leur sont des occasions de chute ; mais savez-vous que ces faibles, à qui votre conduite est un scandale, sont des hommes, et des hommes fidèles, pour lesquels Jésus-Christ est mort? Savez-vous qu'en les scandalisant, en les perdant par votre exemple, vous détruisez, au moins dans leurs personnes, tout le mérite et tout le fruit de la mort d'un Dieu ? Il faudra donc, poursuivait l'Apôtre, que Jésus-Christ ait souffert inutilement pour eux? Il faudra que votre frère, encore faible, périsse et se damne, parce qu'il ne vous aura pas plu de ménager sa faiblesse, ni d'avoir pour lui les égards que la charité et la prudence chrétienne exigeaient de vous? Il faudra que vous arrachiez, comme par violence, à Jésus-Christ, ce qui lui a coûté tout son sang? Et peribit infirmus in tua scientia frater, propter quem Christus mortuus est (1).

C'est ainsi que leur parlait saint Paul, et cette raison seule les persuadait. Ce zèle dont ils étaient animés pour Jésus-Christ les engageait à se contraindre, et à ne s'attirer pas le juste reproche d'avoir été les ennemis de sa croix, en servant à la perte de ceux pour qui ce Dieu-Homme a voulu être crucifié : Propter quem Christus mortuus est. Touchés de ce motif, ils renonçaient sans hésiter à des pratiques qu'ils se croyaient d'ailleurs permises. Or, quel droit n'aurais-je pas, mes chers auditeurs, de vous reprocher aujourd'hui, je ne dirai pas de semblables libertés, mais des libertés bien plus dangereuses, bien plus condamnables ? Car combien de fois, et en combien de rencontres n'avez-vous pas dû vous appliquer ces paroles : Et peribit infirmus in tua scientia frater, propter quem Christus mortuus est ? Combien de fois, par des libertés criminelles qu'il vous était aisé de retrancher, n'avez-vous pas blessé des consciences, et donné la mort à des âmes faibles, pour qui votre Dieu a donné sa vie ? Et si ce qu'a dit saint Jean dans sa première Epître canonique est vrai, connue il l'est en effet, qu'il y a déjà dans le monde plusieurs Antechrists : Et nunc Antichristi

 

1. 1. Cor., VIII, 11.

 

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multi facti sunt (1) ; pourquoi ? parce que le monde est plein d'indignes chrétiens qui, par leurs scandaleux exemples, ruinent l'ouvrage de Jésus-Christ, et anéantissent le prix de sa rédemption adorable ; à combien de ceux qui m'écoutent cette malédiction , dans le sens même littéral de l'Apôtre, ne peut-elle pas convenir? Et nunc Antichristimulti facti sunt; combien d'Antechrists au milieu du christianisme, d'autant plus à craindre qu'ils sont moins déclarés et moins connus?

De là, péché dont Dieu nous fera rendre un compte plus rigoureux à son jugement. Car une des menaces de Dieu les plus terribles que je trouve dans l'Ecriture, c'est celle-ci : qu'il nous demandera compte, non-seulement de nous-mêmes, mais de notre prochain : Sanguinem autem ejus de manu tua requiram (2). Dois-je répondre d'un autre que de moi? disait Caïn en parlant à Dieu et voulant se justifier devant lui ; m'avez-vous établi le tuteur et le gardien de mon frère ? Num custos fratris mei sum ego? Langage que tiennent encore tous les jours tant de mondains : Suis-je chargé du salut d'autrui? en suis-je responsable? Oui, reprend le Seigneur par son prophète, vous m'en répondrez; et quand je viendrai, comme juge souverain, pour rendre à chacun ce qui lui sera dû et pour porter mes derniers arrêts, j'aurai droit selon toutes les lois de l'équité, de me venger sur vous de bien des crimes dont vous aurez été le premier principe. Car c'est par vos sollicitations que votre frère s'est perdu ; c'est par vos discours licencieux que la pureté de son âme a été souillée ; c'est vous qui, par vos erreurs et par les détestables maximes de votre libertinage raffiné, lui avez gâté l'esprit, c'est vous qui, par l'attrait et le charme de votre vie dissolue lui avez empoisonné le cœur, c'est vous qui l'avez dégoûté de ses devoirs; vous qui, par vos railleries pleines d'irréligion, lui avez fait secouer le joug et abandonner toutes les pratiques du christianisme : s'il s'est engagé dans vos voies corrompues, c'est par la liaison qu'il a eue avec vous ; s'il s'est livré à toutes ses passions, c'est par la fausse gloire qu'il s'est faite de vous imiter; s'il a contracté tous vos vices, c'est par le désir de vous plaire. Voilà, dit Dieu dans sou courroux, ce qui vous sera imputé, et ce que je punirai par les plus sévères châtiments. Vous avez fait de cet homme un impie ; et, entraîné par votre exemple, il a vécu et il est mort dans son iniquité : mais son sang criera

 

1. 1 Joan., II, 18. — 2. Ezech., III, 20. — 3. Gen., IV, 9.

 

à mon tribunal bien plus haut que celui d'Abel ; il me demandera justice contre vous, et quelle sera votre défense ? Ipse impius in iniquitate sua morietur : sanguinem autem ejus de manu tua requiram (2). Le texte hébraïque porte : Animant autem ejus de manu tua requiram : Je prendrai, pécheur, mais à tes dépens, la cause de cette âme reprouvée, dont tu auras été l'homicide; et, toute réprouvée qu'elle sera, m'intéressant encore pour elle, je ferai retomber sur toi le malheur de sa réprobation.

J'en ai dit assez, Chrétiens, pour vous faire connaître la grièveté de ce péché ; mais, sans insister là-dessus davantage, voici ce qui doit surtout exciter notre vigilance, et nous servir de règle pour apprendre à nous en préserver.

Péché dont souvent on se rend coupable, sans avoir même intention de le commettre. Serais-je assez heureux pour vous faire bien sentir cette vérité, et pour obtenir de vous que chacun s'applique à lui-même cette importante leçon? Car il n'est pas nécessaire, pour scandaliser les âmes, de se proposer, par un dessein formé, leur damnation, ni d'avoir une volonté déterminée d'être au prochain un sujet de chute. Le démon seul est capable d'une telle malice, et lui seul, dit saint Chrysostome, aime le scandale pour le scandale même. Il n'est pas, dis-je, besoin que je veuille expressément faire périr l'âme de mon frère ; c'est assez que je m'aperçoive qu'en effet je la fais périr; c'est assez que je tienne une conduite qui tend d'elle-même à la faire périr ; c'est assez que je fasse une action en conséquence de laquelle il est indubitable qu'elle périra. Mais je voudrais qu'elle ne pérît pas. Il est vrai, vous le voudriez; mais vouloir qu'elle ne pérît pas, et en même temps vouloir ce qui la fuit périr, ce sont, répond saint Chrysostome , deux volontés contradictoires : et votre désordre est, que de ces deux volontés, l'une bonne et l'autre mauvaise, la première, qui vous fait souhaiter que votre frère ne pérît pas, et qui est bonne, n'est qu'une demi-volonté, qu'une volonté imparfaite, qu'une de ces velléités dont l'enfer est plein, et qui ne servent qu'à notre damnation; au lieu que la seconde, par où vous voulez ce qui le fait périr, et qui est mauvaise, est une volonté efficace, une volonté absolue, une volonté consommée, et réduite à son entier accomplissement.

Ainsi, une femme remplie des idées du monde, et vide de l'esprit de Dieu, se trouve engagée dans des visites, dans des conversations dangereuses, et qu'elle ne veut pas

 

1. Ezech., III, 18.

 

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interrompre, se portant à elle-même témoignage qu'elle ne s'y propose aucune intention criminelle : toutefois elle voit bien que par ce commerce clic entretient la passion d'un homme sensuel, qu'elle excite dans son cœur des désirs déréglés, qu'elle le détourne des voies de son salut, qu'elle donne lieu à ses folles cajoleries; elle voit bien qu'en souffrant ses assiduités, sans qu'elle le veuille perdre, elle le perd néanmoins : en est-elle moins homicide de son âme? Non , Chrétiens : le scandale qu'elle donne est un péché pour elle, et un péché grief. Son intention, dans ce commerce, n'est que de satisfaire sa vanité ; mais, indépendamment de son intention, sa vanité ne laisse pas d'allumer dans ce jeune homme et d'y nourrir une impudicité secrète. Elle ne répond à l'attachement qu'on a pour elle que par des complaisances qu'elle appelle de pures honnêtetés, et elle est bien résolue d'en demeurer là : mais sa résolution n'empêche pas que l'effet de ses complaisances n'aille plus loin, et que, malgré elle, elle ne fasse périr celui qu'elle voudrait seulement se conserver, et à qui elle n'a pas le courage de renoncer.

C'est de là même que j'ai dit (et plût au ciel que vous sussiez profiter des malheureuses épreuves que vous en faites tous les jours, et de l'expérience que vous en avez, ou que vous en devez avoir!), c'est de là que j'ai dit, et je le dis encore, que cet homicide des âmes est souvent attaché à des choses très-légères dans l'opinion du monde, mais qui, pesées dans la balance du sanctuaire, sont des abominations devant Dieu ; à des immodesties dans les habits, à un certain luxe dans les parures, à des nudités indécentes, à des modes que le dieu du siècle, c'est-à-dire que le démon de la chair a inventées ; à des légèretés et des privautés où l'on ne fait point difficulté de se relâcher d'une certaine bienséance ; à des entretiens particuliers dont le secret, la familiarité, la douceur affaiblit les forts et infatué les sages; à des airs d'enjouement peu réguliers et trop libres, à des affectations de plaire et de passer pour agréable. Tout cela, dites-vous, est innocent. Hé quoi ! répond saint Jérôme, vous appelez innocent ce qui fait à l'âme de votre prochain les plus profondes et les plus mortelles blessures! Et quand, selon vos vues, que Dieu saura bien confondre, tout cela en soi-même serait innocent, du moment que les suites en sont si funestes, devez-vous vous le permettre, ou plutôt ne le devez-vous pas avoir en horreur?

Est-ce ainsi qu'a raisonné saint Paul, et sont-ce là les principes de morale qu'il nous a donnés? Non, non, disait cet homme apostolique, je ne me croirai jamais permis ce que j'aurai prévu, et ce que je saurai devoir être nuisible au salut de mon frère. Il parlait des viandes immolées aux idoles, qui, par elles-mêmes, n'ayant rien d'impur, pouvaient, dans le sentiment des apôtres, être mangées indifféremment par ceux des fidèles qui avaient la conscience droite, c'est-à-dire qui ne se sentaient nul penchant à l'idolâtrie, et qui faisaient une profession sincère de croire en Dieu seul. Il  n'importe, disait ce vaisseau d'élection, cet homme suscité de Dieu pour nous instruire et pour former nos mœurs : si la viande que je mange scandalise mon frère, quoique l'usage de cette viande ne me soit défendu par nulle autre loi, je me condamnerai par la loi de la charité à n'en point manger : Si esca scandizat fratrem meum, escam non manducabo in œternum (1). Etes-vous, Chrétiens, plus privilégiés que saint Paul? cette loi de la charité vous oblige-t-elle moins que lui? vous est-il plus libre qu'à lui de vous en dispenser? et si l'Apôtre, renonçant à ses droits, a cru qu'il devait s'abstenir d'une viande, quoique permise, mais dont il craignait qu'on ne se scandalisât, avec quel front pouvez-vous soutenir devant Dieu cent choses que vous traitez d'indifférentes, mais dont vous savez mieux que moi les pernicieux effets? Avec quel front les pouvez-vous traiter d'indifférentes, ayant tant de fois reconnu combien elles sont préjudiciables à ceux qui vous approchent? Non, doit dire avec l'apôtre de Jésus-Christ une âme vraiment chrétienne, si ces pratiques, si ces coutumes qu'autorise le monde et qui flattent mon amour-propre sont en moi des sujets de scandale, quoi qu'allègue ma raison pour me les justifier, je veux me les interdire : quelque innocentes qu'elles me paraissent, je les abhorre, je les déteste, j'y renonce pour jamais : Si esca scandalizat fratrem meum, non manducabo carnem in œternum.

Voilà comment vous devez parler et raisonner, si vous raisonnez et si vous parlez selon les principes de votre religion. Autrement (et c'est comme je l'ai d'abord marqué, le second malheur de celui qui donne le scandale), autrement, mon cher auditeur, vous vous chargez devant Dieu et devant les hommes, non-seulement du crime particulier que vous commettez en scandalisant votre frère, mais

 

1. 1 Cor., VIII, 13.

 

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généralement de tous les crimes que commet et que commettra celui que vous scandalisez. Or qui peut creuser et mesurer la profondeur de cet abîme? et, pour me servir de l'expression du Saint-Esprit, quelle multitude d'abîmes ce seul abîme n'attire-t-il pas? Abyssus abyssum invocat (1). Qui pourrait en faire le dénombrement? et quel autre que vous, ô mon Dieu, qui sondez les abîmes, les peut connaître? Deus qui intueris abyssos (2). De combien de péchés, par exemple, un mauvais conseil if est-il pas la source? un conseil violent et injuste donné à un homme puissant, et qui l'engage à satisfaire ou sa vengeance ou son ambition, quels maux ne cause-t-il pas? de quels désordres n'est-il pas suivi? quelle propagation, si j'ose ainsi dire, et quelle multiplicité de crimes n'entraîne-t-il pas après lui? Vous êtes trop éclairés pour n'en pas voir les conséquences, et trop sensés pour n'en pas frémir. Or, il est de la foi que quiconque est auteur d'un tel conseil, au même temps qu'il l'a donné, sans y contribuer autre chose que de l'avoir donné, s'est déjà rendu par avance coupable de tous ces malheurs; qu'il s'est fait malgré lui complice et garant, disons mieux, qu'il se trouve malgré lui solidairement chargé de toutes les injustices de celui qui le suit et qui l'exécute. Que vos jugements, Seigneur, sont incompréhensibles, et qu'il faut que les enfants des hommes soient livrés à un sens bien réprouvé, quand ils oublient de si grandes et de si terribles vérités!

Mais les péchés, me direz-vous, sont personnels ; et Dieu, quoique redoutable dans ses jugements, semble nous rassurer par ses promesses, lorsqu'il nous dit, dans l'Ecriture, que l'âme qui péchera est la seule qui mourra : Anima quae peccaverit, ipsa morietur (3) ; c'est-à-dire que chacun péchera pour soi; que le fils ne répondra point de l'iniquité de son père, ni le père de l'iniquité de son fils : Filius non portabit iniquitatem patris (4); que quand il faudra comparaître devant le souverain tribunal, chacun portera son propre fardeau, et non celui d'un autre : Unusquisque omis suum portabit (6). J'en conviens, et je sais que ce sont là autant d'oracles contenus dans la loi divine, cl qui, suivant l'ordre de la justice, se vérifieront à l'égard de tous les autres péchés ; mais exceptez-en le scandale : pourquoi? parce que le scandale n'est pas un péché purement personnel, mais comme une espèce de péché

 

1. Psalm., XLI, 8. — 2. Daniel., III, 55. — 3. Ezech., XVIII, 4. — 4. Ibid. , 20.— 5. Galat., VI, 5.

 

originel qui, se communiquant et se répandant, infecte l'âme, non-seulement de son propre venin et de sa propre malice, mais de la malice encore de tous ceux à qui il s'étend et sur qui il se répand. Exceptez, dis-je, de ces règles, l'homme scandaleux, qui, péchant et pour soi et pour autrui, doit être jugé aussi bien pour autrui que pour soi-même; et la raison en est bien naturelle. Car si, selon la loi de Dieu, celui qui pèche doit mourir; beaucoup plus, dit saint Chrysostome, celui qui fait pécher, celui qui incite au péché, celui qui conseille le péché, celui qui enseigne le péché, celui qui donne l'exemple du péché, celui qui fournit les moyens et les occasions du péché, tout cela, en quoi consiste le scandale, étant, sans contredit, plus punissable et plus digne de mort que le péché même. Il est donc vrai que chacun portera son propre fardeau ; mais pour vous, pécheur, par qui le scandale arrive, avec votre propre fardeau vous porterez encore celui des autres; et quoique les autres, dont vous porterez l'iniquité, n'en soient pas plus déchargés ni plus justifiés, c'est ce fardeau de l'iniquité d'autrui qui achèvera de vous accabler.

Mais ces péchés, ajoutez-vous, ne m'ont pas même été connus. Connus ou non, répond saint Jérôme, puisque votre péché en a été l'origine, ces péchés des autres, par une fatalité inévitable, sont devenus vos propres péchés. Vous n'avez pas su les désordres de ceux que vous scandalisez; mais pour ne les avoir pas sus, vous n'en avez pas moins été le principe. Vous ne les avez pas sus, mais vous avez dû les sa-. voir, mais vous avez dû les craindre, mais vous avez dû les prévenir ; et c'est ce que vous avez négligé : il n'en faudra pas davantage pour vous en faire porter toute la peine.

Voilà pourquoi le plus saint des rois, dans la ferveur de sa pénitence, demandait à Dieu qu'il lui fît particulièrement grâce sur deux sortes de péchés dont les conséquences lui paraissaient infinies : les péchés cachés, et les péchés d'autrui; les péchés qu'il commettait lui-même sans le savoir, et les péchés qu'il faisait commettre aux autres sans jamais se les imputer : Delicta quis intelligit ? ab occultis meis munda me, et ab alicuis parce servo tuo (1). Ah ! Seigneur, s'écriait-il, quel est l'homme qui connaisse toutes ses fautes? quel est l'homme qui s'applique à les connaître ? quel est l'homme qui, pour les pleurer et pour les expier, ait le don de les discerner?  Delicta quis intelligit? Purifiez-moi

 

1. Psalm.,  XVIII, 14.

 

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moi donc, mon Dieu, ajoutait-il, purifiez-moi des péchés que mon orgueil me cache, de ceux que la dissipation du monde m'empêche d'observer, de ceux dont le nuage de mes passions, ou le voile de mou ignorance, me dérobent la vue : Ab occultis meis munda me. Mais en même temps pardonnez-moi les péchés du prochain dont je me suis rendu responsable, les péchés du prochain à quoi j'ai malheureusement coopéré, les péchés du prochain dont ma scandaleuse conduite a été la source empoisonnée, les péchés du prochain que vous me reprocherez un jour, et qui, joints aux miens propres, mettront le comble à ce pesant fardeau que je grossis tous les jours, et sous lequel peut-être je dois bientôt succomber : pardonnez-les-moi, Seigneur, et accordez-moi que je prévienne par une exacte et une sévère pénitence le jugement rigoureux que vous en ferez : Et ab alienis parce servo tuo.

Sainte prière que l'esprit de Dieu suggérait à David, et dont je suis persuadé que l'usage ne serait pas moins nécessaire à la plupart de ceux qui m'écoutent ! Prière qu'une femme mondaine devrait faire tous les jours de sa vie dans l'esprit d'une humble componction ! Et quand je dis une femme mondaine, je ne dis pas une femme sans religion, ni même une femme sans règle, qui vit dans le libertinage et dans le désordre; mais je dis une femme du monde qui, contente d'une spécieuse régularité dont le monde se laisse éblouir, est toutefois bien éloignée de vouloir se gêner en rien, ni s'assujettir à marcher dans la voie étroite de la loi de Dieu. Je dis une femme du monde qui, se piquant d'être irrépréhensible dans l'essentiel, ne laisse pas, par mille agréments qu'elle se donne et qu'elle veut se donner, d'être un scandale pour les âmes. Je dis une femme du monde qui, sans être passionnée, ni attachée, n'est pas souvent moins criminelle que celles qui le sont; et qui, avec la fausse gloire dont elle est si jalouse, et dont elle sait tant se prévaloir, d'être à couvert de la censure et au-dessus des faiblesses de son sexe, n'en est pas moins, par les péchés qu'elle entretient, ennemie de Dieu. Prière qui serait déjà le commencement de sa conversion, si, à l'exemple de David, elle disait chaque jour à Dieu: Ab alienis parce ; pardonnez- moi, Seigneur, tant de péchés dont je me croyais en vain justifiée devant vous, et que l'aveuglement de mon amour-propre m'a fait jusqu'à présent envisager comme des péchés étrangers, mais dont je commence aujourd'hui à sentir le poids ! Pardonnez-moi toutes ces pensées, pardonnez-moi tous ces désirs, pardonnez-moi tous ces sentiments que j'ai fait naître par mes ajustements étudiés, par mes discours insinuants, par mes manières engageantes, quoiqu' accompagnées d'ailleurs d'une modestie qui m'inspirait plutôt une fierté profane qu'une retenue chrétienne : Ab alienis parce ! Mais, Seigneur, si vous me les pardonnez, puis-je me les pardonner à moi-même? et quelles bornes dois-je mettre à ma pénitence, lorsque je n'ai pas seulement à satisfaire pour moi-même, mais pour tant de pécheurs qui ne l'ont été et qui ne le sont encore que par moi ? Delicta quis intelligit ? ab occultis meis munda me, et ab alienis parce servo tuo.

Ce langage, il est vrai, femmes mondaines, ne vous est guère ordinaire; mais Dieu est le maître des cœurs, et quand il lui plaît, il donne bénédiction à sa parole. Je sais que la conversion d'une âme scandaleuse est un grand miracle dans l'ordre du salut; mais le bras du Seigneur n'est pas raccourci. Espérons tout de la grâce de Jésus-Christ : elle est plus forte que le monde; et quelque abondante que soit l'iniquité du monde, elle n'empêchera pas l'accomplissement des desseins de Dieu. Il y aura dans cet auditoire des âmes qui ne m'en croiront pas, et qui persisteront dans leurs scandales. Il y aura des chrétiens lâches, qui, convaincus de leurs scandales, n'auront pas la force d'y renoncer. Mais Dieu, parmi ces âmes lâches et ces âmes dures, a ses prédestinés et ses élus ; et peut-être, au moment que je dis ceci, en voit-il quelqu'une qui, efficacement persuadée de la vérité que je viens de lui annoncer, est enfin résolue à retrancher de sa personne, de sa conduite, de ses manières, de ses divertissements, de ses entretiens, de ses actions, tout ce qui peut être en quelque sorte contraire à la pureté de sa religion, et à l'édification du prochain. Quand je n'en gagnerais qu'une à Dieu, ne serais-je pas assez heureux? Quoi qu'il en soit, mes chers auditeurs, voilà ce que l'Evangile nous apprend, et ce qu'il ne nous est pas permis d'ignorer, puisque c'est un des articles les plus formels de la foi que nous professons. Tout scandaleux est homicide des âmes qu'il scandalise; et tout scandaleux doit répondre à Dieu des crimes de ceux qu'il scandalise : mais si le scandale absolument et en soi est un si grand mal, que sera-ce du scandale causé par celui dont on doit attendre l'exemple? Malheureux celui qui est auteur du scandale, mais doublement malheureux celui qui le donne, lorsqu'il est spécialement obligé à donner l'exemple I

 

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encore un moment de votre attention, c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Il n'y a point d'homme dans le monde qui, par la loi commune de la charité , ne doive au prochain le bon exemple ; et quand saint Paul établissait cette grande maxime qu'il donnait pour règle aux Romains : Unusquisque proximo suo placeat in bonum ad aedificationem (1) : que chacun de vous fasse paraître son zèle pour le prochain en contribuant à son édification, il est évident qu'il parlait en général, et sans nulle exception, ni de conditions, ni de rangs, ni de personnes. Mais il faut néanmoins avouer qu'il y a sur cela même des engagements et des devoirs particuliers, et que, selon les divers rapporta par où les hommes peuvent être considérés dans la société humaine et dans la liaison qu'ils ont entre eux, les uns sont plus obligés que les autres à l'accomplissement de cette loi. Ainsi , dans l'ordre de la nature, un père, en conséquence de ce qu'il est père, doit-il donner l'exemple à ses enfants. Ainsi, dans l'ordre de la Providence, un maître, et quiconque a le pouvoir en main , doit-il, par sa conduite et par ses mœurs, édifier ceux qui lui doivent obéir. Ainsi, dans l'ordre de la grâce, les prêtres et les ministres des autels doivent-ils, comme dit saint Pierre, par la sainteté de leur vie, être les modèles et la forme du troupeau de Jésus-Christ : Forma facti gregis ex animo (2). Ainsi, dans la doctrine de l'apôtre saint Paul, les serviteurs de Dieu par profession, en pratiquant les bonnes œuvres, doivent-ils prendre singulièrement garde à être sincères dans leur piété, et même, s'il se peut, exempts de tout reproche, pour fermer la bouche aux impies, ou pour les attirer à Dieu, du moins pour ne les pas scandaliser et ne les pas détourner des voies de Dieu : Sinceri, et sine offensa (3). Ainsi les forts dans la foi, je veux dire les catholiques , doivent-ils vivre parmi les faibles, c'est-à-dire parmi leurs frères, ou séparés encore ou nouvellement réunis, avec plus d'attention sur eux-mêmes, et plus de vigilance et de précaution ; tout cela fondé sur les principes les plus solides et les plus incontestables du christianisme.

Si donc, au préjudice de ses devoirs, le scandale vient de la même source d'où l'édification et le bon exemple auraient dû venir ; ou pour n'expliquer plus clairement, si celui qui, dans l'ordre de Dieu, a une obligation spéciale d'édifier

 

1. Rom., XV, 2 . — 2. 1 Petr., V, 3. — 3. Philip., 1, 10.

 

les autres est le premier à les scandaliser, ah ! Chrétiens, c'est ce qui met le comble à la malédiction du Fils de Dieu, et c'est alors qu'il faut doublement s'écrier avec lui : Vœ autem homini illi : malheur à cet homme! Pourquoi? parce que c'est alors, dit saint Chrysostome, que le scandale est plus contagieux, et qu'il fait dans les âmes de plus promptes et de plus profondes impressions; parce que c'est alors qu'il est plus difficile de s'en préserver ; parce que c'est alors que l'impiété en tire un plus grand avantage, et que la licence et le relâchement s'en font un titre plus spécieux, non-seulement de possession, mais de prescription. Appliquez-vous à cette seconde vérité, et n'en attendez point d'autre preuve que l'induction simple, mais vive et touchante , que j'en vais faire , en me réduisant à ces espèces de scandale que je viens de vous proposer.

Car quel est, mes chers auditeurs, le crime d'un père qui, déshonorant sa qualité de chrétien , et non moins indigne du nom de père qu'il porte , scandalise lui-même ses enfants et les corrompt par ses exemples? C'était à lui, comme père , à les former aux exercices de la religion, et c'est lui au contraire qui par ses discours impies, par ses railleries au moins imprudentes sur nos mystères, par son éloignement des choses saintes, par son opposition affectée à tout ce qui s'appelle œuvres de piété, en un mot, par sa vie toute païenne, leur communique son libertinage et son esprit d'irréligion. C'était à lui, par son devoir de père, à corriger les emportements de leur jeunesse, et à réprimer les saillies de leurs passions ; et c'est lui-même qui les autorise par des emportements encore plus honteux dans un âge aussi avancé que le sien, et par des passions encore plus folles et plus insensées. C'était à lui à régler leurs mœurs, et c'est lui-même qui, par des débauches dont ils ne sont que trop instruits, et qu'il n'a pas même soin de leur cacher, semble avoir entrepris de les entraîner et de les plonger dans les plus infâmes dérèglements. A combien de pères dans le christianisme, et peut-être à combien de ceux qui m'écoutent, ce caractère ne convient-il pas ? On ne se contente pas d'être libertin , on fait de ses enfants, par l'éducation qu'on leur donne, une succession et une génération de libertins : on n'a sur eux de l'autorité que pour contribuer plus efficacement à leur perte ; on n'est leur père que pour leur transmettre ses vices, que pour leur inspirer son ambition, que pour leur faire sucer avec le lait le fiel de ses inimitiés, que pour

 

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les engager dans ses injustices, en leur laissant pour héritage des biens mal acquis. Ne vaudrait-il pas mieux, dit saint Chrysostome, les avoir étouffés dès le berceau ? Et si nous avons horreur de ces peuples infidèles qui, par une superstition barbare, immolaient leurs enfants à leurs idoles, en devons-nous moins avoir de ceux qui, au mépris du vrai Dieu, à qui ils savent que leurs enfants sont consacrés par la grâce du baptême, les sacrifient au démon du siècle, dont ils sont eux-mêmes possédés?

Tel est, par la même raison, le désordre d'une mère mondaine, qui, chargée de l'obligation d'élever, dans la personne de ses filles, des servantes de Dieu et des épouses de Jésus-Christ, est assez aveugle, (disons mieux, et souffrez ces expressions) est assez cruelle pour en faire des victimes de Satan et des esclaves de la vanité du monde; qui, sous ombre de leur apprendre la science du monde, leur apprend celle de se damner, qui leur en montre le chemin, et qui détruit par ses exemples toutes les leçons de vertu qu'elle sait si bien d'ailleurs leur faire par ses paroles. Car, malgré les scandales qu'on leur donne, on prétend encore avoir droit de leur faire des leçons; à quelque liberté que l'on se porte, et quelque commerce, ou suspect, ou même déclaré, que l'on entretienne, en vertu du titre de mère, on ne laisse pas de prêcher à une fille la régularité, et d'exiger d'elle la modestie et la retenue; on veut qu'elle soit souple et docile, tandis que l'on s'émancipe, et que l'on secoue le joug de ses devoirs les plus essentiels. Mais c'est en cela même que consiste l'espèce de scandale que je combats; car quelle force peut avoir ce zèle, quoique maternel, quand l'exemple ne le soutient pas, ou plutôt quand l'exemple l'anéantit? et de quel effet peuvent être les instructions et les remontrances d'une mère dont la réputation est ou décriée ou douteuse, à une fille qui n'a plus la simplicité de la colombe, et qui, à force d'ouvrir les yeux, est peut-être devenue aussi clairvoyante et aussi pénétrante que le serpent?

Quel est le crime d'un maître, d'un chef de famille, qui, sans se souvenir de ce qu'il est, et s'oubliant lui-même, ou qui, abusant de son pouvoir, et renversant tout l'ordre de la Providence divine, devient le corrupteur de ceux dont il devait être le guide et le sauveur? Saint Paul ne croyait point outrer les choses, et en effet ne les outrait pas, quand il disait que quiconque n'a pas soin du salut des siens, et particulièrement de ses domestiques, a renoncé la foi, et est pire qu'un infidèle. Parole courte, mais énergique, dont je me promettrais bien plus pour la réformation et la sanctification de vos mœurs que de tous les discours, si vous vouliez, mon cher auditeur, vous appliquer sérieusement à la méditer : Si quis suorum, et maxime domesticorum, curam non habet, fidem negavit, et est infideli deterior (1). Mais si saint Paul parlait ainsi des maîtres peu soigneux et peu vigilants, comment aurait-il parlé des maîtres scandaleux? et s'il traitait d'apostasie la simple négligence ou le simple oubli de ce que doit un maître, comme chrétien, à ceux de sa maison, quel nom aurait-il donné à celui qui, bien loin de veiller sur eux et de s'intéresser pour leur salut, dont il est, comme maître, responsable à Dieu, les pervertit lui-même, et est une des causes les plus prochaines de leur réprobation ?

C'est néanmoins ce que nous voyons tous les jours, et ce que nous voyons avec douleur et avec gémissement. Car il faut, homme du siècle qui m'écoutez (supportez-moi, parce que j'ai pour vous un zèle de Dieu qui me presse et qui m'oblige à m'expliquer), il faut que ce domestique, qui vous est attaché et qui craint peu de se damner pourvu qu'il vous plaise, et que par là il fasse avec vous une misérable fortune, il faut qu'il soit l'instrument et le complice de votre iniquité, quand vous l'employez à des ministères que le respect dû à cet auditoire, et à la chaire où je parle, m'empêche de vous représenter dans toute leur indignité. Scandale abominable, et pour lequel j'aurais droit cent fois de me récrier sur vous : Vœ autem homini illi : malheur à ce grand, malheur à ce maître ! Il faut, femme chrétienne, si toutefois dans la vie que vous menez, vous vous piquez encore de l'être : il faut que cette fille qui vous sert, que cette fille, sans vice et sans reproche lorsqu'elle s'est donnée à vous, apprenne de vous à connaître ce qu'elle devait éternellement ignorer ; il faut qu'elle soit la confidente de vos intrigues, et qu'elle y participe malgré elle, quand vous exigez d'elle des services où son obéissance fait son crime. Dieu, en vous la confiant, vous avait établie la tutrice de son innocence, et c'est avec vous qu'elle la perd. Votre maison lui devait être une école de sagesse et d'honneur, et c'est là que vous lui enseignez à déposer toute pudeur. C'était une âme vertueuse et bien née ; et bientôt, par le malheureux engagement de sa conscience avec la vôtre, toutes ses bonnes inclinations sont étouffées, et tous ses principes de vertu

 

1 . 1 Timoth.,V, 8.

 

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détruits. Qu'aurez-vous à répondre à Dieu , quand il vous la produira dans son jugement, couverte de vos péchés, et quand vous la verrez dans l'enfer compagne inséparable de votre peine? Ne vous offensez pas de la véhémence avec laquelle il vous paraît que j'en parle ; peut-être ne fut-elle jamais plus nécessaire. Mais, sans rien dire davantage de ces scandales, qui vont jusqu'à rendre ceux qui vous servent les complices de vos désordres, que ne peut point et que ne fait point sur eux votre seul exemple, lors même que vous y pensez le moins et que vous le voulez moins? Car de croire que votre conduite leur soit inconnue et qu'elle demeure secrète, pour eux: abus, Chrétiens; cela ne peut être, et ne fut jamais. Autant de domestiques que vous avez, ce sont autant de témoins de votre vie; et non-seulement autant de témoins, mais autant de censeurs qui vous éclairent, qui vous observent, et qui vous rendent toute la justice que vous méritez.

Quel est le crime de ces ministres du Seigneur, qui, honorés du plus sacré caractère, et engagés dans les plus saintes fonctions du sacerdoce, les profanent par une vie séculière et mondaine, pour ne pas dire impure et licencieuse, et en font rejaillir le scandale jusque sur leur état et sur leur ministère ? Ils devaient être, selon Jésus-Christ, le sel de la terre ; et c'est par eux, dit saint Grégoire pape, que la terre se corrompt; ils devaient être la lumière du monde, et ils ne luisent que pour exposer au monde avec plus d'évidence les taches qu'on remarque en eux, et dont on rougit pour eux; ils devaient être et ils sont en effet cette ville située sur la montagne, et ils semblent n'être élevés que pour faire voir de plus haut des dérèglements qui jettent les peuples dans la surprise et dans le trouble, et qui les couvrent eux-mêmes d'ignominie et d'opprobre. C'est ce qui excitait contre eux l'indignation de Dieu, et ce qui l'obligeait à leur dire par un de ses prophètes ce que je n'oserais pas leur appliquer, si je ne parlais après Dieu et de la part de Dieu, à qui seul il appartenait de leur faire des reproches si pressants, et en des termes si forts. Mais puisqu'étant ce que je suis, que ce langage de Dieu me touche moi-même, et que je dois y prendre part ; puisque c'est une leçon que je nie fais à moi-même et qui me convient, je ne craindrai pas de leur faire entendre aujourd'hui la voix du Seigneur, en leur adressant ces paroles de Malachie : Et nunc ad vos mandatum hoc, o sacerdotes (1) : maintenant donc,

 

1. Malach., II, 1.

 

leur disait le Dieu d'Israël, prêtres et ministres de mes autels, écoutez-moi, et jugez-vous. Je vous avais établis dans mon Eglise pour l'édifier et pour la sanctifier; je vous avais donné le soin du troupeau, afin que vous en fussiez les pasteurs ; comme vos lèvres étaient les dépositaires de la science, vos œuvres devaient être la règle des mœurs et de la vraie piété. Cependant, infidèles aux obligations les plus étroites et les plus indispensables que je vous avais imposées, vous vous êtes écartés de la droite voie que vous enseigniez et que vous deviez enseigner aux autres ; vous vous êtes volontairement égarés, et, en vous égarant, vous en avez égaré plusieurs avec vous : Vos autem recessistis de via, et scandalizastis plurimos in lege (1). De là quelle suite? Ah ! Chrétiens, c'est ce que j'oserais encore moins penser et leur déclarer, si Dieu ne l'ajoutait pas : Propter quod et ego dedi vos contemptibiles, et humiles omnibus populis (2) : c'est pourquoi, concluait le Seigneur, tout pasteurs des âmes et tout ministres que vous êtes de mes autels, je vous ai rendus vils et méprisables aux yeux de tous les peuples ; votre vie , ou plutôt les scandales de votre vie, vous ont dégradés dans leur estime , et vous êtes devenus l'objet de leur censure. N'est-ce pas ainsi que tant de ministres du Dieu vivant éprouvent à la lettre la malheureuse destinée de ce sel de la terre, à quoi Jésus-Christ les a comparés? Car qu'en fait-on de ce sel, reprenait le Sauveur du monde, quand il est une fois corrompu ? on le foule aux pieds : Quod si sal evanuerit ad nihilum valet, nisi ut conculcetur ab hominibus (3). En effet, par une juste punition de Dieu , qui ne veut pas que cette métaphore de l'Evangile ne soit qu'une vaine figure, et qui permet que la prédiction de Malachie s'accomplisse visiblement, qu'y a-t-il dans le monde de plus méprisé qu'un prêtre scandaleux ? A Dieu ne plaise, mes chers auditeurs, que je prétende par là justifier le mépris que vous en faites, ni que je veuille autoriser les conséquences que vous avez coutume d'en tirer ! Quand je parle des scandales causés par les ministres du Seigneur, je vous en parle pour votre instruction, et non pas pour leur confusion ; je vous en parle pour en arrêter les pernicieux effets ; je vous en parle afin que ces scandales ne soient pas pour vous des tentations dangereuses, que vous n'en soyez pas troublés, que le fondement même de votre foi n'en soit pas ébranlé, et que le libertinage ne s'en prévale pas. Car je sais jusqu'à quel point il s'en prévaut tous les

 

1. Ibid., 8. — 2. Ibid., 9. — 3. Matth., V, 13.

 

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jours ; je sais quelle impression la vie des ecclésiastiques scandaleux fait sur vos esprits ; je sais combien elle contribue à endurcir vos cœurs, et que leurs mauvais exemples, ou, pour mieux dire, que vos raisonnements encore plus mauvais sur leurs mœurs et sur leurs exemples, sont un des plus grands obstacles du salut que vous ayez à surmonter.

Mais, pour finir cet article important par la morale de notre évangile, malheur à vous, si vous vous faites un sujet de scandale, non plus absolument de Jésus-Christ, mais de Jésus-Christ dans la personne de ses ministres, tout indignes qu'ils peuvent être de leur ministère, puisqu'en ce sens il est encore vrai qu'heureux est l'homme qui ne sera point scandalisé de lui : Et beatus qui non fuerit scandalizatus in me! Malheur si vous vous laissez entraîner à ce scandale, et si, tout contagieux qu'il est, vous ne savez pas vous garantir de sa malignité et de sa contagion ! Pourquoi? parce que le Sauveur du monde, qui a si bien su prévoir tout et pourvoir à tout, vous a donné, pour le combattre et pour le vaincre, des préservatifs qui vous rendront éternellement inexcusables, si vous n'en usez pas. Car premièrement, il vous a avertis que ce scandale arriverait, afin que vous n'en fussiez pas surpris. Secondement, il vous a lui-même marqué la conduite que vous avez à tenir, quand ces ministres assis sur la chaire de Moïse manqueraient à vous donner l'édification qu'ils vous doivent. Il vous a dit qu'alors il fallait vous attacher à la pureté de leur doctrine, et non pas à la corruption de leurs mœurs ; que vous seriez jugés sur les vérités qu'ils vous auraient annoncées, et non pas sur la vie qu'ils auraient menée : que vous deviez les écouter, et non pas les imiter; obéir à leurs ordres, et non pas faire selon leurs œuvres ; et qu'étant au reste ses ministres, qu'exerçant en son nom une puissance et une autorité légitimes, malgré leurs désordres, ou vrais, ou prétendus, il ne vous était point permis de les mépriser, parce que vos mépris retomberaient sur le maître qui les a envoyés : Qui vos spernit me spernit (1).

Que dirai-je maintenant de ceux que j'ai appelés les forts dans la foi, parce qu'ils sont nés et qu'ils ont été élevés dans le sein de l'Eglise catholique ? Sont-ils excusables, lorsqu'au lieu de seconder le zèle de tant de saints ouvriers, et de contribuer à ramener ceux de nos frères qui se trouvent encore malheureusement engagés dans l'erreur, ou à confirmer ceux dont

 

1. Luc, X, 16.

 

la foi, même après leur conversion, est encore chancelante, ils ne servent, au contraire, par leurs exemples, ou qu'à les éloigner davantage de nous, ou qu'à les replonger dans leur premier aveuglement? Car ce sont, mes chers auditeurs, avouons-le à notre honte, et profitons enfin une fois de la vue que Dieu nous en donne, ce sont nos mauvais exemples qui empêchent le parfait retour de tant de personnes que le malheur de leur naissance a séparées de notre communion, ou qui s'y sont nouvellement réunies. S'ils ont tant de peine, ou à revenir, ou à demeurer parmi nous, n'en cherchons point d'autres raisons que nos relâchements, que nos désordres, que nos impiétés dans l'exercice même du culte que nous professons. S'ils nous voyaient aussi sincères et aussi fervents catholiques que notre devoir et le nom que nous portons nous oblige à l'être, ils le deviendraient eux-mêmes comme nous. Ce qui les fortifie dans leurs préjugés, c'est la monstrueuse opposition que nous leur donnons lieu d'observer entre nos actions et notre créance. Que pensent-ils et que peuvent-ils penser, quand ils sont témoins de la manière dont nous assistons à l'auguste sacrifice du corps de Jésus-Christ ? Cela seul n'est-il pas capable de détruire dans leurs esprits et dans leurs cœurs toutes les bonnes dispositions qu'ils pourraient avoir à en croire la réalité? Cela seul (car c'est ainsi qu'ils s'en expliquent) ne les fait-il pas douter si nous la croyons bien nous-mêmes, et s'il ne leur est pas plus avantageux de ne la point croire du tout, que de se rendre coupables de telles profanations ? Quelque zèle que nous fassions paraître pour l'entière extinction du schisme, ils ne sauraient se persuader que nous soyons bien convaincus de la présence de notre Dieu clans son adorable sacrement, tandis qu'ils voient eux-mêmes les scandaleuses irrévérences qui se commettent dans nos églises et à la face de nos autels. Ils tirent de là des preuves contre nous, dont ils sont d'autant plus touchés qu'elles sont plus sensibles.

C'est donc à nous de faire cesser ce scandale, comme bien d'autres que l'hérésie, si vous voulez, avec malignité, mais peut-être avec vérité, nous a de tout temps reprochés ; et voilà le grand secret pour achever dans nos frères l'œuvre de Dieu ; voilà l'aimable violence que l'Evangile nous permet de leur faire, pour les forcer, si je l'ose dire, à rentrer promptement dans la maison de Dieu. Edifions-les par nos exemples : sans tant de discours, nous les

 

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convertirons. Montrons-leur, par notre conduite, qu'il y a entre ce que nous croyons et ce que nous pratiquons, une pleine conformité : ils ne nous résisteront pas. Honorons nuire foi par nos mœurs ; honorons par notre modestie et notre piété le grand sacrifice de notre religion. Le seul motif que nous propose David doit nous y engager : Nequando dicant genies: Ubi est Deus eorum (1)? de peur que les nations ne demandent ou qu'elles n'aient sujet de demander : Où est leur Dieu? et s'il est là où ils font profession de le reconnaître, comment ne l'y adorent-ils? ou même comment vont-ils tous les jours l'y déshonorer, l'y insulter, l'y outrager?

Enfin, que dirai-je de  ceux qui, déclarés pour la piété et fidèles à en pratiquer les oeuvres, y laissent d'ailleurs glisser et apercevoir des défauts dont les libertins se prévalent contre la piété même? Car le monde, quoiqu' impie et libertin, veut que les serviteurs de Dieu soient irréprochables ; il veut que leur vie soit à L'épreuve de la censure, et qu'il n'y ait rien dans leur conduite qui démente leur profession. S'ils ne répondent pas là-dessus à l'attente du monde ; s'ils  deviennent hommes comme les autres, et que leur piété ne soit pas exempte des faiblesses ordinaires; s'ils mêlent avec la dévotion le dérèglement de leurs passions, le raffinement de leurs vengeances, le taux zèle de leurs intérêts, les vues et les intrigues de leur ambition, la vivacité de leur humeur, l'intempérance de leur langue; si l'on voit un dévot délicat sur le point d'honneur, jaloux, avare, injuste, médisant, double et de mauvaise foi, n'est-ce pas un triomphe pour le libertinage, et comme un droit qui l'autorise? Je sais que le monde, en censurant la dévotion, lui fait souvent injustice : mais c'est pour cela même, reprend saint Chrysostome, que ceux qui veulent servir Dieu en esprit et en vérité doivent se rendre plus exacts et plus réguliers; qu'ils doivent se préserver avec plus de soin des moindres' fautes ; que, selon l'avertissement de saint Paul, ils doivent par là fermer la bouche aux impies. En sorte, disait cet apôtre aux premiers chrétiens , que nos ennemis n'aient rien à dire de nous ; en sorte que le nom du Seigneur ne soit point blasphémé, ni son culte avili : en sorte que notre religion, ou que Dieu dans notre religion, soit glorifié : Ut is qui ex adverso est vereatur, nihil habens malum dicere de nobis (2).

Concluons, mes chers auditeurs, et pour

 

1. Psalm., CXIII, 2. — 2.  1 Tit., II, 8.

 

recueillir en deux mots tout le fruit de ces grandes vérités, mettons-nous en garde contre les scandales qu'on peut nous donner; mais ayons encore plus de soin nous-mêmes de ne scandaliser jamais les autres. Disons tous les jours à Dieu, comme David : Custodi me a scandalis operantium iniquitatem (1) : préservez-moi, Seigneur, des hommes scandaleux, de ces pécheurs qui commettent ouvertement l'iniquité ; mais ne soyons pas aussi nous-mêmes de ce nombre. Si notre prochain est pour nous une occasion de chute, observons les saintes règles que Jésus-Christ nous a prescrites ; et, n'épargnant ni l'œil, ni la main qui nous scandalise, arrachons l'un et coupons l'autre ; c'est-à-dire, quelque violence qu'il nous en coûte, séparons-nous de ce que nous avons de plus cher, plutôt que de perdre notre âme ; mais gardons-nous aussi d'engager le prochain dans la voie de perdition, parce qu'en le perdant avec nous, nous sommes doublement coupables, et doublement enfants de colère. Et vous surtout que Dieu a distingués, qu'il a élevés dans le monde, appliquez-vous cette morale, et souvenez-vous que votre élévation même vous impose un devoir particulier, et une obligation d'autant plus étroite d'édifier le monde, qu'il y a plus à craindre que vos exemples n'entraînent les faibles. Car qui peut y résister, et où sont les âmes solides qui se raidissent et qui tiennent ferme contre ce torrent? Souvenez-vous de cette parole de Jésus-Christ : Sic luceat lux vestra coram hominibus, ut videant opera vestra bona (2); faites que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin que les hommes, édifiés de votre conduite et accoutumés à vous suivre, se trouvent réduits à l'heureuse nécessité de fuir le mal, et à la nécessité encore plus heureuse de faire le bien. N'oubliez jamais que c'est à vous de purger le monde des scandales qui y règnent, et que Dieu pour cela vous a choisis et placés sur la tête des autres. Ah ! Seigneur ! que ne puis-je faire aujourd'hui dans cet auditoire et dans cette cour ce que feront les anges dans le dernier jugement? Une des commissions que vous leur donnerez sera de ramasser et de jeter hors de votre royaume tous les scandales qui s'y trouveront : Et mittet angelos suos, et colligent de regno ejus omnia scandala (3). Que ne puis-je les prévenir ! que ne puis-je par avance exécuter l'ordre qu'ils recevront alors de vous! que ne puis-je dès maintenant, pour bannir tous les scandales, délivrer votre Eglise de tous les scandaleux, non pas comme vos anges

 

1. Psalm., CXL, 9. — 2. Matth. V, 16. — 3. Ibid., XIII, 41.

 

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exterminateurs, en les réprouvant de votre part, mais comme prédicateur de votre Evangile, en les convertissant, en les sanctifiant. Il ne tient qu'à vous, mes chers auditeurs, que mes vœux ne soient accomplis. Il y va de votre intérêt, et de votre plus grand intérêt, puisqu'il y va de votre salut, et du bonheur éternel que je vous souhaite, etc.

 

 

 

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