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SERMON POUR LE JEUDI DE LA PREMIÈRE SEMAINE.
SUR  LA  PRIÈRE.

ANALYSE.

 

Sujet. Alors une femme chananéenne, venue de ces quartiers-là,  s'écria en lui disant : Seigneur, Fils de David, ayez pitié de moi; ma fille est cruellement tourmentée par le démon.

Si jamais la force de la prière a paru sensiblement, n'est-ce pas dans l'exemple de cette femme chananéenne ? Jésus-Christ, en sa faveur, déploie toute sa vertu, confond les puissances de l'enfer, et par un double miracle délivre la fille et sanctifie la mère. Mais si la prière est par elle-même si efficace, d'où vient que les nôtres sont si infructueuses ? Je vais vous en apprendre les raisons dans ce discours.

Division. Rien n'est plus solidement établi dans la religion que l'infaillibilité de la prière. Mais en quel sens la prière est-elle infaillible ? pourvu que ce soit une prière sainte et chrétienne.  Si donc nos prières ne sont pas écoutées favorablement de Dieu, c'est qu'elles sont défectueuses, et quant au sujet, et quant à la forme. En deux mots, nous ne recevons pas, ou parce qui ne demandons pas ce qu'il faut : première partie ; ou parce que nous ne demandons pas comme il faut : deuxième partie.

Première partie. Nous ne demandons pas ce qu'il faut, première raison pourquoi Dieu n'écoute pas nos prières. La Chananéenne demande au Fils de Dieu que sa fille soit délivrée du démon ; mais nous, par un esprit tout opposé, nous demandons tous les jours à Dieu ce qui entretient dans nos âmes le règne du démon et même de plusieurs démons dont nous voulons être possédés. Parlons plus clairement. Nous demandons : 1° ou des choses préjudiciables au salut, 2° ou des biens purement temporels d inutiles au salut, 3° ou même des grâces surnaturelles, mais qui, de la manière que nous les concevons et que nous les voulons, bien loin de nous sanctifier, serviraient plutôt à nous retirer de la voie du salut.

1° Nous demandons des choses préjudiciables au salut, et en cela nous sommes semblables aux païens. Si nous en croyons les

 

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païens mêmes, un de leurs désordres était de recourir à leurs dieux, et de leur demander, quoi? la mort d'un parent la mort d'un concurrent, le patrimoine d'un pupille. C'est ce qui nous semble énorme : mais ne sommes-nous pas encore plus coupables qu'eux? C'étaient des païens, et ils adoraient des divinités vicieuses : au lieu que nous servons un Dieu non moins pur, ni moins saint, que puissant et grand. Il est vrai que nous savons mieux colorer nos prières, tout injustes qu'elles sont.  Un homme du siècle demande de quoi subsister dans sa condition, un père de quoi établir ses enfants, une femme la santé du corps, un plaideur le gain d’un procès : rien de plus raisonnable en apparence; mais rien au fond de plus condamnable, parce qu'on ne s'y propose que des vues d'intérêt, d'ambition, de plaisir. Ne nous étonnons donc pas que Dieu se rende insensible à nos vœux.

Les païens, tout païens qu'ils étaient, condamnaient un tel abus. Que pensez-vous de Jupiter, leur disait un de leurs poètes, lorsque vous lui faites une prière que vous n'auriez pas l'assurance de faire à un de vos magistrats? Et moi je vous dis, Chrétiens : Que pensez-vous de votre Dieu, lorsque vous voulez l'engager par vos demandes à devenir le complice de vos crimes ? Verum tamen servire me fecisti peccatis tuis, et laborem mihi prœbuisti in iniquitalibus tuis.

Je sais, et saint Jean nous l'apprend, que nous avons un puissant médiateur auprès du Père, qui est Jésus-Christ : mais veut-il être et peut-il être le médiateur de notre vanité, de notre avarice, de notre concupiscence, de notre sensualité? Heureux encore que Dieu rejette vos prières ! Ce qui a perdu les Pompée et les César, ajoutait le même satirique, ne sont-ce pas des souhaits criminels, accomplis par des divinités d'autant plus mortellement ennemies, qu'elles étaient plus condescendantes? Et si Dieu mes frères, vous accordait ce qui flatte votre passion, et ce qui, en la flattant, achèverait de vous pervertir, ne serait-ce pas le jugement le plus rigoureux et la plus terrible vengeance qu'il pût exercer sur vous?

2° Nous demandons des biens purement temporels, et du moins inutiles au salut. Je ne veux pas dire que les biens temporels ne soient pas des dons de Dieu, et qu'on ne puisse les lui demander : mais il nous les refuse, parce que nous ne les demandons, ni dans l'ordre qu'il a établi, ni par rapport à la fin qu'il a marquée. Car on ne lui demande que les grâces temporelles, sans penser aux spirituelles, qui devraient néanmoins tenir le premier rang dans nos prières. Nous prions comme Antiochus, qui ne demandait, ni l'esprit de pénitence, ni le don de piété, ni le respect des choses saintes, mais une santé qu'il préférait à tout le reste. C’est de ne rien demander, puisque toutes les grâces temporelles séparées du salut ne sont rien devant Dieu. D'où vient que le Fils de Dieu dit à ses disciples, en leur promettant sa médiation auprès de son Père : Si quid petieritis, Si vous demandez quelque chose; et qu'il leur ajouta qu'ils n'avaient encore rien demandé, parce qu'ils n'avaient demandé que des faveurs humaines et pas. Or, à combien de chrétiens ne pourrais-je pas faire le même reproche ?

L'ordre est que nous cherchions d'abord le royaume de Dieu, et Jésus-Christ nous assure ensuite que rien ne nous manquera. Mais si vous renversez cet ordre, ne vous appuyez plus sur les mérites de ce Dieu-Homme, puisque vos prières ne sont plus selon la règle qu'il nous a prescrite. Or, cet ordre si raisonnable et si sage, nous le renversons en effet tous les jours. Car au lieu de demander la bénédiction de Jacob, c'est-à-dire la rosée du ciel et puis la graisse de la terre : De rore cœli et de pinguedine terrœ, nous demandons, comme dans la bénédiction d'Esaü, la graisse de la terre avant la rosée du ciel : De pinguedine terrœ et de rore cœli.

Pour mieux entendre pourquoi Dieu n'a nul égard alors à nos prières, comprenez ce principe de saint Cyprien : que nos prières n'ont de vertu qu'autant qu'elles sont unies aux prières de Jésus-Christ. Or, qu'a-t-il demandé pour nous? les biens spirituels. Et pourquoi les a-t-il demandés ? par rapport à la fin pour laquelle il était envoyé, qui est le salut. Au contraire, que demandons-nous-? des richesses, des honneurs, une vaine réputation, une vie commode. Et pourquoi les demandons-nous? sans nul rapport au salut. Nos prières n'ont donc nulle conformité avec celles du Sauveur du monde, et nous ne devons plus être surpris si nous n’obtenons rien. Voila par où saint Augustin prouvait que l'espérance chrétienne n'a point pour objet les biens de cette vie ; voilà l'excellente raison dont se servait encore le même Père contre les railleries des païens. Vous nous reprochez, leur répondait-il, que malgré nos prières nous vivons dans la disette et dans l'abandon de toutes choses : mais pour nous justifier de ce reproche aussi bien que notre Dieu, il suffit de vous dire que quand nous le prions, ce n'est point précisément pour les biens de la terre, mais pour les biens de l'éternité. En quoi, poursuivait-il, nous ne pouvons assez admirer la libéralité de ce souverain Maître : il ne borne pas ses faveurs à des biens périssables, mais il veut être lui-même notre bonheur et notre récompense.

3° Nous demandons des grâces surnaturelles, mais qui, de la manière que nous les concevons et que nous les voulons, bien loin de nous sanctifier, serviraient plutôt à nous retirer de la voie du salut. Car nous demandons des grâces selon notre goût et selon nos fausses idées; des grâces qui nous aplanissent tellement toutes les voies du salut, qu'il ne nous reste ni mesures à prendre, ni efforts à faire.

Prière du Prophète : Je ne demande plus qu'une chose au Seigneur ; c'est de demeurer dans sa sainte maison. Prière de saint Augustin . Jusques à présent, Seigneur, je ne vous avais demandé que ce que demanderaient des païens et des impies; mais, mon Dieu, je vous rends grâces de ne m'avoir pas exaucé selon mes désirs. Vous écouterez désormais, Seigneur, mes demandes parce que je ne veux plus vous demander que les biens éternels.

Deuxième partie. Nous ne demandons pas comme il faut, seconde raison pourquoi Dieu n'écoute pas nos prières. Les conditions que Dieu exige, pour rendre nos prières efficaces, ne sont point si difficiles qu'elles doivent servir d'obstacle à l'accomplissement de nos vœux. Le Dieu que nous prions est trop libéral et trop bon pour enchérir ainsi ses grâces; et à bien examiner les qualités de la prière, il n'y en a aucune qui ne soit aisée dans la pratique, et d'une absolue nécessité. Quatre conditions : 1° humilité, 2° confiance, 3° persévérance, 4° attention de l'esprit et affection du cœur.

1° Humilité : quoi de plus raisonnable ? Peut-on avoir une juste idée de la prière, et oublier en priant cette règle fondamentale ? Prie-t-on autrement les princes de la terre? La Chananéenne fit-elle difficulté de se prosterner en la présence de Jésus-Christ et de l'adorer? Comment reçut-elle le refus qu'il lui fit d'abord en des ternies si humiliants et si capables de la rebuter ? Sa prière humble ; et les nôtres sont accompagnées d'un esprit d'orgueil, d'un esprit de présomption, d'un faste mondain, d'un luxe qu'on porte jusque dans le sanctuaire. Nous demandons à Dieu des grâces, non comme des grâces, mais comme des dettes ; murmurer s'il nous les refuse, et prêts à nous enfler et à les oublier s'il nous les accorde.

2° Confiance : quoi de plus juste ? Quels miracles Dieu n'a-t-il pas opérés en faveur de cette confiance ? N'est-ce pas à elle plutôt qu’à sa miséricorde qu'il attribue en mille endroits de l'Ecriture la vertu toute-puissante de la prière? Quelle confiance marqua à Jésus-Christ cette femme de notre évangile ! Qu'eût-elle fait si, déjà chrétienne, elle l'eût connu aussi parfaitement que nous ? Cependant tout chrétiens que nous sommes, nous nous défions de notre Dieu et de ses promesses les plus solennelles. Nous nous troublons, nous nous inquiétons, nous nous abandonnons à de secrets désespoirs ; nous n'avons recours à la prière que dans l'extrémité, et quand tout le reste nous manque.

3° Persévérance : quoi de plus convenable ? Les grâces de Dieu ne sont-elles pas assez précieuses pour mériter que nous les demandions souvent et longtemps? la Chananéenne cessa-t-elle de prier, quoique Jésus-Christ ne lui répondit pas une parole ? et ne fut-ce pas par sa persévérance qu'elle triompha, en quelque sorte, de la résistance du Fils de Dieu? Ne désespérez donc point, âme chrétienne, conclut un Père : Dieu aime que vous lui fassiez violence, il se plait à être désarmé par vous. Mais cette assiduité

 

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nous  fatigue et nous dégoûte ; et souvent sur le point de voir nos vœux remplis, nous en perdons tout le mérite et tout le profit.

4° Attention de l'esprit et affection du cœur : quoi de plus nécessaire et de plus essentiel à la prière? Car qu'est-ce que la prière ? un entretien de l'âme avec Dieu. Or, cela suppose un recueillement et un sentiment intérieur. Dès là donc qu'il n'y a ni attention, ni affection, il n'y a point de prière. D'où suivent trois conséquences : 1° que l'exercice de la prière est presque anéanti dans le christianisme, parce que la plupart prient comme les Juifs, des lèvres et non du cœur. 2° Que dans les prières qui sont commandées, l'attention est elle-même de précepte ; et ceci nous regarde , ministres de Jésus-Christ. Souvenons-nous que l'office divin est un acte de religion ; qu'un acte de religion n'est point une pratique purement extérieure ; et que comme l'Eglise, en nous commandant la confession, nous commande la contrition du cœur, aussi en nous commandant la prière, elle nous commande l'attention de l'esprit. 3° Que ce n'est donc pas sans raison que Dieu méprise nos prières, puisque ce ne sont rien moins que des prières. Chose étrange ! vous voulez que Dieu s'applique à vous quand il vous plait de le prier, et vous ne voulez pas vous appliquer vous-mêmes à Dieu. Réformons-nous sur ce seul article, et nous réformerons toute notre vie. Disons à Dieu comme les apôtres : Seigneur, apprenez-nous à prier.

 

Ecce mulier chananœa, a finibus illis egressa, clamavit, dicens ei : Miserere mei, Domine, fili David ; filia mea male a dœmonio vexatur.

 

Alors une femme chananéenne, venue de ces quartiers-là, s'écria, en lui disant : Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi ; ma fille est cruellement tourmentée par le démon. (Saint Matthieu , chap. XV, 22.)

 

Si jamais la force de la prière parut sensiblement, et d'une manière éclatante, n'est-ce pas, Chrétiens, dans l'exemple que nous propose l'évangile de ce jour, où nous voyons, pour parler avec saint Ambroise, un Dieu même surpris et dans l'admiration; un Dieu qui confond les puissances de l'enfer, qui fait des miracles, et qui déploie toute sa vertu en faveur d'une étrangère, laquelle a recours à lui, et qui, tout idolâtre qu'elle est, nous sert de modèle, et nous apprend à prier? Je dis un Dieu surpris et dans l'admiration : 0 mulier, magna est fides tua (1) ! 0 femme, votre foi est grande ! C'est ainsi que Jésus-Christ lui-même s'en explique, et ne semble-t-il pas que la foi de cette Chananéenne, et que la ferveur de sa prière ait quelque chose pour lui de surprenant et de nouveau? Je dis un Dieu qui confond les puissances de l'enfer, et qui fait des miracles. Que lui demande cette femme? qu'il guérisse sa fille cruellement tourmentée du démon; et le Fils de Dieu,d'une même parole, non-seulement délivre la fille, mais sanctifie encore la mère : Fiat tibi sicut vis (2); qu'il vous soit fait comme vous le souhaitez.

Il n'est donc rien de plus efficace auprès de Dieu que la prière : et d'où vient toutefois, mes chers auditeurs, que Dieu tous les jours se montre si peu favorable à nos vœux; que nous prions, et qu'il ne nous écoute pas, que nous demandons, et que nous n'obtenons pas? C'est ce que je veux examiner aujourd'hui, et ce qui va faire le fond de ce discours. Sujet d'une extrême conséquence, et qui mérite une réflexion toute particulière; car il s'agit, Chrétiens, de vous enseigner la plus excellente de

 

1 Matth., XV, 28. — 2 Ibid.

 

toutes les sciences ; il s'agit de vous apprendre à bien user du moyen de salut le plus puissant; il s'agit de vous faire connaître le secret inestimable et l'art tout divin de toucher le cœur de Dieu, de faire descendre sur nous les plus précieux trésors de sa grâce. Pour recevoir ce don de la prière, employons la prière elle-même, et implorons le secours du ciel par l'intercession de Marie. Ave, Maria.

 

Rien n'est plus solidement établi, dans la religion et la théologie chrétienne, que l'infaillibilité de la prière. Elle a une telle force, dit saint Jean Chrysostome, qu'elle rend, à ce qu'il semble, la parole de l'homme aussi puissante et même plus puissante que la parole de Dieu. Aussi puissante; car, comme Dieu d'une parole a fait toutes choses : Dixit, et facta sunt (1), l'homme n'a qu'à parler et à demander, tout lui est accordé : Quodcumque volueritis petetis, et fiet vobis (2). Plus puissante même en quelque sorte, puisque si Dieu se fait obéir, ce n'est que des êtres créés; au lieu que, parla vertu de la prière, tout Dieu qu'il est, il obéit, selon l'expression de l'Ecriture, à la voix de l'homme : Obediente Domino voci hominis (3). Nous entendons tous les jours des chrétiens qui se plaignent de l'inutilité de leurs prières, et du peu de fruit qu'ils en retirent; je ne m'en étonne pas. Car en quel sens disons-nous que la prière est infaillible? nous supposons pour cela une prière sainte, une prière faite avec toutes les conditions qui la doivent accompagner, et que Dieu attend de nous, lorsque de sa part il s'engage à nous accorder tout ce que nous demanderons. Or, voilà souvent ce qui manque à nos prières. Ce sont des prières défectueuses, et quant au sujet, et quant à la forme : quant au sujet, qui en fait la matière ; et quant à la forme, qui en fait la qualité. L'apôtre saint Jacques le disait aux fidèles de son temps, et je vous le dis à vous-mêmes :

 

1 Psalm., XXXII, 9. — 2 Joan., XV, 7. — 3 Josue, X, 14.

 

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Vous demandez, mes Frères, et vous ne recevez pas, parce que vous ne demandez pas bien : Petitis et non accipitis, eo quod petatis (1). En effet, nous ne demandons pas a Dieu ce que Dieu veut que nous lui demandions; défaut par rapport au sujet de la prière. Nous ne lui demandons pas de la manière qu'il veut que nous lui demandions ; défaut par rapport à la forme ou à la qualité de la prière. Mais prions comme la Chananéenne. Rien de plus juste que la prière qu'elle fait à Jésus-Christ : elle lui demande qu'il délivre sa fille du démon dont elle est possédée ; rien de plus engageant : elle pratique dans sa prière toutes les vertus qui peuvent gagner et intéresser le Sauveur du monde. Prions, dis-je, comme cette femme ; sans cela, prières infructueuses : pourquoi? ou parce que nous ne demandons pas ce qu'il faut, ce sera la première partie; ou parce que nous ne demandons pas Comme il faut, ce sera la seconde. Deux leçons que j'ai à mettre dans tout leur jour. Rendez-vous-y attentifs, Chrétiens, et tâchez à en profiter.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

C'est surtout de la nature des choses qu'on demande à Dieu, que dépend l'essence de la prière, et par conséquent son mérite, son efficace, sa vertu. C'est donc aussi par là, dit saint Chrysostome, que nous devons commencer à nous faire justice sur le peu de valeur et le peu d'effet qu'ont presque toutes nos prières devant Dieu ; et c'est l'admirable instruction que nous fournit d'abord l'évangile de la femme chananéenne. Car prenez garde, s'il vous plaît, et qu'il me soit permis de m'expliquer de la sorte : au lieu que cette femme prosternée aux pieds de Jésus-Christ, lui demande que sa fille soit délivrée d'un démon qui la possède, nous, par un esprit tout opposé, nous demandons tous les jours à Dieu ce qui entretient dans nos âmes le règne du démon, et même de plusieurs démons dont nous voulons être possédés. En faut-il davantage pour vous faire comprendre pourquoi le Sauveur du monde écoute cette étrangère, et lui accorde un miracle de sa toute-puissance, et pourquoi Dieu, au contraire, se rend sourd à nos vœux, et rejette communément nos prières? Appliquez-vous, Chrétiens, aux grandes vérités que ce  sujet renferme et que je vais développer, comme les secrets les plus importants de votre prédestination.

 

1 Jac., IV, 3.

 

Je dis que nous demandons tous les jours à Dieu ce qui entretient dans nos âmes le règne du démon : comment cela? c'est que dans nos prières nous demandons, ou des choses préjudiciables au salut, ou des biens purement temporels et inutiles au salut, ou même des grâces surnaturelles, mais qui, de la manière que nous les concevons et que nous les voulons, bien loin de nous sanctifier, servent plutôt à nous séduire, et à nous retirer de la voie du salut. Donnons à ceci tout l'éclaircissement nécessaire.

Nous demandons des choses préjudiciables au salut : premier obstacle que nous opposons aux miséricordes divines, et qui en arrête le cours. Car ne pensons pas, mes chers auditeurs, que pour être chrétien de profession, nous en soyons moins sujets dans la pratique aux désordres du paganisme. Or, un des désordres des païens , si nous en croyons les païens mêmes, c'était de recourir à leurs dieux, et de leur demander, quoi ? ce qu'ils n'auraient pas eu le front de demander à un homme de bien, ce qu'ils n'auraient pu demander ouvertement dans les temples et au pied des autels, sans en rougir : la mort d'un parent dont ils attendaient la dépouille, la mort d'un concurrent dont le crédit ou le mérite leur faisait ombrage , le patrimoine d'un pupille qu'ils cherchaient à enlever, et sur lequel ils jetaient des regards de concupiscence. Tel était le sujet de leurs prières; et pour leur donner plus de poids, ils les accompagnaient de toutes les cérémonies d'un culte superstitieux; ils y joignaient les offrandes et les sacrifices, ils se purifiaient. Cela nous semble énorme et insensé ; mais, chrétiens, en les condamnant, n'est-ce pas nous-mêmes que nous condamnons? A comparer leurs prières et les nôtres, sommes-nous moins coupables : que dis-je, ne sommes-nous pas encore plus coupables qu'ils ne l'étaient?

Car enfin c'étaient des païens, et ces païens n'adoraient pas seulement de vaines et de fausses divinités; mais selon leur créance même, des divinités vicieuses et dissolues. Or, à de telles divinités que pouvaient-ils demander plus naturellement que ce qui favorisait leurs vices et la corruption de leurs mœurs? n'était-ce pas une suite presque nécessaire de leur infidélité? Mais nous, mes Frères, nous servons un Dieu non moins pur, ni moins saint, que puissant et grand; un Dieu aussi essentiellement ennemi de toute injustice et de tout péché, qu'il est essentiellement Dieu ; et toutefois ce Dieu si pur, ce Dieu si saint, ce Dieu si

 

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équitable et si droit, que lui demandons-nous ? l'accomplissement de nos désirs les plus sensuels, et le succès de nos entreprises les plus criminelles. Ce n'est plus seulement un désordre, c'est, j'ose le dire, une impiété, c'est un sacrilège.

Il est vrai, et j'en conviens, que dans le christianisme nous savons mieux colorer nos prières et les exprimer en des termes moins odieux; car on a trouvé le secret de déguiser tout. Mais si nous nous trompons nous-mêmes, nous ne trompons pas Dieu qui nous entend, et qui sait bien discerner la malignité de nos intentions, de la simplicité de nos expressions. En vain donc un homme du siècle demande-t-il à Dieu de quoi subsister dans sa condition, et de quoi maintenir son état : comme son état, ou plutôt, comme l'idée qu'il se forme de son état ne roule que sur les principes, ou d'une ambition démesurée, ou d'une avarice insatiable , Dieu, dont la pénétration est infinie, connaît ses desseins, et prend plaisir à les faire échouer. En vain un père demande-t-il à Dieu l'établissement de ses enfants : comme il n'a sur ses enfants que des vues toutes profanes, que des vues mondaines, et qui ne sont ni réglées selon la conscience, ni soumises à la vocation divine, Dieu, sans s'arrêter aux apparences d'une humble prière , en découvre la fin ; et par un juste jugement, bien loin d'élever cette famille, la ruine de fond en comble, et la laisse malheureusement tomber. En vain une femme demande-t-elle à Dieu la santé du corps : comme sa santé, dans l'usage qu'elle en veut faire, ne doit servir qu'à son oisiveté, à sa mollesse, et peut-être à son libertinage et à son dérèglement, Dieu, qui le voit, au lieu de retirer son bras, lui porte encore de plus rudes coups, et lui fait perdre, dans une langueur habituelle tout ce qui peut entretenir ses complaisances et flatter sa vanité. En vain un plaideur de mauvaise foi demande-t-il à Dieu le gain d'un procès où toute sa fortune est engagée : comme ce procès n'est au fond qu'une injustice couverte, mais soutenue par la chicane, Dieu, qui ne peut l'ignorer, prend contre lui la cause de la veuve et de l'orphelin, et le fait honteusement déchoir de toutes ses prétentions. Cependant on n'oublie rien pour intéresser le ciel et pour le toucher ; on y emploie jusqu'au sacrifice et aux prières de l’Eglise : mais parce que cette affaire qu'on poursuit avec tant de chaleur n'est qu'une cabale, qu'une intrigue qui ne peut réussir qu'aux dépens du prochain, Dieu, tuteur de l'innocent et du pauvre rejette alors jusques au plus adorable sacrifice, jusques aux plus saintes prières de son Eglise. Ce détail me conduirait trop loin, si j'entreprenais de lui donner toute son étendue; mais si vous voulez, mes chers auditeurs, aller plus avant, et vous l'appliquer à vous-mêmes, vous aurez bientôt reconnu que cent fois votre cœur vous a séduits de la sorte, et fait abuser de la prière pour porter devant Dieu même les intérêts de vos passions.

Revenons ; et pour donner à ce point important toute la force qu'il doit avoir, soutirez que je me prévale encore de la morale des païens. J'ai dit qu'elle suffisait pour nous convaincre; mais j'en ai dit trop peu, et j'ajoute qu'elle est même ici, dans un sens, plus propre à nous confondre que la morale des Pères. Qu'il me soit donc permis de faire parler dans cette chaire un auteur profane, et de vous adresser, ou pour votre instruction, ou pour votre confusion, les mêmes reproches qu'il faisait à son siècle en des termes si énergiques et si forts. Car, répondez-moi, disait-il en déplorant les abus de l'ancienne Rome, et s'élevant contre les faux dévots du paganisme, qui fatiguaient les dieux de leurs injustes prières; dites-moi ce que vous pensez de Jupiter, et quelle estime vous en faites? si vous avez pour le plus grand des dieux le même respect que pour le plus sage de vos magistrats? Cette question vous surprend, poursuivait-il; mais ce n'est pas sans raison que je la fais : car l’iriez-vous trouver ce magistrat dont vous respectez la vertu, pour lui faire dans son palais l'infâme prière que vous venez faire à Jupiter dans le plus auguste de ses temples? Vous supposez donc Jupiter moins intègre et plus aisé à corrompre, quand vous le croyez disposé à vous écouter, et prêt même ta vous exaucer? Ainsi s'expliquait un païen; ainsi, par de sanglantes ironies, reprochait-il à des païens les scandales de leur religion, et peut-être les corrigeait-il. Or, c'est bien ici, Chrétiens, que l'infidélité nous fait des leçons et qu'elle nous condamne. Appliquons ceci à nos mœurs.

En effet, comment regardons-nous notre Dieu, je dis ce Dieu de sainteté? est-il donc le fauteur de nos vices? est-il le complice de nos crimes? et le veut-il, le peut-il être? Toutefois c'est sur ce principe que nous agissons et que nous traitons avec lui. Car, quand je prie ne perdez pas cette remarque de saint Chrysostome), quand je prie, mon intention est que Dieu, par un effet de sa miséricorde et par une condescendance toute paternelle, se conforme

 

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à moi ; que sa volonté, qui est efficace et toute-puissante, se joigne à la mienne, qui n'est que faiblesse ; et qu'il accomplisse enfin ce que je veux, mais ce que sans lui je veux inutilement. Si donc, aveuglé par l'esprit du monde, bien loin de prier en chrétien, je prie dans la vue de satisfaire mon ambition, mon orgueil, mon ressentiment, ma vengeance, que fais-je? je demande à Dieu qu'il s'accorde là-dessus avec moi; c'est-à-dire qu'il soit vain comme moi, passionne comme moi, violent comme moi ; et que pour moi, qui suis sa créature, il veuille ce qu'il ne peut vouloir sans cesser d'être mon Dieu. Or, le prier delà sorte, est-ce le prier en Dieu, et n'est-ce pas plutôt le déshonorer? n'est-ce pas autant qu'il dépend de moi, le faire servir à mes iniquités, comme il s'en plaint lui-même par son prophète : Verumtamen servire me fecisti peccatis tuis, et laborem mihi prœbuisti in iniquitatibus tuis (1) ? Observez cette expression : Et laborem mihi prœbuisti ; comme s'il disait au pécheur : Votre prière m'a été un sujet de peine , car j'aurais voulu, d'une part, me rendre propice à vos vœux, et de l'autre , je n'y pouvais répondre favorablement : mon cœur était donc dans une espèce de violence, et comme partagé entre ma sainteté et ma bonté; ma bonté, qui s'intéressait pour vous, et ma sainteté, qui s'opposait à vous ; ma bonté, qui nie portait à vous écouter, et ma sainteté, qui m'obligeait à vous rejeter : Et laborem mihi prœbuisti in iniquitatibus tuis. Et certes, Chrétiens, si Dieu, oubliant ce qu'il est, avait alors égard à nos prières, ne serait-ce pas un scandale pour nous, et ne commencerions-nous pas nous-mêmes à douter de sa providence ?

Je sais, et saint Jean nous l'apprend, que nous avons un puissant avocat auprès du Père, qui est le Fils ; et que c'est par les mérites de ce Fils adorable que nous prions. Mais ce que d'abord et en général j'ai dit de Dieu, pour rappliquer en particulier à l'Homme-Dieu , voulons-nous en faire le patron de cette aveugle concupiscence qui nous domine? et si ce n'est pas la le sentiment que nous en avons, pourquoi comptons-nous sur ses mérites, dans des prières que la seule concupiscence nous a inspirées?

Non. mes Frères, non; ce n'est point pour un tel usage que Dieu, dans la personne de Jésus-Christ, nous a donné un médiateur. Il est l'avocat des pécheurs ; mais il ne le fut jamais et il ne le peut être des péchés ; et vouloir me servir ainsi de son crédit, ce n'est rien moins,

 

1 Isa., XLIII, 24.

 

dans la doctrine de saint Augustin, que de vouloir l'anéantir lui-même. Comment cela? parce qu'au lieu que la foi nous le représente comme l'auteur des grâces et des vertus, c'est en faire malgré lui le médiateur de notre vanité, le médiateur de notre avarice, le médiateur de notre concupiscence et de notre sensualité. Car si vous en jugiez autrement, reprend saint Augustin, auriez-vous l'assurance d'interposer le nom du Rédempteur, pour demander ce qui détruit l'ouvrage de la rédemption ; et, rempli de vos projets ambitieux, oseriez-vous prendre pour intercesseur auprès de Dieu, celui même qui se réduit dans la plus profonde humiliation pour vous enseigner l'humilité?

Heureux encore que Dieu, pour votre salut, devienne inflexible à votre prière. C'est dans cette rigueur apparente que vous devez reconnaître sa miséricorde ; et où en seriez-vous si c'était un Dieu plus indulgent et selon votre gré? Ce qui a perdu les Pompée et les César, ajoutait ce fameux satirique dont je n'ai pas fait difficulté d'emprunter ici les pensées, et qui semble n'avoir parlé que pour nous-mêmes ; ce qui a renversé et ce qui renverse tous les jours des familles entières, ne sont-ce pas des souhaits trop vastes et sans bornes, des souhaits criminels, accomplis par des divinités d'autant plus mortellement et plus malignement ennemies, qu'elles étaient plus condescendantes et plus faciles : Magna numinibus vota exaudita malignis ? Et moi je dis, pour consacrer ces paroles : Quelle a été la source de la réprobation de tant de chrétiens? n'est-ce pas d'avoir obtenu du ciel ce que le ciel ne leur accordait, et ce qu'il ne pouvait leur accorder que dans l'excès de sa colère? Et d'où vient encore la perte de tant de mondains qui se damnent au milieu de l'opulence et dans la mollesse, si ce n'est pas de ces prétendues faveurs de Dieu, qui les exauce selon les désirs insensés de leurs cœurs, plutôt que selon les desseins de son aimable providence? Vous demandez à Dieu ce qui flatte votre passion ; et si Dieu vous le donne, lui qui prévoit ce qui vous pervertira, ce qui vous corrompra, ce qui vous entraînera dans l'abîme, peut-il exercer sur vous un jugement plus rigoureux et une vengeance plus terrible? N'en demeurons pas là.

Si l'on ne demande pas toujours à Dieu des choses préjudiciables, et dans des vues directement contraires au salut, au moins lui demande-t-on des biens purement temporels, et inutiles au salut. Je ne veux pas dire que les biens temporels ne soient pas des dons de Dieu,

 

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ni qu'ils soient absolument contraires au salut: mais quand le sont-ils, et pourquoi Dieu les refuse-t-il alors? quand nous ne les demandons, ni selon l'ordre qu'il a établi, ni par rapport à la fin qu'il a marquée.

Car, premièrement, on ne lui demande que les grâces temporelles, qui toutes se terminent aux besoins de cette vie ; et à peine pense-t-on aux spirituelles, à quoi le salut est attaché : les avantages de la fortune, la prospérité, le repos ; voilà ce que nous désirons et ce que nous recherchons, et ce que désirent, ce que recherchent aussi bien que nous les infidèles : Hœc enim omnia gentes inquirunt (1), Ce sont des biens, je l'avoue : mais ce sont des biens périssables, des biens d'un ordre inférieur à l'homme, et surtout à l'homme chrétien ; des biens dangereux, et sujets à se convertir en de vrais maux. Pour les biens solides et incorruptibles, c'est-à-dire la pureté des mœurs, la bonne conscience, l'humilité, la foi, l'amour du prochain, tout ce qui sert à sanctifier l'âme et qui en fait la perfection,, disons-le, et confondons-nous en le disant, c'est à quoi nous sommes peu sensibles, et ce qui rarement nous attire au pied des autels. Qui de vous a jamais eu recours à Dieu pour devenir plus modéré dans ses passions et plus réglé dans sa conduite? On visite les tombeaux des martyrs ; mais pourquoi ? pour être guéri d'une maladie, et non point pour être délivré d'une tentation. On invoque les saints; mais pourquoi? pour être plus heureux et plus opulent, et non point pour être plus humble et plus ennemi des plaisirs. Ah ! mes Frères, s'écriait Salvien, si nous sommes affligés de calamités publiques, si nous sommes menacés d'une famine ou d'une contagion, s'il règne une mortalité parmi nous, nous courons en foule au temple du Dieu vivant; tout retentit de nos gémissements et de nos prières : mais s'agit-il d'un libertinage qui déshonore le christianisme et qui désole l'Eglise, on nous voit tranquilles et sans inquiétude ; et, au lieu d'engager le ciel à faire cesser de scandaleuses impiétés, nous vivons en paix et dans la plus affreuse indolence. Ainsi nous prions comme ce malheureux Antiochus, dont la prière intéressée ne put trouver grâce devant Dieu : Orabat scelestus Dominun a quo non erat misericordiam consecuturus (2). Il priait, Orabat; et l'on ne peut douter qu'il ne priât avec toute l'ardeur possible : mais il priait en mondain , Orabat scelestus ; car il ne demandait à Dieu ni l'esprit

 

1 Matth., VI, 32. — 2 2 Mach., IX, 13.

 

de pénitence, ni le don de piété, ni le respect des choses saintes qu'il avait profanées, mais une santé qu'il préférait à tout le reste, et dont il était idolâtre : Orabat scelestus  Dominum; et c'est pour cela que le sein de la miséricorde lui était fermé : A quo non erat misericordiam consecuturus. Voilà comment nous prions; mais en vain, puisque le Fils de Dieu n'a jamais prétendu se faire garant de telles prières, Pourquoi? Consultons l'Evangile, il va nous l'apprendre.

Le Fils de Dieu dit à ses disciples : Si vous demandez quelque chose à mon Père, et que ce soit en mon nom que vous le demandiez, il vous l'accordera : Si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis (1).  Mais remarqua (c'est la réflexion de saint Augustin), remarquez bien cette parole : Si quid, par où Jésus-Christ nous fait entendre que ce que nous demandons en son nom doit être quelque chose, et quelque chose digne de lui, parce qu'autrement il ne lui conviendrait pas de s'employer pour nous. Or, tous les biens de la terre, séparés du salut éternel, ne sont rien devant Dieu. Les demander donc précisément à Dieu, c'est ne rien demander ; et quoique la promesse du Sauveur du monde soit générale ou semble l'être, ils n'y sont point par eux-mêmes compris. Pour vous en convaincre, écoutez ce qu'il ajoute à ses apôtres : Usque modo non petistis quidquam in nomine meo (2) : Jusques à présent vous n'avez rien demandé en mon nom. Mais comment est-ce, reprend saint Augustin,que le Fils de Dieu leur pouvait tenir ce langage, puisqu'il est évident que les apôtres lui avaient déjà demandé plusieurs grâces? saint Pierre, de demeurer sur le Thabor ; les enfants de Zébédée, d'être élevés aux deux premières places de son royaume. Ah ! répond ce saint docteur, il est vrai qu'ils lui avaient demandé ces sortes de grâces ; mais parce que ces grâces n'étaient que des avantages humains, et que dans l'idée du Sauveur, tous les avantages humains ne] méritaient nulle estime, il croyait avoir droit de compter pour rien tout ce qu'ils lui avaient demandé : Usque modo non petistis quidquam. En effet, demeurer avec lui sur le Thabor, ce n'était qu'une douceur sensible que saint Pierre eût voulu goûter : occuper les premières places de son royaume, ce n'était dans l'intention des deux disciples qu'un vain honneur dont se repaissait leur ambition, parce qu'ils ne le concevaient pas tel qu'il est : mais le zèle des âmes, mais la constance dans les persécutions,

 

1 Joan., XVI, 23. — 2 Ibid., 24.

 

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mais le renoncement à eux-mêmes, c'étaient les grâces essentielles dont ils avaient besoin, et qui devaient les soutenir, les animer, les perfectionner dans leur ministère apostolique; et c'est ce qu'ils n'avaient jamais demandé à leur Maître : Usque modo non petistis quidquam. Or, à combien de chrétiens ne pourrais-je pas faire aujourd'hui la même plainte ; et à combien même de ceux qui m'écoutent n'aurais-je pas lieu de dire, par la même raison : Mondain, vous n'avez rien demandé jusques à présent à votre Dieu, parce que vous ne lui avez encore jamais demandé le détachement et le mépris du monde : pécheur, vous ne lui avez rien demandé , parce que dans l'état de votre péché, vous ne lui avez encore jamais demandé voire conversion, jamais un cœur contrit et humilié, jamais la grâce de vous surmonter vous-même et de renoncer à vos habitudes : c'étaient là néanmoins les grâces, mais les grâces par excellence, que vous deviez désirer et rechercher.

De plus, quand le Sauveur du monde nous assure, dans l'Evangile , que tout ce que nous demanderons en son nom nous sera donné, il entend que nous demanderons selon la règle qu'il nous a lui-même prescrite. Car, comme remarque Tertullien, c'est lui-même qui, réduit la prière et l'animant de son esprit, lui a communiqué le pouvoir spécial et le privilège qu'elle a de monter au plus haut des cieux, et de toucher le cœur de Dieu, en lui exposant les misères des hommes : Ab ipso enim ordinata, et de ipsius spiritu animata jam tunc oratio,suo quasi privilegio ascendit in cœlum, commendans Patri quœ Filius docuit. Or , quelle est cette règle divine selon laquelle le Fils de Dieu nous a ordonné de prier ? La voici : Cherchez, nous dit-il, avant toutes choses le royaume de Dieu et sa justice, et rien ne vous manquera. Demandez au Père céleste la sanctification de son nom, l'avènement de son règne, l'accomplissement de sa volonté, sans lui demander d'abord ce pain matériel qui vous doit servir d'aliment, et alors je vous seconderai. Mais si vous renversez cet ordre ; si, par un attachement au monde, indigne de votre profession , vous demandez le pain matériel avant le royaume de Dieu, ne vous appuyez plus sur mes mérites, tout infinis qu'ils sont, puisque votre prière, toute fervente qu'elle peut être , n'est plus selon le plan que j'ai tracé : Quœrite primum regnum Dei et justitiam ejus (1).

 

1 Matth., VI, 33

 

Ce n'est donc pas, Chrétiens, qu'on ne puisse absolument demander à Dieu les biens temporels, l'Eglise les demande elle-même pour nous : mais demandons-les comme l'Eglise, demandons-les après avoir demandé d'abord et sur toute chose les biens spirituels : demandons la bénédiction de Jacob, et non point celle d'Esaü. Belle figure, que l'exemple de ces deux frères 1 Ecoutez l'application que j'en fais à mon sujet, et prenez garde : ils eurent tous deux dans leur partage la rosée du ciel, et tous deux ils eurent pareillement la graisse de la terre. En quoi furent-ils différents, et quelle marque l'Ecriture donne-t-elle de l'élection de Jacob et de la réprobation d'Esaü? Ah! Chrétiens, c'est que dans la bénédiction de Jacob, la rosée du ciel fut exprimée avant la graisse de la terre : De rore cœli et de pinguedine terrœ sit benedictio tua (1) ; au lieu que dans la bénédiction d'Esaü, il est parlé de la graisse de la terre avant la rosée du ciel : Det tibi de pinquedine terrœ et de rore cœli. Voilà ce qui se passe encore parmi nous, et ce qui discerne les prières chrétiennes de celles qui ne le sont pas. Un juste et un homme du monde prient dans le même temple et au même autel; mais l'un prie en juste et l'autre en mondain. Comment cela? Est-ce que l'un ne demande à Dieu que les biens de la grâce, et l'autre que les biens de la terre? Non; car il se peut faire que le juste , avec les biens de la grâce, demande encore quelquefois les biens de la fortune, comme le mondain , et que le mondain, avec les biens de la fortune, demande aussi les biens de la grâce, comme le juste. Mais le mondain, conduit par l'esprit du monde, place les biens de la fortune devant les biens de la grâce : De pinguedine terrœ et de rore cœli ; et le juste, conduit par l'Esprit de Dieu, donne la préférence aux biens de la grâce sur les biens de la fortune : De rore cœli et de pinguedine terrœ. Il dit à Dieu : Seigneur, sanctifiez-moi, rendez-moi chaste, charitable, miséricordieux, patient : De rore cœli ;et puis, donnez-moi des biens de la terre ce qui peut m'être utile pour mon salut : Et de pinquedine terrœ. Mais l'homme du monde dit : Seigneur, faites-moi riche, grand, puissant : De pinguedine terrœ; et ne me refusez pas aussi les grâces nécessaires pour bien vivre dans le monde : Et de rore cœli. Prière de réprouvé. Quand nous prions de la sorte, faut-il s'étonner si Dieu ne nous écoute pas?

Allons à la source ; et pour connaître plus à

 

1 Gen., XXVII, 39.

 

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fond sur quoi l'importante vérité que je vous prêche est établie, comprenez ce principe de saint Cyprien , que nos prières n'ont de vertu qu'autant qu'elles sont unies aux prières de Jésus-Christ. Car il n'y a que Jésus-Christ de qui l'on puisse dire avec saint Paul, qu'il a été exaucé pour le respect dû à sa personne : Exauditus est pro sua reverentia (1). Quand Dieu nous exauce, ce n'est point en vue, ni de ce que nous sommes, ni de ce que nous méritons, puisque par nous-mêmes nous ne sommes rien, et que par nous-mêmes nous ne méritons rien ; mais il nous exauce en vue de son Fils, et parce que son Fils a prié pour nous avant que nous fussions en état de prier nous-mêmes. Cela supposé, comment Dieu pourrait-il agréer des prières où, par préférence au salut, nous lui demandons  des   biens  temporels,  puisqu'elles n'ont alors  nulle conformité, nulle liaison avec les prières de cet Homme-Dieu qui s'est fait notre médiateur? Qu'a-t-il demandé pour nous? vous le savez : que nous soyons unis par le lien de la charité : Rogo, Pater, ut sint unum (2); que sans ostentation, sans déguisement, nous soyons saints en esprit et en vérité : Pater, sanctifica eos in veritate (3) ; que vivant au milieu du monde , selon notre vocation et notre état, nous soyons assez attentifs sur nous-mêmes, et assez heureux pour nous préserver de son iniquité : Non rogo ut tollas eos de mundo, sedut serves eos a malo (4). Mais que faisons-nous? nous demandons à Dieu des richesses, des honneurs, une vaine réputation, une vie commode; et sans les demander après le salut et par rapport au salut, nous ne les demandons, ces richesses, que pour être dans l'abondance; ces honneurs, que pour être dans l'éclat; cette réputation, que pour être connus et distingués; cette vie commode, que pour en jouir : c'est-à-dire que nous demandons ce que Jésus-Christ n'a jamais demandé pour nous. Et pourquoi ne l'a-t-il jamais demandé ? appliquez-vous à ceci : parce qu'il n'a pu prier, ajoute saint Cyprien, que conformément à la fin pour laquelle il était envoyé. Or il était envoyé en qualité de Sauveur, et la mission qu'il avait reçue ne regardait que le salut de l'homme. C'est donc uniquement pour le salut de l'homme qu'il a dû travailler, qu'il a dû souffrir, qu'il a dû mériter; et par une conséquence nécessaire, c'est uniquement pour le salut de l'homme et pour tout ce qui se rapporte au salut de l'homme , qu'il a dû prier.

 

1 Hebr., V, 7. — 2 Joan., XVII, 21. — 3 Ibid., 17. — 4 Ibid., 15.

 

De là, Chrétiens, vous demandez, mais vous n'obtenez rien , parce que vous ne demandez pas avec Jésus-Christ; et que vous pourriez dire, si vos prières, indépendamment de cette union, étaient efficaces, que vous avez reçu des biens sans en être redevables à ce Dieu Sauveur : ce qui, dans les maximes de la religion que nous professons, est un blasphème. Et voilà sur quoi s'appuie saint Augustin, quand il prouve si solidement que l'espérance chrétienne n'a point pour objet les biens de cette vie. Non, disait ce saint docteur, ne vous y trompez pas, et que personne de vous ne se promette une félicité temporelle, parce qu'il a l'honneur d'appartenir à Jésus-Christ : Nemo sibi promittat felicitatem hujus mundi, quia christianus est. Ce n'est point pour cela que Jésus-Christ nous a choisis, ni à cette condition qu'il nous a appelés. Il peut, sans manquer à sa parole, nous laisser dans la pauvreté, dans l'abaissement, dans la souffrance. Il s'est engagé à présenter lui-même vos prières devant le trône de Dieu; mais il a supposé que vous prieriez en chrétiens, et pour le ciel, où il a placé votre héritage. Excellente raison dont se servait encore le même Père contre les railleries des païens. Vous nous reprochez, leur répondait-il, que malgré nos prières nous vivons dans la disette et dans l'abandon de tontes choses. Mais pour nous justifier pleinement de ce reproche aussi bien que notre Dieu, il suffit de vous dire que quand nous le prions, ce n'est point précisément pour les biens de la terre, mais pour les biens de l'éternité. Si donc nous sommes pauvres en ce monde, non-seulement cet état pauvre où nous vivons n'est point une preuve de l'inutilité de nos prières, mais c'est une assurance que le fruit nous en est réservé ailleurs, et dans une vie immortelle.

Telle était la réponse de saint Augustin, qu'il concluait par la pensée la plus touchante. Car c'est en cela, poursuivait-il, que nous devons admirer la libéralité de notre Dieu. Il ne borne pas ses faveurs à des biens temporels, parce que ce sont des biens au-dessous de nous, parce que ce sont des biens incapables de nous satisfaire, parce que ce sont des biens trop peu proportionnés, et à la noblesse de notre être, et à la valeur de nos prières. Il ne veut pas nous traiter comme des enfants, que l'on amuse par des bagatelles : il ne vent pas nous traiter comme les idolâtres, dont il récompense dans cette vie les vertus morales par un bonheur apparent. Mais il veut être lui-même tout notre bonheur, lui-même toute notre

 

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récompense. Ah ! mes Frères, ne prenons donc pas le change dans le choix des biens que nous demandons. Tenons-nous-en à la parole de notre Dieu, qui nous a promis de se donner à nous; et pour l'engager à s'y tenir lui-même, nu lui demandons que lui-même. Il y en a plusieurs qui espèrent en Dieu, mais qui, sans nul égard à Dieu, espèrent tout autre chose que Dieu : Multi de Deo sperant, sed non Deum. Gardons-nous de faire une séparation si désavantageuse pour nous; et comme nous n'espérons rien que de Dieu, n'espérons rien aussi que Dieu, ou que par rapport à Dieu : A Deo mihi petunt prœter Deum; tu ipsum Deum pete.

Mais ce ne sont point en effet des grâces temporelles que je demande à Dieu : ce sont des grâces surnaturelles, des grâces de salut : et cependant je ne les ai pas. Non, mon cher auditeur, vous ne les avez pas, parce que sur cela même vous faites un troisième abus de la prière, dont vous ne vous apercevez pas peut-être, et que je vais vous découvrir.

C'est qu'au lieu d'envisager la prière comme l'instrument que Dieu nous a mis en main pour l'aire descendre sur nous les véritables grâces du salut, c'est-à-dire les grâces réelles et possibles, les grâces solides et nécessaires, les grâces réglées et mesurées selon l'ordre des décrets divins; nous nous en servons pour demander des grâces chimériques, des grâces superflues, des grâces selon notre goût et selon nos fausses idées. Je m'explique. Nous prions, et nous prions, à ce qu'il nous semble, dans un vrai désir de parvenir au salut : mais, par une confiance aveugle, nous faisons fond sur la prière, comme si la prière suffisait sans les œuvres, comme si tout le salut roulait sur la prière; comme si Jésus-Christ en nous disant : Priez, ne nous avait pas dit au même temps : Veillez et agissez; comme s'il y avait des grâces qui pussent et qui dussent nous sauver sans nous. Nous prions et nous demandons la grâce d'une bonne mort, persuadés que c'est assez de la demander sans se mettre en peine de la mériter, et sans s'y préparer par une bonne vie. Nous prions et nous demandons des grâces de pénitence, des grâces de sanctification : mais des grâces pour l'avenir, et non pour le présent; mais des grâces qui lèvent toutes les difficultés, et non qui nous laissent des efforts a faire et des obstacles à vaincre; mais des grâces miraculeuses qui nous entraînent comme saint Paul, et non des grâces qui nous disposent peu à peu, et avec lesquelles nous soyons obligés de marcher; mais des grâces qui nous suivent partout, qui nous soient assurées partout, qui nous permettent de nous exposer partout, et non des grâces que nous ayons soin de ménager : c'est-à-dire que nous demandons des grâces qui changent tout l'ordre de la Providence, et qui renversent toute l'économie de notre salut.

Concluons, Chrétiens, cette première partie, par la prière du Prophète  :  Unam petit a Domino (1) : je ne demande plus proprement au Seigneur qu'une seule chose : Hanc requiram; c'est ce que je dois uniquement rechercher. Et quoi? Ut inhabitem in domo Domini (2) : de demeurer dans sa sainte maison, et de le posséder éternellement dans sa gloire. Car, je le reconnais, ô mon Dieu! ajoute saint Augustin; et je vois bien maintenant pourquoi vous avez si souvent rejeté les prières de votre serviteur. C'est que pour répondre aux desseins de votre miséricorde,   je devais  vous demander des choses qui ne me fussent pas communes avec les païens et les impies : Ea quippe a te desiderare debui, quœ mihi cum impiis non essent communia. Vous vouliez que mes prières me distinguassent des ennemis de votre nom ; cependant je trouve qu'entre leurs prières et les miennes il n'y a presque point eu jusqu'à présent de différence,  sinon qu'ayant demandé comme eux des faveurs temporelles, ils les ont communément obtenues, et que vous me les avez ordinairement refusées, ou parce qu'elles étaient par elles-mêmes contraires à mon salut, ou parce que je ne les demandais pas pour mon salut. Mais en cela, Seigneur, je confesse encore que vous m'avez fait grâce, parce que ces faveurs temporelles que je vous demandais auraient achevé de me pervertir, au lieu que les fléaux de votre justice ont servi à me corriger. En devenant heureux dans le monde, je vous aurais plus aisément oublié. J'aurais imité l'exemple des autres, si mes vœux eussent été suivis de la même prospérité. Ainsi, mon Dieu, bien loin de me plaindre de vos refus, je vous en bénis, et je compte pour un bienfait de ne m'avoir pas exaucé selon mes désirs, mais selon l'ordre de votre sagesse et pour mon salut : Et gaudeo quodnon exaudieris ad voluntatem, ut  exaudires ad salutem.   Mais maintenant, mon   Dieu,   vous écouterez mes  demandes, parce que je ne veux plus vous demander que les biens éternels, parce que si je vous en demande d'autres, je ne veux plus vous les demander que par subordination, et par rapport

1 Psalm., XXVI, 4. — 2 Ibid.

 

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aux biens éternels; parce qu'entre les grâces du salut que je vous demanderai, je ne veux plus vous demander que celles qui me doivent être utiles, que celles qui peuvent plus sûrement, plus directement me conduire aux biens éternels. Ainsi, Chrétiens, la parole de Jésus-Christ s'accomplira-t-elle à notre égard : nous demanderons, et nous recevrons. Au lieu que nous ne recevons pas, ou parce que nous ne demandons pas ce qu'il faut, c'a été la première partie, ou parce que nous ne demandons pas comme il faut, c'est la seconde.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Si Dieu veut écouter nos prières, c'est à certaines conditions nécessaires et essentielles : mais de quelque manière, Chrétiens, que Dieu en use avec nous, et qu'il ait plu à sa providence de disposer les choses, ce serait une erreur, et une grossière erreur, de se persuader que les conditions de la prière fussent un obstacle à l'accomplissement de nos vœux, et un prétexte dont Dieu se servît pour avoir droit de nous refuser ses dons. Ah! mes Frères, disait saint Augustin, à Dieu ne plaise que nous entrions jamais dans ce sentiment, puisqu'il n'est rien de plus opposé à la conduite de notre Dieu! Lui qui, selon l'Ecriture, ne peut arrêter le cours de ses miséricordes, lors même que nous irritons sa colère : Numquid continebit in ira sua misericordias suas (1)? lui qui n'attend pas qu'on le prie, mais qui, dans la pensée du Prophète royal, se plaît à exaucer les simples désirs : Desiderium pauperimi exaudivit Dominus (2) ; lui dont l'oreille est si délicate, qu'il entend jusqu'à la préparation des cœurs : Prœparationem cordis eorum audivit auris tua (3) ; il n'a garde, si j'ose parler ainsi, d'être de si difficile composition quand on l'invoque de bonne foi ; et bien loin qu'il se prévale de sa grandeur, dans le commerce qu'il nous permet d'avoir avec lui par la prière, on pourrait plutôt douter s'il ne s'y relâche point trop de ce qui lui est dû, et s'il ne supporte point avec trop de condescendance nos faiblesses et nos imperfections. J'avoue que la prière, pour être efficace, doit être revêtue de certaines qualités : mais en cela je soutiens qu'on ne peut accuser Dieu, ni de restreindre ses promesses, ni d'enchérir ses grâces. Pourquoi? parce qu'à bien examiner ses qualités, il n'y en a aucune qui ne soit aisée dans la pratique, aucune dont la raison ne nous justifie la nécessité, aucune que les hommes même

 

1 Psalm., LXXVI, 10. — 2 Ibid., X, 7. — 3 Ibid.

 

n'exigent par proportion les uns des autres; et ce que je vous ai déjà fait remarquer, aucune dont cette femme de notre évangile ne nous ait donné l'exemple, et dont elle ne soit pour nous le plus sensible modèle.

Car enfin, demande saint Chrysostome, dans l'excellente homélie qu'il a composée sur ce sujet, quelles conditions exige notre Dieu pour l'infaillibilité de la prière? l'humilité, la confiance, la persévérance, l'attention de l'esprit, l'affection du cœur. Or y a-t-il rien là, je ne dis pas d'impraticable et d'impossible, mais de pénible et d'onéreux?

Prier dans la disposition d'un esprit humble, quoi de plus raisonnable et même de plus naturel? Peut-on avoir une juste idée de la prière, et oublier en priant cette règle fondamentale? Prie-t-on autrement les princes et les monarques de la terre? Se fait-on une peine de leur rendre des hommages et des respects, lorsqu'on a des requêtes à leur présenter? et si, par ces respects et par ces hommages, on vient à bout de ses prétentions, se plaint-on qu'il en ait trop coûté? Dit-on qu'ils fassent acheter trop cher leurs grâces, quand ils les refusent à un téméraire qui les demande avec hauteur? et pourquoi le dirait-on de Dieu, devant qui il est d'ailleurs bien plus raisonnable et par conséquent bien plus facile de s'humilier que devant les hommes? La Chananéenne dont parle saint Matthieu fit-elle difficulté de se prosterner en la présence de Jésus-Christ, et de l'adorer? Fut-ce un grand effort pour elle de confessera ses pieds son indignité, et compta-t-elle pour beaucoup d'essuyer les rebuts auxquels elle se vit d'abord exposée? Non, non, lui dit le Sauveur du monde, il ne faut pas donner le pain des enfants aux chiens : Non est bonum numere panem filiorum, et mittere canibus (1). Est-il une comparaison plus humiliante? mais tout humiliante qu'elle pût être, cette Chananéenne en parut-elle touchée et contrastée? que dis-je ? ne reconnut-elle pas elle-même la vérité de ces paroles, en se les appliquant? Il est vrai, Seigneur : Etiam, Domine (2). Ce fut ainsi qu'elle pria. Mais comment prions-nous? Elle était païenne, et cette païenne s'humilie; nous sommes chrétiens, et nous apportons à la prière un esprit d'orgueil dont nous ne pouvons nous défaire, lors même que nous sommes forcés à reconnaître nos misères et nos besoins; et parce que cet esprit nous domine, nous prions avec présomption, comme si Dieu devait avoir des égards pour nous, comme s'il devait nous distinguer,

 

1 Matth., XV, 26. — 2 Ibid., 27.

 

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comme s'il devait nous tenir compte de nos prières. Sans parler de ce faste extérieur qui souvent accompagne nos sacrifices, et qui, bien loin d'engager Dieu à nous écouter, l'engage à nous punir ; sans parler de ce luxe que nous portons jusque dans le sanctuaire, de cet air de grandeur et de suffisance que nous y retenons, de ces postures vaines et négligées que nous y affectons ; états bien contraires à l'action d'un suppliant, et qui, selon l'Ecriture, rendent nos prières abominables devant Dieu, puisque Dieu ne hait rien davantage qu'un pauvre orgueilleux : Pauperem superbum (1) ; sans en venir à ce détail, nous demandons à Dieu des grâces, mais comment? non point comme des grâces, mais comme des dettes, prêts à nous élever et à nous enfler s'il nous les accorde, prêts à murmurer et à nous plaindre s'il ne nous les accorde pas. Nous les demandons, pour oublier, après les avoir reçues, que nous les tenons de lui ; pour les posséder et en user sans les rapporter à lui. Or, devons-nous être surpris alors que Dieu nous ferme son sein? voulons-nous qu'il nous exauce aux dépens de sa propre gloire? et ne serait-ce pas prodiguer ses biens que de les répandre indifféremment et sur les superbes et sur les humbles?

Prier dans  le sentiment  d'une vive confiance, quoi de plus juste? C'est notre souverain et notre Dieu qui, par un effet de sa miséricorde, non-seulement veut être prié de la sorte, mais se tient même honoré de cette confiance, qui, dans mille endroits de l'Ecriture, lui attribue plutôt qu'à sa   miséricorde (ne vous offensez pas de ma proposition, elle est saine et orthodoxe), qui, dis-je, en mille endroits de l'Ecriture, attribue à cette confiance, plutôt qu'à sa miséricorde, même la vertu miraculeuse de la prière; ne disant pas à ceux qui ont recours à lui et qui le réclament : C'est ma bonté et ma puissance, mais c'est votre foi et votre confiance qui vous a sauvés : Fides tua te salvam fecit (2). Pouvait-il nous proposer un parti plus avantageux? Tout infidèle qu'était la Chananéenne, n'est-ce pas celui qu'elle embrassa d'abord ? Cette ouverture de cœur qu'elle marqua à Jésus-Christ, en lui portant elle-même la parole : Seigneur, ayez pitié de moi : Miserere mei, Domine (3) ; ce motif tendre et affectueux par où elle l'intéressa, en l'appelant fils de David : Filii David; ces cris qu'elle redoubla à mesure que les apôtres la reprenaient et lui ordonnaient de se taire :

 

1 Eccli., XXV, 4. — 2 Matth., IX, 22. — 3 lbid., XV, 22.

 

Dimitte eam, quia clamat post nos (1) ; cette assurance qu'elle eut de renoncer volontiers au pain de la table, pourvu qu'on lui donnât seulement les miettes qui en tombaient; c'est-à-dire, selon l'explication de saint Jérôme, de se contenter des moindres efforts de la puissance du Sauveur, convaincue que ce serait assez pour opérer le miracle qu'elle demandait : Nam et catelli edunt de micis quœ cadunt de mensa dominorum suorum (2); tout cela n'était-il pas d'une âme bien sûre du Dieu qu'elle invoquait? Qu'eût-elle fait, si déjà chrétienne, elle eût connu Jésus-Christ aussi parfaitement que nous ; si, comme nous, au lieu de le connaître pour fils de David , elle l'eût connu pour Fils du Dieu vivant? Et n'est-il pas néanmoins vrai qu'avec toutes les idées que notre religion nous donne de cet Homme-Dieu, nous ne le prions presque jamais de cette manière simple, mais héroïque, qui nous est marquée par l'Apôtre, je veux dire avec foi et sans aucun doute? Postulet autem in fide, nihil hœsitans (3). Quoique Jésus-Christ ait pu faire pour nous y aider, et quoique, pour vaincre notre incrédulité et notre défiance, il se soit engagé à nous par le serment le plus solennel, et qu'il en ait juré par lui-même, lui, comme dit saint Paul, qui n'avait point de plus grand que lui-même par qui il pût jurer, notre défiance et notre incrédulité l'emportent. Nous croyons un homme sur sa parole, et nous ne croyons pas un Dieu ; nous prions, mais en même temps nous nous troublons, nous nous entretenons dans de vaines inquiétudes, nous nous abandonnons à de secrets désespoirs ; nous avons recours à Dieu, mais toujours dans l'extrémité, et quand tout le reste nous manque; nous comptons moins sur Dieu que sur nous-mêmes, et nous faisons plus de fond sur notre prudence que sur nos prières. Aveuglement que déplorait saint Ambroise, et qui justifie bien la conduite de Dieu quand il raccourcit son bras à notre égard, et qu'il ne daigne pas l'étendre pour nous secourir.

Prier avec persévérance, quoi de plus convenable? Dieu, maître de ses dons, et à qui seul il appartient d'en disposer, ne peut-il pas les mettre à tel prix qu'il lui plaît; et ses grâces ne sont-elles pas en effet assez précieuses pour les demander souvent et longtemps? Quand Jésus-Christ, par son silence, éprouva cette mère de l'Evangile, et qu'il ne lui répondit pas même une parole : Et non respondit ei verbum (4) ; quand il sembla vouloir l'éloigner

 

1 Matt., XV,23.— 2 Ib.,27.— 3 Jac, 1, 6.— 4 Matt., XV, 23.

 

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par un refus sévère et mortifiant, et que devant elle il déclara aux apôtres qu'il n'était point envoyé pour elle : Non sum missus, nisi ad oves quœ perierunt domus Israël (1), cessa-t-elle pour cela de prier, de solliciter, de presser? Non, Chrétiens ; la résistance de Jésus-Christ augmenta sa persévérance, et sa persévérance triompha de la résistance de Jésus-Christ. Elle comprit d'abord le mystère et les inclinations de ce Dieu Sauveur ; et dans l'engagement où elle se trouva d'entrer, pour ainsi dire, en lice avec lui, opposant à une dureté apparente les empressements véritables d'une sainte opiniâtreté, elle força en quelque sorte les lois de la Providence; elle mérita, quoique étrangère, d'être traitée en Israélite : elle obtint le double miracle, et de la délivrance de sa fille, et de sa propre conversion. 0 charité de mon Dieu, s'écrie un Père, que vous êtes adorable dans vos dissimulations, et dans les stratagèmes dont vous usez pour combattre en apparence contre ceux mêmes pour qui vous combattez en effet! O dissimulatrix clementia, quœ duritiem te simulas, quanta pietate pugnas adversus eos pro quibus pugnas! Ne désespérez donc point, ajoutait-il, ô âme chrétienne, vous qui avez commencé dans la prière à lutter avec votre Dieu ! car il aime que vous lui fassiez violence ; il se plaît à être désarmé par vous : Noli igitur desperare, o anima, quœ cum Leo luctari cœpisti ; amat utique vim abs te pati, desiderat a te superari. Et ne craignons pas, mes Frères, conclut-il, que ce Dieu de miséricorde puisse, être fort et invincible contre nous, lui qui, par le plus étonnant prodige, a voulu jusques à la mort être faible pour nous : Et absit, Fratres, ut fortis sit adversum nos, qui pro nobis usque ad mortem infirmatus est. Ainsi le concevaient les Saints : mais nous, vous le savez, prévenus d'une erreur toute contraire, et emportés par un esprit volage et léger, nous cédons à Dieu malgré lui-même ; nous lui cédons lorsqu'il voudrait lui-même nous céder ; nous nous ennuyons de lui dire que nous sommes pauvres et que nous attendons son secours, et il veut être importuné. Cette assiduité nous fatigue , nous gêne, nous cause des dégoûts et des impatiences. Nous voudrions en être quittes, pour nous être une fois présentés à la porte ; et nous oublions la grande maxime du Sage, qui nous avertit de supporter les lenteurs de Dieu : Sustine sustentationes Dei (2). Nous ne pouvons nous accommoder de cette parole d'Isaïe : Expecta, attendez ; Reexpecta (3), attendez encore. Le

 

1 Matth., XV, 25.— 2 Eccli., II, 3.— 4 Isa., XXVIII, 10, 13.

 

moindre délai nous rebute ; et souvent sur le point même de voir nos vœux remplis, nous en perdons tout le mérite et tout le profit. A qui nous en devons-nous prendre? Est-ce à Dieu? ou n'est-ce pas à nous-mêmes?

Enfin, prier avec attention, avec affection, je dis avec attention de l'esprit, avec affection du cœur, quoi de plus nécessaire et de plus essentiel à la prière? Je finis parce point, le plus important de tous. Attention de l'esprit, affection du cœur, c'est ce que j'appelle, après saint Thomas , l'âme de la prière , et sans quoi elle ne peut pas plus subsister qu'un corps sans l'esprit qui le vivifie et qui l'anime. Car qu'est-ce que la prière? ne consultons point ici la théologie, mais le seul bon sens, et l'idée commune que nous avons de ce saint exercice; qu'est-ce, encore une fois, que la prière?un entretien avec Dieu, où l'âme admise, pour m'exprimer de la sorte , et introduite dans le sanctuaire, expose à Dieu ses besoins, lui représente ses faiblesses, lui découvre ses tentations, lui demande grâce pour ses infidélités. Or, tout cela ne suppose-t-il pas un recueillement et un sentiment intérieur? Si donc il arrive qu'au moment que je traite avec Dieu, mon esprit s'égare jusques à perdre absolument et volontairement cette attention intérieure et cette dévotion , quoi que je fasse du reste, ce n'est plus une prière. Quand je chanterais les louanges du Seigneur, quand j'emploierais les nuits entières au pied des autels; quand mon corps, selon l'expression et l'exemple de David, demeurerait comme attaché et collé à la terre; dès que je cesse de m'appliquer, je cesse de prier. Et de là, Chrétiens, le Docteur angélique tirait trois grandes conséquences auxquelles je n'ajouterai rien, mais que je vous prie de bien méditer pour votre édification; conséquences terribles, et qui vous feront pleinement connaître pourquoi nos prières ont si peu d'efficace auprès de Dieu.

Première conséquence. Puisqu'il est vrai que l'attention est de l'essence de la prière, on peut dire avec sujet, mais encore avec plus de douleur, que l'exercice de la prière est comme anéanti dans le christianisme; pourquoi? parce que si l'on y prie encore quelquefois, c'est sans réflexion. A quoi se réduit toute notre piété? à quelques prières que nous récitons, mais du reste avec un esprit dissipé et presque toujours distrait. Nous remuons les lèvres, non pas comme cette mère de Samuel, dont le grand-prêtre Héli jugea témérairement; mais comme les Juifs, à qui Dieu reprochait que leur cœur

 

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était bien loin de lui, tandis qu'ils le glorifiaient de bouche. Ainsi nos prières ne sont plus communément qu'hypocrisie; et Jésus-Christ pourrait bien nous redire ce qu'il disait aux pharisiens : Hypocrites, bene prophetavit de vobis Isaias : Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me (1). Ce n'est pas seulement le peuple qui tombe dans ce désordre, et qui, par une fatale grossièreté, prie tous les jours sans prier, c'est-à-dire sans penser à qui il parle, ni à ce qu'il demande. Ce n'est pas seulement le sexe dévot, qui, plus adonné à la prière, fait son capital de dire beaucoup, mais sans fixer sa légèreté naturelle, et en l’appliquant très-peu. Ce sont même les hommes les plus éclairés et les mieux instruits ; ce sont lus personnes mêmes consacrées à Dieu, les ministres mêmes de Dieu, qui, par le plus déplorable renversement, à force de prier ne prient point du tout; et au lieu de perfectionner une si sainte pratique par l'habitude, la corrompent et la détruisent.

Seconde conséquence. Puisque la prière renferme essentiellement l'attention, il s'ensuit que, dans les prières qui nous sont commandées, l'attention est elle-même de précepte, en sorte qu'il ne suffit point alors de prononcer, mais qu'une distraction notable et volontaire doit être considérée comme une offense griève et mortelle. Or, je dis surtout ceci, mes Frères, et pour vous et pour moi, parce que c'est en cela que consiste un des premiers engagements de Mitre profession et de la mienne, et que la prière vocale est comme le sacré tribut que l'Eglise chaque jour exige de nous. Car il serait bien étrange que cette action, si sainte d'elle-même, et qui doit nous-mêmes nous sanctifier, ne servît qu'à nous condamner ; et que ce qui doit être pour nous la source des grâces, devînt une des sources de notre réprobation. Souvenons-nous qu'en nous obligeant à l'office divin, nous nous sommes obligés à un acte de religion ; qu'un acte de religion n'est point une pratique purement extérieure ; et que, comme l'Eglise, en nous commandant la confession, nous commande la contrition du cœur, aussi nous commande-t-elle l'attention de l'esprit, en nous commandant la prière. Soit que cette obligation naisse immédiatement et directement du précepte de l'Eglise même, comme l'estiment de très-habiles théologiens ; soit qu'elle vienne du précepte naturel qui accompagne celui de l'Eglise, en vertu duquel Dieu nous ordonne de l'aire saintement et dignement ce qui

 

1 Matth., XV, 7.

 

nous est prescrit, comme veulent quelques autres : quoi qu'il en soit, cette différence de sentiments n'est qu'une subtilité de l'école ; et dans l'une et l'autre opinion, l'on pèche toujours également. Ah! mes Frères, n'attirons pas sur nous cette malédiction dont le Prophète, dans l'excès de son zèle, menaçait le pécheur, quand il disait : Que sa prière devienne un péché pour lui : Oratio ejus fiat in peccatum (1). Or, à combien de ministres, ou de combien de ministres n'est-il pas à craindre qu'on en puisse dire autant? Si saint Augustin s'accusait sur cela de négligence, nous avons bien encore plus lieu de nous en accuser nous-mêmes.

Troisième et dernière conséquence. Ce n'est donc pas sans raisons que Dieu rejette nos prières, puisque ce ne sont rien moins que des prières, et que, bien loin de l'honorer, nous l'offensons et l'irritons contre nous. Car quelle injustice, mon cher auditeur? Vous voulez que Dieu s'applique à vous quand il vous plaît de le prier, et vous ne voulez pas, en le priant, vous appliquer vous-même à Dieu. Vous dites à Dieu comme le Prophète : Seigneur, prêtez l'oreille à mes paroles : Verba mea auribus percipe (2) ; Seigneur, écoulez mes cris : Intellige clamorem meam (3); Seigneur, soyez attentif à mes vœux: Intende voci orationis meœ (4) ; mais au même temps vous portez votre esprit ailleurs. Vous demandez que Dieu vous parle, et vous ne lui parlez pas ; vous demandez que Dieu vous écoute, et vous ne l'écoutez pas, vous ne vous écoutez pas vous-même, vous ne vous comprenez pas.

Réformons-nous, Chrétiens, sur ce seul article, et nous réformerons toute notre vie ; car on sait bien vivre, dit saint Augustin, quand on sait bien prier : Recte novit vivere, qui novit orare. Pourquoi sommes-nous sujets à tant de désordres? c'est parce que nous ne prions point, ou que nous prions mal; et par un retour trop ordinaire, pourquoi ne prions-nous point, ou pourquoi prions-nous mal ? c'est parce que nous ne voulons pas sortir de nos désordres, et que nous craignons de guérir. Demandons à Dieu des choses dignes de lui et dignes de nous. Demandons-les d'une manière digne de lui et digne de nous. En deux mots, demandons-lui ses grâces, et demandons-les bien ; nous les obtiendrons : mais entre les autres grâces, demandons-lui surtout le don de la prière. Disons-lui comme les apôtres : Domine,

 

1 Psalm., CVIII, 7. — 2 Psalm., V, 2. — 3 Ibid. — 4 Ibid., 3.

 

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doce nos orare (1) : Ah ! Seigneur, notre faiblesse est telle, que nous ne pouvons pas même, sans vous, vous bien exposer nos besoins, ni bien implorer votre secours. C'est à vous à nous faire sentir efficacement nos misères; c'est à vous à nous attirer au pied de votre autel pour vous les représenter ; c'est à vous à nous inspirer ce que nous devons vous dire pour vous

 

1 Luc, XI, 1.

 

toucher. Donnez-nous donc vous-même, ô mon Dieu, cette science si nécessaire, et par une grâce où sont en quelque sorte renfermées, comme dans leur source, toutes les autres grâces, apprenez-nous à nous servir de la prière pour faire descendre sur nous des grâces de conversion, des grâces de sanctification, des grâces de salut, qui nous conduisent à la gloire, etc.

 

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