TOUS LES SAINTS

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ŒUVRES DE BOURDALOUE.

 

AVENT.

 

SERMON POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.
SUR LA RÉCOMPENSE DES SAINTS.

 

ANALYSE.

 

Sujet. Réjouissez-vous, et faites éclater votre joie; car une grande récompense vous est réservée dans le ciel.

Jésus-Christ dans ces paroles nous propose la gloire céleste comme une récompense, et en cela même il nous fait connaître que nous pouvons aimer et servir Dieu par intérêt, pourvu que ce ne soit point un intérêt servile, mais un intérêt chrétien. Or, on ne peut mieux juger de l'excellence et des avantages de cette récompense qui nous est promise dans le ciel, que par comparaison avec les récompenses du monde ; et c'est le sujet de ce discours.

Division. La récompense des Saints est une récompense sûre, au lieu que les récompenses du monde sont douteuses et incertaines; 1ère partie. La récompense des Saints est une récompense abondante, au lieu que les récompenses du monde sont vides et défectueuses ; 2e partie. La récompense des Saints est une récompense éternelle, au lieu que les récompenses du monde sont caduques et périssables; 3e partie.

PREMIERE PARTIE. Récompenses du monde, récompenses douteuses et incertaines : au lieu que la récompense des Saints est une récompense sûre. Preuves tirées de deux passages de saint Paul. Je sais, disait-il, à qui j'ai confié mon dépôt, c'est-à-dire le fonds des mérites que je tâche d'acquérir ; et je suis certain qu'il saura me le garder pour ce grand jour, où chacun recevra selon ses œuvres. J'ai achevé ma course, ajoutait l'Apôtre : il ne me reste que d'attendre la couronne de justice que le Seigneur me donnera comme juste juge, et qu'il réserve à tous ceux qui le servent.

C'est ainsi que nous pouvons et que nous devons nous dire à nous-mêmes : Scio cui credidi : Je ne sais si je mériterai la récompense que Dieu prépare à ses élus ; mais je sais que si je la mérite, je l'aurai. Je ne suis pas sûr de moi, mais je suis sûr du Dieu que je sers, parce que je suis sûr de sa bonté, de sa fidélité, de sa puissance. Les Saints en étaient sûrs, et cette assurance soutenait leur zèle et leur ferveur.

Un mondain ne peut tenir ce langage à l'égard du monde et des récompenses du monde; mais souvent il doit dire tout au contraire : Je sais que par rapport au monde j'ai fait mon devoir ; mais je ne sais si le monde m'en tiendra compte : je suis sûr de moi ; mais je ne suis pas sûr de ceux qui sont les maîtres et les distributeurs des grâces. Il peut dire dans un sens tout opposé a celui de saint Paul : Scio cui credidi. Je sais quel est ce monde à qui je me suis attaché, et combien il y a peu de fond à faire sur lui : or n'avoir rien sur quoi l'on puisse compter, c'est ce qui afflige et qui désole.

Trois causes de l'incertitude des récompenses du monde. 1° C'est qu'il y a des mérites que les hommes ne connaissent pas. 2° C'est qu'il y a des mérites, quoique connus des hommes, qui ne leur plaisent pas. 3° C'est qu'il y a des mérites que les hommes estiment et dont ils sont même touchés, mais qu'ils ne récompensent pas, parce qu'ils ne le peuvent pas.

1° Des mérites que les hommes ne connaissent pas. Par ce seul principe, combien dans le monde de mérites perdus? Mais Dieu connaît tous nos mérites. Il connaît les mérites obscurs aussi bien que les éclatants : sujet de consolation pour les humbles. Il connaît jusques à nos intentions et à nos désirs : sujet de consolation pour les faibles. Il connaît jusques à nos moindres actions : sujet de consolation pour les pauvres. Il connaît dans chaque action tout son prix, et il y proportionne la récompense : sujet de consolation pour les âmes fidèles et ferventes. Par rapport au monde, point de mérites que le temps n'efface : mais Dieu n'oublie rien.

2° Des mérites, quoique connus des hommes, qui ne leur plaisent pas : soit par l'aliénation des coeurs, soit par la contrariété des intérêts, soit par jalousie. Mais comme Dieu hait nécessairement le péché, aussi ne peut-il pas ne point aimer le mérite des œuvres chrétiennes, et en l'aimant ne le point couronner.

3° Des mérites que les hommes ne récompensent pas, parce qu'ils ne le peuvent pas. Ils ne sont ni assez riches, ni assez puissants. Au lieu que rien ne peut excéder le pouvoir de Dieu, qui est infini.

Nous sommes donc sûrs de Dieu. D'où David tirait cette sainte conclusion, qu'il vaut bien mieux se confier dans le Seigneur que dans les hommes, et dans les princes mêmes de la terre.

Ce n'est pas qu'on ne puisse et qu'on ne doive servir les princes et les maîtres du siècle : mais à combien plus forte raison devons-nous servir Dieu; et si nous avons tant d'ardeur pour des récompenses qui, par tant de raisons, nous peuvent manquer, combien sommes-nous inexcusables de ne rien faire pour cette récompense souveraine qu'un Dieu nous assure?

DEUXIÈME PARTIE. Récompenses du monde, récompenses vides et défectueuses; au lieu que la récompense des Saints est une

 

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récompense abondante. Car c'est une récompense, 1° qui surpasse, ou du moins qui égale nos services; 2° qui, par elle-même, est capable de nous rendre parfaitement heureux. Deux propriétés dont nulle ne convient aux récompenses du monde.

1° Récompense qui surpasse tous nos services. Que ne fait-on pas tous les jours pour la fortune du momie ; et dès qu'on y est parvenu, par combien d'épreuves n'en reconnaît-on pas la vanité et le néant? Beaucoup de travail et peu de fruit.

Mais le moindre degré de la gloire des Saints est infiniment au-dessus de tout ce qu'ils ont entrepris ou souffert pour Dieu. Ce qui faisait dire à saint Paul que toutes les souffrances de la vie ne sont pas dignes de la gloire que Dieu nous réserve. Venez, est-il dit au bon serviteur dans l'Evangile; vous avez été fidèle en peu de choses : entrez dans la joie de votre Dieu, parce que la joie de votre Dieu est trop grande pour entrer dans vous.

2° Récompense capable par elle-même de nous rendre parfaitement heureux. Voit-on des grands et des riches dans le monde qui soient contents? Ne forment-ils pas sans cesse de nouveaux désirs, parce qu'ils ne trouvent rien, ni dans les biens, ni dans les honneurs du monde, qui remplisse leur cœur.

Mais, Seigneur, s'écriait David, je serai rassasié quand vous me découvrirez votre gloire. La foi même nous l'enseigne, et nous n'en devons point être surpris, puisque Dieu ou la possession de Dieu sera la récompense des Saints,

Un préjugé sensible de celle vérité, c'est qu'en effet, dès celle vie, nous voyons des hommes qui se tiennent et qui sont réellement heureux de ne posséder que Dieu, et de ne s'attacher qu'à Dieu. Nous ne voyons point de riches contents de leurs richesses, d'ambitieux contents de leur fortune, de sensuels contents de leurs plaisirs; et nous voyons des pauvres évangéliques contents de leur pauvreté, des humbles contents de leurs abaissements, des chrétiens crucifiés et morts au monde, contents de leurs austérités et de leurs croix.

Quelle onction intérieure n'ai-je pas goûtée moi-même, Seigneur, à certains moments où vous bannissiez de mon cœur les vains plaisirs, pour y entrer à leur place ! Et intrabas pro eis. Or, si Dieu remplit ainsi notre cœur sur la terre, que sera-ce dans le ciel?

TROISIEME PARTIE. Récompenses du monde, récompenses caduques et périssables, an lieu que la récompense des Saints est une récompense éternelle. Les athlètes courent dans la carrière et combattent ; pourquoi? pour une couronne corruptible : mais nous, reprenait l'Apôtre, si nous travaillons, c'est pour une couronne immortelle.

En effet, toutes les récompenses du monde sont passagères. Combien de fortunes avons-nous vu tomber? combien tombent encore tous les jours; et de celles qui paraissent maintenant les mieux établies, combien tomberont? Toutes au moins finissent à la mort. Or, cela seul ne doit-il pas suffire pour nous en détacher? Si ceux que nous avons connus les plus avides des récompenses du siècle avaient pu prévoir ce qui devait leur arriver, bien loin de les rechercher avec tant d'ardeur, ils n'auraient pu gagner sur eux de faire seulement une partie de ce qu'ils ont fait, et de se donner tant de peines pour des biens si peu durables.

Il n'y a que la récompense, des Justes qui ne passe point, parce qu'elle est en Dieu, qui ne peut changer. Eternité de puissance, éternité de bonheur, éternité de gloire : telle est l'heureuse destinée des élus de Dieu.

Nous voyons dès maintenant comme un rayon de cette gloire dans ce culte perpétuel que l'Eglise rend aux Saints, et qu'elle leur rendra jusqu'à la fin des siècles. C'est pour cela que leurs fêtes sont instituées, et que chaque année on renouvelle le souvenir de leurs vertus.

Pouvons-nous donc assez estimer cette récompense éternelle? Malheur à nous, si toute notre récompense est pour ce monde, et si nos noms ne sont écrits que sur la terre ! Au contraire, fussions-nous selon le monde les plus malheureux des hommes, si cependant nos noms sont écrits dans le ciel, consolons-nous, et disons avec l'Apôtre : Un moment de tribulation, et d'une inhalation légère, me procurera un poids éternel de gloire.

Espérance par où les Saints ont triomphé du monde. Pourquoi ne les imitons-nous pas ? c'est que nous ne considérons pas comme eux cette bienheureuse immortalité où ils aspiraient. Mais en vain célébrons-nous leurs fêles, en vain les invoquons-nous et implorons-nous leur secours, si nous ne suivons pas leurs exemples.

Prière aux Saints, pour demander leur protection. Mais du reste, assurés de leur protection, vivons comme eux, si nous voulons être glorifiés comme eux.

Compliment au roi.

 

Gaudete, et exultate : ecce enim merces vestra  copiosa est in cœlis.

Réjouissez-vous, et faites éclater votre joie, car une grande récompense vous est réservée dans le ciel. (Saint Matth. ch. V, 12.)

 

SIRE,

 

C'est le Fils de Dieu qui parle, et qui, dans l'évangile de ce jour, nous propose la gloire céleste, non pas comme un simple héritage qui nous est acquis , mais comme une récompense qui nous doit coûter. Il savait, dit saint Jean Chrysostome, combien nous sommes intéressés; et voilà pourquoi, usant avec nous d'une condescendance digne de lui pour nous attirer à son service, il nous prend par notre intérêt. Sans rien relâcher de ses droits, ni rien rabattre du commandement qu'il nous fait de l'aimer comme notre Dieu , pour lui-même et plus que nous-mêmes, il veut bien que notre amour pour lui ait encore un retour sur nous ; et, pourvu que notre intérêt ne soit point un intérêt servile, il consent que nous l'aimions par intérêt, ou plutôt que nous nous fassions un intérêt de l'aimer. Car c'est pour cela qu'il nous promet une récompense dont la vue est infiniment capable de nous élever à ce pur et parfait amour, qui, comme ajoute saint Chrysostome, réunit saintement et divinement notre intérêt à l'intérêt de Dieu.

Entrons donc , mes chers auditeurs, dans la pensée de Jésus-Christ ; et, sans nous piquer aujourd'hui d'une spiritualité plus sublime que celle qui nous est enseignée parce Maître adorable, attachons-nous à la récompense où il nous appelle, et qu'il veut que nous envisagions, quand il nous dit : Une grande récompense vous est réservée dans le ciel : Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. Il est de la foi que nous la pouvons et que nous la devons mériter, cette récompense ; et c'est ce que je suppose ici comme un principe dont il ne nous est

 

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pas permis de douter ; mais ce principe supposé, je veux vous montrer combien cette récompense est digne de nos désirs et de nos soins. Pour vous engager à la mériter, je veux vous en découvrir l'excellence et les avantages. Par la comparaison que j'en ferai avec les récompenses du monde, je veux vous la faire goûter, et par là même, si je puis, exciter en vous un saint zèle de l'acquérir.

Or, pour vous en donner une idée juste , je m'arrête aux paroles de mon texte, dont l'exposition littérale va développer d'abord tout mon dessein ; concevez-en bien l'ordre et le partage : Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. Cette récompense que Dieu prépare à ses élus est une récompense sûre : Ecce, la voilà : c'est un Dieu qui vous la promet; et si vous la voulez de bonne foi, elle est à vous : Ecce merces vestra. C'est une récompense abondante qui n'aura point d'autre mesure que la magnificence d'un Dieu, et qui mettra seule le comble à tous vos désirs : Ecce merces vestra copiosa. Enfin, c'est une récompense éternelle, que vous ne perdrez jamais, parce qu'elle vous est réservée dans le ciel, où il n'y aura plus de changement ni de révolution : Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. Qualités bien propres, Chrétiens, à faire, et sur vos esprits et sur vos cœurs, les plus fortes impressions , surtout si vous en jugez par opposition aux récompenses du monde , c'est-à-dire par les trois essentielles différences que je vous prie de remarquer entre les récompenses du monde et cette récompense des élus de Dieu : car c'est là ce qui m'a paru devoir plus vous intéresser et réveiller votre foi. La récompense des élus de Dieu est une récompense sûre, au lieu que les récompenses du monde sont douteuses et incertaines : ce sera le premier point. La récompense des élus de Dieu est une récompense abondante, au lieu que les récompenses du monde sont vides et défectueuses : ce sera le second point. La récompense des élus de Dieu est une récompense éternelle, au lieu que les récompenses du monde sont caduques et périssables : ce sera le dernier point.

Trois sujets de consolation et de joie que l'Eglise nous propose, en nous mettant devant les yeux la gloire des Saints, et en nous animant par ce motif à être les imitateurs de leur sainteté : Gaudete, et exultate. Si vous vous conformez à leurs exemples, réjouissez-vous : et de quoi? de ce que vous serez sûrement, de ce que vous serez pleinement, de ce que vous serez éternellement récompensés. Au contraire,

pleurez et affligez-vous si, malgré tous ces avantages, possédés de l'amour du monde, vous vous sentez peu de goût et peu d'attrait pour cette récompense des justes. Non-seulement pleurez, mais tremblez , si la dureté de vos cœurs vous rend insensibles à des vérités si touchantes. Donnez-moi grâces, Seigneur, pour traiter dignement et utilement un si grand sujet, et faites que ceux qui m'écoutent, pénétrés de la vertu de votre divine parole, conçoivent un désir ardent, une espérance vive, un saint avant-goût des biens que vous leur préparez : qu'en vue de ces biens ineffables, ils se détachent de la terre , ils n'aient plus de pensées que pour le ciel, ils renoncent à la vanité, ils cherchent solidement la vérité , ils soient, aussi bien que vos Saints, et comme devant être un jour les compagnons de leur gloire, déterminés à combattre le monde et à le vaincre. C'est ce que je vous demande pour eux et pour moi, par l'intercession de la plus sainte des vierges. Ave, Maria.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Se fatiguer, s'épuiser souvent, s'immoler pour des récompenses incertaines, auxquelles on parvient difficilement, et dont tous les jours, après de vaines espérances, on a le chagrin de se voir, ou malheureusement frustré, ou même injustement exclu, c'est la triste et fatale destinée de ceux qui s'attachent au monde. Au contraire, travailler pour une récompense sûre, et servir un maître auprès duquel on peut compter qu'il n'y eut et qu'il n'y aura jamais de mérites perdus, c'est ce qui a fait sur la terre le bonheur des élus de Dieu, et de ces Saints prédestinés dont nous honorons aujourd'hui la glorieuse mémoire. Ils servaient un Dieu fidèle dans ses promesses, et ils avaient en vue une récompense qui ne leur pouvait manquer. Voilà, dit saint Chrysostome, ce qui les a rendus capables de tout entreprendre et de tout souffrir. Patior, disait un d'entre eux, plein de cette force héroïque que la foi d'une vérité si consolante lui inspirait, c'était saint Paul : Patior, sednon confundor (1); Je souffre; mais bien loin de m'en affliger, je m'en glorifie : et pourquoi? Scio enim cui credidi, et certus sum quia potens est depositum meam servare in illum diem (2); parce que je sais, ajoutait-il, quel est celui à qui j'ai confié mon dépôt, et que je suis assuré qu'il n'est que trop puissant pour me le garder jusqu'à ce grand jour où chacun  recevra  selon   ses œuvres.

 

1. 2 Timoth., I, 12. — 2 Ibid.

 

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Qu'entendait-il par son dépôt? le fonds de mérites qu'il s'était acquis devant Dieu , c'est-à-dire ce qu'il avait fait pour Dieu, ce qu'il avait enduré pour Dieu, et dans l'espérance de la gloire dont il savait que ses travaux apostoliques devaient être récompensés. C'est le sens littéral de ce passage. J'ai combattu, disait-il encore dans la même épître à Timothée, j'ai achevé ma course, j'ai été constant dans la foi ; il ne me reste que d'attendre la couronne de justice qui m'est réservée, et que le Seigneur, en ce jour-là, me donnera comme juste juge : In reliquo reposita est mihi corona justitiœ, quam reddet mihi Dominus, in illa die, justus judex (1). Ainsi parlait l'Apôtre de Jésus-Christ, et ainsi a droit de parler après lui tout homme chrétien, puisqu'il reconnaissait lui-même que cette couronne de justice n'était pas seulement réservée pour lui, mais généralement, et sans exception pour tous les serviteurs de Dieu : Non solum autem mihi, sed et iis qui diliqunt adventum ejus (2).

Car voici, mes chers auditeurs, comment chacun de nous doit raisonner, en Rappliquant personnellement ces paroles : Scio cui credidi, et c'est l'important mystère de religion sur quoi doit être fondée toute notre conduite selon Dieu. Je ne sais pas si je serai jamais assez heureux pour mériter la récompense que Dieu prépare à ceux qui l'aiment : mais je sais que si je la mérite, je l'obtiendrai, je sais qu'autant que je l'aurai méritée, je la posséderai ; je sais que tout ce que je sais et tout ce que je souffre pour Dieu est un dépôt sacré que Dieu me garde, dont il veut bien lui-même me répondre, et qui ne dépérira point entre ses mains : Scio cui credidi ; c'est-à-dire, je ne suis pas sûr de moi, mais je suis sûr du Dieu pour qui je travaille ; je suis sûr de sa bonté, je suis sûr de sa fidélité, je suis sûr de sa puissance : Et certus sum, quia potens est. Or, l'assurance que la foi me donne de tous ces attributs de Dieu et de Dieu même est ce qui m'encourage et qui m'anime. C'est ce qui a soutenu la ferveur et le zèle de ces bienheureux qui règnent maintenant dans le ciel, et qui ont sanctifié la terre par leurs vertus; ils étaient sûrs du Dieu qu'ils servaient, et des biens qu'ils en attendaient : non-seulement ils espéraient en lui, mais ils savaient, et ils savaient infailliblement, qu'espérant en lui, ils ne seraient point confondus : Scio ad credidi.

Un mondain est bien éloigné de pouvoir

 

1. 2 Timoth., VI, 8. — 2 Ibid.

 

tenir ce langage à l'égard du monde et des récompenses du monde. Car, fondé sur le témoignage qu'il se rend de sa propre conduite, il peut souvent dire, tout au contraire, en gémissant et en déplorant son sort : Je sais que, par rapport au monde, j'ai fait mon devoir ; mais je ne sais pas pour cela si le monde m'en tiendra compte; je ne sais pas si le monde reconnaîtra mes services; je ne sais pas même si mes services lui ont été agréables. Pour ce qui regarde les récompenses du monde, il peut dire sans présomption : Je suis sûr de moi, mais je ne suis pas sûr de ceux qui sont les maîtres et les distributeurs des grâces; je ne suis pas sûr qu'ils aient pour moi de favorables dispositions ; je ne suis pas sûr qu'ils en aient même d'équitables. Il peut, dans un sens contradictoirement opposé au sens de saint Paul, dire en parlant du monde : Scio cui credidi ; je sais, et je ne sais que trop, quel est ce monde à qui je me suis malheureusement attaché, et opiniâtrement confié : mais c'est justement pour cela qu'après l'avoir longtemps servi, je ne suis encore sûr de rien, parce qu'une expérience funeste m'a appris malgré moi, et m'a convaincu que, le monde étant ce qu'il est, je n'ai pu ni n'ai dû faire aucun fond sur lui. Or, n'avoir rien en vue dont on soit sûr, ni sur quoi l'on puisse compter, c'est ce qui afflige le mondain, ce qui le désole, et pour peu que son ambition ait d'empressement et de vivacité, ce qui lui tient lieu de supplice. Telle est, dis-je, la première différence que j'ai dû vous faire observer entre les récompenses de Dieu et celles du monde. Mais approfondissons cette pensée, et venons au détail des choses, puisqu'il est certain qu'il n'y en eût jamais une plus propre pour nous faire adorer les miséricordes de notre Dieu, et pour nous exciter nous-mêmes à l'amour et au zèle de la sainteté.

Il y a dans le monde des mérites stériles, c'est-à-dire des mérites sans récompense : pourquoi cela ? c'est qu'il y a, dit saint Chrysostome, des mérites que les hommes ne connaissent pas ; c'est qu'il y a des mérites, quoique connus des hommes, qui ne leur plaisent pas; c'est qu'il y a des mérites que les hommes estiment, et dont ils sont même touchés, mais qu'ils ne récompensent pas, parce qu'ils ne le peuvent pas. Trois causes de l'incertitude des récompenses du siècle, mais qui nous font comprendre en même temps la sûreté et l'infaillibilité de la récompense des élus de Dieu. Appliquez-vous, et ne perdez rien de cette excellente morale.

 

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Des mérites que les hommes ne connaissent pas. En effet, par ce seul principe, combien dans le monde de mérites perdus ? combien d'ignorés? combien d'oubliés? combien d'effacés par le temps? combien de détruits par les mauvais offices ? combien d'étouffés dans la foule et dans la multitude ? Je serais infini, si je voulais pousser cette induction. Avec Dieu nous n'avons rien de pareil à craindre : de quelque nature que soient les mérites que nous acquérons devant lui, il les connaît, il les distingue, il en fait le discernement, il les pèse dans la balance du sanctuaire, il en conserve le souvenir, il ne les perd jamais de vue.

Eclairé des vives lumières de son entendement divin, il connaît les mérites obscurs, aussi bien que les éclatants ; les vertus intérieures et cachées aussi bien que celles qu'on admire et qu'on préconise. Combien de Saints dans le ciel qui n'ont jamais paru ce qu'ils étaient, et dont la sainteté, quoique parfaite, n'a jamais brillé pendant qu'ils vivaient sur la terre? Voilà pour la consolation des humbles.

Comme Dieu scrutateur des cœurs, il pénètre le fond du mérite, qui est le cœur. Ce mérite du cœur, inconnu aux hommes, lui est connu, et entièrement connu : et de là vient qu'il nous tient compte, non-seulement de nos actions et de nos œuvres, mais de nos intentions et de nos désirs; non-seulement de ce que nous faisons pour lui, de ce que nous souffrons pour lui, de ce que nous quittons pour lui , mais de ce que nous voudrions faire , de ce que nous voudrions souffrir, de ce que nous voudrions quitter, par la raison seule que si nous l'avions, nous serions prêts en effet pour lui à le quitter. Ainsi, selon l'expression de l'Ecriture, il entend, et par la même règle il récompense jusqu'à la préparation de nos cœurs : Prœparationem cordis eorum audivit auris tua (1) ; c'est-à-dire qu'il suffit pour lui plaire, de lui vouloir plaire, et qu'il suffit de lui avoir plu, pour être comblé de ses biens. Combien de prédestinés qui n'ont eu devant Dieu que le mérite de la bonne volonté ? Voilà pour la consolation des faibles.

Parce que c'est un Dieu dont la pénétration est infinie, et que rien n'échappe à sa connaissance, nos actions les plus viles et les plus basses, pourvu qu'il en soit le motif, ont devant lui leur prix et leur valeur. Un verre d'eau donné en son nom mérite une gloire spéciale, dont lui-même il nous assure. Les deux deniers de la veuve reçoivent un éloge de sa

 

1. Psal., IX, 37.

 

 

bouche, aussi bien que les magnifiques offrandes qui se faisaient dans le temple. Voilà pour la consolation des pauvres.

Parce qu'il est souverainement et exactement juste : pour chaque degré de mérite et de sainteté que nous acquérons, il a un degré de béatitude et de gloire qu'il nous destine ; et c'est la proportion de ces degrés qui fait pour les Saints bienheureux, aussi bien que pour les anges, l'ordre admirable des hiérarchies célestes. Sur la terre, le plus grand mérite n'est pas toujours le mieux placé : souvent un mérite médiocre, par le faux jugement des hommes, l'emporte et prévaut. Là, le mérite et la gloire, le mérite et la récompense vont toujours de pair. C'est un Dieu qui mesure et qui règle l'un par l'autre, mais un Dieu incapable de se tromper, incapable d'être prévenu, incapable de rien estimer que ce qui est essentiellement estimable, savoir, les œuvres saintes et la piété. Voilà pour la consolation des âmes droites et fidèles à leurs devoirs.

Par rapport au monde, il n'y a point de mérite que le temps n'efface. Tout ce que nous faisons pour Dieu, du moment que nous Lavons fait, est écrit dans le livre de vie, mais avec des caractères qui ne s'effaceront jamais. Les hommes, non-seulement oublient, mais souvent sont bien aises d'oublier les services qu'on leur rend ; et Dieu nous déclare lui-même que tous nos services sont comme scellés dans les trésors de sa miséricorde : Nonne hœc condita sunt apud me, et signata in thesauris meis (1) ? Il nous dit en termes exprès que nos sacrifices sont toujours devant ses yeux : Holocausta autem tua in conspectu meo sunt semper (2) ; que nos prières et nos aumônes montent jusques à lui, et qu'elles sont toujours présentes à sa mémoire : Orationes tuœ et elecmosynœ ascenderunt in memoriam in conspectu Dei (3). Il se fait même comme un honneur de s'en souvenir, et il ne peut non plus les oublier qu'il peut oublier qu'il est notre Dieu, et que nous sommes ses créatures. Tout cela, Chrétiens, le croyons-nous? Mais, si nous ne le croyons pas, nous ne connaissons pas le maître que nous servons; ou, si nous le croyons, comment sommes-nous si tièdes et si négligents dans son service ?

Ajoutez, pour goûter encore davantage le bonheur des Justes, ce que j'ai marqué comme le second principe de la disgrâce des mondains et de l'incertitude de leurs récompenses : des mérites, quoique connus, qui ne

 

1. Deut., XXXII, 34. — 2. Psal., XLIX, 8. — 3. Ad., X, 4.

 

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plaisent pas. Qu'y a-t-il dans le monde de plus ordinaire? et combien par là ne voit-on pas parmi les hommes de mérites malheureux, de mérites rebutés, et, si j'ose ainsi dire, réprouvés : de mérites qui, par l'aliénation des cœurs, ou par la contrariété des intérêts, bien loin d'attirer la bienveillance et l'amour, excitent plutôt la jalousie et la haine? C'est à quoi ne sont point sujets ceux qui travaillent à acquérir des mérites auprès de Dieu. Comme Dieu hait nécessairement le péché, et que, tout Dieu qu'il est, il ne peut pas ne le point haïr, et en le haïssant ne le point réprouver ; aussi, tout Dieu qu'il est, ne peut-il pas ne point aimer le mérite des œuvres chrétiennes, et en l'aimant ne le point couronner et ne le point glorifier. Il y a dans les élus de Dieu différentes espèces de sainteté; mais il n'y en a pas une, dit saint Chrysostome, qui ne soit du goût de Dieu, qui ne soit l'objet des complaisances de Dieu, parce qu'il n'y en a pas une qui ne soit une émanation de cette sainteté originale et exemplaire, qui est Dieu; parce qu'il n'y en a pas une qui ne soit l'ouvrage de Dieu et le don de Dieu. Avoir du mérite ou en avoir trop, c'est souvent dans le monde une exclusion pour les emplois et pour les places, qui y tiennent lieu de récompenses. Devant Dieu, plus on a de mérite, plus on est aimé. Or, être aimé d'un Dieu dont l'amour fait les bienheureux, les prédestinés, les Saints, c'est être déjà récompensé.

Enfin, quelque justes et quelque reconnaissants que soient les hommes; je dis plus, quelque libéraux et quelque magnifiques qu'ils puissent être, il y a des mérites qu'ils ne récompensent pas, parce qu'ils ne le peuvent pas; des mérites dont ils conviennent, et dont ils sont même touchés, mais qui, excédant, ou par leur qualité, ou par leur nombre, le nombre des grâces dont ils sont les dispensateurs, leur deviennent malgré eux des mérites onéreux, des mérites incommodes, et même des mérites importuns. Il n'y en a point de tels auprès de vous, mon Dieu, et l'on ne court point avec vous de semblables risques. Comme la magnificence de Dieu n'a point de bornes, parce qu'elle est inséparable de sa toute-puissance, nos mérites ont beau croître et se multiplier, elle ne s'épuise jamais. Plus nous en avons, plus il a, dit saint Chrysostome, de trésors de grâce et de gloire à répandre sur nous. Plus il nous doit, dans le sens catholique et orthodoxe qu'il nous peut devoir, plus il est riche pour s'acquitter envers nous : riche, dit le texte sacré, pour tous ceux qui l'invoquent et qui le prient : Dives in omnes qui invocant illum (1) ; mais encore bien plus riche, reprend saint Bernard, pour tous ceux qui le servent fidèlement. Comme jamais il ne se tient importuné de nos prières, aussi nos mérites acquis par sa grâce ne lui sont-ils jamais à charge.

Nous sommes donc sûrs de lui; et quand nous travaillons pour lui, dans l'espérance de la gloire dont jouissent les Saints, tout pécheurs que nous sommes, nous avons la consolation de pouvoir dire comme saint Paul : Spes autem non confundit (2). Cette espérance ne me confond point : toute autre espérance est trompeuse, mais celle-là ne me trompera jamais. Cent fois j'ai pu me repentir d'avoir trop compté sur les hommes et d'avoir trop espéré d'eux, mais je n'oserais dire ni me plaindre que jamais Dieu m'ait manqué; et si j'étais assez ingrat pour le penser, non-seulement sa justice, mais sa miséricorde même, s'élèverait pour lui contre moi.

Je suis sûr de mon Dieu : principe adorable d'où David tirait ces saintes et édifiantes conclusions, qu'un chrétien, surtout à la cour, devrait méditer tous les jours de sa vie : Bonum est confidere in Domino, quam confidere in homine (3) ; il vaut bien mieux se confier dans le Seigneur que de se confier dans l'homme : Bonum est sperare in Domino, quam sperare in principibus (4) ; il vaut bien mieux mettre son espérance dans le Seigneur que de la mettre dans les princes de la terre. C'est un roi qui l'a dit : et celui devant qui je parle a trop de religion pour ne pas souscrire lui-même à un témoignage si divin. Je suis sûr du Dieu que je sers : principe touchant, seul capable de sanctifier ma vie. Mon espérance du côté de Dieu ne me peut confondre. Je puis bien de mon côté abuser de cette espérance par ma présomption; je puis bien, par ma lâcheté, me rendre cette espérance vaine et inutile : mais au moins cette espérance est-elle infaillible pour moi de la part de Dieu; et pourvu que je m'assure de moi, j'ai droit de me promettre tout de lui.

Après cela, Chrétiens, sommes-nous excusables, que dis-je? ne sommes-nous pas bien indignes de notre Dieu, si nous usons de réserve avec lui, si nous craignons d'en trop faire pour lui, si nous ne le servons pas en Dieu ? Je ne blâme point, à Dieu ne plaise ! au contraire, je ne puis assez exalter, assez exciter le zèle

 

1. Rom., X, 12. — 2. Ibid. V, 5. — 3. Psalm., CXVII, 8. — 4. Ibid. 9.

 

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que vous pouvez avoir, et que vous avez de mériter les grâces du glorieux monarque à qui le ciel nous a soumis, et que Dieu nous a donné pour maître. Ce que je souhaiterais, c'est qu'en le servant, vos services fussent plus saints et plus dignes de l'esprit chrétien. C'est de lui que dépend votre destinée et votre fortune selon le monde ; je veux bien que votre intérêt, joint à votre devoir, vous attache à lui; il est l'image de Dieu ; votre confiance après Dieu ne peut être mieux placée. Mais si vous avez tant d'empressement et d'ardeur pour des récompenses qui par tant de raisons peuvent vous manquer, comment pouvez-vous soutenir le profond et affreux oubli dans lequel vous vivez à l'égard de cette récompense souveraine qu'un Dieu vous assure? Et que répondrez-vous à Dieu, quand il vous reprochera dans son jugement un oubli si monstrueux et si criminel ? C'est là toutefois votre désordre ; et si vous n'en gémissez pas, j'aurais droit d'ajouter ici le terrible anathème de Jérémie : Maledictus qui confidit in homine, et ponit carnem brachium suum (1) ; maudit celui qui met sa confiance dans l'homme, et qui s'appuie sur un bras de chair; mais plus maudit celui qui, pour avoir mis sa confiance dans l'homme, ne peut se résoudre à la mettre en Dieu. Vous î'allez voir encore bien mieux par la seconde qualité de la récompense des Saints, qui n'est pas seulement sûre et immanquable, mais pleine et abondante : Ecce merces vestra copiosa est. C'est le sujet du second point.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Pour vous faire entendre ma pensée, j'appelle récompense abondante une récompense qui surpasse, du moins qui égale les services par où l'on s'en est rendu ou l'on a tâché à s'en rendre digne. C'est la première notion que nous en donne saint Jérôme, quand il applique aux bienheureux ce que le Fils de Dieu, dans l'Evangile, promettait aux justes, pour les exciter à la ferveur par le motif de l'espérance chrétienne : Mensuram bonam, et confertam et coagitatam, et supereffluentem dabunt in sinum vestrum (2) ; on versera dans votre sein une bonne mesure, qui sera pressée, entassée, Comblée. En effet, c'est dans la personne, ou, pour mieux dire, dans l'état des Saints glorifiés, que cette promesse du Sauveur trouve à la lettre son accomplissement. Mais prenant la chose dans un sens encore plus moral, et par conséquent plus propre à vous faire sentir la

 

1. Jerem., 17. — 2. Luc. 6.

 

vérité que je vous prêche, j'appelle récompense pleine et abondante, une récompense capable par elle-même de satisfaire le cœur de l'homme, capable de remplir le vide, ou plutôt la vaste étendue des désirs de l'homme; capable de rendre l'homme heureux, et dont il peut enfin être content : c'est ainsi que saint Augustin l'a conçue dans l'exposition qu'il a faite des béatitudes évangéliques. Or, dans l'un et dans l'autre sens, le fils de Dieu seul a eu droit de nous dire absolument ce qu'il nous dit aujourd'hui : Ecce merces vestra copiosa est. Pourquoi? Parce qu'il n'appartenait qu'à lui de pouvoir donner aux hommes une récompense qui eût ces deux propriétés que je viens de marquer ; ou, si vous voulez, parce qu'il n'y a que la récompense des élus de Dieu qui, par rapport à ces deux propriétés, puisse être justement regardée comme une récompense abondante et pleine.

Car n'est-il pas vrai (je commence par le premier de ces deux caractères, et, sans autre preuve, j'en appelle à vos connaissances : écoutez-moi , et consultez-vous), n'est-il pas vrai que quiconque s'attache à servir le monde, s'il ne veut pas y être trompé, doit se résoudre à travailler beaucoup pour gagner peu ? et n'est-il pas, tout au contraire, évident et incontestable que quand on travaille pour Dieu, pour peu qu'on fasse, on gagne infiniment? Profitons de ce parallèle, et servons-nous-en pour goûter notre religion.

Que ne faisons-nous pas tous les jours dans le monde, pour y obtenir des grâces que le monde est en possession de vendre bien chèrement? des grâces ardemment désirées et impatiemment attendues, mais que l'on s'aperçoit enfin, dès qu'on les a, ne valoir pas à beaucoup près ce qu'il en a coûté pour les avoir? Quelles peines, quelles fatigues ne supporte-t-on pas pour parvenir dans le monde à des établissements où l'on s'était figuré des avantages considérables, mais dont on commence à se désabuser et à se dégoûter, du moment qu'on y est parvenu ? A quoi ne s'ex-pose-t-on pas, et sans y épargner sa vie, que ne risque-t-on pas, pour s'acquérir dans le monde une gloire qui n'est qu'un fantôme, et dont on ne jouit pas plutôt qu'on en reconnaît la vanité et le néant? Quels empressements n'a-t-on pas, et quels mouvements ne se donne-t-on pas pour se procurer auprès des puissances du monde un degré de faveur qui souvent ne conduit à rien, et pour lequel on sacrifie son repos et sa liberté? A combien de

 

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mondains, dans le christianisme, ne pourrait-on pas dire avec raison ce que Dieu, par un prophète, disait aux Israélites, en leur faisant considérer les funestes suites de leur infidélité : Seminastis multum, et intulistis parum (1) ; vous avez beaucoup semé, et vous avez peu recueilli : c'est-à-dire vous vous êtes bien tourmentés, vous avez bien fait des efforts, il vous en a coûté bien des bassesses, et tout cela s'est terminé à une vaine et misérable fortune qui n'a pas répondu à votre attente, et qui s'est trouvée bien au-dessous de vos prétentions. Pourquoi ? parce que, en travaillant pour le monde, vous avez semé dans une terre ingrate, dont vous n'avez dû vous promettre, et qui n'a pu vous rapporter que très-peu de fruits : Seminastis multum, et intulistis parum. Il faudrait un discours entier si je voulais m'étendre sur cette morale, dont peut-être vous ne seriez que trop persuadés, et qui, par l'abus que vous en pourriez faire, vous servirait de prétexte pour autoriser vos chagrins contre le monde, et vos plaintes souvent très-injustes. Je reviens à ma comparaison.

Les Saints, les élus de Dieu ont eu un sort bien différent. En travaillant pour Dieu, ils ont souffert, je le sais; et je suis obligé de convenir que leur vie sur la terre a été une vie austère, pénitente, mortifiée : mais, au milieu de leurs austérités, de leurs pénitences , de leurs mortifications, ils ont eu l'avantage de pouvoir dire, aussi bien que le grand Apôtre : Non sunt condignœ passiones hujus temporis ad futuram gloriam, quœ revelabitur in nobis (2) ; nous souffrons, il est vrai ; mais, outre que nous souffrons pour la justice, ce qui pourrait dès maintenant nous tenir lieu de récompense; outre que nous souffrons pour Dieu, et que cela seul est déjà pour nous une béatitude anticipée, ce que nous souffrons n'a rien qui soit comparable à cette gloire que Dieu nous prépare ; et notre grande ressource est que le moindre degré de cette gloire que nous attendons nous dédommagera pleinement et avec usure de tout ce qu'il y a de plus laborieux et de plus pénible dans la voie du ciel.

Voilà en quoi a consisté le bonheur des Saints. Ils marchaient, dit l'Ecriture ; et, dans l'esprit d'une componction salutaire, ils versaient des larmes, jetant sur la terre les précieuses semences de leurs mérites : Euntes ibant, et flebant, mittentes semina sua (2). Mais

 

1. Aggœ., I, 6. — 2. Rom.,  VIII, 18. — 3. Psalm. CXXV, 6.

 

ils se consolaient par cette pensée qu'ils reviendraient bientôt triomphants et comblés de joie, portant avec eux l'abondante moisson qu'ils auraient cueillie, c'est-à-dire portant avec eux des trésors immenses de gloire, qui devaient être le prix des légers sacrifices qu'ils faisaient à Dieu : Venientes autem venient cum exultatione, portantes manipulos suos (1). Ils possédaient leurs âmes dans la patience, fondés sur l'espérance qu'ils avaient d'entendre bientôt ces délicieuses paroles : Quia super pauca fuisti fidelis, super multa te constituam (2) : parce que vous avez été fidèle en de petites choses, j'en ferai de grandes pour vous. Je n'épargnerai rien pour votre bonheur. Intra in gaudium Domini tui (3); entrez dans la joie de votre Dieu, parce que la joie de votre Dieu est trop grande pour entrer dans vous. Car tel est, mes chers auditeurs, le fond du mystère que nous célébrons, et c'est ce que la vue des Saints et de leur gloire nous doit inspirer. Je sers un Dieu, non-seulement fidèle dans ses promesses, mais magnifique dans ses récompenses; un Dieu qui récompense en Dieu, et qui, sans attendre cette vie éternelle qu'il me promet, m'accorde déjà le centuple de ce que je fais pour lui, par la consolation que j'ai de le faire et de l'avoir fait. Or, c'est encore de là que je tire la seconde notion d'une récompense abondante.

Car j'ai dit, après saint Augustin, que c'est celle qui par elle-même suffit pour contenter l'homme, et j'ai ajouté que ce caractère ne pouvait convenir, et ne convenait qu'à la récompense des Saints. Cette vérité a-t-elle besoin de preuve, et en fut-il jamais une plus capable de nous forcer en quelque sorte, malgré nous-mêmes, à chercher le royaume de Dieu? Il est vrai, on voit dans le monde des hommes qui, selon le monde, paraissent amplement récompensés : on en voit dont les récompenses vont même bien au-delà de leurs services et de leurs mérites. Mais en voit-on de contents? en voyez-vous? en avez-vous vu? espérez-vous jamais d'en voir? et s'ils ne sont pas contents, à quoi leur servent leurs prétendues récompenses? Ils regorgent de biens et d'honneurs, je le veux, et il semble que le monde se soit épuisé pour les élever à une prospérité complète; mais cependant leur cœur est-il satisfait? ne désirent-ils plus rien? se croient-ils heureux? et dans leurs prospérités même, dans ce bonheur apparent, trouvent-ils en effet la félicité? N'est-ce pas au contraire,

 

1. Ibid., 7. — 2. Matth., XXV, 21. — 3. Ibid., 23.

 

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dit saint Chrysostome, dans ces sortes d'états qu'il est plus rare, ou plutôt moins possible de la trouver? n'est-ce pas dans les grandes fortunes que se trouvent les grands chagrins? et qui pourrait dire le nombre de ceux qui n'y sont parvenus que pour être plus malheureux, et pour le sentir plus vivement? Le monde n'a. vait pourtant rien épargné pour contenter leur ambition et pour les combler de ses faveurs; mais en même temps le monde n'avait pas manqué de mêler parmi ses faveurs des semences d'amertume qui en étaient inséparables, et qui devaient bientôt après produire des fruits de douleur. Le monde, en les rendant puissants et opulents, leur avait donné tout ce qui était de son ressort; mais il n'avait pu leur donner ce rassasiement, cette paix du cœur, sans quoi ni la puissance, ni l'opulence, n'empêchaient pas que leur état ne fût un état affligeant. Quelque heureux qu'ils parussent, combien leur manquait-il de choses pour l'être? Vous me direz qu'ils ne devaient s'en prendre qu'à eux-mêmes, puisqu'ils n'étaient malheureux (pic parce qu'ils étaient insatiables. Et moi je réponds : Mais pourquoi, malgré les faveurs dont le monde les comblait, étaient-ils encore insatiables, sinon, ajoute saint Chrysostome, parce que c'est une vérité reconnue, constante, éternelle, que jamais les faveurs du monde, quelque abondantes que nous les concevions, ne pourront rassasier le cœur humain ?

Quoi qu'il en soit, Chrétiens, de là je conclus l'excellence et la perfection de la récompense des élus de Dieu. Car il est encore de la foi que cette récompense seule remplira toute la capacité, et même toute l'immensité de notre cœur. Il est de la foi que nous trouverons en elle l'accomplissement de tous nos désirs. Il est de la foi qu'elle sera pour nous une béatitude consommée, à laquelle il ne manquera rien, et qui nous tiendra lieu de tout. En un mot, il est de la foi qu'avec cette récompense, tout insatiables que nous sommes, nous serons contents. Satiabor, cum apparuerit gloria tua (1), disait à Dieu cet homme selon le cœur de Dieu : Je serai rassasié, quand vous me découvrirez votre gloire. Comme s'il eût dit : Jusque-là, Seigneur, quoi que le monde fasse pour moi, je serai toujours affamé et altéré; jusque-là, ennuyé de ce que je suis, je voudrai toujours être ce que je ne suis pas; jusque-là, mon cœur, plein de vains désirs et vide des biens solides, sera toujours dans l'agitation et dans

 

 

1 Psalm., XVI, 15.

 

le trouble. Mais quand vous m'aurez fait part de votre gloire, mon cœur rassasié commencera à être tranquille. Je ne sentirai plus cette soif ardente de la cupidité qui me brûlait; je n'aurai plus cette faim avide d'une ambition secrète qui me dévorait. Tous mes désirs cesseront, parce que je trouverai dans votre gloire la plénitude du bonheur, la plénitude du repos, la plénitude de la joie; parce que cette gloire, quand je la posséderai, sera pour moi l'affranchissement de tout mal, et la jouissance de tout bien : Satiabor, cum apparuerit gloria tua.

C'est ainsi que parlait David. Etait-ce par exagération, ou dans le transport d'une extase ? Non, Chrétiens : il parlait selon le premier sentiment qui naissait dans son âme ; et il ne faut pas s'étonner si, touché de la vérité que je vous annonce, il se servait d'une expression aussi forte que celle-ci : Satiabor ; parce qu'il savait que cette gloire et cette récompense des élus, après laquelle il soupirait, n'était rien autre chose que Dieu même. Car la foi nous apprend encore que c'est Dieu lui-même qui doit être notre récompense : Ego merces tua magna nimis (1) oui, moi-même, dit Dieu à son serviteur Abraham ; moi-même, qui suis ton Seigneur et ton maître, je serai ta récompense et ta béatitude. Hors de moi, rien ne pouvait l'être, et toute ma gloire sans moi ne serait pas assez pour toi. Il me fallait moi-même pour te rendre heureux, et c'est pourquoi je ne te promets point d'autre récompense que moi-même : c'est moi que tu posséderas : Ego merces tua. Or, il est aisé de concevoir comment la possession d'un Dieu peut opérer dans l'homme l'effet divin que David s'efforçait d'exprimer par cette parole : Satiabor. Car c'est là, mes chers auditeurs, tout le secret de cette félicité incompréhensible dont jouiront les Saints dans le ciel. Ils posséderont Dieu ; ils seront pleins de Dieu : Inebriabuntur ab ubertate domus tuae (2) : ils seront enivrés, ô mon Dieu, de l'abondance qui remplit votre maison : Et torrente voluptatis tuœ potabis eos (3) : Ils boiront à longs traits dans le torrent de vos délices, dont ils seront inondés. Pourquoi ? Il en apporte la raison, qui est convaincante : Quoniam apud te est fons vitœ (4) ; parce que c'est en vous qu'est la source de la vie. Voilà, dis-je, Chrétiens, quelle sera votre récompense ; voilà, au milieu des misères qui nous accablent dans cette vallée de larmes, ce que nous croyons et ce que nous espérons. Mais peut-être, charnels que nous sommes, ne le comprenons-nous qu'à

 

1. Genes., XV, 1. — 2 Psalm., XXXV, 9. — 3. Ibid.—4. Ibid.,10.

 

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demi ; et peut-être vous, à qui je parle, auriez-vous besoin que votre foi sur cela fût soutenue et fortifiée par quelque effet présent et sensible. Hé bien ! comme prédicateur de l'Evangile, je veux en ceci m'accommoder à vos faibles dispositions.

Vous me demandez un préjugé sensible de ce que la foi nous enseigne sur tout ce que je viens de vous dire? Le voici : c'est que tout ce que j'ai dit, non-seulement s'accomplira, mais s'accomplit en quelque manière dès maintenant dans la personne des Justes : Ecce merces vestra copiosa. Je m'explique : ce qui nous fait sensiblement connaître que les élus de Dieu seront rassasiés de la possession de Dieu, c'est qu'en effet dès cette vie nous voyons des hommes qui, par un esprit de religion, renonçant à tout le reste, se tiennent heureux de ne posséder que Dieu et de ne s'attacher qu'à Dieu. Sans parler des Saints glorifiés, nous voyons des Saints sur la terre qui jouissent déjà en quelque sorte de ce bonheur : Sanctis, qui in terra sunt ejus (1). Il y en a peu, si vous voulez, dans ce degré de perfection ; mais il y en a, et peut-être en connaissez-vous qui y sont parvenus. Des hommes détachés du monde, qui ont tout quitté pour Dieu et qui trouvent tout en Dieu ; des hommes qui, contents de Dieu, disent , aussi bien que David : Quid mihi est in cœlo ? et a te quid volui super terram (2) ? qu'y a-t-il pour moi dans le ciel, et que désiré-je sur la terre, hors vous, Seigneur? ou plutôt qui, enchérissant même sur David, pourraient dire, non plus comme lui : Satiabor, Je serai rassasié ; mais je le suis du seul avant-goût que vous me donnez de votre gloire. Oui, nous en voyons des exemples; et Dieu, ou pour nous édifier, ou pour nous confondre, nous en met devant les yeux.

C'est, malgré l'iniquité du siècle, ce que la grâce de Jésus-Christ opère dans ces fervents chrétiens qui sanctifient la terre par leurs vertus : Sanctis, qui in terra sunt. Nous ne voyons point de mondains contents du monde, et nous voyons des serviteurs et des servantes de Dieu contents du Dieu auquel ils se sont dévoués. En faudrait-il davantage pour réveiller tout notre zèle? Nous ne voyons point de riches contents de leurs richesses, et nous voyons des pauvres évangéliques contents de leur pauvreté. Nous ne voyons point d'ambitieux contents de leur fortune, et nous voyons des hommes solidement humbles contents de leur abaissement. Nous ne voyons point de sensuels

 

1. Psal., XV, 3. —2. Psal., LXII, 25.

 

contents de leurs plaisirs, et nous voyons des hommes, non-seulement morts, mais crucifiés pour le monde, contents de leurs austérités et de leurs croix. En un mot, nous voyons ces béatitudes de Jésus-Christ, en apparence si paradoxes et si incroyables, authentiquement et sensiblement vérifiées ; je veux dire des hommes dans la vue de Dieu, et, par un zèle ardent de plaire à Dieu, heureux de souffrir, heureux de pleurer, heureux de ne posséder rien, parce qu'au milieu de tout cela ils possèdent Dieu ; pendant que le monde, avec toutes ses prospérités et toutes ses fausses joies, ne peut être heureux ni content. Peut-on rien opposer à l'évidence de cette démonstration ?

Avoir Dieu pour partage et pour récompense, voilà le sort avantageux de ceux qui cherchent Dieu de bonne foi et avec une intention pure. Le dirai-je, et me permettrez-vous de m'en rendre à moi-même le témoignage? tout pécheur et tout indigne que je suis, voilà ce que Dieu, par sa grâce, m'a fait plus d'une fois sentir. Combien de fois, Seigneur, m'est-il arrivé de goûter avec suavité l'abondance de ces consolations célestes dont vous êtes la source, et qui sont déjà sur la terre un paradis anticipé? Combien de fois, rempli de vous, ai-je méprisé tout le reste, et compté le monde pour rien? Vous bannissiez de mon cœur les vains plaisirs ; mais, pour empêcher que mon cœur ne les regrettât, vous y entriez à leur place : Et intrabas pro eis (1) ; et dès là, Seigneur, la privation de ces plaisirs était pour moi plus délicieuse que n'en aurait jamais été, ni n'en aurait pu être la possession. Or, si dans ce lieu de bannissement et d'exil, où je ne vous vois qu'à travers le sombre voile de la foi, vous remplissez déjà mon cœur, que sera-ce dans cette bienheureuse patrie, où je vous verrai face à face ? Quid erit in patria, si tanta est copia dc-lectationis in via? Si, en vertu de la profession que j'ai faite quand j'ai quitté le monde pour vous suivre, je me tiens déjà si riche de votre pauvreté, que sera-ce, et que dois-je espérer des richesses de votre sainte demeure? Qualem me facturus es de divitiis luis, quem divitem jam facis de paupertate tua ? Si de souffrir pour vous est un si grand bien, que sera-ce de régner avec vous? et que serai-je dans la participation de votre gloire, puisqu'il m'est déjà si glorieux et si doux d'avoir part à vos abaissements? Et quid ero tuœ participatione gloriœ, cujus jam sum opprobrio gloriosus ? Récompense abondante aussi bien que sûre ; vous

 

1. Aug., Confess., lib. IX, c. 1.

 

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l'avez vu. Je dis, enfin, récompense éternelle , qui nous est réservée dans le ciel : Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. C'est par où je vais finir.

 

TROISIÈME PARTIE.

 

Combattre comme les athlètes, et, à l'exemple des athlètes, courir dans la carrière du salut qui nous est ouverte, en sorte que nous remportions le prix, c'est, dans la pensée de saint Paul, à quoi nous sommes appelés, et ce qu'ont pratiqué les Saints ; Sic curritis ut comprehendatis (1). Or les athlètes, disait ce grand apôtre, pour être plus libres dans la course et moins embarrassés dans le combat, se dépouillent de tout, et ils nous apprennent par là que nous devons, comme chrétiens , être détachés de toutes les choses du monde : Omnis autem qui in agone contendit ab omnibus se abstinet (2). La différence entre eux et nous, ajoutait-il, c'est que les athlètes n'en usent ainsi, et n'observent les règles sévères qui leur sont prescrites, que pour gagner une couronne corruptible : différence bien essentielle et bien capable de nous confondre si nous ne les imitons pas : Et illi quidem ut corruptibilem coronam accipiant; nos autem incorruptam (3). Voilà, mes chers auditeurs, le troisième et le dernier motif qui a inspiré aux Saints, non-seulement tant de force et tant de courage, mais un détachement du monde si parfait dans les combats qu'ils ont eu à soutenir : cette immortalité, cette éternité, et, si je puis user de ce terme, cette incorruptibilité de la couronne qui leur était réservée dans le ciel, comparée à la caducité, à la fragilité, à la courte durée des récompenses de la terre.

En effet, pour ne point sortir d'un parallèle aussi fécond que celui-là, et dont l'Apôtre s'est servi avec tant d'avantage, toutes les récompenses de la terre sont périssables ; et, comme telles, non-seulement elles périront, mais elles périssent et disparaissent continuellement à nos yeux. Combien vous et moi en avons-nous vu périr? de combien de fortunes érigées et bâties sur ces prétendues récompenses ne voyons-nous pas aujourd'hui les tristes ruines et les pitoyables débris? et combien de fois, depuis que vous êtes spectateurs et témoins des révolutions du monde et de ce qui s'appelle la scène du monde, n'avez-vous pas pu dire avec le Prophète : J'ai vu cet homme élevé comme les cèdres du Liban : j'ai passé, et il n'était plus : Transivi, et ecce non erat (4) ; je l'ai cherché; et

 

1. I Cor., IX, 25. — 2. Ibid. — 3. Ibid. — 4. Psal., XXXVI, 36.

 

un autre occupait sa place : Quœsivi, et non est inventus locus ejus (1). Combien en avons-nous encore tous les jours d'exemples? De ceux qui nous paraissent maintenant les mieux établis, et qui sont les élus du siècle , où est celui qui ose ou qui puisse se promettre un sort plus heureux et une plus durable prospérité? et qui sait si tel, qui semble être sur le pinacle, du degré de bonheur et d'élévation où il est aujourd'hui , n'est pas tout prêt à tomber, et à confirmer par sa chute que le monde n'a rien de stable, beaucoup moins d'éternel, pour ceux qui le servent? Sans donc attendre la mort, où tout aboutit, à combien de revers et de disgrâces ces faveurs du monde ne sont-elles pas sujettes?

Or cela seul, Chrétiens, me suffirait pour vous en détacher malgré vous-mêmes, et, s'il vous reste un degré de foi, pour vous obliger à chercher efficacement la récompense des élus de Dieu. L'instabilité des fortunes du monde, la peine de les conserver, le danger et la crainte de les perdre, le désespoir et la douleur de s'en voir déchu, les troubles, les révolutions inévitables auxquels sont exposés ceux qui en jouissent, ce serait, dis-je, assez pour persuader à un mondain, tout mondain qu'il est, de chercher des biens plus solides.

En effet, si les hommes faisaient souvent ces réflexions, ils n'auraient plus besoin de remontrances , ni absolument même du remède de la parole de Dieu, pour se guérir du poison de l'ambition mondaine qui les tue. Eux-mêmes, convaincus sur ce point de leur erreur et de leur conduite insensée , s'en diraient bien plus que je ne leur en dirai jamais. Si ceux que nous avons connus les plus avides des récompenses du siècle avaient pu prévoir ce qui devait leur arriver, et dans combien peu de temps ces établissements de fortune qu'ils regardaient comme le fruit de leurs travaux devaient être renversés ; si l'on avait pu leur en marquer distinctement le terme, en leur disant : Vous ne jouirez de tout cela, et tout cela ne durera qu'un très-petit nombre d'années, qui vous reste encore ; non, mes chers auditeurs, jamais le désir de s'élever dans le monde n'aurait été pour eux une passion, ni une tentation si dangereuse. Je dis plus : ils n'auraient jamais pu gagner sur eux de faire tout ce qu'ils ont fait, ni de se donner tant de peines pour si peu de chose. Déplorons leur aveuglement, et profitons-en : ils ne se sont livrés à l'ambition que parce qu'ils n'ont jamais envisagé avec une

 

1. Ibid.

 

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attention sérieuse les bornes étroites de ces prétendues fortunes ; et ils n'ont recherché avec tant d'ardeur ces récompenses de la terre que parce qu'ils n'ont pas voulu se souvenir que la durée en était courte , que parce qu'ils ont tâché de l'oublier, que parce qu'ils se sont étourdis pour n'y pas penser. S'ils en avaient toujours considéré l'issue et la fin, insensibles à ces récompenses, au moins n'en auraient-ils usé que selon la maxime de saint Paul, c'est-à-dire comme n'en usant pas, parce qu'ils auraient toujours été frappés de cette pensée que le monde passe, et que les récompenses du monde passent avec lui : Mundus transit, et concupiscentia ejus (1).

Il n'y a que la récompense des Justes qui ne passe point, parce que les Justes, dit l'Ecriture, vivront éternellement, et que leur récompense est en Dieu, qui ne peut changer : Justi autem in perpetuum vivent, et apud Dominiim est merces eorum (2). Il n'y a que cette récompense des élus qui soit immuable, invariable-, inaltérable , parce qu'elle consiste, dit Jésus-Christ, dans le bonheur qu'ils ont de voir Dieu, d'aimer Dieu, de posséder Dieu. Or, éternellement ils le verront, éternellement ils l'aimeront, éternellement ils le posséderont. Comme le tourment des damnés sera d'être à jamais privés de Dieu et d'avoir éternellement à sentir la perte de Dieu, la béatitude des Saints sera de ne pouvoir plus perdre Dieu, de ne pouvoir plus être séparés de Dieu, d'être unis pour jamais à Dieu : Ecce merces sanctorum (3). Voilà, et c'est l'Eglise elle-même qui le chante, voilà la récompense de ceux qui s'attachent à Dieu et qui le servent. Un royaume leur est préparé, mais un royaume éternel, où il n'y aura ni succession ni révolution ; une couronne les attend , mais une couronne dont le privilège, incommunicable à toutes les couronnes du monde, doit être la perpétuité. Ils régneront ; mais leur règne, aussi bien que celui de Dieu, sera le règne de tous les siècles : éternité de puissance. Ecce merces sanctorum; voilà la récompense de ceux qui souffrent et qui se mortifient pour Dieu : ils seront comblés de joie , mais d'une joie qui n'aura jamais de fin, d'une joie qui ne sera ni troublée ni interrompue, d'une joie qui durera autant que Dieu, et que personne ne leur ôtera ni n'aura le pouvoir de leur ôter : éternité de bonheur. Ecce merces sanctorum ; voilà la récompense de ceux qui sont humbles, et qui, renonçant à eux-mêmes,

 

1. I Joan., II, 17.— 2 Sap., V, 16.— 3. Offic. div. Antiph. 3. noct. 3. plur. Mart.

 

deviennent par leur humilité grands devant Dieu : ils auront la gloire en partage, mais une gloire qui ne diminuera point, qui ne s'obscurcira point, qui sera toujours nouvelle, et dont la longueur des temps ne fera qu'augmenter l'éclat et le lustre : éternité de gloire.

En voulez-vous voir un rayon? Ecce merces sanctorum : sans parler de cette gloire essentielle dont jouissent les Saints dans le ciel, voyez les honneurs qu'ils reçoivent dès maintenant sur la terre. Voyez le culte que leur rend l'Eglise , et que l'on peut, dans un sens et avec raison, nommer un culte éternel. Jusqu'à la fin des siècles on célébrera dans l'Eglise de Dieu les victoires et les triomphes de ces glorieux prédestinés; jusqu'à la fin des siècles l'Eglise militante les canonisera, en publiant leurs mérites, leurs conversions, leurs vertus, leurs ferveurs, leurs austérités. C'est pour cela que sont instituées leurs fêtes, et que chaque année le souvenir de ce qu'ils ont fait pour Dieu est solennellement renouvelé, afin qu'on ne le perde jamais, et que de siècle en siècle, de génération en génération, ces Saints, ces élus de Dieu soient révérés. Tandis que l'Eglise de Jésus-Christ subsistera (or elle subsistera toujours, puisque les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle), ce culte, cet honneur des Saints subsistera. C'est ce que j'appelle un rayon de l'éternité de leur gloire, et comme une anticipation de l'éternité de leur récompense. La gloire des mondains meurt peu à peu, et s'ensevelit avec eux. Ils font pendant leur temps un peu de bruit; mais parce que leur temps est borné, leur mémoire, dit l'Ecriture, périt enfin avec ce bruit : Periit memoria eorum cum sonitu (1). Combien de grands, autrefois les héros du monde, de qui l'on ne parle plus, et à qui l'on ne pense plus ! leur gloire, qui n'était que pour le temps, s'est évanouie comme une fumée : celle des Saints ne périra jamais : tandis que Dieu sera Dieu, leur mémoire sera en bénédiction et en vénération : In memoria œterna erit Justus (2). Eternellement , ô mon Dieu, vos amis seront honorés, parce qu'ayant été vos amis, et ne pouvant jamais cesser de l'être, ils ne cesseront jamais d'être dignes des honneurs que nous leur rendons et d'en mériter infiniment plus que nous ne leur en pouvons rendre : Nimis honorificati sunt amici tui, Deus (3).

Précieuse récompense ! la pouvons-nous assez estimer? Ecce merces sanctorum. Ce qui doit nous remplir de  consolation,  si nous

 

1. Psalm., IX, 7. — 2. Psal., CXI, 7. — 3 Psal., CXXXVIII, 17.

 

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sommes chrétiens d'esprit et de cœur, n'est-ce pas de penser que cette récompense nous est réservée dans le ciel? Ecce merces vestra copiosa est in cœlis. Car malheur à nous si notre récompense était seulement pour ce monde, et si nous étions du nombre de ceux dont Jésus-Christ disait dans l'Evangile : Ils ont reçu leur récompense : Receperunt mercedem suam (1). Malheur à nous, si nos noms, au lieu d'être écrits dans le ciel, n'étaient écrits que sur la terre, puisque, selon l'oracle du Saint-Esprit, être écrit sur la terre, c'est un caractère de malédiction ! Domine, omnes qui te derelinquunt confundentur ; recedentes a te in terra scribentur (2). Seigneur, ceux qui vous abandonnent seront confondus; et on écrira sur la terre ceux qui se retirent de vous. Au contraire, quand nous serions dans le monde les plus malheureux et les plus disgraciés des hommes, si nous sommes en grâce avec Dieu, réjouissons-nous de ce que nos noms sont écrits dans le ciel, et souvenons-nous qu'une des marques les plus certaines que nous en puissions avoir, c'est d'être éprouvés sur la terre par les afflictions et les tribulations : in hoc gaudete, quod nomina vestra scripta sunt in cœlis (3). Dans quelque accablement que nous soyons de souffrances et de peines, consolons-nous par ce qui consolait saint Paul, et appliquons-nous le sentiment dont il était pénétré quand il disait : Momentaneum hoc et leve tribulationis nostrœ aeternum gloriœ pondus operatur in nobis (4). Ce moment si court des adversités présentes de cette vie , qui sont si légères, c'est-à-dire cette maladie que Dieu m'envoie, cette injustice que l'on me fait, ce mauvais office que l'on me rend, cette persécution que l'on me suscite, cette perte de biens que le malheur des temps m'attire , cette humiliation qu'il me faut essuyer (car, quelque suite qu'ait tout cela, tout cela, dans l'idée de l'Apôtre, n'est censé qu'un moment court et facile à passer : Momentaneum hoc et leve), toutes ces afflictions temporelles produiront dans moi le poids éternel d'une souveraine gloire : Aeternum gloriœ pondus operatur in nobis. Vous voulez un motif pressant, touchant, convaincant, pour vous animer à la patience chrétienne : ai-je pu vous en donner un qui eût toutes ces qualités dans un plus éminent degré que celui-ci, je veux dire l'éternité de cette gloire qui doit être la récompense des élus?

C'est par là que les Saints ont triomphé du monde, c'est par là qu'ils sont devenus

 

1. Matt., VI, 5.—2. Jerem., XVII,13.— 3. Luc., X,20.— 4. 2 Cor., IV,17.

 

inébranlables et invincibles dans les combats ; c'est par là, dit le maître des Gentils, qu'ils ont surmonté les tourments, le feu, le fer, tout ce que la mort a de plus effrayant et de plus cruel ; c'est ce qui les soutient encore tous les jours dans les rigoureuses épreuves que Dieu fait de leur constance et de leur fidélité. Ils souffrent tout, dit l'Ecriture, non-seulement avec patience, mais avec joie, parce que leur espérance est pleine de l'immortalité qui leur est promise : Spes illorum immortalitate plena est (1). Pourquoi ne les imitons-nous pas ? Avons-nous d'aussi rudes combats qu'eux à soutenir? avons-nous résisté comme eux jusqu'à répandre du sang? Pourquoi donc sommes-nous si lâches? pourquoi, dégénérant de la vertu de ces glorieux prédestinés, qui sont aujourd'hui nos modèles, faisons-nous paraître tant de faiblesse dans des occasions où, à leur exemple, nous devrions remporter sur nous-mêmes de saintes victoires ! C'est que nous n'envisageons pas comme eux cette immortalité où ils aspiraient, et dont l'espérance les piquait, les encourageait, les emportait au travers de tous les obstacles.

Triste et malheureuse différence qui se rencontre entre eux et nous ! Faisons-la cesser, et pour cela, joignant au motif qui les a touchés leur exemple que Dieu nous propose, fortifions-nous comme eux, et sanctifions-nous par l'espérance des biens éternels. Autrement, mes chers auditeurs, en vain célébrons-nous avec l'Eglise les fêtes des Saints; en vain, présumant du crédit qu'ils ont auprès de Dieu, les invoquons-nous. L'abrégé de la religion, dit saint Augustin, est de pratiquer ce que nous solennisons, et de faire de l'objet de noire culte la règle de notre vie : Summa religionis est imitari quod colimus (2). La vue de la gloire du ciel les a détachés de la terre; il faut qu'elle opère dans nous le même effet. La foi de l'immortalité les a conduits à la sainteté; il faut que nous y parvenions par la même voie. Et c'est, ô bienheureux prédestinés, vous tous dont nous honorons en ce jour la glorieuse mémoire, ce que nous vous demandons, ou ce que nous vous conjurons de demander à Dieu pour nous. Vous avez été ce que nous sommes, et nous espérons être un jour ce que vous êtes, vous avez senti nos misères, nous soupirons après votre béatitude. Quoique pécheurs, nous sommes vos frères, quoique séparés de vous, nous sommes unis à vous par le lien de la plus étroite et de la plus intime société, qui est la

 

1. Sap., III, 4.— 2. August.

 

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communion des Saints. Quoique habitants de la terre, nous ne laissons pas d'être, en qualité de fidèles, vos concitoyens et les domestiques de Dieu : Cives Sanctorum et domestici Dei (1). Quoique pauvres et gémissant dans cette vallée de larmes, nous ne prétendons pas moins que d'être, comme enfants de Dieu, vos cohéritiers et les cohéritiers de Jésus-Christ : Hœredes quidem Dei, cohœredes autem Christi (2). Regardez-nous donc comme revêtus de ces titres, et par là comme des sujets dignes de votre charité; regardez-nous comme ceux qui doivent remplir avec vous le nombre des élus, et dont la sanctification est désormais la seule chose que vous puissiez désirer. Ecoutez favorablement nos prières, et présentez-les à celui dont vous environnez le trône, puisqu'il se plaît même à vous exaucer. Recevez nos hommages et nos vœux, et étendez sur nous votre protection et votre zèle. Soyez nos patrons et nos intercesseurs, comme nous voulons être vos imitateurs. Jouissez de votre félicité, mais souvenez-vous de nos besoins et de notre indigence. Ils s'en souviennent, Chrétiens, et ils y pensent. Autant qu'ils sont tranquilles pour eux-mêmes, autant sont-ils zélés pour nous. Autant qu'ils sont sûrs de leur propre bonheur, autant, dit saint Cyprien, paraissent-ils et témoignent-ils être en peine de notre salut : Frequens nos et copiosa turba desiderat, jam de sua immortalitate secura, et adhuc de nostra sainte sollicita (3). Comptons donc sur leur protection et sur leur intercession, et ne pensons qu'à suivre leurs exemples, qui sans cela deviendront pour nous le sujet de notre condamnation. Imaginons-nous que chacun d'eux nous dit aujourd'hui du haut de la gloire ce que saint Paul disait aux Corinthiens : Imitatores mei estote, sicut et ego Christi (4). Soyez mes imitateurs, comme j'ai été l'imitateur de Jésus-Christ. En un mot, vivons comme eux, combattons comme eux, souffrons comme eux, si nous voulons régner avec eux et participer à leur gloire.

Voilà, Sire, la gloire qui vous est réservée, et qui doit mettre le comble à votre bonheur. Tout le reste, quoique grand, quoique surprenant, quoiqu'au-dessus de toute louange, ne remplit pas encore la destinée de Votre Majesté. Il faut que la sainteté, et une sainteté glorifiée dans le ciel, en soit le couronnement. Ou ne me peut soupçonner de flatterie quand je dirai que jamais monarque n'a su si parfaitement que Votre Majesté ce qui s'appelle

 

1. Ephes., II, 19. —2. Rom., VIII, 17. — 3. Cyprian., de Mortalit., sub finem. — 4. 1 Cor., XI, 1.

 

l'art de régner. Mais il vous serait, Sire, bien inutile d'être aussi savant que vous l'êtes dans l'art de régner sur les hommes, et d'ignorer celui qui rend les hommes capables de régner un jour avec Dieu. Si le bonheur d'un prince pouvait consister dans le nombre des conquêtes, s'il était attaché à ses vertus royales et éclatantes qui font les héros, et que le monde canonise, Votre Majesté, contente d'elle-même, n'aurait plus rien à désirer; elle n'aurait qu'à jouir tranquillement du fruit de ses glorieux travaux. Mais tout cela, Sire, est encore trop peu pour vous. Il n'en fallait pas tant pour faire un roi accompli selon le monde ; mais Votre Majesté est trop éclairée pour croire que ce qui fait la perfection d'un roi selon le monde suffise pour faire le bonheur et la solide félicité d'un roi chrétien. Régner clans le ciel sans avoir jamais régné sur la terre, c'est le sort d'un million de Saints, et cela suffit pour être heureux. Régner sur la terre, pour ne jamais régner dans le ciel, c'est le sort d'un million de princes, mais de princes réprouvés, et par conséquent malheureux. Ma confiance, écrivait saint Bernard (et ce qu'il disait à une tête couronnée, je le dis aujourd'hui moi-même à Votre Majesté), ma confiance est que vous régnerez sur la terre et dans le ciel : Sed et confido quod hic et in œternum regnabitis (1) ; que, malgré tous les dangers, malgré tous les obstacles du salut, auxquels la condition des rois est exposée, Votre Majesté, sanctifiée par la vérité, je dis par la vérité des maximes de sa religion, en gouvernant un royaume temporel , méritera un royaume éternel. C'est dans cette vue, Sire, que j'offre tous les jours à Dieu le sacrifice des autels : trop heureux si, pendant que tout le monde applaudit à Votre Majesté, éloigné que je suis du monde, je pouvais attirer sur elle une de ces grâces qui font les rois grands devant Dieu et selon le cœur de Dieu : car c'est à vous, ô mon Dieu, et à votre grâce, de former des rois de ce caractère, de saints rois ; et ma consolation est que celui à qui j'ai l'honneur de porter votre parole, par la solidité et par la grandeur de son âme, a de quoi accomplir vos plus grands desseins. La sainteté d'un chrétien est comme l'effet ordinaire de la grâce; la sainteté d'un grand en est le chef-d'œuvre; la sainteté d'un roi en est le miracle; celle du plus grand et du plus absolu des rois en sera le prodige; et vous en serez, Seigneur, la récompense. Puissions-nous tous y parvenir, à cette récompense immortelle ! Je vous la souhaite, etc.

 

1. Bern., Epist.

 

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