VENDREDI  CAREME IV

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SERMON POUR LE VENDREDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE.
SUR L'ÉLOIGNEMENT DE DIEU ET LE RETOUR A DIEU.

 

ANALYSE.

 

Sujet. Ayant parlé de la sorte, il cria à haute voix : Lazare, sortez. Et à l'heure même le mort sortit du tombeau.

Pourquoi le Sauveur du monde ne ressuscita-t-il pas Lazare avec la même facilité qu'il avait ressuscité la fille du prince de la Synagogue, et le fils de la veuve de Naïm ? c'est, dit saint Augustin, que Lazare était dans le tombeau, et qu'il y était depuis quatre jours. Faire revivre un mort de quatre jours, ce devait être le chef-d'œuvre de la toute-puissance du Fils de Dieu. Or, celle figure, reprend saint Augustin, nous marque de grandes vérités touchant une autre résurrection bien plus importante, qui est la conversion de nos âmes.

Division. Jésus-Christ, dans toutes les circonstances de ce miracle dont parle notre évangile, a voulu nous faire voir les déplorables suites du péché, et les merveilleux effets de la grâce. Venez donc, justes, et vous apprendrez quelles démarches conduisent même les amis de Dieu à l'état de perdition ; première partie. Venez, pécheurs, et vous apprendrez par quelles voies vous pouvez parvenir à une solide et véritable conversion ; deuxième partie. L'un représenté dans la mort de Lazare, et l'autre dans sa résurrection.

Première partie. Mort de Lazare, figure de la mort d'une âme par le péché, et de son éloignement de Dieu. L'homme, dans le cours ordinaire, ne se pervertit pas tout à coup, mais par degrés. Ainsi l'Evangéliste nous représente Lazare en cinq états différents : 1° comme malade et dans la langueur : Quidam languens ; 2° comme assoupi et dans un sommeil léthargique: Dormit ; 3° comme mort : Mortuus est ; 4° comme enseveli, et même depuis quatre jours : Quatriduanus est ; 5° comme infect et sentant mauvais : Jam fœtet. Juste idée d'une âme qui vient insensiblement à se séparer de Dieu et à se corrompre.

1° Le premier pas qui conduit à la mort, je dis à la mort de l'âme, c'est la langueur : Erut quidam languens Lazarus ; cette langueur volontaire, dont l'effet est qu'on se relâche, qu'on se rebute de ses devoirs et qu'on ne s'en acquitte que très-négligemment; langueur injurieuse à Dieu, comme il s'en est si hautement déclaré lui-même dans l'Ecriture. Car c'est pour cela que, dans l'ancienne loi, il rejetait les victimes qui paraissaient languissantes lorsqu'on les conduisait à l'autel. Mais langueur non moins pernicieuse à l'homme : pourquoi ? parce que c'est une espèce de maladie très-difficile à guérir; parce que les conséquences de ce mal sont d'autant plus funestes qu'on les craint moins, et qu'on n'en voit pas même le péril; parce que c'est à l'âme tiède que le Saint-Esprit a dit ces étonnantes paroles : Utinam frigidus esses aut calidus! Plut au ciel que vous fussiez, ou tout a fait à Dieu, ou tout à fait contre Dieu !

2° De la langueur on tombe dans l'assoupissement : Dormit. Quelque languissante que fût une âme dans ce premier état d'imperfection que je viens de marquer, encore n'était-elle pas absolument insensible à tous les mouvements de la grâce : mais ici l'on ne sent plus rien, parce que l'assoupissement est formé. Ce qui causait de saints remords et de saintes frayeurs n'en cause plus. On est néanmoins encore, quant a l'essentiel, ami de Dieu ; mais on l'est comme Lazare, dont Jésus-Christ disait : Lazarus amicus noster dormit. Tel fut l'assoupissement de ces trois disciples qui accompagnèrent le Sauveur du monde au jardin. Quoiqu'il les eût si fortement exhortés à se tenir sur leurs gardes et à veiller, il les trouva profondément endormis : Et invenit eos dormientes. C'est souvent une punition de Dieu : Miscuit vobis Dominus spiritum soporis. Ce malheur commence d'abord par un assoupissement assez léger; mais enfin l'on s'endort : Dormitaverunt omnes et dormierunt. Alors un prédicateur a beau déclamer, un confesseur a beau conjurer, avertir, menacer; on n'entend rien, non plus que Jonas au milieu de la tempête : Dormiebat sopore gravi.

3° Cet assoupissement conduit à la mort : Mortuus est. Car, de s'imaginer que dans cet état la vie de la grâce puisse longtemps

 

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subsister, abus et confiance présomptueuse. Mille sortes de péchés contre lesquels on n'est point en garde achèvent d'étouffer dans une âme cette étincelle de vie qui lui restait. Le comble de la désolation est qu'on en vient souvent là sans le savoir : Nomen habes quod vivas, et mortuus es. Combien de chrétiens réputés justes, mais séduits par la passion, ont tous les dehors d'une vie pure et innocente, et sont toutefois, comme des sépulcres blanchis, pleins de corruption et d'iniquité !

4° De là l'on s'ensevelit, pour ainsi dire, dans l'habitude : Quatriduanus est. On y est comme Lazare dans le tombeau. Il avait les pieds et les mains liés, le corps enveloppé d'un suaire, serré de bandes, sous une pierre d'une énorme grosseur. Tel est l'homme du siècle plongé dans son habitude : mille engagements le lient, mille embarras de conscience l'enveloppent, le poids de ses crimes l'accable. Ah! dit saint Augustin, qu'il est difficile à un homme que le péché tient asservi de la sorte, de se dégager et de se relever : Quam difficile surgit, quem tarda moles consuetudinis premit ! C'est alors qu'il faut toute la grâce de Jésus-Christ pour arracher cette âme du sein de la mort. C'est alors, et eu vue d'une résurrection si miraculeuse, que cet Homme-Dieu ressent les mêmes mouvements dont il fut agité à l'aspect du tombeau de Lazare.

5° Enfin, après la sépulture suit l'infection : Jam fœtet. Un pécheur corrompu corrompt les autres. Car il n'est rien de plus subtil à se communiquer que l'exemple, et l'exemple que donne un homme vicieux porte avec soi une odeur de mort, et répand partout la contagion : Odor mortis in mortem.

Deuxième partie. Résurrection de Lazare, figure de la conversion d'une âme et de son retour à Dieu. Voyons, 1° ce qui engagea Jésus-Christ à ressusciter Lazare ; 2° quelle condition il exigea avant que de lui rendre la vie; 3° ce qu'il dit à Lazare, et comment Lazare obéit à sa voix; 4° ce qu'il ordonna à ses apôtres, et ce que ses apôtres exécutèrent au moment que le tombeau fut ouvert. De tout cela formons-nous une idée de la conversion parfaite et de la justification du pécheur.

1° Qui donc engagea le Fils de Dieu à ressusciter Lazare? le zèle de Marthe et de Madeleine, et l'instante prière de ces deux soeurs : Ecce quem amas infirmatur. Ce n'est pas que le Sauveur du monde, pour d'autres raisons, n'eût résolu de le ressusciter; mais il voulait encore être prié. Belle leçon, qui non-seulement autorise la créance catholique touchant l'intercession des Saints, mais établit et confirme un autre article de notre foi touchant la communion des Saints, c'est-à-dire touchant l'obligation de prier les uns pour les autres. Si saint Etienne n'eût pas prié, dit saint Fulgence, l'Eglise n'aurait pas saint Paul ; et j'ajoute qu'elle n'aurait pas saint Augustin, si sainte Monique n'eût pleuré. C'est ainsi que Dieu se plait à sanctifier les uns par l'entre mise des autres. Et combien croyez-vous qu'il y ait dans le monde d'âmes perdues, parce qu'il n'y a personne qui prie, ni qui s'intéresse pour leur salut? Une mère a du zèle pour son fils, une femme pour son mari, un ami pour son ami; mais un zèle fondé sur le sang et sur la chair, et qui n'a en vue que des avantages temporels. De prier pour leur salut, de prier pour leur conversion, c'est à quoi l'on ne pense point. Je sais qu'il y a des péchés pour lesquels le disciple bien-aimé ne nous a pas conseillé de prier, parce que ce sont des péchés atroces, qui vont à la mort : Est peccatum ad mortem ; non pro illo dico ut roget quis. Mais alors, dit saint Augustin, il faut recourir à l'artifice de Marthe; il faut, comme elle, faire prier Jésus-Christ, le grand avocat des pécheurs auprès de son Père : Sed et nunc scio, quia quœcumque poposceris a Deo, dabit tibi.

2° Quelle condition exigea le Sauveur du monde avant que de ressusciter Lazare? il commanda qu'on levât la pierre qui fermait le tombeau. Ne pouvait-il pas ressusciter Lazare comme il devait se ressusciter lui-même, sans que la pierre fût levée? ou, si cette pierre était un obstacle, ne pouvait-il pas d'une parole lever tous les obstacles? Oui, il le pouvait; mais il voulut que les Juifs, qui attendaient ce miracle, y contribuassent eux-mêmes. Ainsi, pécheurs, Dieu veut faire un miracle pour vous et vous convertir; mais il veut aussi que vous leviez vous-mêmes, avec sa grâce, certaines pierres de scandale. Tollite lapidem : quittez ce commerce, retranchez ce luxe, renoncez à ce jeu, brûlez ce livre, fuyez ces spectacles, évitez ces occasions. Alors vous verrez la gloire de Dieu, et la vertu du Très-Haut éclatera dans votre pénitence : Videbis gloriam Dei.

3° Que dit Jésus-Christ à Lazare, et comment Lazare obéit-il à sa voix? Clamavit voce magna : Lazare, veni foras. Le Fils de Dieu cria à haute voix : Lazare, sortez; et aussitôt Lazare parut, Et statim prodiit. De même, reprend saint Augustin, il faut que vous sortiez des ténèbres, que vous vous produisiez, que vous découvriez le fond de votre âme aux ministres de la pénitence, et que vous vous fassiez connaître à eux par une confession sincère de vos désordres. Il faut de plus, poursuit le même Père, que vous vous troubliez comme le Sauveur du monde, mais d'un trouble salutaire et chrétien. Il faut que vous frémissiez comme lui, mais en esprit et dans les vues de la foi, afin que la violence de l'habitude cède à la violence du repentir : Ut violentiae pœnitendi cedat consuetudo peccandi.

4° Après cela que restera-t-il, sinon que les prêtres, représentés par les apôtres, ou plutôt représentant les apôtres et Jésus-Christ même, vous délient comme Lazare? Solvite eum, et sinite abire. Jésus-Christ ne dit pas seulement aux apôtres : Déclarez-le délié, mais : Déliez-le, Solvite, pour nous marquer que l'absolution dans le sacrement de pénitence est un acte de juridiction, par où le ministre prononce, exécute, remet, justifie.

Plaise à Dieu qu'il y ait parmi vous des pécheurs ainsi convertis, et que ce ne soit pas en vain que je vous aie développé ce grand miracle de la résurrection des âmes! Pourquoi ne l'espérerais-je pas? Le bras de Dieu n'est point raccourci. Faites, Seigneur, que ce ne soit point là un simple souhait, mais que l'effet réponde à ma parole, ou plutôt à la vôtre : Infirmitas hœc non est ad mortem, sed pro gloria Dei, ut glorificetur Filius Dei per eam.

 

Hœc cum dixisset, voce magna clamavit : Lazare, veni foras ; et statim prodiit qui fuerat mortuus.

 

Ayant parlé de la Forte, il cria à haute voix : Lazare, sortez , et à l’heure même le mort sortit du tombeau. (Saint Jean, chap., XI, 44.)

 

SIRE,

 

Quand le Sauveur du monde ressuscita la fille du prince de la Synagogue, il ne prononça pas une parole, et il se contenta de lui prendre la main et de la relever : Tenuit manum ejus, et surrexit puella (1). Quand il ressuscita le fils de la veuve de Naïm, il parla, et il parla en maître : Adolescens, tibi dico : Surge (2) : Jeune

 

1 Matth., IX, 25. — 2 Luc, VII, 14.

 

homme, levez-vous, je vous le commande ; et le mort aussitôt lui obéit : Et resedit qui erat mortuus (1). Mais pour ressusciter Lazare, que fait-il? non-seulement il parle, mais il crie à haute voix, il prie son Père de l'exaucer, il pleure, il frémit, il s'émeut : Clamavit, lacrymatus est, infremuit, turbavit seipsum (2). Ne nous étonnons pas, Chrétiens, de la différence de ces trois résurrections : en voici, dans la pensée de saint Augustin, tout le mystère. La fille du prince de la Synagogue venait d'expirer ; elle avait encore, pour ainsi dire,

 

1 Luc, VII, 15. — 2 Joan., XI, 13.

 

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son âme sur les lèvres : lui rendre la vie, c'était, ce semble, un miracle facile à Jésus-Christ; aussi ne lui en coûta-t-il que de le vouloir. Le fils de la veuve de Naïm n'était pas seulement mort, mais sur le point d'être inhumé ; car on le portait en terre, et l'on faisait actuellement la cérémonie des funérailles : le ressusciter, c'était l'effet d'un pouvoir plus absolu ; et voilà pourquoi le Sauveur des hommes usa de commandement. Mais Lazare était déjà dans le tombeau, et il y était depuis quatre jours : faire revivre un mort de quatre jours, ce devait être le chef-d'œuvre et comme un dernier effort de la toute-puissance du Fils de Dieu.

Or, toutes ces figures, mes Frères, dit saint Augustin, nous marquent de grandes vérités ; et ces résurrections visibles, si nous en savons pénétrer le secret, sont autant de règles que Dieu nous propose pour une autre résurrection intérieure et invisible, mais bien plus importante, qui est la conversion de nos âmes. Rendons-nous donc attentifs, pour comprendre aujourd'hui ce que Dieu veut nous enseigner. Frappons à la porte afin qu'on nous ouvre : Omnia ista innuunt nobis aliquid ; intentos nos volunt ; ut pulsemus, hortantur. Et pour obtenir les lumières du Saint-Esprit, à qui seul il appartient de nous donner l'intelligence de notre évangile, implorons le secours de la Mère de Dieu, en lui disant : Ave, Maria.

 

Il est évident, Chrétiens, qu'outre la première vue que se proposa Jésus-Christ en ressuscitant Lazare, et qui fut de donner aux Juifs une preuve éclatante et convaincante de sa divinité, il eut encore dessein de nous marquer, dans toutes les circonstances de ce miracle, les déplorables suites du péché, et les merveilleux effets de la grâce. Les déplorables suites du péché, pour nous en donner de l'horreur ; et les merveilleux effets de la grâce, pour réveiller notre confiance, et pour exciter en no'us le zèle de notre sanctification. En effet, m'attachant à mon évangile, et, selon l'interprétation de saint Augustin, le prenant dans un sens moral, sans m'écarter en rien du sens historique, j'y découvre deux choses très-utiles pour notre commune instruction, et qui vont partager ce discours; savoir, l'état d'un juste qui se pervertit, et l'état d'un pécheur qui se convertit. L'état d'un juste qui se pervertit, représenté dans la mort de Lazare ; et l'état d'un pécheur qui se convertit, figuré dans sa résurrection. L'un et l'autre, comme vous le verrez, si naturellement exprimé, que tout ce que nous dirons de Lazare, ou mourant et mort, ou rentrant dans la vie et ressuscité, vous instruira des vérités les plus essentielles qui regardent, ou notre éloignement de Dieu, ou notre retour à Dieu. Venez donc , justes et pécheurs. Venez, justes, et reconnaissez-vous dans ce tableau, qui, sous la figure d'un mort, ami de Jésus-Christ, doit vous faire craindre souverainement la mort d'une âme par le péché. Venez, pécheurs, et contemplez-vous dans ce même tableau, qui sous la figure d'un mort de quatre jours ressuscité, doit, si vous voulez profiter de la parole que je vous prêche, vous faire non-seulement désirer, mais espérer la résurrection de votre âme par la grâce. Venez, justes, et vous apprendrez quelles démarches conduisent même les amis de Dieu à l'état de perdition ; ce sera la première partie. Venez, pécheurs, et vous apprendrez par quelles voies vous devez marcher pour parvenir à une solide et véritable conversion; ce sera la seconde partie. Heureux si je puis engager par là les uns à ne pas déchoir de leur état de justice, et les autres à sortir de l'état de leur péché !

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Quoique l'homme, depuis sa chute, ait une pente naturelle et par conséquent une malheureuse facilité à se pervertir, il est néanmoins vrai, et l'expérience nous le démontre, que dans le cours ordinaire il ne se pervertit jamais tout à coup, mais par degrés. C'est peu à peu, et d'une manière souvent imperceptible, que son désordre va toujours croissant ; et le Saint-Esprit ne pouvait nous mettre devant les yeux une plus sensible image de ce funeste progrès, qu'en nous proposant l'exemple de Lazare. Car ce n'est pas sans mystère que ce même Lazare, qui, par une disposition particulière de Dieu, devait être la figure du pécheur, nous est représenté par l'évangéliste en cinq différents états. Premièrement, comme malade et dans une extrême langueur : Erat quidam langues Lazarus (1). Secondement, comme assoupi et dans un sommeil léthargique : Lazarus amicus noster dormit (2). En troisième  lieu, connue mort et sans aucun sentiment de vie : Lazarus mortuus est (3).  Ensuite comme enseveli , et même depuis quatre jours : Quatriduanus est (4). Enfin comme infect et sentant déjà mauvais : Domine, jam fœtet (5). Or, quelle idée plus juste peut-on se former du malheur d'une âme qui,

 

1 Joan., XI, 1. — 2 Ibid., 11. — 3 Ibid., 14.— 4 Ibid., 39. — 5 Ibid.

 

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séduite par la passion  et   entraînée  par le charme du monde vient insensiblement à se corrompre, et qui d'abord n'a point d'autre marque de son dérèglement qu'une certaine langueur dans le service de Dieu ; qui de là tombe dans une espèce de léthargie, et dans un profond assoupissement sur tout ce qui regarde ses devoirs et l'affaire de son salut; qui bientôt après perd la vie de la grâce par le péché; qui, par de fréquentes rechutes, s'ensevelit, pour ainsi dire, dans l'habitude du crime, et, afin que l'application soit entière, qui, corrompue elle-même et dans ses maximes et dans ses mœurs, répand encore au dehors une  contagion mortelle,   et  infecte les autres de son mauvais exemple? N'est-ce pas ainsi que s'accomplit tous les jours ce mystère d'iniquité, et que l'on descend sans y prendre garde jusques au fond de l'abîme? Écoutez-moi, et ne perdez rien d'une moralité aussi chrétienne que celle-là.

Le premier pas qui conduit à la mort, je dis à la mort de l'âme,  c'est la langueur : Erat quidam languens. Non pas, reprend saint Bernard, et remarquez ceci, non pas cette langueur de charité dont l'épouse des Cantiques se faisait un mérite auprès de son  divin époux, quand elle disait aux filles de Jérusalem : Adjuro vos, si inveneritis  dilectum meum, et nuntietis ei quia amore langueo (1) ; Je vous conjure, si vous trouvez mon bien-aimé, de lui dire que je languis d'amour pour lui. Car languir d'amour pour Dieu, ce n'est point un état imparfait, puisqu'au contraire c'est la perfection même. Non pas encore cette langueur involontaire et d'aridité dont se plaignait David , lorsque , touché du sentiment de sa misère , il disait à Dieu : Anima, mea sicut terra sine aqua tibi (2) : Mon âme, Seigneur, est devant vous comme une terre sèche et aride. Car cette sécheresse intérieure qui affligeait le saint roi pouvait être une épreuve de Dieu, et une épreuve rigoureuse, sans être un désordre qu'il eût à se reprocher. Quand donc j'ai dit langueur dans le service de Dieu, je conçois, et vous devez concevoir avec moi, une langueur d'infidélité, une langueur qu'on ne peut imputer qu'à soi-même, et dont l'effet ordinaire est que peu à peu l'on se relâche de cette régularité qui entretenait la ferveur; qu'on se rebute de ses devoirs, qu'on s'ennuie de la dévotion, qu'on abandonne la prière, qu'on quitte l'usage des sacrements, qu'on se dégoûte de la parole de Dieu, qu'on a horreur des pratiques de la

 

1 Cant., V, 8. — 2 Psalm , CXLII, 6.

 

pénitence ; que les obligations les plus communes de la religion deviennent pesantes et onéreuses ; qu'on s'en dispense aisément, qu'on ne s'en acquitte que très-négligemment; en un mot, qu'on ne sert plus Dieu en esprit, mais comme par cérémonie, l'honorant des lèvres et non du cœur : Populus hic labiis me honorat (1). Car, voilà le portrait que saint Bernard faisait autrefois de cette langueur spirituelle ; et Dieu veuille que notre expérience ne nous ait jamais fait sentir ce qu'un sage discernement et l'esprit de Dieu lui en avaient fait connaître !

De vous dire, Chrétiens , que cette langueur est un état injurieux à Dieu , c'est sur quoi il serait inutile de m'étendre, puisque vous le comprenez assez de vous-mêmes, et que Dieu s'en est si hautement déclaré dans l'Ecriture. Car, pourquoi dans l'ancienne loi, Dieu rejetait-il expressément les victimes qui paraissaient languissantes, lorsqu'on les conduisait au sacrifice pour lui être immolées, sinon, dit saint Chrysostome, parce que la victime qu'on offrait au Seigneur représentait l'âme chrétienne, dont la vive et ardente piété devait être le véritable sacrifice de la loi de grâce ; et qu'en effet rien n'est plus indigne de Dieu qu'une âme lâche qui n'est plus touchée ni de la vue de ses perfections, ni de la reconnaissance de ses bienfaits, ni de la terreur de ses jugements, ni de zèle et d'amour pour lui? Vous me demandez, disait-il aux Israélites, en quoi vous me déshonorez? et moi je vous réponds : En ce que vous ne me présentez que des hosties méprisables, en ce que vous n'offrez sur mon autel que ce qu'il y a dans vos troupeaux de malade et de languissant : Dixistis : In quo despeximus nomen tuum ? Si offeratis claudum et langiddum : nonne malum est (2) ? Or, ce que Dieu leur disait, il nous le dit à nous-mêmes. Pour toutes les choses du monde vous êtes vifs et agissants; mais pour moi vous n'avez que de l'indifférence et de la froideur. S'il s'agit de vos affaires temporelles, de vos intérêts, de votre fortune, c'est là que tout votre feu se réveille et que vous redoublez vos soins : mais s'agit-il de ma gloire ;  s'agit-il d'accomplir un devoir chrétien, de m'adresser une prière, d'assister au mystère redoutable de mes autels, d'examiner le fond de vos consciences , de méditer ma loi et de l'observer, d'écouter ma parole et d'en profiler ? ce n'est alors que tiédeur et que négligence. Allez,

 

1 Isa., XXIX, 13; Matth., XV, 8 ; Marc, VII, 6.— 2 Malach., I, 8.

 

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mondains, allez chercher un Dieu qui puisse agréer votre culte , et qui s'en tienne honoré ; mais, de ma part, n'attendez que de justes reproches et de rigoureux châtiments. Langueur non moins pernicieuse à l'homme qu'elle est injurieuse à Dieu ; et cela comment? par mille raisons : parce que c'est une espèce de maladie que les remèdes les plus efficaces peuvent à peine guérir; parce que dans la pratique, cette guérison est en effet aussi rare que difficile ; parce qu'on voit bien plus d'impies se convertir de bonne foi, que d'âmes tièdes reprendre un esprit de ferveur; parce que les conséquences de ce mal sont encore plus funestes que le mal même ; parce qu'elles sont d'autant plus à craindre qu'on les craint moins, et que souvent on n'en voit pas môme les périls ; parce que, sous prétexte qu'on est exempt de certains vices grossiers, on vit dans une sécurité trompeuse ; parce que c'est enfin pour cela que le Saint-Esprit, dans l'Apocalypse, a dit au tiède ces étonnantes paroles : Utinam frigidus esses aut calidus (1) ? Plût au ciel que vous fussiez ou tout à fait à Dieu, ou tout à fait contre Dieu ! Mais cette morale me conduirait trop loin; passons à un autre point.

De la langueur on tombe dans l'assoupissement ; et le passage de l'une à l'autre est si naturel, que, selon le texte sacré, il est même comme infaillible. Dans ce premier état d'imperfection que je viens de marquer, quelque languissante que fût une âme, encore n'était-elle pas entièrement ni absolument insensible aux mouvements de la grâce ; encore s'humiliait-elle et gémissait-elle quelquefois de son relâchement; encore était-elle quelquefois effrayée de cette menace : Sed quia tepidus es, incipiam te evomere ex ore meo (2) : Parce que vous êtes tiède, je commencerai à vous rejeter; encore, pour se garantir de ce malheur, écoutait-elle de temps en temps la voix de sa conscience : une prédication solide et touchante, une remontrance vive et forte ; une maladie, une disgrâce, une affliction, ne laissaient pas d'avoir encore quelque vertu pour la réveiller, et pour lui inspirer, malgré sa tiédeur, de bons désirs. Mais dans l'état dont je parle et que je déplore, on n'éprouve plus rien de tout cela. Ce qui causait à l'âme de saintes frayeurs, n'en cause plus; ce qui produisait des remords, n'en produit plus; ce qui excitait la douleur et la componction, ne se fait plus même sentir; ce qui donnait de la confusion, ne fait plus rougir; pourquoi? parce que l'assoupissement est

 

1 Apoc, III, 15. — 3 Ibid., 16.

 

formé. On est encore, quant à l'essentiel, ami de Dieu ; mais on l'est comme Lazare, dont le Sauveur disait : Lazarus amicus noster dormit (1). Car de même que le sommeil du corps tient toutes les opérations des sens lices et suspendues, aussi, dans ce désordre où l'âme se trouve, il semble qu'on ait des yeux pour ne plus voir, et des oreilles pour ne plus entendre : Ut videntes non videant, et audientes non intelligant (2).

Et voilà, mes chers auditeurs, l'état malheureux où parurent ces trois disciples que Jésus-Christ avait choisis pour l'accompagner au jardin, et pour être témoins de ses derniers sentiments la veille même de sa passion. Cet adorable Sauveur venait de les quitter; et en les quittant, il les avait avertis que l'heure approchait où leur fidélité serait mise à l'épreuve de la plus violente tentation. Il leur avait représenté le danger pressant où ils étaient, et le scandale que causerait leur lâcheté, s'ils l'abandonnaient. Ils les avait exhortés à se tenir sur leurs gardes, et à veiller : Vigilate (3). Ainsi, dis-je, leur avait-il parlé, pour les préparer aux combats ; mais au bout de quelques moments il les trouve assoupis et endormis : Et invenit eos dormientes (4). Exemple, mais exemple terrible, de ce qui nous arrive tous les jours dans la conduite du salut. On s'étonne, et l'on a raison de s'étonner, que, malgré tous les oracles de la parole de Dieu, qui nous crient sans cesse : Veillez, tant de chrétiens, sages d'ailleurs selon le monde, s'endorment néanmoins sur l'essentielle affaire de leur éternité. Et n'est-il pas en effet comme incompréhensible qu'un homme, instruit des principes de sa religion et qui connaît la nécessité et la difficulté de se sauver, qui se voit environné de précipices et d'écueils, qui sait que le monde, pour le perdre, lui dresse partout des embûches, que l'ennemi, comme un lion rugissant, tourne autour de lui pour le dévorer, que la mort l'attend comme un voleur pour le surprendre, qu'il est à la veille d'un jugement sans miséricorde, et sur le point d'une éternité bienheureuse ou malheureuse dont il court tous les risques, puisse tomber dans un tel assoupissement et y demeurer? C'est ce que nous ne concevons pas : mais nous n'avons de la peine à le concevoir, que parce que nous ne remontons pas jusques à la source et aux jugements de Dieu. Car il est vrai que Dieu s'en mêle, et que cet assoupissement dont nous sommes la principale et

 

1 Joan., XI, 11. — 2 Luc, VIII, 10. — 3 Matth., XXIV, 42 et seq. — 4 Ibid., XXVI, 42.

 

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première cause est en même temps un des effets de sa plus sévère justice. Qui nous l'apprend? Lui-même, par ces paroles d'Isaïe, trop expresses pour en douter, et trop funestes pour n'en pas trembler : Quoniam miscuit vobis Dominus spiritum soporis, claudet ocidos vestros, et prophetas vestros operiet (1) : Parce que le Seigneur a répandu sur vous un esprit d'assoupissement; c'est-à-dire, comme l'explique saint Augustin, parce que, touché de vos infidélités, il a permis que vous soyez tombés dans l'assoupissement, vos yeux seront fermés à la lumière et aux plus claires vérités, et vous serez sourds à la voix de vos plus zélés prophètes. Ils vous parleront, et vous ne les entendrez plus; ils vous reprocheront vos désordres, et vous ne les croirez plus. Or, cela même, reprend saint Chrysostome, ne s'accomplit pas tout à coup : Comme les vierges folles de l'Evangile, d'un assoupissement léger par où leur malheur commença, vinrent enfin à s'endormir tout à fait : Dormitaverunt omnes, et dormierunt (2) : de même en est-il d'un mondain qui quitte Dieu, et que Dieu délaisse. L'enchantement du siècle, l'éclat de la prospérité, l'amour du plaisir, la liberté, l'indépendance, l'impunité, tout cela l'endort peu à peu, jusqu'à le réduire au déplorable état où l'Ecriture nous représente l'infortuné Jonas, lorsqu'au milieu de la tempête, tandis que les autres étaient dans l'effroi, il demeurait seul plongé dans un profond sommeil : Et dormierunt sopore gravi (3). Un prédicateur a beau déclamer, un confesseur a beau conjurer, exhorter, menacer; après avoir bu ce calice d'assoupissement, et s'en être comme enivré dans le progrès d'une vie mondaine et sensuelle, on ne se  réveille plus : Dormiebat sopore gravi. Et c'est ainsi, lâche chrétien, que vous devenez tous les jours plus insensible, en buvant, selon le langage du même Isaïe, le calice de la colère du Seigneur, et en le buvant jusques au fond : Qui bibisti de manu Domini calicem irœ ejus, et usque ad fundum calicis soporis bibisti  (4). Le mal peut aller encore plus loin, et il y va. Car cet assoupissement conduit enfin à la mort; et en ceci la destinée du pécheur est malheureusement semblable à celle de ce prince réprouvé, dont il est dit au livre des Juges que, joignant la mort au sommeil, il périt par un coup du ciel dans le lieu même qui devait lui servir d'asile : Qui soporem morti consocians, defecit et mortuus est (5). Car de s'imaginer alors

 

1 Isa., XXIX, 10. — 2 Matth., XXV, 5. — 3 Jon., I, 5. — 4 Isa., LI, 17. — 5  Judic, IV, 21.

 

que la vie de la grâce puisse longtemps subsister ; de se flatter que, ne donnant presque aucune marque de religion et n'en pratiquant plus les œuvres, on en puisse conserver l'esprit ; de croire qu'on se préservera de cette seconde mort que cause le péché, sans faire paraître à l'égard de Dieu nul signe de vie : abus, Chrétiens, et confiance présomptueuse. On meurt donc, et l'on cesse absolument de vivre pour Dieu ; et il n'est plus seulement vrai de dire : Lazarus dormit (1); Lazare dort; mais il faut ajouter : Lazarus mortuus est; Lazare est mort. Car le péché, j'entends le péché mortel, où la mort de l'âme par le péché succède à son assoupissement : une médisance griève qui échappe, une haine secrète qu'on nourrit dans le cœur, un emportement de vengeance qu'on ne réprime pas, une injustice que l'on commet, un désir criminel à quoi l'on consent, mille autres sortes de péchés contre lesquels on n'est point en garde, achèvent d'étouffer dans l'âme chrétienne cette étincelle de vie qui lui restait. De là ce juste en qui la grâce produisait des opérations saintes et méritoires; ce juste qui, malgré ses relâchements, avait encore l'habitude de la charité; ce juste qui, tout mourant qu'il était, ne laissait pas d'être encore ami de Dieu et enfant de Dieu, dépouillé de cette grâce qui l'animait, n'est plus devant Dieu qu'un triste cadavre sans action et sans mouvement : Lazarus mortuus est. Le comble de la désolation, c'est que l'on en vient souvent là sans le savoir ; et que, par un aveuglement qu'on ne comprend pas, parce qu'il n'a point d'exemple dans la nature, quoique mort selon Dieu , l'on se croit toujours vivant.

Voilà néanmoins, mes chers auditeurs, ce qui ne manque presque jamais d'arriver dans le cours d'une vie lâche ; et tel fut l'état de cet évêque à qui Dieu disait : Scio opera tua, quia nomen habes quod vivas, et mortuus es (2). Je sais quelles sont vos œuvres ; vous passez dans le monde pour un homme vivant, et vous êtes mort. Comme s'il lui eût dit : Je sais que vous vous êtes acquis dans le monde une vaine estime ; je sais qu'il y a des hommes trompés par la fausse apparence de votre vertu ; je sais qu'on vous croit de la probité et de la piété : mais je sais aussi que vous n'avez de tout cela que le nom : Nomen habes quod vivas ; je sais qu'avec tout ce mérite qui éblouit les yeux un péché que la passion vous cache et sur quoi elle vous aveugle ; un péché que vous ignorez, mais dont votre conscience n'est pas moins

 

1 Joan., XI, 11. — 2 Apoc, III, 1.

 

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chargée ; un péché que vous vous dissimulez à vous-même , donne la mort à votre âme : Nomen habes quod vivas, et mortuus es. Or, à combien de mes auditeurs ce reproche ne peut-il pas convenir? Combien de chrétiens, réputés justes, ont en effet tous les dehors d'une vie pure et innocente, et sont toutefois, comme des sépulcres blanchis, pleins de corruption et d'iniquité ! Combien de femmes prétendues régulières et honnêtes, sont à couvert de la censure sur un certain honneur du monde, et dès là croient avoir accompli toute justice et être en assurance auprès de Dieu, quoique mille péchés qu'elles ne comptent pour rien , immodesties , luxe, folles dépenses, amour d'elles-mêmes, dureté envers les pauvres, oisiveté molle, jeu sans règle, divertissements continuels et sans mesure, soient pour elles autant de principes de mort? Combien d'hypocrites, dont la vie, sous le faux éclat de quelques actions saintes et vertueuses, n'est qu'un fantôme qui séduit? et combien d'autres, trompés par eux-mêmes et ne se connaissant pas, prennent pour sainteté, pour vertu, pour religion, ce qui, dans l'idée de Dieu, n'est que vanité, n'est qu'intérêt, n'est qu'imperfection? Tous autant de sujets à qui l'on peut dire : Nomen habes quod vivas, et mortuus es. Tous, dans la pensée de saint Augustin , autant de Lazares sur qui il faut que Jésus-Christ fasse agir sa grâce toute-puissante, pour leur rendre cette vie divine que le péché leur a l'ait perdre.

Miracle, poursuit ce saint docteur, toujours accompagné dans l'exécution de difficultés et d'obstacles, mais dont les obstacles et les difficultés sont encore bien plus insurmontables, quand l'âme, ainsi morte par le péché, au lieu de recourir promptement à l'Auteur de la vie, et de se mettre en état par la pénitence d'être spirituellement ressuscitée, s'ensevelit dans son péché par l'habitude même du péché. Car voilà jusqu'où l'iniquité se porte ; et s'il peut y avoir de l'ordre dans le dérèglement d'une âme qui se pervertit, voilà l'ordre que le Saint-Esprit nous y fait remarquer. Ce péché, qui, selon l'expression du Prophète royal, est comme une fosse que l'impie s'est creusée, devient un tombeau pour lui. Ce n'est plus seulement un mort de quatre jours; mais, par le délai qu'il apporte à sa conversion, parla tranquillité avec laquelle il demeure dans la disgrâce de Dieu, c'est peut-être un mort de quatre années, souvent même de dix, de vingt années et au delà. Voulez-vous, mes chers auditeurs, que je vous représente en un mot, mais d'une manière sensible, l'affreux état où il se trouve alors? Figurez-vous l'état de Lazare dans le tombeau. Il avait, dit l'évangéliste, les pieds et les mains liés, le corps enveloppé d'un suaire, serré de bandes, sous une pierre d'une énorme grosseur : Ligatus pedes et manus institis, et facies illius sudario erat ligata (1). Tel est l'homme du siècle plongé dans son habitude : mille engagements le lient et l'attachent à la créature; mille embarras de conscience l'enveloppent, sans qu'il voie de jour pour en sortir ; le poids d'une longue habitude l'accable, et met le comble à son malheur aussi bien qu'à sa malice. Ah! mes Frères, conclut saint Augustin, qu'il est difficile à un homme que le péché tient asservi de la sorte, de se dégager et de se relever! Quam difficile surgit, quem tanta moles consuetudinis premit! Si ce n'était qu'un simple mort, c'est-à-dire un pécheur seulement pécheur, mais sans attachement à son péché, sans nulle obligation particulière qu'il eût contractée par son péché, il pourrait plus aisément revenir ; et à force de s'écrier avec l'Apôtre : Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus (2)? Infortuné que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? il aurait lieu d'espérer un heureux retour à la vie. Mais quand, après le péché, il se voit étroitement serré par les liens du péché : quand le péché, outre la mort qu'il lui a causée, l'a fait entrer en de malheureuses intrigues,  l'a embarqué dans des commerces d'où il ne lui est plus libre de se retirer, sans faire dans le monde des éclats auxquels il ne peut se résoudre, l'a jeté dans un gouffre  et dans un labyrinthe d'affaires qui n'ont point de fin, l'a rendu personnellement responsable des crimes d'autrui : quand le péché attire après soi des restitutions, des réparations, des satisfactions qui doivent coûter, et dont rien néanmoins ne peut dispenser; ah! c'est alors qu'il faut à Jésus-Christ toute la vertu de sa grâce pour arracher cette âme du sein de la mort ; c'est alors, et en vue d'une  résurrection si  miraculeuse, que cet Homme-Dieu ressent les mêmes mouvements dont il fut agité à l'aspect du tombeau de Lazare ; c'est alors qu'il a de quoi pleurer, de quoi frémir, de quoi se troubler. Car, qu'y a-t-il, dit saint Augustin, de plus digne des larmes d'un Dieu,  qu'une âme créée à l'image de Dieu, et devenue l'esclave du démon et du péché ? Quel sujet plus capable de troubler un Dieu Sauveur, que de voir dans l'habitude du

 

1 Joan., XI, 44. — 2 Rom., VII, 24.

 

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crime et dans le centre de la perdition ce qu'il a sauvé ?

Enfin, après la sépulture, suit la corruption du cadavre et l'infection même qui en sort : Domine, jam fœtet (1). Car un pécheur dont le fonds est gâté et corrompu, ne s'en tient pas là; et quand il le voudrait, il ne le peut pas. Son libertinage, qu'il avait intérêt de cacher, se répand malgré lui au dehors : peu à peu il se fait connaître; et à mesure qu'il se fait connaître , il devient contagieux. Comme il n'est rien de plus  subtil à se communiquer que l'exemple, chaque exemple qu'il donne porte avec soi cette odeur de mort dont parlait l'Apôtre : Odor mortis in mortem (2). Et parce que le monde est plein d'âmes faibles, qui n'ont pas la force de résister aux impressions qu'elles reçoivent, non-seulement il les scandalise, mais il les corrompt. Ainsi un père vicieux pervertit, sans le vouloir même, ses enfants. Ainsi une mère coquette inspire l'air du monde à une fille qu'elle élève. Ainsi un maître débauché rend des domestiques complices et imitateurs de ses débauches.   Ainsi une femme sans conscience  dérègle  toute une maison. Ainsi un homme libertin et sans religion, abusant de son esprit et débitant ses fausses maximes, suffit pour infecter toute une cour. Ah ! mon Dieu, un ouvrage digne de vous, c'est la conversion de ce pécheur. Domine, jam fœtet (3). C'est un homme pernicieux et pour lui-même et pour les autres; c'est un homme corrompu dans ses mœurs et dans ses sentiments. Mais enfin, tout corrompu qu'il est, il peut encore servir de sujet à votre grâce. Je sais que pour le convertir il ne faut pas moins qu'un miracle; mais ce miracle, Seigneur, est dans vos mains ; il ne tient qu'à vous de le faire, et c'est celui, mes chers auditeurs, que je vais vous faire admirer dans la résurrection de Lazare. Lazare mort, figure d'un juste qui se pervertit. Lazare ressuscité, figure d'un pécheur qui se convertit; c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Il faut, dit saint Chrysostome, que la conversion d'un pécheur soit quelque chose de plus grand et de plus divin que la résurrection d'un mort, puisque les pharisiens , qui refusaient à Jésus-Christ la qualité de Fils de Dieu, ne s'étonnèrent jamais qu'il ressuscitât les morts, et que toujours, au contraire, ils se scandalisèrent de ce qu'il s'attribuait le pouvoir de remettre les péchés. Aussi est-il vrai que le

 

1 Joan., XI, 39. — 2 2 Cor., II, 16. — 3 Joan., XI, 39.

 

Sauveur du monde n'usa de cet empire absolu qu'il avait sur la mort, en ressuscitant les morts, que pour marquer celui qu'il avait sur le péché, en convertissant et en sanctifiant les pécheurs; et son dessein, remarque saint Chrysostome, fut toujours que l'un servît de preuve et de figure à l'autre, et que le miracle visible qu'il opérait lorsqu'il commandait aux morts de sortir de leurs tombeaux, nous représentât sensiblement le miracle invisible de sa grâce, lorsqu'il commande à une âme criminelle de sortir de son désordre, et qu'il la tire en effet de la puissance de l'enfer. Or, c'est, Chrétiens, ce qui paraît aujourd'hui dans l'exemple le plus authentique et le plus fameux de l'Evangile. Appliquons-nous à considérer ce miracle. N'en perdons pas une circonstance : et pour y observer quelque ordre, voyons ce qui engagea le Fils de Dieu à ressusciter Lazare ; voyons quelle condition il exigea avant que de lui rendre la vie ; voyons quelles paroles il employa pour accomplir ce chef-d'œuvre de sa toute-puissance ; voyons de quelle manière Lazare, tout enseveli qu'il était, entendit sa voix et lui obéit; enfin, voyons ce qu'il ordonna à ses apôtres, et ce que ses apôtres exécutèrent au moment que le tombeau fut ouvert. De tout cela, formons-nous une idée de la conversion parfaite et de la justification du pécheur.

Qui donc engagea le Fils de Dieu à ressusciter Lazare? Le zèle de Marthe et de Madeleine; l'instante prière de ces deux sœurs en faveur de ce frère bien-aimé, qui faisait le sujet de leur douleur. Car, c'est pour cela qu'elles députèrent d'abord vers Jésus-Christ, et qu'elles lui firent dire : Seigneur, celui que vous aimez est malade : Ecce quem amas infirmatur (1) . C'est pour cela que Marthe alla au-devant de lui, qu'elle se jeta à ses pieds, et lui dit : Seigneur, si vous eussiez été présent ici, mon frère ne serait pas mort : Domine, si fuisses hic, frater meus non esset mortuus (2). C'est pour cela qu'elle lui marqua tant de foi et tant de confiance, lorsqu'elle lui répondit : Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Fils du Dieu vivant, et que rien ne vous est impossible : Utique, Domine, ego credidi quia tu es Christus, Filius Dei vivi (3). Ce n'est pas que le Sauveur du monde, pour d'autres raisons, n'eût déjà résolu de faire ce miracle; mais il voulait encore être prié. Il voulait que les pressantes sollicitations de Marthe et de Madeleine fussent un des motifs qui l'y portaient. Il voulait par là donner à connaître ses

 

1 Joan., XI, 3. — 2 Ibid., 21. — 3 Ibid., 27.

 

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sentiments pour elles. En un mot, il voulait que Lazare fût redevable à ses sœurs de cette seconde vie, à laquelle il allait renaître ; et, par un secret de providence qu'il était important de nous révéler, il voulait faire dépendre de l'intercession et de la charité de ces saintes âmes, ce qui ne dépendait absolument que de lui-même.

Belle leçon, mes chers auditeurs, qui non-seulement autorise la créance catholique touchant l'intercession des saints, mais établit solidement et confirme un autre article de notre foi, touchant la communion des saints, je veux dire, touchant l'obligation de prier les uns pour les autres. Leçon d'autant plus nécessaire dans le christianisme, qu'elle y paraît aujourd'hui, et qu'elle y est même en effet plus négligée. le m'explique. Nous avons des frères selon l'esprit, et peut-être selon la chair, qui maintenant et au moment que je parle, égarés de la voie de Dieu, sont dans la voie de perdition et dans l'état du péché. Dieu veut les ressusciter par sa grâce; mais il veut au même temps que nous soyons auprès de lui les solliciteurs, les négociateurs, les coopérateurs de cette résurrection spirituelle. Il veut que nous la demandions avec ardeur, et que, par nos vœux et nos larmes, nous le forcions en quelque manière de nous l'accorder. Sans cela il ne lui plaît pas d'ouvrir les trésors de cette grande miséricorde qui doit être le principe du salut et de la conversion des grands pécheurs. Ainsi, dit saint Fulgence, l'Eglise n'aurait pas saint Paul, ce vaisseau d'élection, si saint Etienne n'eût prié ; et j'ajoute qu'elle n'aurait pas saint Augustin, ce docteur de la grâce, si sainte Monique n'eût pleuré. Il a fallu que cette mère zélée sentît une seconde fois, si j'ose m'exprimer de la sorte, les douleurs de l'enfantement, pour régénérer son fils à Dieu ; et que le premier des martyrs employât la voix de son sang, pour faire de son persécuteur un apôtre de Jésus-Christ. Ni Augustin ni Paul n'étant pas alors en disposition d'intercéder pour eux-mêmes, c'était à ceux que Dieu avait choisis et qui avaient grâce pour cela, de leur rendre ce favorable office. Autrement, qui sait si ces deux hommes, les lumières du monde chrétien, ne seraient pas toujours demeurés dans les ténèbres, l'un du vice et l'autre de l'erreur? Or, ce qui a paru d'une manière miraculeuse dans ces conversions éclatantes, se passe encore tous les. jours à l'égard de tant de pécheurs, sur qui Dieu ne répand ses dons que parce qu'il y a des justes charitables qui lui offrent pour eux des sacrifices, et que sa providence se plaît à sanctifier les uns par l'entremise et le secours des autres.

Ah ! mes chers auditeurs , combien pensez-vous qu'il y ait dans le monde d'âmes perdues et comme abandonnées de Dieu, parce qu'il n'y a personne qui prie, ni qui s'intéresse pour leur salut? Combien pourraient dire à Dieu ce que le paralytique disait à Jésus-Christ : Domine , hominem non habeo (1) : Il y a tant d'années que je suis dans l'état déplorable de mon péché, parce que je n'ai pas un homme qui soit touché de ma misère et qui pense à m'aider. Si cette mère, d'ailleurs, passionnée pour son fds, l'avait aimé en mère chrétienne, à force de solliciter auprès de Dieu pour sa conversion, elle l'aurait retiré de son libertinage et de ses débauches. Si cette femme mondaine, au lieu de certaines jalousies qui l'ont si cruellement tourmentée, et qui la piquent encore si vivement, avait eu une jalousie sainte et telle que l'avait l'Apôtre : Aemulor enim vos Dei œmulatione (2); c'est-à-dire, si, dans un vrai désir de voir ce mari changer de conduite et quitter ses habitudes , elle se fût adressée au ciel, elle aurait eu la consolation de le ramener à Dieu. Si cet ami faible et complaisant s'était fait un point de conscience de remettre son ami dans l'ordre, et qu'il eût eu recours aux autels, d'un impie il en aurait fait un serviteur de Dieu. Mais où sont maintenant ces amitiés solides? où est ce zèle pur, cette charité divine? On s'inquiète, mais d'une inquiétude toute païenne, on a du zèle pour des enfants , mais un zèle fondé sur le sang et sur la chair. Que ce fils qu'on idolâtre tombe dans une maladie dangereuse, on fait cent fois à Dieu pour lui la prière de Marthe : Domine, ecce quem amas infirmatur. Mais est-il dans un engagement criminel, mais entretient-il un commerce qui le perd, mais mène-t-il une vie libertine et scandaleuse, on y est insensible : c'est un jeune homme, dit-on, que le torrent du monde entraîne; il en reviendra : cependant on le laisse dans son désordre ; et il y vit, peut-être pour n'en sortir jamais et pour y mourir.

Vous dirai-je, Chrétiens, que cette insensibilité est un des articles dont nous aurons à répondre au jugement de Dieu, et que, dans la rigueur de sa justice, Dieu nous demandera compte de ces âmes que nous aurons négligées lorsqu'il nous était si aisé de contribuer à leur conversion et de l'obtenir? ce serait une morale

 

1  Joan., V, 7. — 2 2 Cor., XI, 2.

 

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terrible pour vous, mais où je ne dois pas m'engager, parce qu'elle est trop étendue et trop vaste. Quoi qu'il en soit, toujours est-il vrai que, dans l'ordre de la prédestination tel qu'il a plu à Dieu de l'établir et de nous le déclarer, la conversion des pécheurs est communément attachée aux prières des justes; que c'est ainsi, mon cher auditeur, que vous-même qui m'écoutez, avez peut-être été autrefois tiré de l'abîme, et que vous seriez le plus méconnaissant des hommes, si vous ne faisiez pas pour les autres ce que l'on a fait pour vous ; que c'est en cela que consiste le zèle du chrétien, et qu'au lieu de tant déclamer contre les impies, si, par une charité solide, vous preniez soin de prier pour eux; Dieu qui veut, tout impies qu'ils sont, les convertir, vous accorderait la grâce qui les doit sauver. Je sais qu'il y a des péchés pour lesquels le disciple même bien-aimé ne nous a pas conseillé de prier, parce que ce sont des péchés atroces qui vont à la mort : Est peccatum ad mortem; non pro illo dico ut roget quis (1). Mais alors, dit saint Augustin, il faut recourir à l'artifice de Marthe: il faut, comme elle, faire prier Jésus-Christ, le grand avocat des pécheurs auprès de son Père, le souverain prêtre, le médiateur par excellence, et lui dire avec cette bienheureuse fille : Sed et nunc scio, quia quœcumque poposceris a Deo, dabit tibi (2). Il est vrai, Seigneur, il ne m'appartient pas de demander un miracle aussi singulier que la conversion de ce pécheur endurci; mais je suis certain que si vous l'entreprenez, si vous employez pour lui votre intercession toute-puissante, rien ne vous sera refusé. Oui, Chrétiens, Jésus-Christ, si je puis parler de la sorte, entrera en cause avec vous; ce cœur rebelle, ce cœur de pierre sera tout à coup fléchi et attendri ; la grâce y ranimera les sentiments de religion que le péché semblait y avoir étouffés; ce pécheur ouvrira les yeux, il reconnaîtra son injustice, et son repentir l'effacera. On en sera surpris dans le monde; mais ce prodige viendra d'une âme fidèle, d'une Marthe pieuse, d'une Madeleine fervente qui se sera prosternée devant le Seigneur, et qui l'aura touché par ses pleurs et par ses gémissements.

Ceci toutefois ne suffit point encore ; car, pour ressusciter Lazare, le Fils de Dieu commanda qu'on levât la pierre qui fermait le tombeau ; et c'est une circonstance que les Pères ont remarquée , et d'où ils ont tiré une instruction bien importante pour nous. En effet, demande

 

1 1 Joan., V, 16. — 2 Joan., XI, 22.

 

saint Chrysostome, pourquoi le Sauveur du monde exigea-t-il cette condition? Il ne fut point nécessaire que la pierre fût levée, lorsque après sa mort il voulut se ressusciter lui-même et sortir du sépulcre. Ne pouvait-il pas faire à l'égard de Lazare le même miracle? D'ailleurs, si cette pierre qui couvrait Lazare était un obstacle, ne pouvait-il pas d'une parole lever tous les obstacles? Ah! mes Frères, répond ce saint docteur, Jésus-Christ pouvait l'un et l'autre; et quant à son absolue puissance, le miracle qu'il allait opérer ne dépendait de nulle condition. Mais cet Homme-Dieu qui disposait les choses selon les vues de son adorable sagesse, et qui prétendait que cette résurrection fût pour nous un parfait modèle de conversion, ne voulut rien faire sans la coopération de ceux qui s'intéressaient pour Lazare. Il voulut que les Juifs, qui attendaient ce miracle, y contribuassent eux-mêmes, et que leur ministère servît à l'accomplissement de ses desseins. Lever la pierre, c'était de leur part une action possible et facile : il voulut qu'ils commençassent par là. Figure qui nous découvre un des points les plus essentiels touchant la justification des hommes. Car si vous êtes mort selon Dieu, mon cher auditeur, si vous avez perdu la vie de la grâce, le Sauveur du monde veut faire un miracle pour vous et en vous; mais il y a des obstacles, dit saint Augustin, que vous devez auparavant et nécessairement lever. Il s'agit de ressusciter votre âme, de vous tirer de l'abîme du péché, de vous renouveler en esprit, et cet Homme-Dieu le peut; mais il veut, avant toutes choses, que vous leviez certaines pierres de scandale, qui, dans le cours de la vie, sont des obstacles à sa grâce, et qui tiennent votre cœur fermé. Qu'arrive-t-il? On voudrait qu'il fît l'un sans demander l'autre. On voudrait qu'avec tous les obstacles que nous opposons à notre conversion, et qu'il nous plaît d'entretenir ou dans nous-mêmes ou hors de nous-mêmes, il opérât en nous les plus merveilleux effets de sa grâce vivifiante. On le voudrait, mais en vain. Jésus-Christ est le Dieu des miracles ; mais ce n'est point un Dieu aveugle, pour prodiguer ses miracles et pour les avilir. De tous les miracles, notre conversion est celui qu'il souhaite le plus ardemment; mais il la souhaite selon les règles de cette sage miséricorde, à laquelle il prétend que nous répondions, et qui doit être accompagnée de notre fidélité. D'espérer que pour parvenir à ce miracle il sera toujours disposé à faire un autre miracle encore plus grand, qui serait de

 

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nous convertir et de nous sauver sans nous, c'est prendre plaisir à nous tromper nous-mêmes. Tollite lapidem (1) : Levez la pierre : c'est-à-dire, quittez ce commerce, retranchez ce luxe, renoncez à ce jeu , brûlez ce livre, fuyez ces spectacles, évitez ces occasions, car tout cela, ce sont comme des pierres qui vous rendent impénétrables aux traits de la grâce. Mais dès que la grâce ne trouvera plus tous ces obstacles, vous verrez aussi bien que Marthe la gloire de Dieu, et la vertu du Très-Haut éclatera dans votre conversion : Videbis gloriam Dei (2). Sans cela, ne comptez pas sur un double miracle, lorsqu'un seul miracle suffit; et n'attendez pas que Dieu vous convertisse, ni qu'il vous sauve à votre gré. Quoi que vous en puissiez penser, il en faudra toujours revenir à la parole de Jésus-Christ : Tollite lapidem ; puisqu'il est constant, dans les principes mêmes de la foi, que la première action de la grâce est d'éloigner de nous tout ce qui lui fait obstacle, et que c'est en cela qu'elle fait d'abord sentir son efficace, et qu'elle commence à être victorieuse.

Aussi, la pierre levée, que fait Jésus-Christ? c'est alors qu'il se met en devoir d'agir. Il tourne les yeux et il tend les bras vers le ciel. Il rend grâce à son Père de l'avoir exaucé. D'une voie impérieuse il se fait entendre à Lazare, et lui ordonne de paraître : Clamavit voce magna : Lazare, veni foras (3) Cette voix de majesté, qui, selon le témoignage de Jésus-Christ même, pénètre jusque dans le creux des tombeaux : Qui in monumentis sunt, audient vocem Filii Dei (4) ; cette voix de tonnerre qui, selon l'expression du Prophète, brise les cèdres du Liban , divise la flamme du feu , ébranle et fait trembler les déserts , c'est-à-dire, dompte l'orgueil de la plus fière impiété, éteint l'ardeur de la plus vive cupidité, force la résistance de l'infidélité la plus obstinée : c'est cette voix qui frappe Lazare et qui le rappelle du séjour delà mort ; et c'est pour obéir à cette voix que Lazare sort au même instant de l'obscurité de son tombeau : Et statim prodiit qui erat mortuus (5). Tandis qu'il était caché dans ce lieu de ténèbres, la vertu de Jésus-Christ demeurait comme suspendue : il faut qu'il sorte dehors, qu'il se produise, qu'il se montre au jour, pour être parfaitement ressuscité : Lazare, veni foras. Or, voilà, mon Frère, reprend saint Augustin exhortant un pécheur, et l'instruisant sur les devoirs de la vraie pénitence, voilà sur quoi

 

1 Joan., XI, 39. — 2 Ibid., 40. — 2 Ibid., 43. —4 Ibid., V, 28. — 5 Ibid., XI, 44.

 

vous devez vous former, et ce que vous devez vous appliquer. Car, tandis que vous fuyez la lumière, tandis que vous vous tenez enveloppé dans les ombres d'une conscience criminelle, tandis que vous ne découvrez pas le fond de votre âme, cette grâce qui ranime les morts, n'a dans vous ni pour vous nul effet de vie. Il faut que vous vous fassiez connaître; et que, par une confession sincère de vos désordres, vous sortiez comme un autre Lazare hors du tombeau : Et statim prodiit qui erat mortuus. Il faut que ce qu'il y a dans vous de plus intérieur soit révélé ; et que, sans attendre le jugement de Dieu, vous comparaissiez devant le tribunal de ses ministres ; que vous leur déclariez avec humilité et sans réserve ce que si longtemps peut-être vous avez affecté de vous cacher à vous-même. Car tel est l'ordre de Dieu, et c'est ainsi qu'il lui a plu d'attacher à cette déclaration la grâce de votre sanctification : Lazare, veni foras. Cela vous trouble, dites-vous, et à peine y pouvez-vous penser sans frémir ; mais la chose n'en est pour vous ni moins salutaire, ni moins nécessaire ; et le trouble même qu'elle vous cause est une preuve de sa nécessité. Car pourquoi le Fils de Dieu se troubla-t-il en ressuscitant Lazare, sinon pour vous apprendre ce qui devait vous troubler vous-même? Quid enim est, quod turbavit semetipsum, nisi ut significaret tibi, quod et tu turbari debeas ? ce sont les paroles de saint Augustin. Il se troubla, ajoute ce Père , parce qu'il le voulut ; et nous devons nous troubler parce qu'il le faut, et que ce trouble nous convient : Turbatus est, quia voluit : nos, quia decet et oportet. Son trouble fut un témoignage de sa charité et de sa miséricorde, et le nôtre doit être l'effet de notre contrition. Non, mon cher auditeur, ne craignez point de vous troubler vous-même, quand vous êtes dans l'état du péché ; mais craignez plutôt de ni vous pas troubler assez, puisqu'il n'y a que h seul trouble de la pénitence chrétienne qui vous puisse sauver. Troublez-vous, afin que Dieu, selon l'oracle de David, guérisse les plaies de votre âme ; et, qu'ému de votre douleur et de vos larmes, il en fasse un remède à vos maux : Sana contritiones ejus, quia commota est (4). Si c'est trop peu de vous troubler, frémissez, à l'exemple de Jésus-Christ; mais frémissez en esprit et dans les vues de la foi. Ne vous contentez pas d'une simple horreur qui passe, et qui n'est que dans le sentiment. Car l'homme, dit admirablement saint Augustin,

 

1 Psalm., LIX, 4.

 

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doit frémir contre lui-même ; comment? en confessant ses iniquités ; et pourquoi ? afin que l'habitude du péché cède à la violence et à l'efficace du repentir : Homo enim quasi fremire sibi debet in confessione peccatorum, ut violentiœ pœnitendi cedat consuetudo peccandi.

Après cela, Chrétiens, que restera-t-il, sinon que les piètres, représentés par les apôtres, ou plutôt représentant les apôtres et Jésus-Christ même, vous délient comme Lazare? Solvite eum, et sinite abire (1). C'est là qu'ils commenceront à exercer en votre faveur leur ministère ; et qu'en vertu de cette absolution juridique dont la grâce leur a été confiée , ils seront autorisés de Dieu pour vous dégager des liens de votre péché, Solvite eum. Prenez garde : le Mis de Dieu ne dit pas seulement aux disciples, en leur montrant Lazare : Déclarez-le délié, mais : Déliez-le vous-mêmes : Solvite; pour nous marquer (c'est l'application que le saint concile de Trente fait de cette figure, et ses paroles doivent nous tenir lieu d'une décision expresse et infaillible), pour nous marquer que ce que nous appelons absolution dans le sacrement, n'est point une simple commission ou d'annoncer l'Evangile ou de déclarer les péchés remis ; mais un acte de juridiction, par où le ministre et le lieutenant de Jésus-Christ prononce, exécute, remet, justifie. C'est pour cela même que Jésus-Christ, selon la solide remarque de l'abbé Rupert, usa dans cette occasion du même terme dont il devait se servir en faisant aux ministres de son Eglise cette promesse solennelle : Quodcumque solveritis super terram, erit solutum et in cœlis (2): Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Promesse, où il ne prétendait pas précisément leur faire entendre que ce qu'ils auraient délié sur la terre sera délié pour la terre, comme s'ils n'eussent dû absoudre que des censures des hommes ; mais où il voulait expressément s'engager à délier dans le ciel tout ce qu'ils auraient délié sur la terre : Erit solutum et in cœlis : parce qu'en effet le grand privilège de l'ordination et du sacerdoce devait être de pouvoir délier les consciences par rapport au jugement de Dieu. O mes Frères, conclut saint Augustin dans la paraphrase de notre évangile, quel bonheur et quel avantage pour nous, si nous pouvions, en suivant ces règles, ressusciter les pécheurs et nous

 

1 1 Joan., XI, 45. — 2 Matth., XVI, 19.

 

ressusciter nous-mêmes avec eux ! O si possemus excitare homines mortuos, et cum ipsis pariter excitari ! En sorte, ajoutait cet incomparable docteur, que nous fussions aussi touchés de l'amour de cette vie bienheureuse qui ne doit jamais finir, que le sont les gens du siècle de cette vie mortelle qui leur échappe à tous les moments : Ut tales essemus amatores vitœ permanentes, quales sunt amatores hujus vitœ fugientis. Plaise à Dieu, Chrétiens, qu'il y en ait parmi vous de ce caractère, et que ce ne soit pas en vain que je vous aie développé ce grand miracle de la résurrection des âmes! Plaise à Dieu qu'entre ceux qui m'écoutent, il y ait quelque Lazare qui sorte de son tombeau, converti et justifié ! Peut-être le plus endurci et le plus abandonné de ceux à qui je parle, est celui que Dieu a destiné pour cela. Peut-être celui dont vous attendez le moins ce merveilleux changement, et que vous savez y avoir plus d'opposition, est l'heureux sujet que Dieu a choisi. Pourquoi ne l'espérerais-je pas? pourquoi mettrais-je des bornes à la grâce de mon Dieu? Le bras du Seigneur est-il raccourci ? Le Dieu d'Elie n'est-il pas encore le Dieu d'Israël? n'est-il pas toujours le maître des cœurs? n'a-t-il pas le même pouvoir qu'il avait lorsqu'il ressuscitait les morts ? et n'est-ce pas dans les plus grands pécheurs qu'il se plaît à faire éclater sa miséricorde? Faites, ô mon Dieu, que ce ne soit point là un simple souhait, mais que l'effet réponde à ma parole, ou plutôt à la vôtre. Opérez ce miracle, non-seulement pour la conversion particulière de celui de mes auditeurs que vous avez en vue, mais pour l'exemple de tous les autres. Ainsi vous vérifierez, ô divin Sauveur, ce que vous fîtes dire à Madeleine et à Marthe, que la maladie de Lazare n'allait point jusques à la mort, mais qu'elle était pour la gloire de Dieu et du Fils unique de Dieu : Infirmitas hœc non est ad mortem, sed pro gloria Dei ut glorificetur Filius Dei per eam (1). Ou, si l'état de ce pécheur est un état de mort, cette mort passagère, reprend saint Augustin, n'ira point jusques à une mort éternelle, mais elle servira à faire paraître et à faire admirer la vertu toute-puissante de Dieu : Mors ista non erit ad mortem, sed ad miraculum. Contribuons nous-mêmes à ce miracle. Par là nous glorifierons Dieu, et nous rentrerons dans la voie de l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

 

1 Joan.,  XI, 4.

 

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