SERMON POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE.
SUR LA SAINTETÉ ET LA FORCE DE LA LOI CHRÉTIENNE.
ANALYSE.
SUJET. Le royaume des deux est semblable à un grain de
sénevé, qu'un homme prend, et sème dans son champ. C'est le plus petit grain de
toutes les semences; mais lorsque ce grain a poussé, il s'élève au-dessus de
toutes les autres plantes, et il devient arbre.
Voilà,
selon saint Jérôme et tous les interprètes, la figure de la loi chrétienne.
Rien de plus petit dans son commencement, et rien de plus étendu dans son
progrès.
Division. Sainteté de la loi chrétienne : première partie.
Force de la loi chrétienne : deuxième partie. Donc, loi chrétienne, loi toute
divine.
Première
partie. Sainteté de la loi chrétienne
dans son auteur, dans ses maximes, dans ses conseils, dans ses sectateurs, dans
ses mystères.
1°
Dans son auteur. C'est Jésus-Christ, la sainteté même. Quels auteurs ont eus
les autres lois, et qu'était-ce par exemple qu'un Mahomet? Quels auteurs ont
eus les hérésies, et qu'était-ce qu'un Luther, un Calvin?
2°
Dans ses maximes Quoi de plus pur et de plus sublime? C'est cette loi sainte,
dit Lactance, quia éclairci toutes les lois de la nature, qui a mis la dernière
perfection à toutes les lois divines, qui a autorisé toutes les lois humaines,
et qui a détruit sans exception toutes les lois du vice et du péché. Au
contraire, les lois païennes ont toléré tous les crimes; et à quelle licence
les hérésies ont-elles porté?
3°
Dans ses conseils. Qu'est-ce que cette pauvreté évangélique qu'elle nous
propose? Qu'est-ce que ce renoncement volontaire à tous les plaisirs des sens?
4°
Dans ses sectateurs. Il n'y a qu'à lire dans saint Luc quelle était la vie des
premiers fidèles. Il n'y a qu'à consulter toutes les histoires saintes. Il n'y
a qu'à considérer tous les états du christianisme, où l'on a vu et où l'on voit
encore tant de saints. Ce n'est pas qu'il n'y ait des chrétiens très-corrompus;
mais la religion chrétienne n'est point responsable de leur libertinage et de
leur corruption, car elle est la première à les condamner.
5°
Dans ses mystères. A quelle pureté de mœurs ne nous engagent-ils point, dès que
nous nous soumettons à les croire? A quelle perfection ne nous élèvent-ils
point?
La
loi chrétienne est donc une loi sainte, et de quelle sainteté? d'une sainteté
solide, agissante, universelle, sage, patiente, religieuse envers Dieu,
charitable envers le prochain, sévère pour elle-même. De là concluons deux
choses : que la sainteté de cette loi est un des motifs les plus puissants pour
nous y attacher; et que la sainteté de cette même loi est notre confusion et
notre condamnation, si nous ne travaillons pas à nous sanctifier.
Deuxième
partie. Force de la loi chrétienne.
Cette force toute divine a paru dans l'établissement et la propagation du
christianisme. De quoi s'agissait-il quand Jésus-Christ vint prêcher au monde
une loi nouvelle? Il était question d'abolir toutes les superstitions du
paganisme, et d'établir une loi austère et mortifiante, une loi contraire à
toutes les inclinations de la nature. Que fallait-il pour en venir à bout? Il
fallait surmonter la puissance des souverains, la sagesse des politiques, la
cruauté des tyrans, le zèle des idolâtres, l'impiété des athées. Si
Jésus-Christ, dit saint Augustin, en eût conféré avec un des philosophes de ce
temps-là, ce philosophe n’eût-il pas traité cette entreprise de chimère et de
folie? Voilà néanmoins ce qui s'est fait, et c'est la merveille que nous
voyons.
Il
n'y a que la loi chrétienne qui se soit établie par des principes où toute la
raison de l'homme se perd, et parmi les plus violentes persécutions. Mais il le
fallait ainsi, afin que les peuples connussent que c'était la loi de Dieu et
l'œuvre de Dieu.
Nous voyons encore de nos
jours ce même prodige se renouveler parmi les nations étrangères et infidèles ;
et sur cela nous pouvons bien féliciter l'Eglise comme la félicitait le
Prophète sous le nom de Jérusalem. Toutes les religions païennes se sont
établies par la licence des mœurs, et les hérésies par la violence, par le fer
et le feu. La religion chrétienne n'a point eu d'autres armes ni d'autres
moyens que la parole de Dieu, l'innocence de la vie et la patience.
De
là quatre conséquences comprises en quatre mots : reconnaissance, étonnement,
réflexion, résolution.
1°
Reconnaissance envers Dieu, qui nous a choisis et fait naître dans la loi chrétienne.
2°
Etonnement de ce qu'une loi si puissante et si agissante opère si peu dans
nous.
3°
Réflexion. Que nous sert de professer une loi dont la vertu est
toute-puissante, lorsqu'à notre égard toute cette vertu se trouve inutile et
sans effet?
4°
Résolution de vivre désormais en Chrétiens, et de laisser agir en nous toute la
vertu de la loi que nous avons embrassée.
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Simili
est regnum cœlorum grano sinapis, quori aecipiens homo seminant in agro suo :
quod minimum quidem est omnibus seminibus; cum autem creverit , majus est omnibus
oleribus , et fit arbor.
Le
royaume des cieux est semblable à un grain de Sénevé, qu'un homme prend et sème
dans son champ. C'est le plus petit grain de toutes les semences ; mais lorsque
ce grain a poussé, il s'élève au-dessus de toutes les autres plantes, et il
devient arbre. (Saint Matt., chap. XIII, 31, 12.)
Ce royaume des cieux, dans le
langage de l'Ecriture, et selon la pensée des Pères et des interprètes,
qu'est-ce autre chose, Chrétiens, que l'Evangile? Et en effet, c'est par cette
divine loi que Dieu règne en nous, et c'est encore cette loi qui nous dispose à
régner un jour nous-mêmes avec Dieu dans le ciel. Doublement donc royaume des
cieux, soit parce qu'elle établit dans nos cœurs un empire tout céleste, qui
est l'empire de Dieu ; soit parce qu'elle nous donne droit à un royaume tout
céleste, qui est l'héritage des enfants de Dieu. Or, ce royaume des cieux,
cette loi évangélique, dit le Sauveur du monde, est semblable à un grain de
sénevé, et cela comment? en deux manières, que le même Fils de Dieu nous a
expressément marquées dans les paroles de mon texte, savoir par sa petitesse et
par son étendue : par sa petitesse dans son origine : Quod minimum quidem est
omnibus seminibus; et par son étendue dans ses accroissements et ses
progrès : Cum autem creverit, majus est omnibus oleribus. C’est-à-dire,
suivant l'application que fait saint Jérôme de cette parabole à la loi
chrétienne, que comme entre toutes les graines, une des plus petites avant
qu'on l'ait semée est le sénevé, ainsi de toutes les religions du monde, il n'y
en a point eu, a la considérer dans sa naissance, de plus obscure que la loi de
Jésus-Christ, ni en apparence de plus faible; mais, ajoute aussi ce saint docteur, pour achever la comparaison, de même que
le grain de sénevé, des qu'on l'a jeté dans la terre, y prend racine,
Croît ensuite, se fortifie, pousse des branches, produit des feuilles, porte
des fruits, monte enfin jusqu'à la hauteur d'un arbre, et sert de retraite aux
oiseaux du ciel : Et fit arbor, ita ut volucres cœli habitent in ea; de
même a-t-on mis l'Evangile prêché par Jésus-Christ dans la Judée, passer de là,
par le ministère des apôtres, aux nations, ranger tous les peuples sous sa
domination spirituelle, abolir le culte des faux dieux, et devenir de l'un à
l'autre pôle la loi dominante. Loi perpétuelle, qu'une heureuse succession de
siècles, malgré toutes les [évolutions humaines, a
conservée jusqu'à nous, et que la même tradition doit maintenir jusqu'à
la fin des temps. Loi que nous avons reçue, mes chers auditeurs, que nous
professons, où sont renfermées nos plus grandes espérances, et qui seule est la
règle que nous devons nous proposer dans tout le plan de notre vie. Il est donc
important, afin de nous attacher toujours davantage à cette loi, que nous en
connaissions les glorieuses prérogatives, et c'est de quoi j'entreprends
aujourd'hui de vous entretenir. De les vouloir parcourir toutes, ce serait une matière
infinie, et bien au delà des bornes qui me sont prescrites. Arrêtons-nous à
notre parabole; nous y trouverons également de quoi relever l'honneur de
l'Evangile, et de quoi servir à notre instruction, après que nous nous serons
adressés à la Vierge qui nous adonné le divin Législateur dont nous suivons la
doctrine, et à qui la foi nous tient soumis. Ave, Maria.
Il n'y a que Dieu qui puisse par
lui-même sanctifier les âmes et les convertir, parce qu'il n'y a que Dieu qui
soit saint par lui-même, et le principe de toute sainteté; comme il n'y a que
lui qui tienne en ses mains les cœurs des hommes, ni qui leur donne telle
impression qu'il lui plaît, par les secrètes opérations de sa grâce. Deux
caractères qu'il a communiqués à la loi évangélique, et qui, sans autre
-preuve, nous font suffisamment entendre que c'est une loi divine. Deux
avantages qu'exprime parfaitement la parabole de ce petit grain qu'un homme a
semé dans son champ, et où nous remarquons tout à la fois une double qualité,
je veux dire une qualité saine et une qualité forte tout ensemble. L'une, qui
nous figure la sainteté incorruptible de la loi chrétienne dans les règles de
conduite qu'elle nous trace, et dans la perfection où elle nous appelle;
l'autre, qui nous représente la force victorieuse et toute-puissante de cette
même loi dans la conversion du monde entier, et dans les progrès inconcevables
qu'elle y a faits, malgré tous les obstacles qui en devaient arrêter le cours.
Enfin deux prérogatives toutes singulières de l'Evangile de Jésus-Christ,
comprises en deux paroles du Prophète royal, lorsqu'il nous dit que la loi du
Seigneur est pure et sans tache : Lex Domini immaculuta (1); et que par
une vertu qui lui est particulière et qu'elle exerce sur les âmes, elle les
attire à Dieu et les convertit : Convertens animas. Sainteté de la loi
chrétienne, force de la loi chrétienne : voilà tout le fond et tout le partage
de ce discours. Sainteté qui fait de la loi chrétienne une loi
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parfaite et irréprochable; c'est ce que je vous montrerai
dans la première partie. Force qui surpasse toute la nature, et qui a fait
faire à la loi chrétienne, dès son premier établissement, les plus
merveilleuses conquêtes ; ce sera le sujet de la seconde partie. Dans l'une
nous jugerons de cette loi évangélique par ce qu'elle est en elle-même ; et
dans l'autre, par ce qu'elle peut et ce qu'elle a fait. De Tune et de l'autre
je conclurai que c'est donc une loi toute céleste; qu'elle vient de Dieu, et
que Dieu seul en est l'auteur : Lex Domini immaculata, convertens animas.
Vous le conclurez vous-mêmes avec moi, mes chers auditeurs, si vous m'écoutez
avec un esprit droit et désintéressé, et si vous me donnez toute l'attention que
je vous demande.
PREMIÈRE PARTIE.
Oui, Chrétiens, c'est une loi
sainte que la loi de Jésus-Christ ; et pour en être persuadés, considérez-la
dans toutes ses parties : examinez-la dans son auteur, dans ses maximes, dans
ses conseils, dans ses sectateurs, dans ses mystères, et en tout cela ne la
tenez pour véritable, qu'autant qu'elle vous paraîtra sainte. Car la sainteté
ne peut avoir pour fondement que la vérité, et la vérité est toujours le
principe de la sainteté. L'illustre témoignage, Chrétiens, en faveur de notre
religion ! Cum ad aliquid pervenitur quod est contra bonos mores
(c'est saint Augustin qui parle), non est magnum veram sectam a falsa discernere
; Lorsque dans une secte on découvre des désordres en matière de mœurs, il
n'est pas difficile de montrer qu'elle part d'un faux principe; mais la
présomption est tout entière qu'elle vient de Dieu, quand on n'y voit
qu'innocence et que pureté de vie. Prenons donc cette règle pour reconnaître
aujourd'hui la vérité de la loi chrétienne, et jugeons-en d'abord par la
sainteté de son auteur.
C'est Jésus-Christ, ce Messie
envoyé de Dieu, qui, sans parler de l'onction de sa divinité, a passé pour le
plus juste et le plus saint des hommes; dont la vie a été si pure, qu'il voulut
bien la soumettre à la critique de ses plus cruels ennemis : Quis ex vobis
arguet me de peccato (1)? contre qui toute la Synagogue conjurée ne put
jamais produire deux témoignages conformes : Et non erant convenientia testimonia
(2) ; qui reçut une déclaration authentique de son innocence de la
bouche même du juge, lequel porta l'arrêt de sa condamnation :
Nullam invenio in eo causam (1); enfin, dont les
vertus plus qu'humaines ont été publiées par ceux qui étaient les plus
intéressés à en ternir la gloire : Vere Filius Dei erat iste (2). Voilà
celui qui nous a donné la loi que nous professons. Les autres lois qui
partagent aujourd'hui le monde ont eu pour auteurs des impies transfigurés en
prophètes, des dieux, comme le paganisme, plus corrompus que les hommes mêmes
qui les adoraient ; un Mahomet souillé de toutes sortes d'impuretés, comme la
secte qui porte son nom ; et pour ne pas oublier les hérétiques, qui par leurs
hérésies ont altéré la pureté de la loi, des apostats de profession, un Luther,
infâme par ses incestes, qui même en faisait trophée, et qui s'est vanté de ce
que ses plus zélés partisans avaient honte de ne pouvoir désavouer pour lui.
Voilà celui que Calvin appelait l'apôtre de l'Allemagne; et que ne pourrais-je
point dire de Calvin lui-même?
A Dieu ne plaise, Chrétiens, que
j'en veuille à leurs personnes, ni à leur mémoire! Si c'étaient des
particuliers qui eussent été emportés par le torrent de l'hérésie, je sais les
règles de discrétion et de bienséance que j'aurais à garder. Mais puisqu'on a
prétendu que c'étaient des hommes que Dieu avait remplis de son esprit pour les
employer à la réformation de l'Eglise, encore est-il juste que nous les
connaissions, les Pères en ayant toujours ainsi usé quand il a été question des
hérésiarques. Or, est-il croyable que Dieu, pour réformer son Eglise, ait
choisi des hommes de ce caractère?
Mais passons outre ; et pour
tirer d'un si grand sujet toute l'édification et tout le fruit que Dieu prétend
que nous en tirions, voyons quelles sont les maximes de la loi que nous avons
reçue de Jésus-Christ. Il est vrai que les ennemis de ce divin Sauveur firent
tous leurs efforts pour le décrier comme un homme qui pervertissait le peuple,
et dont la doctrine allait corrompre les mœurs; mais il est vrai aussi que ce
fut la plus grossière et la plus vaine de toutes les calomnies. J'ai prêché
publiquement, dit-il à Caïphe qui l'interrogeait sur ce point, et je n'ai
jamais dogmatisé en secret : adressez-vous a ceux qui m'ont entendu; ils savent
ce que j'ai dit. Nous le savons, Chrétiens, puisqu'il nous a faits les
dépositaires de ses sacres oracles, et que nous avons encore entre les mains le
précieux monument de sa loi. Trois chapitres de saint Matthieu en font le
précis et l'abrégé : il n'y a
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qu'à les comparer avec tout ce que la morale païenne a
jamais produit, pour voir la différence sensible de l'esprit de Dieu et de
celui de l'homme. Que la loi chrétienne est admirable! disait autrefois Lactance;
c'est elle qui a éclairci toutes les lois de la nature, qui a mis la dernière
perfection à toutes les lois divines, qui a autorisé toutes les lois humaines,
et qui a détruit sans exception toutes les lois du vice et du péché : quatre
chefs qui sont pour elle autant d'éloges, et qui mériteraient autant de
discours. C'est elle qui a éclairci les lois de la nature, les interprétant
selon toute leur pureté, et renversant toutes les erreurs dont l'ignorance ou
le libertinage des hommes les liaient obscurcies. On a dit à vos pères (c'est
ainsi que Jésus-Christ instruisait les Juifs), on a dit à vos pères : Vous ne
serez point homicides; et moi je vous annonce que quiconque dira à son frère
une parole ou de colère, ou de mépris, sera condamné au jugement de Dieu. Vos
pères ont cru que la haine d'un ennemi et la vengeance étaient permises, et moi
je vous les défends. On leur a fait entendre que le parjure était un crime, et
moi je veux que toutes soi les de jurements vous soient interdits. Etaient-ce
de nouveaux préceptes qu'établissait le Fils de Dieu? non, dit saint Augustin :
car, de tout temps, jurer sans nécessité avait blessé le respect qui est dû à
Dieu; se faire raison de ses propres injures avait toujours été contre la
raison, et jamais il n'avait été permis de désirer un plaisir qu'il n'est pas
permis de se procurer. Mais ces lois que Dieu avait gravées dans le cœur de
l'homme avec des caractères de lumière, comme parle le Prophète royal, s'y
étaient insensiblement effacées, et la loi chrétienne est venue les renouveler.
C'est elle qui a mis la dernière perfection à toutes les lois divines,
changeant la circoncision de la chair en celle de l'esprit; faisant succéder
les effets de la pénitence aux cérémonies de la pénitence ; sanctifiant le
sacerdoce par la continence, pour le rendre plus digne des autels ; érigeant le
mariage en sacrement , afin qu'il ne pût être violé que par une espèce de
sacrilège; le réduisant à cette sévérité de discipline, c'est-à-dire à cette
unité et à cette indissolubilité à laquelle il était réduit dans sa première
institution, et en retranchant tout ce que Dieu dans la loi ancienne avait
accordé à la dureté du cœur des Juifs. C'est cette même loi de Jésus-Christ qui
a autorisé toutes les lois humaines, puisque outre l'obligation civile et
politique de les garder, elle y en ajoute une de conscience qui est inviolable,
et qui subsiste toujours; puisqu'elle fait respecter les supérieurs légitimes,
non pas en qualité d'hommes, mais comme les lieutenants et les ministres de
Dieu; puisqu'elle maintient leur autorité, non-seulement quand ils sont
chrétiens et fidèles, mais quand ils seraient païens et idolâtres;
non-seulement, dit saint Pierre, quand ils sont vertueux et parfaits, mais
quand ils seraient remplis même de vices; non-seulement quand ils sont doux et
favorables, mais quand ils seraient emportés et fâcheux; puisque hors ce qui
est positivement et évidemment contre Dieu, elle veut qu'ils soient obéis comme
Dieu même, ne séparant point ces deux préceptes : Regem honorificate, Deum
timete (1) ; Craignez Dieu , et honorez les puissances; et nous avertissant
sans cesse que l'un est essentiellement fondé sur l'autre. Enfin c'est elle qui
a détruit généralement toutes les lois du péché, dont le nombre étant infini,
sa gloire particulière est qu'il n'y en a pas une qu'elle ne réprouve et
qu'elle ne condamne; frappant d'anathème l'injustice, en quelque sujet qu'elle
paraisse; ne respectant en cela ni rang, ni qualité; n'ayant égard ni à
coutume, ni à possession ; ne s'accommodant ni à faiblesse, ni à intérêt; ne
cédant pas même à la plus pressante de toutes les nécessités, qui serait celle
de mourir : Ne moriendi quidem necessitati disciplina nostra connivet (2).
Les religions païennes ont-elles
pu se glorifier du même avantage? Vous le savez, Chrétiens, et vous ne pouvez
ignorer que le caractère par où elles se sont distinguées a été de tolérer et
de permettre tous les crimes : non-seulement de les permettre et de les
tolérer, mais de les approuver, mais de les canoniser, mais , si j'ose me
servir de ce terme , de les diviniser; n'ayant reconnu , dit excellemment saint
Augustin, des dieux vicieux et lascifs, que dans cette vue, afin que quand
leurs adorateurs se trouveraient excités au mal, ils considérassent plutôt ce
que leur Jupiter aurait fait, que ce que Caton leur avait enseigné : Ut magis
intuerentur quid fecisset Jupiter, quam quid censuisset Cato. Chose dont
les païens eux-mêmes avaient horreur, ne pouvant souffrir (c'est la remarque
d'Arnobe), quelque déterminés qu'ils fussent à être méchants, qu'on le fut par
profession de religion; et la plupart au moins de ceux qui passaient pour sages
ayant mieux aimé vivre sans
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religion, que d'en reconnaître une pour bonne, qui ne les
obligeât pas à être meilleurs.
Il en est de même des hérésies : car Dieu , dit saint Epiphane,
a toujours permis que les erreurs dans la foi aient été suivies de la
corruption et de la dépravation des maximes qui regardaient la conduite des
mœurs, afin que cela même servît à les distinguer. L'hérésie du siècle passé
semble avoir été en cela plus circonspecte et plus prudente, puisqu'elle
affecta d'abord le nom de réforme : mais si elle en affecta le nom, peut-être
ne lui faisons-nous point de tort en disant que c'est une de celles qui en
négligèrent plus la vérité ; et peut-être pourrions-nous, sans lui faire
insulte et sans lui rien imputer que ses propres maximes, la détromper par
elle-même et la convaincre. Car nous n'aurions qu'à lui opposer le langage de
ses premiers pasteurs, pour lui montrer l'illusion de la vaine réforme qu'elle
s'est attribuée; et elle ne désavouerait pas que ces faux ministres prêchant
aux peuples, ne leur fissent souvent ces leçons. Prenez garde, mes Frères, leur
disaient-ils; on vous a fait entendre que c'était par les bonnes œuvres qu'il
se fallait sauver ; on vous a trompés, elles sont inutiles pour le salut. On
vous a dit que le juste devait veiller continuellement sur soi-même, pour ne
pas déchoir de la grâce : abus ; quand on a une fois la grâce, quelque crime
que l'on commette , on ne la perd jamais. On vous a fait accroire que vous
aviez une liberté pour résister aux tentations : erreur; il n'y a plus de
liberté dans nous, et c'est un terme qui ne signifie rien. On vous a nourris
dans la crainte des jugements de Dieu; cette crainte est criminelle et
réprouvée. On vous a prêché la pénitence comme nécessaire; et moi je vous
déclare, disait Calvin, que par la grâce du baptême tous vos péchés commis et à
commettre sont déjà remis. On vous a persuadé qu'il y avait beaucoup à faire
pour gagner le ciel : rien du tout : croyez, et vous voilà justifiés, cela
suffit. Au reste, défaites-vous de mille superstitions importunes qui vous
gênent. Etes-vous prêtres, renoncez au célibat, nous vous en donnons le
pouvoir. Etes-vous religieux, abandonnez votre profession, et nous vous
recevons parmi nous. Mais j'ai promis à Dieu la continence : cette promesse est
toile et impie, répondait Luther. Le joug de la confession vous pèse-t-il,
secouez-le hardiment, et sortez de cet esclavage. Etes vous assujettis au jeûne
du carême, c'est une invention des hommes. Mais l'Eglise le commande : laissez parler
l'Eglise, elle n'a nulle autorité pour lier vos consciences. Mais il lui faut
obéir comme à notre mère : oui, par cérémonie et par police, mais non pas sous
peine de péché. Car, encore une fois, ce sont là les dogmes de créance et de
pratique qu'ils débitaient, et je me croirais coupable d'y rien ajouter. Or
dites-moi, mes chers auditeurs, si la vérité et la pureté de la loi chrétienne
pouvaient s'accommoder de tout cela?
Non, sans doute; et si nous
voulons encore mieux connaître cette loi sainte, voyons jusqu'où elle a porté
la perfection de ses conseils. Qu'est-ce que cette pauvreté évangélique qu'elle
nous propose, et qui non-seulement nous dégage de toute affection aux biens de
la terre, mais nous dépouille de toute possession? Si vous voulez être parfait,
dit le Fils de Dieu à ce jeune homme de l'Evangile, allez, vendez tout ce que
vous avez; donnez-en le prix aux pauvres, et vous serez en état de me suivre,
et de parvenir à la plus haute sainteté de ma loi. Qu'est-ce que ce renoncement
volontaire à tous les plaisirs des sens; que cette mortification et cet amour
de la croix qui nous rend en quelque façon ennemis de nous-mêmes, jusqu'à nous
refuser à nous-mêmes toutes les douceurs et tous les soulagements de la vie,
jusqu'à nous persécuter nous-mêmes sans relâche, jusqu'à nous faire mourir
nous-mêmes, non point de cette mort naturelle que Dieu n'a pas l'ait dépendre
de nous, mais d'une mort intérieure et spirituelle? Qu'est-ce que cette
humilité héroïque, qui nous fait fuir l'éclat et les honneurs du siècle, avec
autant de soin et autant d'ardeur que le monde nous les fait rechercher ; qui
nous fait aimer l'abjection, l'obscurité, les mépris, les outrages; qui
remplissait de joie les apôtres, lorsque dans les prisons, que dans les places
publiques, qu'en présence des magistrats on les couvrait d'ignominies et
d'opprobres? Qu'est-ce que cette abnégation entière de ce que nous avons de
plus cher, qui est notre volonté propre et notre liberté; tellement que nous ne
sommes plus maîtres de nos désirs, plus maîtres de nos résolutions, mais dans
une dépendance totale, et sous le joug de l'obéissance la plus universelle et
la plus étroite? Quels miracles de vertus ! et une vie ainsi sanctifiée,
n'est-ce pas, selon la belle parole de saint Ambroise, un évident témoignage de
la Divinité? Testimonium Divinitatis vita christiani.
Voilà, mes chers auditeurs, ce
qu'on appelle la morale chrétienne, où les infidèles, suivant
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le rapport de saint Augustin , n'avaient rien davantage à
reprendre, sinon qu'elle était trop sainte et trop parfaite : Videmur iis
christiani res humanas paulo plus quam oportet deserere. Reproche mille fois plus
avantageux et plus glorieux pour elle, que tous les éloges qu'ils lui eussent
pu donner. Mais cette loi si droite dans ses maximes et ses préceptes, si pure
et si relevée dans ses conseils, si sainte dans son auteur, l'est elle autant à
proportion dans ses sectateurs? Ah ! Chrétiens, instruisez-vous ici de ce que
vous devez être, ou plutôt confondez-vous de ce que vous n'êtes pas. Etre
chrétien, c'est être saint. Il n'y a qu'à lire dans saint Luc quelle était la
vie des premiers fidèles, lorsqu'ils ne faisaient encore qu'une espèce de
communauté à Jérusalem. Il n'y a qu'à voir chez Tertullien quelles étaient
leurs assemblées, quand ils commencèrent à se multiplier dans le monde. Il n'y
a qu'à considérer leurs mœurs et leurs pratiques dans l'excellent ouvrage que
saint Augustin en a composé. Diriez-vous que ce fussent des hommes mortels, et
non pas de purs esprits et des anges dont il trace le caractère? Il n'y a qu'à
entendre ce qu'Eugène témoigne, que les idolâtres eux-mêmes se trouvaient
obligés de reconnaître qu'il n'y avait de véritable sainteté que parmi les
chrétiens. Témoignage, ajoute-t-il, qu'ils leur rendirent, surtout après avoir
éprouvé leur charité dans une peste qui ravagea toute l'année romaine sous
l'empereur Valérien, et où ils virent les fidèles s'employer au soulagement de
leurs propres ennemis , avec autant de zèle que s'ils eussent été leurs frères,
ou selon la chair, ou selon la foi. Quel esprit les animait alors? était-ce; un
esprit particulier à quelques-uns d'entre eux? non; mais c'était l'esprit
universel de la loi chrétienne : ils étaient tels par engagement de religion ;
et c'est ce qui convertit ce brave et généreux soldat qui fut ensuite
l'ornement du désert, l'illustre Pacôme ; et ce qui attirait tons les jours un
nombre presque infini de dignes sujets à l'Evangile, lorsqu'ils faisaient
attention aux fruits merveilleux de sainteté que produisait le christianisme.
Tant il est vrai, comme Tertullien le disait en traitant la même matière que
moi, qu'on peut juger d'une créance par la conduite de ceux qui la professent :
De genere conversationis qualitas fidei œstimari potest; et qu'un des
grands motifs eu faveur d'une doctrine est la vie irréprochable de ceux qui la
suivent: Doctrinœ judex disciplina ; c'est-à-dire quand
la vie et la créance sont conformes, et que l'une est la règle de
l'autre. Car c'eût été mal raisonner, remarque saint Augustin, que de conclure
à l'avantage du paganisme, par la raison que quelques sages païens vivaient
dans l'exercice et l'habitude des vertus morales, puisqu'on les pratiquant ils
ne se conformaient en aucune sorte à leur religion ; et ce ne serait pas une
moindre injustice de se prévenir contre la religion de Jésus-Christ, sous
prétexte qu'il y a des chrétiens dont la vie est déréglée puisqu'on cela ce
n'est point selon les principes de leur foi, ni comme chrétiens, qu'ils
agissent. Nous ne désavouons pas, dit Salvien, qu'il n'y en ait parmi nous de
très-libertins et très-corrompus; mais nous prétendons que la loi chrétienne
n'est point responsable de leur libertinage et de leur corruption; car elle est
la première à les accuser comme des prévaricateurs, la première et la plus
zélée à les condamner et à les rejeter.
Mais, au contraire, quand je vois
dans le corps de l'Eglise tant de vertus et tant de sainteté; quand je remonte
à ces heureux temps où la loi évangélique était encore dans toute sa vigueur,
et que je vois quelles âmes alors elle a formées, quels sentiments elle leur
inspirait, de quelle ferveur elle les animait, à quelle perfection elle les
élevait; quand, de siècle en siècle depuis Jésus-Christ, je descends jusqu'à
nous, et que je vois cette multitude innombrable de parfaits chrétiens,
c'est-à-dire d'hommes irrépréhensibles, qui ont sanctifié les déserts,
sanctifié les cloîtres, sanctifié les cours des princes, sanctifié le monde et
tous les états du monde; quand, tout perverti qu'est le siècle où nous vivons,
je vois les mêmes exemples en tous ceux qui veulent se rendre fidèles à la même
loi (car il y en a; et pour peu qu'il y en ait, c'est assez pour nous faire
connaître l'esprit de la loi qui les gouverne) ; quand je vois, dans les
prélatines de l'Eglise, des pasteurs vraiment apostoliques; dans le sacerdoce,
de dignes ministres du Dieu vivant; dans le célibat, des vierges consacrées à
la pureté ; dans le mariage, des pères et des mères pieux, et qui inspirent la
piété à leurs familles ; dans toutes les professions, des âmes régulières,
zélées, charitables, patientes, désintéressées, ennemies de tout désordre, de
toute injustice ; disposées à tout entreprendre pour l'honneur de Dieu, à tout
faire pour le service du prochain, à tout souffrir et à tout pardonner pour le
bien de la paix ; tenant en toutes choses une conduite sage, droite, équitable,
parce qu'elles
72
se conduisent en toutes choses par les vues de la foi :
quand je vois tant de florissants ordres, et leur discipline d'autant plus
exacte et plus sévère, leurs observances d'autant plus rigoureuses et plus
saintes qu'elles approchent plus de la sainteté de l'Evangile ; quand, dis-je,
j'ai tout cela devant les yeux, n'ai-je pas droit de faire le même raisonnement
que Tertullien, et d'en tirer la même conséquence : De genere conversationis
qualitas fidei œstimari potest ; doctrinœ judex disciplina ? car une loi
toute sanctifiante ne doit-elle pas être elle-même toute sainte?
Il faut néanmoins avouer,
Chrétiens, que cette loi d'une perfection si sublime dans sa morale, est en
même temps d'une créance bien difficile dans ses mystères. Une Trinité, un
homme-Dieu, cent autres articles de notre foi, c'est où l'esprit se perd, et ce
qui demande la soumission la plus aveugle. Mais prenez garde à la belle
réflexion de Guillaume de Paris, qui convient admirablement à mon sujet. Si
notre raison est droite, dit ce grand évoque, et si elle cherche véritablement
le bien, elle ne laisse pas de trouver dans tous ces mystères un avantage
inestimable. C'est qu'autant qu'ils sont relevés au-dessus d'elle, autant
sont-ils capables de l'élever à Dieu ; c'est qu'ils ont cela de propre et de
merveilleux qu'en captivant nos esprits sous l'obéissance de la foi, ils
perfectionnent nos cœurs par les devoirs de sainteté qu'ils nous imposent ;
c'est que s'ils sont obscurs dans leurs principes, du moins dans leurs
conséquences sont-ils remplis des plus pures lumières de la grâce. En effet, si
je crois l'incarnation divine, quoique je ne la comprenne pas, ne m'est-il pas
ensuite évident que le salut est donc de toutes les affaires la plus
importante, puisque par son importance même il a pu faire descendre du ciel un
Dieu, et l'attirer sur la terre ; que je ne dois donc rien épargner pour ce
salut, après qu'un Dieu, qui n'y était pas intéressé comme moi, s'est toutefois
si peu épargné lui-même pour me l'assurer ; qu'il n'est pas juste que ce salut
ait tant coûté à un Dieu qui, par son infinie miséricorde, a bien voulu s'en
charger, et qu'il ne me coûtât rien, à moi, que ce grand ouvrage regarde
personnellement; que le meilleur, et même le seul modèle que je me puisse
proposer en y travaillant, c'est ce Sauveur qui m'en a enseigné les moyens, et
qui m'en a tracé la voie encore plus par ses exemples que par ses paroles ; par
conséquent, que je dois le suivre en tout, l'imiter en tout, exprimer en moi
toutes ses vertus ;
qu'indépendamment de mon intérêt, la seule reconnaissance
suffirait pour m'attacher un Dieu qui m'a aimé jusqu'à prendre sur lui toutes
mes misères ; et que, par la seule raison de lui marquer mon amour, je devrais
me rendre fidèle à ses ordres, me soumettre à toutes ses volontés, accomplir sa
loi dans toute son étendue et dans toute sa perfection. Remarquez-vous,
Chrétiens, quelles leçons vous lait un seul mystère? que sera-ce de tous les
autres pris ensemble? Et saint Pierre, dans sa seconde Epître, n'avait-il pas
bien sujet de dire que nos mystères ne sont point de ces fables étudiées et
inventées par des esprits profanes, tels qu'étaient les mystères de la gentilité
: Non enim doctas fabulas secuti (1) ; mais que ce sont des mystères
pratiques, qui nous portent à la sanctification de nos mœurs, à la fuite du
péché, à l'accomplissement de toute justice?
Ainsi concluons avec le Prophète
: Lex Domini immaculata; La loi du Seigneur est pure et sans tache.
C'est une loi sainte ; et de quelle sainteté ? suivez ceci. D'une sainteté
solide, qui attaque le vice jusque dans ses racines, jusque dans ses principes
les plus éloignés, et qui établit la vertu sur des fondements stables et
inébranlables. D'une sainteté agissante, qui ne s'en tient ni aux sentiments,
ni aux paroles, mais qui demande des œuvres. D'une sainteté universelle, qui ne
laisse pas échapper un point de la loi, parce qu'il ne faut selon la loi que la
transgression d'un seul point pour nous rendre criminels et dignes d'une
éternelle réprobation. D'une sainteté sage , qui n'exige rien que d'équitable,
que de raisonnable, que de praticable. D'une sainteté courageuse, que les
difficultés n'arrêtent point, que les contradictions n'ébranlent point, que les
plus grands sacrifices n'étonnent point. D'une sainteté patiente, qui dans les
douleurs les plus sensibles, dans les injures les plus piquantes, dans les
accidents les plus fâcheux, dans les disgrâces et les adversités de la vie, se
soutient contre les murmures des sens, contre les saillies de la colère, contre
les emportements de la vengeance, contre l'affliction du cœur et l'abattement
de l'esprit. D'une sainteté religieuse envers Dieu, soumise à Dieu, zélée pour
la gloire de Dieu ; douce et affable à l'égard du prochain , prévenante et
bienfaisante ; toujours attentive sur elle-même ; et sévère pour elle-même;
dégagée de toutes les vues delà chair ; au-dessus de tout intérêt, de toute
fortune, au-dessus de toute ambition, de toute réputation,
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de toute considération humaine; indépendante des caprices et
des humeurs, des aridités et des sécheresses, des ennuis et des dégoûts ; fixe
et immobile dans le devoir, parce que c'est le devoir, et invariablement
adonnée au bien, parce que c'est le bien, et qu'on le doit en tout rechercher.
Telle est, dis-je, mes Frères, la sainteté du christianisme, où par la grâce du
Seigneur nous sommes nés, et où nous avons été élevés. Tels en sont les
caractères ; et si cette peinture vous éblouit, croyez néanmoins, car il est
vrai, que bien loin d'y ajouter un seul trait; il y en a mille que je suis
obligé de supprimer, pour ne pas lasser votre attention.
Or j'avoue, Chrétiens, que de
tous les motifs qui nous font reconnaître la vérité de notre religion, il n'y
en a point qui me touche plus que celui-ci. Saint Augustin disait que plusieurs
choses le retenaient dans l'Eglise de Dieu : Multa me in Ecclesia justissime
retinent. Le consentement des nations à recevoir la foi, l'autorité des
miracles , l'antiquité de la tradition , cette succession d'évêques depuis
saint Pierre , le nom de catholique qu'a toujours porté l'Eglise parmi tant de
schismes et d'hérésies, tout cela le fortifiait puissamment dans la créance
qu'il avait embrassée ; et ce n'était pas certes un esprit frivole, qui se
laissât prendre à de légères apparences, et qui se rendît sans avoir fait
auparavant un sérieux examen. Mais j'ajoute que la sainteté de la loi de
Jésus-Christ a encore quelque chose de plus particulier qui me gagne le cœur.
Car je dis avec l'abbé Rupert : Puisqu'il faut professer une religion, en
puis-je choisir une plus sure que celle que je trouve si bien établie sur le
fondement des vertus, si saintement ordonnée par l'exercice des bonnes œuvres,
si parfaitement dégagée de toutes les impuretés du vice? Une loi comme celle-là
est sans doute l'ouvrage de Dieu, et le démon ne peut rien suggérer de
semblable. Car il a beau se déguiser, remarque Cassien dans la troisième de ses
conférences, cet esprit de ténèbres contrefait bien quelquefois la puissance et
la force de Dieu par des miracles apparents, la sagesse de Dieu par de fausses
révélations, la justice de Dieu par les maux qu'il a causés dans le monde, et
par les effets de sa malignité ; mais il ne peut contrefaire la sainteté et la
pureté des mœurs, ou du moins il ne le peut constamment. Voila le trait
inimitable pour lui dans la loi de Jésus-Christ ; voilà par où elle a toujours
été reconnue.
C'est vous-même, ô mon Dieu, qui
nous l'avez donnée, c'est votre Fils unique qui nous l'a enseignée , et c'est
avec une obéissance fidèle que nous nous soumettons à ce divin législateur,
puisque vous l'autorisez. Il nous propose une loi si pure et si exempte de
reproche, que nous ne pouvons la rejeter. Toute parfaite qu'elle est, nous
aurions tort de nous en plaindre; car elle ne le peut être assez pour honorer
un Dieu aussi grand que vous, aussi saint que vous, aussi parfait que vous. Ce
qui nous confond, Seigneur, c'est que, reconnaissant tant de sainteté dans
cette loi, nous en voyons si peu dans nous-mêmes : de quoi nous rougissons,
c'est d'y être soumis selon l'esprit, et de la professer si mal dans la
pratique ; c'est de n'oser presque nous dire ses sectateurs et ses disciples,
de peur d'en être démentis par nos actions. Ses maximes nous paraissent
terribles, parce qu'elles condamnent toute notre vie ; et en effet, nous
n'ignorons pas que c'est selon cette loi que nous serons jugés, qu'il ne nous
est plus désormais possible de la récuser, et qu'il ne sera jamais vrai de dire
de nous ce que saint Paul disait des infidèles : Quicumque enim sine lege
peccaverunt, sine lege peribunt (1). Ce n'est plus comme eux sans loi que
nous péchons : nous en avons une ; et le même Sauveur qui nous l'a apportée du
ciel dans la plénitude des temps, et qui pour cela est venu parmi nous et s'est
abaissé jusqu'à nous, reviendra à la fin des siècles dans tout l'appareil de sa
justice et dans tout l'éclat de sa majesté, pour nous en demander compte.
Voilà, mon Dieu, ce qui nous rend cette loi d'autant plus redoutable qu'elle
est plus sainte. Mais quelque redoutable qu'elle soit pour nous, nous ne
laissons pas de conclure qu'elle est digne de vous; et nous le concluons par la
raison même qui nous la fait craindre. Car étant pleins d'iniquité comme nous
le sommes, il faut pour être sainte, qu'elle nous soit directement opposée ; et
dès qu'elle s'accommoderait avec nous, ce ne serait plus qu'une loi de désordre
et de corruption. Si là-dessus nous sommes trompés, ô mon Dieu, permettez-moi
de vous le dire après un de vos plus zélés serviteurs, ce serait vous qui nous
auriez jetés dans l'erreur; vous seriez responsable de nos égarements, et c'est
à vous que nous aurions droit de nous en prendre , parce que dès là qu'une
religion est toute sainte, elle porte le caractère de votre divinité. Oui, je
le dis, mon Dieu : quand ma créance ne serait pas aussi constamment vraie
qu'elle l'est j'aurais toujours de quoi me consoler sur ce
74
qu'elle est sainte ; et je me flatterais toujours d'avoir
pris le parti de la vérité, en prenant celui de la sainteté. Je me reposerais
toujours sur ce que votre providence, à qui il appartient de me conduire, ne
m'aurait rien fait paraître de meilleur; et sur ce que toutes les autres voies
conduisant au libertinage, celle-là seule que j'ai suivie me retiendrait dans
le devoir, et me porterait à la pratique de toutes les vertus. Non-seulement je
ne craindrais pas que votre justice me punît pour avoir embrassé une profession
si sainte, mais j'espérerais que s'il y a des récompenses à attendre, elles
seraient pour moi, parce qu'il n'y a que l'innocence du cœur et l'exercice de
la vertu qui puissent nous approcher de vous, et qui doivent être couronnés de
votre gloire. Or, je les trouve parfaitement dans la religion de mon Sauveur,
doutons, Chrétiens, cet avantage, et entrons dans le sentiment de saint Pierre
: Etiamsi oportuerit me mori, non te negabo (1) ; Non , Seigneur,
fallût-il endurer la mort, je n'abandonnerai jamais votre loi ; car c'est la,
et nulle part ailleurs, qu'est mon repos, ma perfection, ma félicité. Hors de
là, mon esprit serait toujours flottant, ma vie toujours déréglée ; je n'aurais
point de fin qui terminât mes espérances, ni rien de solide pour arrêter mes désirs.
C'est donc à la sainte loi de Jésus-Christ que je dois et que je veux
inviolablement m'attacher ; j'y reconnais l'œuvre de Dieu, non-seulement par sa
sainteté : Lex Domini immaculata ; mais par la force surnaturelle et
toute divine, qu'elle a fait voir dans son établissement et dans la conversion
du monde : Convertens animas. Nouvelle attention, s'il vous plaît, à
cette seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Le plus sage des hommes ,
Salomon, estima autrefois que trois choses dans le monde étaient d'une
recherche très-difficile, mais qu'il y en avait une quatrième absolument
impénétrable à l'esprit humain, savoir, la route d'un vaisseau voguant sur la
mer : Tria sunt difficilia mihi, et quartum penitus ignoro, viam navis in
mari (2). Vous serez étonnés, Chrétiens, de l'interprétation que donne
saint Ambroise à ce passage ; mais autant qu'elle lui est particulière, autant
est-elle ingénieuse et solide. Ce vaisseau, dit-il, c'est l'Eglise, dont la
barque de saint Pierre a été la ligure; et la roule de ce vaisseau voguant sur
la mer, c'est le chemin qu'a tenu l'Eglise pour s'établir au milieu des orages
et
des persécutions. En effet, ajoute ce saint docteur, je ne
vois rien qui me surprenne davantage ; et quand je considère toutes les
circonstances, tous les principes, tous les moyens, tous les obstacles, tous
les succès de cet établissement, je découvre d'une manière si sensible la force
et la vertu de Dieu, que je ne puis m'empêcher de la publier, et de m'écrier: Et
quartum penitus ignoro, viam navis in mari.
Tous les Pères ont été éloquents
sur ce point, et ils ont employé leurs plus belles lumières pour nous en donner
quelques idées; mais du reste ils ont reconnu que cette matière était au-dessus
d'eux. Ne laissons pas néanmoins de recueillir quelques-uns de leurs
raisonnements : et pour entrer d'abord dans un si grand sujet, de quoi
s'agissait-il , mes chers auditeurs , quand Jésus-Christ à l'âge de trente ans,
après une vie obscure et cachée, voulut enfin se manifester au monde et y vint
prêcher une loi toute nouvelle ? Que prétendait-il ? la chose étonnante! Il ne
s'agissait pas moins que de faire un monde tout nouveau ; que d'abolir des
superstitions plus anciennes que la mémoire des hommes, à qui les peuples
tenaient tout leur bonheur attaché , qu'ils conservaient comme l'héritage de
leurs pères, pour lesquelles ils combattaient avec plus d'ardeur que pour leur
propre vie, dont ils faisaient les fondements de leurs républiques et de leurs
Etats. Il fallait les faire renoncer à des erreurs que l'usage presque de tous
les siècles avait autorisées, qui se trouvaient appuyées de l'exemple de toutes
les nations, qui favorisaient tous les intérêts de la nature, et dont la
possession ne pouvait être troublée sans troubler presque l'univers. Voilà ce
qu'il fallait ruiner : mais qu'était il question d'établir? une loi austère et
incommode, une foi aveugle, une religion contraire à toutes les inclinations de
la chair. Quelle entreprise ! et que fallait-il pour en venir à bout? il fallait
s'exposer à avoir toutes les puissances de la terre pour ennemies, la sagesse
des politiques, l'autorité des souverains, la cruauté des tyrans, le zèle des
idolâtres, l'impiété des athées.
Si donc, demande là-dessus saint
Augustin , Jésus-Christ, avant que de taire la première démarche , et d'en
venir à l'exécution de cette grande affaire, en eût communiqué avec un des
philosophas de ce temps-là, homme de sens et de conseil, et qu'il se lût ouvert
à lui de cette sorte : Je veux, malgré toutes ces contradictions , introduire
ma doctrine dans
le
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monde ; je veux qu'elle y soit reçue, qu'elle y fleurisse,
qu'elle y règne, qu'elle se répande partout. Et parce que Rome est la maîtresse
de l'univers, c'est là particulièrement que je me suis proposé de l'établir.
C'est cette fameuse et superbe ville que je choisis dès à présent pour en faire
le centra de ma religion, et du siège qu'elle est de l'empire , le siège
principal de mon Eglise. Toutes sortes de divinités y habitent, comme dans leur
domicile et dans leur temple; je prétends les en chasser et y dominer seul.
Qu'eût répondu à ce langage, et qu'eût pensé de ce projet un sage du siècle?
Mais si le même Jésus-Christ lui eût ajouté que, pour accomplir tout cela, il
ne voulait user d'aucun des moyens que la prudence humaine a coutume de fournir
pour ces grands et importants desseins, qu'il ne faisait aucun fond, ni sur le
crédit, ni sur les richesses, ni sur la doctrine, ni sur l'éloquence; et que
pour tout secours, il destinait à la publication de sa loi douze pauvres
pêcheurs, sans lettres, sans science, sans appui : encore
une fois, dit saint Augustin, ce philosophe n'eût-il pas traité cette
entreprise de chimère et de folie ? Voilà cependant ce qui s'est fait,
Chrétiens, et c'est la merveille que nous voyons. C'est ce qu'ont admiré tous
les grands hommes du monde, lorsqu'ils se sont appliqués à le considérer bien
attentivement et sans préoccupation.
C'est ce qui faisait dire à Pic de la Mirande que c'était une
insigne folie de ne pas croire à
l'Evangile : Magna insania est
Evangelio non credere ; et c'est encore par la même raison que saint
Augustin, avec une subtilité admirable, réfutait certains hérétiques qui
doutaient de la résurrection des morts. Le Fils de Dieu, leur disait-il, a
prédit que les corps devaient ressusciter, cela vous paraît incroyable; mais en même temps il a
prédit une autre chose qui semble encore être moins croyable, qui est que ce mystère incroyable de la résurrection serait ci h par tout le
monde. De ces deux choses incroyables selon les apparences, celle qui devait
être la moins crue est déjà arrivée, car on croit par toute la terre que les
hommes ressusciteront un jour : pourquoi donc, concluait-il, ne croiriez-vous
pas l'autre que vous jugez être moins incroyable que celle-là, savoir, la
résurrection même ?
Il n'y a que la loi de
Jésus-Christ qui se soit établie par des principes où toute la raison de
l'homme se perd, et où il faut nécessairement avoir recours à une vertu
supérieure. C'est elle seule, dit saint Jérôme, qui s'est maintenue dans les
persécutions : Sala in persecutionibus stetit Ecclesia ; elle seule, pour qui le sang de
ses sectateurs ait
été , selon le mot de Tertullien, comme une semence
féconde : Sanguis martyrum semen christianorum. Dieu nous
avait lui-même représenté ce
miracle de la propagation du christianisme dans les Hébreux esclaves, dont
l'Ecriture a marqué que plus les Egyptiens s'efforçaient de les opprimer afin
d'éteindre leur race, et plus ils croissaient en forces et en nombre, sans
faire autre chose que de souffrir : Quanta opprimebant eas, tanto magis
multiplicabantur et crescebant (1). Quel souvenir, Chrétiens, je me
rappelle, et quelle scène, pour ainsi parler, s'ouvre devant mes yeux ! Je vois
tout l'univers conjuré contre Jésus-Christ et contre sa loi ; l'enfer lui
suscite de toutes parts des ennemis pour la détruire, les empereurs donnent des
édits, les magistrats prononcent des arrêts, les bourreaux dressent des
échafauds et des bûchers; et que fera, pour résister à de si violents efforts
et pour soutenir de si affreuses tempêtes, une petite troupe de gens livrés
comme des victimes au pouvoir de leurs persécuteurs? Ah ! Seigneur, s'ils ne
peuvent rien faire par eux-mêmes, vous ferez tout pour eux ; et c'est là que
vous emploierez cette force divine, qui ne paraît jamais avec plus d'éclat que
dans notre infirmité. Si votre loi était moins violemment attaquée, ou si elle
avait de plus puissants défenseurs, il y aurait moins lieu de croire que vous en avez été le
soutien, et de conclure que vous en êtes l'auteur. II faut que tous les grands
de la terre conspirent contre elle ; il faut que ceux qui la défendent, bien
loin de prendre le glaive pour frapper, n'aient pas même, selon l'ordre que
vous avez porté, un bâton à la main ; il faut enfin que, destituée de toute
assistance de la part des hommes, abandonnée en quelque sorte à elle-même et à
toute sa faiblesse, elle triomphe néanmoins, et qu'elle fasse tout plier sous
son obéissance. Il le faut, afin que tous les peuples connaissent que c'est
votre loi, et qu'ils l'embrassent. Or, qui peut en effet ne le pas reconnaître
à ce prodigieux événement? tout se déchaîne contre les prédicateurs de la foi,
et contre leurs disciples : on les lie, on les charge de chaînes, on les
enferme dans des cachots, on les attache à des croix, on les étend sur des
roues, on les fait périr par la faim et par la soif, par le fer et par le feu,
par tous les tourments ; et toutefois la loi qu'ils professent subsiste, se
répand,
76
fait tous les jours de nouvelles conquêtes, passe jusqu'aux
extrémités du monde, entraîne tout, soumet tout, se fait recevoir et respecter
partout : Quanto opprimebant eos, tantn magis multiplicabantur et crescebant.
Que dis-je ? de ses ennemis mêmes elle fait ses propres sujets. Ceux qui la
poursuivaient avec plus d'ardeur pour l'anéantir, deviennent les plus zélés à
maintenir ses intérêts, à se déclarer pour elle, et à lui obéir. Elle gagne
jusqu'aux bourreaux, jusqu'aux tyrans, jusqu'aux têtes couronnées : Tanto
magis multiplicabantur et crescebant.
De quoi parlons-nous, mes chers
auditeurs? Est-ce des succès de l'Eglise naissante, lorsqu'elle était encore
dans sa force et dans toute la vigueur de son premier esprit ? Faut-il remonter
si haut, et ne sommes-nous pas encore aujourd'hui témoins de ce miracle? Tous
les autres ont cessé, parce que la foi, dit saint Grégoire, a pris d'assez
fortes racines, pour n'avoir plus besoin de ces secours extraordinaires ; mais
la Providence a voulu conserver le miracle de la propagation de l'Evangile,
parce qu'il devait être le caractère de la vraie religion. Nous le voyons ; et
comme saint Jérôme se conjouissait autrefois avec une dame romaine de ce que le
Sérapis d'Egypte était devenu chrétien, de ce que les froids de la Scythie
brûlaient des ardeurs de la foi, de ce que les Huns avaient appris à chanter
les louanges de Dieu : Hunni psalterium canere norunt; ainsi, pour peu
que l'esprit de notre religion nous anime, et que nous y prenions autant
d'intérêt que le devoir et le zèle nous y engagent, nous pouvons bénir le ciel
de ce que dans ces derniers temps l'Eglise a fait peut-être de plus grands
progrès qu'elle n'en lit jamais depuis sa fondation ; de ce qu'elle s'est
rendue maîtresse de tout un nouveau monde ; de ce que les barbares du
septentrion, quittant leurs superstitions brutales, ont reçu sa sainte police ;
de ce que les peuples les mieux civilisés de l'Orient et les plus attachés à
leurs lois s'offrent tous les jours en foule pour se soumettre aux siennes ; de
ce que les idolâtres sont venus, des régions les plus éloignées, reconnaître
jusque dans Rome sa monarchie universelle; de ce que le plus grand empire de
l'univers, contre ses maximes fondamentales, lui a enfin ouvert ses portes; de
ce que sans cesse on y voit naître des Eglises florissantes en vertus et en
mérites.
Et comment tout cela se fait-il?
c'est le prodige , Chrétiens, que l'on
vous a cent fois représenté, que vous avez cent fois admiré, et dont la sagesse
humaine doit nécessairement convenir : par les moyens en apparence les plus
faibles; par des moyens qui non-seulement semblent n'avoir nulle proportion
avec les succès que nous admirons, mais qui y paraissent tout opposés; parles
mêmes moyens que Jésus-Christ a employés, et qu'il nous a laissés en héritage,
je veux dire par les croix, les souffrances, les affronts, les emprisonnements,
la mort ; par tout ce qu'ont enduré et tout ce qu'endurent actuellement tant
d'hommes apostoliques. Avec de telles armes ils ont surmonté toute la
résistance de l'enfer, ils ont triomphé de l'idolâtrie, détruit les temples des
faux dieux, dompté l'orgueil des nations, converti des millions d'infidèles :
ou plutôt est-ce à eux qu'on doit attribuer de pareils changements? n'est-ce
pas à la loi même qu'ils annoncent? et d'où lui peut venir cette force, que de
Dieu ?
C'est sur cela que le Prophète,
éclairé d'en-haut et inspiré de Dieu, s'adressait à l'Eglise sous le nom de
Jérusalem, et qu'il la félicitait en des termes si magnifiques : Surge,
illuminare, Jerusalem, quia gloria Domini super te orta est (1) ;
Levez-vous, et montrez-vous à toute la terre, heureuse Jérusalem ; car le
Seigneur vous a couronnée de sa gloire, et revêtue de sa force toute-puissante.
Leva in circuitu oculos tuos, et vide (2); Jetez les yeux autour de
vous, et voyez tous les peuples assemblés auprès de vous et humiliés devant
vous. Ils sont venus de toutes les parties du monde, pour se soumettre à votre
empire. En voilà de l'orient, et en voilà de l'occident; en voila du
septentrion, et en voilà du midi. Il
n'y a point de région si éloignée, point de contrée qui ne reconnaisse votre
suprême domination : Omnes isti congregati sunt, venerunt tibi (3). Ah !
glorieuse mère, ce ne sont point seulement des sujets qui viennent vous rendre
hommage ; ce sont vos enfants, ce sont les fruits de votre fécondité
miraculeuse : ouvrez votre sein pour les recevoir : Filii tui de longe venient,
et filiœ tuœ de latere surgent (4). Quelle multitude, quelle affluence! que
de triomphes et que de conquêtes! que de consolations pour votre cœur! Jouissez
de vos succès, et glorifiez le souverain Maître, dont la grâce victorieuse
s'est fait sentir au delà des mers, et a opéré en votre faveur toutes ces
merveilles : Tunc videbis et afflues, et mirabitur et dilatabitur cor tuum,
quando
77
conversa fuerit ad te multitudo maris, fortitudo gentium
venerit tibi (1).
Je le répète, mes chers
auditeurs, il n'y a que la religion de Jésus-Christ qui porte avec soi ce
caractère de vérité. Car qui ne sait pas comment les hérésies se sont répandues
dans le monde; que c'a presque toujours été par la violence, par le fer et par
le feu, secouant le Joug d'une obéissance légitime, et portant de toutes parts
la désolation? Qui ne sait pas comment se sont établies les religions païennes;
que c'a été par la licence des mœurs qu'elles fomentaient, accordant tout à la
nature corrompue, et consacrant jusques aux plus honteux désordres? En voulez-vous la preuve? observez ceci :
c'est que les sectes de philosophes qui s'élevèrent contre les vices , et qui
se proposèrent de les corriger,
échouèrent toutes dans un semblable dessein.
Elles ont lait un peu de bruit, et rien de plus ; pourquoi? parce que
d'un coté ces sages du siècle ne l'accommodaient pas aux inclinations vicieuses
et naturelles des hommes, et que de l'autre ils n'avaient rien au-dessus de
l'homme : et si pour cela, dit le cardinal Pierre Damien, que toute leur
suffisance s'est évanouie en présence de Jésus-Christ, dont la sagesse a été comme la verge d'Aaron, qui
a dévoré toutes (elles des magiciens d'Egypte. Ces grands génies, ajoute saint
Augustin, qui furent les maîtres de la philosophie, sitôt qu'ils se sont
approchés de Jésus-Christ ont disparu. Aristote a dit ceci, Pythagore a dit
cela, Zenon a été de ce sentiment : mais mettons-les en parallèle avec l'Homme-Dieu;
comparez leur autorité avec,
celle de l'Evangile, et cette comparaison les effacera tous. Tandis que vous les considérez seuls,
ce qu'ils disent vous paraît quelque chose : mais lorsque vous leur opposerez
la doctrine évangélique, vous ne trouverez plus que vanité dans leur morale.
Aussi, disait saint Jérôme, qui est-ce qui lit aujourd'hui les livres de ces
philosophes? A peine voyons-nous les plus oisifs s'y arrêter; au lieu que la
doctrine de Jésus-Christ est prêchée par tout le monde , et que tout le monde
parle de la loi que de pauvres pécheurs ont publiée : Rusticanos vero piscatores
miseras, totus orbis loquitur, universus mundus sonat.
Quelle conclusion, Chrétiens! car
il est temps de finir, et mon sujet me conduirait trop loin si j'entreprenais
de le développer dans toute son étendue. Mais eu finissant, je ne dois pas
omettre quelques conséquences que je vous
prie de ne pas perdre, et qui seront autant d'instructions
pour vous et pour moi. Je les réduis à quatre, et je les comprends en quatre
mots : reconnaissance, étonnement, réflexion, résolution. Appliquez-vous.
Reconnaissance, et envers qui? pouvons-nous l'ignorer, Seigneur, et ne
serait-ce pas la plus monstrueuse ingratitude, si jamais nous venions à
méconnaître le plus grand de vos bienfaits? Soyez-en donc éternellement béni, ô
mon Dieu! c'est vous, et vous seul, qui avez formé cette Eglise, où nous
devions trouver le salut; vous qui l'avez enrichie de vos dons, vous qui l'avez
animée de votre esprit, vous qui lui avez révélé vos vérités, vous qui lui avez
confié votre loi : tout cela pour nous retirer des ombres de la mort, où le
monde était enseveli, et pour nous conduire à la vie bienheureuse où il vous a
plu, par une bonté inestimable, de nous appeler. Grâce générale : mais ce que
nous regardons encore comme une grâce beaucoup plus particulière et plus
précieuse, c'est vous-même, mon Dieu, qui, dans ce christianisme où nous avons
eu le bonheur de naître, nous avez choisis, nous avez spécialement éclairés,
nous avez enseigné vos voies, nous avez pourvus des secours les plus abondants
pour y marcher. Sans ce choix de votre part et sans cette prédilection toute
gratuite, que serions-nous devenus, et en quelles ténèbres serions-nous
plongés? Nul autre que vous, Seigneur, n'a pu faire de nous ce discernement
favorable, qui nous distingue de tant de nations infidèles; et prévenus du
sentiment de notre indignité, nous ne nous tenons redevables d'un tel avantage
qu'à votre infinie miséricorde.
Etonnement : de quoi? Ne le
voyez-vous pas, mes chers auditeurs, et n'est-il pas en effet bien étonnant que
la foi, dès la naissance du christianisme, ait converti le monde entier, et que
maintenant, avec la même vertu , elle ne nous convertisse pas? c'est-à-dire
qu'elle ait fait passer le monde entier de l'idolâtrie au culte du vrai Dieu,
et que jusque dans le sein de l'Eglise elle ne ramène pas tant de pécheurs à
Dieu, elle ne les fasse pas revenir de l'état du péché au service de Dieu, elle
ne les rende pas pénitents devant Dieu, et plus fidèles, plus zélés dans
l'observation de la loi de Dieu. Voilà sur quoi Dieu veut que nous soyons
nous-mêmes nos prédicateurs, et que nous nous parlions a nous-mêmes. N'est-il
pas étonnant qu'une loi si efficace pour tant d'autres le soit si peu pour moi!
car quel changement, quel retour, quelle réformation de vie a-t-elle opéré
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dans toute ma conduite? et quand j'aurais le malheur d'être
né dans les ténèbres du paganisme, serais-je plus mondain , plus voluptueux que
je ne le suis? me porterais-je à de plus honteux excès , et vivrais-je dans un
plus grand dérèglement de mœurs? N'est-il pas étonnant qu'une loi qui a humilié
les monarques et les potentats du siècle, qui leur a inspiré le mépris de
toutes les pompes humaines, n'ait pas encore modéré cette ambition démesurée
qui me consume, ni effacé de mon cœur ces vaines idées de gloire, de fortune,
d'agrandissement, qui m'occupent sans relâche, et à quoi je sacrifie si souvent
ma conscience et mon salut? N'est-il pas étonnant qu'une loi qui a fait
embrasser la pauvreté évangélique à tant de riches, et qui, par un renoncement
parlait aux biens temporels, les a dépouillés de tout ce qu'ils possédaient,
n'ait pas encore éteint jusqu'à présent cette ardente cupidité qui me brûle, et
ce désir insatiable d'amasser, d'accumuler, d'avoir? Que dirai-je de plus , et
cesserais-je de trouver des reproches à me faire , si j'en voulais parcourir
tous les sujets? N'est-il pas étonnant qu'une loi qui a donné à tant de
généreux chrétiens assez d'assurance et de fermeté pour se déclarer en présence
des magistrats, et pour paraître devant leurs tribunaux, ne m'ait point encore
affranchi de l'esclavage où me tient une honte lâche et criminelle , lorsqu'il
faut faire une profession ouverte d'être à Dieu , et m'élever au-dessus des
discours du monde? Il s'agissait pour ceux-là, en se faisant connaître, de
perdre la vie, et ce danger ne les arrêtait pas : il n'est question pour moi
que de quelques paroles que j'aurai à essuyer, et je demeure?N'est-il pas
étonnant qu'une loi qui a soutenu tant de martyrs dans les ennuis de l'exil,
dans les rigueurs de la captivité, dans l'horreur des plus cruels supplices, ne
m'ait pas encore formé à supporter quelques adversités avec patience, ne m'ait
pas encore appris à pratiquer quelques exercices de la pénitence, ne m'ait pas
encore fait observer les devoirs de ma religion avec plus de fidélité et plus
de constance? Voilà, dis-je, ce qui nous doit jeter dans l'étonnement, et
n'est-il pas bien fondé? Ah! Chrétiens, que pouvons-nous là-dessus nous dire à
nous-mêmes pour notre justification, et que dirons-nous a Dieu? Mais ce n'est
pas tout.
Réflexion. Que nous sert-il de professer
une loi dont la vertu est toute-puissante, lorsqu'à notre égard elle se trouve
inutile et sans effet? De quel avantage est-il pour nous que cette loi ait
triomphé de toutes les puissances du siècle et de l'enfer, si elle ne triomphe
pas de nos faiblesses? Ces miracles, ces prodiges, ces conversions, qu'est-ce
que tout cela, que notre confusion , que notre conviction , que notre
condamnation? Eh! mes chers auditeurs, ne comprendrons-nous jamais de si
importantes vérités? La loi chrétienne a le pouvoir de nous convertir et de
nous sanctifier, c'est un point de foi ; si donc elle ne le fait pas, ce n'est
point à elle que nous pouvons l'imputer, puisqu'elle a fait quelque chose de
plus grand. Non-seulement la loi chrétienne peut nous convertir et nous sanctifier,
mais il est nécessaire qu'elle nous convertisse en effet et nous sanctifie. Je
dis doublement nécessaire : en premier lieu, parce que nous ne pouvons être
vraiment convertis et sanctifiés que par elle ; en second lieu, parce que sans
la conversion et sans la sanctification de notre vie, nous ne pouvons être
sauvés. Enfin la loi chrétienne ne nous convertira et ne nous sanctifiera
jamais, tandis qu'une autre loi nous gouvernera, parce qu'étant une loi divine,
elle veut être seule et absolue dans les sujets qui la reconnaissent et qu'elle
conduit. Par conséquent, nous aurons beau prétendre accorder cette loi de Dieu
avec les lois du monde, son esprit avec l'esprit du monde, ses maximes avec les
maximes du monde; c'est un mystère que les saints n'ont jamais compris, c'est
un secret que l'Evangile ne nous enseigne point, c'est une illusion qui perd
une infinité de demi-chrétiens, et qui nous perdra. Non, nous n'avons qu'un
Maître à écouter, qui est Jésus-Christ. Si nous en écoutons d'autres avec lui ;
si nous voulons, après avoir senti les mouvements de sa grâce dans le fond du
cœur, après avoir entendu sa doctrine par la bouche des prédicateurs, après
avoir reçu ses conseils par la voix des directeurs, prêter encore l'oreille au
monde qui veut avoir part à toutes nos actions, et qui voudrait même régler
jusqu'à nos plus saintes pratiques et à nos dévotions, dès là nous détruisons
d'une main ce que nous bâtissons de l'autre, et nous faisons un partage que
Dieu réprouve.
Résolution. Puisque la loi
chrétienne a tant d'efficace et tant de force, laissons-la désormais agir, et
n'arrêtons plus sa vertu ; secondons-la par une pleine correspondance, et
déterminons-nous à vivre comme elle nous le prescrit. Bientôt nous éprouverons
ce qu'elle peut, et nous verrons où elle nous conduira. Quel progrès
n'aurions-nous point fait jusqu'à présent si nous l'avions suivie, et où ne
nous aurait-
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elle pas élevés? Ce qui nous paraît impossible, parce que noua
le mesurons par nos propres forces, nous ramions généreusement entrepris et heureusement
exécuté, parce qu'elle nous aurait soutenus. C'est, mon Dieu , ce que vous me faites
aujourd'hui connaître, et ce qui m'inspire la résolution que je forme de m'abandonner
sans retour à votre loi. Qu'elle ordonne, j'obéirai ; qu'elle m'intime vos
volontés, je les accomplirai ; qu'elle me trace la voie, j'y marcherai. Elle
est étroite, il est vrai, cette voie, elle est semée d'épines; mais, par la force
de la loi que j'aurai pour guide et pour soutien , je surmonterai toutes les
difficultés. Les épines, dès cette vie, se changeront en fleurs ; ou du moins,
après les travaux de cette vie, j'arriverai au bienheureux terme du repos
éternel. Ainsi soit-il.