SERMON POUR LE VINGT-TROISIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LE DÉSIR ET LE DÉGOÛT DE LA COMMUNION.
ANALYSE.
Sujet. Elle disait en elle-même : Si je puis seulement
toucher sa robe, je serai guérie.
La
seule robe de Jésus-Christ guérit cette femme affligée d'une longue infirmité :
que ne peut point à plus forte raison pour la sanctification de nos âmes cet
adorable sacrement, où nous recevons Jésus-Christ même par la communion ?
Division. Deux sortes de dispositions, ordinaires dans le
christianisme, à l'égard de la communion : désir et dégoût. Nous avons besoin
d'instruction sur l'un et sur l'autre. Désir de la communion : première partie
; dégoût de la communion : deuxième partie.
Première
partie. Désir de la communion. 1°
Motifs de ce désir; 2° avantages de ce désir; 3° règles de ce désir.
1°
Motifs de ce désir. Ils se réduisent tous à un motif général où ils sont
renfermés, savoir : que toute âme chrétienne doit désirer souverainement et
par-dessus toutes choses d'être unie à Jésus-Christ, puisque c'est en
Jésus-Christ qu'elle trouve tous les biens. Or, c'est la communion qui nous
unit réellement et substantiellement à Jésus-Christ. Mais ce désir de la
communion peut-il convenir à un pécheur dans l'état actuel de son péché? Oui :
car tout exclu qu'il est de la sainte table par son péché, il peut néanmoins
désirer d'y être rétabli, non point avec son péché, mais après s'être lavé et
purifié de celte tache. l'Ius
même un homme est pécheur, plus il doit désirer la communion, de la manière que
je le viens d'expliquer; parce que plus il est pécheur, pins il est malade et
faible, et qu'il doit par conséquent plus désirer ce qui peut le guérir et le
fortifier.
2°
Avantages de ce désir. 1° C'est la première disposition à la communion, quoique
ce ne soit pas une disposition suffisante. Le sacrement de Jésus-Christ est une
viande, et une viande ne profite jamais mieux que lorsqu'on la mange avec
appétit. Jésus-Christ se tient honoré de ce désir, puisque c'est une marque de
l'estime que nous faisons de ce saint aliment qu'il nous offre. 2° C'est le
principe et comme le mobile de toutes les autres dispositions. Car voulant
communier et ne voulant pas d'ailleurs communier indignement, je me trouve
engagé par là à ne rien négliger de tout ce qui me peut disposer à une bonne
communion. Abus de notre siècle : Au lieu d'exciter ce désir dans les âmes, ou
travaille à l'y éteindre, et delà vient que l'usage de la communion est si
négligé par la plupart des chrétiens.
3°
Règles de ce désir. Il faut que ce soit un désir humble, un désir éclairé ou
demandant à l'être, un désir prudent et sage, docile
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et soumis, en un mot un désir chrétien, et non point un
désir présomptueux, aveugle, précipité, volage, opiniâtre et entêté. Déjà que
ce désir aura les qualités convenables, conservons-le, quoi qu'on puisse nous
dire pour l'amortir en nous et nous le faire
perdre.
Deuxième
partie. Dégoût de la communion. Il y
a un dégoût de la communion qui vient de Dieu, et il y en a un qui vient de
nous-mêmes et de notre fonds. L'un n'est qu'une épreuve de Dieu, ou qu'un
châtiment passager de Dieu, et ce n'est point de quoi il s'agit ici; mais
l'antre procède d'une mauvaise disposition de notre cœur, et c'est de cette
sorte de dégoût qu'il est question Voyons-en : 1° le principe, 2° les suites
funestes, 3° les remèdes.
1°
Principe de ce dégoût. C'est le relâchement de la vie. On quitte ces exercices
de piété, on ne veut plus tant se faire de violence, ni tant veiller sur soi ;
on s'accoutume à une vie sensuelle et délicate, à une vie dissipée et mondaine
: on l'aime, et tout ce qui est capable de la troubler devient insupportable.
De là donc l'on conçoit de l'éloignement pour la communion, parce qu'elle
demande une autre vie que celle-là Pourquoi tant de communions? dit-on. On se
retire de la sainte table, et l'on se met ainsi plus au large. On parlait et
l'on agissait tout autrement à ces temps d'une ferveur chrétienne, où l'on était
animé de l'Esprit de Dieu.
2°
Suites de ce dégoût. Comme le relâchement de la vie porte au dégoût de la
communion, le dégoût de la communion. parle retour le
plus naturel, mais le plus funeste, porte à un nouveau relâchement de vie. Car
ce dégoût éloigne de la communion; et moins on communie, moins on a de grâces,
moins on a de forces, moins on a de vigilance, d'attention sur soi-même, de
zèle pour son avancement, et par conséquent plus on se relâche. Voilà comment
on a vu des personnes dans les plus saintes sociétés se dérégler, et comment on
a vu les sociétés elles-mêmes tout entières se démentir, et devenir le scandale
de la religion.
3°
Remèdes de ce dégoût. 1° S'appliquer à bien comprendre le principe et les
suites malheureuses du dégoût où l'on est tombé, et se faire là-dessus à
soi-même d'utiles reproches; 2° ne point suivre le dégoût où l'on se trouve, et
agir même contre ce dégoût; 3° se confier à un directeur dont la conduite soit
à couvert de tout soupçon, et prendre ses avis; 4° avoir recours à Dieu même,
et lui demander instamment qu'il fléchisse notre cœur et l'attire à lui.
Dicebat enim intra se : Si
tetigero tantum vestimentum ejus, salva ero.
Elle
disait en elle-même : Si je puis seulement toucher sa robe, je serai guérie. (Saint
Matth., chap. IX, 21.)
C'est le juste raisonnement de
cette femme, affligée d'une longue infirmité qui l'avait réduite dans une
extrême langueur, et dont elle souhaitait d'être guérie. Témoin des miracles
qu'opérait le Sauveur du monde, elle conclut qu'il ne serait pas moins puissant
pour elle que pour les autres, et qu'elle n'en devait pas moins attendre de
secours. Elle porta encore sa confiance plus loin, et ne crut pas même
nécessaire d'exposer à cet Homme-Dieu sa peine, de
lui adresser sa prière, ni qu'il prononçât en sa faveur une seule parole; car,
dit-elle le voyant au milieu d'une foule de peuple qui l'environnait de toutes
parts : Si je puis seulement pénétrer jusqu'à lui, et si j'ai le bonheur de
toucher le bord de sa robe, c'est assez : j'éprouverai bientôt les effets de
cette divine vertu dont il donne tous les jours de si éclatants témoignages : Si
tetigero tantum vestimentum ejus, salva ero (1). Elle ne se
trompa pas, Chrétiens : ses espérances furent remplies, le Fils de Dieu
répondit à son attente, et vous savez combien, en lui rendant la santé du
corps, il loua hautement et releva le mérite de sa foi : Confide,
filia; fides tua te salvam fecit (2). Or, si les
seuls vêtements de Jésus-Christ eurent une telle efficace, que ne peut point
pour la sanctification de nos âmes cet adorable sacrement où nous recevons
Jésus-Christ même présent en personne; où sa chair sacrée, son sang précieux,
nous servent de
nourriture et de breuvage ; où, par l'union la plus réelle
et la plus intime, il demeure en nous, et nous communique en quelque manière
tout son être et toute sa divinité 1 N'est-il donc pas bien surprenant, mes
Frères, qu'au lieu de le chercher avec plus d'empressement encore et plus
d'ardeur que ne le chercha cette malade de notre évangile, nous nous tenions si
longtemps éloignés de lui; qu'étant sujets à tant de faiblesses, et ne pouvant
ignorer nos infirmités spirituelles et nos besoins, nous ayons si peu recours
au remède le plus prompt et le plus puissant; que la participation du corps de
notre Dieu qui nous est permise et où nous sommes invités, que l'usage de la
communion nous devienne si rare, et que nous imaginions autant de prétextes
pour nous en retirer, que nous devrions marquer de zèle pour en approcher?
C'est l'abus que je voudrais corriger dans le christianisme, et que
j'entreprends aujourd'hui de combattre, après que nous aurons demandé les
lumières du Saint-Esprit, et que nous aurons salué Marie, en lui disant : Ave,
Maria.
Entre les différentes
dispositions où nous sommes à l'égard du sacrement de Jésus-Christ et de
l'usage que nous en devons faire, il y en a deux auxquelles je m'attache dans
ce discours, et dont j'ai dessein de vous entretenir: l'une est le désir de la
communion, et l’autre le dégoût de la communion. Désir de la communion,
directement contraire à ce mortel dégoût où tombent tant d'âmes mondaines, et
qui leur fait négliger l'aliment le plus salutaire, et ce pain de vie descendu
du ciel, pour
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être sur la terre notre soutien
dans les voies de Dieu. Dégoût de la communion, non moins formellement opposé à
ce saint désir dont les anus chrétiennes et pieuses
sont animées, et qui en fut toujours le vrai caractère. Prenez garde, mes chers
auditeurs : ce n'est point précisément de la fréquente communion que je viens
vous parler. Je vous en ai déjà fait voir les avantages, et bien d'autres avant
moi vous les ont représentés. Mais ce que je viens examiner avec vous, ce sont
les deux principes à quoi nous pouvons communément attribuer, ou la piété des
uns que nous voyons communier souvent, ou la négligence des autres qui
communient si rarement. Parce que ceux-là sont touchés d'un certain goût pour
la communion, parce qu'ils s'y sentent portés d'un désir secret qui les y
attire, ils ne manquent nulle occasion de se présenter à la table du Seigneur,
et se feraient une des plus sensibles peines d'en être privés. Et comme
ceux-ci, ou par la dissipation du monde qui leur dessèche le cœur, ou par une
passion particulière qui les possède, ont perdu tout, sentiment de piété, et
que cette viande céleste dont ils devraient se nourrir leur est devenue
insipide, ils passent les années entières sans y prendre part, et voudraient
même autoriser leur conduite par des excuses aussi frivoles qu'elles sont
apparentes et spécieuses. Or, ces deux sortes de chrétiens ont besoin
d'instruction : les premiers sur le désir de la communion qu'ils font paraître,
et où l'on ne peut trop les confirmer; ce sera le sujet de la première partie :
les seconds sur le dégoût de la communion, où ils vivent et qui leur fait
abandonner cette source de grâces; ce sera le sujet de la seconde partie.
Matière qu'on ne vous a peut-être jamais bien développée, et qui n'est guère
commune dans la chaire évangélique. Donnez-y, je vous prie, toute votre
attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Toute âme chrétienne doit désirer
la communion, et rien n'est plus utile pour nous ni plus efficace que ce désir,
dès qu'il n'excède point la mesure qui lui convient, et que nous savons le
contenir dans les justes limites qu'une prudence évangélique lui prescrit.
Observez, s'il vous plaît, ce que je dis, qui se réduit à ces trois points : le
premier, que nous devons tous désirer la communion, et vous en comprendrez
aisément les raisons; le second, que ce désir nous est très-salutaire,
et vous en verrez les fruits ; le troisième, que ce désir néanmoins doit être
conduit par la sagesse de l'Evangile, et vous apprendrez à le régler. Ainsi les
motifs de ce désir, les avantages de ce désir, les règles de ce désir, voilà
sur quoi j'ai d'abord à m'expliquer, et à vous donner tout l'éclaircissement
nécessaire.
Je prétends donc et j'avance que
toute âme chrétienne doit désirer la communion. Pourquoi ? Par ce grand motif
où tous les autres sont renfermés, savoir, que toute âme chrétienne doit
désirer souverainement et par-dessus toute chose d'être unie à Jésus-Christ,
puisque c'est en Jésus-Christ qu'elle trouve tous les biens; car c'est en lui qu'elle
trouve sa nourriture, sa force, sa consolation, son espérance, toutes les
lumières et tous les secours pour marcher dans le chemin du salut, et pour
arriver à ce bienheureux terme. D'où il s'ensuit que par amour, que par
intérêt, mais un intérêt solide et tout spirituel, rien n'est plus à souhaiter
ni à rechercher pour elle dans la vie, que cette union étroite qui rattache à
son Sauveur, et qui l'a fait entrer en participation de tous ses trésors. Or,
ce qui nous unit réellement, intimement, substantiellement à Jésus-Christ,
c'est la communion. Celui qui mange ma chair demeure en moi, et moi je demeure
en lui : Qui manducat meam
carnem, in me manet, et ego
in illo (1). Union si singulière, qu'elle ne peut
être suppléée en ce monde par nul autre sacrement; et de là cette maxime
universelle des Pères et de tous les maîtres de la vie intérieure et dévote,
que, par rapport à ce lieu d'exil où nous sommes, et pendant que nous y sommes,
le plus grand mal que nous ayons à craindre est d'être séparés du corps de
notre Dieu, comme notre plus grand bien est de le recevoir.
Tout cela, mes chers auditeurs,
est évident : mais vous me demandez si ce désir de la communion peut convenir à
un pécheur dans l’état actuel de son péché ; car dans cet état il est indigne
de communier. Il est vrai, dit saint Chrysostome, cette indignité peut bien
être une raison pour ne pas approcher de la communion, mais elle ne peut ni ne
doit jamais être une raison pour ne pas désirer la communion. Autre chose est
de communier en effet, et autre de le désirer seulement, et dans la manière que
nous devons l'entendre. De communier en effet, ce
serait pour un pécheur, tant qu'il est encore dans la disgrâce de Dieu et dans
l'engagement du péché, un sacrilège et une profanation: par conséquent la table
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du Seigneur lui est interdite
alors, et il doit s'en exclure lui même. Mais tout exclu qu'il est de cette
sainte table, il peut désirer d'y être rappelé, d'y être rétabli, d'y être
admis tout de nouveau, non point avec son péché, mais après s'être lavé et
purifié de la tache de son péché. Touché de son malheur et de la triste disette
où il languit, il peut entrer dans le même sentiment que l'Enfant prodigue, et
se dire à lui-même : Quanti mercenarii in domo patris mei
abundant panibus ? ego autem hic fame
pereo (1) ; Combien d'âmes, sur qui Dieu
peut-être n'a jamais répandu ses grâces avec autant d'abondance que sur moi,
parce qu'elles ont été fidèles et qu'elles ont profité du peu de talents
qu'elles avaient reçus, s'avancent, s'entretiennent, et, pour ainsi parler,
s'engraissent dans la maison du Père céleste, tandis que je péris de faim! Il
peut, en faisant de solides réflexions sur le funeste abandonnement où il vit,
et regrettant les dommages infinis que lui cause l'éloignement de la communion,
s'écrier avec les paroles de David : Quando veniam et apparebo ante faciem Dei (2)? Serai-je donc toujours banni de la
présence de mon Dieu et de son sanctuaire? Quand viendra le temps où je pourrai
paraître devant lui parmi les conviés, et prendre place comme eux à son festin?
A quoi tient-il? et ne ferai-je point pour cela
quelque effort? Voilà, dis-je, comment le pécheur peut souhaiter la communion,
et comment même il la doit souhaiter. Ainsi, soit que je sois positivement
indigne de la communion, ou que je ne le sois pas, il me convient toujours de
la désirer. Si je n'en suis pas absolument indigne, ce désir contribuera
toujours de plus en plus à m'en rendre digne; et si mon indignité est expresse
et absolue par le péché qui me domine et qui règne en moi, ce désir au moins me
préservera d'un endurcissement total, et sera toujours une ressource pour moi.
Il y a plus encore; et fondé sur
la maxime que je viens d'établir, je soutiens même que plus un homme est
pécheur, plus il doit désirer la communion, et la preuve en est convaincante ;
parce que plus il est pécheur, plus il est malade, plus il est faible, plus il
est éloigné de Dieu : or, plus il est malade, plus il doit désirer ce qui peut
le remettre dans une santé parfaite ; plus il est faible, plus il doit désirer
ce qui peut réparer ses forces perdues ; plus il est éloigné de Dieu, plus il
doit soupirer après Dieu pour le retrouver, et pour se rejoindre à lui. Dès là donc
que la communion est le
remède le plus efficace dont nous puissions user, dès que
c'est contre nos faiblesses le secours le plus puissant que nous puissions employer,
dès que c'est le sceau de notre réunion avec Dieu, plus nos plaies sont
profondes et nos maladies dangereuses, plus devons-nous avoir d'ardeur pour
approcher du médecin dont nous attendons notre guérison ; et plus nous nous
trouvons loin de Dieu, plus devons-nous aspirer vers l'autel, où il veut bien
encore se communiquer à nous, et nous réconcilier pleinement avec lui.
Il faut pour cela des
dispositions, je le sais; mais voici les avantages de ce désir que je voudrais
allumer dans vos cœurs. Car, pour passer maintenant à l'autre article que je me
suis proposé, je dis deux choses que je vous prie de bien comprendre :
premièrement, que le désir est lui-même la première disposition que nous devons
apporter à la communion; et, secondement, que ce même désir est encore le
principe et le mobile de toutes les autres dispositions que demande la
communion. Expliquons-nous. C'est la première disposition : je ne dis pas que
c'est une disposition suffisante ; mais encore une fois, que c'est de toutes
les dispositions la plus convenable et la première. En effet le sacrement que
nous recevons dans la communion, en quelle qualité et pourquoi nous est-il
donné? Comme l'aliment et la nourriture de l'âme. C'est un pain : Panis quem ego dabo
(1) ; c'est une viande : Caro mea vere est cibus (2); c'est un breuvage : Sanguis
meus vere est potus (3).
Voilà comment Jésus-Christ l'a institué, et comment il nous l'a fait entendre
dans les termes les plus formels. Or une viande ne profite jamais mieux, et
n'est même communément utile et saine au corps, que lorsqu'on la prend et qu'on
la mange avec appétit. Ainsi en est-il de cette viande divine qui nous est
distribuée par les mains des prêtres. Le goût qu'on y trouve, la sainte avidité
qui nous la fait rechercher ou du moins désirer, est un signe de la préparation
du cœur à en tirer le fruit qu'elle peut produire. Et parce que ce fruit dépend
de la grâce de Dieu, j'ajoute que c'est encore pour Dieu une espèce
d'engagement à nous accorder cette grâce, et à la verser sur nous dans toute son
abondance. Pourquoi cela? parce que cette faim, que
cette soif de la communion, si j'ose m'exprimer de la sorte, est un honneur
particulier que nous rendons au sacrement de Jésus-Christ, puisque c'est un
témoignage de l'estime que nous en
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faisons, et de la haute idée que
nous en avons conçue. De là cette invitation du Sauveur du monde, que je puis
bien appliquer à mon sujet : Si quis sitit, veniat ad me (1). Celui qui se sent pressé de la
soif, qu'il vienne à moi. Plus il sera altéré, plus je répandrai sur lui ces
eaux vivifiantes dont mon sacrement est la source intarissable. De là cette
effusion de tous les dons célestes que fait ce même Sauveur sur l'âme affamée,
selon le mot du Prophète : Animam esurientem satiavit bonis (2).
Il n'épargne rien pour elle ; et plus il voit croître sa faim, plus il prend
plaisir à la rassasier. De là aussi ce redoublement, cette vivacité de désir,
ce nouveau feu dont une âme quelquefois est embrasée. Une communion, bien loin
de l'éteindre, ne sert qu'à l'enflammer davantage; et c'est en cette âme que
s'accomplit toute la parole du Saint-Esprit : Qui edunt
me, adhuc esurient (3).
Mais, Chrétiens, je vais trop
loin : revenons. Outre que le désir est lui-même la première disposition pour
bien communier, c'est encore le principe et comme le mobile de toutes les
autres dispositions que demande la communion. Car quand je désire sincèrement
et efficacement une fin, dès là je suis déterminé à tous les moyens qui sont
nécessaires pour y parvenir. Si donc je désire de bonne foi la communion, ce
seul désir m'engage à ne rien négliger de tout ce que ma religion exige de moi
pour participer dignement au divin mystère.
Je sais, par exemple, que de
toutes les dispositions, la plus essentielle est la pureté de la conscience, et
que je ne puis, avec un cœur ou corrompu par l'intérêt, ou enflé par l'orgueil,
ou amolli par la sensualité, ou aigri par le ressentiment et la vengeance, ou
flétri de quelque autre sorte que ce soit, m'unir à un Dieu qui est la sainteté
même, et le Saint des saints : que fais-je, si c'est un vrai désir qui me porte
à la communion? Ne voulant pas profaner le sacrement, et ne voulant pas non
plus l'abandonner, je conclus que je dois rentrer en moi-même, et purifier mon
âme de tout ce qui pourrait blesser l'œil du Seigneur au moment qu'il daignera
la visiter. C'est-à-dire, je conclus que je dois me dessaisir de ce bien qui ne
m'appartient pas, que je dois réparer ce dommage dont je suis l'auteur et que
j'ai injustement causé ; que je dois rabattre cette hauteur d'esprit qui me
rend en mille occasions fier et impérieux, vain et méprisant,
colère, violent, emporté ; que je
dois réprimer cette ambition, qui dans le cours de ses entreprises, me fait
violer tant de devoirs et commettre tant d'injustices; que je dois renoncer à
cet attachement, pardonner cette injure, me réconcilier avec cet ennemi,
surtout me réconcilier avec Dieu, et pour cela avoir recours au tribunal de la
pénitence, par une confession exacte, et accompagnée de tous les sentiments et
de toutes les résolutions qui en font le mérite.
Je sais que, par un fréquent
usage de la communion , ce n'est point assez d'une vie
exempte de certains vices grossiers, et du reste remplie de mille
imperfections, lâche, tiède, négligente ; mais que cette communion fréquente
suppose la ferveur de la piété, .la fidélité aux moindres devoirs, la pratique
des vertus. Si donc mon désir, sans se borner à quelques communions éloignées
les unes des autres , m'inspire de les réitérer aussi
souvent que je le pourrai et que mon état le permettra, quelles sont les
saintes conséquences que je tire ? Voulant communier souvent et voulant communier
utilement, je conclus que je dois sanctifier ma vie, et la conformer au nombre
de mes communions : c'est-à-dire je conclus que je dois vivre dans la retraite
et la séparation du monde, parce que la fréquente communion ne peut s'accorder
avec une vie mondaine et dissipée ; que je dois renouveler sans cesse l'ardeur
de ma dévotion, et m'adonner sans relâche à tous les exercices du
christianisme, parce que la fréquente communion ne peut convenir avec une vie
paresseuse et inutile ; que je dois , autant qu'il est possible, veiller à la
garde de mon cœur, en régler tous les mouvements, en modérer toutes les
passions, en déraciner les plus légères habitudes, en bannir tout ce qui n'est
pas. selon le gré de Dieu et selon la perfection de sa loi, ou du moins le
vouloir ainsi et y travailler, parce que la fréquente communion ne peut
compatir avec des imperfections où l'on s'entretient volontairement, et dont on
ne prend ni l'on ne veut prendre nul soin de se défaire : que je dois être
humble, charitable, patient, mortifié, assidu à la prière et à toutes les
œuvres pieuses, ou du moins que je dois m'appliquer à le devenir, parce que la
fréquente communion est le prix de tout cela, de même aussi que tout cela est
communément le fruit de la fréquente communion. Voilà, encore une fois, ce que
je conclus, et à quoi le désir de la communion me détermine.
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Or, par là ce désir n'est-il pas
pour nous comme un principe de sanctification , et en quelques égarements que
nous soyons tombés, tant que nous conserverons ce désir, ne sera-ce pas
toujours un fonds d'espérance pour notre retour à Dieu et pour notre conversion
? D'où vous jugez, mes chers auditeurs, ou vous devez juger avec moi, de quelle
conséquence il est de ne laisser pas éteindre ce désir dans le christianisme,
mais de le réveiller incessamment dans les cœurs et de l'y faire croître. Voici
néanmoins l'abus de notre siècle : qu'il me soit permis de m'en expliquer
aujourd'hui, et de le déplorer en votre présence. Au lieu de nourrir dans les
âmes ce désir de la communion, au lieu de le rallumer continuellement parmi les
fidèles et d'e le redoubler, on le ralentit, on le refroidit, et l'on vient peu
à peu à l'amortir tout à fait et à l'anéantir. Comment ? en ne représentant jamais
la communion au peuple chrétien que sous des idées et des images effrayantes ;
en ne lui retraçant dans l'esprit et ne lui mettant devant les yeux que
l'excellence du sacrement, que l'indignité de l'homme, que le danger d'une
mauvaise communion, et les suites malheureuses qu'elle traîne après soi ; en
exagérant les dispositions requises pour communier dignement, et les proposant
dans un degré de perfection où il est d'une extrême difficulté et presque
impossible d'atteindre. Car n'est-ce pas la que tendent ces maximes outrées
d'une morale prétendue sévère? Maxime que l'on débite dans les entretiens
particuliers, que l'on fait entrer dans les discours publics dont on compose
d'amples volumes, et que l'on appuie de citations sans nombre et souvent sans
fidélité : mais surtout maximes dont se laissent préoccuper, ou, pour mieux
dire, infatuer des âmes faibles, d'autant plus aisées à séduire, qu'elles sont
moins instruites du fond des choses et moins capables de s'en instruire par
elles-mêmes; donnant en aveugles à tout ce qui porte un caractère de rigueur ;
suivant sans réflexion et sans modération les premiers sentiments d'une
timidité naturelle et mal réglée ; ne distinguant ni l'illusion ni la vérité ;
n'écoutant rien là-dessus, et ne pouvant presque revenir de leurs préjugés
contre la communion.
Cependant qu'arrive-t-il de là? c'est que la plupart, si je puis rapporter ici cet exemple,
raisonnent à l'égard de la communion comme les disciples de Jésus-Christ
raisonnèrent à l'égard de l'état du mariage, lorsque ce divin Maître leur en
marqua les engagements. S'il en est de la sorte, lui dirent-ils, il vaut donc
mieux demeurer libre, et ne se point lier à de telles conditions : Si ita est, non expedit nubere (1). Voilà justement ce qu'on dit : Puisqu'il y
a tant à craindre en communiant, il est donc plus à propos de s'abstenir de la
communion et de n'en avoir pas un usage si fréquent. Puisque la communion
demande des dispositions si relevées et si parfaites, quand serai-je parvenu là?
et le plus sûr pour moi n'est-ce pas de rendre mes
communions plus rares, et d'attendre le temps que je m'y croirai assez préparé?
On le dit, et on le fait. Cette crainte de la communion en détruit le désir.
D'un jour à un autre il diminue. On le perd enfin; et n'ayant plus ce désir, on
n'a plus l'aiguillon le plus piquant pour nous exciter à la pénitence et à la
réformation de nos mœurs, pour nous tenir dans une vigilance perpétuelle sur
nous-mêmes , pour nous tirer de nos lâchetés et de nos
tiédeurs.
Vous me direz que ce n'est pas là
l'intention de ceux qui s'énoncent en des termes si forts sur la communion ;
qu'ils n'en combattent pas le désir, et qu'au contraire ils l'approuvent et le
louent; mais que , pour l'honneur de Jésus-Christ et
l'avancement des âmes, ils ne se proposent autre chose que d'arrêter et de
prévenir les excès où ce désir mal conçu pourrait nous mener. Ah ! mes chers auditeurs, n'examinons point ici les intentions :
c'est à Dieu à en juger; mais peut-être, si nous voulions là-dessus entrer dans
une sérieuse discussion, trouverions-nous que ces intentions si pures en
apparence et si saintes ne sont rien moins que ce qu'elles paraissent. On a
certains principes touchant la fréquentation du sacrement de nos autels. On
voudrait, contre les vues de Jésus-Christ, contre la pratique des premiers
fidèles, contre la conduite des plus habiles maîtres dans les voies de Dieu,
retrancher le pain aux enfants, selon l'expression de l'Ecriture; c'est-à-dire
qu'on voudrait abolir dans l'Eglise les fréquentes communions; et, pour y
réussir, il n'y a point de plus sur moyen que d'inspirer aux âmes l'éloignement
de la communion : par où? par ces menaces qu'on leur
fait entendre, par ces peintures qu'on leur trace, par ces frayeurs dont on les
remplit. Quoi qu'il en soit, et sans pénétrer davantage dans les desseins qu'on
peut avoir, je m'en tiens à l'effet, et je n'en puis assez gémir. Car ce qui
s'ensuit immanquablement de là, c'est ce que nous voyons : je veux dire qu'on
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vit dans une indifférence mortelle
à l'égard de la communion, et qu'on va jusqu'à se faire devant Dieu un prétendu
mérite de cette indifférence et une vertu.
Ce n'est pas que j'approuve tout
désir de la communion ; et comme il n'y a rien de si saint en soi qui ne puisse
être sujet à l'illusion , dès que nous ne le prenons
pas dans les vues ni selon l'esprit du christianisme, je n'ai point de peine à
convenir que, dans le désir dont je relève ici les avantages, il y a des
égarements à craindre et des écueils à éviter. C'est un désir réglé que je
demande. Or, un désir réglé n'est point un désir présomptueux qui nous ôte le
sentiment de notre bassesse, et qui nous fasse aller à l'autel du Seigneur avec
un orgueil de pharisien. Ce n'est point un désir aveugle qui n'examine rien, et
qui ne soit accompagné de nulle réflexion sur nous-mêmes et de nulle
connaissance de nous-mêmes. Ce n'est point un désir précipité, dont le premier
mouvement nous emporte, sans accorder à une juste et solide épreuve de soi-même
le temps nécessaire. Ce n'est point un désir volage et capricieux, que l'humeur
gouverne, et qui soit sujet à de bizarres et de perpétuelles vicissitudes. Ce
n'est point un désir frivole et visionnaire, qui par la plus chimérique
alliance prétende concilier ensemble la communion, et une vie lâche, une vie
molle, une vie toute naturelle. Ce n'est point un désir opiniâtre et entêté,
qui ne se conduise que par ses idées et qui les suive avec obstination, ne prenant
conseil de personne et ne voulant dépendre de personne. Car voilà les désordres
qu'il y aurait à condamner dans le désir de la communion, et que je condamne en
effet moi-même; mais un désir humble, mais un désir éclairé ou demandant à
l'être, mais un désir prudent et sage, mais un désir docile et soumis, en un
mot un désir chrétien; ah! mes Frères (je parle à
vous, ministres de Jésus-Christ), c'est ce que nous ne pouvons entretenir avec
trop de soin parmi le peuple de Dieu et dans son Eglise. Or vous savez si c'est
là toujours le soin qui vous occupe, et si, par une pratique toute contraire,
on ne tourne pas aujourd'hui ses soins à ralentir toute l'ardeur que le premier
esprit de l'Evangile avait la-dessus excitée dans les
âmes.
Quoi qu'il en soit, mes chers
auditeurs, c'est ici que vous pouvez vous appliquer l'avis de saint Bernard. Si
le guide que vous avez choisi, dit ce Père, pour vous diriger dans les sentiers
de la justice et dans le chemin de la perfection évangélique, vient à se
relâcher envers vous et à vous mener par une voie trop douce, ne perdez rien
des sentiments de votre pénitence, et par des exercices volontaires et libres
suppléez à ceux qui ne vous sont pas ordonnés. C'était la maxime de ce saint
docteur; et, suivant cette maxime, je vous dis, moi : Quelque spécieuse que
puisse être la direction que vous recevez, du moment qu'elle va à refroidir
votre zèle pour la communion, tenez-la dès lors pour suspecte; et si vous ne
voulez pas encore l'abandonner, du moins vous-mêmes, avec le secours de la
grâce et par toutes les considérations que la religion vous fournit, travaillez
chaque jour à renouveler dans votre cœur ce que peut-être on cherche
secrètement à y détruire. Quelque leçon qu'on puisse vous faire, -et en
quelques termes qu'on puisse s'exprimer pour vous peindre à vous-mêmes comme
pécheurs, comme indignes de la table d'un Dieu si saint, dites toujours avec le
Prophète royal : Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, ita desiderat
anima mea ad te Deus (1). Il est vrai, Seigneur, et je le reconnais devant
vous, je ne suis que faiblesse et que misère ; mais dans la connaissance de mes
faiblesses et de mes misères, que dois-je souhaiter plus ardemment que de
trouver en vous mon soutien et le remède à mes maux? Plus donc je sentirai mes
besoins, plus j'aspirerai vers Celui qui y peut subvenir ; et le cerf pressé de
la soif ne court pas aux fontaines d'eau vive avec plus d'ardeur que je
soupirerai sans cesse après l'heureux moment où je pourrai recevoir mon Dieu et
le placer dans mon sein : Siticit anima mea
ad Deum fortem, vivum
(2). C'est le Dieu fort, et sans lui mon âme languit dans une triste
défaillance, dont il n'y a que lui qui la puisse relever. C'est le Dieu vivant
et le principe de la vie; et sans lui mon âme demeure dans un état de mort,
d'où il n'y a que lui qui la puisse retirer : Fuerunt
mihi lacrymœ meœ panes die ac nocte, dum dicitur
mihi : Ubi est Deus tuus (3) ? Dès que je me vois éloigné de ce Dieu
d'amour, il me semble que mon cœur s'élève contre moi, et qu'il me demande : Où
est ton Dieu? où sont ces heureux moments où tu
goûtais à sa table les douceurs de cette viande divine qu'il te présentait? Et
dès que je crois pouvoir encore être admis à cette table sacrée, et qu'on
m'annonce que j'y puis aller tout de nouveau, c'est pour moi la plus agréable
parole, et je la reçois comme un homme affamé qu'on appelle à un repas
délicieux : In voce exultationis et
428
confessionis,
sonus epulantis (1).
Puissiez-vous, Chrétiens, vous maintenir toujours dans ces sentiments, et vous
préserver ainsi de ce dégoût de la communion, dont j'ai à vous parler dans la
seconde partie !
DEUXIÈME PARTIE.
Le croirait-on qu'une âme pût se
dégoûter de cette nourriture céleste qui n'est autre que Dieu même, et
pourrait-on jamais se persuader qu'un pain capable de faire les délices des
anges devînt insipide aux hommes, et qu'ils eussent de la peine à en user?
C'est néanmoins ce que nous ne voyons que trop dans le christianisme; et c'est
peut-être le déplorable état de bien des personnes qui m'écoutent : état qui
leur doit causer une affliction mortelle, et dont je voudrais aujourd'hui leur
représenter assez vivement le malheur, pour les engager à en sortir et à ne
rien négliger sur cela de tous les moyens que la sagesse évangélique peut leur
fournir. La plus dangereuse marque d'une santé ou déjà altérée, ou qui commence
à s'altérer, c'est le dégoût des viandes les plus saines et les plus propres à
exciter l'appétit. On se croit dès lors atteint de quelque maladie secrète; on
juge qu'il y a dans le corps quelque mauvais levain, et l'on emploie tous les
secours de l'art pour ne le laisser pas invétérer et pour en prévenir les
effets. Or, voilà comment nous devons raisonner, et comment nous devons agir
avec plus de sujet, au regard de l'aliment de nos âmes. Perdre le goût de la
communion, c'est un des signes les plus à craindre pour nous ; et n'être point
touché de se voir dans ce dégoût, y vivre avec indifférence et sans inquiétude,
c'est le comble de l'endurcissement, et le témoignage certain d'une conscience
ou absolument déréglée, ou sur le point de tomber dans un dérèglement entier,
et de se perdre.
Expliquons-nous toutefois,
Chrétiens, et comprenez d'abord de quelle sorte de dégoût je prétends parler.
Il y a un dégoût de la communion qui vient de Dieu, et il y en a un qui vient
de nous-mêmes et de notre fonds : l'un, qui n'est qu'une épreuve de Dieu, ou
qu'un châtiment passager de Dieu, et l'autre, qui procède d'une mauvaise
disposition de notre cœur, et d'une indifférence habituelle et volontaire pour
les choses de Dieu. Epreuve de Dieu ; car c'est ainsi que Dieu, de temps en
temps, traite même les âmes fidèles. Afin de leur donner lieu de se faire mieux
connaître à
lui, et de lui prouver leur
fidélité, il leur ôte certains sentiments d'une dévotion tendre, et certains
goûts qu'elles trouvaient à la communion. Il veut qu'elles ne viennent à lui
que pour lui; et parce qu'il serait à craindre que l'abondance des consolations
divines ne les accoutumât à se chercher elles-mêmes dans la fréquentation des
saints mystères, autant que Dieu, il les laisse dans un état d'aridité et de
sécheresse où il semble que tout le feu de leur amour soit amorti, et où elles
ont besoin de toute la force chrétienne pour ne se pas troubler et ne pas
succomber. Or, dans cette disposition, une âme doit en effet se tenir aussi
tranquille qu'elle le peut être ; contente de tout ce qui plaît à Dieu, toujours
également assidue et constante à s'approcher de Dieu, toujours attentive sur
elle-même, et dans une continuelle vigilance pour ne manquer à rien de tous ses
devoirs et de toutes ses pratiques envers Dieu; du reste, se confiant en Dieu,
et se persuadant bien que si Dieu l'épure de la sorte, ce n'est que pour la
rendre plus digne de ses faveurs, et pour la mieux disposer à recevoir ses plus
intimes communications.
Châtiment de Dieu, mais châtiment
passager. Je dis châtiment, et c'est une conduite assez ordinaire de Dieu. Il
punit les infidélités d'une âme et ses fragilités, par la soustraction de ces
grâces particulières et de ces attraits dont elle était vivement touchée. Mais
j'ajoute, châtiment passager; car ce n'est pas pour abandonner cette âme que
Dieu la châtie, mais pour la corriger, mais pour l'engager à se reconnaître,
mais pour lui faire prendre, en l'aidant à se relever, une ferveur toute
nouvelle. Du moment qu'elle a satisfait, qu'elle a rempli la mesure de sa
pénitence, qu'elle s'est retournée vers Dieu, qu'elle le réclame et qu'elle le
rappelle, il ne tarde pas à revenir; ou s'il se fait encore attendre, il
revient enfin pour répandre ses dons sur elle avec plus d'effusion que jamais,
et pour lui rendre tout ce qu'il lui avait enlevé. Cette épreuve, Chrétiens, ce
châtiment ont leurs peines, ils ont leurs dangers; et nous devons même
communément demandera Dieu que s'il a, ou à nous éprouver, ou à nous punir, ce
ne soit point par le dégoût de la communion. Mais outre ce dégoût, que nous
pouvons plus attribuer à Dieu qu'à nous-mêmes, il y en a un autre mille fois
plus pernicieux, et dont la source est dans nous : dégoût si commun dans le
monde, et dans le monde chrétien ! Voilà celui dont je veux ici vous
entretenir. Tâchons à en découvrir le
149
principe, voyons-en les suites
funestes, et apprenez enfin quels en sont les remèdes. Tout ceci mérite votre
attention.
Dans les maladies de l'âme comme
dans celles du corps, il est d'une extrême importance de connaître d'abord le
principe qui les a formées. Or il ne faut point chercher d'autre principe de ce
dégoût dont il est maintenant question, que le relâchement de la vie. Je sais
qu'on l'impute à des causes moins prochaines et plus apparentes aux soins du
inonde, aux inquiétudes du monde, aux distractions du monde. Je sais qu'à
l'exemple des conviés de l'Evangile, on dit : Villam
emi (1) ; J'ai un bien à cultiver et à faire
valoir : Uxorem duxi
(2); J'ai un ménage à conduire et une maison à régler : Juga
boum emi quinque (3);
Je suis dans un trafic, dans un cours d'affaires qui m'occupe tout entier; et
le moyen avec cela de fréquenter le sacrement de Jésus-Christ et d'y apporter
la préparation convenable? Dès que j'y veux penser, l'ennui me saisit, et mon
esprit, malgré moi, me porte ailleurs. J'en conviens, mon cher auditeur; mais
comment ces soins temporels, comment ces embarras et ces mouvements du monde
vous inspirent-ils le dégoût de la communion, si ce n'est par le relâchement de
vie où ils vous font tomber? Dans cette dissipation perpétuelle où on vit, on
oublie aisément Dieu et tout ce qui a rapport au culte de Dieu. On n'est
attentif qu'aux choses du monde , qu'aux vanités du monde , qu'aux
divertissements du monde, qu'aux intérêts du monde, qu'à toutes les scènes
différentes qui se passent dans le monde et à la part qu'on y peut avoir. On
n'est touché que de cela, on en est rempli et possédé.
Or, comme le cœur livré à un objet devient indiffèrent pour tous les autres, on
perd peu à peu toutes les bonnes dispositions où l'on était à l'égard de la
piété; on ne s'affectionne plus aux exercices du christianisme ; on n'a plus
qu'une foi languissante, qu'une espérance incertaine, qu'une charité lâche et
tiède, et c'est alors que l'on conçoit de l'éloignement pour la communion et
qu'on s'en fait une peine.
Car voici ce qui arrive. On
conserve encore assez de religion pour ne vouloir pas communier indignement, et
l'on est toujours assez éclairé pour voir que la communion ne peut s'accorder
avec la vie relâchée que l'on mène. Cependant on aime cette vie aisée et
commode, cette vie sensuelle et délicate, cette vie dissipée et mondaine ; et
tout ce qui est capable de la troubler paraît insupportable. Ainsi la communion
n'est plus qu'une gène, et ne
présente plus à l'esprit qu'une idée fâcheuse et rebutante. On dit ce que les
Juifs disaient de la manne : Anima nostra nauseat super cibo isto (1). Pourquoi tant de communions? cela est bon pour les personnes retirées et dévotes par
profession ; mais je n'en suis pas encore là, et je ne me sens point encore
appelé à une si grande retraite, ni à une régularité si scrupuleuse. On prête
volontiers l'oreille à ces discours si ordinaires et si spécieux sur l'extrême
facilité avec laquelle des directeurs trop indulgents ou prétendus tels
permettent l'usage de la sainte table. On approuve ces maximes étroites et rigoureuses
qui vont à exclure presque tous les fidèles de la communion fréquente ; et afin
de pouvoir vivre du reste avec plus de liberté, on se déclare sur ce point pour
le parti de la morale sévère ; car à l'ombre de cette morale sévère on est en
repos. On n'a plus tant à veiller sur soi-même, plus tant à s'étudier soi-même
; on n'a plus tant de reproches à soutenir au fond du cœur sur
l'incompatibilité de la conduite qu'on tient et des communions qu'on fait : on
a pris le plus court, qui était de se retrancher la communion, et de
s'affranchir par là du joug d'une pratique si incommode et si embarrassante.
Ah! mon
cher auditeur, est-ce ainsi que vous raisonniez et que vous agissiez à ces
temps d'une ferveur chrétienne, où vous étiez animé de l'Esprit de Dieu? Parce
que vous aviez alors du zèle pour la perfection de votre âme et pour votre
avancement dans la voie du salut; parce que vous étiez appliqué aux devoirs de
la religion , et que vous vous faisiez un point
capital de les accomplir tous et de n'en négliger aucun, la communion vous
consolait, vous attirait, vous fortifiait. C'était un entretien pour vous , et le
plus doux entretien ; vous y trouviez Dieu, et vous l'y goûtiez : mais depuis
que ce premier feu qui vous brûlait n'a plus eu la même ardeur, et que votre
charité s'est ralentie comme celle de cet évêque de l'Apocalypse : Charitatem primam reliquisti (2); depuis que vous vous êtes émancipé de
ces règles de conduite qui vous attachaient à certains exercices et qui vous
retenaient ainsi dans l'ordre, c'est là que vous avez pris d'autres sentiments
à l'égard de la communion. Jusque-là vous en approchiez, non-seulement
sans peine, mais avec dévotion, mais avec onction; jusque-là vous étiez
persuadé qu'il ne fallait pas se tenir longtemps éloigné de l'autel du Seigneur
et de
430
son divin sacrement: mais, avouez-le de bonne foi, vous avez
commencé à vous en débouter, quand vous avez commencé à vous relâcher dans la
prière, quand vous avez commencé à quitter la lecture des bons livres, à
n'entendre plus si assidûment la parole de Dieu, à n'assister plus si
régulièrement à l'office divin, ni aux cérémonies de l’Eglise; quand vous avez
commencé à vous lasser des saintes pratiques et des œuvres de charité qui vous
occupaient, et qu'au contraire vous avez pris goût aux bagatelles et aux
amusements du siècle, à ses assemblées, à ses conversations, à ses jeux, à ses
spectacles.
Et cela est vrai par proportion
dans tous les états ; car si je pouvais étendre ce détail jusques à l'état
ecclésiastique, jusques à l'état religieux, vous verriez que s'il y a dans
l'Eglise des prêtres ou qui se dispensent volontiers d'offrir le sacrifice du
corps et du sang de Jésus-Christ, ou qui ne s'acquittent de cette importante
fonction qu'avec une indévotion et une précipitation scandaleuse, très-disposés à s'en exempter s'ils n'y étaient engagés par
un intérêt tout humain, c'est qu'il n'y a que trop de ces ministres qui n'ont
de leur profession que le caractère et l'habit, sans en avoir la sainteté et le
zèle. Que s'il y a dans les communautés et les monastères des personnes
religieuses qui ne communient pas aussi souvent que la règle le leur prescrit
et qu'il convient à des âmes séparées du monde et dévouées au service de Dieu,
ou qui ne communient qu'avec répugnance et par une espèce de contrainte, ce
sont communément ceux ou celles en qui l'esprit de la religion s'est plus
altéré, en qui l'on voit moins de fidélité à leurs observances, de qui l'on est
moins édifié dans une maison, et qui se montrent moins exacts à remplir leurs
obligations. Il est donc certain que le principe le plus universel du dégoût de
la communion, c'est la tiédeur et le relâchement de la vie. Or, dès que ce
dégoût vient dune telle source, en faut-il davantage pour nous le faire
considérer comme un mal, et un très-grand mal; et
quand le principe est si corrompu, que devons-nous juger de l'effet?
Aussi quelles en sont les suites?
Plût au ciel, mes chers auditeurs, que nous n'en eussions pas tant
d'expériences, ou plût au ciel que tant d'expériences que nous en avons
servissent à vous instruire, et vous fissent sortir du danger le plus évident
et le plus prochain où vous puissiez être d'une ruine entière ! Comprenez ma
pensée, et suivez-moi : car il y a entre les maux de l'âme, comme entre les
autres, une malheureuse connexion qui fait que le mal produit par un principe
rend encore son principe plus mauvais, et contribue de sa part à l'augmenter.
Ainsi le relâchement de la vie mène au dégoût de la communion, et le dégoût de
la communion, par le retour le plus naturel, mais en même temps le plus
funeste, porte à un nouveau relâchement de vie. Comment cela? il est aisé de l'entendre : c'est que le dégoût de la
communion éloigne delà communion. Un malade qui a conçu du dégoût pour la
nourriture qu'on lui présentera rejette, quelque saine d'ailleurs qu'elle
puisse être, et quelquefois s'obstine si opiniâtrement à la refuser, qu'il
n'est pas possible, malgré tout ce qu'on lui dit et toutes les raisons qu'on
lui apporte, de le résoudre à la prendre. Or, voilà ce qui se passe au regard de
la communion. Du moment qu'une âme, bien loin de se sentir attirée à la table
du Seigneur, se trouve dans une disposition toute contraire, je dis dans une
disposition où d'elle-même elle s'est réduite, du moment que la communion est une peine pour elle, est une fatigue, est un
sujet de combat, il est immanquable qu'elle évitera de communier le plus
qu'elle pourra, qu'elle aura toujours des prétextes pour s'en abstenir, qu'elle
remettra toujours d'un temps à un autre temps, et que ce sera beaucoup si elle
n'en vient pas jusqu'à se contenter delà communion que l'Eglise nous ordonne
une fois chaque année. Je veux croire qu'elle n'ira pas tout d'un coup jusqu'à
cette extrémité. On garde d'abord certaines mesures; on retient quelques
communions, et l'on en retranche d'autres : mais enfin, à force d'en omettre et
d'en retrancher, on s'accoutume peu à peu à ne communier presque plus; on perd
sur cela tout sentiment; on est déchargé d'un fardeau qui, tous les jours,
devenait plus pesant ou le paraissait; on est content de son état, et l'on s'en
accommode.
De là que s'ensuit-il? Par
rapport au corps, l'abstinence des viandes contribue quelquefois à la santé :
mais il en va tout autrement à l'égard de l'âme. Moins on communie, moins on a
de grâces, moins on a de forces, moins on a de vigilance, d'attention sur
soi-même, de zèle pour son avancement; et par conséquent moins on communie,
plus on tombe dans le relâchement et dans l'oubli de Dieu. Remarquez bien tout
ce que je dis. Moins on communie, moins on a de grâces; pourquoi? parce qu'on se tient plus éloigné de Jésus-Christ, qui
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est la source de toutes les grâces,
et qui ne les distribue nulle part ailleurs avec tant d'abondance que dans son
sacrement. Il y a des grâces attachées aux autres sacrements, puisque c'est
Jésus Christ qui les a institués : mais Jésus-Christ n'a pas seulement institué
l'adorable sacrement que nous recevons par la communion, il s'y est encore
renfermé lui-même, et c'est pour cela que nous le regardons d'une façon plus
particulière comme son sacrement. Or, quels effets de grâce doit opérer
Jésus-Christ même présent en personne, et qu'est-ce que de se priver d'un si
riche fonds? Moins on communie, moins on a de forces; pourquoi ? parce que le soutien de l'âme, c'est la communion, puisque
le sacrement auquel nous participons dans la communion est le pain de l'âme et
son aliment. Moins on communie , moins on a de
vigilance , d'attention sur soi-même, de zèle pour sa perfection et son
avancement ; pourquoi ? parce qu'on n'a plus le frein le plus puissant pour
nous arrêter, l'aiguillon le plus piquant pour nous réveiller, le motif le plus
pressant pour nous exciter, qui est la vue d'une communion prochaine ; parce
qu'on n'est plus si fortement engagé à réprimer ses passions, à éclairer ses
démarches, à peser ses paroles, à régler toutes ses actions, pour se maintenir
dans une préparation continuelle à la communion ; parce qu'on n'est plus touché
de ces mouvements secrets, de ces reproches intérieurs , de ces lumières divines,
de ces communications de Dieu, qui sont les fruits de la communion.
Le cœur donc se refroidit d'un
jour à un autre; Dieu se retire, le monde prend sa place ; et comme dans une
terre inculte, les ronces et les épines, les mauvaises herbes, c'est-à-dire
toutes les inclinations vicieuses, croissent et se fortifient. On les suit, on
s'y laisse conduire en aveugle, et souvent où n'emportent-elles point une âme?
Ah! chrétiens auditeurs, on en a vu des exemples et
l'on en voit encore qui vous feraient trembler, si j'osais ici les produire. On
a vu dans les plus saintes sociétés des chutes presque semblables à celle de
cet ange, qui du plus haut des deux fut précipité au fond de l'enfer. On a vu
les sociétés elles-mêmes tout entières se démentir, et devenir le scandale de
la religion ; par où ? par ce dégoût et cet
éloignement de la communion. Si l'usage de la communion s'y fût conservé tel
qu'il y devait être , c'eût été une ressource contre
les abus qui s'y glissaient. Mais entre les abus qui s'y sont introduits, un
des plus dangereux a été de négliger la communion, et celui-là seul a fomenté
tous les autres, et causé enfin une décadence totale. Car le Prophète l'avait
ainsi prédit, lorsqu'il disait à Dieu : Tous ceux qui s'éloignent de vous,
Seigneur, périront : Ecce qui elongant se a te, peribunt (1).
Mais à
cela quel remède ? Vous le voulez savoir , mes Frères,
et je conclus parla ce dis cours. Le remède , c'est de
s'appliquer d'abord à bien comprendre, comme je viens de vous les représenter,
et le principe ordinaire du dégoût de la communion , et ses suites. De les
reconnaître dans soi, et de raisonner de la sorte avec soi-même : Je vois des
personnes approcher bien plus souvent que moi de la sainte table, et y aller
sans peine, y aller même avec désir, et avec un désir très-ardent.
Si de bonne foi je veux leur rendre justice, je suis obligé d'avouer que ce
sont aussi des personnes plus réglées et plus chrétiennes que moi. Autrefois
moi-même , surtout à certains temps où je pensais plus
à Dieu et à mon salut, je fréquentais bien davantage le sacrement de nos
autels, et il faut aussi convenir que je vivais alors beaucoup mieux que je ne
vis à présent, que j'avais l'esprit plus recueilli et la conscience plus
délicate, que mon cœur était plus susceptible de certains sentiments de
dévotion. Maintenant que je ne tiens presque plus aucun compte de la communion,
et que je me dispense si aisément de ce saint exercice, il semble que je sois
insensible à tout ce qui regarde Dieu, et comme endurci. Mais où se terminera cette
langueur habituelle? Quelle en sera la fin, et quel en est au moins le danger?
Ces réflexions, mes chers auditeurs, et d'autres que vous pourrez faire , sont capables de vous imprimer une juste crainte; et
cette crainte, en vous faisant sentir l'importance de la communion, sera
peut-être assez efficace pour vous engager à mieux user désormais d'un
sacrement si salutaire et si nécessaire.
Le remède, c'est de ne point
suivre le dégoût où vous êtes, et d'agir même contre ce dégoût pour le
surmonter. Voici ce que je veux dire. Un malade qui se sent du dégoût pour les
viandes, et qui voit par là son corps défaillir, fait effort et prend sur soi
autant qu'il lui est possible, afin de s'accoutumer tout de nouveau à la
nourriture dont il connaît qu'il ne peut se passer. Et en effet, à force de se
faire violence et de se vaincre, il se remet peu à peu dans son premier appétit
et répare ses forces affaiblies. Voilà
comment vous devez vous-
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mêmes vous comporter. Vous n'avez
nul attrait à la communion, vous y avez même une répugnance actuelle. Il
n'importe, communiez : car, avec toute votre répugnance, vous pouvez , après tout, vous mettre dans la disposition
essentiellement requise pour participer au divin sacrement. Il vous en coûtera
; et vous aurez à combattre contre les révoltes de votre cœur; mais ce ne sera
pas en vain. Dieu, témoin du désir que vous lui marquerez de le retrouver, des
démarches que vous ferez pour cela et des soins que vous vous donnerez, se
laissera fléchir en votre faveur. Il fera descendre sur vous la rosée du ciel
et l'onction de sa grâce. Il vous comblera de ces bénédictions de douceur dont il
prévient ses élus, selon la parole du Prophète : Praevenisti
eum in benedictionibus dulcedinis (1) ; et vous éprouverez ce que mille autres
ont éprouvé, et ce qu'il ne tient qu'à vous d'éprouver comme eux : c'est-à-dire
qu'étant venus à la table de Jésus-Christ par le seul mouvement d'une foi pure
et d'une religion sincère , mais du reste sans nulle affection sensible et sans
goût, vous en sortirez remplis de consolation, et plus touchés de Dieu que
jamais. Car Dieu ne manque guère à se découvrir de la sorte, dès qu'on le
cherche en esprit et en vérité.
Le remède, c'est de vous confier
à un ministre de Dieu , à un homme de Dieu, dont la
conduite soit exempte de tout reproche et à couvert de tout soupçon ; de le
consulter et de l'écouter, afin que ses conseils solides et sages vous servent
de préservatif contre les égarements et les illusions que vous auriez à
craindre, si vous ne preniez pour guide que vous-mêmes et que vos vues
particulières. Instruit par vous-mêmes de vos dispositions, il vous réglera prudemment
et utilement l'ordre, le nombre, les temps de vos communions, comme un père
partage le pain à ses enfants, selon la
mesure qu'il sait leur convenir. Et
la nouvelle habitude que vous vous ferez, suivant ses avis, de converser avec
Dieu, d'approcher de Dieu, de recevoir en vous votre Dieu, vous rendra le goût
que vous aviez perdu, et rallumera tout le feu de votre première ferveur.
Enfin le remède, c'est d'avoir
recours à Dieu même , de le solliciter par de fréquentes et d'humbles prières,
de lui demander qu'il fléchisse votre cœur, qu'il l'attire à lui, et de lui
dire avec l'épouse des Cantiques : Trahe me post
te (1). Ah ! Seigneur, personne ne peut aller à vous, si vous ne l'y
attirez vous-même. Vous voyez la dureté de mon cœur, et vous pouvez l'amollir.
Vous pouvez dans un moment faire fondre toute la glace qui le rend si froid et
si indifférent pour vous. Il ne faut qu'un rayon de votre grâce. Je sais, mon
Dieu, combien je mérite peu d'avoir avec vous ce commerce intime dont vous honorez
à votre autel certaines âmes choisies. Ce n'est point encore la que j'aspire :
mais du moins favorisez-moi d'un regard ; faites luire à mon esprit quelques
étincelles de ces lumières vives et ardentes qui les pénètrent, et qui les
ravissent hors d'elles-mêmes ; faites-moi sentir quelques-unes de ces touches
secrètes et de ces divines impressions, qui les jettent en de si doux
transports aux approches de votre aimable sacrement. Serai-je toujours en votre
présence comme une terre sèche et aride ? Serai-je toujours lent et paresseux,
lorsqu'il s'agit de paraître à votre table? Trahe
me post te. Si je vous demande que vous changiez mon cœur, c'est afin qu'il
s'attache pour jamais à vous, afin qu'il ne se tourne plus que vers vous, afin
qu'il ne goûte plus de plaisir qu'en vous. Notre bonheur dès cette vie est de
vous posséder sous de fragiles espèces, et notre suprême félicité en l'autre
sera de vous posséder dans la splendeur de votre gloire, où nous conduise, etc.