XX° DIMANCHE - PENTECOTE

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SERMON POUR LE VINGTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LE ZÈLE POUR L'HONNEUR DE LA RELIGION.

ANALYSE.

 

Sujet. Il crut en Jésus-Christ, et toute sa maison crut comme lui.

 

Parce que ce maître ne se contenta pas de croire, mais qu'il parla selon sa créance, qu'il confessa Jésus-Christ de bouche et par œuvres, il engagea toute sa maison à croire comme lui. Tel est le zèle que nous devons avoir pour l'honneur de la religion.

Division. Comme chrétiens, nous reconnaissons dans notre religion deux qualités essentielles, la vérité et la sainteté : la vérité de sa doctrine, et la sainteté de sa morale. De là suivent deux conséquences qui doivent faire tout le fond de ce discours. Noire religion est vraie ; donc nous devons tous l'honorer par la profession de notre foi : première partie. Notre religion est sainte; donc nous devons tous l'honorer par la pureté de nos mœurs : deuxième partie.

 

Première partie. Notre religion est vraie; donc nous devons tous l'honorer par la profession de notre foi. C'est une décision de l’Apôtre, que pour acquérir la justice chrétienne et pour parvenir au salut, il faut deux choses : croire dans le cœur, et au dehors profession de sa créance. Voilà l'hommage qu'ont rendu à la religion les premiers fidèles ; et, selon le témoignage de Tertullien, rien n'a plus contribué à l'établir et à la répandre dans le monde, que la constance des martyrs à la professer ment et aux dépens de leur vie.

 

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Cette profession de notre foi et l'honneur qu'en retire la religion, est pour nous d'un devoir si rigoureux, que nous n'y pouvons manquer sans en devenir responsables à Dieu, à l'Eglise et à toute la société des fidèles. 1° Responsables à Dieu, qui ne doit pas seulement être honoré par un culte inférieur, mais par un culte visible et extérieur. 2° Responsables à l'Eglise, qui demande de nous et a droit de demander une confession publique, comme une  ratification authentique et solennelle de la promesse faite pour nous dans notre baptême, et de l'engagement contracté en notre nom. 3° Responsables à toute la société des fidèles, à qui nous refusons l'exemple, et, dans cet exemple, le   soutien que nous nous devons les uns aux  autres contre le  libertinage.

Voila de puissantes raisons ; mais, par la plus criminelle prévarication, au lieu d'honorer notre foi en la professant, nous la déshonorons par nos scandales. Scandales directs, et ce sont des scandales de libertinage et d'irréligion. Scandales indirecte et ce sont des scandales d'indifférence, de négligence, de respect humain en matière de religion. 1° Scandales directs, scandales de libertinage et d'irréligion : railleries des choses saintes, préoccupation contre l'Eglise, discours et raisonnements sur les articles de la foi, livres contagieux où la foi est artificieusement corrompue, liaisons avec des gens connus pour être des incrédules et des athées, entretiens où se débitent des maximes formellement opposées à la morale de l'Evangile. 2° Scandales indirects. Scandale d'indifférence : qu'il s'élève sur des points importants quelques contestations, on dit qu'on ne prend point de parti. Scandale de :e : on ne pratique nul exercice de religion. Scandale de complaisance : on prête l'oreille aux paroles licencieuses de quelques amis dont la foi est très-suspecte. Scandale de respect humain : on n'ose parler pour la religion en présence d'un maître, d'un grand. Soyons avec Dieu de bonne foi : et si nous sommes à lui, faisons-le connaître.

Deuxième partie. Notre religion est sainte, donc nous devons tous l'honorer par la pureté de nos mœurs. Que notre religion soit sainte, c'est un principe que nous avons déjà établi dans un autre discours. De toutes les qualités qui la relèvent, il n'en est point de plus excellente que sa sainteté; d'où il s'ensuit que ce qui l'honore davantage, c'est ce qui fait plus éclater cette sainteté. Or, rien ne fait plus paraître la sainteté de la religion chrétienne, que la sainte vie des chrétiens : car on ne peut mieux juger de l'arbre que par ses fruits, ni du principe que par ses effets. Ce n'est pas qu'indépendamment de notre vie, elle ne puisse être elle-même : mais c'est notre bonne vie qui la fait plus paraître sainte. Voilà pourquoi saint Paul et tous les Pères de l'Eglise ont tant exhorté les fidèles à se rendre irrépréhensibles dans leur conduite. Voilà ce qui a donné aux païens mêmes une si haute estime du christianisme.

Mais qu'est-il arrivé dans le cours des siècles? C'est que nous avons dégénéré de cette première sainteté qui faisait autrefois christianisme, et dont ses défenseurs se servaient pour en inspirer l'estime et pour l'autoriser. Voilà comment nous déshonorons la religion; car quoique dans le fond on ne puisse ni on ne doive rien lui attribuer de tout le mal que nous commettons, puisqu'elle le condamne, il n'est néanmoins que trop ordinaire à ses ennemis d'en prendre occasion de la décrier. Ne peut-on pas dire d'elle, dans l'état présent où nous la réduisons, ce qu'on disait de Jérusalem dépeuplée et déserte : Hœccine est urbs perfecti decoris? Est-ce là cette religion jadis si florissante et si belle?

Il faut après tout reconnaître qu'il y a encore des âmes fidèles, et des chrétiens réglés et pieux, dont la conduite semble devoir en quelque sorte dédommager et consoler l'Eglise. Mais qu'est-ce que cette consolation, si nous avons égard à deux choses : 1°à la multitude presque infinie de pécheurs qui déshonorent leur foi? 2° à l'injustice des hommes, surtout des ennemis de la mie religion, qui ferment les yeux à tout ce qu'il y a d'édifiant pour n'en être point touchés, et qui ne les tiennent ouverts qu'aux désordres dont ils sont témoins ? Fasse le ciel que notre zèle se rallume pour l'honneur de notre foi ! C'est ainsi que, sans passer les mers, nous pourrons participer au ministère des apôtres. Nous sommes si sensibles à l'honneur d'une famille où nous avons pris naissance : ne le serons-nous point à l'honneur d'une religion où nous avons été régénérés ?

 

Credidit ipse, et domus ejus tota.

 

Il crut en Jésus-Christ, et toute sa maison crut comme lui. (Saint Jean, chap. IV, 53.)

 

 

C'est d'un père de famille que l'Evangile nous produit aujourd'hui l'exemple. Touché du miracle que le Sauveur du monde venait d'opérer en sa faveur, et ayant embrassé la loi de cet Homme-Dieu, il la fait encore embrasser à ses domestiques, et ne croit pas pouvoir mieux employer son pouvoir qu'à lui soumettre toute sa maison : Credidit ipse, et domus tuus tota. Ce n'est pas qu'il use de violence, ni que d'une autorité absolue il entraîne des esprits rebelles, et arrache d'eux, pour ainsi parler, une foi contrainte et forcée. En matière de religion tout doit être libre et pleinement volontaire, et Dieu réprouverait un culte où le cœur n'aurait point de part. Si donc cette heureuse famille s'attache désormais à Jésus-Christ et en suit fidèlement la doctrine, c'est qu'elle y est engagée par l'exemple de son chef, c'est qu'elle y est animée par ses sages remontrances, c'est que le témoignage de ce nouveau chrétien est une instruction pour elle qui l'éclairé, qui la convainc, et que de l'honneur qu'il rend à la foi, elle apprend elle-même à l'honorer. Car ce fut là sans doute, mes chers auditeurs, la grâce prévenante et extérieure dont Dieu se servit, tandis qu'il agissait intérieurement dans les âmes, et qu'il y répandait les rayons de sa lumière. Si ce maître n'eût pas cru, ou si, dissimulant sa foi, il n'eût pas eu l'assurance de s'en déclarer, tant de sujets soumis à son obéissance et témoins de sa conduite seraient demeurés dans les ténèbres de l'infidélité : mais parce qu'il ne se contenta pas de croire, et qu'il parla selon sa créance, qu'il s'expliqua hautement, qu'il confessa Jésus-Christ de bouche et par œuvres, sa conversion seule fut le principe de toutes les autres conversions : Credidit ipse, et domus ejus tota. Or, voilà le zèle que je voudrais allumer dans vos cœurs. Voilà, Chrétiens, par où je voudrais corriger mille scandales que nous causons à notre religion, et qui la déshonorent Je vais vous faire comprendre ma pensée ; mais pour vous la bien développer j'ai besoin de l'assistance du Saint-Esprit, et je la

 

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demande par l'intercession de Marie : disons-lui, Ave, Maria.

Nous avons tous une obligation indispensable et naturelle d'honorer notre religion, comme nous en avons une d'honorer notre Dieu. Ces deux obligations sont fondées sur le même principe, et l'une est une suite nécessaire de l'autre. Dieu et la religion, dit saint Thomas, ne se peuvent séparer. Car Dieu est la fin dernière que nous cherchons, et la religion est le moyen qui nous lie à cette fin. Comme il est donc impossible d'aimer la fin sans aimer le moyen, aussi est-il impossible d'honorer Dieu sans honorer la religion. Voilà le plus noble zèle que nous puissions jamais concevoir, et celui de tous auquel nous sommes le plus étroitement engagés. C'est le plus excellent et le plus noble, parce que faire honneur à la religion, c'est le faire à Dieu même. Or, quel avantage pour une créature, qu'elle soit capable de faire honneur à son Dieu ! C'est celui auquel nous sommes le plus étroitement engagés, parce que le premier de tous les devoirs, comme les païens mêmes l'ont reconnu, regarde la Divinité et la religion. L'amour de la patrie, la foi conjugale, la piété des enfants envers leurs pères, le lien des amitiés les plus intimes, tout cela est fort, et ce sont de grandes obligations : mais tout cela doit céder à l'obligation dont je parle ; et plutôt que d'y manquer, il faut être prêt de renoncer à tout le reste.

Qu'est-ce que notre religion? C'est un précieux héritage que nous avons reçu de nos ancêtres, comme ils l'avaient eux-mêmes reçu de Dieu. C'est à nous de le conserver et de le maintenir avec honneur. Moïse, Josué et les autres conducteurs du peuple de Dieu, pouvaient tout sur lui quand ils l'intéressaient par cette considération. Allons, disaient-ils, généreux Israélites, c'est pour le Dieu d'Abraham qu'il faut combattre : c'est le Dieu d'Isaac et de Jacob qui vous commande de marcher ; c'est le Dieu de vos pères qui nous envoie pour vous témoigner combien il se tient offensé de vos superstitions. A cette parole du Dieu de leurs pères, ils se sentaient émus, ils obéissaient sans réplique, ils brisaient leurs idoles, les aimées entières se mettaient sur pied, et se présentaient à l'ennemi. Quoi donc 1 demande saint Chrysostome, est-ce que Dieu était pour eux quelque chose de plus, parce qu'il avait été le Dieu d'Abraham; ou que leur religion était plus sainte, parce qu'elle avait été celle de leurs pères? Non, répond ce saint docteur; mais cependant cette vue du Dieu de leurs pères réveillait en eux les plus purs sentiments de leur foi. Se regardant comme les successeurs d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, ils avaient honte d'avoir dégénéré de leur piété, et ce seul motif leur inspirait le zèle de ces grands patriarches, je veux dire le zèle de la vraie religion.

Je ne suis, Chrétiens, ni un Moïse, ni un Josué, pour prétendre la même autorité sur vous : mais j'en ai une autre en vertu de mon ministère, qui ne m'autorise pas moins à vous parler de la part de Dieu ; et c'est par un mouvement particulier de son Esprit que je viens vous solliciter pour les intérêts de votre religion et de la mienne, me promettant au reste bien plus de  vous, que jamais Moïse n'eut droit d'attendre du peuple juif. Car c'était un peuple grossier et incrédule, un peuple insensible aux bienfaits de Dieu, un peuple léger et inconstant : et moi j'espère trouver en vous un peuple docile, qui sera touché des scandales dont la religion de Jésus-Christ est déshonorée, et qui conspirera avec moi pour les retrancher du royaume de Dieu et de son Eglise : Et colligent de regno ejus omnia scandala (1). Il ne s'agit ici que des scandales qui attaquent spécialement la religion, et voici le dessein de ce discours. Je suppose deux qualités essentielles dont je vous ai déjà entretenus, et que nous reconnaissons, comme chrétiens, dans notre religion ; savoir, la vérité et la sainteté. La vérité de sa doctrine, et la sainteté de sa morale.  ; Or, de là je tire deux conséquences qui vont partager ce discours. Notre religion est vraie; donc nous devons tous l'honorer par la profession de notre foi : c'est la première partie.  i Notre religion est sainte ; donc nous devons   j tous l'honorer par la pureté de nos mœurs: c'est la seconde partie. Voilà où se réduit ce zèle dont j'ai entrepris de vous entretenir, et ce qui me donnera lieu de combattre bien des désordres, que nous ne pouvons assez déplorer dans le christianisme. Donnez-moi votre attention.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

C'est une décision de l'Apôtre, que pour acquérir la justice chrétienne et pour parvenir au salut, il faut deux choses : croire dans le ; cœur, et faire au dehors profession de sa créance. Professer la foi et ne l'avoir pas dans le cœur, ce serait hypocrisie : mais aussi l'avoir

 

1 Matth., XII, 41.

 

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dans le cœur et n'oser pas, dans les rencontres et dans les sujets où son honneur le demande, la produire au dehors, et en faire une déclaration publique, ce serait pour elle un outrage , puisque ce serait la désavouer dans la pratique et en rougir : Corde creditur ad justitiam; ore autem confessio fit ad salutem (1). Il est donc d'un devoir essentiel à l'égard de tout chrétien, de joindre, pour honorer sa religion, à la soumission de l'esprit, la confession de la bouche; et tel a été l'hommage que lui ont rendu si hautement et avec tant d'éclat les premiers fidèles. Rien n'a plus contribué à sa gloire que la sainte liberté de ces parfaits chrétiens à la reconnaître et à la publier. Voulez-tous savoir comment, au milieu des plus violentes persécutions, bien loin de déchoir en aucune sorte et de rien perdre de sa splendeur, elle s'est toujours soutenue et toujours élevée ? C'est, répond saint Cyrille, qu'elle recevait alors de grands et d'illustres témoignages. Les empereurs pensaient la détruire en exerçant toute leur sévérité contre ceux qui la professaient et c'était justement le moyen de l'établir. Ils travaillaient par là, sans le vouloir, à son accroissement, parce qu'ils lui procuraient autant de témoins qu'ils condamnaient de prétendus criminels. Chaque confession lui coûtait un martyr, mais chaque martyr lui attirait une troupe de nouveaux défenseurs.

Ecoutez l'excellente raison qu'en donne Tertullien. C'est, dit-il , que l'inébranlable et admirable constance des fidèles dans la profession de leur foi, était une leçon sensible et convaincante pour les païens : Illa ipsa , quam exprobratis, obstinatio confitendi magistra est. Et en effet, ces idolâtres, tout attachés qu'ils étaient à leurs superstitions, voyant, dans le christianisme, qu'ils persécutaient, une telle fermeté, se sentaient portés à examiner le fond de cette religion prêchée avec tant de zèle, défendue avec tant de force, avouée avec tant d'assurance, et au péril même des plus cruels tourments et de la mort. Quis enim contemplatione ejus non concutitur ad requirendum quid intus in re sit ? Par cette recherche et cet examen qu'ils en faisaient, ils apprenaient à la connaître, et c'était assez qu'ils la connussent, pour la révérer et pour l'embrasser : Quis autem ubi requisivit, non accedit ? Voilà, conclut Tertullien, ce qui augmentait tous les jours le nombre des disciples de Jésus-Christ, et ce qui donnait tant de lustre et tant de crédit à la loi qu'ils professaient. Mais au contraire,

 

1 Rom., X, 10.

 

qu'un d'eux eût fait une fausse démarche et se fût démenti dans une malheureuse occasion ; que la crainte des hommes et leurs menaces l'eussent ébranlé; qu'une espérance humaine l'eût tenté et surmonté; qu'il eût honteusement disparu, pour ne pas répondre et ne pas rendre raison de sa foi; ou qu'obligé de paraître, il eût, par une lâche dissimulation, caché ce qu'il était : ah! la honte en rejaillissait jusque sur la face de l'Eglise; la peine qu'elle en ressentait lui était plus douloureuse que les roues et que les croix; et, comme disait saint Cyprien, la faiblesse des membres faisait languir le corps, et lui causait les plus tristes défaillances : In prostratis fratribus, et nos prostravit affectus.

Or, il est vrai, mes Frères, ces temps d'une persécution ouverte et générale ont cessé, et nous ne sommes plus appelés devant les tribunaux, ni exposés aux arrêts des tyrans. On ne nous fait plus un crime d'être chrétiens, et même on nous en ferait un de ne l'être pas. Mais ne nous flattons point de cette paix ; car, à le bien prendre, cela veut dire que nous ne sommes plus en pouvoir d'honorer autant notre religion que l'ont honorée ces glorieux athlètes, qui eurent le courage et le bonheur de signer leur foi de leur sang. Cependant, sans être en état de l'honorer comme eux, il y a un témoignage qu'elle attend de nous : et parce que souvent nous lui refusons ce témoignage si juste et si raisonnable, qu'arrive-t-il ? C'est qu'au lieu de lui faire tout l'honneur que nous pourrions au moins lui procurer, nous la déshonorons par nos scandales, et la décréditons. Si je puis bien vous développer ce mystère d'iniquité, vous en gémirez avec moi, et vous apprendrez à en réparer les suites funestes. Suivez-moi, je vous prie.

Oui, Chrétiens, la profession de notre foi, et l'honneur qu'en retire la religion , est pour nous d'un devoir tellement rigoureux , que nous n'y pouvons manquer sans en devenir responsables et à Dieu et à l'Eglise, et à toute la société des fidèles. Trois preuves exprimées en trois mots, et fondées sur la doctrine de saint Thomas. Expliquons-les. Car, quand Dieu a voulu instituer une religion sur la terre, il n'a pas prétendu qu'elle y demeurât obscure et dans les ténèbres. Parce qu'elle devait servir à sa gloire et qu'elle n'était même établie que pour sa gloire, il ne suffisait pas qu'elle lut tout intérieure et renfermée dans le secret des âmes ; mais il fallait qu'elle fût visible, il fallait qu'elle parût au jour et au plus grand jour, afin

 

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que par son éclat elle contribuât à relever la grandeur du Maître à qui elle nous soumet, et qu'elle nous propose comme l'objet de notre culte. Or elle ne peut ainsi paraître qu'autant que nous la professons ; et de là ces exercices publics qu'elle nous fait pratiquer, de là ces sacrés mystères qu'elle nous fait célébrer, de là ces solennités et ces fêtes qu'elle nous fait observer, de là ces pieuses assemblées où elle nous appelle, et ces augustes cérémonies où elle nous fait assister; de là ces prières communes, ces louanges divines qu'elle nous fait réciter ; de là tout cet extérieur de religion que nous devons accompagner de l'esprit, et qui, nous donnant une haute idée du service de Dieu, nous attache plus étroitement à Dieu même, et nous excite à le glorifier. Si donc nous voulons nous borner à une fausse obéissance du cœur, et que nous dépouillions notre religion de ces apparences et de ces dehors, si nous craignons de la faire voir, nous l'obscurcissons, nous la retenons captive dans un honteux silence : toute vraie qu'elle est, nous en altérons, non pas la vérité, qui est toujours la même, mais la foi, qui a divers degrés et qui peut être plus ou moins vive. La tache se communique, elle s'étend en quelque sorte jusques à Dieu, et par là nous lui dérobons une partie de la gloire qu'il avait en vue, et dont nous lui sommes redevables.

Il n'est donc pas surprenant que Dieu, par un commandement exprès, nous oblige de nous faire connaître sur le point de la religion, de parler ouvertement et sans déguisement, d'ajouter aux paroles tout ce qui peut dans la pratique découvrir et mettre en évidence notre foi, d'en rehausser, par cette confession, les avantages, et d'en confirmer la vérité. Mais ce n'est pas tout, poursuit l'Ange de l'école, et cette même confession de la foi que la lumière céleste a gravée dans notre sein, l'Eglise, par un autre précepte, a droit encore de nous la demander, et en effet nous la demande, comme une ratification de la promesse faite pour nous dans notre baptême, et de l'engagement contracté en notre nom. Cette pensée est solide, comprenez-la. Sur les sacrés fonts de baptême nous avons fait à l'Eglise un serment d'obéissance, et nous nous sommes présentés pour être admis parmi ses enfants et au nombre des fidèles. A la face des autels, nous avons solennellement reconnu la vérité de la loi où nous voulions être agrégés, pour y vivre et pour y mourir. Nous avons renoncé au démon, au monde, à la chair, pour nous dévouer à Jésus-Christ, pour porter le joug de Jésus-Christ, pour être revêtus de Jésus-Christ. Tout cela en présence du ministre qui nous a conféré la grâce, en présence des spectateurs, les uns garants et les autres seulement témoins de notre protestation authentique et irrévocable. Voilà comment nous avons reçu la foi dès la naissance; mais, après tout, ce n'était point nous proprement alors qui agissions, nous qui parlions, nous qui nous engagions et qui répondions. On répondait pour nous, on parlait pour nous, on agissait pour nous. L'Eglise a bien voulu se contenter de ce premier engagement; elle l'a accepté, mais à une condition : c'est que dans la suite il serait ratifié, et par qui? par nous-mêmes : et par où? non point tant par un aveu de l'esprit, quoique nécessaire, que par un aveu de la bouche, par un aveu déclaré, publié, notifié à tout le monde chrétien. Sans cela, sans une telle profession, nous révoquons tacitement ce que nous avons dit par le ministère de ceux qui nous ont prêté leur voix pour nous faire entendre ; nous les démentons, et nous nous démentons nous-mêmes. Du moins nous rendons notre foi suspecte, et nous faisons cette injure à la religion où l'Eglise nous a associés et incorporés, de ne plus oser prendre son parti ni lui marquer notre attachement dès que notre raison développée peut en discerner la vérité, et que nous nous trouvons en état de l'honorer par notre propre témoignage.

Le mal va encore plus avant, et nous violons une troisième et dernière obligation, c'est celle de l'exemple que doit chaque fidèle à toute la société chrétienne dont il est membre : car nous ne sommes tous qu'un même corps en Jésus-Christ; et ce qui fortifie ce corps mystique, ce qui lui donne une sainte vigueur, ce qui soutient la foi qui en est l'âme, ce qui la fait fleurir, c'est l'édification commune que l'un reçoit et qu'il rend à l'autre. Ce sont ces dehors de religion qui frappent les yeux, et qui font d'autant plus d'impression sur les cœurs que nous nous sentons naturellement excités à imiter ce que nous voyons. Touché de cet extérieur, on conçoit pour la religion même un profond respect. L'impiété est forcée de se taire, et la vérité triomphe. Mais, par une règle toute contraire, que ce culte visible et apparent commence à s'abolir, tout commence à languir. On ne sait presque plus ce que c'est que la religion. Les libertins s'en prévalent, les fidèles en sont troublés : Qu'est-ce que la foi, dit-on, et y en a-t-il encore dans le monde?

 

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Filius hominis veniens, putas fidem inveniet in terra (1) ?

Voilà, dis-je, mes chers auditeurs, les principes évidents et incontestables d'où le Docteur angélique a tiré, comme une conséquence infaillible, l'important devoir que je vous prêche. Devoir général, et qui nous regarde tous; mais devoir particulier pour vous, grands de la terre : un grand, par son élévation, est plus en état de faire honneur à sa religion ; de même aussi que sa grandeur et la distinction des on rang, par un malheur qui en est inséparable, le met en pouvoir de nuire davantage à la religion, et de lui porter des coups plus mortels. Devoir particulier pour vous, pères et mères : un père et une mère, par l'autorité qu'ils ont dans leur famille, sont plus capables d'y entretenir l'esprit de religion, et par conséquent en deviennent beaucoup plus criminels, s'ils ne prennent pas soin de l'y conserver, et que , par un abandon total des œuvres religieuses, ils le laissent peu à peu se détruire, soit dans eux-mêmes, soit dans ceux que le ciel leur a soumis. Devoir particulier pour vous, à qui la réputation, l'érudition, le génie, donnent, sans autre droit, un certain crédit dans le monde : il ne faut souvent qu'une parole d'un homme de ce caractère pour maintenir ou pour affaiblir la foi et la religion dans des esprits prévenus en sa faveur, et disposés à l'écouter. C'est ce qu'avait si bien compris le Prophète royal, et ce que nous devons nous-mêmes conclure , en disant comme lui : Credidi, propter quod locutus sum (2); J'ai cru , et je ne m'en suis pas tenu là. Je n'ai point cherché à déguiser mes sentiments, ni ma créance ; je n'ai point eu peur qu'on en fût instruit et qu'on les connût ; mais dans la persuasion où j'ai été et où je suis encore, que je devais cet hommage à la vérité et cette reconnaissance au bienfait du maître qui me l'a révélée, je m'en suis expliqué dans tous mes discours et dans toute nia conduite : Propter quod locutus sum.

Telle était la fidélité de ce saint roi ; mais par une prévarication contre laquelle les prédicateurs de l'Evangile ne peuvent trop fortement s'élever, et qui doit exciter toute l'ardeur de leur zèle, que faisons-nous ? Ah ! mes Frères, que ne puis-je vous le représenter dans toute son étendue et dans toute son horreur! Au lieu d'honorer notre foi en la professant selon les règles d'une religion pure et sincère, nous la déshonorons par des scandales dont le christianisme , qui est pour nous en cette vie le royaume de Dieu, se trouve rempli. Scandales

 

1 Luc, XVIII, 8. — 2 Ps., CXV, 1.

 

de toutes les sortes : les uns directs, et ce sont des scandales de libertinage et d'irréligion ; les autres indirects, et ce sont des scandales d'indifférence, de lâcheté, de respect humain en matière de religion. J'entre dans un fonds de morale que je n'entreprends pas d'épuiser, puisqu'il est presque inépuisable; mais la simple exposition que je vais faire des désordres du siècle, je dis de ce siècle malheureux où nous vivons, suffira pour vous toucher, et vous convaincra mieux que tous les raisonnements.

Scandales de libertinage et d'irréligion.  Je ne prétends point ici parler de ces scandales énormes qui n'éclatent que trop souvent, lorsque dans l'excès et dans la licence d'une débauche sans ménagement et sans égard, des impies font gloire de traiter avec profanation les choses de Dieu, de parler insolemment de nos mystères, de se jouer des plus horribles sacrilèges , et d'employer ce qu'il y a de plus saint et de plus divin à leur divertissement. Cela s'est vu, Chrétiens, et Dieu veuille que ces anathèmes qui ont été au milieu de nous, pour user du terme de l'Ecriture, n'aient pas attiré sur nos têtes les malédictions et les fléaux dont nous sommes continuellement affligés! Peut-être en portons-nous la peine sans le savoir. Quoi qu'il en soit, de telles impiétés et leurs auteurs ont plutôt besoin d'être réprimés par la sévérité des lois que par les salutaires avis des ministres évangéliques : et malheur à ceux qui, revêtus d'une puissance légitime pour arrêter ces scandales, les laissent impunis ! malheur à ceux par qui Dieu en doit être vengé, et par qui il ne l'est pas; car il saura bien se venger lui-même et sur eux-mêmes ! C'était à eux d'être les protecteurs et les défenseurs de la cause de Dieu ; mais parce qu'une molle connivence,  qu'une considération tout  humaine les a retenus, c'est à eux que Dieu demandera raison de sa cause abandonnée et de ses intérêts trahis.  Cependant le comble du scandale, n'est-ce pas de voir quelquefois des libertins si scandaleux et si diffamés aspirer encore après cela aux premiers rangs, et peut-être aux premiers rangs de cette même religion qu'ils ont profanée avec tant de mépris et tant d'outrages : voulant porter jusque sur le faîte de la dignité une tache qui ne s'effacera jamais,  une flétrissure qui les exposera toujours aux reproches que le libertinage même pourra leur faire et leur fera, et qui par là les rend presque absolument incapables d'être dignement et utilement ce qu'ils travaillent néanmoins à devenir?

 

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Je neveux point non plus parler de ces abominations de désolation qui paraissent tous les jours dans le lieu saint, c'est-à-dire de ces irrévérences qui se commettent à la face des autels, à la vue des prêtres du Dieu vivant, aux yeux de tout un peuple assemblé et humilié devant le Seigneur : comme si l'on avait entrepris de venir insulter Dieu même dans sa propre maison ; comme si son sanctuaire était destiné aux plus sales entretiens, aux plus criminelles libertés, aux plus indignes adorations. Scandale qui, par une espèce de providence, ne se voit plus que dans l'Eglise chrétienne et parmi nous : Dieu, dit excellemment saint Augustin , ayant, ce semble , voulu de notre impiété même nous faire une preuve de la vérité de notre religion, puisque c'est la seule dont le démon tâche de corrompre le culte et s'efforce de pervertir les pieuses pratiques. Pourquoi la seule? il n'est pas difficile d'en concevoir la raison. Car de toutes les religions c'est la seule où le vrai Dieu est servi : et l'intérêt de ce capital ennemi de Dieu est que tous les autres cultes, quoique faux et superstitieux , soient religieusement observés, parce que ce sont ses ouvrages et qu'il y est lui-même adoré. Encore une fois, ce n'est point de tout cela que je parle. Ce sont plutôt des monstres que des scandales, et, sans que je m'arrête à vous en faire d'affreuses images, il ne faut que le moindre sentiment du christianisme pour les détester.

Je passe donc à d'autres où nous tombons avec moins de peine, que nous évitons avec moins de soin, à quoi peu à peu l'esprit du siècle nous familiarise, que nous nous figurons assez innocents, et dont quelquefois nous nous piquons jusqu'à en faire vanité , quoiqu'un effet ce soient des scandales, et des scandales d'irréligion. Examinons la conduite du monde, et nous aurons bientôt appris à les connaître. Scandales d'irréligion (remarquez bien ceci, s'il vous plaît), scandales d'irréligion : ce sont mille railleries des choses saintes, où l'on s'égaie et dont on s'applaudit. On raille de tout : on raille des personnes de piété, et cela détourne les esprits faibles de la voie de Dieu. On raille des pasteurs des âmes et des vicaires de Jésus-Christ, et cela les empêche de glorifier Dieu dans leur ministère. On raille des prédications et des prédicateurs, et cela fuit que la divine parole est abandonnée, et qu'elle n'opère rien. On raille des dévotions de l'Eglise sous ombre de crédulité, de simplicité, d'imagination et de vision dans les peuples qui les pratiquent, et cela tourne au mépris de l'Eglise même qui les autorise. On raille de certaines sociétés, de certaines indulgences, sous prétexte   des abus qu'on y découvre, ou que l'on croit y découvrir : au lieu d'imiter saint Augustin, qui, tout évêque qu'il était, n'osait souvent s'élever contre un abus, de peur que la substance même de la chose n'en lût altérée; car c'est ainsi qu'il s'en déclare dans une de ses lettres. On raille de la fréquentation des sacrements, et de là vient que ces sources de grâces et ces remèdes salutaires sont négligés. Scandales d'irréligion ; c'est cette malignité dont tant d'esprits aujourd'hui sont préoccupés contre l'Eglise ; car vous en verrez qui là-dessus ont un fond de chagrin et d'amertume dont ils ne sauraient se défendre. A peine peuvent-ils souffrir que l'Eglise soit dans l'éclat où elle est maintenant : ses revenus les choquent, sa juridiction leur déplaît. Ils voudraient qu'elle fût aussi dépendante  des puissances temporelles, aussi pauvre et aussi abjecte dans le monde, qu'elle l'était du temps des premiers Césars ;  c'est-à-dire qu'elle  fût aussi esclave sous les chrétiens qui sont ses enfants, qu'elle l'était sous ses persécuteurs et ses ennemis. Nouveaux Hérodes, dit saint Bernard, qui laissent Jésus-Christ en paix dans l'obscurité de son berceau, mais qui sont jaloux de le voir puissant et exalté dans les progrès et l'exaltation de son épouse : Alter Herodes, qui Christum non in cunis habet suspectum, sed in  Ecclesiis invidet  exaltatum. Entendez-les parler de l'Eglise, il n'y a rien qu'ils ne défigurent. S'y consacrer pour vaquer à Dieu, c'est paresse ; s'y établir, c'est ambition et intérêt. Qu'un ecclésiastique ou un religieux s'oublie en quelque rencontre, vous diriez qu'ils en triomphent.  Qu'il y ait eu quelque chose à I censurer dans un homme constitué en dignité, dans un souverain pontife, c'est sur quoi ils sont savants et éloquents. Toujours disposés à raisonner sur ce que l'Eglise ordonne, et jamais à le favoriser ; n'ayant d'esprit que contre l'Eglise, et jamais pour l'Eglise ; n'étant attentifs qu'à borner son autorité, sans être dociles à s'y soumettre.

Scandales d'irréligion : c'est cette témérité si dangereuse et si ordinaire avec laquelle des hommes sans étude, sans lettres, sans nulle teinture des sciences divines, s'énoncent hardiment sur tout ce qu'ils ne goûtent pas dans notre créance, ou qui n'est pas conforme à leur sens dans l'Ecriture, quoique les seules raisons humaines, dit saint Augustin, dussent

 

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leur rendre cette créance et cette Ecriture vénérables ; et cela, Chrétiens, parce qu'ils sont du nombre de ceux que décrivait l'apôtre saint Jude, qui blasphèment tout ce qu'ils ignorent : Quœcumque ignorant, blasphemant (1). Au lieu qu'ils devraient dire : Du moins je porterai ce respect à ma foi et à ma religion, de ne condamner jamais ce que je n'entendrai pas, et d'en accuser plutôt mon ignorance , que de m'en prendre à celui dont les ténèbres valent mieux pour moi que toutes les lumières de mon esprit. Scandales d'irréligion : ce sont ces livres contagieux et ces ouvrages où la foi est artificieusement corrompue, où la vertu est traduite en ridicule, où la crainte de l'enfer et des jugements de Dieu est représentée comme une faiblesse. Ouvrages reçus avec une estime générale, lus avec une avidité insatiable, récités dans tous les cercles, et proposés pour des modèles. En vérité, peut-on dire alors qu'il y ait de la religion dans le monde? le peut-on penser? Scandales d'irréligion : ce sont ces liaisons avec des gens connus pour être des incrédules et des athées. Liaisons dont les plus vertueux, ou ceux qui passent pour tels, ne se font point de scrupule. Liaisons fondées sur cela seul que ce sont des esprits agréables, qu'ils divertissent et qu'ils plaisent, qu'ils brillent dans les conversations , et qu'on les écoute volontiers, sans se soucier du péril où l'on expose sa conscience et sa foi ; sans se mettre en peine de l'avantage qui en revient à l'impiété, quand on voit que pour n'avoir point de religion, on n'en est pas moins estimé ni moins recherché. Ah ! Chrétiens, où est ce zèle du Roi-Prophète, lorsqu'il protestait si hautement à Dieu qu'il n'aurait jamais de commerce avec les impies, et que jamais il ne leur donnerait le moindre accès auprès de sa personne, parce qu'il craignait de paraître en quelque sorte les approuver et les autoriser ? Odivi ecclesiam malignantium, et cum impiis non sedebo (2).

Poursuivons, et ne nous lassons point d'un détail toujours abrégé, quelque étendu d'ailleurs qu'il puisse être. Scandales d'irréligion : ce sont ces entretiens où se débitent mille maximes formellement opposées à la morale de l'Evangile : par exemple, que rien n'est plus cher que l'honneur, et qu'il ne faut jamais souffrir une injure; que chacun, par rapport aux biens temporels, doit penser à soi, et se pourvoir comme il peut; qu'on n'est heureux qu’autant qu'on est riche, qu'autant qu'on est puissant et accrédité, qu'on jouit des commodités

 

1 Jud., X, 10.— 2Psalm., XXV, 5.

 

et des douceurs de la vie ; qu'il y a un âge pour la retraite, et un autre pour le plaisir; que certaines fautes ne sont point de si grands péchés; qu'il n'est pas à croire que Dieu s'en tienne si grièvement offensé, ni qu'il les punisse si sévèrement. Maximes toutes mondaines, mais dont on se prévient, auxquelles on se conforme, que l'on répand, que l'on suit, malgré les anathèmes du Fils de Dieu qui les a tant de fois foudroyées et proscrites. Enfin, scandales d'irréligion : ce sont ces nouveautés, ces erreurs qu'on veut introduire aux dépens de la saine doctrine. Erreurs qui n'éclatent pas tout à coup, mais qui se glissent secrètement et par degrés. On les couvre d'un voile de religion et de réforme ; on les insinue dans des discours publics, dans des conférences particulières, dans des libelles et des écrits; on leur donne un air de régularité, d'austérité, de pur christianisme, qui impose et qui engage. Elles ont bientôt leurs fauteurs, surtout parmi le sexe, plus facile à séduire et plus sujet à s'entêter. Elles ont bientôt leur parti; et ce parti croît, s'avance, lève la tête , se soutient par ses intrigues, ses artifices, ses discours; désole le champ du père de famille en y semant la zizanie, et cause dans le troupeau de Jésus-Christ les schismes et les divisions. Ce ne sont point là des fantômes; et plût au ciel que tout ce que j'en pourrais dire ne fût qu'imaginaire et en idée!

Or je vous demande, mes chers auditeurs, si tout cela et tout ce que je passe ne sont pas des scandales , et des scandales directement contraires à cette profession simple, soumise, droite et ouverte qui honore la religion? Et combien d'autres encore aurais-je à vous reprocher ? Scandales indirects , je veux dire scandales d'indifférence, scandales de négligence, scandales de complaisances, scandales de respect humain et d'une servile dépendance ! Quelle matière à de nouvelles réflexions ! Elle est infinie, et je suis obligé de la renfermer en peu de paroles.

J'appelle scandale d'indifférence une froideur mortelle et une malheureuse neutralité sur ce qui touche les intérêts de la religion. Qu'il s'élève quelques différends sur des questions importantes où la vraie foi est attaquée, des gens demeurent tranquillement à l'écart, et ils ne prennent point, disent-ils, de parti ; ils ne sont ni pour l'un ni pour l'autre, se flattant de suivre en cela l'avis du grand Apôtre, qui reprenait les chrétiens de Corinthe d'être les uns pour Paul, et les autres pour Apollo :

 

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mais ne faisant pas attention à ce qu'ajoutait le même apôtre, qu'ils devaient être pour Jésus-Christ, et par conséquent que si Paul soutenait la doctrine de Jésus-Christ, s'il combattait pour l'Eglise de Jésus-Christ, ils devaient nécessairement se tourner du côté de Paul, et le seconder. Cependant on se tient en paix ; on entend tout, et l'on ne s'attache à rien. Que la religion soit en danger, que l'Eglise de Jésus-Christ soit humiliée, qu'elle soit méprisée, qu'elle soit insultée, on n'en est nullement ému; et c'est, à ce qu'il semble, une sagesse, une discrétion, un esprit de dégagement; comme si dans la cause de Dieu tout homme, selon le mot de Tertullien, n'était pas né soldat; comme si jamais il était permis à des enfants de rester neutres entre leur mère et ses ennemis ; à des sujets, entre leur prince légitime et des peuples révoltés; à des chrétiens, à des catholiques, entre l'Eglise et des rebelles qui lui déchirent le sein. J'appelle scandale de négligence une omission habituelle et presque universelle de tout ce qui est du culte de Dieu : et que peut-on, en effet, juger de la religion d'un homme à qui l'on ne voit jamais pratiquer nul exercice de religion ? Point de prière, ni en commun, ni en particulier ; point d'abstinences ni de jeûnes, quoique ordonnés par l'Eglise ; point de confessions , de communions, pas même souvent au temps de la pâque. Or vous savez combien cet état est fréquent; et dites-moi quel vestige de christianisme on y peut reconnaître? J'appelle scandale de complaisance une damnable facilité à prêter l'oreille aux paroles licencieuses de quelques amis d'une foi très-suspecte, et peut-être tout à fait perdue. Ce n'est pas qu'on se plaise à ces sortes de conversations ; mais, pur une criminelle condescendance, on paraît s'y plaire. On voit assez ce qu'on aurait à répondre, mais on craindrait de se rendre fâcheux et critique; on se persuade pouvoir tout accorder à la liberté et à l'enjouement de l'entretien ; on consent à tout, ou l'on semble y consentir dès qu'on n'y résiste pas ; et, tout fidèle qu'on peut être, on passe pour impie avec les impies. J'appelle scandale de respect humain et d'une servile dépendance, cette lâche timidité qui nous ferme la bouche en la présence d'un maître, d'un grand à qui l'on a vendu son âme et sa religion, ces vues de fortune par où l'on se laisse entraîner dans un parti que l'on sait être le parti de l'erreur ; ces ménagements au moins et ces réserves pour ne le pas choquer, et ne s'en attirer pas la disgrâce.

Eh ! Seigneur, si dans la naissance de votre Eglise, et dans ces premiers temps où elle eut à livrer tant de combats et à essuyer tant de persécutions, elle n'avait point eu d'autres défenseurs, que serait-elle devenue? Si les premiers chrétiens eussent été des indifférents, des négligents, de faux complaisants, des sages et des politiques mondains, auraient-ils sacrifié leurs biens et répandu leur sang pour l'honneur de la religion? En combien d'occasions l'auraient-ils trahie, non pas toujours en se déclarant contre elle, mais en ne se déclarant pas pour elle, mais en dissimulant, mais en se taisant ! Car, dit saint Chrysostome, il ne faut pas seulement réputer pour traître à sa religion celui qui l'abandonne ouvertement en appuyant le mensonge, mais celui qui ne la confesse pas hautement en soutenant la vérité : Non enim solus ille proditor est veritatis, qui mendacium loquitur, sed qui veritatem, cum oportet, non confitetur. Soyons de bonne foi, mes Frères ; et puisque nous sommes chrétiens, soyons-le pleinement, en faisant gloire de l'être. C'est ne l'être qu'à demi que de ne le vouloir pas paraître. Appliquons-nous à nous-mêmes le juste reproche que faisait aux Juifs le prophète Elie : Usquequo claudicatis in duas partes (1) ? Que ne vous déterminez-vous à l'un ou à l'autre? et comment, par un monstrueux assemblage de religion et d'infidélité, prétendez-vous être tout ensemble au Seigneur et à Baal? Si le Seigneur est notre Dieu, que ne le reconnaissez-vous sans déguisement ; et s'il ne l'est pas, que ne le désavouez-vous absolument? Si Dominus est Deus, sequimini, eum ; si autem Baal, sequimini illum (2). Telle est, mes chers auditeurs, la disjonctive que l'Eglise vous propose encore aujourd'hui, ou que je vous propose en son nom. Choisissez.

Mais que dis-je ! et y a-t-il là-dessus une autre résolution à prendre que de nous dévouer plus fortement que jamais à l'excellente et divine foi où nous avons été élevés, et de lui rendre tous les hommages qu'elle attend de nous? Respectons la religion, et tout ce qui a quelque rapport à la religion : car il n'y a rien pour nous de plus grand ni de plus sacré. Professons-la avec assurance, et ne rougissons jamais d'une si glorieuse confession. Dieu, dit saint Ambroise, ne nous a pas donné la honte et la pudeur pour un tel sujet ; et ce serait bien mal l'employer que de la faire servir contre lui-même. Notre foi est aveugle (c'est la pensée de Zénon de Vérone), elle doit donc être moins

 

1 3 Reg., XVIII, 21. — 2 Ibid.

 

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sujette à rougir ; et comme elle ne voit pas ce qu'elle croit, elle doit aussi nous fermer les jeux à toutes les considérations du monde quand il s'agit de repousser les scandales qui l'offensent. Ne nous contentons pas de l'honorer comme vraie, par une profession libre et publique : mais puisqu'elle est sainte, honorons-la par la pureté et la sainteté de nos mœurs. Autre devoir dont j'ai à vous parler dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Que notre religion soit sainte, et même de toutes les religions la plus sainte, disons-mieux, et même de toutes les religions l'unique vraiment et parfaitement sainte, c'est un principe, Chrétiens, que j'ai déjà établi dans un discours exprès sur cette matière, et qui, selon mon dessein, ne demande point ici de nouvelles preuves pour vous en convaincre: elle est sainte dans son auteur, sainte dans ses maximes, sainte dans ses préceptes et ses conseils, sainte dans ses mystères, sainte en tout ; car c'est ainsi que le Saint-Esprit nous l’a représentée toute pure et sans tache, et voilà l'idée que je vous en ai donnée moi-même, et que vous en avez dû concevoir. Ceci donc posé, j'ajoute une autre vérité non moins certaine ni moins indubitable: que de toutes les qualités et de toutes les prérogatives qui relèvent la religion de Jésus-Christ que nous professons, il n'en est point de plus excellente, ni par conséquent de plus glorieuse que sa sainteté: pourquoi? parce que fat par sa sainteté qu'elle est digne de Dieu; parce que c'est sa sainteté qui la rend agréable à Dieu ; parce qu'entre tous les témoignages, nul autre que sa sainteté ne montre plus infailliblement, ni même si infailliblement, qu'elle est de Dieu. Dans cette religion Dieu a renfermé tous les dons : le don des miracles, le don des langues, le don de prophétie, le don de science, le don de sagesse, et les autres dont saint Paul nous fait le dénombrement; mais avec ces dons, si ce n'était une religion sainte, dès là elle serait réprouvée de Dieu ; et indépendamment de ces dons, elle serait toujours selon le gré de Dieu, dès qu'elle serait sainte. D'où il s'ensuit que ce qui honore davantage la religion, c'est ce qui fait plus éclater sa sainteté, parce que c'est ce qui la rend plus vénérable.

Or, il est constant que ce qui fait plus paraître la sainteté de notre religion, c'est la sainte vie de ceux qui la professent. Car, pour appliquer ici la figure de l'Evangile, on juge de l'arbre par ses fruits : s'il produit de bons fruits, on connaît que c'est un bon arbre : Arbor bona facit fructus bonos. La sainteté des effets marque la sainteté du principe qui les opère ; et il faut qu'une religion soit sainte, pour avoir la vertu de sanctifier. Ce n'est pas après tout qu'elle ne puisse être sainte en elle-même, sans que ceux qui en portent le nom et qui s'en déclarent les sectateurs acquièrent la même sainteté. Car, bien qu'ils y soient attachés par un engagement de parole et de foi, la perversité de leur cœur peut les en détacher dans la pratique par une criminelle et volontaire corruption de mœurs. Ils peuvent croire ses vérités, ils peuvent admirer ses maximes, ils peuvent même désirer sa perfection d'un désir inefficace et de pure complaisance, tandis qu'entraînés par le poids de la nature, et emportés par l'ardeur des passions auxquelles ils se laissent gouverner, ils vivent tout autrement qu'ils ne croient, et suivent des maximes toutes contraires. Le désordre de leur vie vient de leur volonté qui se dérègle, et non point de leur religion, qui n'en est en soi pas moins parfaite; et voilà la juste et solide réponse à ceux qui voudraient s'en prendre à la religion chrétienne des vices qui règnent parmi les chrétiens. Tout cela est incontestable ; mais enfin il faut toujours avouer que ce qui donne plus de lustre à la sainteté d'une loi, c'est la sainteté de ceux qui l'ont embrassée. Etre saint et paraître saint, ce sont deux choses toutes différentes. D'être sainte, c'est ce que la loi évangélique a de son fonds, ou ce qu'elle a reçu de Dieu ; mais de paraître sainte, d'être estimée sainte, d'être révérée comme sainte, c'est ce qu'elle peut recevoir de nous et de notre sainteté : comment? parce que notre sainteté sera le témoignage visible et irréprochable de la sienne.

Si donc, mes chers auditeurs, nous voulons l'honorer sous cette précieuse qualité de sainte, qui lui est si légitimement acquise, et qui fait un de ses plus beaux ornements, nous ne le pouvons mieux qu'en travaillant à notre propre sanctification. Et c'est pour cela que saint Paul recommandait tant aux fidèles de se rendre irrépréhensibles dans toute leur conduite, et de faire en sorte que les païens et les idolâtres ne trouvassent rien à censurer en eux, persuadé qu'il était que rien ne relèverait davantage la gloire du christianisme, et ne contribuerait plus à le répandre dans toutes les parties du monde. C'est pour cela qu'il exhortait si expressément ces mêmes fidèles à pratiquer le bien, non-seulement devant Dieu, mais devant les hommes, afin que l'honneur en rejaillit

 

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sur la religion qui le leur enseignait, et qu'elle en devînt plus respectable. C'est pour cela que tous les Pères de l'Eglise se sont tant appliqués à entretenir dans ceux qu'ils instruisaient l'innocence et la pureté de la vie, et à n'y rien souffrir contre l'édification publique : ayant en vue, outre le salut de chaque particulier, l'avantage qu'en tirerait tout le corps de la religion, et le crédit où elle s'établirait. C'est pour cela que toutes les nouvelles sectes, toutes les hérésies, ont toujours affecté un air de réforme et un extérieur de régularité, par où elles se sont insinuées dans les esprits, et elles ont fait de si tristes progrès.

Aussi quand saint Augustin, parlant aux infidèles, voulait exalter la religion chrétienne et leur en donner une haute idée, il leur faisait considérer les chrétiens : et voilà ce qui tant de fois a touché les plus grands ennemis de l'Evangile et ses plus cruels persécuteurs. Quand ils voyaient parmi le troupeau de Jésus-Christ tant d'équité et de droiture, tant de candeur et de bonne foi, tant de piété et de retenue, tant d'union et de charité, tant de force, de patience, de désintéressement, tant de vertus, ils ne pouvaient refuser à une religion qui formait de tels hommes les éloges qui lui étaient dus, et que leur arrachait, comme malgré eux, la vérité dont ils étaient témoins. Voilà par où tous les saints l'ont honorée, tant de saints ecclésiastiques, tant de saints religieux, tant de saints solitaires, tant de saints de tous les états et de toutes les conditions. Nous avons la même foi, nous en avons reçu les mêmes avantages, nous en attendons les mêmes récompenses : qui peut nous dispenser d'avoir pour elle le même zèle, et de lui procurer le même honneur?

Mais qu'est-il arrivé dans le cours des siècles, et que voyons-nous dans le nôtre, plus qu'on ne le vit jamais? C'est que nous avons dégénéré, et que nous dégénérons tous les jours de cette première sainteté qui faisait autrefois fleurir le christianisme, et dont ses défenseurs se servaient pour en inspirer l'estime et pour l'autoriser. Regardez, disait Tertullien pour sa justification et pour celle de ses frères attaqués de toutes parts, et exposés à toute la violence, des tyrans, regardez comment nous vivons, et vous ne mépriserez pas ce que nous croyons. Il n'y a entre nous ni fraude, ni injustice; il n'y a ni traîtres, ni scélérats. Vous avez dans vos prisons des chrétiens; mais leur seul crime, c'est le nom qu'ils portent et la profession qu'ils en font. Hors de là, que pouvez-vous dire contre eux, et de quoi les pouvez-vous accuser? Nous nous assemblons, mais seulement pour invoquer notre Dieu ; et nos prières presque continuelles sont suivies des exercices d'une sainte pénitence. Du reste, quel tort faisons-nous à personne, et quelle charité même n'exerçons-nous pas envers tous? à quels devoirs manquons-nous? Jugez donc, concluait cet ardent apologiste, jugez par notre vie qui nous sommes ; et de ce que nous sommes, jugez quelle  doit être cette foi par qui nous le sommes. Telle était la règle qu'il  donnait pour bien connaître la religion chrétienne, et pour en faire voir l'excellence. Mais, à s'en tenir maintenant et précisément à cette règle, au lieu que c'était alors la gloire de la religion, n'en serait-ce pas, dans l'état présent du christianisme, la honte?

Je l'ai dit, et je ne puis trop le répéter, ni trop fortement vous l'imprimer dans l'esprit: il y a, selon la belle remarque de Tertullien, et celle d'Arnobe après lui, il y a entre les fausses religions du paganisme et la religion chrétienne   cette   différence   essentielle, que dans le paganisme  ceux qui étaient bons et vertueux ne l'étaient point par religion, puisque au contraire les religions païennes ne portaient qu'aux vices et en donnaient dans leurs prétendues divinités les exemples. De sorte que tous les désordres qui se commettaient parmi les païens, on pouvait les attribuer à leur religion, ou plutôt à leur superstition, sans lui pouvoir rien attribuer de toutes les vertus qui se pratiquaient. Mais, par un privilège directement opposé, tout ce qui se fait de bien dans le christianisme doit tourner à l'honneur delà religion chrétienne, puisque c'est elle qui l'ordonne et qui le persuade : et rien de tout ce  qui se fait de mal ne doit tourner à sa confusion, puisqu'elle est la première et la plus rigoureuse à le défendre et à  le condamner. C'est ainsi, mes Frères, qu'il en devrait être; mais nous savons néanmoins que par la malignité des esprits il en va tout autrement. On a toujours voulu, et l'on veut toujours, quoique injustement, que notre foi. soit responsable de notre mauvaise conduite. Et quel avantage, en effet, pour les libertins, lorsqu'ils voient, au milieu du peuple chrétien, et parmi nous, les trahisons et les perfidies, les inimitiés et les vengeances, les débauches et les impudicités ? Je dis parmi nous ; car prenez garde, s'il vous plaît : qui sont ceux qui scandalisent la foi que nous professons, et qui la déshonorent par les excès et les dérèglements de leur vie? Sont-ce

 

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les hérétiques? Dès qu'ils se sont séparés de sa communion, elle n'entre plus en rien de tout n qui vient de leur part, et n'y prend plus d'intérêt. Elle ne se glorifie point, dit Tertullien, de leurs bonnes œuvres et de leurs vertus apparentes ; mais aussi, depuis le grand scandale qu'ils lui ont causé en l'abandonnant, de quelque manière qu'ils se comportent, ils ne sont plus capables de lui en causer d'autres : Nec vitiis inquinatur, nec virtutibus coronatur. Il n'y a que nous, mes chers auditeurs, qui puissions dans l'opinion des hommes la relever ou la rabaisser, la couronner de gloire ou la charger de confusion. Soyons saints comme elle et selon elle, la voilà dans le plus haut point de son crédit. Mais si nous violons toutes ses règles, mais si nous traitons son culte avec de scandaleuses irrévérences, mais si nous allions, ou si nous prétendons allier la pureté de sa morale avec la contagion du siècle, avec les excès de la passion, avec les cupidités de la chair, avec le goût du plaisir et des voluptés sensuelles, c'est alors qu'elle tombe dans le mépris, et, si j'ose dire, dans l’gnominie.

Or, n'est-ce pas là que nous la réduisons, n'est-ce pas à quoi nous l'exposons? et n'est-il pas à craindre qu'il en soit de l'Eglise de Jésus-Christ comme il en fut de Jérusalem, lorsque ses ennemis, la trouvant toute dépeuplée et déserte, lui faisaient les plus cruelles insultes : Hœccine est urbs perfecti decoris (1) ? Est-ce là cette Eglise jadis si florissante et si belle ; cette Eglise qui remplissait le monde de l'éclat de ses vertus et de l'odeur de sa sainteté; cette Eglise qui sanctifiait les villes, les provinces, les empires ; cette Eglise qui consacrait les solitudes et les déserts, qui formait les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges? Hœccine est ? Est-ce là elle, et en quel état l'apercevons-nous? Qui l'a ainsi défigurée, et quels traits y pouvons-nous découvrir de son ancienne splendeur? Facti sunt filii perditi (2): Ses enfants, qu'elle avait élevés dans son sein, qu'elle avait instruits à son école, qu'elle avait éclairés de toutes ses lumières et pourvus de ses secours les plus puissants, sont devenus des enfants de perdition : Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus (3) : Elle avait toujours combattu le péché comme son ennemi capital, elle l'avait tant de fois vaincu et banni des cœurs où il s'était établi : mais il a repris sur elle tout l'avantage qu'elle lui avait enlevé. Il a répandu  son venin sur tout ce

 

1 Thren., II, 15. — 2 Ibid., I, 16. — 3 Ibid., 10.

 

qu'elle avait de plus cher, de plus sacré, et qu'elle conservait avec plus de soin. Il n'a pas même épargné les ministres de ses autels, et la dépravation est générale. Faut-il s'étonner qu'elle en ressente une si vive douleur, et qu'elle soit plongée dans l'amertume? Et ipsa oppressa amaritudine (1). Elle adresse sur cela ses plaintes à son Dieu et à son époux ; elle lui représente sa peine : Voyez, Seigneur, lui dit-elle, considérez l'affliction où je suis, et le décri où m'ont mis ceux-là mêmes que je portais entre mes bras, et à qui j'avais communiqué vos dons les plus précieux pour en profiter : Vide, Domine, et considera quoniam facta sum vilis (2). Mais tandis qu'elle gémit et qu'elle se plaint, elle est toujours en butte aux railleries et aux sanglants outrages des impies, des athées, des partisans de l'hérésie, qui ne l'envisagent qu'avec dédain, et qui se jouent de ses plus pieuses observances : Viderunt eam, et deriserunt sabbata ejus : quoniam viderunt ignominiam ejus.

Voilà, dis-je, ce que nous attirons à l'Eglise du Dieu vivant, et voilà à quoi nous ne donnons que trop d'occasion. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore des âmes fidèles dont la piété, dont la vie régulière et sainte peut faire honneur à la religion ; et à Dieu ne plaise que je leur refuse les justes éloges qui leur sont dus ! Il y en a dans le clergé, il y en a dans le cloître ; il y en a même parmi les grands et parmi les petits : car il a été de la bonté de Dieu de ne pas laisser prendre au vice un empire si universel que la ruine de son peuple fût entière ; et il a été de sa sagesse et de son adorable providence, pour la conviction des uns et pour leur condamnation , de conserver toujours dans le christianisme, et dans tous les ordres, dans tous les rangs du christianisme, certains exemples. C'est la consolation de l'Eglise, et là-dessus nous pouvons lui dire comme le Prophète disait à Jérusalem : Consolamini, consolamini (3) ; Sainte mère, soutenez-vous dans votre affliction, et consolez-vous ; malgré vos pertes, voici encore de dignes enfants qui vous restent, et qui peuvent en quelque sorte vous dédommager : Consolamini. Mais que dis-je, Chrétiens ! et qu'est-ce que cette consolation, si nous observons bien deux choses : premièrement, la multitude presque infinie de pécheurs qui déshonorent leur foi, et qui, sans la renoncer peut-être d'esprit et de cœur, la renoncent dans la pratique, et par leurs actions criminelles; secondement, l'injustice des hommes,

 

1 Thren., I, 4. — 2 Ibid., 11.— 3 Isai., XL, 1.

 

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surtout des ennemis de la vraie religion, qui ferment les yeux à tout ce qu'il y a d'édifiant pour n'en être point touchés, parce qu'ils ne le veulent pas être, et qui ne les tiennent ouverts qu'aux scandales, dont ils font le sujet de leurs discours injurieux, et où ils appliquent toute leur réflexion ?

Car ne dois-je pas aujourd'hui reconnaître dans le christianisme ce que le Prophète royal avait déjà depuis si longtemps reconnu dans le judaïsme; et faut-il qu'un prédicateur de l'Evangile en soit réduit à faire publiquement cet aveu : Omnes declinaverunt (1) ! Tous se sont égarés ; ils ont tous quitté les voies de la sainteté qu'on leur avait tracées et où ils étaient appelés, pour s'engager dans leurs voies propres, dans la voie de leur ambition, dans la voie de leur intérêt, dans la voie de la passion qui les domine. Oui, tous ils se sont ainsi livrés au péché : Omnes ; c'est-à-dire qu'entre eux le plus grand nombre est celui des pécheurs ; c'est-à-dire que pour un juste qui se sépare de la multitude, nous pouvons compter mille pécheurs ; c'est-à-dire que partout et quelque part que nous portions la vue, rien presque ne se présente à nous que des pécheurs : pécheurs de tout âge, de tout sexe, de tout caractère et de toute espèce ; pécheurs superbes et orgueilleux, pécheurs mercenaires et avares, pécheurs dissimulés et vindicatifs, pécheurs violents et emportés, pécheurs malins et médisants ; ainsi des autres : Omnes declinaverunt. Encore s'ils savaient, dans leur iniquité, se prescrire de certaines bornes, et demeurer dans les limites d'une certaine pudeur : mais y a-t-il rien dans les plus sales passions de si infect et de si honteux où ils ne se laissent entraîner? N'est-ce pas là même de tous les vices celui qui leur est devenu le plus commun, celui où ils se plongent plus promptement, celui où ils vivent plus habituellement, celui dont ils reviennent plus rarement, celui dont ils rougissent moins, dont ils se font moins de scrupule et moins de peine, dont ils se glorifient quelquefois plus hautement? Corrupti sunt (2). Je n'oserais m'expliquer davantage, et je les renvoie au témoignage de leur conscience, pour penser en eux-mêmes (si cependant il n'est pas plus à propos qu'ils effacent absolument de leur esprit ces infâmes idées, à moins que ce ne soit un sentiment de pénitence qui leur en retrace un souvenir général), pour penser, dis-je, en eux-mêmes, et pour se dire à eux-mêmes en quels abîmes de corruption et à quelles abominations

 

1 Psal., XIII, 3. — 2 Psal., XIII, 3.

 

la sensualité qui les gouverne les a conduits : Abominabiles facti sunt (1). Ah ! mes Frères, Jésus-Christ, notre législateur et notre maître, fut moqué, fut insulté, fut outragé dans sa passion : mais, comme nous la renouvelons par le péché, cette passion si ignominieuse, je puis bien conclure avec l'éloquent Sulvien que nous en renouvelons tous les opprobres, et qu'ils retombent sur la sainte loi que ce divin Sauveur est venu nous enseigner : In nobis opprobrium patitur Christus.

Il est vrai, et il en faut toujours convenir, que parmi tant d'ivraie semée dans le champ de l'Eglise, il y a quelque bon grain. Je sais qu'il se trouve encore dans la religion chrétienne quelques chrétiens capables d'en soutenir l'honneur. Mais est-ce sur eux que le libertinage attache ses regards? Est-ce au bien qu'ils font, est-ce aux exemples qu'ils donnent et aux vertus qu'ils pratiquent, que le monde se rend attentif? Dans une société, dans une compagnie, un homme scandaleux fait plus d'impression sur les esprits que tous les autres ensemble, quelque réglés qu'ils puissent être.

Finissons, mes chers auditeurs, et fasse le ciel que ce discours rallume tout votre zèle pour le soutien de votre foi et pour sa gloire! C'est ainsi que, sans passer les mers et sans porter l'Evangile à des peuples éloignés, vous pouvez participer au ministère des apôtres. Ne détruisons pas dans le sein de l'Eglise ce que d'autres bâtissent au milieu de l'idolâtrie : et tandis que des ouvriers infatigables vont chercher des nations barbares, et leur inspirer le respect de nos saints mystères, ne les avilissons pas dans l'esprit même des fidèles, et ne leur donnons pas lieu d'en être moins touchés. Nous sommes si sensibles à l'honneur d'une famille où nous avons pris naissance, si sensibles à l'honneur d'un corps où nous avons été associés comme membres : ne le serons-nous point à l'honneur d'une religion où nous avons été si heureusement régénérés, à qui nous nous sommes si étroitement engagés, par qui nous avons reçu tant de grâces, et dont nous attendons encore une couronne immortelle? Car, si nous sommes, selon l'expression de l'Apôtre, par la sainteté de nos mœurs, la joie et la couronne de notre religion : Gaudium meum et corona mea; elle sera la nôtre; et autant que nous l'aurons honorée en cette vie, autant serons-nous glorifiés dans l'éternité, que je vous souhaite, etc.

 

1 Psal., XIII, 1.

 

 

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