SERMON POUR LE VINGTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LE ZÈLE POUR L'HONNEUR DE LA RELIGION.
ANALYSE.
Sujet. Il crut en Jésus-Christ, et toute sa maison crut
comme lui.
Parce
que ce maître ne se contenta pas de croire, mais qu'il parla selon sa créance,
qu'il confessa Jésus-Christ de bouche et par œuvres, il engagea toute sa maison
à croire comme lui. Tel est le zèle que nous devons avoir pour l'honneur de la
religion.
Division. Comme chrétiens, nous reconnaissons dans notre
religion deux qualités essentielles, la vérité et la sainteté : la vérité de sa
doctrine, et la sainteté de sa morale. De là suivent deux conséquences qui
doivent faire tout le fond de ce discours. Noire religion est vraie ; donc nous
devons tous l'honorer par la profession de notre foi : première partie. Notre
religion est sainte; donc nous devons tous l'honorer par la pureté de nos mœurs
: deuxième partie.
Première
partie. Notre religion est vraie;
donc nous devons tous l'honorer par la profession de notre foi. C'est une
décision de l’Apôtre, que pour acquérir la justice chrétienne et pour parvenir
au salut, il faut deux choses : croire dans le cœur, et au dehors profession de
sa créance. Voilà l'hommage qu'ont rendu à la religion les premiers fidèles ;
et, selon le témoignage de Tertullien, rien n'a plus contribué à l'établir et à
la répandre dans le monde, que la constance des martyrs à la professer ment et
aux dépens de leur vie.
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Cette
profession de notre foi et l'honneur qu'en retire la religion, est pour nous
d'un devoir si rigoureux, que nous n'y pouvons manquer sans en devenir
responsables à Dieu, à l'Eglise et à toute la société des fidèles. 1°
Responsables à Dieu, qui ne doit pas seulement être honoré par un culte
inférieur, mais par un culte visible et extérieur. 2° Responsables à l'Eglise,
qui demande de nous et a droit de demander une confession publique, comme
une ratification authentique et
solennelle de la promesse faite pour nous dans notre baptême, et de l'engagement
contracté en notre nom. 3° Responsables à toute la société des fidèles, à qui
nous refusons l'exemple, et, dans cet exemple, le soutien que nous nous devons les uns
aux autres contre le libertinage.
Voila
de puissantes raisons ; mais, par la plus criminelle prévarication, au lieu
d'honorer notre foi en la professant, nous la déshonorons par nos scandales.
Scandales directs, et ce sont des scandales de libertinage et d'irréligion.
Scandales indirecte et ce sont des scandales d'indifférence, de négligence, de
respect humain en matière de religion. 1° Scandales directs, scandales de
libertinage et d'irréligion : railleries des choses saintes, préoccupation
contre l'Eglise, discours et raisonnements sur les articles de la foi, livres
contagieux où la foi est artificieusement corrompue, liaisons avec des gens
connus pour être des incrédules et des athées, entretiens où se débitent des
maximes formellement opposées à la morale de l'Evangile. 2° Scandales
indirects. Scandale d'indifférence : qu'il s'élève sur des points importants
quelques contestations, on dit qu'on ne prend point de parti. Scandale de :e :
on ne pratique nul exercice de religion. Scandale de complaisance : on prête
l'oreille aux paroles licencieuses de quelques amis dont la foi est très-suspecte.
Scandale de respect humain : on n'ose parler pour la religion en présence d'un
maître, d'un grand. Soyons avec Dieu de bonne foi : et si nous sommes à lui,
faisons-le connaître.
Deuxième
partie. Notre religion est sainte,
donc nous devons tous l'honorer par la pureté de nos mœurs. Que notre religion
soit sainte, c'est un principe que nous avons déjà établi dans un autre
discours. De toutes les qualités qui la relèvent, il n'en est point de plus
excellente que sa sainteté; d'où il s'ensuit que ce qui l'honore davantage,
c'est ce qui fait plus éclater cette sainteté. Or, rien ne fait plus paraître
la sainteté de la religion chrétienne, que la sainte vie des chrétiens : car on
ne peut mieux juger de l'arbre que par ses fruits, ni du principe que par ses
effets. Ce n'est pas qu'indépendamment de notre vie, elle ne puisse être
elle-même : mais c'est notre bonne vie qui la fait plus paraître sainte. Voilà
pourquoi saint Paul et tous les Pères de l'Eglise ont tant exhorté les fidèles
à se rendre irrépréhensibles dans leur conduite. Voilà ce qui a donné aux
païens mêmes une si haute estime du christianisme.
Mais
qu'est-il arrivé dans le cours des siècles? C'est que nous avons dégénéré de
cette première sainteté qui faisait autrefois christianisme, et dont ses
défenseurs se servaient pour en inspirer l'estime et pour l'autoriser. Voilà
comment nous déshonorons la religion; car quoique dans le fond on ne puisse ni
on ne doive rien lui attribuer de tout le mal que nous commettons, puisqu'elle
le condamne, il n'est néanmoins que trop ordinaire à ses ennemis d'en prendre
occasion de la décrier. Ne peut-on pas dire d'elle, dans l'état présent où nous
la réduisons, ce qu'on disait de Jérusalem dépeuplée et déserte : Hœccine
est urbs perfecti decoris? Est-ce là cette religion jadis si florissante et
si belle?
Il
faut après tout reconnaître qu'il y a encore des âmes fidèles, et des chrétiens
réglés et pieux, dont la conduite semble devoir en quelque sorte dédommager et
consoler l'Eglise. Mais qu'est-ce que cette consolation, si nous avons égard à
deux choses : 1°à la multitude presque infinie de pécheurs qui déshonorent leur
foi? 2° à l'injustice des hommes, surtout des ennemis de la mie religion, qui
ferment les yeux à tout ce qu'il y a d'édifiant pour n'en être point touchés,
et qui ne les tiennent ouverts qu'aux désordres dont ils sont témoins ? Fasse
le ciel que notre zèle se rallume pour l'honneur de notre foi ! C'est ainsi
que, sans passer les mers, nous pourrons participer au ministère des apôtres.
Nous sommes si sensibles à l'honneur d'une famille où nous avons pris naissance
: ne le serons-nous point à l'honneur d'une religion où nous avons été
régénérés ?
Credidit
ipse, et domus ejus tota.
Il
crut en Jésus-Christ, et toute sa maison crut comme lui. (Saint Jean, chap. IV,
53.)
C'est d'un père de famille que
l'Evangile nous produit aujourd'hui l'exemple. Touché du miracle que le Sauveur
du monde venait d'opérer en sa faveur, et ayant embrassé la loi de cet
Homme-Dieu, il la fait encore embrasser à ses domestiques, et ne croit pas
pouvoir mieux employer son pouvoir qu'à lui soumettre toute sa maison : Credidit
ipse, et domus tuus tota. Ce n'est pas qu'il use de violence, ni que d'une
autorité absolue il entraîne des esprits rebelles, et arrache d'eux, pour ainsi
parler, une foi contrainte et forcée. En matière de religion tout doit être
libre et pleinement volontaire, et Dieu réprouverait un culte où le cœur
n'aurait point de part. Si donc cette heureuse famille s'attache désormais à
Jésus-Christ et en suit fidèlement la doctrine, c'est qu'elle y est engagée par
l'exemple de son chef, c'est qu'elle y est animée par ses sages remontrances,
c'est que le témoignage de ce nouveau chrétien est une instruction pour elle qui
l'éclairé, qui la convainc, et que de l'honneur qu'il rend à la foi, elle
apprend elle-même à l'honorer. Car ce fut là sans doute, mes chers auditeurs,
la grâce prévenante et extérieure dont Dieu se servit, tandis qu'il agissait
intérieurement dans les âmes, et qu'il y répandait les rayons de sa lumière. Si
ce maître n'eût pas cru, ou si, dissimulant sa foi, il n'eût pas eu l'assurance
de s'en déclarer, tant de sujets soumis à son obéissance et témoins de sa
conduite seraient demeurés dans les ténèbres de l'infidélité : mais parce qu'il
ne se contenta pas de croire, et qu'il parla selon sa créance, qu'il s'expliqua
hautement, qu'il confessa Jésus-Christ de bouche et par œuvres, sa conversion
seule fut le principe de toutes les autres conversions : Credidit ipse, et
domus ejus tota. Or, voilà le zèle que je voudrais allumer dans vos cœurs.
Voilà, Chrétiens, par où je voudrais corriger mille scandales que nous causons
à notre religion, et qui la déshonorent Je vais vous faire comprendre ma pensée
; mais pour vous la bien développer j'ai besoin de l'assistance du
Saint-Esprit, et je la
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demande par l'intercession de Marie : disons-lui, Ave,
Maria.
Nous avons tous une obligation
indispensable et naturelle d'honorer notre religion, comme nous en avons une
d'honorer notre Dieu. Ces deux obligations sont fondées sur le même principe,
et l'une est une suite nécessaire de l'autre. Dieu et la religion, dit saint
Thomas, ne se peuvent séparer. Car Dieu est la fin dernière que nous cherchons,
et la religion est le moyen qui nous lie à cette fin. Comme il est donc
impossible d'aimer la fin sans aimer le moyen, aussi est-il impossible
d'honorer Dieu sans honorer la religion. Voilà le plus noble zèle que nous
puissions jamais concevoir, et celui de tous auquel nous sommes le plus
étroitement engagés. C'est le plus excellent et le plus noble, parce que faire
honneur à la religion, c'est le faire à Dieu même. Or, quel avantage pour une
créature, qu'elle soit capable de faire honneur à son Dieu ! C'est celui
auquel nous sommes le plus étroitement engagés, parce que le premier de tous
les devoirs, comme les païens mêmes l'ont reconnu, regarde la Divinité et la
religion. L'amour de la patrie, la foi conjugale, la piété des enfants envers
leurs pères, le lien des amitiés les plus intimes, tout cela est fort, et ce
sont de grandes obligations : mais tout cela doit céder à l'obligation dont je
parle ; et plutôt que d'y manquer, il faut être prêt de renoncer à tout le
reste.
Qu'est-ce que notre religion?
C'est un précieux héritage que nous avons reçu de nos ancêtres, comme ils
l'avaient eux-mêmes reçu de Dieu. C'est à nous de le conserver et de le
maintenir avec honneur. Moïse, Josué et les autres conducteurs du peuple de
Dieu, pouvaient tout sur lui quand ils l'intéressaient par cette considération.
Allons, disaient-ils, généreux Israélites, c'est pour le Dieu d'Abraham qu'il
faut combattre : c'est le Dieu d'Isaac et de Jacob qui vous commande de marcher
; c'est le Dieu de vos pères qui nous envoie pour vous témoigner combien il se
tient offensé de vos superstitions. A cette parole du Dieu de leurs pères, ils
se sentaient émus, ils obéissaient sans réplique, ils brisaient leurs idoles,
les aimées entières se mettaient sur pied, et se présentaient à l'ennemi. Quoi
donc 1 demande saint Chrysostome, est-ce que Dieu était pour eux quelque chose
de plus, parce qu'il avait été le Dieu d'Abraham; ou que leur religion était
plus sainte, parce qu'elle avait été celle de leurs pères? Non, répond ce saint
docteur; mais cependant cette vue du Dieu de leurs pères réveillait en eux les
plus purs sentiments de leur foi. Se regardant comme les successeurs d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob, ils avaient honte d'avoir dégénéré de leur piété, et ce
seul motif leur inspirait le zèle de ces grands patriarches, je veux dire le
zèle de la vraie religion.
Je ne suis, Chrétiens, ni un
Moïse, ni un Josué, pour prétendre la même autorité sur vous : mais j'en ai une
autre en vertu de mon ministère, qui ne m'autorise pas moins à vous parler de
la part de Dieu ; et c'est par un mouvement particulier de son Esprit que je
viens vous solliciter pour les intérêts de votre religion et de la mienne, me
promettant au reste bien plus de vous,
que jamais Moïse n'eut droit d'attendre du peuple juif. Car c'était un peuple
grossier et incrédule, un peuple insensible aux bienfaits de Dieu, un peuple
léger et inconstant : et moi j'espère trouver en vous un peuple docile, qui
sera touché des scandales dont la religion de Jésus-Christ est déshonorée, et
qui conspirera avec moi pour les retrancher du royaume de Dieu et de son Eglise
: Et colligent de regno ejus omnia scandala (1). Il ne s'agit ici que
des scandales qui attaquent spécialement la religion, et voici le dessein de ce
discours. Je suppose deux qualités essentielles dont je vous ai déjà
entretenus, et que nous reconnaissons, comme chrétiens, dans notre religion ;
savoir, la vérité et la sainteté. La vérité de sa doctrine, et la sainteté de
sa morale. ; Or, de là je tire deux
conséquences qui vont partager ce discours. Notre religion est vraie; donc nous
devons tous l'honorer par la profession de notre foi : c'est la première
partie. i Notre religion est sainte ;
donc nous devons j tous l'honorer par
la pureté de nos mœurs: c'est la seconde partie. Voilà où se réduit ce zèle
dont j'ai entrepris de vous entretenir, et ce qui me donnera lieu de combattre
bien des désordres, que nous ne pouvons assez déplorer dans le christianisme.
Donnez-moi votre attention.
PREMIÈRE PARTIE.
C'est une décision de l'Apôtre,
que pour acquérir la justice chrétienne et pour parvenir au salut, il faut deux
choses : croire dans le ; cœur, et faire au dehors profession de sa créance.
Professer la foi et ne l'avoir pas dans le cœur, ce serait hypocrisie : mais
aussi l'avoir
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dans le cœur et n'oser pas, dans les rencontres et dans les
sujets où son honneur le demande, la produire au dehors, et en faire une
déclaration publique, ce serait pour elle un outrage , puisque ce serait la
désavouer dans la pratique et en rougir : Corde creditur ad justitiam; ore
autem confessio fit ad salutem (1). Il est donc d'un devoir essentiel à
l'égard de tout chrétien, de joindre, pour honorer sa religion, à la soumission
de l'esprit, la confession de la bouche; et tel a été l'hommage que lui ont
rendu si hautement et avec tant d'éclat les premiers fidèles. Rien n'a plus
contribué à sa gloire que la sainte liberté de ces parfaits chrétiens à la
reconnaître et à la publier. Voulez-tous savoir comment, au milieu des plus
violentes persécutions, bien loin de déchoir en aucune sorte et de rien perdre
de sa splendeur, elle s'est toujours soutenue et toujours élevée ? C'est,
répond saint Cyrille, qu'elle recevait alors de grands et d'illustres
témoignages. Les empereurs pensaient la détruire en exerçant toute leur
sévérité contre ceux qui la professaient et c'était justement le moyen de
l'établir. Ils travaillaient par là, sans le vouloir, à son accroissement,
parce qu'ils lui procuraient autant de témoins qu'ils condamnaient de prétendus
criminels. Chaque confession lui coûtait un martyr, mais chaque martyr lui
attirait une troupe de nouveaux défenseurs.
Ecoutez l'excellente raison qu'en
donne Tertullien. C'est, dit-il , que l'inébranlable et admirable constance des
fidèles dans la profession de leur foi, était une leçon sensible et
convaincante pour les païens : Illa ipsa , quam exprobratis, obstinatio
confitendi magistra est. Et en effet, ces idolâtres, tout attachés qu'ils
étaient à leurs superstitions, voyant, dans le christianisme, qu'ils
persécutaient, une telle fermeté, se sentaient portés à examiner le fond de cette
religion prêchée avec tant de zèle, défendue avec tant de force, avouée avec
tant d'assurance, et au péril même des plus cruels tourments et de la mort. Quis
enim contemplatione ejus non concutitur
ad requirendum quid intus in re sit ? Par cette recherche et cet
examen qu'ils en faisaient, ils apprenaient à la connaître, et c'était assez
qu'ils la connussent, pour la révérer et pour l'embrasser : Quis autem ubi
requisivit, non accedit ? Voilà, conclut Tertullien, ce qui augmentait tous
les jours le nombre des disciples de Jésus-Christ, et ce qui donnait tant de
lustre et tant de crédit à la loi qu'ils professaient. Mais au contraire,
qu'un d'eux eût fait une fausse démarche et se fût démenti
dans une malheureuse occasion ; que la crainte des hommes et leurs menaces
l'eussent ébranlé; qu'une espérance humaine l'eût tenté et surmonté; qu'il eût
honteusement disparu, pour ne pas répondre et ne pas rendre raison de sa foi;
ou qu'obligé de paraître, il eût, par une lâche dissimulation, caché ce qu'il
était : ah! la honte en rejaillissait jusque sur la face de l'Eglise; la peine
qu'elle en ressentait lui était plus douloureuse que les roues et que les
croix; et, comme disait saint Cyprien, la faiblesse des membres faisait languir
le corps, et lui causait les plus tristes défaillances : In prostratis
fratribus, et nos prostravit affectus.
Or, il est vrai, mes Frères, ces
temps d'une persécution ouverte et générale ont cessé, et nous ne sommes plus
appelés devant les tribunaux, ni exposés aux arrêts des tyrans. On ne nous fait
plus un crime d'être chrétiens, et même on nous en ferait un de ne l'être pas.
Mais ne nous flattons point de cette paix ; car, à le bien prendre, cela veut
dire que nous ne sommes plus en pouvoir d'honorer autant notre religion que
l'ont honorée ces glorieux athlètes, qui eurent le courage et le bonheur de
signer leur foi de leur sang. Cependant, sans être en état de l'honorer comme
eux, il y a un témoignage qu'elle attend de nous : et parce que souvent nous
lui refusons ce témoignage si juste et si raisonnable, qu'arrive-t-il ? C'est
qu'au lieu de lui faire tout l'honneur que nous pourrions au moins lui
procurer, nous la déshonorons par nos scandales, et la décréditons. Si je puis
bien vous développer ce mystère d'iniquité, vous en gémirez avec moi, et vous
apprendrez à en réparer les suites funestes. Suivez-moi, je vous prie.
Oui, Chrétiens, la profession de
notre foi, et l'honneur qu'en retire la religion , est pour nous d'un devoir
tellement rigoureux , que nous n'y pouvons manquer sans en devenir responsables
et à Dieu et à l'Eglise, et à toute la société des fidèles. Trois preuves
exprimées en trois mots, et fondées sur la doctrine de saint Thomas.
Expliquons-les. Car, quand Dieu a voulu instituer une religion sur la terre, il
n'a pas prétendu qu'elle y demeurât obscure et dans les ténèbres. Parce qu'elle
devait servir à sa gloire et qu'elle n'était même établie que pour sa gloire,
il ne suffisait pas qu'elle lut tout intérieure et renfermée dans le secret des
âmes ; mais il fallait qu'elle fût visible, il fallait qu'elle parût au jour et
au plus grand jour, afin
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que par son éclat elle contribuât à relever la grandeur du
Maître à qui elle nous soumet, et qu'elle nous propose comme l'objet de notre
culte. Or elle ne peut ainsi paraître qu'autant que nous la professons ; et de
là ces exercices publics qu'elle nous fait pratiquer, de là ces sacrés mystères
qu'elle nous fait célébrer, de là ces solennités et ces fêtes qu'elle nous fait
observer, de là ces pieuses assemblées où elle nous appelle, et ces augustes
cérémonies où elle nous fait assister; de là ces prières communes, ces louanges
divines qu'elle nous fait réciter ; de là tout cet extérieur de religion que
nous devons accompagner de l'esprit, et qui, nous donnant une haute idée du
service de Dieu, nous attache plus étroitement à Dieu même, et nous excite à le
glorifier. Si donc nous voulons nous borner à une fausse obéissance du cœur, et
que nous dépouillions notre religion de ces apparences et de ces dehors, si
nous craignons de la faire voir, nous l'obscurcissons, nous la retenons captive
dans un honteux silence : toute vraie qu'elle est, nous en altérons, non pas la
vérité, qui est toujours la même, mais la foi, qui a divers degrés et qui peut
être plus ou moins vive. La tache se communique, elle s'étend en quelque sorte
jusques à Dieu, et par là nous lui dérobons une partie de la gloire qu'il avait
en vue, et dont nous lui sommes redevables.
Il n'est donc pas surprenant que
Dieu, par un commandement exprès, nous oblige de nous faire connaître sur le
point de la religion, de parler ouvertement et sans déguisement, d'ajouter aux
paroles tout ce qui peut dans la pratique découvrir et mettre en évidence notre
foi, d'en rehausser, par cette confession, les avantages, et d'en confirmer la
vérité. Mais ce n'est pas tout, poursuit l'Ange de l'école, et cette même
confession de la foi que la lumière céleste a gravée dans notre sein, l'Eglise,
par un autre précepte, a droit encore de nous la demander, et en effet nous la
demande, comme une ratification de la promesse faite pour nous dans notre
baptême, et de l'engagement contracté en notre nom. Cette pensée est solide,
comprenez-la. Sur les sacrés fonts de baptême nous avons fait à l'Eglise un
serment d'obéissance, et nous nous sommes présentés pour être admis parmi ses
enfants et au nombre des fidèles. A la face des autels, nous avons
solennellement reconnu la vérité de la loi où nous voulions être agrégés, pour
y vivre et pour y mourir. Nous avons renoncé au démon, au monde, à la chair,
pour nous dévouer à Jésus-Christ, pour porter le joug de Jésus-Christ, pour
être revêtus de Jésus-Christ. Tout cela en présence du ministre qui nous a
conféré la grâce, en présence des spectateurs, les uns garants et les autres
seulement témoins de notre protestation authentique et irrévocable. Voilà
comment nous avons reçu la foi dès la naissance; mais, après tout, ce n'était
point nous proprement alors qui agissions, nous qui parlions, nous qui nous
engagions et qui répondions. On répondait pour nous, on parlait pour nous, on
agissait pour nous. L'Eglise a bien voulu se contenter de ce premier
engagement; elle l'a accepté, mais à une condition : c'est que dans la suite il
serait ratifié, et par qui? par nous-mêmes : et par où? non point tant par un
aveu de l'esprit, quoique nécessaire, que par un aveu de la bouche, par un aveu
déclaré, publié, notifié à tout le monde chrétien. Sans cela, sans une telle
profession, nous révoquons tacitement ce que nous avons dit par le ministère de
ceux qui nous ont prêté leur voix pour nous faire entendre ; nous les
démentons, et nous nous démentons nous-mêmes. Du moins nous rendons notre foi
suspecte, et nous faisons cette injure à la religion où l'Eglise nous a
associés et incorporés, de ne plus oser prendre son parti ni lui marquer notre
attachement dès que notre raison développée peut en discerner la vérité, et que
nous nous trouvons en état de l'honorer par notre propre témoignage.
Le mal va encore plus avant, et
nous violons une troisième et dernière obligation, c'est celle de l'exemple que
doit chaque fidèle à toute la société chrétienne dont il est membre : car nous
ne sommes tous qu'un même corps en Jésus-Christ; et ce qui fortifie ce corps
mystique, ce qui lui donne une sainte vigueur, ce qui soutient la foi qui en
est l'âme, ce qui la fait fleurir, c'est l'édification commune que l'un reçoit
et qu'il rend à l'autre. Ce sont ces dehors de religion qui frappent les yeux,
et qui font d'autant plus d'impression sur les cœurs que nous nous sentons
naturellement excités à imiter ce que nous voyons. Touché de cet extérieur, on
conçoit pour la religion même un profond respect. L'impiété est forcée de se
taire, et la vérité triomphe. Mais, par une règle toute contraire, que ce culte
visible et apparent commence à s'abolir, tout commence à languir. On ne sait
presque plus ce que c'est que la religion. Les libertins s'en prévalent, les
fidèles en sont troublés : Qu'est-ce que la foi, dit-on, et y en a-t-il encore
dans le monde?
389
Filius hominis veniens, putas fidem inveniet in terra
(1) ?
Voilà, dis-je, mes chers
auditeurs, les principes évidents et incontestables d'où le Docteur angélique a
tiré, comme une conséquence infaillible, l'important devoir que je vous prêche.
Devoir général, et qui nous regarde tous; mais devoir particulier pour vous,
grands de la terre : un grand, par son élévation, est plus en état de faire
honneur à sa religion ; de même aussi que sa grandeur et la distinction des on
rang, par un malheur qui en est inséparable, le met en pouvoir de nuire davantage
à la religion, et de lui porter des coups plus mortels. Devoir particulier pour
vous, pères et mères : un père et une mère, par l'autorité qu'ils ont dans leur
famille, sont plus capables d'y entretenir l'esprit de religion, et par conséquent
en deviennent beaucoup plus criminels, s'ils ne prennent pas soin de l'y
conserver, et que , par un abandon total des œuvres religieuses, ils le
laissent peu à peu se détruire, soit dans eux-mêmes, soit dans ceux que le ciel
leur a soumis. Devoir particulier pour vous, à qui la réputation, l'érudition,
le génie, donnent, sans autre droit, un certain crédit dans le monde : il ne
faut souvent qu'une parole d'un homme de ce caractère pour maintenir ou pour
affaiblir la foi et la religion dans des esprits prévenus en sa faveur, et
disposés à l'écouter. C'est ce qu'avait si bien compris le Prophète royal, et
ce que nous devons nous-mêmes conclure , en disant comme lui : Credidi, propter
quod locutus sum (2); J'ai cru , et je ne m'en suis pas tenu là. Je n'ai
point cherché à déguiser mes sentiments, ni ma créance ; je n'ai point eu peur
qu'on en fût instruit et qu'on les connût ; mais dans la persuasion où j'ai été
et où je suis encore, que je devais cet hommage à la vérité et cette
reconnaissance au bienfait du maître qui me l'a révélée, je m'en suis expliqué
dans tous mes discours et dans toute nia conduite : Propter quod locutus sum.
Telle était la fidélité de ce
saint roi ; mais par une prévarication contre laquelle les prédicateurs de
l'Evangile ne peuvent trop fortement s'élever, et qui doit exciter toute
l'ardeur de leur zèle, que faisons-nous ? Ah ! mes Frères, que ne puis-je vous
le représenter dans toute son étendue et dans toute son horreur! Au lieu
d'honorer notre foi en la professant selon les règles d'une religion pure et
sincère, nous la déshonorons par des scandales dont le christianisme , qui est
pour nous en cette vie le royaume de Dieu, se trouve rempli. Scandales
de toutes les sortes : les uns directs, et ce sont des
scandales de libertinage et d'irréligion ; les autres indirects, et ce sont des
scandales d'indifférence, de lâcheté, de respect humain en matière de religion.
J'entre dans un fonds de morale que je n'entreprends pas d'épuiser, puisqu'il
est presque inépuisable; mais la simple exposition que je vais faire des
désordres du siècle, je dis de ce siècle malheureux où nous vivons, suffira
pour vous toucher, et vous convaincra mieux que tous les raisonnements.
Scandales de libertinage et
d'irréligion. Je ne prétends point ici
parler de ces scandales énormes qui n'éclatent que trop souvent, lorsque dans
l'excès et dans la licence d'une débauche sans ménagement et sans égard, des
impies font gloire de traiter avec profanation les choses de Dieu, de parler
insolemment de nos mystères, de se jouer des plus horribles sacrilèges , et
d'employer ce qu'il y a de plus saint et de plus divin à leur divertissement.
Cela s'est vu, Chrétiens, et Dieu veuille que ces anathèmes qui ont été au
milieu de nous, pour user du terme de l'Ecriture, n'aient pas attiré sur nos
têtes les malédictions et les fléaux dont nous sommes continuellement affligés!
Peut-être en portons-nous la peine sans le savoir. Quoi qu'il en soit, de
telles impiétés et leurs auteurs ont plutôt besoin d'être réprimés par la
sévérité des lois que par les salutaires avis des ministres évangéliques : et
malheur à ceux qui, revêtus d'une puissance légitime pour arrêter ces
scandales, les laissent impunis ! malheur à ceux par qui Dieu en doit être
vengé, et par qui il ne l'est pas; car il saura bien se venger lui-même et sur
eux-mêmes ! C'était à eux d'être les protecteurs et les défenseurs de la cause
de Dieu ; mais parce qu'une molle connivence,
qu'une considération tout humaine
les a retenus, c'est à eux que Dieu demandera raison de sa cause abandonnée et
de ses intérêts trahis. Cependant le
comble du scandale, n'est-ce pas de voir quelquefois des libertins si
scandaleux et si diffamés aspirer encore après cela aux premiers rangs, et
peut-être aux premiers rangs de cette même religion qu'ils ont profanée avec
tant de mépris et tant d'outrages : voulant porter jusque sur le faîte de la
dignité une tache qui ne s'effacera jamais,
une flétrissure qui les exposera toujours aux reproches que le
libertinage même pourra leur faire et leur fera, et qui par là les rend presque
absolument incapables d'être dignement et utilement ce qu'ils travaillent
néanmoins à devenir?
390
Je neveux point non plus parler
de ces abominations de désolation qui paraissent tous les jours dans le lieu
saint, c'est-à-dire de ces irrévérences qui se commettent à la face des autels,
à la vue des prêtres du Dieu vivant, aux yeux de tout un peuple assemblé et
humilié devant le Seigneur : comme si l'on avait entrepris de venir insulter
Dieu même dans sa propre maison ; comme si son sanctuaire était destiné aux
plus sales entretiens, aux plus criminelles libertés, aux plus indignes
adorations. Scandale qui, par une espèce de providence, ne se voit plus que dans
l'Eglise chrétienne et parmi nous : Dieu, dit excellemment saint Augustin ,
ayant, ce semble , voulu de notre impiété même nous faire une preuve de la
vérité de notre religion, puisque c'est la seule dont le démon tâche de
corrompre le culte et s'efforce de pervertir les pieuses pratiques. Pourquoi la
seule? il n'est pas difficile d'en concevoir la raison. Car de toutes les
religions c'est la seule où le vrai Dieu est servi : et l'intérêt de ce capital
ennemi de Dieu est que tous les autres cultes, quoique faux et superstitieux ,
soient religieusement observés, parce que ce sont ses ouvrages et qu'il y est
lui-même adoré. Encore une fois, ce n'est point de tout cela que je parle. Ce
sont plutôt des monstres que des scandales, et, sans que je m'arrête à vous en
faire d'affreuses images, il ne faut que le moindre sentiment du christianisme
pour les détester.
Je passe donc à d'autres où nous
tombons avec moins de peine, que nous évitons avec moins de soin, à quoi peu à
peu l'esprit du siècle nous familiarise, que nous nous figurons assez
innocents, et dont quelquefois nous nous piquons jusqu'à en faire vanité ,
quoiqu'un effet ce soient des scandales, et des scandales d'irréligion.
Examinons la conduite du monde, et nous aurons bientôt appris à les connaître.
Scandales d'irréligion (remarquez bien ceci, s'il vous plaît), scandales
d'irréligion : ce sont mille railleries des choses saintes, où l'on s'égaie et
dont on s'applaudit. On raille de tout : on raille des personnes de piété, et
cela détourne les esprits faibles de la voie de Dieu. On raille des pasteurs
des âmes et des vicaires de Jésus-Christ, et cela les empêche de glorifier Dieu
dans leur ministère. On raille des prédications et des prédicateurs, et cela
fuit que la divine parole est abandonnée, et qu'elle n'opère rien. On raille
des dévotions de l'Eglise sous ombre de crédulité, de simplicité, d'imagination
et de vision dans les peuples qui les pratiquent, et cela tourne au mépris de
l'Eglise même qui les autorise. On raille de certaines sociétés, de certaines
indulgences, sous prétexte des abus
qu'on y découvre, ou que l'on croit y découvrir : au lieu d'imiter saint
Augustin, qui, tout évêque qu'il était, n'osait souvent s'élever contre un
abus, de peur que la substance même de la chose n'en lût altérée; car c'est
ainsi qu'il s'en déclare dans une de ses lettres. On raille de la fréquentation
des sacrements, et de là vient que ces sources de grâces et ces remèdes
salutaires sont négligés. Scandales d'irréligion ; c'est cette malignité dont
tant d'esprits aujourd'hui sont préoccupés contre l'Eglise ; car vous en verrez
qui là-dessus ont un fond de chagrin et d'amertume dont ils ne sauraient se
défendre. A peine peuvent-ils souffrir que l'Eglise soit dans l'éclat où elle
est maintenant : ses revenus les choquent, sa juridiction leur déplaît. Ils
voudraient qu'elle fût aussi dépendante
des puissances temporelles, aussi pauvre et aussi abjecte dans le monde,
qu'elle l'était du temps des premiers Césars ;
c'est-à-dire qu'elle fût aussi
esclave sous les chrétiens qui sont ses enfants, qu'elle l'était sous ses
persécuteurs et ses ennemis. Nouveaux Hérodes, dit saint Bernard, qui laissent
Jésus-Christ en paix dans l'obscurité de son berceau, mais qui sont jaloux de
le voir puissant et exalté dans les progrès et l'exaltation de son épouse : Alter
Herodes, qui Christum non in cunis habet suspectum, sed in Ecclesiis invidet exaltatum. Entendez-les parler de
l'Eglise, il n'y a rien qu'ils ne défigurent. S'y consacrer pour vaquer à Dieu,
c'est paresse ; s'y établir, c'est ambition et intérêt. Qu'un ecclésiastique ou
un religieux s'oublie en quelque rencontre, vous diriez qu'ils en
triomphent. Qu'il y ait eu quelque chose
à I censurer dans un homme constitué en dignité, dans un souverain pontife,
c'est sur quoi ils sont savants et éloquents. Toujours disposés à raisonner sur
ce que l'Eglise ordonne, et jamais à le favoriser ; n'ayant d'esprit que contre
l'Eglise, et jamais pour l'Eglise ; n'étant attentifs qu'à borner son autorité,
sans être dociles à s'y soumettre.
Scandales d'irréligion : c'est
cette témérité si dangereuse et si ordinaire avec laquelle des hommes sans
étude, sans lettres, sans nulle teinture des sciences divines, s'énoncent
hardiment sur tout ce qu'ils ne goûtent pas dans notre créance, ou qui n'est
pas conforme à leur sens dans l'Ecriture, quoique les seules raisons humaines,
dit saint Augustin, dussent
391
leur rendre cette créance et cette Ecriture vénérables ; et
cela, Chrétiens, parce qu'ils sont du nombre de ceux que décrivait l'apôtre
saint Jude, qui blasphèment tout ce qu'ils ignorent : Quœcumque ignorant,
blasphemant (1). Au lieu qu'ils devraient dire : Du moins je porterai ce
respect à ma foi et à ma religion, de ne condamner jamais ce que je n'entendrai
pas, et d'en accuser plutôt mon ignorance , que de m'en prendre à celui dont
les ténèbres valent mieux pour moi que toutes les lumières de mon esprit.
Scandales d'irréligion : ce sont ces livres contagieux et ces ouvrages où la
foi est artificieusement corrompue, où la vertu est traduite en ridicule, où la
crainte de l'enfer et des jugements de Dieu est représentée comme une faiblesse.
Ouvrages reçus avec une estime générale, lus avec une avidité insatiable,
récités dans tous les cercles, et proposés pour des modèles. En vérité, peut-on
dire alors qu'il y ait de la religion dans le monde? le peut-on penser?
Scandales d'irréligion : ce sont ces liaisons avec des gens connus pour être
des incrédules et des athées. Liaisons dont les plus vertueux, ou ceux qui
passent pour tels, ne se font point de scrupule. Liaisons fondées sur cela seul
que ce sont des esprits agréables, qu'ils divertissent et qu'ils plaisent,
qu'ils brillent dans les conversations , et qu'on les écoute volontiers, sans
se soucier du péril où l'on expose sa conscience et sa foi ; sans se mettre en
peine de l'avantage qui en revient à l'impiété, quand on voit que pour n'avoir
point de religion, on n'en est pas moins estimé ni moins recherché. Ah !
Chrétiens, où est ce zèle du Roi-Prophète, lorsqu'il protestait si hautement à
Dieu qu'il n'aurait jamais de commerce avec les impies, et que jamais il ne
leur donnerait le moindre accès auprès de sa personne, parce qu'il craignait de
paraître en quelque sorte les approuver et les autoriser ? Odivi ecclesiam
malignantium, et cum impiis non sedebo (2).
Poursuivons, et ne nous lassons
point d'un détail toujours abrégé, quelque étendu d'ailleurs qu'il puisse être.
Scandales d'irréligion : ce sont ces entretiens où se débitent mille maximes formellement
opposées à la morale de l'Evangile : par exemple, que rien n'est plus cher que
l'honneur, et qu'il ne faut jamais souffrir une injure; que chacun, par rapport
aux biens temporels, doit penser à soi, et se pourvoir comme il peut; qu'on
n'est heureux qu’autant qu'on est riche, qu'autant qu'on est puissant et accrédité,
qu'on jouit des commodités
et des douceurs de la vie ; qu'il y a un âge pour la
retraite, et un autre pour le plaisir; que certaines fautes ne sont point de si
grands péchés; qu'il n'est pas à croire que Dieu s'en tienne si grièvement
offensé, ni qu'il les punisse si sévèrement. Maximes toutes mondaines, mais
dont on se prévient, auxquelles on se conforme, que l'on répand, que l'on suit,
malgré les anathèmes du Fils de Dieu qui les a tant de fois foudroyées et
proscrites. Enfin, scandales d'irréligion : ce sont ces nouveautés, ces erreurs
qu'on veut introduire aux dépens de la saine doctrine. Erreurs qui n'éclatent
pas tout à coup, mais qui se glissent secrètement et par degrés. On les couvre
d'un voile de religion et de réforme ; on les insinue dans des discours
publics, dans des conférences particulières, dans des libelles et des écrits;
on leur donne un air de régularité, d'austérité, de pur christianisme, qui
impose et qui engage. Elles ont bientôt leurs fauteurs, surtout parmi le sexe,
plus facile à séduire et plus sujet à s'entêter. Elles ont bientôt leur parti;
et ce parti croît, s'avance, lève la tête , se soutient par ses intrigues, ses
artifices, ses discours; désole le champ du père de famille en y semant la
zizanie, et cause dans le troupeau de Jésus-Christ les schismes et les
divisions. Ce ne sont point là des fantômes; et plût au ciel que tout ce que
j'en pourrais dire ne fût qu'imaginaire et en idée!
Or je vous demande, mes chers
auditeurs, si tout cela et tout ce que je passe ne sont pas des scandales , et
des scandales directement contraires à cette profession simple, soumise, droite
et ouverte qui honore la religion? Et combien d'autres encore aurais-je à vous
reprocher ? Scandales indirects , je veux dire scandales d'indifférence,
scandales de négligence, scandales de complaisances, scandales de respect
humain et d'une servile dépendance ! Quelle matière à de nouvelles réflexions !
Elle est infinie, et je suis obligé de la renfermer en peu de paroles.
J'appelle scandale d'indifférence
une froideur mortelle et une malheureuse neutralité sur ce qui touche les
intérêts de la religion. Qu'il s'élève quelques différends sur des questions
importantes où la vraie foi est attaquée, des gens demeurent tranquillement à
l'écart, et ils ne prennent point, disent-ils, de parti ; ils ne sont ni pour
l'un ni pour l'autre, se flattant de suivre en cela l'avis du grand Apôtre, qui
reprenait les chrétiens de Corinthe d'être les uns pour Paul, et les autres
pour Apollo :
392
mais ne faisant pas attention à ce qu'ajoutait le même
apôtre, qu'ils devaient être pour Jésus-Christ, et par conséquent que si Paul
soutenait la doctrine de Jésus-Christ, s'il combattait pour l'Eglise de
Jésus-Christ, ils devaient nécessairement se tourner du côté de Paul, et le
seconder. Cependant on se tient en paix ; on entend tout, et l'on ne s'attache
à rien. Que la religion soit en danger, que l'Eglise de Jésus-Christ soit
humiliée, qu'elle soit méprisée, qu'elle soit insultée, on n'en est nullement
ému; et c'est, à ce qu'il semble, une sagesse, une discrétion, un esprit de
dégagement; comme si dans la cause de Dieu tout homme, selon le mot de
Tertullien, n'était pas né soldat; comme si jamais il était permis à des
enfants de rester neutres entre leur mère et ses ennemis ; à des sujets, entre
leur prince légitime et des peuples révoltés; à des chrétiens, à des catholiques,
entre l'Eglise et des rebelles qui lui déchirent le sein. J'appelle scandale de
négligence une omission habituelle et presque universelle de tout ce qui est du
culte de Dieu : et que peut-on, en effet, juger de la religion d'un homme à qui
l'on ne voit jamais pratiquer nul exercice de religion ? Point de prière, ni en
commun, ni en particulier ; point d'abstinences ni de jeûnes, quoique ordonnés
par l'Eglise ; point de confessions , de communions, pas même souvent au temps
de la pâque. Or vous savez combien cet état est fréquent; et dites-moi quel
vestige de christianisme on y peut reconnaître? J'appelle scandale de
complaisance une damnable facilité à prêter l'oreille aux paroles licencieuses
de quelques amis d'une foi très-suspecte, et peut-être tout à fait perdue. Ce
n'est pas qu'on se plaise à ces sortes de conversations ; mais, pur une
criminelle condescendance, on paraît s'y plaire. On voit assez ce qu'on aurait
à répondre, mais on craindrait de se rendre fâcheux et critique; on se persuade
pouvoir tout accorder à la liberté et à l'enjouement de l'entretien ; on
consent à tout, ou l'on semble y consentir dès qu'on n'y résiste pas ; et, tout
fidèle qu'on peut être, on passe pour impie avec les impies. J'appelle scandale
de respect humain et d'une servile dépendance, cette lâche timidité qui nous
ferme la bouche en la présence d'un maître, d'un grand à qui l'on a vendu son
âme et sa religion, ces vues de fortune par où l'on se laisse entraîner dans un
parti que l'on sait être le parti de l'erreur ; ces ménagements au moins et ces
réserves pour ne le pas choquer, et ne s'en attirer pas la disgrâce.
Eh ! Seigneur, si dans la
naissance de votre Eglise, et dans ces premiers temps où elle eut à livrer tant
de combats et à essuyer tant de persécutions, elle n'avait point eu d'autres
défenseurs, que serait-elle devenue? Si les premiers chrétiens eussent été des
indifférents, des négligents, de faux complaisants, des sages et des politiques
mondains, auraient-ils sacrifié leurs biens et répandu leur sang pour l'honneur
de la religion? En combien d'occasions l'auraient-ils trahie, non pas toujours
en se déclarant contre elle, mais en ne se déclarant pas pour elle, mais en
dissimulant, mais en se taisant ! Car, dit saint Chrysostome, il ne faut pas
seulement réputer pour traître à sa religion celui qui l'abandonne ouvertement
en appuyant le mensonge, mais celui qui ne la confesse pas hautement en
soutenant la vérité : Non enim solus ille proditor est veritatis, qui mendacium
loquitur, sed qui veritatem, cum oportet, non confitetur. Soyons de bonne
foi, mes Frères ; et puisque nous sommes chrétiens, soyons-le pleinement, en
faisant gloire de l'être. C'est ne l'être qu'à demi que de ne le vouloir pas
paraître. Appliquons-nous à nous-mêmes le juste reproche que faisait aux Juifs
le prophète Elie : Usquequo claudicatis in duas partes (1) ? Que ne vous
déterminez-vous à l'un ou à l'autre? et comment, par un monstrueux assemblage
de religion et d'infidélité, prétendez-vous être tout ensemble au Seigneur et à
Baal? Si le Seigneur est notre Dieu, que ne le reconnaissez-vous sans
déguisement ; et s'il ne l'est pas, que ne le désavouez-vous absolument? Si Dominus est Deus, sequimini, eum ; si
autem Baal, sequimini illum (2). Telle est, mes chers auditeurs, la disjonctive que l'Eglise
vous propose encore aujourd'hui, ou que je vous propose en son nom. Choisissez.
Mais que dis-je ! et y
a-t-il là-dessus une autre résolution à prendre que de nous dévouer plus
fortement que jamais à l'excellente et divine foi où nous avons été élevés, et
de lui rendre tous les hommages qu'elle attend de nous? Respectons la religion,
et tout ce qui a quelque rapport à la religion : car il n'y a rien pour nous de
plus grand ni de plus sacré. Professons-la avec assurance, et ne rougissons jamais
d'une si glorieuse confession. Dieu, dit saint Ambroise, ne nous a pas donné la
honte et la pudeur pour un tel sujet ; et ce serait bien mal l'employer que de
la faire servir contre lui-même. Notre foi est aveugle (c'est la pensée de Zénon
de Vérone), elle doit donc être moins
393
sujette à rougir ; et comme elle ne voit pas ce qu'elle
croit, elle doit aussi nous fermer les jeux à toutes les considérations du
monde quand il s'agit de repousser les scandales qui l'offensent. Ne nous
contentons pas de l'honorer comme vraie, par une profession libre et publique :
mais puisqu'elle est sainte, honorons-la par la pureté et la sainteté de nos
mœurs. Autre devoir dont j'ai à vous parler dans la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Que notre religion soit sainte,
et même de toutes les religions la plus sainte, disons-mieux, et même de toutes
les religions l'unique vraiment et parfaitement sainte, c'est un principe,
Chrétiens, que j'ai déjà établi dans un discours exprès sur cette matière, et
qui, selon mon dessein, ne demande point ici de nouvelles preuves pour vous en
convaincre: elle est sainte dans son auteur, sainte dans ses maximes, sainte
dans ses préceptes et ses conseils, sainte dans ses mystères, sainte en tout ;
car c'est ainsi que le Saint-Esprit nous l’a représentée toute pure et sans
tache, et voilà l'idée que je vous en ai donnée moi-même, et que vous en avez
dû concevoir. Ceci donc posé, j'ajoute une autre vérité non moins certaine ni
moins indubitable: que de toutes les qualités et de toutes les prérogatives qui
relèvent la religion de Jésus-Christ que nous professons, il n'en est point de
plus excellente, ni par conséquent de plus glorieuse que sa sainteté: pourquoi?
parce que fat par sa sainteté qu'elle est digne de Dieu; parce que c'est sa
sainteté qui la rend agréable à Dieu ; parce qu'entre tous les témoignages, nul
autre que sa sainteté ne montre plus infailliblement, ni même si
infailliblement, qu'elle est de Dieu. Dans cette religion Dieu a renfermé tous
les dons : le don des miracles, le don des langues, le don de prophétie, le don
de science, le don de sagesse, et les autres dont saint Paul nous fait le
dénombrement; mais avec ces dons, si ce n'était une religion sainte, dès là
elle serait réprouvée de Dieu ; et indépendamment de ces dons, elle serait
toujours selon le gré de Dieu, dès qu'elle serait sainte. D'où il s'ensuit que
ce qui honore davantage la religion, c'est ce qui fait plus éclater sa sainteté,
parce que c'est ce qui la rend plus vénérable.
Or, il est constant que ce qui
fait plus paraître la sainteté de notre religion, c'est la sainte vie de ceux
qui la professent. Car, pour appliquer ici la figure de l'Evangile, on juge de
l'arbre par ses fruits : s'il produit de bons fruits, on connaît que c'est un
bon arbre : Arbor bona facit fructus bonos. La sainteté des effets
marque la sainteté du principe qui les opère ; et il faut qu'une religion soit
sainte, pour avoir la vertu de sanctifier. Ce n'est pas après tout qu'elle ne
puisse être sainte en elle-même, sans que ceux qui en portent le nom et qui
s'en déclarent les sectateurs acquièrent la même sainteté. Car, bien qu'ils y
soient attachés par un engagement de parole et de foi, la perversité de leur cœur
peut les en détacher dans la pratique par une criminelle et volontaire
corruption de mœurs. Ils peuvent croire ses vérités, ils peuvent admirer ses
maximes, ils peuvent même désirer sa perfection d'un désir inefficace et de
pure complaisance, tandis qu'entraînés par le poids de la nature, et emportés
par l'ardeur des passions auxquelles ils se laissent gouverner, ils vivent tout
autrement qu'ils ne croient, et suivent des maximes toutes contraires. Le
désordre de leur vie vient de leur volonté qui se dérègle, et non point de leur
religion, qui n'en est en soi pas moins parfaite; et voilà la juste et solide
réponse à ceux qui voudraient s'en prendre à la religion chrétienne des vices
qui règnent parmi les chrétiens. Tout cela est incontestable ; mais enfin il
faut toujours avouer que ce qui donne plus de lustre à la sainteté d'une loi,
c'est la sainteté de ceux qui l'ont embrassée. Etre saint et paraître saint, ce
sont deux choses toutes différentes. D'être sainte, c'est ce que la loi
évangélique a de son fonds, ou ce qu'elle a reçu de Dieu ; mais de paraître
sainte, d'être estimée sainte, d'être révérée comme sainte, c'est ce qu'elle
peut recevoir de nous et de notre sainteté : comment? parce que notre sainteté
sera le témoignage visible et irréprochable de la sienne.
Si donc, mes chers auditeurs,
nous voulons l'honorer sous cette précieuse qualité de sainte, qui lui est si
légitimement acquise, et qui fait un de ses plus beaux ornements, nous ne le
pouvons mieux qu'en travaillant à notre propre sanctification. Et c'est pour
cela que saint Paul recommandait tant aux fidèles de se rendre irrépréhensibles
dans toute leur conduite, et de faire en sorte que les païens et les idolâtres
ne trouvassent rien à censurer en eux, persuadé qu'il était que rien ne relèverait
davantage la gloire du christianisme, et ne contribuerait plus à le répandre
dans toutes les parties du monde. C'est pour cela qu'il exhortait si
expressément ces mêmes fidèles à pratiquer le bien, non-seulement devant Dieu,
mais devant les hommes, afin que l'honneur en rejaillit
394
sur la religion qui le leur enseignait, et qu'elle en devînt
plus respectable. C'est pour cela que tous les Pères de l'Eglise se sont tant
appliqués à entretenir dans ceux qu'ils instruisaient l'innocence et la pureté
de la vie, et à n'y rien souffrir contre l'édification publique : ayant en vue,
outre le salut de chaque particulier, l'avantage qu'en tirerait tout le corps
de la religion, et le crédit où elle s'établirait. C'est pour cela que toutes
les nouvelles sectes, toutes les hérésies, ont toujours affecté un air de
réforme et un extérieur de régularité, par où elles se sont insinuées dans les
esprits, et elles ont fait de si tristes progrès.
Aussi quand saint Augustin,
parlant aux infidèles, voulait exalter la religion chrétienne et leur en donner
une haute idée, il leur faisait considérer les chrétiens : et voilà ce qui tant
de fois a touché les plus grands ennemis de l'Evangile et ses plus cruels persécuteurs.
Quand ils voyaient parmi le troupeau de Jésus-Christ tant d'équité et de
droiture, tant de candeur et de bonne foi, tant de piété et de retenue, tant
d'union et de charité, tant de force, de patience, de désintéressement, tant de
vertus, ils ne pouvaient refuser à une religion qui formait de tels hommes les
éloges qui lui étaient dus, et que leur arrachait, comme malgré eux, la vérité
dont ils étaient témoins. Voilà par où tous les saints l'ont honorée, tant de
saints ecclésiastiques, tant de saints religieux, tant de saints solitaires,
tant de saints de tous les états et de toutes les conditions. Nous avons la
même foi, nous en avons reçu les mêmes avantages, nous en attendons les mêmes
récompenses : qui peut nous dispenser d'avoir pour elle le même zèle, et de lui
procurer le même honneur?
Mais qu'est-il arrivé dans le
cours des siècles, et que voyons-nous dans le nôtre, plus qu'on ne le vit
jamais? C'est que nous avons dégénéré, et que nous dégénérons tous les jours de
cette première sainteté qui faisait autrefois fleurir le christianisme, et dont
ses défenseurs se servaient pour en inspirer l'estime et pour l'autoriser.
Regardez, disait Tertullien pour sa justification et pour celle de ses frères
attaqués de toutes parts, et exposés à toute la violence, des tyrans, regardez
comment nous vivons, et vous ne mépriserez pas ce que nous croyons. Il n'y a
entre nous ni fraude, ni injustice; il n'y a ni traîtres, ni scélérats. Vous
avez dans vos prisons des chrétiens; mais leur seul crime, c'est le nom qu'ils
portent et la profession qu'ils en font. Hors de là, que pouvez-vous dire
contre eux, et de quoi les pouvez-vous accuser? Nous nous assemblons, mais
seulement pour invoquer notre Dieu ; et nos prières presque continuelles sont
suivies des exercices d'une sainte pénitence. Du reste, quel tort faisons-nous
à personne, et quelle charité même n'exerçons-nous pas envers tous? à quels
devoirs manquons-nous? Jugez donc, concluait cet ardent apologiste, jugez par
notre vie qui nous sommes ; et de ce que nous sommes, jugez quelle doit être cette foi par qui nous le sommes.
Telle était la règle qu'il donnait pour
bien connaître la religion chrétienne, et pour en faire voir l'excellence.
Mais, à s'en tenir maintenant et précisément à cette règle, au lieu que c'était
alors la gloire de la religion, n'en serait-ce pas, dans l'état présent du
christianisme, la honte?
Je l'ai dit, et je ne puis trop
le répéter, ni trop fortement vous l'imprimer dans l'esprit: il y a, selon la
belle remarque de Tertullien, et celle d'Arnobe après lui, il y a entre les
fausses religions du paganisme et la religion chrétienne cette
différence essentielle, que dans
le paganisme ceux qui étaient bons et
vertueux ne l'étaient point par religion, puisque au contraire les religions
païennes ne portaient qu'aux vices et en donnaient dans leurs prétendues
divinités les exemples. De sorte que tous les désordres qui se commettaient
parmi les païens, on pouvait les attribuer à leur religion, ou plutôt à leur
superstition, sans lui pouvoir rien attribuer de toutes les vertus qui se
pratiquaient. Mais, par un privilège directement opposé, tout ce qui se fait de
bien dans le christianisme doit tourner à l'honneur delà religion chrétienne,
puisque c'est elle qui l'ordonne et qui le persuade : et rien de tout ce qui se fait de mal ne doit tourner à sa
confusion, puisqu'elle est la première et la plus rigoureuse à le défendre et
à le condamner. C'est ainsi, mes Frères,
qu'il en devrait être; mais nous savons néanmoins que par la malignité des
esprits il en va tout autrement. On a toujours voulu, et l'on veut toujours,
quoique injustement, que notre foi. soit responsable de notre mauvaise
conduite. Et quel avantage, en effet, pour les libertins, lorsqu'ils voient, au
milieu du peuple chrétien, et parmi nous, les trahisons et les perfidies, les
inimitiés et les vengeances, les débauches et les impudicités ? Je dis
parmi nous ; car prenez garde, s'il vous plaît : qui sont ceux qui scandalisent
la foi que nous professons, et qui la déshonorent par les excès et les
dérèglements de leur vie? Sont-ce
395
les hérétiques? Dès qu'ils se sont séparés de sa communion,
elle n'entre plus en rien de tout n qui vient de leur part, et n'y prend plus
d'intérêt. Elle ne se glorifie point, dit Tertullien, de leurs bonnes œuvres et
de leurs vertus apparentes ; mais aussi, depuis le grand scandale qu'ils lui
ont causé en l'abandonnant, de quelque manière qu'ils se comportent, ils ne
sont plus capables de lui en causer d'autres : Nec vitiis inquinatur, nec
virtutibus coronatur. Il n'y a que nous, mes chers auditeurs, qui puissions
dans l'opinion des hommes la relever ou la rabaisser, la couronner de gloire ou
la charger de confusion. Soyons saints comme elle et selon elle, la voilà dans
le plus haut point de son crédit. Mais si nous violons toutes ses règles, mais
si nous traitons son culte avec de scandaleuses irrévérences, mais si nous
allions, ou si nous prétendons allier la pureté de sa morale avec la contagion
du siècle, avec les excès de la passion, avec les cupidités de la chair, avec
le goût du plaisir et des voluptés sensuelles, c'est alors qu'elle tombe dans
le mépris, et, si j'ose dire, dans l’gnominie.
Or, n'est-ce pas là que nous la
réduisons, n'est-ce pas à quoi nous l'exposons? et n'est-il pas à craindre
qu'il en soit de l'Eglise de Jésus-Christ comme il en fut de Jérusalem, lorsque
ses ennemis, la trouvant toute dépeuplée et déserte, lui faisaient les plus
cruelles insultes : Hœccine est urbs perfecti decoris (1) ? Est-ce là
cette Eglise jadis si florissante et si belle ; cette Eglise qui remplissait le
monde de l'éclat de ses vertus et de l'odeur de sa sainteté; cette Eglise qui
sanctifiait les villes, les provinces, les empires ; cette Eglise qui
consacrait les solitudes et les déserts, qui formait les apôtres, les martyrs,
les confesseurs, les vierges? Hœccine est ? Est-ce là elle, et en quel état
l'apercevons-nous? Qui l'a ainsi défigurée, et quels traits y pouvons-nous
découvrir de son ancienne splendeur? Facti sunt filii perditi (2): Ses
enfants, qu'elle avait élevés dans son sein, qu'elle avait instruits à son
école, qu'elle avait éclairés de toutes ses lumières et pourvus de ses secours
les plus puissants, sont devenus des enfants de perdition : Manum suam misit
hostis ad omnia desiderabilia ejus (3) : Elle avait toujours combattu le
péché comme son ennemi capital, elle l'avait tant de fois vaincu et banni des
cœurs où il s'était établi : mais il a repris sur elle tout l'avantage qu'elle
lui avait enlevé. Il a répandu son venin
sur tout ce
qu'elle avait de plus cher, de plus sacré, et qu'elle
conservait avec plus de soin. Il n'a pas même épargné les ministres de ses
autels, et la dépravation est générale. Faut-il s'étonner qu'elle en ressente
une si vive douleur, et qu'elle soit plongée dans l'amertume? Et ipsa
oppressa amaritudine (1). Elle adresse sur cela ses plaintes à son Dieu et
à son époux ; elle lui représente sa peine : Voyez, Seigneur, lui dit-elle,
considérez l'affliction où je suis, et le décri où m'ont mis ceux-là mêmes que
je portais entre mes bras, et à qui j'avais communiqué vos dons les plus
précieux pour en profiter : Vide, Domine, et considera quoniam facta sum
vilis (2). Mais tandis qu'elle gémit et qu'elle se plaint, elle est
toujours en butte aux railleries et aux sanglants outrages des impies, des
athées, des partisans de l'hérésie, qui ne l'envisagent qu'avec dédain, et qui
se jouent de ses plus pieuses observances : Viderunt eam, et deriserunt
sabbata ejus : quoniam viderunt ignominiam ejus.
Voilà, dis-je, ce que nous
attirons à l'Eglise du Dieu vivant, et voilà à quoi nous ne donnons que trop
d'occasion. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore des âmes fidèles dont la piété,
dont la vie régulière et sainte peut faire honneur à la religion ; et à Dieu ne
plaise que je leur refuse les justes éloges qui leur sont dus ! Il y en a dans
le clergé, il y en a dans le cloître ; il y en a même parmi les grands et parmi
les petits : car il a été de la bonté de Dieu de ne pas laisser prendre au vice
un empire si universel que la ruine de son peuple fût entière ; et il a été de
sa sagesse et de son adorable providence, pour la conviction des uns et pour
leur condamnation , de conserver toujours dans le christianisme, et dans tous
les ordres, dans tous les rangs du christianisme, certains exemples. C'est la
consolation de l'Eglise, et là-dessus nous pouvons lui dire comme le Prophète
disait à Jérusalem : Consolamini, consolamini (3) ; Sainte mère,
soutenez-vous dans votre affliction, et consolez-vous ; malgré vos pertes,
voici encore de dignes enfants qui vous restent, et qui peuvent en quelque sorte
vous dédommager : Consolamini. Mais que dis-je, Chrétiens ! et qu'est-ce
que cette consolation, si nous observons bien deux choses : premièrement, la
multitude presque infinie de pécheurs qui déshonorent leur foi, et qui, sans la
renoncer peut-être d'esprit et de cœur, la renoncent dans la pratique, et par
leurs actions criminelles; secondement, l'injustice des hommes,
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surtout des ennemis de la vraie religion, qui ferment les
yeux à tout ce qu'il y a d'édifiant pour n'en être point touchés, parce qu'ils
ne le veulent pas être, et qui ne les tiennent ouverts qu'aux scandales, dont
ils font le sujet de leurs discours injurieux, et où ils appliquent toute leur
réflexion ?
Car ne dois-je pas aujourd'hui
reconnaître dans le christianisme ce que le Prophète royal avait déjà depuis si
longtemps reconnu dans le judaïsme; et faut-il qu'un prédicateur de l'Evangile
en soit réduit à faire publiquement cet aveu : Omnes declinaverunt (1) !
Tous se sont égarés ; ils ont tous quitté les voies de la sainteté qu'on leur
avait tracées et où ils étaient appelés, pour s'engager dans leurs voies
propres, dans la voie de leur ambition, dans la voie de leur intérêt, dans la
voie de la passion qui les domine. Oui, tous ils se sont ainsi livrés au péché
: Omnes ; c'est-à-dire qu'entre eux le plus grand nombre est celui des
pécheurs ; c'est-à-dire que pour un juste qui se sépare de la multitude, nous
pouvons compter mille pécheurs ; c'est-à-dire que partout et quelque part que
nous portions la vue, rien presque ne se présente à nous que des pécheurs :
pécheurs de tout âge, de tout sexe, de tout caractère et de toute espèce ;
pécheurs superbes et orgueilleux, pécheurs mercenaires et avares, pécheurs
dissimulés et vindicatifs, pécheurs violents et emportés, pécheurs malins et
médisants ; ainsi des autres : Omnes declinaverunt. Encore s'ils
savaient, dans leur iniquité, se prescrire de certaines bornes, et demeurer
dans les limites d'une certaine pudeur : mais y a-t-il rien dans les plus sales
passions de si infect et de si honteux où ils ne se laissent entraîner?
N'est-ce pas là même de tous les vices celui qui leur est devenu le plus
commun, celui où ils se plongent plus promptement, celui où ils vivent plus
habituellement, celui dont ils reviennent plus rarement, celui dont ils
rougissent moins, dont ils se font moins de scrupule et moins de peine, dont
ils se glorifient quelquefois plus hautement? Corrupti sunt (2). Je
n'oserais m'expliquer davantage, et je les renvoie au témoignage de leur
conscience, pour penser en eux-mêmes (si cependant il n'est pas plus à propos
qu'ils effacent absolument de leur esprit ces infâmes idées, à moins que ce ne
soit un sentiment de pénitence qui leur en retrace un souvenir général), pour
penser, dis-je, en eux-mêmes, et pour se dire à eux-mêmes en quels abîmes de
corruption et à quelles abominations
la sensualité qui les gouverne les a conduits : Abominabiles
facti sunt (1). Ah ! mes Frères, Jésus-Christ, notre législateur et
notre maître, fut moqué, fut insulté, fut outragé dans sa passion : mais, comme
nous la renouvelons par le péché, cette passion si ignominieuse, je puis bien
conclure avec l'éloquent Sulvien que nous en renouvelons tous les opprobres, et
qu'ils retombent sur la sainte loi que ce divin Sauveur est venu nous enseigner
: In nobis opprobrium patitur Christus.
Il est vrai, et il en faut
toujours convenir, que parmi tant d'ivraie semée dans le champ de l'Eglise, il
y a quelque bon grain. Je sais qu'il se trouve encore dans la religion chrétienne
quelques chrétiens capables d'en soutenir l'honneur. Mais est-ce sur eux que le
libertinage attache ses regards? Est-ce au bien qu'ils font, est-ce aux
exemples qu'ils donnent et aux vertus qu'ils pratiquent, que le monde se rend
attentif? Dans une société, dans une compagnie, un homme scandaleux fait plus
d'impression sur les esprits que tous les autres ensemble, quelque réglés
qu'ils puissent être.
Finissons, mes chers auditeurs,
et fasse le ciel que ce discours rallume tout votre zèle pour le soutien de
votre foi et pour sa gloire! C'est ainsi que, sans passer les mers et sans
porter l'Evangile à des peuples éloignés, vous pouvez participer au ministère
des apôtres. Ne détruisons pas dans le sein de l'Eglise ce que d'autres
bâtissent au milieu de l'idolâtrie : et tandis que des ouvriers infatigables
vont chercher des nations barbares, et leur inspirer le respect de nos saints
mystères, ne les avilissons pas dans l'esprit même des fidèles, et ne leur
donnons pas lieu d'en être moins touchés. Nous sommes si sensibles à l'honneur
d'une famille où nous avons pris naissance, si sensibles à l'honneur d'un corps
où nous avons été associés comme membres : ne le serons-nous point à l'honneur
d'une religion où nous avons été si heureusement régénérés, à qui nous nous
sommes si étroitement engagés, par qui nous avons reçu tant de grâces, et dont
nous attendons encore une couronne immortelle? Car, si nous sommes, selon
l'expression de l'Apôtre, par la sainteté de nos mœurs, la joie et la couronne
de notre religion : Gaudium meum et corona mea; elle sera la nôtre; et
autant que nous l'aurons honorée en cette vie, autant serons-nous glorifiés
dans l'éternité, que je vous souhaite, etc.