DIMANCHE SEXAGÉSIME

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VOLUME II
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SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA SEXAGÉSIME.
SUR LA PAROLE DE DIEU.

ANALYSE.

 

Sujet. Le bon grain, c'est la parole de Dieu.

 

Sommes-nous de cette bonne terre où le bon grain de la parole de Dieu fructifie ? Si cette divine parole est si stérile, il ne faut point s'en prendre à Dieu, mais aux mauvaises dispositions de ceux à qui on l'annonce.

Division. La parole de Dieu nous est inutile, parce qu'on ne la reçoit pas comme parole de Dieu : première partie. Et dès que par notre faute cette sainte parole nous est inutile, elle devient le sujet de notre condamnation devant Dieu : deuxième partie.

Première partie. La parole de Dieu nous est souvent inutile, parce qu'on ne la reçoit pas comme parole de Dieu. Il faut d'abord poser ce principe, que Dieu parle par la bouche de ses prédicateurs. Point de controverse en faveur des nouveaux convertis.

Puisque c'est la parole de Dieu qu'annoncent les prédicateurs, suivent de là trois grandes conséquences : 1° que nous devons donc écouter les prédicateurs de l'Evangile, comme Dieu même ; 2° que si je reçois la parole de Dieu comme parole des hommes, je ne satisfais pas au précepte positif que ma religion m'impose d'écouter la parole de Dieu ; 3° que d'entendre cette parole de Dieu comme parole de l'homme, c'est la rendre inutile, et voilà de quoi présentement il s'agit. La preuve en est fondée sur deux principes indubitables : le premier est, que la force toute-puissante de la parole de Dieu ne lui convient pas en tant qu'elle procède de l'homme, mais en tant qu'elle est de Dieu : le second, c'est que la parole de Dieu n'opère en nous que selon la manière dont elle y est reçue. Vous ne la recevez que comme parole de l'homme, elle n'agira que comme parole de l'homme. Or, rien de plus faible que la parole de l'homme. Exemple des Juifs et des apôtres. Ne nous étonnons donc point de ce que la parole de Dieu nous profite si peu : c'est qu'on ne l'entend que comme parole des hommes ; c'est-à-dire qu'on l'entend : 1° par coutume et par une espèce de passe-temps ; 2° par un esprit de malignité et de censure ; 3° par une curiosité vaine et tout humaine.

Deuxième partie. Dès que par notre faute la parole de Dieu nous est inutile, elle devient le sujet de notre condamnation devant Dieu. Car se rendre inutile une parole si efficace en elle-même, 1° c'est un péché ; 2° c'est s'ôter, par ce péché particulier, toute excuse dans tous les autres péchés.

1° C'est un péché, parce que la parole de Dieu est un moyen de salut, et un des premiers moyens. Or, puisqu'il nous est ordonné de travailler à notre salut, manquer par sa faute un tel moyen, c'est incontestablement un péché. Quel fut le péché des Juifs? de ne s'être pas soumis à la parole de Dieu. Cependant de tous les péchés en est-il un que l'on connaisse moins? On ne s'en fait nul scrupule : mais il y a néanmoins de quoi nous faire trembler.

2° C'est s'ôter, par ce péché particulier, toute excuse dans tous les autres péchés. Car à quoi se réduisent toutes nos excuses? ou à l'ignorance, ou à la faiblesse. Or, la parole de Dieu est un moyen pour nous instruire et pour nous fortifier. Nous ne pouvons donc plus dire ce qu'on dit néanmoins sur tant de sujets : Je ne le savais pas, ou je ne le pouvais pas. La parole de Dieu était un moyen pour le savoir, et pour le pouvoir : et c'était le moyen le plus puissant, le plus présent, le plus gratuit, et d'une préférence plus marquée.

 

Semen est verbum Dei.

 

Le bon grain, c'est la parole de Dieu. (Saint Luc, chap.  VIII, 11.)

 

Puisque Jésus-Christ, la sagesse et la vérité éternelle, a lui-même pris soin de nous expliquer la parabole de notre évangile, il ne nous est point permis, mes Frères, d'y donner un autre sens, et nous n'en pouvons faire une plus juste ni une plus solide application. Il est seulement question de savoir si vous êtes de cette terre, où le bon grain de la parole de Dieu ayant jeté de fortes racines, germe en son temps, croît -et s'élève, et par une heureuse fécondité rend une abondante récolte. C'est-à-dire, pour nous en tenir toujours à la pensée et à l'interprétation de notre adorable Maître, qu'il s'agit de savoir si vous êtes de ces cœurs vraiment chrétiens, de ces cœurs droits, de ces cœurs parfaits, qui saintement disposés à écouter la divine parole, la retiennent, la méditent, s'en font une nourriture ordinaire; et par une persévérance invariable dans les voies de la piété , par un exercice constant de toutes les œuvres d'une vie agissante et fervente, lui laissent déployer toute sa vertu, et rapporter tous les fruits de sainteté qu'elle peut produire. Car voilà en termes formels comment le Sauveur du monde nous les a marqués : Quod autem in bonam terram, hi sunt qui in corde bono et optimo audientes verbum retinent, et fructum affermit in patientia (1). Depuis tant d'années, mes chers auditeurs, que dans cette chaire on vous parle au nom du Seigneur, quels miracles sa parole n'aurait-elle pas opérés

 

1 Luc., VIII, 17.

 

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pour l'édification de vos âmes, si elle y eût trouvé de semblables dispositions? Mais de quoi nous ne pouvons assez gémir, c'est de la triste décadence où est tombé le ministère évangélique, et où il tombe encore tous les jours. Car, quoiqu'il y ait plus de prédicateurs que jamais pour l'exercer, quels succès voyons-nous de leurs prédications ! Quels abus ont-ils corrigés? Quels scandales ont-ils retranchés? Quelles victoires vous ont-ils fait remporter sur L'enfer, sur le monde, sur vous-mêmes, et à quel degré de perfection vous ont-ils élevés? Est-ce que votre grâce, ô mon Dieu, n'accompagne plus votre parole ? Est-ce que vous nous laissez, selon l'expression de votre apôtre, planter et arroser ; mais qu'il ne vous plaît plus de donner comme autrefois l'accroissement? Deus incrementum dedit (1). Ne nous en prenons point a Dieu, Chrétiens, ni à sa providence. Ne remontons point si haut pour aller jusqu'à la sonne d'un mal qui ne vient que de vous, et qui ne doit être imputé qu'à vous. Puissiez-vous, après en avoir connu le principe que je vais vous découvrir, y appliquer le remède! C'est pourquoi je demande le secours du ciel par l'intercession de Marie. Ave, Maria.

 

C'est une belle pensée de saint Bernard, et qui renferme pour nous un grand fonds de moralité, que trois principes ont concouru à vous donner, quoique diversement, la divine parole : savoir, la Vierge, l'Eglise et la grâce. La Vierge nous l'a donnée revêtue d'une chair semblable à la nôtre, pour nous la faire voir. L'Eglise nous la donne sous des sons qui frappent nos oreilles, et par le ministère de la voix, pour nous la faire entendre. Enfin la grâce, par l'infusion du Saint-Esprit, nous l'insinue dans le cœur, pour nous en faire profiter: Verbum Maria vestitum carne, Ecclesia vestitum sermone, gratia tradit amplexandum Spiritus Sancti infusione. Si Marie ne l'avait pas reçue dans son sein , elle n'aurait pu nous la donner visible et palpable. Si l'Eglise ne la faisait pas retentir aux oreilles du corps, nous ne pourrions l'entendre sensiblement, ni la recevoir de la bouche des prédicateurs; et si par l'onction de la grâce elle ne pénétrait jusque dans uns aines, elle n'y ferait nulle impression, et n'y produirait aucun fruit. Mais, ajoute le même saint Bernard, cette parole indivisible et une en elle-même se communique à chacun selon la diversité des sujets et leurs différentes dispositions. De sorte qu'elle nous devient ou

 

1 1 Cor., III, 6.

 

utile ou inutile, à proportion qu'elle trouve nos cœurs ou bien ou mal préparés. De là vous voyez, Chrétiens, de quelle importance il est pour vous d'apprendre à la bien recevoir, et de connaître ce qui en arrête tous les jours les salutaires effets. Mais parce que vous pourriez être peu touchés de cette stérilité de la divine parole, si vous en ignoriez les terribles conséquences, il faut en même temps vous faire voir à quoi vous vous exposez en ne profitant pas d'un don si précieux ; et voici deux propositions que j'avance. La parole de Dieu vous est inutile, parce que vous ne la recevez pas comme parole de Dieu : c'est la première partie. Et dès que par votre faute cette sainte parole vous est inutile, elle devient le sujet de votre condamnation devant Dieu : c'est la seconde partie. En deux mots, j'ai à vous montrer pourquoi vous profitez si peu de la parole que nous vous prêchons; et comment dès lors cette parole de salut, par le plus funeste renversement, doit servir de matière à votre réprobation : voilà tout mon dessein.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Pour entrer dans la preuve de la première proposition que j'ai avancée, il faut, s'il vous plaît, que nous établissions d'abord ce principe fondamental, savoir : que Dieu vous parle par la bouche des prédicateurs, que c'est la parole de Dieu qu'ils vous annoncent, et que dès là qu'ils ont une mission légitime de l'Eglise, vous ne devez plus les écouter comme des hommes, mais qu'ils sont à votre égard les organes et les interprètes de Dieu même et de son Saint-Esprit. Ainsi le Sauveur du monde le faisait-il entendre à ses apôtres, lorsqu'il leur disait : Quand vous prêchez mon Evangile, ce n'est point vous proprement qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père céleste qui s'explique par vous : Non estis vos qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri qui loquitur in vobis (1). Les apôtres étaient envoyés pour cela, et c'est pour cela même que nous avons été choisis. C'est, dis-je, par l'ordre même de Dieu et de son Eglise que nous montons, mes chers auditeurs, dans la chaire de vérité, pour vous instruire. Sans cette mission de Dieu et de Jésus-Christ son Fils unique et l'Homme-Dieu, vous ne seriez plus obligés de recevoir nos instructions , ni d'écouter nos prédications comme la parole de Dieu, parce qu'elles ne seraient plus alors, pour m'exprimer de la sorte, marquées du sceau de Dieu.

 

1 Matth.,  X, 20.

 

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Et voilà (souffrez, mes Frères, que j'en fasse ici la remarque : c'est le lieu de la faire, et il est important que vous la fassiez avec moi, vous que l'erreur a tenus si longtemps séparés de nous, mais que la grâce d'en-haut, par le plus heureux retour, ramène tous les jours dans le sein de la vraie Eglise, notre commune et seule mère), voilà l'une des plus essentielles différences qui se rencontrent entre nous et les ministres de cette Eglise protestante où vous eûtes le malheur de naître. Ils avaient tout le reste, si vous voulez; mais cette mission leur manquait. C'étaient des hommes savants et éloquents, tant qu'il vous plaira; mais ils n'avaient pas ce caractère d'hommes envoyés de Dieu, et l'on pouvait toujours dire d'eux : Quomodo prœdicabunt, nisi mittantur (1); Comment prêchent-ils, puisqu'ils n'ont point été députés pour cela? Car qui les envoyait? était-ce l'Eglise romaine, ou était-ce une autre Eglise? était-ce Dieu immédiatement, ou de leur autorité particulière et d'eux-mêmes s'étaient-ils constitués pour enseigner? Vous savez, mes Frères, l'embarras où cette difficulté les jetait; et ceux d'entre vous qui furent de meilleure foi et plus intelligents dans leur religion, n'ont pu disconvenir que c'était là un des articles qui leur causait le plus de trouble, un des points où ils sentaient plus le faible de leur créance, un des chefs sur quoi ils avaient plus de peine à se satisfaire.

Votre confession de foi portait que ces réformateurs avaient été suscités, et par conséquent envoyés d'une façon extraordinaire : mais vous aviez trop de lumières et trop de sens, pour ne pas voir que cela se disait sans preuve. Car vous n'ignoriez pas que Luther et Calvin n'étaient venus, ni comme Moïse dans l'ancienne loi, ni comme Jésus-Christ dans la nouvelle, ou comme les apôtres, guérissant les malades, rendant la vue aux aveugles-nés, ressuscitant les morts de quatre jours, confirmant leur apostolat par des signes visibles, éclatants, incontestables ; et qu'ainsi cette mission extraordinaire dont ils se flattaient ne pouvait leur convenir. Après avoir reconnu, parce que vous étiez forcés de le reconnaître, que, selon la parole de Dieu, nul ne se doit ingérer dans le gouvernement de l'Eglise, mais qu'il y faut être appelé par une voix canonique, vous y mettiez cette exception, autant qu'il est possible; clause que vous ajoutiez, comme porte expressément l'article. Or en disant : ce que nous ajoutons, pouviez-vous avoir oublié que

 

1 Rom., X, 15.

 

par un autre article il vous était défendu de rien ajouter à la parole de Dieu, et que vous tombiez, selon vos principes mêmes, dans une contradiction insoutenable?

Vous apportiez pour motif et en même temps pour preuve de cette mission extraordinaire, qu'il avait fallu relever l'Eglise désolée et tombée en ruine : mais instruits comme vous l'étiez, et comme vous l'êtes par la parole même de Dieu, des promesses que Jésus-Christ a faites à son Eglise, vous saviez assez qu'elle ne pouvait jamais manquer, parce qu'elle est la colonne de la vérité, et que les portes de l'enfer ne peuvent prévaloir contre elle. Ainsi le fondement sur lequel vous vouliez en quelque sorte établir la mission extraordinaire de vos prétendus prophètes était encore plus ruineux que leur mission même.

Pressés de cet argument si solide et si convaincant, vous aviez quelquefois recours à la mission ordinaire, et vous prétendiez que les auteurs de la réforme l'avaient reçue de l'Eglise, comme nous, dans leur ordination. Car, dans la diversité des sentiments qui vous partageaient sur ce sujet, on en venait là. Mais par là, mes Frères, vous confessiez donc malgré vous-mêmes et sans y penser, que cette Eglise romaine était alors la vraie Eglise; puisqu'il n'y a que la vraie Eglise qui puisse envoyer des hommes en qualité de pasteurs et de ministres de l'Evangile. Parla, vous reconnaissiez donc que les auteurs de la réforme s'étaient séparés de la vraie Eglise. Et par là, enfin vous conveniez donc de l'obligation où ils étaient d'y rentrer.

Or, qu'a fait Dieu, mes Frères, en vous y réunissant? Adorez le conseil de sa providence, et voyez l'avantage qui vous en revient. Il vous a tirés de la confusion et du trouble, où il était impossible que vos consciences, pour peu qu'elles fussent droites et timorées, ne se trouvassent sur cela. Il vous a inspiré et fait prendre la résolution de renoncer au schisme. Au lieu de pasteurs sans autorité, il vous en a donné dont la mission est certaine, est sensible, est infaillible. C'est en cette qualité, mes Frères, que je parais aujourd'hui devant vous. Je ne suis ni Elie, ni prophète ; je suis un pécheur comme vous : mais quoique pécheur, je ne laisse pas d'être le ministre légitime de la parole de Dieu. C'est un honneur pour moi de vous l'annoncer, et un honneur dont je sais faire toute l'estime qu'il mérite : mais aussi est-ce un honneur que je ne me suis point attribué, où je ne me suis point ingéré, que je

 

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n'ai ni ambitionné ni recherché; un honneur où j'ai la consolation d'avoir été légitimement appelé : Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo (1). Je ne suis point en peine de justifier ma mission. En voici la source immédiate : celui que Dieu vous a donné pour évêque et pour pasteur de vos âmes. C'est de lui que je tiens mon pouvoir ; c'est lui qui m'autorise et qui m'envoie, comme il est envoyé lui-même déplus haut. Ma subordination a son égard; et l'obéissance que je lui rends, est te titre de mon ministère. Je ne prétends point être extraordinairement suscité pour instruire ceux dont je dois être instruit, ni pour donner la loi à ceux de qui je la dois recevoir. Je prétends en prêchant aux autres, être moi-même dans la soumission due à l'Eglise et à ses pasteurs. S'il m'arrivait de mêler mes erreurs particulières avec les vérités que je vous annonce, je prétends être redressé par eux, et je vous donne cette marque de ma mission , parce que sans cela vous ne devriez pas m'écouter, et que je ne serais plus un ministre de Jésus-Christ, mais un séducteur dont vous devriez vous préserver. Ma mission même est si claire et si authentique, que l'Eglise protestante ne me la dispute pas. Car elle la reconnaît si bien, que quoique dans ses principes le baptême, pour être valide, doive être conféré par un ministre légitime, si dans une rencontre j’étais employé à conférer ce sacrement, elle le ratifierait, et n'en contesterait pas la validité.

Or voilà, mes Frères, l'avantage dont je viens vous féliciter. Vous avez, et dans ma personne, tout indigne que je suis, et dans ceux qui sont revêtus du même caractère que je porte, autant de vrais ministres pour vous dispenser les mystères de Dieu : Sic nos existimet homo ut ministros Christi,et dispensatores mysteriorum Dei (2). Adressez-vous à eux, et vous éprouverez leur charité; confiez-leur vos âmes, et Dieu par leur zèle vous sanctifiera. Ils ne soupirent qu'après votre réunion : ne les privez pas de la joie qu'ils auront en la voyant entière et complète. Je suis ici comme le précurseur Jean-Baptiste, la voie de celui qui crie : Parate viam Domini (3) ; Préparez le chemin au Seigneur. Ouvrez-lui vos cœurs pour recevoir sa parole. Car, puisque c'est de sa part et en son nom que je vous parle, c'est sa parole que je vous apporte.

Oui, chrétiens auditeurs , c'est la parole de Dieu ; et de là saint Chrysostome tire trois grandes conséquences, toutes pratiques et pleines

 

1 Hebr., V, 4. — 2 1 Cor., IV, 1. —3 Luc, III, 4.

 

d'instructions pour vous. Premièrement, dit ce saint docteur, il s'ensuit de ce principe que nous devons donc écouter les prédicateurs de l'Evangile comme Dieu même, parce que Dieu parlant en Dieu, veut être écouté en Dieu; et puisqu'il parle par l'organe et le ministère des hommes, il veut être écouté comme tel en leurs personnes. Audi, Israël, disait-il à son peuple, et observa ut facias quœ prœcepit tibi Dominus (1) ; Ecoute, Israël, voici un commandement que je te fais, moi qui suis ton Seigneur et ton Dieu. Cependant, remarquent les interprètes, ce n'était pas Dieu lui-même qui parlait; c'était un ange qui formait ces paroles dans un corps emprunté : mais il les prononçait de la part de Dieu, et voilà pourquoi il voulait être entendu avec le même respect que Dieu. Secondement , poursuit saint Chrysostome, il faut encore inférer de là que si je reçois la parole de Dieu comme parole des hommes, je ne satisfais pas au précepte positif que ma religion m'impose, d'écouter la parole de Dieu , parce qu'en vertu de ce commandement il n'y a point d'homme, quelque autorité qu'il ait d'ailleurs, dont je sois obligé d'entendre la parole. C'est uniquement à celle de Dieu que je dois cette déférence. Si donc, au lieu d'écouter Dieu qui me parle dans la prédication de l'Evangile, je m'arrête seulement à l'homme qui n'est que son ministre, je n'accomplis pas ce devoir essentiel, qui m'engage comme chrétien, par une nécessité indispensable, à entendre la parole de Dieu, puisque je fais abstraction de Dieu, et que je n'ai plus d'égard à sa parole.

Mais la troisième et dernière conséquence à laquelle nous devons particulièrement nous arrêter, est que Dieu nous parlant par ses prédicateurs, et que les prédicateurs étant, pour user des termes de l'Ecriture, la bouche de Dieu : Quasi os meum eris ; les entendre comme hommes simplement, c'est se rendre inutile la parole qu'ils prêchent, et renoncer à tous les fruits de grâce que cette parole est capable de produire ; pourquoi cela, Chrétiens? la preuve en est évidente, et je la fonde sur deux principes indubitables. Le premier est, que cette force toute-puissante de la parole de Dieu, si hautement louée par le Saint-Esprit, ne lui convient pas en tant qu'elle procède de l'homme, mais en tant qu'elle est de Dieu : de même, observe saint Hilaire, que le Verbe incréé n'a point de vertu divine, qu'en tant qu'il la reçoit de Dieu son Père, et qu'il procède de lui : Omnia mihi tradita sunt a Patre meo (2). Rien

 

1 Deut., VI, 3. — 2 Matth., XI, 27.

 

de plus faible que la parole des prédicateurs, prise selon le rapport qu'elle a seulement à leurs personnes. Elle n'a point de corps, dit saint Bernard, point de substance ni de solidité ; elle frappe l'air, et rien davantage : Aerem verberat, unde et verbum dicitur. Ah ! mes Frères, continue-t-il, ne jugez point par là de la parole de Dieu, et ne la méprisez pas jusqu'à la confondre avec la parole de l'homme : Nemo vestrum, Fratres, sic accipiat, imo sic despiciat verbum Dei. Car, cette même parole qui n'est rien en tant qu'elle part de ma bouche, si vous la considérez en tant qu'elle vient de Dieu, a les qualités les plus agissantes. C'est un feu qui dévore et qui consume tout : Numquid verba med quasi ignis ? C'est un marteau à qui les pierres les plus dures ne peuvent résister : Et quasi malleus conterens petram (1). C'est un glaive à deux tranchants, qui sépare l'âme d'elle-même, tout indivisible qu'elle est: Penetrabilior omni qladio ancipiti, pertinqens usque ad divisionem animœ (2). Mais elle n'a toutes ces propriétés que comme parole de Dieu, et autant qu'elle tire de lui son origine. L'autre principe non moins certain , c'est que la parole de Dieu, ainsi que je l'ai déjà observé, n'opère en nous que selon la manière dont elle y est reçue : semblable en ceci aux causes naturelles, qui ne produisent leurs effets qu'à proportion qu'elles sont appliquées à leur sujet. Vous recevez la parole de Dieu comme venant de Dieu, elle opérera dans vous comme parole de Dieu : mais vous l'entendez comme une production de l'esprit de l'homme, elle n'agira en vous que comme parole de l'homme. Et parce qu'il n'est rien de plus inutile au salut que la parole de l'homme, voilà pourquoi, en l'écoutant de la sorte, nous lui faisons perdre à notre égard toute sa vertu, et nous la rendons si stérile. C'est ce qui arriva aux Juifs. Jésus-Christ leur annonçait des vérités toutes divines, il leur expliquait les plus hauts mystères, et leur enseignait les voies du salut. Il avait été envoyé pour cela; c'était le Messie, c'était le Fils unique de Dieu. Mais comment le regardaient-ils ? Cet homme, disaient-ils , n'est-il pas le fils d'un artisan ? Nonne hic est filius fabri (3) ? N'est-ce pas le fils de Joseph, et ne connaissons-nous pas son père et sa mère? Nonne hic est filius Joseph, cujus novimus patrem et matrem (4) ? Or, parce qu'ils ne s'élevaient point au-dessus de ce qui paraissait en lui d'humain, parce qu'ils ne le considéraient

 

1 Jerem., XXIII, 29.—2 Hebr., IV, 12 — 3 Matth., XIII, 55. — 4 Joan., VI, 42.

 

qu'en qualité d'homme, de là vient que la parole de Dieu, sortant même de la bouche d'un Dieu, ne faisait nulle impression sur eux, et que leurs cœurs demeuraient toujours endurcis. Mais quand au contraire, après la descente du Saint-Esprit sur les apôtres, ils commencèrent à prendre des idées plus sublimes, et que les envisageant comme députés de Dieu, ils se rendirent attentifs à leurs prédications, saint Luc nous apprend quels fruits merveilleux et abondants produisit tout à coup la parole de Dieu, prêchée même par des hommes, et les plus simples d'entre les hommes. Saint Pierre, au milieu de Jérusalem, convertit dans un seul discours jusqu'à trois mille de ses auditeurs. Le même prince des apôtres, dans un autre discours , en gagna à Jésus-Christ jusqu'à cinq mille. Les Eglises de. toutes parts se formèrent, l'Evangile se répandit, la foi passa jusqu'aux extrémités de la terre : tout cela par où? par la parole de Dieu entendue comme parole de Dieu.

Vous reconnaissez donc, mes Frères, pourquoi la plupart des chrétiens profitent si peu de la sainte parole que nous leur annonçons. N'est-il pas évident que le principe d'un mal si déplorable et si pernicieux dans le christianisme est qu'on ne la reçoit plus, cette parole, que comme parole des hommes, sans penser qu'elle part de plus haut, et de Dieu même? Voulez-vous que je vous en convainque parles différentes intentions des auditeurs qui l'écoutent? Venons au détail. Car on nous écoute, il est vrai ; on assiste à nos prédications, et sur cela, mes Frères, je vous rends aisément toute la justice qui vous est due. Mais du reste on vient nous entendre, comment? pouvons-nous l'ignorer , et pouvons - nous voir sans une amère douleur de pareilles profanations dans la maison de Dieu et en la présence de Jésus-Christ ? On vient, dis-je , nous entendre, mais par coutume et par une espèce de passe-temps, mais souvent par un esprit de malignité et de censure, mais par une curiosité vaine et tout humaine : ni vue de Dieu, ni préparation de l'Ame, ni désir de s'édifier, et de recueillir les fruits de salut qu'une si sainte parole doit produire. Expliquons-nous, et suivez-moi.

C'est par coutume et par une espèce de posa temps qu'on vient nous entendre. Demandez à la plupart de ceux qui se rendent les plus assidus à nos assemblées et à nos instructions publiques, ce qui les y amène : s'ils sont de bonne foi, ils vous répondront qu'ils n'ont

 

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communément en cela nulle autre vue que de suivre une certaine habitude qui les conduit. Il y a pour les gens du siècle des passe-temps, et, si je l'ose dire, des amusements de toutes les sortes : parlons plus juste, et disons que les gens du siècle se l'ont des passe-temps et des amusements de toutes les manières, et que, par l'abus le plus contraire à l'esprit chrétien, ils en cherchent jusque dans les plus saints exercices de la religion. Je ne parle pas des impies et des libertins, je ne parle pas de ces mondains tout occupés des plaisirs et des engagements du monde ; la parole de Dieu n'est pour eux ni passe-temps ni amusement, puisqu'ils t'ont profession de n'y assister jamais. Je parle du commun des chrétiens qui conservent toujours dans le cœur un fonds de piété, mais d'une piété lâche et indifférente. A ces fêtes solennelles que nous célébrons, et à ces jours que l'Eglise a spécialement consacrés au culte de Dieu, ils veulent bien s'interdire tout soin et toute affaire profane. Mais du reste que feront-ils alors, et que pourront-ils substituer à ces occupations qu'ils sont obligés et en effet résolus d'interrompre? De quoi rempliront-ils ce temps qu'Us refusent aux fonctions d'une charge, à la conduite d'un négoce, aux travaux ordinaires et aux usages de la vie? De le perdre au jeu, et de ne l'employer qu'en de vaines conversations et en des divertissements mondains, c'est ce que plusieurs se reprocheraient devant Dieu, et ce que leur conscience aurait peine à soutenir. Que leur faut-il donc, et. à quoi ont-ils recours? à nos cérémonies religieuses, à nos pieuses assemblées , et en particulier à nos prédications. Les heures s'y écoulent, et cela leur suffit.

De là nulle disposition intérieure pour recueillir cette manne divine que les ministres du Seigneur leur distribuent, et qui doit être la nourriture de leurs âmes et leur entretien. Le Saint-Esprit ne veut pas que nous nous présentions a l'autel du Dieu vivant pour le prier, sans nous y être préparés; et l'on se présente a la chaire de Jésus-Christ pour l'écouter, sans être rentré en soi-même, ni s'être éprouvé soi-même. Gomme si la chaire où Dieu nous fait annoncer ses ordres ne nous devait pas être, selon la belle remarque de saint Athanase , aussi vénérable que l'autel où il nous dispense ses grâces ; et comme si la parole que nous lui adressons dans l'oraison était plus respectable pour nous que celle qu'il nous adresse lui-même en nous instruisant, ou qu'on nous adresse eu son nom? De là même nulle réflexion de l'esprit, nulle attention à des vérités qu'on ne peut trop méditer, ni trop pénétrer. Le prédicateur, après s'être consumé de veilles et d'études pour se les rendre plus présentes et se les bien imprimer, épuise encore ses forces à les développer telles qu'il les a conçues, et à les proposer dans tout leur jour; mais l'auditeur, ou plongé dans une lente paresse qui l'assoupit, ou dissipé par de volages idées qui tour à tour se succèdent et qui l'égarent, n'entend rien, pour ainsi parler, de tout ce qu'il entend, n'en prend rien, ou n'en conserve rien.

Or, si l'on regardait la parole de Dieu comme parole de Dieu, on y apporterait tout un autre esprit, et tout un autre cœur. Je veux dire qu'on y apporterait un saint recueillement de L'âme, un humble sentiment de sa propre bassesse, et de la grandeur souveraine du maître dont on va recevoir les salutaires leçons, une intention actuelle d'en profiter et de les pratiquer ; qu'on y apporterait la docilité des enfants , pour apprendre ses devoirs et pour les connaître ; une soumission , une fidélité prête à tout entreprendre ; un plein abandon de soi-même à tous les mouvements qu'il plairait à Dieu d'inspirer, et à toutes les grâces dont il voudrait nous éclairer et nous toucher. Cette seule pensée : Dieu m'appelle, et, par la bouche de son ministre, c'est lui-même qui me va donner ses divins enseignements, lui-même qui me va révéler ses mystères, qui me va découvrir ses voies, qui me va déclarer ses volontés, qui va m'expliquer son Evangile et ses sacrés oracles : ce seul souvenir, mes Frères, exciterait tout votre zèle et réveillerait toute votre ardeur. On vous verrait au pied de cette chaire aussi respectueux et aussi appliqués que si Dieu, avec tout l'éclat de sa majesté, paraissait à vos yeux, et qu'il se montrât à vous dans son temple comme à Moïse sur la montagne. Bien loin d'être obligés de précipiter, pour ainsi dire, nos discours et de les resserrer, nous pourrions, sans lasser votre patience, leur donner la plus longue étendue ; et si vous aviez à vous plaindre, ce ne serait que de notre brièveté. Avides du précieux aliment que votre Dieu vous a destiné, et de cette pâture spirituelle dont nous sommes les économes, nous aurions peine à vous rassasier. Pas une parole ne vous échapperait, et pas une qui demeurât sans fruit. Vous trouveriez en nous des guides, des maîtres, des pères; des guides pour vous conduire à Dieu, des maîtres pour vous élever dans la connaissance de Dieu, des pères pour

 

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vous former selon Dieu : au lieu que nous ne sommes plus pour vous, comme s'exprimait le grand Apôtre, que des cymbales retentissantes. Pourquoi cela? ah ! mes chers auditeurs, je ne puis trop vous le redire, parce que vous ne reconnaissez point Dieu dans nos personnes, quoique nous tenions la place de Dieu ; parce que vous ne nous comptez que pour des hommes semblables à vous, quoique nous ayons, quelque faibles et quelque imparfaits que nous soyons d'ailleurs, cet avantage au-dessus de vous, d'être les ambassadeurs de Dieu ; parce que jugeant ainsi de nous par des vues tout humaines, sans en juger par les vues de la foi, vous ne mettez presque nulle différence entre nos plus solides entretiens et ces vides conversations où la coutume dans le monde vous engage, et qui ne vous sont de nul profit ni de nul mérite devant Dieu.

Mais le désordre va encore plus loin ; et si les uns sont coupables parce qu'ils viennent entendre indifféremment la parole de Dieu et sans nulle intention directe et expresse, les autres le sont encore plus parce qu'ils la viennent entendre malignement, et pour en faire le sujet de leur censure. Car, combien y a-t-il de ces auditeurs qui, par une vaine présomption, s'érigeant en juges de l'éloquence chrétienne, ne se rendent attentifs à tout ce que nous leur disons, que pour critiquer la manière dont nous le concevons, dont nous l'arrangeons, dont nous le proposons, dont nous l'exprimons, dont nous le débitons? Et de là, comment sortent-ils des prédications où ils ont assisté, et comment en parlent-ils? comme des philosophes et des païens. S'ils ont des éloges à donner au prédicateur évangélique, c'est sur la sublimité de ses pensées, c'est sur la nouveauté de ses tours, c'est sur la politesse et la fleur de son langage, c'est sur la grâce ou le feu de son action. Mais parce qu'on est toujours beaucoup plus enclin à reprendre et qu'on n'approuve qu'avec peine, c'est sur tous ces points et sur bien d'autres de même nature qu'on ne pardonne rien, et qu'on porte les jugements les plus sévères. Combien de ces auditeurs frivoles et mondains, toujours prêts à se divertir et à railler! Qu'ils entendent de notre bouche une de ces paroles que le libertinage a profanées et corrompues par de fausses interprétations, voilà à quoi la légèreté de leur esprit s'attachera, voilà ce qui les détournera des plus sérieuses matières, voilà ce qu'ils remporteront avec eux, et ce qui leur servira de fond pour les plus subtiles ou les plus grossières plaisanteries. Etrange renversement, Chrétiens! et où en sommes-nous réduits par la perversité du siècle? Ne nous sera-t-il donc plus permis d'user des plus innocentes et même des plus saintes expressions? Sera-ce un crime pour nous de nous énoncer comme les Pères de ; l'Eglise, comme les apôtres, et en particulier comme saint Paul? Le monde est-il donc devenu, par ses vains et ridicules raffinements, plus délicat, plus honnête, plus pur que ne Ta été jusqu'à présent la sage simplicité des fidèles? Disons mieux, faudra-t-il que nous fassions céder la liberté de la chaire au goût dépravé du monde et à son sens réprouvé? Non, mes Frères, non : nous parlerons comme l'Esprit de Dieu nous l'inspirera ; et si le monde en tire un scandale dont nous ne sommes point les auteurs, sans abandonner des termes consacrés, nous nous contenterons, pour notre consolation , d'opposer au mépris du monde ce que notre divin Maître nous a dit : Celui qui vous méprise, me méprise : Qui vos spernit, me spernit (1). Car c'est en effet s'attaquer à Dieu même et l'outrager, que de s'attaquer à sa parole et d'en faire un si criminel abus.

Tous néanmoins ne le font pas, à Dieu ne plaise! mais un dernier désordre plus commun, c'est d'entendre la parole de Dieu par une pure curiosité. Qu'un ministre de l'Evangile ait quelque avantage qui le distingue et qui lui ait acquis un certain nom, on le veut connaître par soi-même ; et, peu en peine d'en profiter, on veut en pouvoir parler. Malgré la droiture de ses intentions, dont Dieu est témoin, il sert de spectacle à toute une multitude, composée de qui ? est-ce de chrétiens qui viennent s'édifier? Je ne prétends pas qu'il n'y en ait point de ce caractère, et je ne ferai pas contre les règles de la charité et de la justice, à un si nombreux auditoire cette injure : mais du reste , je ne craindrai point de le dire, et sans me borner à la curiosité trop naturelle des uns, je marquerai en même temps les motifs encore plus criminels que bien d'autres y joignent. Car je ne le puis ignorer, mes Frères, et t'ignorez-vous vous-mêmes? quoi? que pour quelques âmes pieuses qui cherchent à s'instruire dans une prédication , cent autres s'y trouvent parce qu'ils y doivent rencontrer tels ou telles, et que c'est là, à certains jours et à certains temps, comme le rendez-vous public; qu'ils s'y trouvent parce qu'ils peuvent y paraître et y briller, y voir et s'y faire voir, comme si c'était une de ces assemblées où la

 

1 Luc, X, 16.

 

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vanité du monde étale avec plus d'éclat et avec plus d’art toutes ses pompes et tout son luxe; qu ils s'y trouvent comme à une action de théâtre : je ne m'explique pas davantage, et je craindrais, en vous nivelant tous ces mystères  d’iniquité, d'entrer dans un détail plus propre avons scandaliser qu'à vous corriger. Or, n'est-il pas évident que le principe de tant de scandales, c'est que, dans la parole de Dieu et dans l'attention qu'on y donne, on ne se propose rien moins que cette divine parole ?

Mais, me direz-vous, il ne nous est pas défendu de nous attacher à un prédicateur plutôt qu'à l'autre, et de distinguer entre les ministres de la parole de Dieu ceux qui ont le don de la mieux annoncer. Non, mes Frères, cela ne vous est point absolument défendu , pourvu que vous preniez dans le sens qu'il doit être pris ce que vous appelez mieux annoncer la parole de Dieu. Car qu'est-ce que ce mieux, et que doit-il être par rapport à vous? Si ce mieux ne va qu'à vous flatter agréablement l'oreille, sans vous toucher le cœur; s'il ne va qu'à vous récréer vainement l'esprit de peintures vives, de tours nouveaux et ingénieux, d'expressions polies et arrangées avec étude ; s'il ne va qu'à vous repaître inutilement, et peut-être trop humainement les yeux, par je ne sais quelle grâce et quelle représentation qui leur plaise ; si, dis-je, c'est là qu'il se réduit, quoi qu'il en puisse être de ce mieux considéré en lui-même, je prétends qu'à votre égard ce n'est nullement ce qui vous convient, parce que ce n’est point ce qui vous conduit à l'unique fin que vous devez avoir en vue, qui est votre conversion et votre sanctification. Mais quand ce mieux consistera à vous convaincre solidement des vérités éternelles et à vous les présenter dans toute leur force, à vous faire connaître vos devoirs et à vous y affectionner, avons taire sentir l'importance, la nécessité du salut, et à vous mettre dans une disposition efficace et prochaine d'y travailler; quand Ce mieux consistera à vous inspirer la crainte de Dieu, l'horreur du péché, l'amour de la vertu ; a vous en tracer de grandes images, et avons en imprimer fortement dans l'âme les sentiments; quand ce mieux consistera à vous retirer de vos désordres, et à vous détacher du monde et de vos habitudes vicieuses, à vous exciter aux larmes et à la pénitence : de sorte que ce soient, selon le beau mot de saint Jérôme, vos gémissements et non vos applaudissements qui fassent l'éloge du prédicateur; et que vous vous en retourniez vous frappant la poitrine, et formant de saintes résolutions pour l'avenir : Percutientes pectora sua reverterantur (1) ; alors je reconnaîtrai que c'est là le mieux que vous devez préférer à tout le reste ; et bien loin de condamner votre choix, je l'approuverai, je le louerai, je vous y confirmerai, parce que tout cela ne peut venir que de la parole de Dieu, dispensée et reçue comme parole de Dieu. Mais cette pure parole de Dieu vous paraît trop austère, et vous en craignez les conséquences : il vous faut donc quelque chose d'humain qui l'adoucisse et qui l'accommode à votre goût. Or, voilà pourquoi elle vous devient inutile : car c'est à cet humain que vous vous en tenez ; et comme rien d'humain ne peut opérer les œuvres de la grâce, qui sont d'un ordre infiniment supérieur, c'est pour cela que tout ce que vous entendez de la bouche des prédicateurs vous profite si peu, ou ne vous profite point du tout. Cependant vous vous flattez vous-mêmes; et parce que vous ne manquez pas peut-être une prédication, vous vous faites de cette assiduité un prétendu mérite. Mais vous vous trompez, mon cher auditeur; et votre erreur est d'autant plus pernicieuse, que la parole de Dieu ne servant pas, par votre faute, à votre salut, elle doit servir, par un juste jugement, à votre condamnation. Vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Quand l'Ecriture fait mention de la parole de Dieu et de ses merveilleux effets, elle nous la représente comme une parole toute sainte et toute sanctifiante, comme une parole de vie et d'une vie éternelle. Seigneur, s'écriait le Prophète royal, ranimez-moi et ressuscitez-moi par votre parole : Vivifica me secundum verbum tuum (2). Car c'est, ô mon Dieu, reprenait le saint roi, c'est dans la vertu de cette adorable parole que j'ai mis toute ma confiance : Quia in verba tua supersperavi (3). Où irons-nous, Seigneur, disait saint Pierre au Fils de Dieu, et à quel autre nous adresserons-nous qu'à vous-même, puisque vous avez les paroles de la vie éternelle? Domine, ad quem ibimus? verba vitœ œternœ habes (4). Et le Sauveur lui-même n'a-t-il pas dit que toutes ses paroles étaient esprit et vie : Verba quœ locutus sum vobis, spiritus et vita sunt (5) ? Il est donc certain que le vrai caractère de la parole de Dieu est de nous conduire dans les voies de la justice

 

1 Luc, XXIII, 48. — 2 Ps., CXVIII,  25. — 3 Ibid., 42. — 4 Joan., VI, 69. — 5 Ibid., 64.

 

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et de la sainteté, de nous porter à Dieu, et de nous faire heureusement parvenir au terme où nous sommes appelés de Dieu. Mais si cela est, comment se vérifie d'ailleurs l'autre proposition que j'ai avancée, que la parole de Dieu doit servir à notre condamnation, des qu'elle ne sert pas à notre justification? La réponse est facile et prompte; et c'est de ces avantages mêmes attachés à la parole de Dieu prise en soi, que je tire l'incontestable preuve de la triste vérité que j'ai maintenant à vous expliquer. Car, se rendre inutile une parole si efficace en elle-même, c'est un péché ; et de plus, par ce péché particulier, c'est s'ôter toute excuse dans tous les autres péchés. Vous comprendrez mieux ces deux pensées par l'éclaircissement que je leur vais donner.

En effet, tout moyen de salut que Dieu nous fournit, en justifiant à notre égard sa providence, nous impose en même temps l'obligation de mettre en œuvre ce secours et d'en profiter. Autant que nous sommes obligés de travailler au salut de notre âme, autant le sommes-nous d'user pour cela des moyens que nous avons en main, puisqu'il y a une dépendance et une connexion nécessaire entre l'un et l'autre. De là vient ce reproche si juste et si bien fondé que Dieu fera aux pécheurs, comme il est écrit dans la Sagesse : Vocavi, et renuistis (1) ; J'ai fait toutes les avances convenables pour vous attirer à moi, et vous avez négligé d'y répondre. Voilà pourquoi je me tournerai contre vous, et je vous frapperai des plus rudes coups de ma justice. De là vient cette terrible menace de Jésus-Christ, lorsque voyant Jérusalem, et parlant à cette ville infidèle, il lui disait : Quoties volui, et noluisti (2) ! Combien de fois ai-je voulu dissiper les ténèbres de ton incrédulité et vaincre ton obstination ! et combien de fois par ton opiniâtre résistance as-tu fait évanouir mes plus favorables desseins, et arrêté tous mes efforts! C'est pourquoi tu seras livrée à l'ennemi, et ruinée de fond en comble. De là vient ce funeste arrêt prononcé dans l'Evangile contre le serviteur paresseux : Méchant serviteur, je vous avais confié ce talent, et je m'attendais que vous le feriez valoir; mais vous n'en avez rien retiré. Allez dans une obscure prison et dans des ombres éternelles, recevoir le châtiment de votre infructueuse et stérile oisiveté. De tout ceci et de mille autres témoignages, nous devons conclure, avec saint Augustin, que les grâces de Dieu ne sont donc pas seulement pour nous des dons de Dieu, ni

 

1 Prov., 1, 24.— 2 Matth., XXIII, 37.

 

des bienfaits de sa miséricorde ; mais de grandes charges devant Dieu : Pondus oneris; et la matière aussi bien que la mesure de ses vengeances, quand par une résistance expresse, ou du moins par une négligence volontaire de notre part, elles n'opèrent rien en nous, et qu’elles y demeurent sans fruit.

Surtout, si ce sont de ces grâces plus ordinaires, de ces premières grâces, et, pour m'exprimer de la sorte, de ces grâces fondamentales que Dieu emploie dans l'ouvrage du salut de l'homme; si ce sont de ces moyens que sa sagesse a spécialement choisis pour y réussir, et qu'elle y a plus directement et plus formellement destinés. Car, laisser de tels moyens sans en faire nul usage, c'est renverser toutes les vues de Dieu, c'est déconcerter tout l'ordre de sa prédestination éternelle, c'est ou renoncer à la fin qu'il nous a marquée, ou prétendre changer les voies par où il avait résolu de nous y conduire. Or, voilà, Chrétiens, le péché que vous commettez quand vous vous rendez inutile la parole de Dieu. C'est un moyen de salut, puisque c'est par la prédication de l'Evangile, ainsi que nous l'enseigne l'Apôtre, qu'il a plu à Dieu de sauver le monde : Placuit Deo per stultitiam  prœdicationis  salvos   facere credentes (1). A la tête de tous les autres moyens que sa divine providence lui suggérait, il a mis  celui-là, parce que c'était en effet le plus propre et le plus nécessaire. Car comment les hommes croiront-ils en Jésus-Christ, ajoutait le même Docteur des nations? et comment, par la foi en Jésus-Christ et par l'observation de sa loi, seront-ils sauvés, s'ils n'en entendent point parler? et comment pourront-ils en entendre parler, s'il n'y a des prédicateurs suscités et envoyés pour les instruire? C'est à quoi Dieu a voulu pourvoir par le ministère de sa parole. Il a pris soin qu'elle fût publiée dans le monde, mais  pourquoi? pour réformer le monde. Elle vous est annoncée, chrétiens auditeurs, et c'est ad nom de Dieu qu'actuellement je vous l'annonce moi-même : mais à quelle fin? Quelle que puisse être mon intention, dont Dieu est le juge, et dont j'ai à lui rendre compte, voici toujours quel est le dessein du maître qui me députe vers vous, et de qui je ne suis que le faible organe : c'est afin que, recevant sa parole dans votre cœur, comme dans une bonne terre, elle s'y enracine, elle y fructifie et y rapporte au centuple. C'est afin qu'elle vous guérisse de vos erreurs, qu'elle vous relève de vos chutes, qu'elle vous fortifie dans vos faiblesses,

 

1 1 Cor., I, 21.

 

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qu'elle vous soutienne dans vos tentations, qu'elle vous dirige dans toutes vos voies, et qu'elle vous mène jusqu'au royaume céleste, qui est le terme où vous devez aspirer. Car voilà comment Dieu dans son conseil souverain été : Placuit Deo.

Si donc, parce que vous manquez, ou d'assiduité pour entendre cette sainte parole, ou de préparation pour la bien entendre, vous vivez toujours dans les mêmes illusions, toujours dans les mêmes dérèglements, toujours dans les mêmes distractions et les mêmes mondanités : si la parole de Dieu ne sert, ni à vous retirer de vos engagements criminels, ni à vous réveiller de votre assoupissement et de vos langueurs, ni à vous donner une connaissance plus exacte de vos obligations, ni à vous inspirer plus de zèle et plus de ferveur dans les pratiques du christianisme, cette inutilité ne procédant de nul autre que de vous, vous en croyez-vous quittes pour la perte que vous avez faite, et vous tenez-vous exempts de péché, et d'un péché très-grief, quand vous dissipez un si riche trésor, et que vous troublez toute l'économie de votre salut?

Quel fut le péché des Juifs? je vous l'ai dit, de ne s être pas soumis à la parole du Fils de Dieu, que son Père avait établi leur législateur et leur docteur. Or, sans être comme lui venus du ciel, nous sommes les dispensateurs de la même parole; et par conséquent lorsque nous voyou qu'elle vous profite si peu, nous avons droit de vous adresser la même menace que Jésus-Christ taisait à ce peuple incrédule, lorsqu'il leur disait : La lumière a paru dans le monde, elle s'est présentée à vous, et vous ne l'avez pas aperçue, parce que vous avez fermé les yeux pour ne la pas apercevoir. Mais prenez y garde, et ne vous y trompez pas : quiconque refuse de suivre cette lumière, quiconque est sourd à ma parole, ou demeure insensible à ses traits en l'écoutant, celui-là dès lors, quel qu'il soit, a un juge, mais un juge sévère, pour le juger. Et quel est-il ce juge qui doit le juger avec tant de rigueur, et le condamner sans rémission? C'est ma parole même, envers qui il devient prévaricateur et pécheur: Qui non accipit verba mea, habet qui judicet eum. Sermo quem locutus sum, ille judicabit (1). Car, connue ajoutait ce divin Sauveur, et comme nous pouvons l'ajouter après lui, puisque nous sommes employés à la même fonction que lui, ma doctrine n'est pas proprement ma doctrine; et les vérités que je vous prêche

 

1 Joan., XII, 48.

 

sont toutes émanées du Père céleste, qui m'en a fait part pour vous les communiquer : Quœ ego loquor, sicut dixit mihi Pater, sic loquor (1). Je m'acquitte là-dessus de ma mission, et j'exécute l'ordre qui m'a été donné. Je n'y épargne rien, et je ne refuse à personne mes soins et mes enseignements. Du reste, c'est à vous de les recueillir, à vous de vous les appliquer, à vous de les conserver dans votre cœur, et de les faire ensuite passer dans vos mains par une pratique fidèle et constante. En conséquence de cet important ministère qui m'a été confié et que j'ai accepté pour vous, je vous suis redevable de mon travail, c'est-à-dire de mes veilles, de mes fatigues, de mes avertissements , de mes instructions, de tout ce qu'il m'en coûte pour accomplir l'œuvre dont je me trouve chargé en votre faveur. Mais aussi, en conséquence de tout cela, vous m'êtes redevables de tout le bien qui en doit réussir, à la gloire du Seigneur, et à votre propre avantage; ou plutôt, vous en êtes redevables à Celui qui m'a envoyé, et qui vous le demandera selon toute la sévérité de sa justice : Qui non accipit verba mea, habet qui judicet eum.

Cependant, Chrétiens,  de tous les péchés dont nous avons à nous préserver, en est-il un que l'on craigne moins et sur lequel on entre moins en scrupule? On ne se fait sur ce point nul reproche devant Dieu, on ne s'en accuse pas une fois au tribunal de la pénitence : des gens font profession de n'entendre jamais les prédicateurs de l'Evangile, et ils s'en déclarent ouvertement : d'autres les entendent assez régulièrement, à ce qu'il paraît, mais comme s'ils ne les entendaient pas, et sans autre effet que de les avoir entendus. Demandez-leur s'ils se croient responsables à Dieu de sa parole ainsi abandonnée, ou dissipée après l'avoir reçue. Demandez, dis-je. à cette femme mondaine si elle compte comme un péché de ne vouloir jamais ménager quelques moments pour écouter la parole de Dieu, et pour y assister avec le commun des fidèles, tandis qu'elle perd les heures qui y sont destinées, et qu'elle les emploie, à quoi? le matin dans un repos lent et plein de mollesse, et le soir dans un soin frivole de ses ajustements et de ses parures. Demandez à cet homme du siècle s'il traite de péché le peu de réflexion qu'il fait à la parole de Dieu, lors même qu'il l'entend ou qu'il est présent pour l'entendre; et le peu de fruit qu'il en remporte, lui qui se rend si attentif à des affaires humaines, et qui sait si bien raisonner

 

1 Joan., XII, 50.

 

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sur tout ce qui concerne ses intérêts temporels et l'avancement de sa fortune. Demandez-leur, encore une fois, si là-dessus ils s'estiment coupables, et s'ils jugent que la conscience y puisse être quelquefois engagée : ils seront surpris d'une telle proposition, et ils trouveront étrange que vous entrepreniez de leur imposer une obligation qu'ils n'ont jamais connue, et dont ils ne sauraient convenir.

Que serait-ce si je leur faisais cette étonnante comparaison de saint Augustin, lequel n'a pas cru exagérer de mettre en parallèle un chrétien qui résiste à la parole de Jésus-Christ, et qui de la sorte anéantit toute la vertu de cette divine parole par rapport à lui, avec les Juifs qui versèrent le sang de ce Sauveur, et attachèrent à une croix son sacré corps? Il est vrai, dit ce saint docteur, vous ne portez pas comme eux sur sa chair innocente des mains sacrilèges, parce que vous ne le voyez pas sensiblement comme eux; mais quand je suis témoin de l'outrage que vous faites à sa parole, tout adorable qu'elle est, en la profanant, en la déshonorant par une vie toute contraire aux grands mystères qu'elle vous révèle et aux excellentes leçons qu'elle vous trace, que puis-je conclure autre chose, sinon que vous seriez disposé vous-même à le crucifier, s'il se montrait encore à vous comme il se fit voir à cette nation ingrate et déicide ? Judœi quia viderunt Christum, crucifixerunt. Numquid ergo qui verbo resistis, carnem crucifigeres, si videres ? Ainsi parlait saint Augustin ; mais je ne vais pas si loin, chrétiens auditeurs. Je veux seulement vous faire comprendre qu'il n'est pas si indifférent que vous le pensiez peut-être, de profiter ou de ne profiter pas de la parole de Dieu ; que ce n'est pas là un de ces articles sur quoi vous pouvez passer superficiellement dans la recherche de vous-mêmes, ni un point que vous deviez mettre au nombre des fautes légères et sans conséquence ; qu'il y a de quoi vous inspirer une juste crainte, parce qu'il y a de quoi vous rendre aux yeux de Dieu très-criminels ; que comme le Fils de Dieu dans son Evangile a béatifié ceux qui entendent la divine parole et qui la mettent en pratique, il semble par une règle toute contraire avoir réprouvé ceux qui ne l'entendent point, ou qui n'en tirent nulle utilité pour la réformation et la conduite de leur vie. Mais on ne pèche, me direz-vous, que par l'infraction de la loi; et quelle loi nous ordonne d'entendre les prédicateurs, et de faire de leurs prédications l'usage que l'on nous demande? Ah ! mes Frères, qu'il n'y ait point sur cela dans l'Eglise de loi particulière, j'en conviendrai, si vous le voulez: mais n'y a-t-il pas une loi générale qui vous ordonne de prendre les moyens dont Dieu a fait choix, et dont il s'est servi dans tous les temps pour l'ouvrage de votre salut? Comment pouvez-vous vous persuader qu'il ait établi le ministère évangélique, qu'il y ait attaché des grâces spéciales, qu'il y ait consacré des hommes uniquement occupés de ce pénible emploi, qu'il leur en ait fait un devoir, une vocation,un état si laborieux, sans vous faire pareillement et conséquemment à vous-mêmes un devoir non-seulement de les révérer comme vos maîtres, mais de les suivre comme vos conducteurs, et de marcher dans les routes qu'ils vous montrent?

Ce n'est pas tout : mais si c'est un crime devant Dieu de ne profiter pas de sa parole, je prétends encore que ce seul péché vous rend inexcusables dans tous les autres péchés que vous commettez. Car à quoi se réduisent toutes vos excuses? ou à l'ignorance, ou à la faiblesse. A l'ignorance, quand vous dites en tant d'occasions et sur tant de matières importantes: Je ne le savais pas, je n'y pensais pas, je ne me le figurais pas. A la faiblesse, quand vous ajoutez en tant d'autres rencontres* et sur tant d'autres sujets : Je ne le pouvais, c'était trop pour moi, le fardeau était trop pesant, et l'entreprise trop difficile. Voilà vos discours ordinaires, et les prétextes dont vous voulez couvrir les désordres de votre conduite. Mais voici ce que Dieu aura de sa part à y répondre, et comment il se servira, pour vous condamner, du don même qu'il vous aura fait de sa parole pour vous sanctifier. Car, il est vrai, vous ne saviez pas ceci, vous ne pensiez pas à cela, vous ne vous étiez jamais mis dans l'esprit ni l'un ni l'autre, et vous ne l'aviez jamais compris. Mais parmi le peuple fidèle où vous avez vécu, il y avait des ministres dont la principale fonction était de vous ouvrir les yeux, de vous révéler ce que vous ignoriez, de vous en retracer le souvenir, de vous en expliquer les raisons, de vous en faire voir les conséquences. Ils étaient inspirés pour vous; ils étaient éclairés des lumières d'en-haut, afin de vous les communiquer. Il ne tenait donc qu'à vous d'être instruit. Or avoir pu l'être et ne l'avoir point été, parce que vous avez négligé de l'être, c'est ce qui doit porter contre vous un témoignage irréprochable, cl vous attirer ce juste reproche, qui sera la conviction sensible de votre malice : Noluit intelligere, ut bene

 

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ageret (1). Il est vrai, la loi était difficile; et pour la garder, vous aviez bien des obstacles à vaincre : il vous fallait un courage et une résolution qui vous manquaient. Mais vous deviez donc pour cela même avoir recours à la parole de votre Dieu. Elle eût excité votre cœur froid et languissant, elle l'eût enflammé et embrasé. Votre loi était assoupie, et elle l'eût réveillée : votre espérance était chancelante, et elle l'eût fortifiée; votre charité était éteinte, et elle l'eût rallumée. Alors rien ne vous eût étonnés ni arrêtés ; et ce que vous aviez cru ne pas pouvoir sans changer de nature, vous eût paru non-seulement possible et praticable, mais doux et facile : car telle est la force et l'onction de la grâce que porte avec soi cette sainte parole. Or, pourquoi ne vous aidiez-vous pas de ce secours? et êtes-vous recevables à dire : J'étais faible, lorsque vous avez eu de quoi vous soutenir, et qu'il n'a dépendu que de vous d'en éprouver toute la vertu?

D'autant moins excusables, Chrétiens, que la parole de Dieu est pour vous un moyen plus puissant, un moyen plus présent, un moyen plus gratuit et d'une préférence plus marquée : trois circonstances qui doivent former contre vous autant de preuves toutes nouvelles. Car de tous les moyens de salut et de sanctification, le plus puissant, ou du moins un des plus puissants, c'est sans contredit la parole de Dieu. Elle a converti le monde entier; c'est-à-dire qu'elle a converti les royaumes et les empires, qu'elle a retiré les peuples les plus idolâtres des épaisses ténèbres de leur infidélité, qu'elle les a fait sortir de l'abîme le plus profond dos vices, qu'elle les a engagés à la pratique des plus héroïques vertus, qu'elle a produit dans le christianisme ces ordres si célèbres de pénitents, de solitaires, de religieux. Et que serait-ce, si je vous racontais tant d'autres effets miraculeux et plus particuliers dont elle a été le principe ? vous en seriez étonnés. A la vue de tant de merveilles, vous vous écrieriez connue le Sage : Omnipotens sermo tuus (2) ; Seigneur, qu'y a-t-il de si difficile dans l'ordre de la grâce aussi bien que dans l'ordre de la nature, qui ne cède à la toute-puissance de votre parole, et qu'elle ne surmonte ? Vous le diriez, mon cher auditeur; et moi, sans en demeurer là, je vous dirais ce que peut-être tous craindriez d'ajouter à votre confusion, et pour votre instruction ; mais ce qui n'est que trop réel et que trop vrai, et ce que je ne pourrais dissimuler sans une lâche prévarication.

 

1 Psalm., XXXV, 4. — 2 Sap., XVIII, 15.

 

Car il est bien étrange, reprend rais-je, dans une surprise encore plus juste que la vôtre, qu'une parole qui a pu opérer de si prodigieux changements en des âmes plus éloignées de Dieu que vous ne l'êtes, qui a pu toucher tant de pécheurs et en faire autant de saints, ne vous ait pas fait renoncer jusques à présent à un seul péché, ni pratiquer une seule vertu. Eh quoi ! je vois dans toutes les parties de l'univers les superstitions abolies, les abus réformés, l'Evangile établi, et sa plus haute perfection soutenue par une éminente sainteté : voilà d'une part ce que j'ai devant les yeux, et en quoi je ne puis assez admirer le triomphe de la divine parole, qui, seule, par le ministère des hommes apostoliques, a remporté de si éclatantes victoires, et fait de si belles et de si heureuses conquêtes. Mais voici d'ailleurs ce que je puis encore moins comprendre : c'est que cette parole n'ait, ce semble, nul pouvoir sur vous; que vous soyez insensible à toutes ses impressions ; qu'elle n'ait jusques à présent ni guéri les erreurs de votre esprit, ni amolli la dureté de votre cœur; que malgré toutes les vérités qu'elle vous annonce, et qui ont suffi pour réduire sous le joug de la loi de Dieu tous les peuples de la terre, vous demeuriez toujours dans le même endurcissement et la même obstination, toujours esclave des mêmes passions et plongé dans les mêmes désordres. Ce n'est pas à la parole de Dieu qu'il faut s'en prendre ; car puisqu'elle est toujours et partout la même, elle peut toujours et partout agir avec la même efficace. Ce n'est pas aux ministres qui la dispensent; car, pour user de cette comparaison, de même que la valeur du sacrifice de nos autels est indépendante du mérite et de la sainteté du prêtre qui consacre le corps et le sang de Jésus-Christ, ainsi la parole de Jésus-Christ ne dépend ni des bonnes ni des mauvaises dispositions de ses ministres. Si ce ne sont pas des apôtres par leurs qualités personnelles et par le caractère de leur vie, ils le sont par la vocation de Dieu, ils le sont par la commission qu'ils ont reçue de Dieu, et c'est assez. Que reste-t-il donc, Chrétiens, sinon de chercher dans vous-mêmes le principe malheureux qui, par rapport à vous, énerve toute la vertu de la parole du Seigneur, et de conclure qu'autant qu'elle était capable de vous relever de vos chutes et de cet abîme de corruption où vous vivez, autant êtes-vous inexcusables de vous y être laissés entraîner, et d'y vivre sans faire nul effort pour en sortir?

Car, vous a-t-elle manqué cette parole de

 

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grâce ? et si c'est de tous les moyens de conversion et de sanctification un des plus puissants, n'est-ce pas encore le plus présent? Combien de prédicateurs pour la publier! Faut-il entreprendre de longs voyages pour les chercher? faut-il passer au-delà des mers pour les trouver? Ils sont au milieu de vous; et bien loin qu'il soit nécessaire de leur faire de fortes instances pour les engager à vous parler, peut-être ne montrent-ils que trop d'empressement et d'ardeur pour vous engager vous-mêmes à les écouter. Oui, mes Frères, vous le voyez : les temples du Dieu vivant vous sont ouverts, et sans cesse ils retentissent des divines leçons que l'esprit de votre Père céleste nous met dans la bouche, et dont il veut que vous fassiez la règle de votre vie. Ni riches, ni pauvres, ni grands, ni petits, ni jeunes, ni âgés, personne n'est exclu de ces entretiens publics et salutaires, où nous vous expliquons la loi que vous devez observer ; où nous vous découvrons le chemin que vous devez prendre, et celui que vous devez éviter ; où nous vous proposons tout ce que la doctrine évangélique nous fournit de plus convaincant pour vous persuader, et de plus fort pour vous gagner. Nous nous proportionnons à tous les états, à tous les esprits, à toutes les dispositions, afin que chacun trouve dans nos discours ce qui lui convient. Or plus le remède est à votre usage et près de vous, plus il vous est aisé de l'employer à la guérison des infirmités spirituelles de vos âmes; et si vous êtes toujours sujets aux mêmes maladies, vous n'en êtes que plus condamnables. Plus la grâce est abondante et fréquente, plus elle vous met en état de combattre l'iniquité et de la détruire dans vous ; et si le vice conserve toujours dans vos cœurs le même empire, s'il y est toujours dominant, ce n'est que pour vous attirer un plus rigoureux jugement.

Je dis jugement plus rigoureux pour vous, mes chers auditeurs, parce que le don que Dieu vous fait de sa parole est à votre égard un don plus gratuit et d'une préférence plus marquée. Ainsi le Sauveur du monde le donnait-il à entendre aux Juifs, quand il leur disait avec un serment si solennel : Amen dico vobis, tolerabilius erit terrœ Sodomorum in die judicii (1) ; Prenez-y garde, et concevez-le bien, car c'est moi-même qui vous l'annonce, et c'est avec une assurance entière que je vous l'annonce, et dans une connaissance certaine de ce qui vous doit arriver : Amen dico vobis. Au tribunal souverain    vous comparaîtrez  un

 

1 Matth.,  X, 15.

 

jour devant votre Dieu et votre juge, vous serez plus sévèrement traités que ceux mêmes de Sodome, ce peuple si corrompu et si abominable. Quoi donc! demandent les interprètes, ne pas profiter de la parole de Dieu, est-ce un plus grand crime que celui de cette ville prostituée et abandonnée à de si honteux dérèglements? Les Pères s'expliquent différemment sur cette question ; mais quoi qu'ils en disent, l'oracle de Jésus-Christ est tel que je le rapporte, et en voici, selon l'interprétation de saint Grégoire, pape, le sens le plus naturel. C'est que les habitants de Sodome ayant péché contre Dieu avec moins de lumières, ils seront jugés avec moins de rigueur. Car c'étaient des hommes dominés par leurs brutales passions, et peu cultivés par la divine parole, qu'ils avaient à peine quelquefois entendue. Il est vrai que Loth leur avait fait quelques menaces de la colère du ciel ; mais ils ne savaient pas qu'il leur parlât de la part de Dieu, et même ne pouvaient-ils croire que ce fussent de sérieux avis qu'il leur donnait : Visus est eis quasi ludens loqui (1). Au lieu que vous, mes chers auditeurs, dans le sein de l'Eglise, et par une distinction refusée à tant de nations infidèles, vous avez eu mille prédicateurs pour vous former, et pour vous inspirer tous les principes d'une éducation chrétienne. D'où il s'ensuit que vous êtes par là plus criminels dans vos désordres, et que vous devez pour cela vous attendre à de plus rudes coups de la main de Dieu, et à de plus terribles châtiments de sa justice.

Prévenons-les, mes Frères, et ne changeons pas les bénédictions dont le ciel nous comble avec tant de profusion et avec un discernement si favorable, en autant de malédictions. Ne tenons pas nos oreilles fermées à la parole de notre Dieu : mais surtout ouvrons-lui nos cœurs (car c'est surtout au cœur que Dieu parle), et préparons-les pour en faire une bonne terre, où cette précieuse semence rapporte au centuple. Ce centuple de saintes œuvres que nous pratiquerons en ce monde, et de mérites que nous amasserons, nous produira dans l'autre un centuple de félicité et de gloire. Voilà le sujet de mes vœux pour vous, et de mes vœux les plus ardents. Voila ce que je dois me proposer dans l'exercice de mou ministère, et à quoi vous devez contribuer. Voilà ce que saint Augustin souhaitait lui-même à ses auditeurs, et ce qu'il attendait d'eux comme le fruit de son travail. Je finis

 

1 Genes., XIX, 14.

 

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par le sentiment de ce Père, et j'en fais une conclusion bien juste et bien naturelle de tout ce discours. Vous êtes chrétiens, disait ce saint docteur à une foule de peuple qu'il voyait assemblée autour de lui, et comme chrétiens tous venez entendre la parole de Jésus-Christ, votre législateur et votre maître. C'est en son nom que je vous la prêche, et je suis le dispensateur de cette parole de vérité. Mais que faites-vous en l'écoutant? vous donnez au prédicateur de vains éloges, et ce n'est point ce qu'il demande. Pratiquez ce qu'il enseigne, et il consent que vous ne pensiez plus à la manière dont il le traite et dont il l'enseigne : Laudas tractantem, quaero facientem. Ainsi, mes Frères, il y a encore maintenant de ces prédicateurs dis l'Evangile dont l'éloquence vous plaît, et que vous favorisez d'une attention particulière. Soit de leur part, et toujours avec la grâce d'en-haut, mérite réel; soit de votre part heureux préjugé, et je ne sais quelle opinion; soit de la part de Dieu assistance spéciale et secrète disposition : quoi que ce soit qui vous attire, vous paraissez eu foule à leurs prédications, vous exaltez leurs talents, vous admirez la force de leurs raisonnements, vous vous laissez éblouir à l'éclat brillant de leurs pensées, de leurs expressions, de leurs traits; c'est la matière de vos entretiens; et à force de les vanter, vous les rendez célèbres, et leur laites un nom dans le monde. Mais sur cela que doivent-ils vous dire? Laudas tractantem, quaero facientem. Eh! Chrétiens auditeurs, donnez toute gloire à Dieu, car c'est à lui seul que la gloire est due, et tout notre ministère ne tend qu'à le glorifier; mais pour nous et pour notre consolation, l'unique chose que nous y avons en vue, ou que nous y devons avoir, c'est que la sainte morale et les règles de conduite que nous vous traçons, soient exactement et constamment suivies. Quand on nous dira que le monde parle de nous, pour peu que nous ayons de force dans l'esprit et de solidité dans l'âme, nous regarderons cette frivole réputation comme une récompense bien légère de nos veilles et de nos sueurs. Nous la craindrons même , et autant qu'il nous est possible, nous la fuirons, parce qu'elle pourrait, en nous flattant, nous exposer encore plus que saint Paul au funeste péril de nous damner nous-mêmes, tandis que nous travaillons au salut des autres. Mais qu'on nous dise que, par une bénédiction divine répandue sur notre zèle, Dieu dans une ville est servi, et le prochain édifié; qu'on nous dise que ce libertin a ouvert les yeux, et renoncé à son impiété; que ce mondain a quitté les voies corrompues où il marchait, et dégagé son cœur de ses criminels attachements ; que ce pécheur invétéré et si longtemps rebelle à la grâce, y est enfin devenu sensible, et qu'il s'est retiré de ses honteuses débauches ; que cette femme idolâtre d'elle-même, et tout occupée des vanités du siècle, a pris le parti d'une retraite chrétienne; que ces personnes divisées entre elles se sont revues et réconciliées de bonne foi. Qu'on nous dise tout cela, et qu'on nous produise encore d'autres semblables effets de la parole qui nous a été confiée, c'est de quoi nous nous réjouirons avec les anges du ciel, et par où nous nous tiendrons abondamment payés de nos peines : Laudas tractantem, quœro facientem. Nous avons pour cela besoin, ô mon Dieu, de l'assistance de votre Esprit, et c'est pour cela même que nous l'implorons. Répandez-le, Seigneur, et sur les prédicateurs de l'Evangile et sur les auditeurs. Donnez aux prédicateurs un zèle ardent, un zèle pur et désintéressé; mais donnez en même temps aux auditeurs une docilité humble, souple et agissante. Ainsi, parle ministère de votre parole nous nous sauverons : les prédicateurs en l'annonçant, et les auditeurs en la recevant. Après nous avoir sanctifiés sur la terre, elle nous fera parvenir au terme de la bienheureuse éternité, où nous conduise, etc.

 

 

 

 

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