SERMON POUR LE DIMANCHE DANS L'OCTAVE DU SAINT-SACREMENT.
SUR LA FRÉQUENTE COMMUNION.
ANALYSE
Sujet. Un homme fit un grand repas, et invita beaucoup
de gens. Quand l'heure du repas fut venue, il envoya son serviteur dire aux
conviés de venir : mais ils commencèrent tous à s'excuser.
Voilà
comment on se comporte à l'égard de la communion, où Dieu nous invite, et dont
on s'excuse par une humilité mal entendue. Je suis indigne, dit-on, de
fréquenter le sacrement de Jésus-Christ, et mon cœur n'est pas assez pur. Vain
prétexte qu'il faut combattre.
Division. La pureté dévie requise pour approcher du sacrement
de Jésus-Christ ne doit point être communément ni en soi un obstacle à la
fréquente communion : première partie. La fréquente communion est même un des
moyens les plus efficaces pour acquérir une sainte pureté de vie : deuxième
partie.
Première
partie. La pureté de vie requise pour
approcher du sacrement de Jésus-Christ n'est point communément ni en soi un
obstacle à la fréquente communion ; car l'intention du Fils de Dieu a
constamment été que les communions fussent fréquentes, puisqu'il nous a donné
son sacrement comme une viande, comme un breuvage, comme un pain. Si donc
d'ailleurs il nous ordonne de ne nous présenter à sa table qu'avec une
conscience nette et pure, cette pureté et cette condition, tout indispensable qu'elle
est, ne peut être d'elle-même un titre valable pour ne pas communier souvent.
Est-ce à dire que, malgré l'état du péché, on doive, pour se conformer aux
desseins de. Jésus-Christ, venir à son autel et recevoir son sacrement? Non;
mais c'est à due] que, pour fréquenter ce divin sacrement et pour entrer de la
sorte dans les vues de Jésus-Christ, nous devons travaillera purifiai et a
sanctifier notre vie. Si cette obligation nous est un obstacle à la fréquente
communion, elle ne l'est que parce qui nous le voulons, et non point par
elle-même; car il ne tient qu'à nous, avec le secours de la grâce, d'acquérir
cette disposition nécessaire.
Mais
pour l'acquérir, celte pureté, il faut du temps : je le veux, pourvu que ce
soit un temps qui n'aille pas à l'infini, en qu'on ne cherche pas toujours à le
prolonger. Mais de se priver de la communion, c'est une abstinence spirituelle
qui tient lien de pénitence : quelle pénitence, répond saint Ambroise, de se
refuser le remède dont on doit attendre sa guérison et son salut? Mais enfin on
ne peut être trop parfait pour communier : il est vrai, mais on peut exiger
d'abord trop de perfection de ceux qui communient, ou qui désirent cet
avantage.
Pour
mieux éclaircir ce point, il faut bien distinguer les dispositions nécessaires
et absolument suffisantes, des dispositions de bienséance et de subrogation.
Quoi qu'on en puisse dire, quiconque est actuellement en état de grâce et sans
péché mortel, est dans la disposition de pureté qui suffit, selon la rigueur du
précepte, pour communier. Si donc je suis souvent en état de grâce j'ai dès
lors la pureté absolument suffisante pour communier souvent. Ce qui nous
trompe, c'est que nous ne comprenons pas assez le mérite que porte avec soi cet
état de grâce, et ce qu'il en coûte pour s'y mettre ou pour y persévérer. Ce
n'est pas après tout, qu'il faille se contenter de cette exemption de péché
mortel pour approcher souvent de la sainte table. Outre cette préparation
indispensablement requise pour ne profaner pas le sacrement de Jésus-Christ, on
doit encore l'honorer par d'autres dispositions convenables à la dignité de ce
divin mystère. Mais aussi en exhortant tes fidèles à apporter ces dispositions
convenables, il ne faut pas les leur proposer dans un degré de perfection où
ils ne puissent moralement espérer de parvenir.
Deuxième
partie. La fréquente communion est un
des moyens les plus efficaces pour acquérir une sainte pureté de vie. Comment
cela? parce que le sacrement qu'on y
reçoit contient l'auteur do la grâce et de toutes les grâces; et parce que ce sacrement
est une viande toute divine, qui, par proportion, comme les autres viandes,
nous communique ses qualités, sa pureté, sa sainteté, etc. Plus donc nous
mangerons souvent cette viande céleste, plus elle nous purifiera et nous
sanctifiera.
De
plus, un chrétien qui communie souvent se trouve par là même engagé à une plus
grande vigilance et à une plus grands] attention sur lui-même, puisque nous ne
pouvons communément douter qu'il n'ait au moins assez de religion pour ne
voulons pas profaner et déshonorer le corps de Jésus-Christ.
Mais,
dit-on, nous ne voyons point ces grands effets de la fréquente communion.
Erreur : on les a vus, on les voit encore ; et là-dessus voici trois
propositions certaines, et fondées sur l'expérience. 1° Les plus grands saints de
l'Eglise de Dieu et les âmes les plus élevées par leur piété se sont fait et se
font tous, ou presque tous, une règle de communier souvent; et tout le bien
qu'il y a eu en eux, tout ce qu'il y en a, ils l'ont attribué et l'attribuent
particulièrement à cette pratique de la fréquente communion.
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2° Tous ceux qui ont l'usage
de la fréquente communion vivent ordinairement dans une plus grande innocence
et une plus grande régularité. 3° Tout ce qu'il y a de gens vicieux, de
libertins, de mondains et de mondaines, abandonnent la
fréquente communion. Or, tout cela, qu'est-ce autre chose que de sensibles
préjugés en faveur de la communion fréquente? Ce n'est pas qu'elle nous rende
tout d'un coup parfaits; mais elle nous aide à le
devenir. Prenons donc un nouveau zèle pour la communion, et que les ministres
de Jésus-Christ s'emploient à le rallumer dans le christianisme.
Homo quidam fecit cœnam magnant, et vocavit multos, et misit tertum suum
hora cœnœ, dicere invitatis ut venirent, et cœperunt omnes simul excusare.
Un homme fit un grand repas,
et invita beaucoup de gens. Quand l'heure du repas fut venue, il envoya son
serviteur dire aux conviés de venir, mais ils commencèrent tous à s'excuser. (Saint
Luc , chap. XIV, 16-18.)
Ce repas dont il est parlé dans
notre évangile, selon la plus commune interprétation des Pères, qu'est-ce autre
chose que la divine Eucharistie? et n'est-ce pas ainsi
que l'Eglise parait l'entendre, puisqu'elle a choisi cette parabole pour
l'appliquer à l'adorable sacrement de nos autels? C'est un grand repas : Cœnam magnam. Grand
par l'excellence et la qualité de la sacrée viande et du saint breuvage qui y nuit
servis ; car c'est le corps même et le sang de Jésus-Christ : grand par le
nombre de ceux qui s'y trouvent conviés ;
ce sont tous les bommes, du moins tous les fidèles : grand par la
dignité de leurs personnes et la sainteté de leurs dispositions, puisqu'ils n'y
doivent venir qu'en état de grâce : grand par le lieu où il est préparé ; c'est
toute l'Eglise : grand par sa durée; il ne finira qu'avec le
monde : enfin, grand par sa signification, parce qu'il contient une vérité dont
les mystères de l'ancienne loi n'ont été que la figure et que l'ombre. Vous
êtes tous appelés, mes Frères, à cette table du Seigneur ; et c'est pour vous
l'annoncer de sa part qu'il envoie ses prédicateurs, et que je parais ici
moi-même, selon le devoir de mon ministère : Et misit
servum suum. Mais que
faites-vous? Saint Grégoire, pape, le déplorait autrefois, instruisant le
peuple chrétien dont il avait la conduite; et rien en effet n'est plus
déplorable : Homo dives invitat, et pauper occurrere festinat ; ad Dei vocamur convivium, et excusamus
; Qu'un riche, disait ce saint docteur, daigne inviter un pauvre à manger lui,
le pauvre y court : la table du Fils de Dieu est dressée pour nous, et nous nous excusons ! Quels prétextes ne
prend-on pas? tantôt les affaires temporelles dont on
est chargé, tantôt les engagements de sa condition il de son état. On dit,
comme ces conviés de l’Evangile : Je suis dans l'embarras, j'ai une famille qui
m'occupe, et des enfants à pourvoir : Uxorem
duxi. On dit, J'ai du bien qui demande mes soins,
un négoce à entretenir, une charge à remplir : Villam
emi. Et ainsi l'on a toujours, ou l'on croit
toujours avoir des raisons pour abandonner le plus salutaire de tous les
sacrements, et pour n'en approcher presque jamais : Et cœperunt
omnes simul excusare. Mais entre les excuses les plus ordinaires
dont on se sert, savez-vous, mes chers auditeurs, quelle est la plus
dangereuse, parce qu'elle est la plus spécieuse? c'est ce que nous entendons
dire à tant de faux chrétiens, qu'ils ne sont pas assez purs pour se présenter
à une table si sainte; et que leurs communions sont rares, parce qu'ils ne se
croient pas dignes de les rendre plus fréquentes. Or je soutiens, moi, que
cette excuse, toute apparente qu'elle peut être, n'est point communément
recevable ; je soutiens que cette prétendue humilité, dont on voudrait se faire
un mérite, n'est souvent qu'un piège de l'ennemi de notre salut, ou de la
nature corrompue qui nous trompe. Comme ce point est d'une extrême conséquence,
j'ai besoin, pour le bien développer, des lumières du Saint-Esprit.
Demandons-les par l'intercession de la mère de Dieu, en lui disant : Ave,
Maria.
Il est vrai, Chrétiens, et je
suis d'abord obligé de le reconnaître, que la pureté de l'âme et l'innocence de
la vie est une disposition essentielle et absolument nécessaire pour participer
au divin sacrement que nous recevons dans la communion ; et il est encore vrai
que plus nos communions sont fréquentes, plus nous devons être exempts de tache
et saints devant Dieu. Bien loin de combattre cette vérité, je la confesse
hautement, comme un principe incontestable et un point de ma créance ; et je
voudrais la graver si profondément dans vos cœurs, que rien jamais ne l'en pût
effacer. Mais, cela posé, je puis néanmoins avancer deux propositions dont il
faut, s'il vous plaît, que vous preniez bien le sens, et qui vont faire le
partage de ce discours : car pour détruire la vaine excuse de ceux qui se
retirent de la communion parce qu'ils ne se croient pas assez purs, et qui, par
la même maxime et la même règle de conduite, portées au delà des bornes et mal
conçues, en retirent les autres, je dis que la pureté requise pour approcher du
sacrement de Jésus-Christ ne doit point être
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communément ni en soi un obstacle à
la fréquente communion : ce sera la première partie. Je vais même plus loin,
et, par l'effet le plus désirable et le plus heureux, je prétends qu'un des
moyens les plus puissants, les plus infaillibles et les plus courts pour
arriver à une sainte pureté de vie, c'est la fréquente communion : ce sera la
seconde partie. Je vous ferai donc voir comment une vie pure et innocente nous
doit préparer à la communion , sans que ce devoir soit
une juste raison de nous en éloigner; et d'ailleurs je vous apprendrai comment
même la communion doit servir à rendre notre vie toujours plus innocente et
plus pure. Ces deux pensées sont solides; mais, encore une fois, il est
important que vous y donniez toute votre attention, pour les entendre
précisément telles que je les entends et que je les propose. Appliquez-vous, et
commençons.
PREMIÈRE PARTIE.
Quelque pureté de vie que Dieu
exige de nous pour approcher de son auguste sacrement, elle ne peut en soi nous
tenir lieu d'une légitime excuse pour nous dispenser du fréquent usage de la
communion. Vous en voulez la preuve; écoutez-la. C'est que l'obligation
d'apporter au sacré mystère toute la pureté convenable, ne doit point
préjudicier a l'intention de Jésus-Christ, ni au dessein
qu'il a eu en vue dans l'institution de la très-sainte
Eucharistie. Or quel a été le dessein de Jésus-Christ, en l'instituant ? Il a
prétendu que l'usage nous en fût ordinaire, il l'a souhaité ,
il nous y a invités. Voilà pourquoi, dit saint Augustin, il nous a donné ce
sacrement comme une viande; c'est pour cela qu'il en a fait un breuvage : de là
vient qu'il l'institua en forme de repas, pour nous dire et nous faire
comprendre que c'était une nourriture dont nous devions user, non point
rarement ni extraordinairement, comme l'on use des remèdes, mais fréquemment et
souvent, comme nous prenons tous les jours les aliments qui nous entretiennent.
Et parce que toutes les viandes, par rapport à la vie naturelle, ne sont pas
également communes à tous les hommes, qu'a-t-il fait? il a choisi celle qui l'était et qui l'est encore le plus;
celle dont on peut le moins se passer, et qu'on ne quitte jamais; celle qui
nourrit les pauvres et les riches, les petits et les grands ; je veux dire ce
pain de chaque jour que nous demandons à Dieu , et qui est le premier soutien
de notre vie : il l'a, dis-je, choisi pour nous y laisser le sacrement de son
corps, ou plutôt pour le transformer dans cet ineffable sacrement.
Ce n'est pas assez; mais afin de
nous engager encore plus fortement à en profiter, il nous crie sans cesse de ses autels, et nous adresse
ces paroles qu'il avait déjà mises pour nous dans la bouche du Sage : Venite, comedite panem meum, et bibite vimim quod miscui vobis (1) ; Venez , paraissez dans mon sanctuaire, asseyez-vous à ma
table, mangez le pain que je vous ai préparé. Vous avez droit d'y participer;
et, puisque je vous le présente moi-même, tout mon désir est que vous le receviez.
D'où saint Ambroise prenait occasion de dire, parlant à un chrétien : Si panis est, si quotidianus est, quomodo illum post annum sumis ? Eh quoi ! mon frère,
si ce sacrement est un pain, et si c'est un pain qui tous les jours devrait
être l'aliment de votre âme, est ce j assez dans tout le cours d'une année de
vouloir seulement une fois y avoir part? Il est donc certain que la vue du Fils
de Dieu a été que nous eussions dans le christianisme un usage libre et
fréquent de la communion. Il n'est pas moins certain que le Fils de Dieu ne
peut se contredire lui-même, qu'il n'a pu avoir des intentions dont l'une
devînt par soi-même un empêchement essentiel à l'autre ; dont l'une servît de
raison, et de raison solide, pour combattre et renverser l'autre. Par
conséquent, dès que nous voyons qu'il nous a portés à la fréquente communion,
et qu'il nous y porte, que c'est ce qu'il désire de nous et à quoi il nous
appelle, quelle conclusion devons-nous tirer de là, sinon celle que j'ai déjà
marquée; savoir, que si d'ailleurs il nous a ordonné de ne nous présenter à sa
table qu'avec la robe de noces, c'est-à-dire qu'avec une conscience nette et purifiée
de toutes souillures, cette pureté néanmoins et cette condition, tout indispensable qu'elle est, ne
vous peut être
d'elle-même un titre valable pour ne pas communier souvent?
Que veux-je dire après tout,
chrétiens auditeurs? car c'est ici qu'il faut
m'expliquer, et lever le scandale où pourrait vous jeter ma proposition mal
interprétée et mal expliquée. Est-ce mon sentiment que, malgré l'état du péché,
vous deviez, pour vous conformer aux desseins
de Jésus-Christ touchant la communion fréquente, venir à son autel et recevoir
son sacrement? Malheur à moi si j'autorisais en aucune sorte une telle
profanation, et malheur à quiconque ferait ce criminel abus du plus saint
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de nos mystères, et se rendrait par
là, selon l'expression de l'Apôtre, coupable du corps et du sang d'un Dieu !
Mais quelle est ma pensée ? c'est que vous raisonnez d'une façon, et qu'il
faudrait raisonner de l'autre; c'est que vous concluez à quitter la fréquente
communion , parce que vous ne menez pas une vie assez réglée ni assez
exemplaire, lorsque vous devriez seulement conclure à vivre plus régulièrement
et plus exemplairement pour retenir la fréquente communion ; c'est que vous
dites : Je tiens une conduite trop peu chrétienne et trop peu édifiante pour
fréquenter un sacrement dont les anges mêmes se croiraient indignes, je neveux
donc pas communier souvent ; au lieu qu'il serait bien plus à propos de dire :
Je dois communier souvent et je le veux, pour entrer dans l'esprit de
Jésus-Christ, pour m laisser pas inutile le précieux don que nous avons reçu ,
pour ne me pas priver des avantages inestimables qui y sont attachés : et
puisque la communion fréquente ne peut s'accorder avec une conduite telle que
la mienne, je veux donc, non pas renoncera la communion, parce que je n'y suis
pas disposé, mais changer de conduite afin de m'y disposer.
Ainsi la pureté de vie qu'attend
de nous le Sauveur des hommes ne sera plus précisément un obstacle à la
fréquentation du divin mystère; mais ce sera un motif pour travaillera acquérir
tout le mérite et toute la préparation qu'il requiert : c'est-à-dire que ce
sera un motif pour renoncer à celte liaison, à celte habitude, a ce commerce et
à ce plaisir que la loi défend et qui déshonorerait spécialement la chair de
Jésus Christ ; un motif pour attaquer ses passions et pour les surmonter, pour
humilier cet orgueil, pour réprimer cette ambition, pour éteindre cette
convoitise, pour étouffer ce ressentiment qui dans vous ne peut compatir avec
la présence réelle de Jésus-Christ; un motif pour vous détacher du monde, pour
vous détromper de ses maximes, pour vous dégager de ses intrigues , pour vous
retirer de ses assemblées, pour vous interdire ses spectacles, ses
divertissements et ses jeux , qui, directement opposés à la morale chrétienne,
vous sépareraient de Jésus-Christ ; un motif pour exciter votre piété, pour
ranimer votre ferveur, pour vous adonner à la prière, à la méditation des
choses saintes , aux exercices de la pénitence, a la pratique des bonnes œuvres
et de toutes les vertus capables devons rendre plus agréables à Jésus-Christ,
et de vous unir plus étroitement avec Jésus-Christ. Voilà, dis-je, à quoi vous
engagera l'obligation de vous éprouver et de purifier votre cœur, afin d'être
en état d'y placer Jésus-Christ; du moins , voilà à quoi elle doit vous
engager, mais à quoi vous ne voulez pas qu'elle vous engage; car développons de
bonne foi tout ce mystère. Si cette obligation est pour vous un obstacle à la
fréquente communion, elle ne l'est que parce que vous le voulez : non , elle ne
l'est que parce que vous voulez demeurer toujours dans le même attachement, le
même esclavage , les mêmes liaisons, sans faire le moindre effort pour les
rompre et pour en sortir; elle ne Test que parce que vous voulez toujours vivre
au gré de vos désirs, flatter vos sens, ne leur refuser rien , ne les gêner en
rien, et suivre en aveugle la cupidité qui vous entraîne; elle ne l'est que
parce que le monde vous plaît, et que vous voulez toujours le voir, toujours
être de ses compagnies qui vous dissipent, et de ses parties de plaisir qui
vous corrompent; elle ne l'est que parce que vous ne pouvez pas ou plutôt que
vous ne voulez pas vous résoudre une fois à prendre quelque chose sur vous,
pour vous réveiller de l'assoupissement où vous êtes à l'égard de votre salut
et de tout ce qui concerne la sanctification de votre âme, pour vous tirer sur
cela de votre langueur, pour vous affectionner aux devoirs de la religion et
pour les remplir. Or, dès qu'elle n'est obstacle que par votre volonté
dépravée, j'ai raison de dire qu'elle ne l’est point d'elle-même : et j'ai
toujours droit de vous reprocher cet éloignement de la communion qui vous est
si habituel, et que vous prétendez justifier par cela même qui le condamne.
Cependant, Chrétiens, sans
insister davantage sur ce point, dont je me suis déjà expliqué plus à fond dans
un autre discours, je vois ce que quelques-uns auront à me répondre; et pour
leur instruction je dois encore aller plus avant. En effet, me diront-ils , que la pureté nécessaire pour fréquenter le sacrement
de Jésus-Christ ne soit pas en soi un empêchement et un obstacle à la communion
; que ce soit seulement un motif pour employer nos soins à nous mettre, autant
qu'il est possible, dans cet état de pureté et dans cette sainte disposition . nous en convenons, et nous voulons aussi travailler à la
réformation de notre vie. Mais ce changement n'est pas l'ouvrage d'un jour; on
ne parvient pas tout d'un coup à celte perfection qui bannit d'une âme le vice,
et qui y fait naître les vertus; il faut du temps pour arriver là ; et, pendant
tout ce temps, n'est-ce pas une
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espèce de pénitence, et une
pénitence louable, que de se tenir éloigné de la table du Sauveur et de son
autel ? Tout ceci, mon cher auditeur, contient divers articles que je reprends,
et sur lesquels je vais vous déclarer quelques-unes de mes pensées.
Car, dites-vous, il faut du temps : je le veux, pourvu que
ce soit un temps borné, pourvu que ce temps n'aille pas à L'infini, et que d'un
terme à l'autre on ne cherche pas toujours à le prolonge? ; pourvu que ce temps
d'épreuve ne vous tienne pas les années entières sans manger ce pain céleste,
qui doit être votre soutien, et dont vous ne pouvez vous passer; pourvu que ce
ne soit ni votre lâcheté qui règle ce temps, ni vos préjugés et votre
opiniâtreté. Et ne sait-on pas à quel excès ont été là-dessus des esprits
entêtés et aveuglés, jusqu'à se faire une piété, je dis une piété chimérique,
de manquer aux préceptes de l'Eglise, et de violer l'un de ses commandements les
plus solennels qui est celui de la pâque?
Mais cette abstinence
spirituelle, ajoutez-vous, est une pénitence : ainsi le disait-on du temps de
saint Ambroise, comme il l'a lui-même remarqué. Il y en a (ce sont les paroles
de ce saint docteur), il y en a qui se font une pénitence de se priver de la
participation des saints mystères : Sunt
qui arbitrantur hoc esse pœnitentiam,
si abstineant a sacramentis
cœlestibus. Mais quelle pénitence! poursuit ce même Père; et n'est-ce pas se traiter trop
sévèrement soi-même , en s'imposant une peine, de se refuser le remède dont on
doit attendre sa guérison et son salut? Severiores
in se judices sunt, et pœnam dum imponunt
sibi, declinant remedium. Voilà comment en jugeait un des plus saints
et des plus grands pasteurs de l'Eglise ; voilà ce qu'il regardait comme une
pénitence trop rigoureuse. Mais moi, sans aller contre son sentiment, que je
dois respecter, je puis dire que de nos jours ce serait une pénitence bien
commode pour tant de mondains et de mondaines; que volontiers ils s'y
assujettiraient, et qu'elle se trouverait bien de leur goût, puisqu'elle les
déchargerait d'un des devoirs du christianisme qui s'accorde moins avec leur
vie oisive, sensuelle et dissipée. Si c'est là maintenant la pénitence qu'on
leur prescrit, de la manière que le monde est disposé, il sera bientôt rempli
de pénitents.
Mais enfin, concluez-vous, on ne
peut être trop parfait pour communier. Non certes, mon cher auditeur, on ne
peut être trop parfait; mais on peut d'abord exiger trop de perfection de ceux
qui communient ou qui désirent ce précieux avantage; c'est-à-dire, on ne peut
être trop parfait, eu égard à la dignité du sacrement, qui sera toujours, quoi
que nous : puissions faire, au-dessus de toutes nos dispositions; mais en même
temps on peut trop exiger d'abord de perfection de ceux qui le fréquentent, eu
égard à la faiblesse humaine, que le Sauveur des hommes n'a point dédaignée, et
qu'il a voulu même soutenir par son sacrement : ce sont des malades, ils ont
leurs infirmités, leurs fragilités; et c'est pour cela même que le médecin de
leurs âmes les appelle à lui, afin de les guérir et de les fortifier. Aussi
prenez garde qui sont ceux que le maître de notre évangile fait ramasser dans
les places publiques, et qu'il rassemble à son festin : ce ne sont point
précisément les riches, les grands, les saints; mais les pauvres, mais les
petits, mais les infirmes, mais les aveugles et les boiteux : Exicito in plateas et vicos civitatis; et pauperes ac debiles,
et cœcos, et claudos introduc huc (1). Non-seulement il ne les exclut point de sa table, il
ordonne à ses ministres de leur faire une espèce de violence pour les y attirer
: Compelle intrare
(2) Que nous marque cette figure? Il ne faut pas une longue réflexion pour le
connaître, et il vous est aisé, Chrétiens, d'en faire vous-mêmes l'application.
Tout ceci, néanmoins, veut encore
un plus ample éclaircissement ; et sans cela je pourrais craindre, en vous
faisant éviter un excès, de vous conduire dans un autre. Or toute extrémité est
mauvaise ; et outre que j'en suis naturellement ennemi, mon ministère m'oblige
spécialement à m'en préserver. Rendre l'usage de la communion trop facile,
c'est un relâchement; mais d'ailleurs le rendre trop difficile et comme
impraticable, c'est une rigueur hors de mesure. Cherchons donc le juste milieu
qui corrige l'un et l'autre; et sans nous porter ni à l'un ni à l'autre,
tenons-nous-en aux principes d'une solide théologie. Renouvelez, s'il vous
plaît, votre attention : car voulez-vous savoir, Chrétiens, quelle a été une
des erreurs les plus remarquables de notre siècle, quoique des moins
remarquées? le voici : c'est qu'en mille sujets, et
surtout en celui-ci, on a confondu les préceptes avec les conseils ; ce qui était
d'une obligation indispensable, avec ce qui ne l'était pas; les dispositions
absolument suffisantes, avec les dispositions de bienséance, de surérogation,
de perfection; en un mot, ce qui faisait de la communion un sacrilège, avec ce
qui en
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diminuait seulement le mérite et le
fruit. Voilà ce que l'on n'a point assez démêlé, et ce qu'il était néanmoins très-important de distinguer. En effet, citons, tant qu'il
nous plaira, les Pères et les docteurs de l'Eglise; accumulons et entassons
autorités sur autorités; recueillons dans leurs ouvrages tout ce qu'ils ont
pensé et tout ce qu'ils ont dit de plus merveilleux sur l'excellence du divin
mystère ; exposons tout cela dans les
termes les plus magnifiques et les plus pompeux, et formons-en des volumes
entiers ; enchérissons même, s'il est possible, sur ces saints auteurs, et débitons
encore de plus belles maximes touchant la pureté que doit porter un chrétien à la table de Jésus-Christ;
faisons valoir cette parole qu'ils avaient si souvent dans la bouche, et qui
saisissait de frayeur les premiers fidèles:
Sancta sanctis
; après avoir épuisé là-dessus toute notre éloquence et tout notre zèle, il en
faudra toujours revenir au point décidé, que quiconque est en état de grâce,
exempt de péché, je dis de péché mortel, est dam la disposition de pureté qui
suffit, selon la dernière rigueur du précepte, pour communier. Ainsi nous l'enseigne
le concile de Trente, et c'est une vérité de foi. De là il s'ensuit que si je
suis souvent en cet état de grâce, j'ai dès lors la pureté absolument
suffisante pour communier souvent ; et que si tous les jours de ma vie je me
trouvais en cette même disposition, j'aurais chaque jour de ma vie le degré de
pureté nécessairement requis pour
ne pas profaner le corps de Jésus-Christ
en communiant; et non-seulement pour ne le profaner pas et ne pas
encourir la censure de saint
Paul : Judicium sibi
manducat et bibit (1) ;
mais pour recueillir à l'autel du Seigneur une nouvelle force, et y recevoir un
nouvel accroissement de grâce. Si bien qu'en ce sens la parole de saint
Augustin se vérifierait à mon égard: Accipe quotidie qnod quotidie tibi
prosit; Prenez cette divine nourriture autant de
fois qu'elle vous peut profiter; et si tous les jours elle vous profite, prenez-la
tous les jours. Je dis plus ; car de là même il s'ensuit, que tout homme dans
le christianisme est obligé sous peine de damnation, non pas de communier tous
les jours, mais d'être tous les jours disposé à communier; pourquoi ? parce qu'il n'y en a pas un
qui n'ait une
obligation essentielle de persévérer tous les jours dans limace de Dieu,
et de se préserver de tout péché grief. Sic vive, ajoutait saint
Augustin, ut quotidie merearis
accipere ; Communiez
plus ou moins souvent, selon que
l'Esprit de Dieu vous l'inspirera; mais quant à la préparation habituelle,
vivez de telle sorte que chaque jour vous puissiez vous nourrir de ce pain de
salut. Raisonnez, mes chers auditeurs, et formez sur cela toutes les difficultés
que votre esprit peut imaginer : voilà des principes stables contre lesquels
tous les raisonnements ne prévaudront jamais.
Ce qui nous trompe (observez
ceci, je vous prie), ce qui nous trompe, et ce qui fait peut-être que quelques-uns
ont peine à goûter ces principes que je viens d'établir, c'est que nous ne
comprenons et que nous n'estimons point assez le mérite que porte avec soi l'état
de grâce dont je parle; c'est que nous ne connaissons point assez ce que
renferme cette exemption de tout péché mortel, et de tout attachement au péché mortel.
Ce n'est selon nos idées qu'un état fort commun, et plût à Dieu qu'il le fût
bien dans le christianisme ! Mais, quoi qu'il en soit, je prétends que c'est un
état très-sublime, un état qui surpasse toute la
nature, et où la vertu seule du Saint-Esprit, cette vertu toute-puissante, nous peut élever. Car, pour examiner la chose à fond, qu'est-ce
qu'un homme sans péché mortel et sans nulle affection au péché mortel?
C'est un homme déterminé (chaque parole demande ici toute votre réflexion),
c'est, dis-je, un homme prêt et déterminé à perdre tout, à se dépouiller de ses
biens, à sacrifier son honneur, à verser son sang et à donner sa vie, plutôt
que de consentir à une pensée, que de former volontairement un désir, que de
rien dire, de rien entreprendre, de rien faire qui puisse éteindre dans son cœur
l'amour de Dieu. C'est un homme dans une disposition semblable à celle de saint
Paul, lorsque ce grand apôtre s'écriait : Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ?
Quis nos separabit
a charitate Christi (1)
? Ce n'est ni la prospérité, ni l'adversité, ni la faim, ni la soif, ni les
puissances du ciel, ni celles de la terre, ni le péril, ni la persécution, ni
le glaive, ni la mort : Sed in his omnibus superamus (2). Un homme ainsi résolu, et constant dans
cette résolution, malgré tous les dangers qui
l'environnent, malgré toutes les tentations qui l'attaquent, malgré tous
les exemples qui l'attirent, malgré tous les combats qu'il a et à livrer et à soutenir , soit contre le monde, soit contre lui-même ; cet
homme, n'est-ce pas, selon l'expression de l'Ecriture, un homme digne de Dieu? Or l'état de grâce suppose tout
cela; et
182
avoir tout cela, n'est-ce pas,
suivant le langage du maître des Gentils, être un saint? Et si, dans cet état
et avec tout cela, un chrétien participe aux sacrés mystères, ne peut-on pas
dire alors et en particulier que les choses saintes sont données aux saints : Sancta sanctis?
Ah ! mes chers auditeurs,
j'insiste là-dessus, afin de vous faire un peu mieux entendre que vous ne
l'avez peut-être conçu jusqu'à présent, combien il en doit coûter pour se
maintenir même dans le dernier degré, et si j'ose m'exprimer de la sorte, dans
le plus bas étage de la sainteté. Qu'il serait à souhaiter que nous en fussions
tous là, et que plusieurs qui se flattent d'y être n'en fussent pas infiniment
éloignés ! Qu'il serait a souhaiter que dans les états même les plus religieux
par leurs engagements et leur profession , on trouvât
toujours cette première pureté de l’âme ! Il n'y aurait plus tant à craindre
pour l'honneur dû au plus vénérable de tous les sacrements, parce qu'il ne
serait plus exposé à tant de sacrilèges et de profanations. Mais quoi ! est-ce
donc ma pensée, que dès qu'un chrétien se croit en grâce avec Dieu, et sans nul
de ces péchés qui nous rendent ennemis de Dieu, on doit lui accorder l'usage
fréquent de la communion, et l'y engager? Non, mes Frères, et si je le
prétendais ainsi, j'oublierais les règles que la sage antiquité nous a tracées,
et que je suis obligé de suivre. Je vous ai parlé de la préparation essentielle
et suffisante pour ne pas violer la dignité du sacrement ; mais il s'agit
encore de l’honorer, et pour cela de joindre à cette disposition de nécessité
les dispositions de convenance, de piété, de perfection ; car ne vous persuadez
pas que j'approuve toutes les communions fréquentes. Je serais bien peu
instruit, si j'ignorais les abus qui s'y glissent tous les jours ; et j'aurais
été bien peu attentif à ce qui se passe sans cesse sous nos yeux, si tant
d'épreuves ne m'avaient pas appris la différence qu'il faut faire des âmes
ferventes et des âmes tièdes ; des âmes courageuses et des âmes lâches ; des
âmes fidèles, exactes, appliquées, et des âmes négligentes, oisives, sans soin,
sans vigilance, sans attention ; des âmes détachées d'elles-mêmes, mortifiées,
recueillies, et des âmes sensuelles jusque dans leur prétendue régularité,
volages, dissipées, toutes mondaines. De permettre également aux unes et aux
autres rapproche des sacrements, de ne mettre nulle distinction entre celles
qu'on voit, sous un beau masque de dévotion, orgueilleuses et hautaines,
sensibles et délicates, politiques et intéressées, entières dans leurs volontés,
aigres dans leurs paroles, vives dans leurs ressentiments, précipitées dans
leur conduite; et celles au contraire qu'on voit assidues à leurs devoirs et
zélées pour leur avancement et leur sanctification; en qui l'on trouve de la
docilité, de l'humilité, de la patience, de la douceur, de la charité, et dont
on remarque d'un temps à un autre les changements et les progrès : encore une
fois, de les confondre ensemble, de leur donner le même accès à la table du
Sauveur, de les y admettre avec la même facilité, de ne discerner ni conditions
ni caractères, c'est, mes chers auditeurs, ce que je dois condamner; et à Dieu
ne plaise que je tombe jamais dans une telle prévarication! Mais aussi, en
demandant des âmes solidement pieuses pour la fréquentation des saints
mystères, de les vouloir d'abord au plus haut point de la sainteté chrétienne;
de leur retrancher, pour quelques fragilités qui échappent aux plus justes, le
céleste aliment qui les doit nourrir; de leur tracer une idée de perfection ,
sinon impossible dans [a pratique, au moins très-rare
et d'une extrême difficulté ; de les tenir dans un jeûne perpétuel, jusqu'à ce
qu'elles soient parvenues à ce terme, et de leur faire envisager comme une
vertu, comme un mérite devant Dieu, ce qui les éloigne de Dieu, ce qui les
affaiblit et les désarme, voilà de quoi je ne puis convenir, et de quoi je ne
conviendrai jamais. Je les exhorterai à tendre sans cesse vers cette
perfection, à se proposer toujours cette perfection , à faire chaque jour de
nouveaux efforts pour s'élever à celte perfection : mais après tout, si ces
âmes n'y sont pas encore arrivées, si elles n'ont pas mis encore le comble à
cette tour évangélique qu'elles ont entrepris de bâtir; s'il leur reste encore,
comme au Prophète, du chemin avant que d'atteindre jusqu'au sommet de la
montagne d'Oreb, je ne les traiterai pas avec la même
rigueur que ce convié qui fut chassé du banquet nuptial, parce qu'il s'y était
ingéré témérairement; je ne leur défendrai point de manger ; mais par une
maxime tout opposée, je leur dirai ce que l'ange dit à Elie : Surge, comede ; grandis
enim tibi restat via (1) ; Venez avec confiance, et prenez ce
pain qui vous est offert, et qui vous donnera des forces pour aller jusqu'au
bout de la carrière que vous avez à fournir; car je me souviendrai que ce n'est
point pour des forts et pour des justes que Jésus Christ est venu, mais pour
des faibles et pour des pécheurs ; que ce n'est point pour les
183
sacrements que Dieu a formé les hommes, Bais que c'est pour
les hommes qu'il a institué les sacrements; que ces hommes étant, hommes, ils
ne sont point, quelque parfaits qu'on 1rs suppose, d'une nature angélique, et
que, quoi qu'ils fassent, ils ne se trouveront jamais suis quelques
imperfections; que s'il fallait attendre qu'ils en fussent pleinement dégagés
leur les recevoir à la table du Seigneur, et qu'il ne leur manquât rien de tout
ce qu'exige feux une sévérité outrée, pour leur accorder le bienfait de la
communion; à peine les apôtres eux-mêmes, à peine les premiers chrétiens, à
peine les plus grands saints auraient-ils pu y avoir part. Telles sont les
règles générales que je suivrai ; je dis les règles générales, car je sais
qu'il y en a de particulières pour certains états, pour certaines personnes,
selon certaines conjonctures dont le détail serait infini, et que je laisse à
l'examen des pasteurs de l'Eglise, et des directeurs auxquels il appartient il de
juger. Il me suffit d'avoir vérifié ma première proposition de la manière que
je l'ai entendue, savoir, que la pureté requise pour participer au sacrement de
Jésus-Christ n'est point en soi et ne doit point être communément un obstacle à
la fréquente communion ; d'où je lisse à l'autre vérité, qui n'est pas moins
importante; et je soutiens même qu'un des plus sûrs et des plus puissants
moyens pour acquérir une sainte pureté de vie, c'est la fréquente communion.
Vous l'allez voir dans la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
De tous les sacrements, nul autre
n'a plus d'effet ni même autant d'effet dans l'homme, que celui du corps de
Jésus-Christ; et son effet est d'imprimer en l'âme qui le reçoit un caractère
de pureté et de sainteté. Pourquoi ut adorable sacrement est-il si efficace, et
d'où lui vient cette force supérieure? La raison en il évidente : c'est qu'il
contient en soi Tau-leur de la grâce. Tous les autres sacrements n'opèrent que
par une vertu émanée de Jésus-Christ, et qui leur est communiquée par Jésus-Christ;
mais en celui-ci, c'est Jésus-Christ lui-même, Jésus-Christ présent en pet
sonne, qui agi . puisque ce
divin sacrement n'est autre chose que Jésus-Christ même, caché sous les espèces
qui le couvrent. Or, comme le feu échauffe bien plus quand il est appliqué
immédiatement a son sujet que lorsqu'il lui communique sa chaleur par un corps
étranger, ainsi Jésus-Christ, qui est le principe de tous les dons célestes et
la source de toutes les grâces, les doit-il répandre beaucoup plus abondamment
dans nos cœurs quand il nous est uni par lui-même et par sa propre substance,
que lorsqu'il les distribue par un sacrement distingué de lui. Voilà le
privilège singulier et incontestable de l'Eucharistie.
Mais cette grâce spéciale du
sacrement de nos autels, quelle est-elle? et cet effet
salutaire qu'il produit, à quoi se réduit-il? Je dis, Chrétiens, que c'est à
nous faire vivre d'une vie pure et simple. Les autres sacrements ont des effets
plus bornés. Le baptême efface le péché d'origine, la confirmation nous fait
confesser la foi, l'ordre nous met en état d'exercer les sacrés ministères,
l'extrême-onction nous fortifie aux approches de la mort, et nous soutient dans
ce dernier combat ; mais l'Eucharistie étend sa vertu sur toute la vie de
l'homme, pour la sanctifier, et, si je puis parler de la sorte, pour la
diviniser ; car vous devez bien remarquer avec moi l'excellente et essentielle
propriété de la chair de Jésus-Christ dans ce mystère; c'est un aliment, et
l'aliment de nos âmes : au lieu que l'esprit, selon les lois ordinaires et
naturelles, doit vivifier la chair ; ici, par un miracle au-dessus de toute la
nature, c'est la chair qui vivifie l'esprit : Caro mea vere
est cibus (1). Et de là nous pouvons connaître
quel fruit il y a donc à se promettre de la fréquente communion : car à force
de manger une viande, on en prend peu à peu les qualités ; mais si je n'en use
que très-rarement, si je n'en fais ma nourriture
qu'une fois dans tout le cours d'une année, je n'en ressentirai presque nulle
impression, et mon tempérament sera toujours le même. Ainsi, qu'un chrétien,
dans l'usage du sacrement de Jésus-Christ, s'en tienne précisément à la pâque,
à peine en retirera-t-il quelque profit, et le pourra-t-il apercevoir. C'est
une viande, il est vrai ; c'est de toutes les viandes la plus solide, j'en
conviens; c'est une viande toute divine et toute-puissante, je le sais : mais
que lui servira la vertu de cette viande, si par un dégoût naturel, si par une
négligence affectée, ou par une superstitieuse réserve, il ne s'en nourrit pas,
et qu'il la laisse sans y toucher? Par conséquent, veut-il qu'elle lui soit utile
et profitable, il faut qu'elle lui soit commune et ordinaire. Alors il verra ce
que peut celte chair sacrée, et mille épreuves personnelles l'en convaincront :
elle le transformera dans un homme tout nouveau. C'est une chair virginale :
elle amortira dans son cœur
184
le feu de la cupidité qui le brûle,
elle y éteindra l'ardeur des passions qui le consument, elle purifiera ses
pensées, elle réglera ses désirs, elle réprimera les révoltes de ses sens, elle
les tiendra soumis à l'esprit. C'est une chair sainte, et immolée pour la
réparation du péché : elle détruira dans son âme l'empire de ce mortel ennemi
qui le tyrannisait ; elle le fortifiera contre la tentation, contre l'occasion,
contre l'exemple, contre le respect humain, contre le monde, contre tout ce que
l'enfer emploie à notre ruine spirituelle et à la perte de notre innocence;
elle le remplira d'une grâce victorieuse, qui le fera triompher des
inclinations perverses de la nature, des mauvaises dispositions du tempérament,
des retours importuns de l'habitude, des attraits corrupteurs du plaisir, des
amorces de l'intérêt, de toutes les attaques où il peut être exposé, et où il
pourrait malheureusement succomber. C'est la chair d'un Dieu : elle le dégagera
de toutes les affections terrestres pour l'élever à Dieu, pour l'attacher à
Dieu, pour ne lui inspirer que des vues, que des sentiments chrétiens et dignes
de Dieu ; car ce sont là les heureux effets de ce céleste aliment, selon que
l'Ecriture elle-même nous les a marqués : Quid enim
bonum ejus est, et quid pulchrum ejus, nisi frumentum electorum, et vinum germinans virgines (1)? Qu'y
a-t-il en elle, disait le prophète Zacharie, parlant de l'Eglise de
Jésus-Christ, dont il avait une connaissance anticipée, qu'y a-t-il de bon en
elle et de beau par excellence, si ce n'est ce pain des élus et ce vin qui fait
les vierges? paroles que tous les interprètes ont
expliquées de la très-sainte Eucharistie. Elle fait
les vierges, dit saint Bernard, parce qu'elle refrène les appétits sensuels,
parce qu'elle modère et qu'elle arrête les emportements d'une aveugle
concupiscence, parce qu'elle met en fuite le démon de l'impureté. Est-ce une
image grossière et matérielle, une idée, un souvenir qui vous trouble; est-ce
un penchant qui se fait sentir; est-ce un objet séducteur qui vous éblouit et
qui vous attire ; venez à l'autel ; vous y trouverez un préservatif assuré, un
remède prompt, un appui ferme, et des armes toujours prêtes pour vous défendre.
Une seule parole de ce Dieu Sauveur a chassé des corps les légions entières
d'esprits immondes qui les infectaient : que fera-t-il présent lui-même en
vous, et demeurant en vous avec tout son être et tout son souverain pouvoir? De
là ces comparaisons dont les Pères se sont
servis (et pourquoi ne m'en
servirais-je pas après eux et comme eux ?) ; de là ces figures sous lesquelles
ils nous ont représenté l'adorable sacrement. Tantôt ils le comparent à un levain,
à ce bon levain dont a parlé l'Apôtre, à ce levain de justice et de sainteté
qui se répand et s'insinue dans toute la masse pour la faire lever,
c'est-à-dire qui se communique à toutes
les puissances de l'homme intérieur, pour l'animer et le vivifier : tantôt ils
le comparent à un feu qui pénètre le fer même, qui en consume lai rouille, qui l'embrase
et le rend lui-même tout brûlant : Etenim
Deus noster ignis consumens
est (1). Or prenez garde, reprend sur cela saint Cyprien : comme le fer
dans le feu perd I sa première forme et
en acquiert une plus noble, comme il
devient feu de fer qu'il était; aussi, par une union intime et fréquente avec Jésus-Christ, nous nous trouvons
insensiblement convertis en Jésus-Christ, nous cessons d'être ce que nous
étions, pour être quelque chose de ce qu'est Jésus-Christ. Ce n'est plus nous
seulement qui vivons en Jésus-Christ, c'est Jésus-Christ qui vit en nous, de la
même sorte qu'il vivait dans le grand Apôtre : Vivo autem
jam non ego, vivit vero in me Christus (2). Et voilà sans doute,
Chrétiens, une des plus belles prérogatives du sacrement que nous recevons par
la communion. Les autres viandes dont nous usons se changent en notre propre substance,
mais celle-ci nous change nous-mêmes en elle : changement, ô mon Dieu, qui me
doit être bien glorieux et bien avantageux; car il est bien plus convenable et
plus à souhaiter pour moi d'être changé en vous, que si vous l'étiez en moi.
L'étant en moi, vous y perdriez votre sainteté, parce que je ne suis que péché
et qu'injustice : vous y perdriez toutes vos perfections, parce que je n'ai
rien de moi-même et que je ne suis rien : mais moi, l'étant en vous autant que
je le puis être, j'acquiers tout ce que je n'avais pas ,
et que je ne pouvais avoir que de vous. J'étais faible, et je deviens fort; j'étais
aveugle, et je deviens clairvoyant; j'étais pécheur, et par la plus heureuse
transformation je deviens saint.
Tout cela, dites-vous, mon cher
auditeur, suppose certaines dispositions ; et sans ces dispositions
, la fréquente communion, non-seulement
n'opère rien de tout cela, mais, au lieu de tout cela, elle ne sert qu'à nous
rendre encore plus coupables. Je l'avoue; mais c'est de là même que je tire une
nouvelle preuve des I fruits de conversion et de sanctification qu'elle
doit produire. Entrez dans ma pensée.
En effet, nous ne pouvons douter selon les règles ordinaires qu'un chrétien qui
se rend assidu à la table de Jésus-Christ, et qui s'est fait une loi de
communier souvent, n'ait au moins un fonds de christianisme et de religion dans
l'âme. Nous ne pouvons pas plus douter qu'il ne soit suffisamment instruit de
la dignité du sacrement auquel il participe, de la révérence qui lui est due,
et de la préparation qu'il convient d'y apporter. Or je prétends qu'avec ce
fonds de religion, qu'avec cette connaissance des dispositions que demande le
divin mystère, il n'est pas moralement possible que ce chrétien retienne la
fréquente communion sans être puissamment et continuellement excité à purifier
son cœur, à régler ses mœurs, à réformer sa conduite, à mettre entre ses
communions et ses actions toute la proportion nécessaire et qui dépend de lui.
Car s'il reste à une âme quelques sentiments religieux, quel frein pour arrêter
dans les rencontres, ou quel aiguillon pour la piquer, que cette pensée : Je
dois demain, je dois dans quelques jours approcher de la table de mon Sauveur
et de mon Dieu ; je dois paraître en sa présence et m'unira lui? De ce souvenir
quels reproches naissent dans une conscience qui ne se sent pas assez nette ! quelles vues de son indignité! quels
troubles intérieurs et quels combats, qui se terminent enfin à de saintes
résolutions , et à former le dessein d'une vie toute nouvelle ! C'est pour Cela
que les directeurs des âmes les plus éclaires, n'ont point de moyen qu'ils
emploient plus sagement, plus efficacement, plus communément pour maintenir
certains pécheurs dans la bonne voie où ils sont entrés en se convertissant à
Dieu, que de leur prescrire certaines communions , et
à certains temps marqués. C'est pour cela que les maîtres de la morale ont
établi comme une maxime indubitable qu'il y en a plusieurs à qui la fréquente
communion est non-seulement si utile, mais si
nécessaire, qu'ils y sont obligés, sous peine de péché mortel, n'ayant point
pour se conserver de meilleur moyen , ni de préservatif
plus assuré.
Mais, après tout, nous ne voyons
point ces grands effets de la communion. Ainsi parlent bien des mondains , et c'est peut-être ce qu'ils me répondent
actuellement dans le secret de leur cœur. Or voici sur quoi il faut les
détromper, et la réponse que j'ai de ma part à leur faire; car ils ne voient
pas ces effets si salutaires et si merveilleux, parce qu'ils ne les veulent pas
voir, parce qu'ils ne se mettent point en peine de les voir, parce qu'ils y
font trop peu d'attention pour les voir : mais moi je les ai vus, je les ai vus
cent fois, je les vois encore tous les jours; et puisque vous en appelez, mon
cher auditeur, à l'expérience , elle m'apprend des choses dont il est bon que
vous soyez instruit, et qui achèveront devons convaincre. C'est premièrement,
que les plus grands saints de l'Eglise de Dieu, et les âmes les plus élevées
par leur piété , se sont fait et se font tous ou presque tous une règle de
communier souvent ; que tout ce qu'il y a eu de bien en eux et tout ce qu'il y en
a, ils l'ont attribué et l'attribuent particulièrement à cette pratique de la
fréquente communion; qu'ils l'ont regardée et qu'ils la regardent comme le
fonds de toutes les grâces dont ils ont été comblés, et de toutes les vertus
qu'ils ont acquises. Je sais que quelques-uns s'en sont retirés par humilité,
et qu'il s'en trouve encore qui veulent s'en abstenir par le même principe;
mais je sais aussi que les saints de ce caractère et de ce sentiment sont en très-petit nombre ; que s'ils s'éloignent de la communion , ce n'est qu'avec peine, ce n'est que pour un
temps, qu'ils abrègent le plus qu'ils peuvent; ce n'est que dans des occasions
extraordinaires et par des inspirations particulières. Or tout ce qu'il y a eu
dans les saints de particulier et d'extraordinaire ne nous doit point servir de
modèle. Voilà néanmoins notre aveuglement, et même notre malignité. Pour un
saint à qui Dieu, par des vues spéciales, et qu'il ne nous appartient pas
d'approfondir, peut avoir inspiré de rendre ses communions moins fréquentes,
nous en trouvons mille autres à qui il inspire le contraire ; que dis-je? nous trouvons qu'il fait tenir une conduite opposée presque
à tous les autres ; et l'on veut que les exemples d'une multitude innombrable,
qui nous montre évidemment quel a été et quel est encore l'esprit général des
saints, cèdent à un seul exemple où nous devons respecter les desseins de Dieu,
mais que Dieu n'a point prétendu nous donner pour guide. Quoi qu'il en soit, on
ne peut donc pas dire que l'on aperçoive dans le christianisme nul effet de la
fréquente communion, puisque tant de saintes âmes, d'un consentement universel,
se reconnaissent redevables de tout ce qu'elles sont à cet exercice si
utilement et si constamment établi. Ce que je vois en second lieu, c'est que ceux
qui font profession de fréquenter le sacrement de nos autels vivent la plupart
dans une plus grande innocence et une plus grande régularité ; car, sans nous
laisser aller
186
à certains préjugés contre la
dévotion, examinons bien qui sont ces personnes qu'on voit paraître avec plus
d'assiduité à la table de Jésus-Christ. Outre les prêtres du Seigneur, que leur
ministère y engage, ce sont des vierges pieuses qui vivent au milieu du monde,
sans être du monde, ou comme si elles n'en étaient pas ; ce sont des dames
chrétiennes séparées des vaines compagnies du siècle, adonnées à la prière, à
la lecture des livres de piété, aux bonnes œuvres; ce sont des âmes choisies,
zélées pour l'honneur de Dieu, charitables envers le prochain, solidement
occupées de leur salut. Or il est constant que s'il y a encore de la sainteté
sur la terre, c'est dans ces sortes d'états qu'elle se rencontre. Peut-être y
en a-t-il quelques-uns qui, par la plus monstrueuse alliance, voudraient
accorder ensemble la fréquente communion et une vie mondaine ; mais c'est de
quoi nous sommes peu témoins, de quoi nous avons peu d'exemples, el ce qui
passe pour une abomination. Il est donc vrai que la plus saine partie du christianisme
est de ceux qui communient plus souvent ; et cette expérience que nous avons
n'est pas moins avantageuse à la fréquente communion que la première; car si je
vous disais d'une viande, que tous ceux qui jouissent d'une bonne santé en
usent ordinairement, et que plus ils en font d'usage, mieux ils se portent, il
n'y a personne qui ne la souhaitât, qui ne prît soin de s'en pourvoir, et qui
ne la mangeât. Or je vous dis qu'il y a dans l'Eglise un pain tel, que ce sont
les plus forts qui en font leur nourriture, et que ceux qui en font leur
nourriture la plus commune deviennent les plus forts : cela me suffit, et ne
doit-il pas vous suffire? Enfin , ce que j'observe en troisième lieu, c'est que
tout ce qu'il y a de gens vicieux, de libertins, de mondains et de mondaines,
ne communient que très-rarement ; qu'ils n'approchent
de la sainte table que le moins qu'il leur est possible ; que du moment qu'ils
ont commencé à se dérégler, ils ont commencé à se relâcher dans l'usage des
sacrements, et surtout de celui-ci ; qu'ils n'y vont que par nécessité, que par
respect humain, que pour garder quelques dehors , et que souvent ils en
viennent jusqu'à se dispenser de la communion pascale : pourquoi? parce qu'ils sentent bien à quoi les porterait la
participation des sacrés mystères, et que ne voulant pas être guéris, ils
fuient le remède dont ils connaissent la force, et dont ils ne peuvent ignorer
la souveraine vertu. Voilà encore une lois ce que je remarque, et ce qu'il ne
tient qu'à vous de remarquer aussi bien que moi.
Nous le savons, reprendra
quelqu'un ; mais nous savons en même temps que telle et telle dont les
communions sont si fréquentes, ont néanmoins leurs défauts comme les autres.
Nous savons qu'elles sont sensibles et hautaines, qu'elles sont vives et impatientes,
qu'elles sont opiniâtres et obstinées, qu'elles ont leurs animosités, leurs
fiertés, leurs jalousies. Ah ! mon cher auditeur, ne descendez point là-dessus
dans un détail peu conforme aux sentiment de la charité chrétienne ; et si vous
ne voulez pas les imiter dans l'usage fréquent de la communion, pratiquez au
moins à leur égard et appliquez-vous à vous-même la maxime de saint Paul, que
celui qui ne mange point n'a point droit de mépriser celui qui mange : Qui
non manducat, manducantem
non judicet (1).Si j'entreprenais de les
justifier, je vous dirais que ces défauts, dont aucun n'échappe à votre
censure, si exacte et si sévère, sont souvent assez légers, bien au-dessous des
odieuses peintures que vous en faites, et très-pardonnables
à des âmes que la communion ne rend pas tout à coup parfaites ni impeccables.
Je vous dirais que pour un défaut que vous remarquez et que vous exagérez , il y a mille vertus que vous ne remarquez pas, ou
que vous tâchez malignement de rabaisser. Car telle est l'injustice : une
imperfection en certaines personnes, c'est un crime et un crime réel dans
l'esprit des libertins du siècle ; et mille perfections ne sont rien, ou ne
sont que de trompeuses apparences. Je vous dirais ce que le Fils de Dieu disait
à l'hypocrite : que vous découvrez une paille dans l'œil de votre prochain, et
que vous n'apercevez pas une poutre qui vous crève les yeux; qu'il ne vous sied
pas de traiter les autres avec tant de rigueur, tandis que vous êtes si
indulgent pour vous-mêmes, et qu'en vous comparant avec celles que vous
condamnez, pour peu qu'il vous reste d'équité et de droiture, vous verrez
bientôt le degré de prééminence que leur donne sur vous le saint aliment dont
elles se nourrissent. Je vous dirais que si elles sont encore sujettes, malgré la
communion, à quelques fautes, ces fautes, sans la communion, deviendraient bien
plus grièves, et que, ne l'étant pas, vous devez en
cela même reconnaître l'efficace du divin sacrement qui les retient en tant de
rencontres, et qui les empêche de tomber dans des abîmes d'où peut-être elles
ne seraient jamais sorties. Mai pourquoi m'engager dans une justification qui
187
n'est point ici nécessaire ? Cette
personne, je le feux, pour communier souvent, n'en est pas moins attachée à
elle-même et à toutes ses commodités, pas moins vindicative, moins médisante,
moins intéressée. Sur cela que ferai-je? je
m'adresserai à elle, je lui représenterai le désordre de son état, je lui dirai
: Prenez garde, vous recevez tant de fois le corps d'un Dieu, et vous ne vous
corrigez point : il faut qu'il y ait quelque chose en vous qui arrête les
effets de la communion. Car sans cela, cette chair toute sainte, entrant dans
votre bouche, l'aurait purgée de ces médisances et de ce fiel que vous répandez
avec tant d'amertume; entrant dans votre cœur, elle y aurait étouffé ces
ressentiments et ces haines que vous y entretenez. Eprouvez-vous donc
vous-même, examinez-vous, allez à la source du mal, et mettez-y ordre. C'est
ainsi, dis-je, que je lui parlerai ; et si elle ne m'écoute pas, je déplorerai
son aveuglement, et je la condamnerai. Maison la condamnant, condamnerai-je la
fréquente communion ? Non, mes Frères ; parce que je me souviendrai toujours qu'un
moyen, par les mauvaises dispositions de celui-ci en particulier ou de celui-là
peut ne leur pas profiter, sans rien perdre de sa vertu en général ni en
lui-même.
Apprenons, Chrétiens, apprenons à
mieux connaître le don de Dieu, et ne négligeons pas le plus grand de ses
bienfaits. Rendons-nous aux pressantes invitations du maître, qui nous appelle
à son festin, et qui nous a préparé ce repas somptueux et délicieux.
N'imaginons point de vains prétextes pour nous priver volontairement d'un bien
que nous avons au milieu de nous, et que nous devrions chercher au delà des
mers. Peut-être s'il était moins commun, le désirerait-on davantage, et le
demanderait-on avec plus d'ardeur. Mais faut-il donc que la libéralité de notre
Dieu nous soit nuisible; et parce qu'il est bon, en devons-nous être plus
indifférents? Vous, ministres de Jésus-Christ, n'oubliez jamais que vous êtes
envoyés pour rassembler les fidèles à sa table, et non pour les en éloigner.
Inspirez-leur tout le respect cl toute
la vénération nécessaires pour honorer
cet auguste sacrement; peignez-leur avec les couleurs les plus noires le crime
d'une communion indigne ; aidez-les à se laver, à se purifier, et disposez-les
ainsi à recevoir le Saint des saints. Mais du reste, en les intimidant, prenez soin
de les consoler et de les encourager. Ne vous faites pas un principe de leur
rendre l'accès si difficile, qu'ils désespèrent de pouvoir être admis au
banquet. Ouvrez-leur la porte de la salle, ou du moins ne la leur fermez pas. Ne retranchez pas aux enfants le pain qui les
doit sustenter, et sans lequel ils périront. Ne le mettez pas à un si haut prix
qu'ils n'aient pas de quoi l'acheter. N'en soyez pas avares ,
lorsque le Sauveur qui vous l'a confié pour eux en est si libéral ; et, si
j'ose m'exprimer de la sorte, n'ayez pas plus à cœur les intérêts de Dieu et de
sa gloire, que Dieu lui-même ne les a. Vous ne m'en désavouerez point,
Seigneur, puisque c'est en votre nom, et selon les favorables desseins de votre
miséricorde, que je parle. Nous irons à vous avec tremblement, mais aussi avec
confiance. Votre divinité, qui tout entière est cachée dans votre sacrement,
nous remplira d'une crainte religieuse ; mais en même temps votre infinie
bonté, qui dans ce même mystère épanche avec une espèce de profusion tous ses
trésors, nous animera d'une confiance filiale. Dans le sentiment de notre
indignité, nous nous écrierons comme saint Pierre : Retirez-vous de moi, mon
Dieu, car je suis un pécheur, et rien de plus : Exi
a me, quia homo peccator sum
(1). Mais du reste, comptant comme le même apôtre sur votre grâce, nous nous
tiendrons auprès de vous, et nous vous dirons : A quel autre irions-nous,
Seigneur; et loin de vous, où trouverions-nous la vie? Domine, ad quem ibimus? verba vitœ œtemœ habes
(2). Vous nous recevrez, vous viendrez vous-même à nous et dans nous; vous vous
communiquerez a nous, vous vous ferez sentir intérieurement à nous, jusqu'à ce
que nous puissions, sans voile et face à face, vous contempler et vous posséder
dans l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.