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| DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DES SAINTS APOTRES PIERRE ET PAUL.1. « Vos deux mamelles sont comme deux faons jumeaux de la chèvre, qui paissent parmi les lis, jusqu'à ce que le jour paraisse et que les ombres s'abaissent (Cant. IV, 6). » Prenez garde, mes frères, à ne point dégénérer. Sans parler de la noblesse de votre père, noble est la mère qui vous a engendrée, généreuses les mamelles qui vous ont allaités. Votre mère, c'est l'Épouse à qui s'adressent ces paroles, et dont les mamelles sont louées par l'Époux. Que saint Pierre et saint Paul soient les deux mamelles de l'Église, ce jour nous le montre, ce jour, dis-je, où nous puisons avec abondance et avec joie aux mamelles des consolations qu'ils nous prodiguent, et, non-seulement ce jour, mais nous avons de plus, pour garants très-assurés, les monuments de leur doctrine et les traces de leurs œuvres. Par quelles autres mamelles ont été nourris les enfants de l'Église, soit de la gentilité, soit de la circoncision. Je crois qu'ils sont ces personnages au sujet desquels la bonté divine adressait cette promesse à l'Église naissante et pauvre :«Les rois seront tes nourriciers et tu seras allaitée à la mamelle des rois (Isa. XLIX. 23). » Si elle n'avait pas été nourrie d'un sang si généreux, jamais elle ne se fût élevée à ce comble de gloire et de vertu. Pierre appelait à ses mamelles les petits enfants auxquels il disait : « Comme des nourrissons nouvellement venus au monde, désirez le lait (I Petr. II, 2). » Saint Paul présentait les siennes à ceux à qui il disait : « Je vous ai donné du lait à boire (I Cor. III, 2). » Et encore : « Je suis devenu parmi vous comme une nourrice s'asseyant et allaitant ses enfants (I Thessal. II, 7). » On vit une belle image de l'abondance du lait spirituel qu'il portait en lui, lorsqu'il sortit de son corps du lait à la au lieu de sang, comme le rapporte la tradition, au milieu du supplice dans lequel il perdit la tête en ce jour, et donna sa vie pour ceux à qui il avait présenté ses mamelles. Il n'y avait pas de sang en lui, tout y était fait, lui qui ne pensait à rien de charnel, à rien qui se rapportât à lui, et ne s'occupait que de ce qui était utile aux autres. Il n'avait pas de mamelles, il était tout mamelles, la tendresse affluait en lui avec une telle profusion qu'il désirait non-seulement infiltrer en eux son esprit, mais encore leur donner son corps par-dessus le marché. 2. Avant que l'Église primitive des saints eût reçu Pierre et Paul, ces deux mamelles, l'Église des esprits bienheureux se plaignait et disait : « Notre sœur est petite et elle n'a pas de mamelles (Cant. VIII, 8). » En effet, lorsque Jésus en montant au ciel eut quitté le petit nombre de ses disciples et tant qu'il n'eut pas envoyé son esprit, qui devait féconder les entrailles et remplir les mamelles des saints, cette Église, non-seulement était inquiète dans le ciel pour les tendres fils de l'Époux, nés ou à naître, pour savoir à qui confier le soin de les nourrir, parce qu'ils apercevaient cette Église, petite par le nombre, par la vertu et l'autorité et dépourvue des mamelles de la doctrine. Car l'Époux lui-même, durant les jours de sa chair, avait engendré quelques enfants par la parole de la vérité, et tant qu'il était resté avec eux, ils les avait allaités aux mamelles de son édification et de sa consolation. Mais l'Époux a lui-même des mamelles meilleures que le vin, c'est-à-dire meilleures que la doctrine de la loi ou que la joie séculière (Cant. I, 1). Il a, dis-je, des mamelles, pour qu'aucun des offices ou des titres de la bonté ne lui fasse défaut, en sorte, qu'étant père par la création de la nature ou par la régénération de la grâce, ou même par l'autorité de la discipline, il soit aussi mère par la tendresse de son cœur, et nourrice par le dévouement de sa charge et de son attention. C'étaient donc de petits enfants qu'il nourrissait comme un commencement de créature, mais c'était une ébauche seulement; il restait donc beaucoup de soins et de peines à prendre pour les conduire à l'âge parfait et pour former le Christ en leur cœur. Lorsqu'il les eut abandonnés, les esprits célestes, bien que joyeux du retour du Fils unique, inquiets cependant de cette nouvelle famille d'adoption, semblaient se plaindre à lui et lui dire avec une sorte d'amour : qui les nourrira? Vous les avez allaités, mais vous les avez sevrés avant le temps. Vous n'avez fortifié que les jeunes gens, vous n'avez pas conduit les vierges à leur pleine croissance. Qui les nourrira? « Notre sœur est petite et elle n'a pas de mamelles. » Vous avez dit à Pierre : « Pais mes brebis (Joan. XXI, 17), » mais il n'a pas assez de lait dans ses mamelles ; sa tendresse s'épuisera vite, il craint encore plus pour sa peau que pour les âmes de ces petits enfants. Cet Apôtre abandonnerait facilement les agneaux dans la tentation, lui qui, quand on l'interrogea, a renié son Pasteur qui est aussi le leur. Mais voici que le Saint-Esprit est envoyé tout à coup du ciel ; saint Pierre fut rempli de lait, comme si Jésus-Christ lavait fait couler de ses propres mamelles ; peu après, Saul devient Paul, de persécuteur il est changé en prédicateur, de bourreau en mère, d'ennemi en nourrice, afin que vous compreniez que tout son sang a été transformé on lait le plus tendre, sa cruauté en tendresse. 3. L'Église se glorifie donc à cause de ces deux mamelles attachées à sa poitrine, d'être non-seulement une mère faconde, mais encore une ville forte. « Je suis, » dit-elle, « un mur, et mes mamelles sont une tour (Cant. VIII, 10). » Mille boucliers sont suspendus à ses tours, toute l'armure des forts. L'Époux aussi, au Cantique de l'amour, dit en paroles mystérieuses à la louange de l'Épouse, au sujet de ses mamelles : «Vos deux mamelles sont comme deux petits jumeaux de la chèvre. n Ici, par chèvre nous entendons l'Eglise : elle a la vue perçante pour pénétrer les mystères du Christ, elle est agile pour courir au dessus des passages épineux de cette vie, puissante pour résister au venin de l'antique serpent. Les deux petits jumeaux désignent, avec raison, nos deux apôtres : frères par la foi, semblables par la dévotion, égaux par le mérite et la vertu, unanimes par la charité, ils ont été également unis dans leur passion et dans leur mort. Comme ils s'aimèrent durant leur vie, de même ils ne furent point séparés dans leur trépas. Mais parce que les désirs de ceux qui sont élevés ont pour objet les progrès des petits, jusqu'à ce que, la grâce aidant, ils s'élèvent à la contemplation des réalités sublimes, on ajoute avec raison, en parlant d'eux : « Ils paissent parmi les lis, jusqu'à ce que le jour paraisse et que les ombres s'en aillent. » Les animaux qui fuient la chaleur du jour cherchent les pâturages ombreux des vallées, où les lis se multiplient avec plus d'abondance, jusqu'à ce que la tiède haleine de l'air se faisant sentir, ils se répandent dans les grandes plaines ou gravissent les hauteurs escarpées. De même nos deux faons, quand le souffle du jour éternel propice à la contemplation ne vient pas à eux, se nourrissent au milieu des lis des vallons, c'est-à-dire se complaisent dans les vertus et les actions des âmes humbles ; mais quand ce jour luit dans leur âme, ils sortent et s'élèvent aux pâturages plus abondants et plus fortunés des montagnes éternelles. « Si quelqu'un entre par moi, n dit celui qui est l'entrée et la porte, « il sera sauvé et il entrera » dans lÉglise « et en sortira » par ses fréquentes contemplations, émigrant une fois vers la céleste patrie; et « il trouvera des pâturages, » ici et là. Ici, au milieu des lis de la campagnes, là, au milieu des arbres du paradis; ici, dans les fleurs, là dans les fruits ; ici, dans les vertus des saints, là, dans les joies des anges. 4. Le Seigneur m'a vraiment placé dans ce lieu de pâturage, lorsqu'il m'a associé à l'église des justes, « Dont le sein est comme un tas de blé entouré de lis (Cant. VII, 2) ; afin qu'elle puisse se nourrir à la fois par le goût du froment et par la vue des lis. Qu'est ce tas de froment, sinon la grande quantité des paroles divines rassemblées dans tant de livres? Que sont ces lis, sinon les justes qui germent comme les lis et qui fleurissent devant le Seigneur, sans se flétrir jamais, plantes célestes qui ont tant d'éclat par la sainteté du corps et la pureté du cœur, un si grand parfum de réputation, une puissance souveraine pour guérir, dans les œuvres et les discours ! Ce n'est point une maigre nourriture pour l'âme fidèle que de voir autour d'elle tant de lis fleurissant avec tant de grâce et de beauté, d'où elle puisse tirer des modèles de vertus en regardant celles qui brillent avec beaucoup de variété en chacun. Celui-ci est plus ancré sur l'humilité, celui-là a une charité plus étendue. L'un est plus robuste à la souffrance, l'autre plus prompt à l'obéissance. L'un est plus loyal, l'autre plus actif: celui-ci administre avec plus de sagesse, cet autre est plus saint dans la vie calme. Mais, bien que vous admiriez en chacun une grâce qui fleurit avec plus d'éclat, il ne se borne néanmoins pas à une seule, il en a plusieurs, absolument comme le lis entre plusieurs fleurs. Autant de justes, autant de lis, autant de vertus de justes, autant de fleurs de lis. Celui qui en les voyant se réjouit en elles, ou en tire sujet de s'avancer dans la vertu, que fait-il autre chose que de se nourrir au milieu des lis? 5. Saint Paul paissait : mais néanmoins il recevait sa nourriture de ceux à qui il donnait des aliments. Il les nourrissait de ses discours, et il se nourrissait de leurs saintes œuvres. De ses propres mains, il nourrissait ses entrailles et, de plus, celle des autres : quant à son esprit, il ne le nourrissait point tant de ses propres biens que de ceux d'autrui, lui qui ne cherchait point ce qui lui était utile, mais ce qui était utile à ses frères. « Nous vivons à présent, » dit-il, « si vous êtes debout dans le Seigneur (I. Thessal. III, 8). » Car « quelle est ma gloire, ma joie ou ma couronne? N'est-ce pas vous devant Dieu (I. Thess. II, 19) ? » Aussi souvent le souffle du jour éternel lui arrivait, l'haleine douce du Saint-Esprit venait toucher son âme, la force de cette inspiration le ravissait aux pâturages intérieurs, quelquefois dans le paradis, quelquefois au troisième ciel, « soit dans son corps, soit hors de son corps, je l'ignore, » dit-il, « Dieu le sait (II Cor. XII, 2). » C'était chose juste que celui qui nourrissait fidèlement fût soigneusement nourri ; que celui qui se réjouissait dans les biens de la famille du Seigneur reçût ordre d'entrer dans la joie de son maître, et fût rempli non-seulement des biens de cette maison visible pour laquelle il travaillait avec tant de fatigue, mais encore des richesses de cette demeure invisible après laquelle il soupirait et d'où lui arrivaient les lueurs du jour. 6. Il ne faut point avoir de moindres idées de saint Pierre, puisque c'est une très-grande gloire pour saint Paul d'égaler en mérites cet apôtre que le jugement de la vérité a mis au dessus de tous les autres par la primauté et la puissance. En effet, lorsque le Père qui est dans les cieux lui révélait la vérité touchant son Fils unique, n'était-ce pas le jour éternel qui lui arrivait, le jour qui redisait la parole au jour (Matth. XVI, 16) ? A qui devons-nous croire que le ciel fût plus accessible, qu'à cet apôtre, qui en fût le portier, et dont la langue est devenue la clef du ciel? Celui qui avait le pouvoir de couvrir le ciel de nuages et d'en ouvrir les portes, croira-t-on qu'il n'y soit pas souvent entré lui-même ? Pierre éprouva parfois la faim, et le ciel lui fut ouvert lorsqu'il était encore sur la terre (Act. X, 10) : on lui envoya des aliments en si grande abondance, qu'il en reste beaucoup encore, quoiqu'il en ait beaucoup détruit et mangé, changeant en lis purs et saints des animaux immondes et corrompus, tandis qu'il se nourrissait délicieusement au milieu des lis, jusqu'à ce que le jour, commençant à poindre, il allât prendre en eux sa glorieuse nourriture dans les cieux. Mais, taudis que nous vantons ces deux mamelles de l'Épouse, l'heure pendant laquelle nous voulions vous faire boire du lait à cette source, quoique nous puissions et ayons coutume de vous y faire boire aussi les autres jours, s'est écoulée aussi. Oui, c'est des mamelles des apôtres que nous vous tirons du lait, toutes les fois que nous employons leurs paroles pour travailler à votre édification. Pour le moment, bornons-nous à vous engager, si toutefois vous en avez besoin, à toujours désirer le lait, comme vous aimez les mamelles qui le donnent, afin que vous croissiez par son influence dans le salut, jusqu'à ce que vous montriez formé en vous, notre Sauveur et maître, Jésus-Christ, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen. |