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| DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR.1. « Lève-toi, Jérusalem, sois inondée de clartés, parce que ta lumière s'est montrée (Isa. LX, 1).» Ce jour rempli de splendeurs, Celui qui est la lumière l'a éclairé et consacré, lorsque, caché et inconnu, il a daigné se révéler au monde pour illuminer la gentilité. Aujourd'hui en effet, il s'est annoncé aux Chaldéens par l'apparition d'un astre nouveau, en sanctifiant, dans ces prémices, la foi de toutes les nations. En ce jour, il s'est révélé aux Juifs, par le témoignage non-seulement de Jean, mais encore du Père et du Saint-Esprit, lorsque, baptisé dans le Jourdain, il consacra le baptême de tous les hommes. En ce jour, il manifesta sa gloire en présence de ses disciples, quand il changea l'eau en vin, et montra par avance le mystère ineffable, où, par l'effet de sa parole, les substances des choses se trouvèrent changées. L'esprit voyant que toutes ces apparitions du Seigneur éclaireraient la foi de l'Eglise, s'adresse à elle sous la forme et sous le nom de Jérusalem et lui dit : « Lève-toi, Jérusalem, sois inondée de clartés, parce que ta lumière s'est montrée. » La lumière était venue : elle était dans le monde, le monde avait été fait par elle; mais le monde ne la connaissait pas. Le Verbe était né, mais il n'était pas connu jusqu'à ce que ce jour lumineux vînt le dévoiler. Le Prophète s'écrie donc : « O Jérusalem nouvelle, » grande cité du nouveau roi, « mont de Sion, côté de l'Aquilon (Psalm. XLVII, 2») c'est-à-dire qui devez être bâtie du double mur de la gentilité et de la circoncision, « lève-toi, sois couverte de clartés, parce que ta lumière s'est montrée. » Vous qui êtes assis à l'ombre de la mort, levez-vous, regardez la lumière qui s'est levée dans les ténèbres, et que les ténèbres ne comprennent point. « Approchez-vous de lui et soyez éclairés (Psalm. XXXIII, 6.), » et, à sa lueur, vous verrez sa lumière et on vous dira: «vous avez été autrefois ténèbres, maintenant vous êtes lumières dans le Seigneur (Eph. V, 8). » Contemplez la lumière éternelle, qui s'est accommodée à vos yeux, afin que celui qui habite une lumière inaccessible pût être aperçu de vos yeux faibles et obscurcis par le., brouillards. Regardez la lumière brillant dans un vase de terre, le soleil dans un nuage, Dieu dans l'homme, la splendeur de la gloire et l'éclat de lumière éternelle dans l'argile de notre chair. 2. La majesté est cachée dans l'humanité, mais les signes et les prodiges qui en jaillissent ne laissent place à aucun doute. «Les œuvres que je fais, dit Jésus-Christ, «rendent témoignage de moi (Joan. X, 25). » Grand fut le témoignage de Jean, qui vint comme un flambeau, rendre témoignage à la lumière : mais, infiniment plus considérable fut celui du ciel rendu par le Père et par le Saint-Esprit par le Père, dans la voix qui se fit entendre, par le Saint-Esprit dans la forme qui se montra : le témoignage de deux témoins suffit en justice. Si pourtant on hésite à l'accepter : «Les uvres innombrables et irréfragables que j'opère rendent témoignage de moi. » Témoin incorruptible et irrécusable que la créature insensible, prenant une sorte de sentiment pour confesser son auteur en entendant sa volonté, et en obéissant de suite à ses moindres signes. Quel prodige plus divin pouvait être exposée aux hommes, que cette manifestation nouvelle qui apparaît en ce jour, et que Jésus fit éclater, comme pour préluder à ses autres miracles? Enfant nouveau-né, il vagit sur la terre et il crée dans les cieux un astre inconnu. Voilà comment la lumière rend témoignage à la lumière, l'étoile air soleil, et cette étoile, par son éclat à son lever, conduit des princes à la splendeur éternelle qui s'est levée, elle aussi, de l'orient vers le véritable Orient, c'est-à-dire, « vers lhomme qui a pour nom l'Orient (Zach. V, 12) : » Astre prodigieux qui marchait en avant dans la route, non comme une étoile, mais comme un être raisonnable, qui s'arrêtait au terme du voyage et indiquait, pour ainsi dire, du doigt, celui à la recherche de qui on allait. Mais laissons assurer faussement à l'infidélité que cette étoile n'est point l'œuvre du Christ, pourvu qu'elle avoue qu'elle est l'œuvre du Père, et qu'elle rend témoignage à son Fils. Il sera écrasé sous le poids étonnant des merveilles infinies que, sans aucune possibilité de les nier, notre Jésus a opérées dans la chair, sinon avec la puissance de la chair. 3. Mais que les ténèbres couvrent la face de la terre et que l'obscurité enveloppe les peuples, « qui, la lumière étant venue en ce monde , ont préféré les ténèbres à la lumière (Joan, III, 19) : » l'essentiel est que tu sois illuminée, Jérusalem, cité céleste qui, en toute contrée et chez toutes les races, donneras à Dieu, des enfants de lumière, des fils que la lumière véritable transportera de la puissance des ténèbres, dans le royaume de sa clarté. Grâces vous soient rendues, Père des lumières, «qui nous avez appelés, des ténèbres, à votre admirable lumière (I Petr. II, 9). » Grâces à vous, « qui avez dit à la lumière de jaillir du sein des ténèbres, et avez jeté vos lueurs dans nos cœurs, pour les illuminer de science à la face de Jésus-Christ (II Cor. IV, 6). » La véritable lumière, bien plus, la vie éternelle, c'est de vous connaître vous, le seul Dieu et votre envoyé, Jésus-Christ (Joan. III, 3). Nous vous reconnaissons donc, parce que nous connaissons Jésus, parce que le Fils et le Père sont une même chose : Nous savons par la foi, qui est pour nous des arrhes fidèles, que nous le connaîtrons un jour par la claire vision. En attendant ce bonheur, augmentez en nous la foi, et conduisez-nous de la foi à la foi, de clarté en clarté, comme sous l'influence de votre esprit , afin que de jour en jour nous pénétrions plus profondément dans les trésors de la lumière, que notre foi devienne plus étendue, notre science plus pleine, notre charité plus expansive et plus ardente, enfin que notre foi nous mène à la claire vue, et, semblable à l'étoile, nous conduise à notre chef, qui, venu de Bethléem, régit Israël et règne sur Jérusalem : non pas sur la Jérusalem qui met à mort les prophètes et même le Seigneur des prophètes, mais sur celle où le même Seigneur, cause, force et gloire des martyrs, couronne ceux qui ont été mis à mort pour son amour. 4. Oh! de quelle joie excessive tressaille la foi des Mages en voyant régner dans cette Jérusalem, celui qu'ils adorèrent vagissant à Bethléem ! On l'avait vu dans l'hôtellerie des pauvres, maintenant on le voit dans le palais des anges ; ici-bas, il était revêtu des langes de l'enfance, là-haut, il brille dans les splendeurs des saints : ici il était sur le sein de sa mère; là-haut, il est sur le trône de son Père. La foi des mages était bien digne, en effet, de recevoir, pour récompense, le bonheur d'une telle vision. Ils ne voyaient dans l'enfant Jésus rien que de faible et de méprisable ; loin de se scandaliser, rien ne les empêche de reconnaître un Dieu dans l'homme et l'homme en Dieu. Sans nul doute, dans leurs cœurs s'était levée l'étoile de Jacob, ce Lucifer, cette étoile du matin qui ne tonnait pas de déclin, qui avait allumé au dehors dans leurs cœurs, l'astre indicateur de son arrivée matinale. On petit appliquer à tout cela cette parole de Salomon . «Le sentier des justes s'avance comme une lumière éclatante, et il croît jusqu'au jour parfait (Prov. IV, 18) ; » car, à la lueur de cette brillante étoile, les Mages entrent d'abord dans le sentier de la justice; ils sont conduits ensuite à voir le lever nouveau de la lumière matinale, et arrivent ainsi à la contemplation, face à face, du soleil à son midi et qui étincelle de tous ses feux au jour de son éclat. 5. Dans ses prémices de la gentilité, dans ces premières plantes de l'Eglise naissante, nous trouvons un beau et remarquable modèle de la marche de la foi dans les âmes : son point de départ, son progrès et le terme où elle aboutit ; en sorte que dans les fils on trouve facilement les traces de ceux qui furent les pères. Car, de même que les Mages ont commencé par voir l'astre, se sont avancés ensuite jusqu'à voir l'enfant, et sont parvenus enfin à la vision de Dieu; de même, en nous , la foi naît par la prédication des flambeaux supérieurs; elle se fortifie par la vue de certaines images qui nous font voir comme dans un miroir et en énigme Dieu comme s'il était incarné ; elle sera consommée, lorsque, dans notre contemplation, nous verrons face à face, présente et nue, la réalité des choses; bonheur où l'on parvient à peine sur la terre, et encore faiblement par éclair et en images; ainsi la foi deviendra connaissance, l'espérance possession, et le désir jouissance. Des étoiles, en effet, brillent sur nous. Je dis des étoiles, car il n'y en a pas qu'une, mais plusieurs, à moins que toutes ensemble n'en fassent qu'une, parce qu'elles n'ont qu'un cœur, et qu'une âme, une même foi, une même prédication, une même vie. Si vous ne savez quelles sont les étoiles dont je parle , demandez-le au prophète Daniel « Ceux qui en instruisent plusieurs pour la justice, seront comme des étoiles dans les perpétuelles éternités (Dan. XII, 3). » Saint Paul donne aussi le nom de « luminaires » à ceux qui brillent « au milieu d'une nation méchante et perverse (Phil. II, 15), » et qui contiennent la parole de vie, comme une splendeur empruntée à la lumière éternelle qu'ils ont reçu ordre de répandre pour dissiper la nuit de ce monde. Aussi, quand le Seigneur, qui est la source et le principe de la lumière, disposait la lune et les étoiles pour régner sur la nuit. il disait à ces astres: «Vous êtes la lumière du monde (Matth. V, 14 ). » Et encore : « Que votre lumière brille devant les hommes, de sorte qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est aux cieux (Ibid). » Ils luisent donc par la parole, ils luisent par l'exemple : et, par ces deux rayons réunis, ils annoncent le lever de la lumière éternelle, quand ils inculquent aussi, par une sainte conduite, la céleste doctrine qu'enseigne leur bouche. 6. Mes frères, levez les yeux vers le ciel : c'est là qu'est leur conduite: dirigez les regards de votre âme vers le firmament, et si vous ne pouvez pas encore fixer vos yeux sur le soleil, contemplez l'éclat des astres, admirez la splendeur dont brillent les saints, imitez leur foi, marchez sur les traces des exemples de sainteté qu'ils vous ont laissés. Ces étoiles brillent comme la flamme, et montrent le lever de la lumière des lumières : elles conduisent au berceau du nouveau roi, à la demeure de la vierge Marie, qui est l'inviolable mystère de la foi : bien plus, que mènent au temple du roi, au sanctuaire de Dieu le Père, qui est la récompense de la foi, récompense au dessus de toute pensée. Mais tant que nous ne sommes pas en état de sonder la sagesse de Dieu cachée dans ce mystère, ou de contempler la majesté qui nous est réservée pour récompense, contentons-nous d'admirer l'éclat dont brillent les saints et d'imiter leur sainteté. « Mon fils, » dit le Sage, « vous avez désiré la sagesse, gardez les commandements, et le Seigneur vous la montrera (Eccle. I, 33). » « Ne cherchez pas à atteindre ce qui est au dessus de vous, ne sondez pas ce qui dépasse vos forces : mais observez toujours ce que le Seigneur vous a commandé (Eccle. III, 22). » Car le précepte du Seigneur est lucide, il éclaire les yeux (Psalm. XVIII, 9) ; » avec ces yeux vous pourrez par la suite fixer vos regards sur le corps même de la lumière, quand vous serez habitué à vivre dans la lumière de ses rayons, c'est-à-dire, dans les œuvres prescrites par les commandements. « Douce est la lumière, » comme parle Salomon, « et il est agréable aux yeux de voir le soleil (Eccle. XI, 7). » Oui, c'est une chose délicieuse et bien douce, mais pour ceux qui en peuvent supporter l'éclat. Sa lueur fait plaisir aux yeux sains, et cause de grandes souffrances aux yeux malades. Quel est l'homme dont la vue soit si bonne et si limpide qu'il ne sourcille point en présence de ce soleil invisible ? Qui est-ce qui peut sonder la majesté divine sans être opprimé par sa gloire ? Merveilleuse est votre lumière, Seigneur, soit en elle-même, soit à cause de moi parce qu'elle est trop forte pour moi, depuis que mon œil s'est affaibli, car je n'ai plus à son endroit, la puissance que j'avais en Adam. Peut-être pourrai-je pour la clarté des astres, ce que je ne puis à l'égard du salut même, et, par elle, serai-je fortifié et mis en état de fixer l'astre du jour. 7. Lève-toi donc, ô mon âme, toi qui étais assise dans les ténèbres et sois inondée de clarté ; regarde les flambeaux du ciel, porte les yeux sur les montagnes d'où te viendra le secours, si tu viens à celui qui habite dans les cieux, c'est-à-dire sur ces montagnes mêmes. Le secours, dis-je, te viendra du haut de ces cimes, parce qu'une lumière inaccessible pour toi brille d'un éclat merveilleux au haut des collines éternelles. Les montagnes ont reçu la lumière pour le peuple, de leurs hauteurs, elle descend dans les vallées et les campagnes qu'elles dominent. Le commencement d'illumination est très-bon, il convient parfaitement à notre faiblesse, si nous considérons ceux qui ont été éclairés. La voie la plus droite pour trouver Jésus, c'est de suivre la trace lumineuse des Pères qui ont marché devant nous. » Le sentier du juste est droit, la route du juste est droite sous ses pas (Isa. XXXI, 6). » Quiconque suit un juste ne marche pas dans les ténèbres. Il ne l'apercevra pas de suite, mais il aura la lumière de la vie. Il verra, pour la consolation de la vie présente, il l'aura pour la possession de l'héritage éternel. Car la piété a la promesse de la vie présente et de la vie future (I. Tim. IV, 8). Exerçons-nous à la piété, de celui qui s'est engagé de lui-même envers nous ne nous privera d'aucun de ces deux biens. Exerçons-nous aux œuvres de la justice, et celui qui cache la lumière dans ses mains (Job. XXXVI, 32), en disant à son ami, qu'elle est sa possession, et qu'il peut arriver jusqu'à elle, nous la fera voir un jour pour nous consoler, dans les bonnes œuvres d'abord, puis dans la récompense, lui notre lumière, Jésus Christ, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen. |