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| DEUXIÈME SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX.1. Si saint Paul, notre docteur dans la foi et dans la vérité, venait aujourd'hui parmi nous, je me persuade qu'il jugerait qu'il sait autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (I Cor. II, 2). En ces jours, où se célèbre solennellement l'anniversaire de la passion et de la croix du Seigneur, la prédication n'a pas d'objet plus convenable que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Dans tous les autres jours, quel mystère peut-on annoncer qui excite davantage la foi ? Que peut-on entendre de plus salutaire? que peut-on méditer de plus fructueux ? Qu'y a-t-il de plus tendre pour le cœur des fidèles et de si médicinal pour les murs, qu'y a-t-il qui tue les péchés, crucifie les vices, nourrisse et fortifie les vertus, comme la pensée du divin crucifié? Que saint Paul dise donc au milieu des parfaits la sagesse cachée dans le mystère, qu'il me prêche le Christ crucifié, à moi dont les yeux des hommes même voient les imperfections; folie pour ceux qui se sauvent, vertu et sagesse de Dieu, très-haute et très-noble philosophie, au moyen de laquelle je me joue de la sagesse du monde, aussi bien que de celle de la chair. Que je me croirais parfait, avancé en sagesse, si j'étais au moins auditeur docile de ca crucifié, devenu pour nous par la grâce, non-seulement sagesse, mais justice et sanctification et rédemption (I Cor. I, 30). Si vous êtes attaché à la croix avec, Jésus-Christ, vous êtes sage, juste, saint, libre. N'est-il pas sage, eu effet, celui qui, élevé de terre avec Jésus-Christ, goûte et cherche les choses d'en haut? N'est-il pas juste celui en qui le corps du péché a été détruit, en sorte que désormais il n'est plus esclave de l'iniquité? N'est-il pas saint celui qui s'est montré comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu N'est-il pas libre celui que le Fils a délivré, et qui, dans l'affranchissement de sa conscience, s'applique avec assurance cette parole libre du Fils : « Le prince de ce monde est venu et il n'a rien en moi (Joan. XIV, 30) ? » Oui, la miséricorde se trouve véritablement dans le crucifié, en lui se trouve avec abondance la rédemption, en lui, dis-je, qui a si bien délivré Israël de toutes ses iniquités, qu'il peut échapper sans atteinte aux attaques du prince de ce monde. 2. Cependant, que celui qui est le bienheureux et véritable Israël, apprenne et sache que cette délivrance n'est pas le mérite de sa perfection, mais la grâce de l'affranchissement opéré par le Seigneur ; c'est-à-dire qu'il ne l'a point méritée parce qu'il n'a commis aucun péché, ou parce que la ruse ne s'est pas rencontrée dans sa bouche, mais parce que celui à qui doit s'appliquer cette louange, c'est-à-dire Jésus-Christ, a purifié ses fautes. Ce divin maître, en opérant la rémission des crimes par le sang de sa croix, a surtout triomphé des principautés et des puissances à l'endroit même où sa force était cachée. Elle était cachée, mais non perdue; parce que, crucifié à raison de son infirmité, il était vivant par la vertu de sa divinité. Elle était cachée mais nullement oisive, parce que le crucifié crucifiait le vieil homme dans tous les élus. Il crucifiait le monde à Paul et Paul au monde Gal. VI, 14). Il crucifiait le tyran de ce monde et tous les ministres de son antique tyrannie. En cachant la force sous la faiblesse, il couvrit l'hameçon de l'appât. Et l'esprit homicide, altéré dés le principe du sang humain, en se précipitant sur l'infirmité, tomba sur la puissance, il fut mordu lui-même quand il attaquait, et crucifié lorsqu'il fondait sur le crucifié. 3. Grâce à votre croix et à vos clous, Seigneur Jésus, je vois la gueule du dragon s'entr'ouvrir pour laisser passer en liberté ceux qu'il avait engloutis. Et celui qui espérait que le Jourdain coulerait dans sa bouche (Job. XL, 18) se plaint, dans son courroux, d'avoir perdu presque en entier ce fleuve qu'il avait absorbé. De cette gueule nous sont venus ceux qui, aujourd'hui, chantent avec nous le noble et magnifique triomphe de la croix. Oui, ils ont été délivrés de la gueule du lion, ils sont sortis du sein de l'abîme. Qu'il soit donc irrité, qu'il frémisse et soit transporté de colère, l'animal à qui on arrache la proie qu'il tenait sous ses dents, et le Christ se réjouira de n'avoir pas été crucifié pour rien. Que l'enfer et la mort pleurent, l'un a été mordu, l'autre est morte ; et le ciel et la terre se réjouissent, et l'Église tressaille, de ce que Jésus dépouille l'enfer, et triomphe de la mort. En effet, dans la conversion de ces âmes, il a renouvelé la victoire de sa passion, il a reproduit les miracles de sa croix. En elles, la croix a refleuri, l'arbre de la vie a encore donné ce précieux fruit. Comment cet arbre demeurerait-il stérile, après avoir été non-seulement arrosé mais vivifié par le sang du Sauveur ? Ce Sauveur ne se repentira pas d'être monté sur le palmier, puisqu'il y a cueilli des fruits si abondants et si précieux. Il entrevoyait ce fruit, au milieu de tous les autres, lorsqu'il courait volontairement vers la croix : « J'ai dit, » s'écrie-t-il, « je monterai sur le palmier et je saisirai ses fruits (Cant. VII, 8). » Ce texte dit, en peu de mots, que Jésus a volontairement souffert, qu'il a été exalté dans sa passion, et que ses souffrances n'ont point été sans résultat pour nous. Dans ce peu de mots, on voit la liberté de celui qui choisit un parti ; dans l'ascension, la sublimité de son triomphe, et dans les fruits qu'il a cueillis, l'utilité de la rédemption. Juifs insensés, vous criez : monte, chauve, monte, chauve; mais votre fureur ne put que favoriser l'exécution du parti qu'il avait pris très-librement en décrétant qu'il monterait sur cet arbre. Il y monta de plein gré; il y triompha dans sa puissance, il y recueillit des fruits dans sa bonté. Dans la même œuvre, il se joua donc des Juifs, il fit périr le démon et racheta le chrétien. 4. Qu'ils s'écrient donc, ceux qui ont été rachetés par le Seigneur, ceux qu'il a délivrés de la main de l'ennemi et qu'il a rassemblés de toutes les nations (Ps. CVII, 2), qu'ils disent dans l'esprit et en employant les paroles de leur maître : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Gal. VI, 14). » En elle, la sagesse de Dieu a frappé de folie le conseil pervers, la justice a détruit celui qui avait l'empire de la mort, la miséricorde a délivré le captif. Oui, ô sage triomphateur, vous vous glorifierez dans la croix de votre Seigneur, dont le triomphe vous a affranchi, dont le mystère vous a vivifié, dont l'exemple vous a justifié, et dont le signe vous a marqué. Une juste conséquence semble réclamer que ceux qui marquent leur front, du signe de la croix comme d'une défense, impriment dans leurs mœurs les exemples du crucifié, et vivent selon la loi de celui dont la foi leur sert d'armure. C'est à contre sens que le soldat porte la marque de son roi, s'il n'observe pas ses ordres ; et il n'a pas raison de s'abriter sous le signe de celui à l'autorité de qui il n'obéit pas. Voyez quelle perversité et quel abus il y a, pour les ennemis de la croix de Jésus-Christ, à vouloir s'abriter sous le signe de cette croix; sont-ils, en sécurité, ils manquent au respect dû à cette croix, et s'ils se trouvent en danger, ils veulent être défendus par la vertu qu'elle renferme. Ceux qui sont amis de leur ventre, qui ont leur ventre pour Dieu, et l'argent pour idole, sont tout à fait les ennemis de la croix du Christ (Philip. III, 18). Qu'il sache néanmoins, celui qui actuellement prend fallacieusement le signe du crucifié, que ce signe ne le protégera point dans la nécessité suprême lorsque le signe Thau sera imprimé sur les fronts des hommes qui souffrent et gémissent, non selon le caprice des hommes, mais par le jugement et le ministère des anges, afin que les élus soient séparés de la multitude des réprouvés (Ge. IX, 4). 5. Saint Paul aussi, ce vaillant capitaine de la milice chrétienne, ce porte-étendard fidèle, qui avait dans son corps les stigmates du crucifié (Gal. VI, 17), dans la confusion actuelle qui englobe les bons et les mauvais soldats, discernait les uns et les autres, par une marque, sensible, lorsqu'il disait : « Ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Gal. VI, 24). » Définition tout à fait sage et prudente, et qui semble reproduire la forme de la vérité dans l'exemplaire qui se trouve en lui. Ce que la vie retient d'imprimé en elle, la langue l'exprime d'une manière plus accentuée. Celui donc qui était attaché avec Jésus-Christ à la croix, donna cette forme, d'après le modèle de sa propre conscience : « Ceux qui sont de Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences. » Cet homme d'une grande science et d'une grande expérience savait qu'il y aurait beaucoup de personnes qui crucifieraient. les concupiscences de la chair et laisseraient régner les vices du cœur; et beaucoup, au contraire, qui, dans la confiance d'un cœur apaisé, négligeraient la mortification du corps. mais, comme parfois, la justice divine flagelle l'esprit qui ne lui est pas soumis par les révoltes d'une chair même affligée ; ainsi, bien souvent, le corps engraissé regimbe et livre de nouveaux combats à l'âme qui était calme. C'est pourquoi l'Apôtre veut que, crucifiant les vices intérieurs et les concupiscences extérieures, nous nous purifions de toute souillure de la chair et de l'esprit et que nous achevions notre sanctification dans la crainte du Seigneur. Car la crainte de Dieu, semblable à des clous profondément enfoncés, non: attache à la croix et nous retient, comme un homme cloué à la justice, nous empêche de faire de nos membres des instruments d'iniquité, et les fait plutôt servir à la sainteté, en sorte que le péché ne règne point dans notre corps mortel, bien qu'il y soit présent. Que la crainte de Dieu soit comparable à des clous aigus, c'est le sentiment de David, qui s'écrie : « Percez, » comme s'il s'agissait de clous, « ma chair de votre crainte; car j'ai eu de la frayeur à cause de vos jugements (Psalm. CXVIII, 120). » Si donc vous ne pouvez encore parvenir à éteindre vos vices, l'Apôtre veut que vous vous appliquiez à les crucifier. Il ne dit pas « Ceux qui sont à Jésus-Christ » ont éteint leurs vices, vertu qui est le partage d'un petit nombre, mais, « ont crucifié, » sans quoi, il n'y a pas de salut, absolument comme sans la croix de Jésus-Christ il n'y a pas de rédemption. Aussi, notre Rédempteur, pour opérer et former notre délivrance, a-t-il choisi un mode de souffrances qui fit du sacrement de la rédemption un modèle pour la justification, et veut-il que, de même qu'il a crucifié la similitude de la chair de péché en condamnant le péché dans le péché, ainsi nous, ou pour mieux dire nous surtout, nous devons faire souffrir notre chair de péché, en la crucifiant, bien que nous n'étouffions pas encore le péché en elle. 6. Ici, vous pouvez vous rappeler que Moïse, pour apaiser la colère du Seigneur, crucifia les chefs des israélites (Num. XXV, 4), que Josué dont le nom veut dire Jésus, attacha au gibet cinq rois Amorrhéens (Jos. X, 26). Si nous voulons calmer le courroux du Seigneur, que nous avons excité contre nous, il faut que nous nous tourmentions par la continence. Notre Jésus qui nous introduira dans la terre de la promesse, crucifiera en nous les vices ces cinq sens, si cependant, nous restons suspendus au bois jusqu'au soir, comme il est juste. Notre Sauveur a eu soin de vous donner dans sa personne un exemple de cette persévérance, en ne voulant rendre son dernier soupir que sur la croix, ou n'en voulant pas être descendu avant le soir de ce jour et avant la fin de sa vie. Balaam disait . « Que je meure de la mort des justes (Num. XXIII, 10): n Pour vous, dites : que mon âme meure de la mort de mon Seigneur Jésus-Christ, et que la fin de ma carrière soit comme la sienne, c'est-à-dire, que je mérite de rester volontairement suspendu à la croix de la pénitence jusqu'à la fin de ma vie. Avec quelle confiance, de la croix du fils, recommanderez-vous votre âme au Père, avec quelle clémence le Père recevra-t-il l'homme que son Fils lui aura recommandé! Car le Fils qui a entrepris une fois sur la croix de défendre la cause de votre âme, ne cesse point d'en prendre les intérêts, et il intercède pour elle auprès de son Père. Allez en paix; allez joyeux, puisque votre juge est votre avocat : seulement, que votre esprit porte sur lui le signe de croix, la mortification de Jésus que vous portez en votre corps. Mes frères, que le Seigneur de gloire qui, après avoir souffert pour vous, a été glorifié en vous, daigne vous rendre compagnons de sa passion et de sa gloire, et, après vous avoir glorifiés dans la croix, qu'il vous communique cette clarté qu'il a eue dans le sein du Père avant le commencement des siècles, et qu'il aura dans les siècles des siècles. Amen. |