|
| TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR.1. « Un enfant nous est né (Isa. IX, 6). »Il est né pour nous tout-à-fait, ni pour lui, ni pour les anges. Il n'est pas né pour lui, car avant de venir dans le temps, il existait de toute éternité, il était à lui-même sa propre béatitude , Dieu parfait né d'un Dieu parfait; par sa nativité temporelle, il n'a point commencé d'être ou d'être d'une façon meilleure. Il u est point né pour les anges, parce que l'ange qui était resté dans la vérité n'avait nul besoin de réparation, et que la chute de celui qui est tombé était un malheur irréparable. Aussi, Dieu n'a jamais pris la nature angélique, mais la nature des fils d'Abraham (Hebr. II, 16), et celui qui était né Dieu pour lui, est né enfant pour nous, s'abandonnant cri quelque sorte lui-même et sautant par dessus les esprits angéliques, pour venir à nous et se faire l'un de nous pour s'anéantir en lui, s'abaisser au dessous des anges et devenir notre compagnon. Celui doue qui, par sa naissance éternelle, était pour lui-même et pour les anges une béatitude complète , par sa naissance temporelle pour nous, est devenu notre rédemption, parce qu'il ne voyait que nous d'attaqués par le mal originel de notre naissance. Heureuse et aimable est votre nativité, enfant Jésus! elle corrige notre naissance à tous, elle réforme notre condition, elle détruit le mal qui la souille, elle déchire la cédule qui condamne notre nature de telle manière que, si on est attristé d'être né parce qu'on subit une condamnation, on peut très-heureusement renaître! Tous ceux qui ont reçu cet enfant, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ! (Joan. I, 12). Nous rendons grâce à votre pieuse et miséricordieuse naissance, ô Dieu, Fils de l'homme, qui nous avez fourni accès dans cette grâce dans laquelle nous vivons et «nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire des enfants de Dieu (Rom. V, 2). » O échange admirable ! Vous prenez notre chair, et nous donnez votre divinité ! C'est là un commerce qui a pour mobile, non la cupidité mais la charité, il est glorieux pour votre tendresse et entièrement lucratif pour notre indigence . Vous êtes véritablement un enfant miséricordieux, que la miséricorde seule a réduit à l'état d'enfant, bien que la miséricorde et la vérité se soient rencontrées en vous (Psalm. LXXXIV, 11). Oui, vous êtes un enfant plein de miséricorde, vous êtes né pour nous, nullement pour vous :vous avez cherché notre profit, non le vôtre, en naissant ainsi, parce que vous n'êtes venu en ce monde que pour nous élever par votre abaissement, et nous glorifier par votre humiliation. En vous épuisant, vous avez remplis; car vous avez versé dans l'homme toute la plénitude de votre divinité. Vous l'avez versée sans la mêler ni la confondre. Cependant je ne dirais pas que Dieu a été transfusé dans l'homme, si j'entendais que l'esprit a été communiqué à cet homme avec mesure : s'il était resté en Dieu quelque chose de sa plénitude qui n'eût pas été épanché dans l'homme à qui il s'est uni. 2. Le nom de l'Homme-Dieu est donc une huile répandue, un parfum épanché (Cant. 1, 1) : puisque Dieu a été tellement versé dans l'homme, que la foi de l'Apôtre avoue qu'il s'était anéanti et épuisé (Phil. II, 7). Bien qu'il se soit anéanti de telle sorte qu'il n'a absolument rien diminué ou modifié en lui, et que sa nature, entièrement immuable, n'a pu s'anéantir qu'en prenant la nôtre qui est vide et un néant. Aussi, aux yeux de ceux qui l'aperçoivent, cet abaissement est excessif ; celui qui est la splendeur de la gloire de son Père et la figure de sa substance ne présente à nos regards que la forme d'un esclave, dans laquelle il n'y a ni grâce ni beauté. Et, comme s'il s'était trop peu abaissé en ne se faisant qu'homme, il a tellement obscurci dans sa personne la gloire de la chair, tellement voilé sa sagesse, affaibli sa puissance, diminué sa grandeur, que, dans sa naissance, il s'est montré le plus petit, et, dans sa passion, le dernier des hommes : aussi ne l'avons-nous point reconnu. Voulez-vous voir Dieu anéanti? Regardez-le couché dans une crèche. « Voilà notre Dieu, » s'écrie Isaïe (Isa. XXV, 9), ce prophète qui vit et connut à une si grande distance, la crèche de son Seigneur, ou mieux Dieu dans sa crèche. « Voilà notre Dieu, » dit-il. Où donc ? Dans cette crèche, répond-il. J'y trouve un petit enfant. Est-ce celui dont vous affirmez qu'il est celui qui dit : « Je remplis le ciel et la terre (Jerem. XXIII, 24) ? » bien plus, c'est celui à côté de qui toute l'immensité des cieux est étroite. Je le vois enveloppé de langes. Est-ce celui dont vous dites qu'il est revêtu de la gloire et de l'éclat d'une lumière inaccessible, portant comme un habit, une lumière sans limites? J'entends ses vagissements. Est-ce celui qui tonne dans les cieux, et qui, aux éclats de son tonnerre, fait replier leurs ailes aux puissances angéliques? Oui, c'est celui-là même; un autre prophète, répondant à la place d'Isaïe, nous l'affirme absolument : « celui-ci est notre Dieu (Bar. III, 36) ; » mais il s'est épuisé pour vous remplir, il a voulu défaillir en quelque sorte pour vous fortifier. Dans un même esprit et d'une même voix, dans le même sentiment, bien qu'avec quelques variantes d'expressions, tout le choeur des prophètes s'écrie : « Voici notre Dieu, on n'en estimera aucun autre que lui : » car il n'en existe point d'autre. Mais je sais, s'écrie David, je sais que la race mauvaise et adultère des Juifs ne croira pas à ce signe, et lui fera opposition : prêchez, apôtres, à la génération bien différente des gentils ? Et pourquoi donc ? Parce que celui que le Juif ne regarde pas même dans sa crèche, il le méprise sur la croix : il ne l'aperçoit pas, quand il naît d'une façon merveilleuse ; il lui porte envie quand il opère des miracles, et l'insulte quand il est livré à la douleur. Celui-là, dis-je, « Celui-là est notre Dieu, pour jamais et dans les siècles des siècles : c'est lui qui nous régira sans fin (Psalm. XLVII, 15). » 3. Mais si à la prédication des apôtres, par le témoignage des apôtres, la toison s'est desséchée, la surface de la terre a été humectée ; si la tige de la plante est devenue aride, Ninive a été sauvée, et la perte des Juifs est devenue la richesse du monde et le salut des nations. Tous les rois de la terre adorent le petit enfant qui nous est né, tous les peuples le servent. Parce que s'il en est qui ne lui obéissent point ou qui ne doivent point lui obéir un jour, « ils sont devant lui comme s'ils n'existaient pas (Isa. XL, 17) : » et la nation ou le royaume qui ne l'aura pas servi, périra. Déjà nous voyons accompli, et ce spectacle nous réjouit, déjà, dis-je, nous voyons accompli ce que le Père -avait promis par la bouche d'Isaïe : « Les hommes élevés passeront à vous, ils seront vôtres, ils marcheront à votre suite, ils vous adoreront et vous adresseront des supplications (Isa. XLV, 14). » Et avec raison, continue ce saint prophète, car Dieu est en vous seulement « et hormis vous il n'y a point de Dieu (Ibid). » Vous êtes vraiment un Dieu caché, le Dieu d'Israël, le Sauveur. Si jamais on a pu dire plus clairement, plus ouvertement, Jésus est Dieu, que le Juif ne croie jamais, ou s'il croit que cet oracle regarde Jésus, qu'il montre un autre homme en qui Dieu se trouve, et qui soit Dieu, et Dieu à l'exclusion de tout autre : il ne confesse pas la Trinité, il ne peut assigner un Dieu en qui soit Dieu et qui soit exclusivement Dieu. Mais ô Juifs perfides, ce qui devait exciter votre piété est précisément ce qui vous scandalise : le Dieu s'est caché et l'homme s'est montré. c'est comme la boue formée avec la salive, qui aurait dû vous ouvrir les yeux pour vous faire voir Dieu. Ce qui vous scandalise, dis-je, c'est que la force de Dieu s'est voilée dans l'infirmité de la chair, et que la puissance de l'homme-Dieu s'est éclipsée dans la faiblesse de la croix. c'est que son extérieur est sans éclat parmi les humains et que son apparence ne brille point au milieu des enfants des hommes. Aussi ne l'avez-vous pas considéré, vous l'avez pris pour un lépreux, pour un homme bas et frappé de la main du Seigneur : parce que Dieu avait placé sur lui les iniquités de nous tous. Il se serait aussi chargé des vôtres, si, même à la fin, vous aviez voulu vous en décharger vous-mêmes ;mais malheureux que vous êtes, loin de vous en décharger, vous entassez faute sur faute, après le sang des prophètes, vous versez le sang du fils de Dieu et des apôtres. Placez donc, puisque vous le voulez ainsi, placez le joug de vos fautes sur votre tête et sur la tête de vos enfants pour moi, j'aime bien mieux me soumettre à la royauté du Christ, afin qu'il se charge de mes iniquités. Portez le faisceau de vos péchés, c'est un pesant fardeau, pour moi je porterai le bouquet de myrrhe, que Marie m'a cueilli et quelle a placé dans la crèche, entouré de langes. 4. Pour vous, mes frères, qui avez connu la crèche de votre Seigneur et votre Seigneur dans la crèche, quand Israël ne l'a point connu; vous, dis-je, pour qui le Sauveur ne s'est point avili en s'abaissant de la sorte, parce qu'il a voulu être miséricordieux; pour qui il est devenu d'autant plus cher que son apparence est plus humble : chantez, tressaillez d'allégresse et faites éclater vos transports de joie en disant : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné. » Il est né des Juifs, mais il est né pour nous : parce qu'il leur a été ôté pour nous être donné. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, parce qu'il a opéré des choses merveilleuses (Psalm. XCVII, 1). Le Seigneur a fait connaître son salut: » Tellement que l'âne de la gentilité a reconnu, dans la crèche, son Seigneur, devenu foin pour lui : parce que «toute chair est comme de l'herbe flétrie (Isa. XL, 6). Il a révélé sa justice à la face des nations (Psalm. XCVII, 2) : » cette justice que le Juif ignore, parce qu'il a encore un voile sur les yeux. Il a un voile, parce que l'envie le dévore; aussi, il ne voit pas le voile, mais l'envie le consume, « parce qu'un enfant nous est né, parce qu'un fils nous a été donné. » Sa jalousie ne vient pas de ce qu'il le voudrait pour lui, mais il voudrait le voir périr aussi bien pour lui et pour moi. C'est la courtisane qui aurait mieux aimé que l'enfant fût tué plutôt que de m'être donné en vie. Mais notre Salomon, dont les paroles sont plus incisives que le glaive à deus tranchants, qui sonde les cœurs et les reins, ne s'est pas trompé, quand il s'est agi de trouver la mère : Donnez à l'Église, a-t-il dit, cet enfant vivant, c'est elle qui est sa mère (III Reg. III, 25). a Car quiconque accomplira la volonté de Dieu, est sa mère, son frère et sa sœur (Matth. XII, 50). a O Seigneur, ô Salomon, vous me donnez le titre de mère, et moi, je me donne celui de servante. Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole (Luc. I, 38). Je me montrerai mère par mon amour et ma sollicitude : mais je me souviendrai toujours de ma condition. 5. O mes frères, ce nom de mère n'est pas exclusivement propre aux prélats, bien qu'ils soient tenus particulièrement à une tendresse et à une affection maternelles; il vous appartient à vous aussi, à vous qui accomplissez la volonté du Seigneur. Oui, vous êtes, vous aussi, les mères du petit enfant qui vous a été donné et qui a été placé en vous, depuis que, par la crainte du Seigneur, vous avez conçu, et enfanté l'esprit de salut. Veillez donc, ô sainte mère, veillez sur votre nouveau né, jusqu'à ce que se forme en vous, le Christ qui vous est né, parce que, plus il est faible, et plus facilement il peut périr pour vous, lui qui ne meurt jamais pour lui. Car, si l'esprit qui est en vous, vient à s'éteindre, il revient au Seigneur qui l'a donné. Veillez, je le répète, sur votre nouveau né, et souvenez-vous que, dans son sommeil, votre rivale a étouffé le fils qui lui avait été donné. Quelle est cette rivale, sinon l'âme charnelle qui, par sa négligence et son inertie, éteint l'esprit ? Les hommes qui leur ressemblent, quand ils ont perdu la ferveur religieuse, s'en arrogent néanmoins la gloire et le nom. De là viennent les disputes des esprits charnels contre les spirituels, même dans les chapitres où le véritable Salomon est assis comme un juge invisible. C'est mon fils qui est en vie, disent ces hommes grossiers, le vôtre est mort : c'est moi qui ai l'esprit de Dieu, et vous ne l'avez pas : l'amour de Dieu vit en moi et il est mort en vous, ainsi parlent-ils en affectant l'autorité que donne la religion, dont les âmes spirituelles possèdent la vérité : afin que, leur ôtant le pouvoir, ils introduisent des coutumes au gré de leur bon plaisir. Mais la véritable mère veut que l'on donne, à sa rivale, l'enfant vivant et sans division, car elle n'envie point sa gloire, pourvu qu'elle possède la vertu; mais la rivale s'écrie : « qu'il ne soit ni à moi, ni à vous, qu'on le partage : » Parce que, si elle recherche l'honneur de la sainteté, elle en laisse la fatigue aux autres. Mais celui qui prononce le jugement ne se trompe pas, bien qu'il dissimule quelque temps. Le glaive de Salomon fait découvrir la mère, à qui il adjuge en entier, et l'affection de la charité et l'effet de la puissance, la ferveur dans l'œuvre et l'autorité dans le commandement. Vous donc, mes frères, en qui est née du Saint-Esprit la foi qui opère par la charité, conservez-la, nourrissez-la, entretenez-la, comme si c'était le petit enfant Jésus, jusqu'à ce que se forme en vous l'enfant qui vous est né, et qui, dans sa naissance, sa vie et sa mort, vous a laissé un modèle à imiter: souvenez-vous que, né exclusivement pour nous, il n'a voulu vivre que pour nous, et il n'est mort que pour nous, puisqu'il n'avait pas besoin de mourir pour lui, afin que nous reçussions une nouvelle naissance par lui, une nouvelle vie pour lui et que nous mourussions en lui, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen. |