RAMEAUX III
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NATIVITÉ DE MARIE II
TOUSSAINT
CANTIQUE

TROISIÈME SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX.

1. Le jour présent offre aux regards des enfants des hommes le désiré de notre âme, le plus beau des humains sous deux formes : sous toutes les deux admirable, désirable et aimable, parce que, d'un côté comme de l'autre, il est sauveur, bien qu'en l'une il soit très-élevé, et en l'autre, très abaissé glorieux en l'une, s'offrant en l'autre; ici, vénérable, là, misérable, si pourtant on peut appeler misérable celui qui a daigné, dans sa bonté, se charger de notre misère, afin de faire miséricorde à raison de sa misère, à des misérables, et nullement, pour que celui qui est à lui-même sa propre béatitude demandât miséricorde à des malheureux. Mais là même où il s'est montré digne de commisération, il a été digne de plus d'hommages. « Mais j'ai attendu, » s'écrie-t-il, « quelqu'un qui s'attristât avec moi, et personne ne s'est présenté, un cœur qui me consolât, et je n'en ai pas trouvé (Psalm. LXVIII, 21). » Et ainsi celui qui, dans sa compassion, a voulu se rendre malheureux pour les autres, ne trouve de commisération presque chez personne. Mais, demanderez-vous, voit-on aujourd'hui le Sauveur glorieux et élevé, ou, humble et rempli de chagrins ? Voyez son entrée, écoutez le récit de sa passion. Vous y pourrez reconnaître ce que dit Isaïe : De même que plusieurs ont été saisis de stupeur en le voyant, « ainsi son visage sera sans gloire parmi les humains et sa forme sera méprisable au milieu des enfants des hommes (Isa. LII, 14). » Beaucoup furent saisis en voyant sa gloire éclater, comme celle d'un vainqueur, quand il entrait à Jérusalem; mais néanmoins, son visage devint sans gloire et fut un objet de mépris, lorsqu'il était à l'heure de sa passion. « Etant entré à Jérusalem, » rapporte saint Matthieu , toute la ville fut agitée, et disait, quel est celui-ci ? (Matth. XXI, 10). » Lorsqu'il souffrait, la confusion se répandit sur son visage, ainsi qu'il le reconnaît avec vérité. « Après avoir été élevé, j'ai été humilié et couvert de confusion (Ps. LXXXVII,16). » Quand en ce lieu il parle de confusion, cette expression doit s'entendre selon ce qu'il dit en un autre endroit, de son visage corporel : « La confusion s'est répandue sur toute ma face (Psalm. LXVIII, 8),» parce qu'ils n'ont point cessé de cracher sur moi, de me voiler la tète, de me frapper et de se jouer de moi; car la face de son âme, qui habitait d'une manière immuable avec le visage de Dieu, ne pouvait être ni troublée, ni confondue. « Le Seigneur Dieu est mon secours, disait le Sauveur, » c'est pourquoi-je n'ai point été confondu : aussi j'ai posé ma fane, comme une pierre très-dure et je sais que je ne serai pas confondu (Isa. L, 7). Car, Seigneur, j'ai espéré en vous et je ne serai jamais confondu (Psalm. XXX, 1). » Que ce soient eux plutôt qui « soient confondus non pas moi : qu'ils soient saisis d'épouvante et non pas moi (Jerem. XVII, 18). »

2. Si donc, ainsi que j'avais commencé à le dire, on considère à la fois la marche et la passion de Jésus-Christ, on le voit d'un côté, glorieux et élevé, de l'autre humble et couvert de chagrins. Dans son entrée, on le voit entouré d'honneur comme un roi, dans sa passion, puni comme un malfaiteur. Là, le triomphe et la pompe l'entourent, ici il n'y a ni éclat ni beauté. Joie des hommes et objet de J'enthousiasme populaire, il est d'un autre côté l'opprobre des humains et le rebut de la populace. Ici on lui crie : « Hosanna au Fils de David, béni soit celui qui vient, roi d'Israël (Matth. XXI, 9), » là, on hurle. « Il est digne de mort (Joan. XIX, 7), » et on lui reproche d'avoir voulu se faire passer pour roi d'Israël. Ici, on marche à sa rencontre en tenant des rameaux à la main, là, on lui donne des coups de poing à la figure et on frappe sa tête d'un roseau. Entouré d'hommages d'une part, il est rassasié d'opprobres d'une autre. Ici, à l'envie, on couvre son chemin des vêtements d'autrui, là il est dépouillé même des siens. Ici, il est accueilli à Jérusalem comme un roi juste, comme un libérateur, là il est chassé comme en criminel et un séducteur convaincu. D'un côté, il est assis sur un Jute entouré d'hommages, d'un autre, il est suspendu au bois de la croix, battu de verges, tout percé de plaies et abandonné des siens. Il est bien plus malheureux que Job, (Job. V,) puisque Dieu a soudainement et grandement changé pour lui tout en mal. « Vous avez entendu parler de la patience de Job, » dit l'apôtre saint Jacques (Jac. V, 11), « vous avez vu la fin du Seigneur.» C'est comme si cet apôtre disait : la patience de Job dura jusqu'à ce que les richesses qu'il avait perdues lui fussent rendues, les souffrances du Seigneur sont allées jusqu'à la fin de sa vie. Job souffrit patiemment d'être privé de ses biens, mais bientôt il en reçut le double dans son pays : Jésus-Christ quitta ce monde rempli de misères et abreuvé d'amertumes. C'est pourquoi il y a ici plus que Job, précipité vue fois et soudain d'une félicité qui paraissait souveraine, il vit là finir ses jours dans une extrême et très-grande infortune. « Et j'ai souffert tous ces maux, » dit-il « sans que mes mains aient commis l'iniquité, lorsque j'adressais de pieuses prières au Seigneur (Job. XVI, 18), même pour mes ennemis, afin d'obtenir mon pardon.

3. Ce Fils qui interpelle son Père d'une voix si lamentable : « Mon Dieu. mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? (Matth. XXVII, 46) » Ne paraîtra-t-il pas véritablement troublé, par un changement de fortune si considérable et si prompt? Vos mains m'ont formé, vous m'avez conduit dans votre volonté. Il y a peu de temps vous m'avez accueilli et maintenant vous me renversez d'une façon si subite! Vous ne m'avez élevé que pour me briser me plaçant sur l'aile des vents, vous m'avez broyé avec violence. Après avoir été exalté, j'ai été humilié et couvert de confusion, et je suis d'autant plus humilié à présent, que naguère j'étais plus élevé et que maintenant je suis plus abaissé : plus j'étais monté haut, plus je suis brisé par une chute profonde. Il est juste, ô mon Père, que celui qui s'exalte soit humilié, et que l'élévation d'un indigne soit suivie d'une juste chute : mais était-il équitable aussi que celui que vous avez glorifié fût couvert d'une humiliante confusion et qu'une si grande ignominie succédât à la gloire que son humilité lui avait value? Avez-vous été irrité, ô Père, de ce que j'ai souffert d'être honoré pendant une heure : et cette très-faible goutte que j'avais reçue des biens de ce monde devait-elle être payée avant ma mort, par des souffrances et des opprobres, pour que plus tard, on ne pût m'adresser ce reproche : Mon fils, vous avez reçu des biens durant votre vie ? Mais, ô Père, l'honneur de votre Fils était votre propre honneur : car celui qui n'honore pas le Fils, n'honore point non plus le Père qui l'a envoyé. Voici, Seigneur, que vos ennemis reprochent ce changement survenu en votre Fils : ils se réjouissent. de mes ignominies et de mes tourments, après avoir commencé par tant souffrir de la gloire et de l'honneur que je recevais. Ne leur répondrai-je rien, afin de leur apprendre une fois, par quelle disposition vous avez changé de la sorte votre Christ, dans quel dessein vous l'avez exalté pour l'humilier bientôt après, et pourquoi vous l'avez humilié après l'avoir élevé?

4. Vous répondrez, ô Seigneur Jésus, à ceux qui vous adressent ce reproche cruel, lorsque vous répondrez en face à leur arrogance et quand leur malice les accusera, en leur montrant celui qu'ils ont percé de leurs traits. En effet, « quand ils verront le Fils de l'homme venir sur les nuées avec une grande puissance et une grande majesté (Matt. XXXIV, 30), » alors ils sauront, ce que, à présent ils ne veulent pas croire, que la pompe du cortège de ce jour, a été le mystère et la figure de la gloire qui viendra ensuite, comme l'ignominie de la passion en a été le mérite et la cause. Ils comprendront alors que le Christ, objet tantôt d'honneur, tantôt de mépris, est posé pour ceux qui périssent comme une occasion de chute et de ruine, et, pour ceux qui se sauvent, comme une source de résurrection et de doctrine : parce que ce qui est un sacrement de la rédemption est aussi un enseignement d'édification. Les orgueilleux le méritaient ainsi, il fallait que les hommes rendus à Jésus-Christ fussent le scandale de leur orgueil, et sa mort leur ruine, que la gloire de son triomphe excitât la jalousie de ceux qui périssent justement, et que le supplice de sa mort en fût la condamnation; du reste, pour ceux qui se sauvent, c'est-à-dire pour nous, il était entièrement nécessaire que, passant par le chemin de ce monde, le Christ ouvrît un passage tant au sein de l'adversité qu'au milieu de la prospérité : et que, d'abord exalté, et ensuite humilié, il nous apprît par ses exemples à conserver la modestie dans les honneurs et à garder la patience dans les souffrances et les opprobres. Ce divin maître put être honoré, en effet, mais il ne put être enflé d'orgueil; il voulut être méprisé, mais il ne sut ni être abattu par la pusillanimité, ni agité par la colère. Comme en une autre circonstance, lorsqu'on voulait l'enlever et le faire roi, (Joan. VI,15), en prenant la fuite et en se retirant dans la solitude pour y prier, il nous apprit par les actes ce qu'il nous avait enseigné par les paroles, à ne point chercher à être élevés ; de même actuellement, par une autre disposition, en se laissant honorer un instant, et en retenant dans son triomphe sa douceur plutôt innée qu'ordinaire, il donnait la forme à ceux qui sont établis dans le pouvoir, pour leur apprendre par là à être doux par l'humilité, et à s'élever par le zèle, quand la circonstance le demande; en effet, aussitôt après être entré dans le temple, le Seigneur fait un fouet de cordes, venge les injures de son Père, et préfère s'exposer à la mort, en provoquant la fureur de prêtres, plutôt que de laisser, sans rien dire, profaner le temple.

5. Aussi, mes frères, afin de suivre sans nous blesser notre chef, soit dans la bonne soit dans la mauvaise fortune, considérons-le dans ce cortège entouré d'honneurs, et, dans sa passion, soumis aux souffrances et aux opprobres, sans changer jamais au fond dans un si grand changement de choses, bien qu'il ait changé son visage devant Abimélech, c'est-à-dire le royaume des Juifs. L'Écriture dit de cette immobilité d'âme : « l'homme saint demeure dans la sagesse comme le soleil, car le sot change comme la lune (Eccl. XXVII, 12). » Un autre passage dit du changement de son visage : «La sagesse de l'homme luit sur sa face, et le fort changera ses traits (Eccl. VIII, 1).» Toujours et à grands traits, ô Seigneur Jésus, la sagesse éclate sur votre visage, quelque changé qu'il paraisse, soit glorieux, soit humilié : la lumière éternelle en fait jaillir ses lueurs. Plaise au ciel que la lumière de votre visage luise sur nous ! soit dans les événements heureux, soit dans les malheurs, que votre visage soit modeste, serein et tout épanoui de lumière intérieure qui vient du cœur : joyeux et agréable pour les justes, bon et clément pour les pénitents. Contemplez, mes frères, le visage de ce roi très calme. « La vie est dans l'hilarité du visage du roi, » s'écrie l'Écriture (Prov. XVI, 15), « et sa clémence est comme la pluie de l'arrière saison. » Il regarde notre premier père qu'il venait de façonner, et, bientôt animé, Adam respire le souffle de vie (Gen. 1) : «Il regarda Pierre, et bientôt, Pierre, touché de componction, respire et reçoit son pardon (Luc. XXII, 61). En effet, dés que le Seigneur eût jeté les yeux sur saint Pierre , Pierre reçut la pluie de l'arrière saison, les larmes après le péché, larmes tombées de la clémence d'un visage très-bon. La lueur de votre visage, ô lumière éternelle, au témoignage de lob, ne tombe pas sur la terre (Job. XXIX, 24). Quel rapport y a-t-il, en effet, entre la lumière et les ténèbres (II Cor. VI, 14) ? Que bien plutôt les âmes des fidèles reçoivent ses rayons, et qu'ils réjouissent ceux dont la conscience est bonne et guérissent ceux qui l'ont blessée. Oui, le visage de Jésus triomphant, tel qu'il faut le considérer dans son entrée, est joie et allégresse : le visage de Jésus mourant, tel qu'il le faut considérer en sa passion, est remède et salut. « Ceux qui vous craignent me verront, dit-il, et se réjouiront (Psal. CXVIII, 74) : » ceux qui souffrent me verront et seront guéris, comme le furent ceux qui, après avoir été piqués des serpents, regardèrent le serpent attaché au bois. Pour vous, joie et salut de tous, monté sur un âne ou suspendu sur le bois, que les veaux de tous vous bénissent, afin que vous contemplant assis sur votre trône, ils vous louent aux siècles des siècles, vous, à qui soit la louange et l'honneur dans tous les siècles des siècles. Amen.

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