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| DEUXIÈME SERMON POUR L'AVÈNEMENT DE NOTRE-SEIGNEUR.1. Le Roi vient, allons à la rencontre de Notre Sauveur. Salomon a dit élégamment : « La bonne nouvelle arrivant d'un pays éloigné, c'est de l'eau fraîche pour le gosier altéré (Prov. XXV, 25). » C'est un délicieux message que celui qui annonce l'approche du Sauveur, la réconciliation du monde avec Dieu, et les biens du siècle futur. Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent le bien ! Ils sont nombreux, en effet, il y en a plus d'un. Oui, dis-je, bien des messagers, nue longue suite de messagers nous. sont venus dès le commencement du monde, poussés par le même esprit : ils n'avaient tous qu'un cri, tous qu'une parole : il vient, le voilà (Ezech. XXXII, 8). » Et d'où sont partis ces courriers, demandez-vous ? L'Écriture le dit : c'est, «d'un pays élevé (Isa. XLVI, 11), » de la terre des vivants qui est séparée par une très-grande distance de cette terre des mourants. Entre eux et nous, se trouve un grand abîme. C'est de là pourtant que les Prophètes ont été envoyés aussi bien que les anges : car, si corporellement : ils résidaient ici-bas, quand ils étaient envoyés, ils étaient transportés là haut en esprit pour y voir et y entendre ce qu'ils devaient annoncer aux humains. Ces messagers sont l'eau rafraîchissante, et le breuvage salutaire de l'âme que la soif tourmente; en effet, l'envoyé qui annonce à cette âme l'arrivée ou les autres mystères du Sauveur, puise et lui verse à boire les eaux de joie des fontaines du Seigneur, en sorte qu'elle semble répondre à ce message, à Isaïe, ou à tout autre prophète, en leur adressant les paroles d'Elisabeth, parce qu'elle a reçu l'effusion du même esprit que reçut cette femme fidèle : « Et d'où me vient le bonheur que mon Seigneur s'approche ale moi (Luc. 1, 63) ? » Voici que depuis qu'ont retenti à mes oreilles les paroles de votre message, mon esprit a tressailli de joie en moi, et brûle de se porter à la rencontre du Dieu qui vient le sauver. 2. Et en vérité, mes frères, il faut aller au devant de Jésus-Christ, dans le transport de notre âme. Il faut saluer de loin celui qui fait annoncer sa délivrance à Jacob, ou du moins lui rendre ses salutations. « Je n'aurai point de honte à saluer mon ami », dit le sage (Eccle. XXII, 31) ; à combien plus forte raison n'en éprouverai-je pas à lui rendre son salut. O lumière salutaire de mon Sauveur et de mon Dieu ! qu'elle bonté vous avez eue en saluant vos serviteurs, quelle bonté plus grande encore vous a porté à les sauver ! Le salut ne serait point parfait pour nous, si vous faisiez annoncer la délivrance sans l'accorder. Cette grâce, vous l'avez accordée, non-seulement en saluant dans un baiser de paix, c'est-à-dire par votre union avec la chair, ceux à qui vous aviez adressé des paroles pacifiques, mais encore en leur procurant le salut par votre mort sur la croix. Que notre esprit s'élève donc dans le transport de sa joie, qu'il coure à la rencontre de son Sauveur, qu'il l'adore et le salue en le voyant venir de loin, qu'il lui crie « Sauvez-moi, ô Seigneur, prospérez! Béni soyez-vous, vous qui devez venir au nom du Seigneur (Psalm. CXVII, 25). » Salut, ô vous qui venez nous sauver, béni soyez-vous, vous qui apportez la bénédiction. Réussissez donc, ô Seigneur, qui venez vers les hommes les mains pleines de salut et de prospérité. Regardez, marchez heureusement et régnez. Le Père, le Dieu de notre salut, assurera le succès (le votre démarche. Il réussira, dit le Père, dans toutes les entreprises pour lesquelles je l'ai envoyé . non selon les désirs des hommes charnels, non selon la volonté de Pierre qui avait horreur de le voir souffrir. a Et tout ce qu'il fera, prospérera Psalm. I, 3) ; » non point d'après la volonté précipitée des hommes, mais pour le succès de leur véritable salut. Le, salut que donnent les hommes est vain ; mais notre salut est œuvre du Seigneur, qui nous l'a assuré au prix de son sang, et qui nous le donne en récompense, et nous le verse en breuvage. Venez donc, ô Seigneur, sauvez-moi et je serai sauvé. Venez, montrez-nous votre visage, et nous seront sauvés, « car nous vous avons attendit (Isa. XXXIII, 2). Voilà comment, par l'amour et par le désir, les prophètes et les justes marchaient avec ardeur à la rencontre du Christ quand il devait venir, souhaitaient de voir des yeux du corps, s'il était possible, ce qu'ils apercevaient en esprit. Aussi le Seigneur a-t-il dit à ses disciples : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez. Je vous le dis, beaucoup de Prophètes et de Rois ont voulu voir ce que vous avez sous les yeux, et ne l'ont pas vu (Luc, I, 23).» Abraham, votre père, a aussi tressailli en désirant contempler mon jour : il l'a vu, mais dans les enfers, et il s'est réjoui. C'est là ce qui condamne la torpeur et la dureté de notre cœur, si notre âme ne regarde pas Jésus-Christ avec un vif sentiment de joie spirituelle. 3. Nous attendons le jour anniversaire de la naissance du Christ; on nous promet, avec le bon plaisir du Seigneur, la joie de le voir bientôt. L'Écriture paraît exiger de nous une joie qui élève notre esprit au dessus de lui et le fasse se porter, si je puis parler ainsi, à la rencontre de Jésus-Christ, se jeter en avant dans son impatience de tout retard, et s'efforcer de contempler les événements à venir. Tous les avertissements par lesquels l'Écriture nous engage à marcher au devant du Seigneur se rapportent, comme je le crois, non-seulement à son second avènement, mais encore à son premier. Comment cela, dites-vous? Parce que, comme nous accourons au second par le mouvement et le tressaillement de notre corps; de même, trous devons aller vers le premier par l'affection et le mouvement du cœur. Vous le savez, en effet, lorsque nous aurons repris, dans la résurrection, des corps nouveaux, comme l'Apôtre nous l'enseigne, « Nous serons transportés sur les nuages au devant de Jésus-Christ dans les airs et par là nous serons toujours avec le Seigneur (I Thessal. IV, 16). » Quant à présent il ne manque pas de nues qui soulèvent dans les airs nos esprits, s'ils ne sont pas trop lourds ou trop attachés à la terre, et ainsi nous serons avec le Seigneur, au moins une dernière,heure. Si je ne m'abuse, vous connaissez par expérience ce que je vous dis, vous l'avez senti, lorsque les nuées ont fait entendre leur bruit, c'est-à-dire, lorsque, dans lÉglise, ont retenti les voix des Prophètes ou des apôtres, et lorsque vos sens se sont élevés, comme sur le dos des nuées, à cette hauteur, et ont été ravis au point de voir en quelque sorte, la gloire du Seigneur. Alors, si je ne me trompe, a brillé à vos yeux la vérité des paroles que le Seigneur fit tomber de cette nuée qu'il a placée pour vous servir de char tous les jours : «Le sacrifice de louange m'honorera : et c'est là la route par où je lui montrerai le salut de Dieu (Psalm. XLIX, 23). » Qu'il en soit donc ainsi, que le Seigneur vienne à vous avant son avènement, et qu'il vous visite familièrement avant de venir d'une manière générale et commune. « Je ne vous laisserai point orphelins,» dit-il : «Je m'en vais et je viendrai à vous (Joan. XIV, 18). » Et selon le mérite et le désir de chacun, cet avènement, où le Seigneur se réalise fréquemment en nous, dans le temps qui s'écoule entre le premier et le second, en nous conformant au premier et en nous préparant au second, il se fait actuellement en nous, pour que le Seigneur, dans le premier, ne soit point venu en vain, ou pour que dans le dernier il n'arrive pas irrité contre nous. Par cette arrivée, il s'efforce de réformer notre orgueil, en le rendant conforme à son humilité, absolument comme il réformera notre corps d'humilité, et le rendra semblable à son corps glorieux qui brillera lorsqu'il reviendra sur la terre. Il faut désirer de toute l'ardeur de nos vœux et demander avec instance cet avènement familier qui nous applique la grâce du premier et nous promette le bienfait de celui de la fin des temps. « Parce que Dieu chérit la miséricorde et la vérité, le Seigneur donnera la grâce et la gloire (Psalm. LXXXIII, 12), » la grâce dans sa miséricorde et la gloire par la vérité. 4. A raison non-seulement de la disposition des temps, mais encore de la ressemblance, cet avènement spirituel se trouve occuper le milieu entre les deux avènements corporels, il est entre eux comme une sorte de méditation qui tient de l'un et de l'autre. Le premier est humble et caché; le second éclatant et admirable : celui-ci est caché et admirable en même temps. Je l'appelle caché, non qu'il soit ignoré de celui en qui il arrive, mais parce qu'il s'opère secrètement en lui. Aussi cette âme s'écrie-t-elle avec transport en se glorifiant: « Mon secret est à moi, mon secret est à moi (Isa. XXIV, 16). » Même celui en qui il s'effectue ne peut le voir avant qu'il ait lieu, selon ce que le bienheureux Job disait de lui-même : « S'il vient à moi, je ne l'apercevrai point. S'il se retire, je n'y prendrai pas garde (Job. IX, 11). » On ne le voit point venir, on ne le sent point se retirer, cet être divin, qui, par sa présence, est la lumière de l'âme et de l'intelligence, et par qui on voit l'invisible, et on comprend celui que la pensée ne peut saisir. Du reste, combien admirable est cet avènement du Seigneur, bien que caché; avec quel doux et bienheureux saisissement il ravit et suspend l'âme qui le contemple ; comme il fait que tout l'homme intérieur s'écrie : Seigneur, qui est semblable à vous? Ceux qui en ont fait l'expérience le savent; mais plût au ciel que ceux qui n'ont rien éprouvé de pareil désirassent partager ce bonheur: pourvu néanmoins, que ce ne soit point une curiosité téméraire qui les porte à scruter la majesté de Dieu qui les écraserait du poids de sa gloire, mais une tendre charité qui les fasse soupirer. après le bien-aimé pour être accueillis par sa grâce. « Car le Seigneur jette les yeux sur ceux qui sont doux, il humilie les pécheurs jusqu'à terre. ( Psal. CXLVI, 6). Il résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles (Jac. IV, 6). » Ainsi donc le premier avènement ayant été un mystère de grâce, comme le second sera un mystère de gloire, celui qui tient le milieu sera un mystère de grâce et d'amour à la fois; par la grâce qui nous console, il nous y est donné de goûter, en quelque façon, la gloire à venir. Si, dans le premier, le Dieu de majesté s'est montre méprisable, et si, dans le dernier, il doit se montrer terrible, dans celui qui tient le milieu, il se montre en même temps admirable et aimable : en sorte que la teinte de bonté qui le rend aimable ne l'expose pas au mépris, mais lui attire l'admiration; que la magnificence de la gloire qui le rend admirable ne soit point une cause de terreur, mais plutôt de consolation. C'est du premier que le Voyant, le prophète disait : « Nous l'avons aperçu, il n'avait ni apparence ni beauté: aussi nous ne l'avons nullement remarqué (Isa. LIII, 3).» Le même juste s'écrie avec étonnement à la vue du second : « Et qui se tiendra debout pour le voir? » L'Apôtre a dit de l'autre : « En contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés dans la même image, et nous allons de gloire en gloire, comme transportés par l'esprit du Seigneur (II Cor. III, 18). » Mystère étonnant et aimable ! Dieu qui est amour pénètre les sentiments de celui qui l'aime. Lorsque l'Époux embrasse l'Épouse dans l'unité de l'esprit, il se trouve changé en sa ressemblance, et contemple en elle, comme dans un miroir, la gloire du Seigneur. Bienheureux, ceux à qui leur ardente charité a déjà obtenu cette distinction! mais bienheureux également, ceux dont la sainte simplicité peut aussi espérer l'obtenir. Les uns trouvent dans le fruit de leur amour la consolation de leur fatigue; les autres avec d'autant plus de mérite peut-être qu'ils ont moins de joie, car ils portent le poids de la chaleur et du jour, attendent l'avènement de la récompense. Nous donc, mes frères, que ne console pas encore une expérience si relevée, que du moins une foi assurée, une conscience pure nous consolent et nous rendent patients jusques à l'arrivée du Seigneur : que ces sentiments nous fassent dire avec saint Paul avec autant de satisfaction que de fidélité: « Je sais à qui je me suis confié, et je suis certain, qu'il est assez puissant pour conserver mon dépôt, jusqu'à ce jour (II Tim. I, 12): » c'est dire, jusqu'à l'avènement de la gloire du grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ, à qui soit la gloire dans tous les siècles. Amen. |