AVÈNEMENT V
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TOUSSAINT
CANTIQUE

CINQUIÈME SERMON SUR L'AVÈNEMENT DU SEIGNEUR.

1. « Préparez la voie au Seigneur (Isa. XL. 3). » Cette voie qu'on nous ordonne de préparer, mes frères, se prépare quand on y marche, et on la suit quand on la prépare. Quand même vous l'auriez longtemps suivie, il vous reste néanmoins toujours à la préparer : du point où vous êtes parvenus, il faut que vous avanciez encore, voilà comment à chaque pas que vous faites, le Seigneur, à qui vous préparez ainsi les voies, se présente comme pour la première fois et toujours comme s'il était plus grand qu'il n'est en effet. Aussi est-ce avec raison que le juste forme cette prière : « Donnez-moi pour chemin, Seigneur, la voie de vos commandements et je la rechercherai sans cesse (Psalm. CXVIII, 33). » On lui a donné le nom de vie éternelle, peut-être parce que, bien que la providence ait examiné le sentier suivi par chacun, et fixé un but où il s'arrêtera, la bonté de l'être vers lequel vous vous avancez n'a néanmoins pas de bornes. C'est pourquoi, le voyageur infatigable et décidé commencera quand il aura fini : en d'autres termes, oubliant ce qui est derrière lui, chaque jour il se dit « C'est à présent que je me mets à l'œuvre (Psalm. LXXVI, 11). » Il s'élance pour courir dans la voie des commandements de Dieu, comme un géant que rien n'épouvante : devenu Idithum, il devance facilement dans la rapidité de sa marche le paresseux qui s'attarde en route. Et, bien que la dernière heure du jour arrive, il a en peu de temps achevé sa longue carrière. Il était le dernier, mais, devenu le premier, il reçoit la couronne avec les plus avancés.

2. Mais nous qui parlons de progrès dans cette voie, plût au ciel que nous eussions au moins commencé à y marcher! A mon avis et d'après ma manière de voir, quiconque est entré dans ce chemin n'y est pas peu avancé, si véritablement il y est entré, s'il a trouvé la route de la villa où est sa demeure. Or, il sont peu nombreux, nous dit la Vérité, ceux qui la trouvent : (Matth. VII, 14). Combien y en a-t-il qui errent dans la solitude ! Ce sont d'abord tous les solitaires, c'est-à-dire, tous les orgueilleux qui se croient seuls. Nul d'entre eux ne peut encore dire « J'ai commencé ce changement de l'œuvre de la droite du Très-Haut (Psalm. LXXVI; 11). » Pour eux, il n'y a pas de changement, » qui les fasse cesser d'être ce qu'ils étaient; parce que « ils n'ont pas craint le Seigneur (Psalm. LIV, 28), car la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. » Si elle est le commencement de la sagesse, elle est aussi le commencement de la sainte vie. La crainte du Seigneur est ce qui produit ce sentiment dans le cœur de l'homme et lui fait dire : «J'ai examiné mes voies, et j'ai tourné mes pieds du côté de vos commandements (Psalm. CXVIII, 59).» Elle produit la confession dont le Psalmiste enseigne qu'elle est le commencement des bonnes œuvres : « Débutez devant le Seigneur, » dit-il, « par la confession (Psalm. CXLVI, 17). » Elle incline l'orgueilleux vers la pénitence, et lui fait entendre la voix qui crie dans le désert, lui ordonne de préparer la route, et lui montre par où il faut commencer : « Faites pénitence, car le royaume des cieux va approcher (Matth. III, 2). » A cette doctrine se rapporte le sentiment de Salomon qui donna, en ces termes, cet enseignement fort net aux ignorants : « Le commencement de lu vie bonne, c'est de pratiquer ce qui est juste (Prov. XVI, 5). » Qu'est-ce que pratiquer ce qui est juste, sinon faire pénitence, exiger de nous ce qui est dû à Dieu, et restituer ce que nous avons dérobé? Voilà la justice qui marche devant le Seigneur, et lui prépare un chemin agréable, ainsi qu'il a été écrit : « La justice marchera devant lui et placera ses pas dans le chemin (Psalm. LXXXIV, 14). » Comme Jean a précédé Jésus, ainsi la pénitence précède la grâce, cette grâce, en vertu de laquelle, réconciliés après la satisfaction, noirs sommes admis au baiser de paix. Dans ce chemin de la pénitence, la justice et la paix, la justice de l'homme qui se punit et la paix de Dieu qui pardonne, se rencontrent avec un visage bai et heureux, et s'embrassent réciproquement. Dans un saint baiser, elles célèbrent l'alliance délicieuse et joyeuse de le réconciliation. Ainsi, pour qu'on ne fasse point trop peu d'estime de cette justice de l'homme qui exerce sur lui-même le jugement et la justice, pour que les petites prières et les désirs des paresseux n'aient point la hardiesse de se comparer aux travaux des pénitents, entendons ce qu'en, pense Salomon : « Le commencement de la bonne vie, » dit-il, « c'est de pratiquer la justice . cela est plus agréable au Seigneur que d'immoler des victimes (Prov. XVI, 5). » Si donc, vous voyez un homme attaché par profession à la pratique de cette pénitence, préférer aux travaux réguliers et sacrés qu'il doit faire, des prières particulières, opposez-lui cette sentence de Salomon: «Le commencement de la bonne vie, c'est la pratique de la justice, » cela est plus agréable au Seigneur que d'immoler des victimes.» De même, si vous voyez un homme, contre qui son frère a quelque chose, offrir à l'autel le présent des louanges ou des sacrements, répétez-lui la même parole : « Le commencement de la bonne vie, c'est de pratiquer la justice en vous réconciliant avec votre frère : « Ce don est plus agréable au ciel, que d'immoler des victimes. » Car c'est lui que concerne la sentence d'après laquelle avant de donner l'aumône, il faut réparer, au moins dans une égale mesure, le dommage qu'on a causé. De même, ne croyez point non plus que le Seigneur trouverait agréables les prières volontaires que vous lui adressez eu récitant des psaumes ou des formules particulières, si, pour ce motif, vous négligez la psalmodie à l'heure fixée par la règle, N'est-ce pas pécher fille de mal faire les parts lors même qu'on a bien offert la victime (Gen. III, juxta interp.) ? « Rendez droits les sentiers (Matth. III, 3), » vous qui préparez la voie du Seigneur.

3. O Seigneur, vous nous avez tracé la voie pour que nous la suivions en droite ligne, Vous m'avez donné une loi, celle de vos témoignages, par le saint homme que vous avez établi législateur de cette institution sacrée ; « voilà la voie, » s'est-il écrié, « marchez-y, sans vous détourner ni à droite, ni à gauche (Isa. XXX, 21). » Cette voie est certainement celle au sujet de laquelle le prophète nous avait fait cette promesse : « C'est la route directe pour nous, en sorte que les insensés n'y errent pas (Isa. XXXV, 8). » J'ai été jeune et me voici vieux, et, si mes souvenirs sont fidèles, je n'ai point vu d'insensé errant par la route, parce que c'est à peine si j'ai aperçu quelque sage qui ait pu la suivre en droite ligne. « Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux, et prudents devant vous (Isa. V, 21), » à vous dis-je que votre sagesse éloigne de la voie du salut et ne laisse pas suivre la sainte folie du Sauveur. Il n'ignorait point le mal que cause cette sagesse terrestre, animale, diabolique, cet apôtre devenu insensé pour l'amour de Jésus-Christ, lorsqu'il s'écriait : « Si quelqu'un paraît être sage en ce monde, qu'il devienne insensé, pour être sage devant Dieu ( I Cor. III, 18). » O digne folie que celle qui est réputée sagesse au jugement de Dieu, et qui ne permet pas à l'homme de s'écarter de son chemin. Si je ne m'abuse, cette folie est la sagesse d'en haut, sagesse pudique, pacifique, modeste, persuasive, consentant à tout ce qui est bien (Jac. III, 17) : plût à Dieu que l'expérience ne nous eût jamais fait voir combien s'éloigne de toutes ces qualités celui qui est sage à ses propres yeux. Si l'arrogance et la hardiesse de ces sages vous contriste, la paix et la modestie de nos insensés vous consolent bien davantage; hommes heureux, moins ils se confient en eux-mêmes, plus ils sont persuasifs et s'accordent avec les bons. Ces insensés ne s'écartent pas facilement de la voie du Seigneur, mais, selon l'expression du Prophète, ils entendent constamment derrière eux une voix qui leur dit : « Voici le chemin, marchez-y, sans vous détourner ni à droite ni à gauche (Isa. XXX, 21). » C'est-à-dire, qu'une ferveur excessive qui dépasse la borne, qu'une négligence paresseuse qui est en-deçà de la limite, ne vous fassent point abandonner la route établie et le chemin royal. L'esprit est à droite, la chair est à gauche : toujours opposés, ils luttent entre eux sans relâche, ne faisons point ce que réclame l'un ou l'autre : de crainte qu'en suivant l'esprit plus qu'il ne faut, nous ne déclinions à droite, ou qu'en donnant trop à la chair, nous ne dévions à droite.

4. Je prends plaisir à rappeler dans votre bien-aimée assemblée les grands éloges que le prophète Isaïe donne à lavoie des justifications du Seigneur, à la voie de la vérité que vous avez choisie. Et là, s'écrie-il (Isa. XXXV, 3), c'est-à-dire, au lieu où se trouvait autrefois la retraite des dragons, dans la terre sans route et déserte, «il y aura le sentier et la voie, » comme on le voit aujourd'hui : parce que dans ces hommes sauvages et grossiers qui vivaient sans loi, on aperçoit la discipline et la règle de la vie. « Et cette voie, » poursuit le prophète, « sera appelée sainte : » parce qu'elle sanctifie les pécheurs, et sauve ceux qui sont perdus. A quelle hauteur s'élèvent la force et la vénération due à sa sainteté, le prophète le fait voir, en disant, « l'impur ne la traversera pas. » O Isaïe, ceux qui sont souillés marcheront donc par un autre chemin ? Oh ! que bien plutôt, tous viennent dans celui-ci, que tous y marchent. Car c'est principalement pour les pécheurs que Jésus a préparé cette voie, lui qui est venu chercher et sauver ce qui s'était perdu dans les sentiers du siècle. Mais quoi ! l'homme impur passera-il par la voie sainte ? A Dieu ne plaise! quelque souillé qu'on soit en venant à elle, l'impur ne la suivra jamais : parce que lorsqu'il l'aura suivie, il ne sera plus souillé. Elle reçoit celui qui est impur, mais elle le purifie dès qu'elle l'a reçu ; car, semblable à un second baptême, elle enlève tout péché à ceux qui se repentent. Celui qui baptise, ce n'est pas Jean, c'est Jésus dans le baptême de là pénitence : c'est là qu'est ouverte la fontaine de la maison de David pour l'ablution du pécheur et de toute âme immonde. Cette voie admet le voyageur souillé, mais elle ne le laisse point passer, parce qu'elle est étroite, et que son entrée est resserrée. Le serpent qui doit être renouvelé, peut y arriver avec sa vieille peau, mais il ne peut la franchir en la conservant : cette ouverture étroite le laisse passer quand il est changé, quand il est revêtu de sa nudité nouvelle, après lui avoir enlevé toutes les impuretés qu'il avait apportées avec lui. C'est donc avec raison que l'on nous dit d'imiter la prudence du serpent, puisque nous ne pouvons clous renouveler autrement qu'en passant par une ouverture étroite qui nous serre.

5. Nous éviterons certainement les embûches de l'antique dragon; si nous suivons l'exemple dû serpent nouveau en passant par cette voie étroite; Isaïe nous le promet, lorsqu'il ajoute en parlant toujours de la même voie : « Il n'y aura point de lion, aucune bête dangereuse n'y montera, et ne s'y rencontrera (Isa. XXXV, 9). » Soyons donc en sûreté, si nous ne sortons point de la voie. Le lion rugissant qui rôde et cherche quelqu'un à dévorer, peut tendre ses piéges le long du chemin, dresser ses embûches et effrayer, par ses rugissements, ceux qui la suivent : mais il ne peut les blesser, parce que cette voie elle-même est son supplice et sa terreur. Car « la voie du Seigneur est la force du simple, et l'épouvante de ceux qui opèrent le mal (Prov. I, 29). » Si dont vous êtes dans le chemin, ne craignez que d'en sortir, que d'offenser le Seigneur qui vous y conduit de peur qu'il ne vous abandonne au hasard dans les sentiers de votre cœur : ne craignez pas autre chose. Si vous vous plaignez que cette route est étroite, regardez le but où elle vous conduit. Un effet, si vous examinez le terme de toute chose, aussitôt, vous vous écrierez : «Votre commandement est extrêmement large (Psalm. CXVIII, 96). » Si vous ne pouvez apercevoir ce terme, croyez Isaïe, le Voyant, qui est l'œil de votre corps. Il le saisissait du regard, lorsqu'il, écrivait ce qui suit: et «voici que, par cette voie, marcheront ceux. qui auront été délivrés et rachetés par le Seigneur: et ils viendront. en Sion, chantant ses louanges, et une joie éternelle sera sur leur front. Ils obtiendront la joie et l’allégresse: la douleur et le gémissement prendront la fuite. » Celui qui réfléchit à cette fin, non, seulement, dilate sa voie, mais encore prend des ailes pour voler au lieu, de marcher. Mes frères, considérez donc la récompense qui vous attend à la fin, et vous courrez avec toute facilité et promptitude dans la route des commandements. Que par elle vous accompagne et vous fasse arriver celui qui est la voie de ceux qui courent et le but de ceux qui parviennent, Jésus-Christ, à qui soit honneur et gloire dans tous les siècles des siècles. Amen.

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