TRAITÉ XXVI
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VINGT-SIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « LES JUIFS DONC MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QU’IL AVAIT DIT: JE SUIS LE PAIN VIVANT DESCENDU DU CIEL », JUSQU’A CET AUTRE : « CELUI QUI MANGE DE CE PAIN, VIVRA ÉTERNELLEMENT ». (Jean, VI, 41-59.)

LA FOI EN JÉSUS-CHRIST.

 

Parce que les Juifs n’avaient pas soif de la justice, ils ne comprirent point que Jésus était le vrai pain descendu du ciel ; ils murmurèrent donc en entendant ses paroles : en cela rien d’étonnant. Pour croire au Christ, il faut être attiré h. la foi par la grâce divine, qui, en nous instruisant, nous amène, d’une manière efficace, mais librement, au bien par l’organe le Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné. Comme il est le pain de vie, croire en lui, c’est avoir la vie éternelle de l’âme. La manne du désert n’a pu la donner aux Israélites, parce qu’ils manquaient de foi : l’Eucharistie ne l’a pas davantage procurée fleurs descendants, pour la même raison, car elle n’est pain de vie que pour les croyants. Celui donc qui mange ce pain dans les sentiments de la foi et de la charité, possède la vie éternelle de l’âme, et le principe de la résurrection de son corps.

 

1. Nous venons de l’apprendre par la lecture de l’Evangile Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant dit qu’il était un pain descendu du ciel, les Juifs éclatèrent en murmures et s’écrièrent : « N’est-il pas ce Jésus, fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère? Comment dit-il : Je suis descendu du ciel? » Les Juifs étaient loin de s’occuper du pain du ciel, et ils ne savaient pas en avoir faim. Par faiblesse, leur coeur ne pouvait ni demander ni recevoir aucune nourriture; ils avaient des oreilles, et n’entendaient rien; ils avaient des yeux pour ne rien voir. Car, ce pain de l’homme intérieur exige de l’appétit. Voilà pourquoi il est dit ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés (1) ». Or, l’apôtre saint Paul nous dit que le Christ est notre justice (2). Par conséquent, celui qui a faim de ce pain, doit avoir faim de la justice, mais de cette justice qui descend du ciel et que Dieu donne, et non pas de celle que l’homme se fait à lui-même. L’homme se fait parfois de lui-même sa propre justice; s’il en était autrement, le même Apôtre ne dirait pas, en parlant des Juifs : « Ne connaissant point la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu (3) ». De ce nombre étaient ces autres Juifs, qui n’avaient aucune idée du pain descendu du ciel, parce que, rassasiés de leur propre justice, ils n’éprouvaient aucun désir de la justice

 

1. Matth. V, 6.— 2. I Cor. I, 30. — 3. Rom. X, 3.

 

de Dieu. Qu’est-ce donc que la justice de Dieu? Qu’est-ce que celte des hommes? Par justice de Dieu, il faut entendre ici, non pas cette perfection qui constitue la sainteté de Dieu, mais celle qu’il donne à l’homme, afin de l’établir dans la sainteté par sa grâce. Quant aux Juifs, en quoi consistait leur justice? En ce qu’ils présumaient de leurs forces, et prétendaient être, en quelque sorte, les parfaits observateurs de la loi, sans aucun aide venu d’ailleurs : personne ne peut accomplir la loi sans le secours de la grâce, c’est-à-dire du pain descendu du ciel. « Car », dit en deux mots l’Apôtre, « l’amour est la plénitude de la loi (1)». L’amour, non de l’argent, mais de Dieu; non de la terre ou du ciel, mais de Celui qui a fait le ciel et la terre. D’où vient à l’homme cet amour de Dieu? Saint Paul nous le dit. Ecoutons-le: « L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2) ». Avant de nous donner le Saint-Esprit, le Sauveur s’est donc présenté à nous comme le pain descendu du ciel, et nous a exhortés à croire en lui. Croire en lui, c’est manger le pain vivant. Celui qui croit, mange: il se nourrit invisiblement, parce qu’il renaît d’une manière invisible ; c’est intérieurement un enfant, un homme nouveau : ce qui le renouvelle, le rassasie par lot même.

2. Les Juifs murmuraient donc contre Jésus; quelle fut sa réponse? « Ne murmurez

 

1. Rom. XIII, 10. — 2. Id. V, 5.

 

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pas entre vous » ; ce qui voulait dire: Je le vois bien, vous n’éprouvez aucun désir pour ce pain; vous n’avez nulle idée de ce qu’il est; vous ne cherchez pas à vous le procurer. « Ne murmurez pas entre vous: nul ne peut venir à moi, si le Père, qui l’a envoyé, ne l’attire ». Admirable éloge de la grâce : Nul ne vient sans être attiré. Qui attire-t-il? Qui n’attire-t-il pas? Pourquoi attire-t-il celui-ci ? Pourquoi n’attire-t-il pas celui-là? Autant de questions desquelles tu ne dois pas t’établir juge, si tu ne veux pas te tromper. Je te le dis une fois pour toutes : saisis bien ma pensée. Dieu ne t’attire rias encore? Prie-le de le faire. Mes frères, que disons-nous? Si nous sommes attirés vers le Christ, nous croyons donc en lui malgré nous: on notas fait donc violence, et notre volonté reste étrangère à notre acte de foi? Un homme peut entrer à l’église, s’approcher de l’autel, recevoir le sacrement, sans aucun consentement de sa part; mais, pour croire, il faut nécessairement le libre concours de la volonté. Si la foi venait du corps, elle pourrait se trouver en des hommes qui n’y acquiesceraient nullement; mais elle ne vient pas de là. Ecoute l’Apôtre : « On croit par le coeur ». Et il ajoute : « Et l’on confesse par la bouche, pour parvenir au salut (1) ». Cette confession procède du fond du coeur, Les hommes qui font leur profession de foi ne sont pas rares : Tu as parfois entendu des hommes qui font leur profession de foi; mais tu ne connais pas quel est celui qui ne croit pas réellement, et tu ne peux donner le nom de confesseur de la foi à l’homme que tu reconnais comme incroyant; car la confession consiste à dire ce que pense réellement le coeur: si tu dis le contraire de ce que tu penses intérieurement, tu parles, mais tu ne fais pas de profession de foi. C’est donc par le coeur que l’on croit au Christ : personne ne le fait contre son gré, et, pourtant, il semblerait que celui qui y est attiré, le fait malgré lui, et forcément. Comment résoudre la difficulté que présente ce passage : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire? »

3. Quiconque est attiré, dira quelqu’un, marche à contre-coeur. S’il marche à contrecoeur, il ne croit pas; et s’il ne croit pas, il ne marche pas davantage. Ce n’est pas, en effet,

 

1. Rom, X, 10.

 

par la marche que nous nous approchons du Christ : c’est par la foi; pour cela, nous n’avons pas de mouvement à imprimer à notre corps: il suffit d’avoir au coeur de la bonne volonté. Voilà pourquoi cette femme, qui toucha la robe du Sauveur, la toucha plus que la foule qui se pressait autour de lui. Aussi Jésus dit-il : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Les disciples étonnés lui répondirent : « La multitude vous presse, et vous demandez qui vous a touché? » Et il répéta: « Quelqu’un m’a touché ». La femme le louche, la multitude le presse; que veut donc dire ce mot : « M’a touché », sinon : a cru? De là vient encore que, après sa résurrection, le Christ s’adressa en ces termes à cette autre femme qui voulait se jeter à ses pieds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore « monté vers mon Père (1) ». A ton avis, je ne suis que ce que tu me vois; ne me touche pas. Quel est le sens de ces paroles? Selon ton idée, je ne suis pas autre que ce que je te semble être. Ne t’y trompe pas, il n’en est pas ainsi, c’est-à-dire : « Ne me touche pas, car je ne suis point encore remonté vers mon Père ». Pour toi, je ne suis pas monté vers mon Père, car je ne me suis jamais séparé de lui. Elle ne touchait point le Sauveur, quand il était sur la terre; comment le toucherait-elle au moment de son retour vers son Père? C’est ainsi, néanmoins, c’est de cette manière qu’il a voulu être touché; ainsi l’est-il par tous ceux qui le touchent bien, quoiqu’il monte au ciel, qu’il demeure en son Père, et qu’il lui soit égal.

4. Reporte ton attention sur ces paroles: « Nul ne vient à mol, si mon Père ne l’attire».  Ne t’imagine pas que tu sois attiré malgré toi; car l’amour entraîne les âmes. Il est des hommes qui pèsent le sens de toutes les paroles, et qui sont loin de comprendre toutes choses, surtout les choses de Dieu; mais nous n’avons nullement à craindre de les voir nous reprocher ce passage des saintes Ecritures qui se trouve dans l’Evangile, et nul d’entre eux ne nous dira Si je suis entraîné, comment pourrai-je avoir une foi parfaitement libre? Car je le dis : ce n’est pas assez d’être entraînés volontairement, nous le sommes encore avec plaisir. Qu’est-ce, en effet, qu’être entraîné avec plaisir? « Mets tes délices dans le Seigneur, et il remplira tous les désirs de ton

 

1. Luc, VIII, 44-46. — 2. Jean, XX, 17.

 

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coeur (1)». Le coeur qui éprouve la douceur du pain céleste, ressent un véritable plaisir. Or, s’il est vrai de dire avec le poète : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants (2)»; non par la nécessité, mais par l’attrait du plaisir; non par le devoir, mais par la jouissance : à plus forte raison devons-nous dire que celui-là est attiré vers le Christ, qui trouve ses délices dans la vérité, la béatitude, la justice, l’éternelle vie ; car le Christ est tout cela. Quand les sens corporels ont leurs plaisirs, les facultés de l’âme en seraient-elles dépourvues? Et si l’âme n’avait point de jouissances à elle, comment le Psalmiste aurait-il pu dire : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes; ils seront enivrés de l’abondance de votre maison; vous des abreuverez au torrent de vos délices; car, en vous est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière (3)? » Donne-moi un homme qui aime lieu, et il éprouvera la vérité de ce que je dis: donne-moi un homme rempli du désir et de la faim de ce pain céleste, engagé dans le désert de cette vie et dévoré par la soif de Injustice, soupirant après la fontaine de l’éternelle patrie ; donne-moi un tel homme, et il me comprendra. Mais si je m’adresse à un homme glacé par le froid de l’indifférence, il ne saisira pas mes paroles. Tels étaient les murmurateurs dont parle notre évangile. « Celui que mon Père attire vient à moi ».

5. Mais pourquoi dire : « Celui que mon Père attire », puisque le Christ attire aussi? dans quelle intention le Sauveur a-t-il dit : « Celui que mon Père attire? » Si nous devons être entraînés, soyons-le par celui à qui l’épouse animée par l’amour adressait ces paroles : « Nous courrons sur tes pas à l’odeur de tes parfums (4) ». Remarquons bien, mes frères, et, autant que possible, efforçons-nous de comprendre ce que le Sauveur veut nous faire entendre. Le Père attire à son Fils ceux qui croient au Fils, parce qu’ils reconnaissent Dieu pour son Père; car Dieu le Père s’est engendré un Fils égal à lui; l’homme qui reconnaît dans sa pensée que le Fils est égal au Père, et qui, sous l’empire de sa foi, sent vivement cette vérité, et la rappelle sans cesse à son esprit, le Père l’attire vers son Fils. Arius n’a vu

 

1. Ps. XXXVI, 4. — 2. Virgile, Eglogue, 2. — 3. Ps. XXXV, 8-10. — 4. Cant. I, 3.

 

 

en Jésus qu’une simple créature; aussi le Père ne l’a-t-il pas attiré, car celui-là n’a le Père en aucune estime, qui ne reconnaît pas le Fils comme son égal. Que dis-tu, ô Arius? O hérétique, quel langage tiens-tu? Qu’est-ce que le Christ? — Ce n’est pas le vrai Dieu: il n’en est que la créature. — Tu n’es pas attiré par le Père, puisque tu ne reconnais pas son Fils, loin de là; puisque tu dis positivement qu’il n’a pas de Fils: aussi n’es-tu ni attiré par le Père, ni attiré vers le Fils; car autre chose est le Fils, autre chose est ce que tu en dis. Au dire de Photin, le Christ n’est qu’un homme: il n’est pas Dieu. Les partisans de cet hérétique, le Père ne les attire pas. Le Père a attiré celui qui a dit: « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Vous n’êtes ni un Prophète, ni saint Jean, ni un grand saint, mais « vous êtes le Christ Fils » unique « du Dieu vivant », et son égal. Oui, il a été attiré: il l’a été par le Père; tu en trouves la preuve dans ces paroles du Sauveur: « Simon, fils de Jona, tu es heureux, car la chair et le sang ne t’ont pas révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux (1) ». Cette révélation du Père n’est autre que son attraction. Tu montres à une brebis une branche de feuillage, et tu l’attires; offre des noix aux regards d’un enfant, et tu l’attireras: et il est attiré à l’endroit où il court, par l’affection, sans dommage pour son corps, sous l’empire des sentiments de son coeur. S’il est vrai qu’un homme se laisse entraîner vers un objet dont les attraits et les délices sollicitent son affection, suivant cet incontestable adage: « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants » ; le Père, en faisant connaître le Christ, n’aurait aucun empire sur les coeurs? Mais rien n’a plus de force que la vérité pour exciter dans une âme d’ardents désirs. Pour quelle occurrence avoir un meilleur appétit, pourquoi désirer un palais plus apte à juger des saveurs, sinon pour se nourrir et s’abreuver de la sagesse, de la justice, de la vérité, de l’éternité?

6. Mais où serons-nous rassasiés ? Au ciel, nous le serons mieux, plus véritablement, plus parfaitement que partout ailleurs. Car ici, il nous est plus facile, si nous sommes animés d’une ferme espérance, d’avoir faim que d’être rassasiés; car « bienheureux ceux « qui ont faim et soif de la justice » sur la

 

1. Matth. XVI, 16, 17.

 

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terre, « parce qu’ils seront rassasiés » au ciel (1). Aussi, après avoir dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire », il ajoute : « et je le ressusciterai au dernier jour ». Je le mettrai en possession de ce qu’il aime, de ce qu’il espère : il contemplera ce qu’il a cru ici-bas sans le voir; il se rassasiera de ce dont il a faim, il s’abreuvera de ce dont il a soif. Quand cela ? Au moment de la résurrection des morts, car « je le ressusciterai au dernier jour »

7. « Car il est écrit dans les Prophètes: « Tous seront enseignés de Dieu ». O Juifs, pourquoi me suis-je exprimé ainsi? Le Père ne vous a pas encore instruits; comment donc pouvez-vous me reconnaître ? Tous les citoyens de ce royaume seront enseignés de Dieu, et non des hommes. Et si des hommes les instruisent, ce qu’ils comprennent de leurs leçons, leur est donné, leur apparaît, leur est expliqué intérieurement. Que font les hommes en annonçant extérieurement la vérité ? Que fais-je moi-même, en ce moment, en vous adressant la parole ? Je fais retentir à vos oreilles le bruit de mes paroles. Si celui qui se trouve au dedans de vous ne vous les faisait comprendre, à quoi bon vous parler? A quoi bon vous entretenir ? L’action de l’arboriculteur s’exerce au dehors de l’arbre; celle du Créateur se fait sentir à l’intérieur. Celui qui plante et qui arrose, travaille au dehors; c’est ce que nous faisons nous-mêmes; mais a celui qui plante n’est rien, « non plus que celui qui arrose; c’est Dieu seul qui donne l’accroissement (2) ». C’est-à-dire : « Tous seront enseignés de Dieu ». Qu’est-ce à dire : Tous? « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Remarquez bien la manière dont le Père nous attire : il nous instruit, et, par là, il nous délecte, mais il ne nous force pas. Voilà comme il nous attire « Tous seront enseignés de Dieu » ; il lui appartient de les attirer : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi » : il y est attiré, c’est le fait de Dieu.

8. Eh quoi donc, mes frères? De ce que quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient au Christ, s’ensuit-il que le Christ n’y a contribué en rien par ses instructions? Si les hommes ont eu pour précepteur Dieu le Père, sans néanmoins le voir, à quoi

 

1. Matth. V, 6. — 2. I Cor. III, 7.

 

leur a servi de voir le Fils? Le Fils parlait, et le Père enseignait. Moi, qui ne suis qu’un homme, qui est-ce que t’instruis? Qui est-ce, mes frères, sinon l’homme qui entend ma parole? Or, si n’étant qu’un homme, j’instruis celui qui m’entend parler, le Père enseigne donc aussi quiconque entend son Verbe; et puisque l’homme qui entend le Verbe reçoit l’enseignement du Père, cherche à savoir ce qu’est le Christ, et tu apprendras qu’il est le Verbe du Père; car, « au commencement était le Verbe ». On ne peut pas dire : Au commencement, Dieu a créé le Verbe, dans le sens de cette parole: « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre (1) ». Pourquoi? Parce qu’il n’est pas une créature. Apprends à être attiré par le Père vers le Fils : que le Père t’enseigne, et que tu écoutes son Verbe. Mais, diras-tu, quel est ce Verbe du Père que je dois entendre? « Au commencement était le Verbe »; il n’a pas été fait alors, « il était : et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Mais comment, pendant le cours de cette vie terrestre, les hommes peuvent-ils entendre un Verbe de cette nature ? Parce que « le Verbe s’est fait chair, et qu’il a habité parmi nous (2) ».

9. Le Sauveur explique lui-même ces paroles, et nous montre ce qu’il a voulu nous dire en s’exprimant ainsi : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Car il ajoute aussitôt ce que nous devons en penser : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu : celui-là a vu le Père ». Que dit-il? Moi, j’ai vu le Père : vous, vous ne l’avez pas vu; et, pourtant, il vous est impossible de venir à moi, si vous n’y êtes attirés par le Père. Mais, qu’est-ce qu’être attiré par le Père, si ce n’est être enseigné de lui ? Etre enseigné de lui, sinon l’entendre ? L’entendre, sinon entendre son Verbe, c’est-à-dire moi ? Toutefois, parce que je vous dis: « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence », n’allez pas vous dire à vous-mêmes : Mais nous n’avons jamais vu le Père; comment avons-nous pu recevoir ses instructions ? Car, écoutez-moi, je vais vous le dire : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu; celui-là a vu le Père ». Je connais le Père, je viens de lui, comme la parole d’un homme vient de cet homme; parole, néanmoins, qui ne

 

1. Gen. 1,1.— 2. Jean, I, 1, 14.

 

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résonnerait pas, qui ne passerait pas, mais qui demeurerait avec celui qui parle et attirerait celui qui écoute.

10. Dans ce qui suit, nous trouvons un avertissement : « En vérité, en vérité, je vous de dis: celui qui croit en moi a la vie éternelle ». Il a voulu par là nous faire connaître qui il était; car il aurait pu nous dire en deux mots: Celui qui croit en moi, me possède; car le Christ est, tout à la fois, le vrai Dieu et la vie éternelle. Aussi, dit-il, celui qui croit en moi va en moi, et quiconque va en moi, me possède. Mais, qu’est-ce que me posséder? C’est posséder la vie éternelle. La vie éternelle s’est revêtue de la mort; elle a voulu mourir, et, pour cela faire, elle n’a rien trouvé en elle-même; elle t’en a emprunté le moyen : tu lui as fourni de quoi mourir pour toi. Il s’est revêtu d’un corps humain, mais pas à la manière des autres hommes. Son Père est au ciel : il s’est, ici-bas, choisi une mère; pour être engendré dans le ciel, il n’a pas eu de mère: pour l’être en ce monde, il n’a pas eu de père. La vie s’est donc revêtue de la mort, afin que la mort trouvât sa destruction dans la vie. Car, dit-il, « celui qui croit en moi possède la vie éternelle », non déjà manifestée à nos regards, mais encore cachée à nos yeux. « Le Verbe » est, en effet, la vie éternelle : « au commencement il était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et la vie était la lumière des hommes ». Le Christ, vie éternelle, a donné la vie éternelle au corps humain qu’il a pris; lest venu en ce monde pour y mourir. Mais il est ressuscité le troisième jour. La mort a péri, comme étouffée entre le Verbe incarné et son corps rendu à la vie.

11. « Je suis », dit le Sauveur, « le pain de vie». Les interlocuteurs avaient-ils le droit de se montrer si fiers ? « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts ». Pourquoi donc vous enorgueillir? « Ils ont mangé la manne, et ils sont morts ». Pourquoi sont-ils morts, même après avoir mangé la manne ? C’est qu’ils croyaient ce qu’ils voyaient, et ce qu’ils ne voyaient pas, ils ne le comprenaient pas non plus. Ils sont donc réellement vos pères, puisque vous leur ressemblez. Mes frères, nous mangeons le pain descendu du ciel; mais ne mourons-nous pas de la mort visible du corps ? Les Juifs du

 

1. Jean, I, 2, 4.

 

désert sont donc morts, comme nous mourrons nous mêmes : il s’agit bien ici, vous le comprenez, de la mort visible et temporelle de notre corps. Mais s’il est question de cet autre genre de mort, vraiment à craindre, dont le Sauveur parle ici aux Juifs, et qu’ont subi leurs pères, je vous assure que Moïse, Aaron, Phinéès et beaucoup de personnages précieux aux yeux de Dieu par leur sainteté, n’en ont pas éprouvé l’amertume; et, pourtant, ils ont aussi mangé la manne dans le désert. Mais cette pourriture visible, ils en ont compris la signification toute spirituelle, ils l’ont désirée en esprit et reçue de coeur, et leur âme en a été rassasiée. Nous aussi, nous recevons maintenant un aliment visible; mais autre chose est de recevoir le sacrement, autre chose est d’en recueillir les fruits. Que de chrétiens participent à la victime du sacrifice, sont frappés par la mort, et ne meurent que pour avoir reçu cet aliment céleste ! Voilà pourquoi l’Apôtre ne craint pas de dire: « Il boit et mange sa propre condamnation ». Le corps du Sauveur n’a pas été un poison pour Judas; et cependant il le reçut, et, quand il l’eut reçu, Satan entra en lui, et cela, non point parce qu’il avait reçu un aliment empoisonné, mais parce qu’il était méchant, et qu’il l’avait reçu avec de mauvaises dispositions. Ayez donc soin, nies frères, de manger spirituellement ce pain venu du ciel, et d’apporter à l’autel un coeur innocent : si vous avez tous les jours des fautes à vous reprocher, que, du moins, elles ne soient pas mortelles. Avant de vous approcher de l’autel, faites attention à ce que vous dites « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent (2)». Si tu pardonnes, tu seras pardonné; marche en toute sécurité, tu as devant toi du pain, et non du poison; mais vois bien si tu pardonnes, car si tu ne le fais pas, tu mens, et tu mens à celui que tu ne saurais tromper. Tu peux, en effet, mentir à Dieu, mais le tromper, jamais. Il sait ce que tu fais : il est au dedans de Loi, et il te voit, il te regarde, il t’examine, il te juge, et, dès lors, il te condamne ou te récompense. Quant aux Juifs du désert, ils étaient vraiment les pères des interlocuteurs du Christ; car s’ils étaient méchants, les seconds ne l’étaient pas moins; s’ils manquaient de foi, les seconds n’en

 

1. I Cor. XI, 29. —  2. Matth. VI, 12.

 

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avaient pas davantage; s’ils murmuraient, les seconds murmuraient aussi. Et l’on peut dire que si jamais le peuple d’Israël a offensé son Dieu, ç’a été en murmurant contre lui. Aussi, pour montrer que ceux à qui il parlait étaient bien les fils des Juifs du désert, le Sauveur commence-t-il par leur dire: Murmurateurs, enfants d’un peuple qui a murmuré, « pourquoi murmurer entre vous ? Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts », non pas que la manne fût chose mauvaise, mais parce qu’ils l’ont mangée en mauvaises dispositions.

12. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel ». Ce pain a été figuré par la manne, et aussi par l’autel du Très-Haut. La manne et l’autel étaient des figures: différents en apparence, ils signifiaient une même chose. Ecoute les paroles de l’Apôtre: « Car vous ne devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, et qu’ils se sont tous nourris du même aliment spirituel ». En fait de nourriture spirituelle, nous avons tous la même: que s’il s’agit de la nourriture matérielle, ils ont eu la manne, et nous, une autre ; si, au contraire, il est question de la nourriture spirituelle, ils ont eu la même que nous. Mais nos pères se sont montrés bien différents des leurs: nous ressemblons à nos frères, et ils sont animés d’un esprit tout opposé. L’Apôtre ajoute: « Et qu’ils ont bu le même breuvage spirituel ». A eux, un breuvage; à nous, un autre: breuvages d’apparences diverses, mais représentant la même chose par leur vertu mystérieuse. Mais comment était-ce « le même breuvage ? Parce qu’ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, eau qui les suivait: et cette pierre « était Jésus-Christ (1) ». En figure, le Christ était Pierre; en réalité, il était Verbe et homme. Et comment ont-ils bu de. cette eau? La pierre a été frappée de deux coups de verge (2); ces deux coups de verge ne sont autres que les deux bras de la croix. « C’est donc ici le pain qui est descendu du ciel, afin que si quelqu’un en mange, il ne meure point ». Mais il faut bien le remarquer, il s’agit ici du sacrement comme vertu, et non du sacrement comme chose visible ; de celui qui le reçoit

 

1. I Cor. X, 1-4. — 2. Nombr. XX, 11.

 

intérieurement, et non de celui qui le reçoit seulement à l’extérieur; du chrétien qui en fait l’aliment de son coeur, et non du chrétien qui se borne à une manducation purement physique.

13. « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel». Il est vivant, précisément parce qu’il est descendu du ciel. La manne était aussi descendue du ciel, mais elle n’était que l’ombre, tandis que le pain est la réalité. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair ». Eh quoi! la chair serait-elle jamais de telle nature qu’on puisse donner à du pain le nom de chair? On appelle chair ce que ne comporte pas la nature de la chair, et elle le comporte d’autant moins, qu’on appelle de ce nom ce qui ne l’est pas. Les Juifs frémirent d’horreur en entendant ces paroles; ils se dirent les uns aux autres que c’était exorbitant; ils prétendirent que c’était impossible. « C’est», dit le Sauveur, « ma chair qui sera donnée pour le salut du monde ». Les fidèles savent ce que c’est que le corps du Christ, s’ils ont soin d’en faire partie. Qu’ils deviennent donc le corps du Christ, s’ils veulent vivre de son Esprit. Il n’y a, pour vivre de l’Esprit du Christ, que son corps. Mes frères, saisissez bien le sens de mes paroles. Dès lors. que tu es un homme, tu as un esprit et un corps. Sous le nom d’esprit, je désigne ce qu’on appelle l’âme, ce qui fait que tu es homme; car tu es composé d’un corps et d’une âme. Dis-moi lequel des deux fait vivre l’autre? Ton esprit puise-t-il sa vie en ton corps? ou ton corps trouve-t-il la sienne en ton esprit? Tout homme vivant répond à une telle question; pour celui qui sent ait incapable d’y répondre, je ne sais, à vrai dire, s’il vit. Tout homme vivant répond donc: Il ne saurait y avoir de doute à cet égard: c’est mon esprit qui fait vivre mon corps. Si, maintenant, tu veux toi-même ; ivre de l’Esprit du Christ, sois l’un de ses membres. Serait-ce, en effet, ton esprit qui ferait vivre mon corps? Certainement non; mon esprit fait vivre mon corps, ton esprit fait vivre le tien. Pour le corps du Christ, il ne peut vivre que de l’esprit du Christ. Voilà pourquoi, en nous parlant de ce pain, l’apôtre saint Paul s’exprime ainsi : « Nous ne sommes tous qu’un seul pain et un seul corps ». O profond

 

1. I Cor. X, 17.

 

 

531

mystère de piété ! ô signe d’unité ! ô lien de charité! Celui qui veut vivre, sait où il jouira de la vie, où il la puisera. Qu’il s’approche et qu’il croie, qu’il s’incorpore au Christ, il y trouvera la vie; qu’il ne lui répugne aucunement de s’unir à d’autres membres; qu’il ne soit lui-même ni un membre pourri, que l’on doive retrancher du reste du corps, ni un membre difforme dont on puisse rougir: qu’il boit beau, bien proportionné , parfaitement sain; qu’il ne fasse qu’un avec le corps du Christ; que, puisant sa vie en Dieu, il vive pour Dieu; qu’il travaille sur la terre, pour régner un jour dans le ciel.

14. « Les Juifs disputaient donc entre eux et disaient: Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger?» Ils disputaient entre eux, sans aucun doute, parce qu’ils ne comprenaient point que c’était un pain de paix et de concorde, et ne voulaient pas davantage s’en nourrir. Car ceux qui mangent ce pain ne se disputent pas entre eux; la raison en est que « nous sommes tous un même pain et un même corps ». Et, par ce pain, « Dieu unit les hommes et les fait habiter dans une même maison (1) ».

15. Ils disputent entre eux et se demandent comment le Seigneur peut donner sa chair à manger; néanmoins, le Christ ne le leur apprend point encore; pour le moment, il se contente de leur dire: « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Vous ignorez pourquoi on mange ce pain et comment on le mange : et, pourtant, « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Certes, il ne s’adressait pas à des cadavres, mais à des hommes vivants. Aussi, pour ne point leur laisser supposer qu’il parlait de cette vie terrestre, et les empêcher d’élever une contestation à ce sujet, il ajouta : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle » ; d’où il suit que celui qui ne mange pas ce pain et ne boit pas ce sang, ne l’a pas; car, si. les hommes peuvent, sans eux, avoir la vie du temps, ils ne peuvent aucunement, sans eux, posséder la vie éternelle. De là, quiconque ne mange point sa chair et ne boit pas son sang, n’a point la vie

 

1. Ps. LXVII, 7.

 

en soi; et quiconque mange sa chair et boit son sang, possède la vie. Pour l’un et l’autre de ces deux hommes, le Sauveur parle de la vie éternelle. Il n’en est pas de même de la no4urriture matérielle que nous prenons pour entretenir en nous la vie du corps. Celui qui n’en prend pas ne peut vivre, et celui qui en prend ne peut se promettre de vivre toujours; car il peut arriver que beaucoup de ceux qui en prennent, meurent accablés par la vieillesse ou la maladie, ou victimes d’un accident quelconque. Bien différents sont la nourriture et le breuvage dont il est ici question, c’est-à-dire le corps et le sang du Seigneur. En effet, si celui qui ne les prend point n’a pas non plus la vie, celui qui les prend possède certainement la vie, et la vie éternelle. Par cet aliment et ce breuvage, le Sauveur veut donc nous désigner l’unité de son corps, l’union de ses membres, qui n’est autre que la sainte Eglise, composée des prédestinés, des appelés, des justifiés, des saints glorifiés et de tous les fidèles. La prédestination a déjà eu lieu; la vocation et la justification se sont déjà faites pour les uns, se font maintenant et se feront plus tard pour les autres quant à la glorification, elle n’existe pour nous aujourd’hui qu’en espérance : au ciel elle se réalisera. Le signe sensible de cette mystérieuse chose, c’est-à-dire le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ réunis ensemble, se trouve préparé sur la table du Seigneur ici tous les jours, ailleurs, à certains intervalles moins rapprochés ; c’est à cette table divine que les chrétiens le reçoivent et y puisent, les uns la vie, les autres la mort. Pour ce dont ce sacrement est le signe, quiconque en devient participant y rencontre non la mort, mais la vie.

16. Les Juifs pouvaient s’imaginer que la vie éternelle étant promise aux hommes qui prendraient cet aliment et ce breuvage, ceux-ci ne subiraient pas même la mort du corps. Le Sauveur daigna prévenir cette erreur. En effet, après ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle», il ajoute aussitôt celles-ci: «Et je le ressusciterai au dernier jour». D’abord sou âme jouira de la vie éternelle, dans le séjour du repos où se réunissent les âmes des saints; quant à son corps, il entrera aussi en possession de la vie éternelle, car il ressuscitera au dernier jour avec tous les morts. [532]

17. « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage ». Les hommes ne prennent de nourriture et de breuvage que pour apaiser leur faim et étancher leur soif; mais un pareil effet n’est véritablement produit que par cet aliment et ce breuvage où trouvent l’immortalité et l’incorruptibilité ceux qui le reçoivent; il ne peut avoir vraiment lieu que dans la société même des saints, où régneront une paix entière et une parfaite union. C’est pourquoi, suivant l’idée qu’en ont eue déjà avant nous les hommes de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a parlé de son corps et de son sang en les désignant par des objets à la confection desquels concourent plusieurs autres réunis ensemble; car le pain se fait par la réunion d’un grand nombre de grains, comme encore le vin se fait avec le jus de plusieurs raisins.

18. Enfin, il indique comment peut se faire ce qu’il dit et ce que c’est que manger son corps et boire son sang. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui ». Prendre cette nourriture et boire ce breuvage n’est donc autre chose que demeurer dans le Christ et le posséder en soi-même à titre permanent. Par là même, et sans aucun doute, quand on ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne mange point (spirituellement) sa chair, et on ne boit pas non plus son sang, quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible soins sa dent le sacrement du corps et du sang du Sauveur; bien plus, en recevant le signe sensible d’une si précieuse chose, il le mange et boit pour sa condamnation, parce qu’il n’a pas craint de s’approcher dès sacrements du Christ avec une âme souillée. Celui-là seul, en effet, s’en approche dignement, qui le fait avec une conscience pure, suivant cette parole de l’Evangile: « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu’ils verront Dieu (1) ».

19. « Car», dit-il, « comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause du Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi ». Il ne dit pas: Comme je mange mon Père et que je vis à cause de lui, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi. Car, en participant à la nature du Père, le Fils n’en devient point plus parfait,

 

1. Matth. V, 8.

 

puisqu’il a été engendré son égal; mais nous, nous devenons meilleurs en entrant en participation du Fils, en nous unissant à son corps et à son sang, mystère désigné par la manducation et l’action de boire dont il a parlé plus haut. Nous vivons donc à cause de lui, puisque nous le mangeons, c’est-à-dire puisque nous recevons de lui la vie éternelle, que nous ne pouvions trouver en nous-mêmes; pour lui, il vit à cause de son Père qui l’a envoyé, parce qu’il s’est anéanti lui-même et qu’il est devenu obéissant jusqu’à la mort de la croix (1). Si nous interprétons ces paroles « Je vis à cause de mon Père», d’après cet autre passage: « Mon Père est plus grand que « moi»», il en est du Christ comme de nous; car nous vivons à cause de lui, qui est plus grand que nous; c’est pour lui la conséquence de sa mission. Il a été envoyé, c’est-à-dire il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave: cette interprétation est juste; on peut la soutenir , tout en continuant à reconnaître que le Fils est, par nature, égal au Père. Car le Père est plus grand que son Fils considéré coin me homme; mais, en tant que Dieu, le Fils lui est égal; car il est, en même temps, Dieu et homme, Fils de Dieu et Fils de l’homme, dans une seule personne, qui est Jésus-Christ. Si l’on entend bien dans ce sens les paroles du Sauveur : « Comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause de mon Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi»; il a voulu dire ceci : L’anéantissement où m’a réduit ma mission a eu pour résultat de me faire vivre à cause de mon Père, c’est-à-dire, de me faire rapporter à lui, comme étant plus grand que moi, toute ma vie; ainsi, chacun de ceux qui me mangeront vivra à cause de moi, par l’effet de cette participation à ma personne. Je me suis humiliés c’est pourquoi je vis à cause du Père; le chrétien qui me mange s’élève, et, par là, il vit à cause de moi. Que si le Christ a dit: « Je vis à cause de mon Père », parce que le Fils vient du Père et que le Père ne vient pas du Fils, ces paroles ne portent aucune atteinte à l’égalité du Fils par rapport à son Père. De là il suit évidemment qu’en disant: « Ainsi celui qui me mange vivra éternellement », le Sauveur n’a voulu, en aucune manière, nous mettre sur un même pied d’égalité avec lui: il n’a

1. Philipp. II, 8. — 2. Jean, XIV, 28.

 

533

 

fait allusion qu’au bienfait de sa médiation.

20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel» ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères», dit-il, « ont mangé la manne et sont morts; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut dire: ils ne vivront pas éternellement; car, évidemment, ceux qui mangent le Christ meurent aussi dans le temps, mais ils vivent pour l’éternité, parce que le Christ est la vie éternelle.

 

 

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